Chronique de jurisprudence

Le Professeur Jean-Claude RICCI vous propose chaque mois sa chronique de jurisprudence du Conseil d'État. Il sélectionne les principales décisions rendues par la Haute Juridiction, les classe par thème et les analyse.

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Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Mars 2021

Mars 2021

  

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Droit de toute personne à connaître l'identité et la fonction de l'agent public chargé d'instruire sa demande - Champ d'application - Procédure disciplinaire à l'égard d'un détenu - Absence de ces indications sans effet sur la décision - Décision confirmée au fond par substitution de motif.

L'article L. 111-2 du code des relations entre le public et l'administration, dispose que : " (...) toute personne a le droit de connaître le prénom, le nom, la qualité et l'adresse administratives de l'agent chargé d'instruire sa demande ou de traiter l'affaire qui la concerne ; ces éléments figurent sur les correspondances qui lui sont adressées. Si des motifs intéressant la sécurité publique ou la sécurité des personnes le justifient, l'anonymat de l'agent est respecté. "

Un détenu ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire reproche à l'administration de n'avoir pas respecté les dispositions précitées ; une cour administrative d'appel ayant estimé ces dernières inapplicables au compte-rendu établi par l'agent présent lors du manquement d'un détenu à la discipline ou informé de ce dernier, le Conseil d’État juge le contraire.

Toutefois, le non-respect de l'art. L. 111-2 n'entache pas d'illégalité, par lui-même, la décision prise au terme de la procédure par l'administration.

(1er mars 2021, M. B., n° 436013)

 

2 - Décret - Intitulé du décret - Absence d'une quelconque force normative - Rejet.

Rappel de ce que l'intitulé d'un décret n'a aucune valeur normative ; il en va de même de tout autre texte dont les lois et ordonnances.

(4 mars 2021, Mme B., n° 441649)

 

3 - Communication des documents administratifs - Création d'une ZAC en vue de l'établissement d'un éco-quartier - Décision refusant cette communication - Contrôle du juge de l'excès de pouvoir - Moment où se place le juge pour apprécier la légalité de la décision - Rejet.

Sa demande de communication de plusieurs documents administratifs produits dans le cadre de la réalisation d'une ZAC en vue de la création d'un "éco-quartier", notamment de ceux relatifs à la décision de sélection d'un groupement d'aménageurs pour l'aménagement de la ZAC, ayant été rejetée, l'intéressée se pourvoit en Conseil d’État.

Sa requête est rejetée au fond au terme d'un raisonnement qui n'est certes pas nouveau mais qui demeure très intéressant en tant qu'il confirme et accentue une tendance lourde du contentieux administratif.

Le rejet opposé à la demanderesse est fondé sur ce que "tant que cette sélection n'a pas conduit à la conclusion d'un contrat avec un aménageur, les informations relatives à l'environnement (que) contiennent (les documents dont la communication est demandée) ne sauraient, à ce stade, être regardées comme ayant pour objet des décisions ou des activités susceptibles d'avoir des incidences sur l'état des éléments de l'environnement, au sens des dispositions (du) point 5 du 2° de l'article L. 124-2 du code de l'environnement. Par suite, en jugeant que les documents demandés ne pouvaient être regardés comme contenant des informations relatives à l'environnement au sens de cet article L. 124-1 (...), le tribunal administratif n'a commis ni erreur de droit, ni erreur de qualification juridique des faits."

Or pour parvenir à cette conclusion, et c'est ce qui fait l'importance de la décision, il fallait que le juge saisi, juge de l'excès de pouvoir, se place non à la date à laquelle a été pris l'acte en cause (ce qui caractérise le contrôle d'excès de pouvoir) mais à celle où il statue, date on sait qu'elle est caractéristique du contentieux de la pleine juridiction.

C'est pourquoi, préalablement, le Conseil d’État prend soin d'indiquer "(...) par exception au principe selon lequel le juge de l'excès de pouvoir apprécie la légalité d'un acte administratif à la date de son édiction, il appartient au juge, eu égard à la nature des droits en cause et à la nécessité de prendre en compte l'écoulement du temps et l'évolution des circonstances de droit et de fait afin de conférer un effet pleinement utile à son intervention, de se placer à la date à laquelle il statue."

Certes, en apparence, demeure toujours en vigueur le principe que le juge de l'excès de pouvoir se place au jour de la prise de la décision contestée - comme le rappelle encore la présente décision - mais les exceptions sont allées se multipliant ces dernières années au point que rares vont être les cas dans lesquels le principe sera appliqué.

Si l'on ajoute à cela que le juge de l'excès de pouvoir peut décerner injonction et condamner à astreinte comme celui de la pleine juridiction, il y a de quoi s'inquiéter (ou de se réjouir) pour le maintien de la summa divisio entre excès de pouvoir et plein contentieux.

(1er mars 2021, Mme A., n° 436654)

 

4 - Notice publiée par l'URSSAF des Bouches-du-Rhône sur son site internet - Compétence du juge administratif pour connaître du litige - Absence de caractère décisoire de la partie de la notice contestée - Rejet.

Le litige portait sur la contestation, par la société requérante, de la légalité de deux membres de phrase figurant dans une notice explicative relative aux modalités d'application de la contribution sociale de solidarité des sociétés au titre de l'année 2020 publiée sur le site internet de l'URSSAF des Bouches-du-Rhône.

Tout d'abord se posait une question de compétence juridictionnelle dans la mesure où les contentieux individuels auxquels donne lieu l'assujettissement à la CSG relèvent de la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire. Le Conseil d’État, conformément à sa jurisprudence traditionnelle, y aperçoit un acte de nature administrative car il contient l'interprétation qu'il convient de retenir de dispositions législatives. Autant dire qu'il s'agit d'un acte à caractère général et impersonnel.

Ensuite, se posait la question de savoir si l'acte en question, pour administratif qu'il soit, était bien déférable au juge de l'excès de pouvoir. La réponse est négative car cet acte n'est pas décisoire : il ne prend pas position, contrairement à ce que soutenait la requérante, ni directement ni explicitement sur la question de savoir si les redevances et revenus en cause doivent être inclus ou non dans l'assiette de la cotisation sociale de solidarité des sociétés due par l'exploitant du service public de l'eau.

Le recours est rejeté.

(12 mars 2021, Société des Eaux de Trouville Deauville, n° 442602)

 

5 - TVA - Remises accordées par les laboratoires pharmaceutiques à un organisme d'assurance-maladie - Réduction corrélative de la base d'imposition à la TVA - Application du régime institué par la directive 2006/112, art. 90 - Rejet.

Le ministre demandeur au pourvoi contestait l'arrêt par lequel une cour administrative d'appel a jugé que ne doivent pas être comprises dans leur base d'imposition à la taxe sur la valeur ajoutée les remises prévues aux articles L. 162-18 et L. 138-9-4 du code de la sécurité sociale, consenties à l'assurance-maladie, et qui, postérieurement aux opérations de vente des spécialités pharmaceutiques par les entreprises qui les produisent, viennent réduire la contrepartie perçue par ces entreprises.

Pour rejeter le pourvoi, le Conseil d’État se fonde sur les dispositions de l'art. 90 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée telles qu'interprétées par la CJUE (20 décembre 2017, Finanzamt Bingen-Alzey c/ Boehringer Ingelheim Pharma GmbH & Co. KG, aff. C-462/16), lesquelles décident que les remises accordées par une entreprise pharmaceutique à un organisme d'assurance-maladie entraînent une réduction de la base d'imposition en faveur de cette entreprise pharmaceutique lorsque cet organisme rembourse à ses assurés le prix d'achat des produits pharmaceutiques.

En l'espèce, les remises prévues par le code précité, en dépit de la circonstance qu'elles étaient versées aux caisses d'assurances maladies sur le fondement d'une convention conclue avec le Comité économique des produits de santé en application de l'article L. 162-18 du code de la sécurité sociale ou d'un accord conclu sur le fondement de l'article L. 138-19-4 du même code, s'inscrivaient dans le cadre de la participation au financement de la sécurité sociale dans une perspective de régulation des dépenses de santé. Il suit de là que la base d'imposition à la TVA de la société concernée devait être réduite du montant correspondant à ces remises.

(12 mars 2021, Min. de l'Economie, des Fin. et de la Relance, n° 442871)

 

6 - Orientations adoptées par le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel relatives à l'obligation de mobilité conditionnant l'avancement au grade de président - Circulaire du 21 janvier 2020 du secrétaire général du Conseil d’État relative aux avis en vue de l'avancement au grade de président au titre de l'année 2020 - Documents de portée générale à effets susceptibles d'être notables sur les droits ou la situation de certaines personnes - Cas notamment des documents à caractère impératif et des lignes directrices - Étendue du contrôle exercé en cette matière par le juge - Absence de vices d'incompétence, de violation de la légalité applicable ou de caractère réglementaire obligeant à prendre des mesures transitoires - Rejet.

Le syndicat requérant demandait l'annulation, d'une part, des orientations adoptées le 10 décembre 2019 par le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel (CSTACAA) relatives à l'obligation de mobilité conditionnant l'avancement au grade de président et, d'autre part, de la circulaire du 21 janvier 2020 du secrétaire général du Conseil d’État relative aux avis en vue de l'avancement au grade de président au titre de l'année 2020, en tant qu'elle reprend ces orientations.

Le recours est rejeté.

Le juge rappelle à titre liminaire le régime juridique - au demeurant assez flou - de cette catégorie de documents interlopes lorsqu'ils sont " susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en oeuvre ". Il indique qu'ont, en particulier mais pas exclusivement, de tels effets ceux d'entre eux ayant un caractère impératif ou présentant le caractère de lignes directrices. L'impérativité permet seule de soumettre ces documents au régime qui va être décrit, elle est une condition sine qua non de l'application de ce régime, en revanche les lignes directrices sont, elles, ipso facto soumises au dit régime.

Dans ce régime, d'une part, le juge examine les vices susceptibles d'affecter la légalité du document en tenant compte de la nature et des caractéristiques de celui-ci ainsi que du pouvoir d'appréciation dont dispose l'autorité dont il émane et, d'autre part,  décide que le recours contre un tel document " doit être accueilli notamment s'il fixe une règle nouvelle entachée d'incompétence, si l'interprétation du droit positif qu'il comporte en méconnaît le sens et la portée ou s'il est pris en vue de la mise en oeuvre d'une règle contraire à une norme juridique supérieure".

Sur la base de ces prémisses, le Conseil d’État relève qu'il est de la compétence du CSTACAA de déterminer, aux termes des art. L. 234-2, L. 234-2-2 et L. 234-7 du cja, " ceux des magistrats ayant soit satisfait à l'obligation de mobilité statutaire, soit exercé des fonctions juridictionnelles pendant trois ans dans une cour administrative d'appel qui doivent être inscrits au tableau d'avancement au grade de président et les y inscrire par ordre de mérite." A cette fin, le CSTACAA s'est doté de lignes directrices préconisant les critères à retenir pour l'établissement du tableau d'avancement ; il a également précisé qu'il pouvait y déroger pour des considérations propres à la situation individuelle d'un magistrat ou à l'intérêt du service. C'est ainsi qu'il a prévu que dans le cadre de l'appréciation " des compétences, des aptitudes et des mérites " des magistrats administratifs ayant satisfait à l'une ou l'autre des obligations mentionnées à l'article L. 234-2-2 du cja, il est susceptible de donner, en principe et à mérite égal, d'une part, la priorité aux magistrats administratifs ayant accompli une mobilité statutaire sur ceux ayant servi en cour administrative d'appel et, d'autre part, parmi tous ceux ayant exercé une mobilité statutaire, la priorité à ceux d'entre eux ayant exercé, dans ce cadre, des fonctions comprenant des responsabilités d'encadrement. 

Examinant successivement les trois éléments de son contrôle de cette catégorie de documents, le Conseil d’État constate qu'aucun des griefs d'illégalité ne saurait prospérer. 1°/ le CSATACAA avait bien compétence, eu égard à ses prérogatives, pour arrêter les lignes directrices litigieuses ainsi que les orientations en découlant et la circulaire du secrétaire général du Conseil d’État, qui se borne à les rappeler, n'est pas davantage entachée d'incompétence. 2°/ les dispositions du décret du 28 juillet 2010 auxquelles il aurait été porté atteinte par les orientations et par la circulaire attaquées n'étant pas applicables à l'avancement des magistrats administratifs au grade de président, lequel relève de dispositions du CJA, le grief d'illégalité est rejeté. 3°/ L'obligation qui s'impose de prévoir, le cas échéant, pour des motifs de sécurité juridique, des mesures transitoires ne s'applique pas en l'espèce car les orientations contestées comme la circulaire litigieuse ne sont pas des actes réglementaires.

Cette décision illustre parfaitement la complexité actuelle du statut des décisions, des actes et des documents de l'administration tant pour ce qui regarde leur régime juridique que pour ce qui concerne leur régime contentieux.

(22 mars 2021, Union syndicale des magistrats administratifs, n° 438202)

(7) Voir, très comparable, à propos de la légalité d'indications données par le collège de l'Autorité nationale des jeux aux opérateurs de jeux et de paris sur l'applicabilité à ces activités de certaines dispositions du code de la consommation, relatives notamment aux clauses abusives des contrats conclus entre un professionnel et un consommateur, ou aux pratiques commerciales déloyales : 24 mars 2021, Association française du jeu en ligne, n° 431786.

 

8 - Tabacs - Vignettes de sécurité à apposer sur les unités de conditionnement des produits du tabac - Objectif de traçabilité - Renvoi par la loi à un décret en Conseil d’État - Incompétence du ministre de l'action et des comptes publics - Annulation.

La société requérante demandait l'annulation de la lettre du directeur général des douanes et droits indirects en date du 27 février 2019 relative aux vignettes de sécurité que les fabricants de tabac doivent apposer sur les unités de conditionnement des produits du tabac, ainsi que de la décision implicite de rejet opposée à son recours gracieux formé le 26 avril 2019.

Pour accueillir le recours, le Conseil d’État relève en premier lieu que, par la lettre attaquée, le directeur général des douanes a explicité les conditions de contrôle et de validation des dispositifs de sécurité sur le fondement du  I de l'art. L. 3512-25 du code de la santé publique qui impose que les unités de conditionnement de produits du tabac fabriqués, importés d'un État non membre de l'Union européenne ou provenant d'un État membre de l'Union européenne comportent un dispositif de sécurité infalsifiable, composé d'au moins cinq types d'éléments authentifiants.

Il relève en second lieu et surtout que l'art. L. 3512-25 de ce code, qui détaille le contenu des indications qui doivent être portées sur les unités de conditionnement, renvoient à un décret en Conseil d’État la détermination des conditions d'application des dispositions de ce code aux unités de conditionnement en matière de traçabilité et de dispositif de sécurité.

Or, en l'espèce, le directeur des douanes avait agi sur délégation du ministre chargé des douanes, sans ce que ce dernier ait reçu compétence en la matière d'une disposition législative du code de la santé publique ou de tout autre et sans que son intervention ne puisse être considérée comme relevant de sa qualité de chef de service en application de la jurisprudence Jamart (Section, 7 février 1936, Rec. Lebon p. 172).

La procédure obligatoire de contrôle préalable et de validation des caractéristiques physiques et techniques des dispositifs de traçabilité et de sécurité mentionnés à l'article L. 3512-25 du code de la santé publique ne pouvait être instituée par le directeur des douanes sur délégation d'un ministre lui-même incompétent à cet effet.

D'où l'annulation prononcée conformément à la requête.

(25 mars 2021, Société British American Tobacco France, n° 433924)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques

 

9 - CNIL - Sanction pour démarchage téléphonique - Infraction continue justifiant l'application rétroactive du règlement général sur la protection des données (RGPD) - Rejet.

Il était reproché à la CNIL d'avoir sanctionné dans des conditions irrégulières une société pour démarchage téléphonique suite à une plainte en ce sens. La requête est rejetée en ses deux chefs principaux d'argumentation.

La requérante invoquait la circonstance qu'ont été sanctionnés des manquements antérieurs à la date d'entrée en vigueur du RGPD alors que ce dernier institue des sanctions plus sévères, en violation du principe constitutionnel de la non-rétroactivité des sanctions plus sévères. Le Conseil d’État estime être en présence d'une infraction continue, ayant commencé avant l'instauration du RGPD et s'étant poursuivie après. Par suite, le grief est rejeté. Cette solution peut se discuter car plutôt que d'une infraction continue il semblerait s'agir d'infractions répétées, chacune autonome dans son irrégularité.

Ensuite, la requérante demandait la clémence en raison des difficultés qu'elle aurait rencontré à mettre en place le nouveau mécanisme. En vain car lui rappelle le juge, les obligations qu'elle n'a pas respectées s'imposaient à elle antérieurement à l'entrée en vigueur du RGPD, en raison de la réglementation qui l'a précédé.

(1er mars 2021, Société Futura internationale, n° 437808)

 

10 -Traitement de données à caractère personnel - Prévention et lutte contre les violences collectives lors de manifestations sportives - Existence d'autres traitements de données personnelles dédiés aux violences commises par des supporters - Rejet.

La présente décision rejette le recours d'une association de supporters tendant à la suspension de l'exécution des articles 2 et 3 du décret du 2 décembre 2020, en tant seulement que les modifications que ces articles apportent aux articles R. 236-12 et R. 236-13 du code de la sécurité intérieure s'appliquent aux personnes susceptibles d'être impliquées dans des actions de violences collectives à l'occasion de manifestations sportives.

En premier lieu, la non-consultation - préalablement à la prise de ce décret - de l'instance nationale du supportérisme prévue par l'article L. 224-2 du code du sport n'est pas illégale car les dispositions litigieuses " ne sont pas spécifiques aux supporters mais concernent toutes les personnes dont l'activité peut porter atteinte à la sécurité publique".

En deuxième lieu, est rejeté l'argument tiré de ce que le texte attaqué procéderait à une extension du champ des données personnelles collectées, cela en violation de l'art. 4 de la loi informatique et libertés. Toutefois, il n'en est pas ainsi en l'espèce car les dispositions contestées ne visent que les actions de violences collectives exercées en milieu urbain ou à l'occasion de manifestations sportives - qu'elles soient ou non le fait de supporters - mettant en danger la sécurité publique et n'autorisent l'enregistrement de données personnelles que dans la stricte mesure où elles sont nécessaires à la poursuite des finalités du traitement. 

Enfin, est rejeté l'argument tiré de l'existence d'autres traitements de données qui eussent plus opportunément pu servir de support aux dispositions contestées.

(ord. réf. 2 mars 2021, Association nationale des supporters, n° 449429 et n° 449432, deux espèces)

 

11 - CNIL - Compétence pour prononcer une injonction de mise en conformité d'un traitement de données avec les obligations résultant de l'article 82 de la loi " informatique et libertés " - Existence d'un "guichet unique" excluant la compétence de la CNIL - Rejet.

La CNIL a adressé à la société Google LLC une injonction de mettre en conformité le traitement de données à caractère personnel consistant en des opérations d'accès ou d'inscription d'informations dans les terminaux des utilisateurs résidant en France lors de l'utilisation du moteur de recherche Google Search avec les obligations résultant de l'article 82 de la loi " informatique et libertés ". La CNIL a enjoint Google d'informer les personnes concernées au préalable et de manière claire et complète, par exemple sur le bandeau d'information présent sur la page d'accueil du site " google.fr " : 1°/ des finalités de tous les cookies soumis au consentement, 2°/ des moyens dont elles disposent pour les refuser " et elle a assorti cette injonction d'une astreinte de 100 000 euros par jour de retard " à l'issue d'un délai de trois mois suivant la notification de sa délibération avec obligation que les justificatifs de la mise en conformité aient être adressés à la formation restreinte de la CNIL dans ce délai.

Les requérantes, par la voie d'un référé suspension, ne contestaient pas l'objet de l'injonction, à savoir la réglementation des cookies, mais estimaient que la CNIL n'était pas compétente pour cela, cette prérogative appartenant, selon les requérantes, à l'autorité de contrôle de l'établissement principal du traitement en application du mécanisme dit du guichet unique prévu par l'article 56 du règlement du 27 avril 2016, c'est-à-dire, en l'espèce, l'autorité irlandaise, la société Google Ireland Limited étant l'établissement principal de Google en Europe.

Rejetant le moyen, le juge des référés du Conseil d’État affirme que si les conditions de recueil du consentement de l'utilisateur prévues par le règlement du 27 avril 2016, tel qu'interprété par la CJUE (1er octobre 2019, Bundesverband der Verbraucherzentralen und Verbraucherverbände – Verbraucherzentrale Bundesverband eV c/ Planet49 GmbH, C-673/17), sont applicables aux opérations de lecture et d'écriture dans le terminal d'un utilisateur, cette technique dite du "guichet unique" ne concerne pas les mesures de mise en oeuvre et de contrôle de la directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002 qui relèvent de la seule compétence des États membres en application des dispositions mêmes de l'article 15 bis de cette directive, lesquelles font donc, ici, obstacle à l'application des dispositions sur le guichet unique institué par le règlement précité du 27 avril 2016.

(ord. réf. 4 mars 2021, Sociétés Google LLC et Google Ireland Limited, n° 449212)

 

12 - Référé liberté - Vaccination contre le Covid-19 - Convention conclue entre l'État et une société prestataire - Société recourant aux services d'un hébergeur de données personnelles basé aux États-Unis - Incompatibilité avec le règlement général sur la protection des données (RGPD) - Absence en raison des mesures prises par la société cocontractante avec l'État - Rejet.

Pour gérer la prise de rendez-vous en vue d'injections pendant la campagne de vaccination contre le Covid-19, le ministère de la santé a conclu des contrats de prestations de services en ce sens avec trois sociétés. L'une d'elles, Doctolib, fait héberger ses données auprès d'une société américaine.

Les requérants considèrent que la législation américaine n'est pas compatible avec le règlement général sur la protection des données (RGPD) applicable dans l'UE. Ils demandent la suspension du partenariat État-Doctolib et que soit ordonné le recours à d'autres modalités de prises de rendez-vous respectueuses du droit à la protection des données.

Le juge des référés du Conseil d’État reconnaît l'incompatibilité entre le régime américain et les exigences du RGDP ainsi que du règlement du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (en particulier avec les art. 28, 44, 46 et 48) tel qu'interprété par un arrêt de grande chambre de la CJUE  (16 juillet 2020, Data Protection Commissioner contre Facebook Ireland Ltd et Maximillian Schrems, aff. C-311/18). Toutefois, il considère que les mesures prises par la société Doctolib (absence de données de santé figurant sur la prise de rendez-vous, suppression des données dans les trois mois de la date du rendez-vous, protocole particulier de contrôle des demandes de l'autorité publique contrevenant à la réglementation européenne, chiffrement des données par un tiers de confiance situé en France) sont de nature à pallier les risques dénoncés par la demande de référé. Celle-ci est rejetée

La masse des précautions prises laisse rêveur sur le degré d'autonomie numérique de l'UE et de ses États-membres.

(ord. réf. 12 mars 2021, Association InterHop et autres, n° 450163)

 

Biens

 

13 - Greffiers des tribunaux de commerce - Occupation du domaine public - Obligation de détenir un titre régulier d'occupation et d'acquitter une redevance - Distinction entre leurs missions de service public (exonérées) et celles de leurs activités qui en sont détachabers (soumises) - Annulation et rejet partiels.

Etaient en cause les art. L. 2122-1 et 2125-1 du code général de la propriété des personnes publiques qui permettent aux propriétaires des locaux où sont installés les tribunaux de commerce d'assujettir les greffiers de ces tribunaux à une redevance pour occupation de dépendances du domaine public.

Le Conseil d’État décide que la partie des locaux qui est utilisée par eux pour la mise en oeuvre du service public de la justice commerciale auquel sont affectés les locaux des tribunaux de commerce ne constitue pas une utilisation privative et n'a donc pas à être soumise au versement d'une redevance. En revanche, l'occupation par les greffiers de locaux pour l'exercice des missions distinctes, de nature non juridictionnelle, qui leur sont par ailleurs confiées par les lois et règlements, telles que la tenue du registre du commerce et des sociétés ou celles relevant des centres des formalités des entreprises, est soumise à redevance dans la proportion des surfaces occupées.

(12 mars 2021, Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce, n° 442284)

 

14 - Domaine public maritime - Plage - Installation temporaire de meubles par une société hôtelière - Caractère d'occupation privative en lien avec l'exercice d'une activité commerciale - Urgence à retirer un ponton non démontable implanté sur le domaine public maritime - Pouvoir souverain d'appréciation du juge du fond - Rejet.

C'est sans erreur de droit ou de fait et dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation qu'un tribunal administratif :

- considère que la mise en place par une société hôtelière, au droit de l'établissement qu'elle gère en bordure d'une plage, de parasols et de transats, constitue une occupation privative du domaine public irrégulière dès lors, d'une part, qu'elle n'a pas été autorisée, et d'autre part, que la mise en place et l'enlèvement de ces mobiliers sont effectués par le personnel de l'établissement non par les clients, chacun pour son compte ;

- aperçoit une urgence à enlever un ponton non démontable afin de permettre le libre accès des piétons à la plage et l'exercice des prérogatives et missions de service public, notamment de sécurité, en tout point du domaine public.

(12 mars 2021, Société Hôtelière d'Exploitation de la Presqu'île et M. B., n° 443392)

 

15 - Domaine public fluvial - Objets gênants pour la navigation ou la sécurité - Cas des "bateaux-logements" - Contravention de grande voirie - Rejet d'une demande de renvoi d'une QPC - Rejet du recours.

Le code général de la propriété des personnes publiques prévoit que les personnes (riverains, mariniers et autres) qui négligent d'enlever les objets encombrants faisant obstacle à la navigation fluviale ou à sa sécurité, sont redevables d'une amende, de la confiscation de l'objet encombrant et de la mise à leur charge des frais d'enlèvement d'office par l'administration (art. L. 2132-9 CGPPP).

Les requérants, qui sont propriétaires d'un bateau-logement, forment une QPC à l'encontre de l'art. susrappelé du CGPPP. Leur requête est rejetée.

Contrairement à ce qui est soutenu, l'enlèvement d'office des encombrants ainsi que la confiscation ne sont pas des sanctions à caractère de punition mais des mesures d'action domaniale destinées à assurer le maintien du domaine public dans un état permettant d'en faire un usage conforme à sa destination. Il s'ensuit l'inopérance de l'invocation, ici, de l'art. 8 de la Déclaration de 1789.

Ensuite, le juge rappelle deux règles procédurales propres aux actions en QPC : d'une part, ne peut être invoquée dans ce cadre la méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, et, d'autre part, ne peut être soulevée pour la première fois devant le Conseil d’État, un grief qui n'a pas été présenté dans l'instance s'étant déroulée devant le premier juge. L'un et l'autre sont déclarés irrecevables.

Enfin, ne sont pas admis non plus les moyens tirés :

- de ce que l'amende aurait un caractère disproportionné et violerait le principe de nécessité des peines alors qu'elle est fixée par le juge, lequel prend en considération toutes les circonstances de l'affaire, et que son montant maximum est de douze mille euros ;

- l'amende, destinée à sanctionner la nécessaire protection d'un usage de la dépendance fluviale conforme à sa destination, infligée après mise en oeuvre du principe du contradictoire, tout comme la confiscation et le remboursement des frais d'enlèvement, ne portent pas une atteinte excessive au respect de la vie privée comme à l'inviolabilité du domicile s'agissant d'un logement ou au droit de propriété.

(12 mars 2021, M. et Mme B., n° 448007)

 

16 - Bien classé monument historique et trésor national - Rejet d'une demande d'autorisation de travaux - Refus annulé par une cour administrative d'appel - Demande de sursis à l'exécution de cet arrêt - Conditions d'octroi du sursis remplies - Sursis ordonné.

La tombe de Tania Rachewskaïa, y compris le groupe sculpté " Le Baiser " de Constantin Brancusi et son socle formant stèle, située au cimetière du Montparnasse, a été classée monument historique et trésor national.

Une autorisation de travaux a été sollicitée par diverses personnes ou sociétés, elle leur a été refusée.

Sur leur recours, la cour administrative d'appel, infirmant le jugement du tribunal administratif, a annulé le refus d'autorisation de travaux et enjoint de procéder au réexamen de la déclaration de travaux.

La ministre de la culture se pourvoit en arguant, d'une part, de ce que cet ensemble est désormais sans aucune protection ce qui est de nature à entraîner des conséquences difficilement réparables et, d'autre part, de ce que la subordination par la cour de la qualification d'immeuble par nature donnée à la sculpture à la preuve de l'intention de son auteur de la concevoir dans le but de l'incorporer à la sépulture, constitue une erreur de droit. Le Conseil d'Etat, voyant là un moyen sérieux, fait droit, pour les mêmes motifs, à la demande ministérielle de sursis à l'exécution de cet arrêt.

(31 mars 2021, Ministre de la culture, n° 447968)

V. aussi n° 35

 

Collectivités territoriales

 

17 - Création d'une commune nouvelle - Nouvelle commune créée par fusion de trois communes - Absence de consultation préalable d'un comité technique - Consultation constituant une garantie - Rejet du pourvoi.

Ne commet ni une erreur de droit ni une dénaturation la cour administrative d'appel qui prononce l'annulation de l'arrêté préfectoral créant une commune nouvelle par fusion de trois existantes au double motif que devait être consulté, préalablement à cette décision, le comité technique des communes existantes et que cette consultation constituant une garantie pour le personnel son omission entache d'irrégularité ledit arrêté.

(10 mars 2021, Ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, n° 433584)

(18) V. identique : 10 mars 2021, Association " Les voix des riverains de la Seine " et autres, n° 433562.

 

19 - Spectacles - Subvention municipale à la création d'un complexe cinématographique - Conditions de légalité - Absence - Annulation.

Sont illégales la délibération d'un conseil municipal et la convention qui en résulte, accordant une subvention en vue du financement d'un projet de création d'un établissement de spectacle cinématographique de huit salles dans une commune alors que l'art. L. 2251-4 du CGCT n'autorise l'octroi de subventions à cette fin qu'aux salles réalisant une moyenne hebdomadaire inférieure à 7500 entrées ou qui font l'objet d'un classement "art et essai", condition non satisfaite en l'espèce.

Par ailleurs, la société requérante, qui exploite un cinéma dans la même commune, justifie d'un intérêt lui donnant qualité à agir contre une délibération approuvant l'octroi d'une subvention pour la création d'un établissement concurrent.

(10 mars 2021, Société Royal Cinéma et M. B, n° 434564)

 

Contentieux administratif

 

20 - Recours des militaires - Commission des recours des militaires - Litige relevant du plein contentieux - Absence de décision expresse - Détermination du délai de recours contentieux - Cas d'une décision implicite née antérieurement au 1er janvier 2017 - Avis de droit.

Dans cet avis contentieux le Conseil d’État répond aux deux questions suivantes : 1°/ le délai de recours contentieux court-il lorsque la saisine de la commission des recours des militaires n'a été suivie d'aucune décision expresse en matière de plein contentieux ? 2°/ En cas de réponse affirmative à la question précédente, selon quelles modalités a couru le délai de recours contre une décision implicite relevant du plein contentieux née antérieurement au 1er janvier 2017 ?

Il faut rappeler, pour bien situer le contexte de ces questions, d'une part, que de nombreux recours contentieux formés par des militaires relativement à des questions concernant leur état doivent obligatoirement être précédés d'une saisine en ce sens de la commission des recours des militaires et, d'autre part, que les dispositions du décret du 2 novembre 2016 relatif à certains délais de recours contentieux, est entré en vigueur le 1er janvier 2017.

En réponse à la première question, le Conseil d’État indique que le délai de recours contentieux de deux mois (art. R. 421-2 cja) à l'égard des décisions implicites de rejet est applicable aux recours formés contre les décisions relevant du plein contentieux, y compris lorsque la décision litigieuse a été prise par ou après avis d'une assemblée locale ou d'un organisme collégial. Il suit de là, en l'espèce, que la commission de recours des militaires disposant de quatre mois à compter de sa saisine par l'intéressé pour lui notifier la décision du ministre, le recours de plein contentieux doit être formé dans les deux mois de l'expiration du délai de quatre mois. Toutefois, lorsqu'il s'agit d'un recours excès de pouvoir ce délai ne peut être appliqué.

Concernant la réponse à la seconde question, il convient de rappeler que jusqu'à l'intervention du décret de 2016, en matière de plein contentieux, seule une décision explicite portée régulièrement à la connaissance de l'administré faisait courir le délai de recours contentieux.

Eclaircissant une matière complexe, le Conseil d’État indique quatre choses.

1°/ Les décisions implicites de rejet intervenues en matière de plein contentieux nées avant le 1er janvier 2017 ne sont pas affectées par les dispositions du décret du 2 novembre 2016 : le délai de recours contentieux n'a pas, en ce cas, commencé à courir à compter de la date à laquelle elles sont nées.

2°/ Cependant, les dispositions entrées en vigueur le 1er janvier 2017 ont été rendues applicables aux requêtes enregistrées à partir de cette date.

3°/ Toutefois ces dernières ne pouvaient pas déroger à ce qui constitue un principe général du droit processuel, à savoir l'impossibilité de porter atteinte rétroactivement à un droit acquis sous l'empire du droit positif existant à la date laquelle le délai de recours contentieux a commencé à courir.

4°/ Dès lors que la situation litigieuse n'était pas constituée à la date du 1er janvier 2017, était supprimée l'ancienne exception que constituait le régime spécifique du délai de recours contre les décisions implicites de rejet en matière de plein contentieux. En effet, de ce que le délai de recours contentieux ne commençait à courir qu'à compter de la notification d'une décision explicite de rejet il ne s'ensuivait pas, pour les intéressés, un droit acquis à ce que tout rejet tacite rendu en plein contentieux pouvait être contesté indéfiniment.

Les décisions implicites de rejet nées antérieurement à l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2017, des dispositions du décret du 2 novembre 2016 devaient donc être contestées au contentieux dans les deux mois de cette entrée en vigueur.

(Avis, 4 mars 2021, M. B., n° 445956)

 

21 - Avocats à la Cour de cassation et au Conseil d’État - Conditions d'accès à la profession - Dispenses de certaines obligations selon les catégories de candidats - Cas des membres et anciens membres du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel - Dispense soumise à condition d'ancienneté dans leur corps - Absence d'erreur manifeste d'appréciation - Rejet.

L'ordonnance du 10 septembre 1817 qui fixe notamment les conditions d'accès à la profession d'avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, dispense les membres et anciens membres du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel de conditions de diplôme et d'inscription pendant un an au moins au tableau d'un barreau ainsi que de la formation à la profession d'avocat  sous condition de justifier d'une pratique d'au moins huit années d'exercice professionnel dans leur corps. Ces dispositions ne sont point entachées d'une erreur manifeste d'appréciation et, en prévoyant des régimes distincts d'accès à cette profession pour d'autres catégories de personnes, elles ne méconnaissent point le principe d'égalité.

(5 mars 2021, M. C., n° 428609)

 

22 - Membres du Conseil d’État - Demande de récusation - Personnes ne faisant pas partie de la formation de jugement devant connaître du litige - Non-lieu à statuer.

Dans un litige portant sur une demande de renouvellement d'une allocation temporaire d'invalidité le requérant sollicitait la récusation de certains membres du Conseil d’État. Aucun d'eux ne faisant partie de la formation devant se prononcer sur ce litige, la demande de récusation est rejetée car sans objet.

(5 mars 2021, M. B., n° 432425)

 

23 - Recours gracieux contre une décision - Objet d'un tel recours - Rejet de ce recours - Formation postérieure d'un recours contentieux - Recours devant être considéré comme dirigé contre la décision initiale non contre les vices propres de la décision rejetant le recours gracieux - Délai du recours contentieux - Rejet.

Rappel, en termes très pédagogiques du sens, de la fonction et des effets d'un recours gracieux ainsi que des conséquences de son rejet : " Il est toujours loisible à la personne intéressée, sauf à ce que des dispositions spéciales en disposent autrement, de former à l'encontre d'une décision administrative un recours gracieux devant l'auteur de cet acte et de ne former un recours contentieux que lorsque le recours gracieux a été rejeté. L'exercice du recours gracieux n'ayant d'autre objet que d'inviter l'auteur de la décision à reconsidérer sa position, un recours contentieux consécutif au rejet d'un recours gracieux doit nécessairement être regardé comme étant dirigé, non pas tant contre le rejet du recours gracieux dont les vices propres ne peuvent être utilement contestés, que contre la décision initialement prise par l'autorité administrative. Il appartient, en conséquence, au juge administratif, s'il est saisi dans le délai de recours contentieux qui a recommencé de courir à compter de la notification du rejet du recours gracieux, de conclusions dirigées formellement contre le seul rejet du recours gracieux, d'interpréter les conclusions qui lui sont soumises comme étant aussi dirigées contre la décision administrative initiale."

(5 mars 2021, Mme B., n° 433529)

 

24 - Conclusions et appel incidents - Régime procédural - Conclusions soulevant un litige distinct - Délai d'introduction de l'appel incident - Conclusions irrecevables et appel entaché de forclusion - Rejet.

Les solutions contenues dans cette décision qui portent sur un litige d'ordre fiscal valent en toute matière. Le contribuable avait été assujetti à des rappels d'impôt sur le revenu assortis d'une pénalité de 40%, de cotisations sociales et de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus. Le ministre des finances ayant interjeté appel du jugement qui avait fait partiellement droit aux demandes du contribuable, ce dernier se pourvoit contre l'arrêt ayant annulé le jugement et rejetant son appel incident.

Le Conseil d’État rappelle deux principes régissant l'appel incident en contentieux administratif.

En premier lieu, l'appel incident ne peut pas porter sur un litige distinct de celui qui est l'objet de l'appel principal puisqu'en ce cas il n'est qu'un second appel principal parallèle au premier et doit respecter les exigences procédurales propres à la formation d'un appel principal. Ici l'appel principal du ministre portait sur l'impôt lui-même tandis que l'appel prétendu "incident" avait pour objet de contester les pénalités mises à la charge du contribuable par la juridiction d'appel : il y avait là deux litiges distincts. L'appel incident était donc irrecevable.

En second lieu, le délai dans lequel est enfermée la possibilité d'interjeter appel ne s'impose pas à l'auteur d'un appel incident puisque, par hypothèse, un tel appel ne porte pas sur un litige nouveau et réagit à un appel principal déjà formé. Il peut donc être introduit, et c'est l'un de ses principaux intérêts, après expiration du délai d'appel. Mais, pour cela il doit réellement constituer un appel incident sinon la forclusion est encourue. En l'espèce, comme indiqué ci-dessus, l'appel n'était pas incident car il ne constituait qu'un appel principal parallèle à celui introduit par le ministre des finances ; il aurait donc dû être formé dans le délai normal d'appel. Faute de se trouver dans ce cas, l'appel prétendu incident était, ici, entaché de forclusion.

(8 mars 2021, M. B., n° 434803)

 

25 - Permis de construire - Demande d'annulation - Demande rejetée - Omission de réponse à moyen - Annulation et renvoi.

Motive insuffisamment son jugement le tribunal administratif qui, saisi d'une demande d'annulation d'un permis de construire fondée sur deux motifs rejette l'un (invocation d'un préjudice de vue sur la parcelle des requérants) et ne se prononce pas sur le second (illégalité du permis en ce qu'il autorise, pour certains lots, des balcons et fenêtres). Le jugement défectueux est annulé.

(10 mars 2021, M. E. et autres / Commune de Chanteloup-en-Brie, n° 430623)

(26) Voir, comparable mutatis mutandis, pour non-réponse à des moyens d'inconstitutionnalité dans le cadre d'un litige fiscal : 8 mars 2021, Société Comasud, n° 431550.

 

27 - Recours en rectification d'erreur matérielle - Exigence d'impartialité - Participation d'un juge ayant siégé lors de l'instance ayant conduit à prendre la décision dont rectification est demandée - Irrégularité - Cassation.

Le juge qui a participé à la formation qui a rendu le jugement dont rectification pour cause d'erreur matérielle est demandée ne peut, à peine de violation du principe d'impartialité, statuer sur la demande de rectification.

La solution pourrait surprendre si le recours en rectification d'erreur matérielle n'était, comme ce fut le cas à son origine, qu'un recours destiné à corriger les simples erreurs de plume. Depuis, ce recours a une portée plus large et surtout plus substantielle d'où la solution, justifiée, retenue ici par le juge.

(11 mars 2021, M. B., n° 434983)

 

28 - Notification d'un jugement - Avis de réception de cette notification - Avis sans date de distribution ni de réexpédition - Absence de certitude de la notification - Dénaturation de pièces par l'arrêt affirmant le contraire - Cassation.

Doit être cassé en ce qu'elle dénature une pièce d'un dossier contentieux l'ordonnance d'appel affirmant qu'une requérante avait reçu notification d'un jugement alors que l'avis de réception du pli contenant ce dernier, s'il indique avoir été présenté à l'adresse de la requérante n'indique ni la date de sa distribution ni celle de sa réexpédition.

(11 mars 2021, Mme A., n° 436971)

 

29 - Référé - Office du juge des référés - Modification d'un décret - Incompétence du juge des référés - Rejet.

Il n'entre pas dans l'office du juge des référés d'enjoindre au premier ministre de modifier un décret. Il est remarquable que le rejet soit opéré sur l'incompétence de la juridiction saisie alors que le recours était entaché de forclusion.

(ord. réf. 10 mars 2021, M. B., n° 450214)

 

30 - Référé mesures utiles (art. L. 521-3 cja) - Recours contre les mesures disciplinaires arrêtées par le Conseil supérieur de la magistrature - Demande d'introduction d'un recours en révision valant voie de droit - Constat de la caducité d'une note ministérielle en la matière - Rejet.

Si le juge des référés de l'art. L. 521-3 cja peut prescrire toutes mesures ayant un caractère provisoire ou conservatoire, à condition que ces mesures soient utiles, justifiées par l'urgence, qu'elles ne fassent obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative et ne se heurtent à aucune contestation sérieuse, les mesures sollicitées en l'espèce, tendant, d'une part, à ce que soit ordonnée l'inscription dans le statut de la magistrature de l'exercice du recours en révision comme valant voie de droit effective contre les décisions disciplinaires prononcées par le Conseil supérieur de la magistrature et, d'autre part, que soit prononcée la caducité de la note établie par le ministère de la justice relative au recours en révision qu'il a formé le 23 avril 1981 contre la décision du Conseil supérieur de la magistrature du 8 février 1981 qui lui est opposée, n'entrent pas dans le champ des mesures, de nature provisoire ou conservatoire, que le juge des référés peut ordonner sur le fondement de l'article L. 521-3 du cja. Par suite, ces conclusions sont manifestement irrecevables. 

(ord. réf. 15 mars 2021, M. A., n° 449016)

 

31 - Exception d'illégalité ou contestation du refus d'abroger un acte prétendu irrégulier - Moyens seuls invocables - Effets sur l'art. L. 600-1 c. urb. - Rejet.

(24 mars 2021, M. A. c/ Commune de Saint-Sauveur-de-Puynormand, n° 428462)

V. n° 153

 

32 -Référé mesures utiles - Requête en expulsion d'un hébergement d'urgence - Absence de convocation à une audience et de connaissance de celle-ci - Annulation de l'ordonnance rendue dans ces conditions.

Le préfet de Saône-et-Loire a saisi le 20 décembre 2019 le juge des référés du tribunal administratif de Dijon d'une requête tendant à l'expulsion de M. A. et de Mme C. du logement géré par le dispositif d'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile qu'ils occupaient à Ciry-le-Noble (Saône-et-Loire).

Le préfet a pris connaissance de la demande de notification administrative à M. A. et Mme C. de sa requête et de la date de l'audience le 31 décembre 2019 à 10h26, soit 34 minutes avant le début de celle-ci fixée à 11heures le même jour. Ainsi, les requérants n'ont pas été informés de l'existence de cette audience avant sa tenue. Ils sont ainsi fondés à soutenir que l'ordonnance attaquée du 31 décembre 2019 a été rendue à la suite d'une procédure irrégulière.

Le juge des référés du Conseil d'Etat est donc à la cassation.

(ord. réf. 30 mars 2021, M. A. et Mme C., n° 438858)

 

33 - Procédure devant la Cour nationale du droit d'asile - Dépôt d'une note en délibéré - Note non visée dans l'arrêt de la Cour - Irrégularité - Cassation.

A été rendu dans des conditions irrégulières conduisant à sa cassation l'arrêt de la CNDA qui ne vise pas la note en délibéré que le requérant lui avait transmise le 26 septembre 2019 via l'application " CNDém@t ", après l'audience qui s'est tenue le 20 septembre 2019 et avant la lecture de sa décision le 27 septembre 2019. 

(30 mars 2021, M. B., n° 439960)

 

34 - Sursis à l'exécution d'un jugement - Communication de documents administratifs - Documents soumis à un régime spécial de communication et couverts par le secret médical et professionnel - Caractère irréversible de cette communication - Sursis à l'exécution du jugement ordonné.

Une association avait obtenu d'un tribunal administratif l'annulation de la décision d'un centre hospitalier lui refusant la communication d'une copie du registre de contention et d'isolement de l'établissement correspondant à l'année 2017 et du rapport annuel établi pour cette même année.

Le centre hospitalier obtient du Conseil d'Etat le sursis à l'exécution du jugement par le double motif, d'ailleurs requis pour que soit ordonné ce sursis, d'une part, que  cette communication, indépendamment du contenu des documents en cause, revêtirait un caractère irréversible, et qu'ainsi le jugement l'ordonnant entraînerait des conséquences difficilement réparables, et, d'autre part, que paraissent sérieux en l'état de l'instruction, les moyens tirés de ce que le tribunal administratif a entaché son jugement d'erreur de droit et d'inexacte qualification juridique en admettant la communicabilité sur le fondement des articles L. 311-1 et suivants du code des relations entre le public et l'administration des documents demandés, en dépit, d'une part, du régime spécial de consultation de ces documents prévu par l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique et, d'autre part, du secret médical et professionnel couvrant la plupart des informations contenues dans ces documents.

(31 mars 2021, Centre hospitalier Sainte-Marie de Privas, n° 445846)

(35) V. dans le même sens, mutatis mutandis, à propos du sursis à exécution d'un arrêt de cour administrative d'appel privant de toute protection la tombe de Tania Rachewskaïa, y compris le groupe sculpté " Le Baiser " de Constantin Brancusi et son socle formant stèle, située au cimetière du Montparnasse : 31 mars 2021, Ministre de la culture, n° 447968.

V. aussi n° 16

 

 

Contrats

36 - Concession de réalisation d'une zone d'aménagement concerté - Contrat conclu entre personnes privées - Nature du contrat - Absence de caractère de concession de travaux publics - Absence de qualité de mandataire d'une personne publique - Inexistence d'une société tranaparente - Incompétence de la juridiction administrative.

Aux termes d'une concession d'aménagement, la collectivité métropole Montpellier Méditerranée Métropole, a confié à la société d'aménagement de l'agglomération de Montpellier (SAAM) devenue SA3M, société publique locale d'aménagement, dont elle est l'actionnaire majoritaire, la réalisation de la zone d'aménagement concerté dite " Ode à la Mer ", portant sur un ensemble de terrains. Après avoir consulté neuf opérateurs commerciaux, la SA3M a conclu avec la société IF Ecopôle une promesse synallagmatique de vente portant sur un terrain destiné à recevoir les bâtiments et ouvrages de la zone d'aménagement concerté dite " Ode Acte 1 ". La société SOCRI Gestion a demandé l'annulation de cette promesse. Sa requête a été rejetée en première instance et en appel pour incompétence de l'ordre administratif de juridiction.

Elle se pourvoit en cassation ; son pourvoi est rejeté.

Après avoir rappelé que les contrats conclus entre personnes privées sont, sauf dispositions législatives contraires, des contrats de droit privé, hormis le cas où l'une des parties agit pour le compte d'une personne publique ou celui dans lequel ils constituent l'accessoire d'un contrat de droit public, le juge de cassation vérifie, sous réserve du pouvoir souverain des juges du fond, la qualification pouvant être retenue pour déterminer si le contrat en cause relève du juge administratif.

Il le fait en trois points : ce contrat n'est pas une concession de travaux publics, la société SA3M n'est pas, en la circonstance, mandataire de la collectivité montpelliéraine et elle ne constitue pas non plus une entité transparente.

Pour dire que le contrat ne constitue pas une concession de travaux publics, le juge retient, se fondant sur la définition de la concession donnée par l'art. 1er de l'ordonnance du 15 juillet 2009, que la promesse de vente litigieuse a pour objet la cession d'un terrain devant comporter des bâtiments et ouvrages, sur lesquels la société SA3M n'a aucun droit d'exploitation ni en propre ni par voie de contrepartie accordée à la société IF Ecopôle du chef des prestations que cette dernière a affectuées. En effet, son droit de construire et d'exploiter découle directement du transfert à son profit du droit de propriété sur ce terrain. Par suite, le contrat en cause ne satisfait pas aux exigences de la disposition légale précitée pour pouvoir être qualifié de concession de travaux publics, d'où l'examen par le juge des deux autres critères.

Tout d'abord, la société SA3M n'est pas mandataire de la métropole car, en principe, le " titulaire d'une convention conclue avec une collectivité publique pour la réalisation d'une opération d'aménagement ne saurait être regardé comme un mandataire de cette collectivité" sauf si des stipulations ou circonstances particulières tenant à la mission du cocontractant ou à la persistance de certaines compétences au profit de la collectivité publique peuvent faire regarder ce contrat comme étant, en tout ou en partie, un contrat de mandat par lequel, en l'espèce, la SA3M agirait pour le compte de cette collectivité. Rien de tel ne se retrouve en l'espèce : ce contrat ne maintenait pas la compétence du concédant pour décider des actes à prendre pour la réalisation de l'opération, il ne prévoyait pas de substitution de la collectivité publique à son cocontractant pour engager des actions contre les personnes avec lesquelles celui-ci a conclu des contrats et il ne comportait pas davantage de mandat explicite au bénéfice de cette société pour agir au nom et pour le compte de la communauté d'agglomération.

Ensuite, la société SA3M n'est pas une entité transparente car étant une société publique locale d'aménagement, elle a été créée, en application de l'art. L. 327-1 du code de l'urbanisme, pour permettre à la collectivité montpelliéraine de transférer certaines missions à une personne morale de droit privé contrôlée par elle, notamment des opérations d'aménagement.

Par suite, la promesse synallagmatique litigieuse ne constituant pas un contrat administratif, son contentieux ne saurait relever de l'ordre administratif de juridiction, ainsi que l'ont, à bon droit, jugé le tribunal et la cour.

(4 mars 2021, Société SOCRI gestion, n° 437232)

 

37 - Référé précontractuel - Marché public - Notion - Calcul de la valeur estimée du besoin objet du marché - Entreprise non-candidate par crainte de l'irrégularité de la conclusion du contrat - Manquement de nature à léser une entreprise - Rejet.

Le département de la Loire a engagé une procédure, sans publicité ni mise en concurrence préalables, pour la passation d'un accord-cadre dont les lots n° 2, 3, 5 et 6 portaient sur l'émission et la distribution de chèques emploi service, de titres-restaurants et de chèques cadeaux. Estimant irrégulières les conditions de passation de cet accord-cadre, une entreprise refuse de se porter candidate à l'attribution et saisit le juge du référé précontractuel, lequel prononce l'annulation des procédures de passation des lots susindiqués.

Le département saisit le juge des référés du Conseil d’État qui rejette son pourvoi.

Celui-ci aborde plusieurs questions intéressantes à commencer par la qualification juridique du contrat en cause.

Confrontant les définitions légales respectives du marché et de la concession (art. L. 1111-1 et L. 1121-1 du code de la commande publique), le juge réaffirme qu'un contrat ne peut être qualifié de concession que s'il transfère un risque réel lié à l'exploitation de l'ouvrage ou du service et si le transfert de ce risque trouve sa contrepartie, au moins partiellement, dans le droit d'exploiter l'ouvrage ou le service. Reprenant une solution bien établie (cf. 15 avril 1996, Préfet des B.-du-Rh. c/ commune de Lambesc, n° 168325), le juge rappelle que "le risque d'exploitation est constitué par le fait de ne pas être assuré d'amortir les investissements ou les coûts liés à l'exploitation du service." En l'espèce, il est patent que le cocontractant de l'administration ne court aucun risque, par suite, ne pouvant être un contrat de concession, le contrat litigieux constitue un marché public.

Ensuite, le choix ayant été fait d'une passation sans publicité ni mise en concurrence préalables, il convenait de déterminer la valeur estimée du marché conformément aux dispositions de l'art. R. 2121-8 du code précité selon lesquelles : "Pour les accords-cadres et les systèmes d'acquisition dynamiques définis à l'article L. 2125-1, la valeur estimée du besoin est déterminée en prenant en compte la valeur maximale estimée de l'ensemble des marchés à passer ou des bons de commande à émettre pendant la durée totale de l'accord-cadre ou du système d'acquisition dynamique.

Lorsque l'accord-cadre ne fixe pas de maximum, sa valeur estimée est réputée excéder les seuils de procédure formalisée ".

S'agissant ici d'un marché de titres de paiement, il convenait, pour satisfaire aux dispositions précitées, de prendre en compte, comme l'a fait l'ordonnance attaquée, d'une part, les frais de gestion versés par le pouvoir adjudicateur et, d'autre part, la valeur faciale des titres susceptibles d'être émis pour son exécution, puisque cette somme doit être payée par le pouvoir adjudicateur à son cocontractant en contrepartie des titres mis à sa disposition.

Ainsi, il est établi qu'était dépassé le seuil en dessous duquel il peut être recouru à une passation sans publicité ni mise en concurrence préalables. D'où l'irrégularité du recours à ce mode de passation comme l'a relevé le premier juge.

Enfin, et ceci conditionnait la recevabilité autant que le fond de l'action entreprise, le juge devait déterminer si l'entreprise requérante avait réellement était lésée du fait des manquements dont elle l'avait saisi. Relevant qu'elle avait été dissuadée de présenter une offre en raison de l'irrégularité qui, selon elle, affectait la procédure de passation, le juge a exactement qualifié les faits en considérant que l'entreprise avait bien été lésée du fait des manquements relevés par elle.

(4 mars 2021, Département de la Loire, n° 438859)

 

Covid-19

 

38 - Recommandations du ministère de la santé - Interdiction de sortie des personnes résidant dans des EHPAD - Développement de la vaccination des résidents et des personnels qui leur sont affectés - Interdiction générale et absolue - Mesure disproportionnée - Suspension.

Le juge considère illégale à raison de son caractère disproportionné la recommandation du ministère de la santé du 28 janvier 2021 prévoyant que dans les EHPAD ainsi que dans tous les établissements médico-sociaux hébergeant des personnes âgées " les sorties dans les familles et pour des activités extérieures sont suspendues temporairement jusqu'à nouvel ordre ".

Il rejette l'argument de l'administration fondé d'une part sur l'apparition de variants du virus du Covid-19 et, d'autre part, sur l'ignorance des degrés de contagiosité comme d'immunité des personnes vaccinées. Relevant, d'abord, que plus de 80% de la population concernée et 43% des soignants ont reçu une dose de vaccin et 50% des résidents et 23% des soignants, ont reçu deux doses de vaccin, et ensuite qu'est déjà perceptible une diminution de cas de Covid signalés chez les personnes de plus de 75 ans ainsi que chez les résidents en EHPAD, le juge des référés ordonne la suspension de toutes les recommandations ministérielles interdisant les sorties de résidents en EHPAD.

Le juge prend bien soin d'encadrer cette liberté retrouvée en indiquant, avec beaucoup de sagesse,  qu' " apparaissent désormais compatibles avec la sécurité de l'ensemble des résidents et du personnel de l'établissement, selon la décision du responsable de celui-ci et dans les conditions qu'il définit, notamment des sorties de résidents ayant été vaccinés, ce en fonction de la taille de l'établissement, de la nature de la sortie envisagée, du taux de vaccination des résidents et des personnels ou encore de la proportion constatée des nouveaux variants au niveau départemental ou infra départemental et accompagnées de l'application de mesures de protection renforcée lors du retour dans l'établissement. "

(ord. réf. 3 mars 2021, Mme B. veuve D., n° 449744)

 

39 - Référé liberté - Couvre-feu de 18 heures à 6 heures - Absence de dérogation pour les déplacements chez un professionnel du droit - Cas d'actes ou démarches ne pouvant être réalisés à distance - Atteinte au droit à recours effectif - Suspension.

L'absence de toute dérogation au couvre-feu pour permettre à une personne de se rendre chez un professionnel du droit, notamment un avocat, pour un acte ou une démarche, réalisé après 18 heures " porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale d'exercer un recours effectif devant une juridiction dans des conditions assurant un respect effectif des droits de la défense et du droit à un procès équitable ".

(ord. réf. 3 mars 2021, Ordre des avocats du barreau de Montpellier, n° 449764)

(40) V. aussi, largement comparable avec ajout du grief tiré de la difficulté d'entraînements de sportifs de haut niveau non professionnels en vue ce la participation à des compétitions : 26 mars 2021, Association Patinage artistique briviste et autres, n° 450411.

 

41 - Référé liberté - Arrêté préfectoral imposant le port obligatoire du masque dès l'âge de onze ans - Demande de modification de la portée del'arrêté - Rejet.

Le requérant a saisi juge des référés d'un référé liberté aux fins que soit suspendue l'exécution d'un arrêté préfectoral du 5 février 2021 imposant l'obligation du port du masque en extérieur sur l'ensemble du territoire du département, qu'il soit enjoint à ce préfet de décider que le port du masque en extérieur ne concernera que les zones de forte densité de personnes ou celles présentant une difficulté à assurer le respect de la distance physique et, enfin, que l'obligation du port du masque en extérieur ne concernera ni les utilisateurs de moyens de transport individuel ni les personnes en train de fumer, boire et manger dans l'espace public ouvert.

Son recours a été rejeté et il interjette appel.

La réponse du Conseil, guère imprévisible, est identique à celle du premier juge. Les données épidémiologiques du département, l'adéquation des mesures à la situation, leur caractère proportionné ne sauraient être sérieusement discutés.

(4 mars 2021, M. A., n° 450151)

 

42 - Covid-19 - Dispositions portant adaptation de règles de la procédure pénale pour cause d'épidémie - Délai d'exercice des voies de recours - Utilisation des techniques de communication audiovisuelle - Publicité restreinte ou supprimée des débats judiciaires - Entretien de garde à vue sous forme électronique ou téléphonique - Régime de prolongation des gardes à vue de certains mineurs - Règles dérogatoires de durée de détention provisoire ou d'assignation à résidence - Prolongation du délai des mesures de placement des mineurs délinquants -  Annulations partielles et réouverture des débats sur une éventuelle modulation des effets de celles-ci.

(5 mars 2021, Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation et autres, n° 440037 ; M. C., n° 440165, jonction)

V. n° 129

 

43 - Covid-19 - Arrêté préfectoral interdisant tout déplacement dans certaines communes du département des Alpes-Maritimes durant les fins de semaine - Demande de suspension - Rejet confirmatif de celui décidé en première instance.

Plusieurs centaines de requérants demandaient la suspension, en référé liberté, de l'arrêté du 26 février 2021 du préfet des Alpes-Maritimes portant restriction des déplacements dans certaines communes de ce département.

Leur requête est rejetée en première instance et en appel pour des motifs connus : croissance forte de l'épidémie, saturation des moyens hospitaliers, caractère proportionné de la mesure qui consiste à interdire, dans les communes concernées du département, tout déplacement de personnes les samedis et dimanches 27, 28 février et 6 et 7 mars entre 6 heures et 18 heures.

(ord. réf. 5 mars 2021, Mme FI. et autres, n° 450368)

(44) V. aussi, dans le même sens : 13 mars 2021, Mme F. et autres, n° 450656.

(45) V. également, dans le même sens, concernant le rejet d'un recours dirigé contre le décret du 19 mars 2021 étendant notamment au département des Alpes-Maritimes diverses mesures portant restrictions à la liberté de déplacement : ord. réf. 29 mars 2021, Mme A., n° 450912.

 

46 - Référé suspension - Commerces d'optique-lunetterie situés au sein de grandes surfaces commerciales - Commerces non dérogatoires ne pouvant demeurer ouverts - Rejet.

L'organisation requérante demandait la suspension de l'exécution du décret modificatif du 30 janvier 2021, en tant qu'il n'autorise pas l'ouverture des commerces de détail de produits d'optique en magasin spécialisé au sein des centres commerciaux et magasins de vente comportant un ou plusieurs bâtiments dont la surface commerciale utile cumulée est supérieure ou égale à vingt mille mètres carrés, y compris pour les retraits de commandes.

Pour rejeter la demande de suspension, en dépit d'arguments non dépourvus de pertinence, le juge des référés retient, d'une part la situation sanitaire générale et le risque d'affaiblissement de la lutte contre le Covid-19 qui résulterait de l'ouverture des commerces d'optique, et d'autre part, la double circonstance que les prescriptions d'optique sont de longue durée et que la fidélité de la clientèle à leur opticien-lunetier est très élevée.

(ord. réf. 8 mars 2021, Rassemblement des opticiens de France, n° 449861)

(47) V. aussi, dans le même sens, à propos du rejet d'un recours contre la fermeture des commerces ne relevant ni de l'alimentation de détail ni de la pharmacie d'officine situés dans une surface commerciale supérieure à vingt mille mètres carrés, dans la mesure où il n'est pas démontré que serait, par là, causé un préjudice économique tel qu'il serait constitutif d'une situation d'urgence : ord. réf. 29 mars 2021, SAS " Agneaux distribution " et groupement d'intérêt économique " Centre commercial Odyssée ", n° 450403.

 

48 - Référé liberté - Fermeture administrative d'un établissement de restauration pour non-respect de mesures d'hygiène - Invocation de perte de chiffre d'affaires et de perte d'aides d'État - Défaut d'urgence et requête mal dirigée - Rejet.

Un établissement de restauration est condamné par mesure administrative à fermer pendant quinze jours pour non-respect par les employés de l'obligation de porter un masque. La société propriétaire sollicite la suspension de la mesure ; sa demande est rejetée pour défaut d'urgence.

D'une part, il ressort des écritures de la demanderesse que son chiffre d'affaires pour les trois premières semaines de février 2021 n'a été que de 1388 euros hors taxes, par suite l'urgence à suspendre une sanction d'une durée de quinze jours n'est pas établie.

D'autre part, le risque de pertes d'aides publiques invoqué par la requérante soulève un litige distinct, de nature indemnitaire, qui ne relève pas de la procédure de référé. Dès lors et sans qu'il soit besoin d'examiner s'il a été porté atteinte à une liberté fondamentale, la demande en référé est rejetée.

(8 mars 2021, Société SD Soleil, n° 450331)

 

49 - Référé suspension - Police sanitaire - Entrée des Français de l'étranger en France - Liberté fondamentale du droit au retour des ressortissants Français - Cas des Français provenant de certains territoires hors Union européenne - Caractère non nécessaire ni proportionné de l'interdiction d'entrée ou des restrictions à cette entrée - Suspension du décret attaqué.

Le juge des référés du Conseil d’État, estime, d'une part, qu'existe la liberté fondamentale de tout Français de rentrer en France même en période de pandémie, et d'autre part que, s'il est difficile de mesurer avec exactitude le nombre de déplacements depuis l'étranger vers le territoire national, le nombre de déplacements de Français qui se voient ainsi interdits par le décret attaqué n'est pas de nature à faire diminuer de manière significative le nombre total d'entrées sur le territoire métropolitain en provenance de l'étranger. En conséquence, il juge que l'interdiction ou les restrictions d'entrée frappant les Français provenant de certains pays autres que ceux membres de l'Union européenne ne sont, en l'état de l'instruction, ni nécessaires ni proportionnées. Il ordonne la suspension des art. 57-2 du décret du 16 octobre 2020 et 56-5 du décret du 29 octobre 2020 en tant que, sauf pour des motifs limitativement énumérés, ils interdisent l'accès du territoire français métropolitain à ceux des ressortissants français en provenance d'autres pays que de l'UE.

(ord. réf. 12 mars 2021, M. B., n° 449743 ; Union des Français de l'étranger, n° 449830)

(50) V. également, du même jour, la décision rejetant le recours dirigé contre les mêmes dispositions des deux décrets cités dans l'affaire ci-dessus par lesquelles le Premier ministre a interdit tout déplacement en provenance ou à destination des outre-mer, sauf motifs impérieux : 12 mars 2021, Sarl Société antillaise de location de véhicules automobiles et autres, n° 449908.

(51) V. aussi, un peu voisins : 11 mars 2021, M. A. et autres, n° 450210 ; 26 mars 2021, M. C. et autres, n° 449993, prononçant un non-lieu à statuer.

 

52 - Référé liberté - Vaccination contre le Covid-19 - Convention conclue entre l'État et une société prestataire - Société recourant aux services d'un hébergeur de données personnelles basé aux États-Unis - Incompatibilité avec le règlement général sur la protection des données (RGPD) - Absence en raison des mesures prises par la société cocontractante avec l'État - Rejet.

(ord. réf. 12 mars 2021, Association InterHop et autres, n° 450163)

V. n° 12

 

53 - Référé liberté - Décret du 25 février 2021 - Couvre-feu national et absolu - Absence de prise en compte de certaines situations - Mesure à durée indéterminée - Absence de préjudice grave et immédiat - Absence de situation d'urgence - Rejet.

Les requérants contestaient par référé liberté l'art. 4 du décret du 29 octobre 2020 modifié par le décret n° 2021-217 du 25 février 2021 en tant qu'il instaure pour une durée indéterminée un couvre-feu national et absolu à compter de 18 heures, sans prévoir de motifs légitimes dérogatoires tels les déplacements brefs, sous conditions, liés soit à l'activité physique individuelle des personnes, soit aux besoins des animaux de compagnie.

L'invocation de l'atteinte ainsi portée par ces mesures à de nombreuses libertés fondamentales, pouvant être indéfiniment reconduites, qui n'ont pas été édictées en considération des circonstances propres à chaque région et qui, de ce fait, seraient entachées d'erreur d'appréciation, inutiles et peu lisibles, ne caractérise pas l'existence d'un préjudice suffisamment grave et immédiat pour les requérants et, par suite,  n'établit pas l'existence  d'une situation d'urgence au sens de l'article L. 521-2 du CJA. 

(12 mars 2021, M. Y. et autres, n° 450315)

(54) V. aussi, la solution identique retenue à l'égard de la contestation des dispositions comparables du décret du 19 mars 2021 : 24 mars 2021, Association Le cercle droit et liberté et autres, n° 450406 et n° 450407 ; M. B., n° 450409 ; M. A., n° 450412.

 

55 - Couvre-feu de 19h à 6h du matin - Semaine de Pâques - Célébrations liturgiques - Vigile pascale - Aménagements et dispositions pris par la Conférence des évêques de France - Absence d'atteinte manifestement disproportionnée à la liberté de culte au regard de l'objectif de préservation de la santé publique - Rejet.

Dès lors, d'une part, que, à la différence de ce qui s'est passé lors du premier confinement, les établissements de culte sont demeurés ouverts et que les cérémonies peuvent se tenir dans le respect des gestes sanitaires, et d'autre part, que la Conférence des évêques de France a proposé des aménagements liturgiques permettant de célébrer la vigile pascale en dépit des restrictions liées au couvre-feu, la circonstance que les célébrations de la Semaine sainte doivent se dérouler entre 6 heures du matin et 19 heures ne porte pas une atteinte manifestement disproportionnée à la liberté de culte au regard de l'objectif de préservation de la santé publique.

(ord. réf. 29 mars 2021, Association Civitas, n° 450893 ; Association VIA La Voie du Peuple, n° 451038)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

56 - Acte anormal de gestion - Valeur locative réelle d'une villa - Loyer jugé anormalement bas - Preuve incombant à l'administration fiscale - Application d'un taux abstrait - Absence de prise en considération du rendement réel de l'immeuble - Erreur de droit - Cassation avec renvoi à la cour.

L'administration fiscale avait estimé anormalement bas le loyer consenti pour la location d'une villa appartenant à la société de droit suisse requérante. Elle avait donc appliqué - comme lui paraissant normal - un taux de rendement de 4% sur la valeur vénale du bien. La cour administrative d'appel avait rejeté l'argument de la société selon lequel ce taux n'était pas pertinent au cas de l'espèce.

Sur pourvoi, l'arrêt est cassé, le Conseil d’État donnant raison à la demanderesse : il incombait à la cour, à peine d'erreur de droit, de vérifier si ce taux de 4% était fondé au regard du rendement réel d'un tel bien immobilier. Ce jugeant, elle a renversé la charge de la preuve qui incombait exclusivement à l'administration.

(8 mars 2021, Société "La Maisonnette", n° 433019)

 

57 - Commissions versées par un constructeur d'avions à une société sur le fondement de conventions d'"asset swap agreements" et de "put option agreements" - Nature juridique de ces commissions - Charges "constatées d'avance" - Déductibilité des bénéfices en vue de l'imposition - Absence en l'espèce - Condition de rattachement à l'exercice - Rejet.

Afin de faciliter la vente de ses avions aux États-Unis, Airbus avait conçu le montage suivant : ses appareils étaient vendus à des sociétés d'investisseurs qui les louaient à longue durée à des sociétés qui, à leur tour, les sous-louaient à des compagnies aériennes. Des garanties financières étaient prévues en contrepartie desquelles était versée une commission. Ce dernier mécanisme était l'objet des deux conventions, d'asset swap agreements, et de put option agreements. Airbus ayant intégralement déduit de ses résultats cette commission au titre de l'exercice clos chaque année de conclusion desdits contrats, l'administration fiscale conteste ce choix.

L'art. 38 CGI, alors applicable, dispose que :

" 1. (...) le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises (...)

2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés.

2 bis. Pour l'application des 1 et 2, les produits correspondant à des créances sur la clientèle ou à des versements reçus à l'avance en paiement du prix sont rattachés à l'exercice au cours duquel intervient la livraison des biens pour les ventes ou opérations assimilées et l'achèvement des prestations pour les fournitures de services.

Toutefois, ces produits doivent être pris en compte :

a. Pour les prestations continues rémunérées notamment par des intérêts ou des loyers et pour les prestations discontinues mais à échéances successives échelonnées sur plusieurs exercices, au fur et à mesure de l'exécution ; (...) ".

Par ailleurs, l'art.  39 du CGI précise que " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges (...) " et l'art. 38 quater de l'annexe III audit code dispose : " Les entreprises doivent respecter les définitions édictées par le plan comptable général, sous réserve que celles-ci ne soient pas incompatibles avec les règles applicables pour l'assiette de l'impôt ".

Le Conseil d’État, après avoir rappelé le principe de l'indépendance des exercices comptables annuels prévu au 2. de l'art. 38 précité, indique que cette disposition autorise la déduction des charges payées par l'entreprise au cours de l'exercice dont les résultats doivent servir de base à l'impôt, à l'exception de celles de ces charges qui sont  " constatées d'avance ". En ce dernier cas, en effet, la charge consiste dans le paiement d'un bien ou d'une prestation de service dont la livraison ou la fourniture n'interviendra qu'au cours d'un exercice ultérieur, c'est donc sur cet exercice ultérieur qu'il conviendra d'imputer le paiement en tant que charge.

Les charges constatées d'avance comprennent en particulier les charges achats de prestations de services continues ou discontinues mais à échéances successives, du moins pour la partie de ces prestations qui sera fournie au cours d'exercices ultérieurs.

Dans le cas de l'espèce, s'agissant de la convention d' "asset swap agreements" il est jugé que le paiement étant réalisé sur la base  d'une facturation chaque mois pendant vingt-deux ans, ne devaient donc être rattachées à chaque exercice annuel que les seules facturations acquittées au cours de cet exercice.

La solution est la même mutatis mutandis pour les paiements au titre de la convention de "put option agreements".

Ainsi que l'a jugé la cour, les charges litigieuses étaient bien "constatées d'avance" et devaient être rattachées au titre de chacune des années d'exécution de la convention.

Seul est annulé le refus de la cour de rattacher à l'exercice clos en 2005 de la part des commissions versées au titre des conventions intitulées " put option agreements " correspondant à l'exécution, au cours de cet exercice, des prestations dues par la société de droit irlandais Airbus Financial Services.

(10 mars 2021, SAS Airbus, SAS Airbus Opérations et Société en participation (SEP) Airbus, n° 423983)

 

58 - Réduction d'impôt sur le revenu attachée à la location nue de logements dans les territoires ultra-marins - Condition d'octroi - Location devant être consentie dès l'achèvement des travaux - Cassation.

L'art. 199 undecies A du CGI avait institué une réduction d'impôt sur le revenu pour les contribuables domiciliés en France investissant, au cours d'une certaine période, dans la construction de logements neufs soit en vue d'en faire leur habitation principale soit en vue de leur location. En ce dernier cas la location devait être une location de locaux nus pour une durée minimale de cinq ans et elle devait être consentie à l'exclusion de certaines personnes.

Ce dispositif fiscal étant destiné à lutter contre le déficit de logements offerts à la location dans ces zones, la mise en location devait intervenir à bref délai après l'achèvement ou l'acquisition de la construction, soit six mois selon le c du 2 du 7 de l'article précité.

En l'espèce, où les intéressés avaient mis leur bien en location après l'expiration de ce délai de six mois, une cour administrative d'appel avait estimé que c'est à tort que l'administration fiscale avait contesté le bénéfice de l'exonération fiscale appliquée par les contribuables. Le Conseil d’État casse cet arrêt en raison de l'erreur de droit dont il est entaché même si les dispositions précitées n'imposent pas une location de ces logements dès le jour d'achèvement de leur construction.

(10 mars 2021, M. et Mme A., n° 434696)

 

59 - Établissement de vente et de réparation de véhicules automobiles - Taxe sur les surfaces commerciales - Notion de "surface commerciale" - Cas en l'espèce - Imposition justifiée - Rejet.

Une entreprise de vente et de réparations automobiles contestait l'assujettissement d'une partie de son installation à la taxe sur les surfaces commerciales instituée à l'art. 3 de la loi du 13 juillet 1972 portant mesures en faveur de certaines catégories de commerçants et artisans âgés dès lors que leur superficie excède 400m2. Il s'agissait donc de déterminer si les lieux en cause constituaient ou non des surfaces commerciales au sens et pour l'application de cette disposition. Pour répondre positivement à cette question à propos de la zone litigieuse qui consistait en un espace de livraison, le Conseil d’État, statuant comme juge de cassation et confirmant le jugement de première instance, prend en considération deux éléments cumulés :

1) cet espace ne constituait pas un espace fermé au sein duquel la clientèle ne pouvait circuler,

2) cet espace, dans lequel les clients prenaient possession du véhicule qu'ils avaient acheté, permettait à ces derniers de finaliser leur achat.

(10 mars 2021, Société de distribution automobile, n° 435095)

 

60 - Société civile débitrice d'impôts - Dissolution de cette société - Notification du titre exécutoire devant être faite à chacun des associés - Délai de prescription de cinq ans - Délai courant à compter de la publication de la dissolution - Application des art. 1844-5, 1857 à 1859 du Code civil - Acte de poursuite ne valant pas interruption de la prescription - Erreur de droit - Cassation sans renvoi, le Conseil d’État statuant lui-même au fond.

L'administration fiscale a entendu assujettir une société civile détenue à parts égales par deux personnes physiques à des cotisations supplémentaires d'impôt assorties d'intérêts de retard et de pénalités. La société, qui avait formé des réclamations contre cette décision en février et octobre 2005, a été dissoute le 31 octobre 2008 après que les deux associés ont, la veille, cédé leurs parts à une EURL. La publication de la dissolution a eu lieu le 23 juin 2009. L'administration a adressé un commandement de payer le 10 janvier 2012 et estimé, confirmée en cela par les juges du fond, que cet acte de poursuites avait interrompu la prescription de cinq ans applicable en la matière.

Cassant l'arrêt puis le jugement, le Conseil d’État aperçoit dans ce raisonnement une erreur de droit. Le point de départ du délai de prescription était constitué par la publication de la dissolution le 23 juin 2009 mais les actes de poursuite intervenus le 10 janvier 2012 à l'encontre de l'EURL ne pouvaient interrompre le cours de la prescription qu'à son égard et de toute autre personne venant à ses droits non à l'égard des deux associés de la société civile débitrice de l'impôt. La prescription était donc acquise envers ces derniers - depuis le 23 juin 2014 - lorsque le 18 février 2015 a été, enfin, émis l'avis de recouvrement.

C'est donc a tort qu'a été rejetée la demande du contribuable tendant à la décharge des impôts, intérêts et pénalité à lui réclamés.

(12 mars 2021, M. A., n° 438508)

 

61 - Taxe d'enlèvement des ordures ménagères - Conditions d'assujettissement - Existence d'un service municipal de collecte - Caractère indifférent de l'obligation faite aux établissements de santé, par la réglementation sanitaire, d'assurer eux-mêmes la collecte et l'élimination de leurs déchets - Annulation.

La législation sanitaire faisant obligation aux établissements de santé de procéder eux-mêmes à la collecte et à l'élimination de leurs déchets, la société requérante estimait que ceux-ci n'avaient pas, en conséquence, à s'acquitter de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères. Ce raisonnement de bon sens et équitable, retenu en première instance, a été annulé par le Conseil d’État au motif qu'il résulterait d'une erreur de droit car cette taxe est bien une taxe donc un impôt et non une redevance laquelle n'est due qu'en cas de service rendu.

Le distinguo ainsi mis au service d'un assujettissement inévitable est très injuste. On peut douter qu'il convainque la Cour EDH éventuellement saisie sur le fondement de l'art. 1er du premier protocole additionnel à la convention EDH.

(12 mars 2021, Société Natixis Lease Immo, n° 442583)

 

62 - Procédure fiscale non contentieuse - Vérification de comptabilité - Charte du contribuable vérifié - Possibilité de s'adresser au supérieur hiérarchique du vérificateur puis à l'interlocuteur départemental ou régional - Double garantie substantielle - Omission de l'une des deux informations requises - Irrégularité - Irrégularité couverte ici par d'autres motifs - Rejet.

Si en définitive, en l'espèce, le pourvoi est rejeté en raison d'autres motifs retenus par la juridiction d'appel, celui-ci est très intéressant par la solution qu'il comporte concernant la possibilité pour le contribuable vérifié de s'adresser au supérieur hiérarchique du contrôleur puis à l'interlocuteur départemental ou régional.

La charte des droits et obligations du contribuable vérifié institue une double garantie substantielle en faveur du contribuable vérifié car elle intervient à deux moments distincts de la vérification : au cours de la vérification et avant l'envoi de la proposition de rectification, s'agissant des difficultés affectant le déroulement des opérations de contrôle ; après la réponse faite par l'administration fiscale aux observations du contribuable sur cette proposition de rectification, s'agissant du bien-fondé des rectifications envisagées.

Or en l'espèce, le conseil de la contribuable avait informé le supérieur hiérarchique qu'il assurait la défense des intérêts de la société au titre du contrôle en cours et indiqué que " dans le cadre de cette mission, il nous paraît nécessaire de solliciter un entretien auprès de vous-même ", en invitant le supérieur hiérarchique à lui proposer une date de rendez-vous. La requérante soutenait que la procédure d'imposition était irrégulière, faute pour l'administration d'avoir donné suite à cette demande. Pour rejeter ce moyen la cour administrative d'appel a relevé qu'un entretien avait eu lieu avec le supérieur hiérarchique le 23 mai 2013, en réponse à la demande formulée par la société après la réponse faite par l'administration à ses observations sur la proposition de rectification. Ce jugeant elle commettait une erreur de droit dès lors que la contribuable était privé de l'une des deux garanties substantielles, à savoir celle lui permettant de saisir le supérieur hiérarchique avant l'envoi de la proposition de rectification.

(25 mars 2021, Société RTE Technologies, n° 430593)

 

63 - Fédération française de rugby - Contrat conclu avec une société de droit irlandais - Organisation de la coupe du monde de rugby 2007 - Perception de revenus de billetterie et de compétition - "Redevance de tournoi" versée par la Fédération à la société - Redevance, contrepartie de la concession du droit incorporel d'orgnisation - Assujettissement à la TVA - Invocations impossibles d'une doctrine fiscale et du principe de confiance légitime - Substitution de motif - Rejet.

La fédération requérante a été chargée par l'International Rugby Board (IRB) d'accueillir la 6ème édition de la coupe du monde de rugby du 7 septembre au 20 octobre 2007. Elle s'est vu confier, par un contrat (dénommé " Host Union Agreement" (HUA)) du 10 avril 2003, par la société de droit irlandais RWC Limited, titulaire du droit d'organiser le tournoi, l'organisation matérielle de cette compétition. Par une convention du 22 octobre 2004, un groupement d'intérêt public (GIP), dénommé " Coupe du monde de rugby 2007 ", a été conclu entre la Fédération française de rugby, l'État et le Comité national olympique et sportif français ; il avait pour objet la préparation, le financement et l'organisation du tournoi.

En février 2008, ce GIP a versé à la société RWC Limited une somme de 52 millions de livres sterling (48 millions au titre de la " redevance de tournoi " prévue par le contrat du 10 avril 2003, et 4 millions correspondant à une prime de participation).

 L'administration fiscale a estimé que ces deux sommes auraient dû être assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée en France et a, par suite, notifié à la Fédération française de rugby, en sa qualité de liquidateur du GIP, des rappels de taxe assortis d'une amende de 5 %.

Saisi par la Fédération, le tribunal administratif a rejeté sa demande tendant à la décharge des suppléments d'impôt litigieux. La cour administrative d'appel, sur appel de la fédération, a prononcé la décharge du rappel de TVA correspondant à la prime de participation de 4 millions de livres sterling versée à la société RWC Limited.

La Fédération se pourvoit en cassation contre l'article 4 de cet arrêt, par lequel la cour a rejeté le surplus des conclusions de sa requête d'appel. 

Le Conseil d’État, comme la juridiction d'appel considère que la fédération française de rugby a irrévocablement reçu - par l'effet du HUA- le droit incorporel d'accueil de la compétition et le droit de recevoir les revenus de billetterie produits par le tournoi. Cette situation n'est en rien modifiée par la circonstance que l'article L. 131-15 du code du sport confie aux fédérations délégataires la mission d'organiser les compétitions sportives à l'issue desquelles sont délivrés les titres internationaux, par le rôle qu'a conservé la société RWC Limited dans l'organisation de la compétition, en particulier la définition de la politique de billetterie, ou encore par le fait que cette société est restée titulaire de l'ensemble des droits commerciaux attachés au tournoi.

Par ailleurs, si la "redevance de tournoi" est présentée comme le montant versé par la fédération à RWC Limited pour couvrir les frais encourus par cette dernière dans le cadre de l'organisation de la compétition, en réalité aucune clause contractuelle ni aucune annexe au contrat ne définissent la nature des frais administratifs et des dépenses connexes devant ainsi être remboursés ; mieux, l'annexe 8 au contrat précise que le montant de cette redevance a été fixé forfaitairement, un paiement minimum de 20 millions de livres sterling - pouvant être porté jusqu'à 48 millions - étant en tout état de cause garanti à la société sans que cette augmentation ne dépende des frais et charges éventuellement supportés par la société.

C'est donc sans erreur de droit, ni de qualification juridique et sans dénaturation que la cour a regardé la redevance de 48 millions de livres sterling comme étant la contrepartie du droit confié à la Fédération française de rugby d'exploiter la compétition qu'elle avait la charge d'organiser, et qu'elle a, en conséquence, jugé que cette redevance avait été, à juste titre, assujettie en France à la TVA.

Vainement la fédération requérante se prévaut d'une prise de position formelle de l'administration fiscale (art. L. 80 A et L. 80 B du LPF), résultant de réunions de travail avec l'administration fiscale et de l'avis d'une cellule du cabinet du ministre du budget car aucune autorité compétente à cet effet n'est intervenue pour adopter une prise de position dont la fédération pourrait se prévaloir en l'espèce.

Enfin, la fédération requérante ne saurait davantage, pour le même motif que ci-dessus, exciper du principe de confiance légitime pour s'opposer aux rehaussements et amende dont elle fait l'objet.

(25 mars 2021, Fédération française de rugby, liquidateur du groupement d'intérêt public (GIP) " Coupe du monde de rugby 2007 ", n° 438050)

 

64 - Plus-values financières - Report d'imposition (art. 150-0 B ter CGI) - Abattement pour durée de détention - Suppression pour les plus-values réalisées antérieurement au 1er janvier 2013 (art. 150-0 D, I ter et I quater, CGI) - Illégalité et inconventionnalité (Convention EDH) - Rejet.

Le requérant contestait :

- d'une part, la légalité du § 130 des commentaires administratifs publiés au BOFiP le 20 avril 2015 en tant qu'il écarte l'application de l'abattement pour durée de détention prévu par l'article 150-0 D du CGI aux plus-values réalisées antérieurement au 1er janvier 2013 et placées en report d'imposition en application de l'article 150-0 B ter du CGI au lieu de prescrire l'application d'un abattement global déterminé en fonction de la durée de détention décomptée depuis l'acquisition des titres remis à l'échange jusqu'à la cession des titres issus de l'échange et pratiqué sur la somme de la plus-value mise en report lors de l'échange et de la plus-value réalisée sur la cession des titres issus de l'échange ;

- d'autre part, la conventionnalité des art. 17 point III de la loi de finances du 29 décembre 2013 et 34, II, 5° de la loi du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016, au regard de l'art. 14 de la Convention EDH et de l'art. 1er de son premier protocole additionnel.

Le recours est rejeté.

D'abord, il est jugé que lorsqu'elles sont afférentes à des opérations entrant dans le champ matériel et territorial de la directive " fusions " du 19 octobre 2009, les plus-values placées avant le 1er janvier 2013 en report d'imposition en application de l'article 150-0 B ter sont susceptibles de faire l'objet de l'abattement pour durée de détention prévu au 1 de l'article 150-0 D du CGI, dans les conditions énoncées par deux arrêts de la CJUE du 18 septembre 2019 (AQ contre Ministre de l'Action et des Comptes publics, aff. C-662/18 et DN contre Ministre de l'Action et des Comptes publics, aff. C-672/18) censurant le régime français des plus -values en report d'imposition prévu à l'article 150-0 B ter CGI.

Ensuite, il résulte des dispositions de l'art. 14 de la Convention EDH qu' "une distinction entre des personnes placées dans une situation comparable est discriminatoire, au sens de ces stipulations, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s'il n'y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi."

Or le juge, s'il est d'accord avec le requérant pour considérer que les dispositions contestées créent une différence de traitement, en matière d'abattement pour durée de détention, selon que cette opération a été réalisée dans le cadre de l'Union européenne ou qu'elle l'a été dans le cadre national ou en dehors de l'Union européenne, estime que les arrêts précités de la CJUE, du 18 septembre 2019, imposent de renforcer la neutralité fiscale des opérations européennes d'échange de titres et que le respect des exigences découlant du droit de l'Union européenne constitue un objectif d'intérêt public légitime de nature à justifier une différence de traitement entre des situations au demeurant comparables, selon qu'elles sont ou non régies par ces règles.

Le juge considère donc que la loi ainsi interprétée par lui institue un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi. Par suite, la différence de traitement en cause peut être regardée comme répondant à une justification objective et raisonnable.

On peut n'être pas convaincu par une motivation censée tenir compte d'une censure européenne du mécanisme en cause et qui se borne à voler au secours d'une interprétation maximaliste de la loi fiscale au terme d'un raisonnement acrobatique.

(31 mars 2021, M. B., n° 441912)

 

65 - Impôt sur le revenu - Action en recouvrement - Mises en demeure - Notifications irrégulières - Absence d'interruption de la prescription - Annulation de l'arrêt d'appel et confirmation de son contenu - Annulation du jugement de rejet.

Le requérant a fait l'objet, les 18 et 19 juin 2014, d'un avis à tiers détenteur et de trois mises en demeure qui ont été notifiés non pas à Lille, dernière adresse que l'intéressé avait communiquée à l'administration fiscale, mais à Paris, adresse à laquelle, au demeurant, il ne résidait plus depuis 1985 et où il n'était propriétaire ou locataire d'aucun bien.

Comme le ministre n'allègue pas que le contribuable aurait tenté d'égarer l'administration fiscale par des changements d'adresse successifs, il s'ensuit que ces notifications irrégulières n'ont pas pu avoir pour effet d'interrompre la prescription de l'action en recouvrement, sans que puisse faire échec à cela le fait que l'adresse située à Paris  figurait au fichier national des comptes bancaires et assimilé (Ficoba) comme étant celle correspondant à un compte détenu par l'intéressé à la Caisse d'Epargne ni non plus le fait que les plis expédiés à cette adresse sont revenus au service revêtus de la mention " Avisé - Non réclamé ".

Le délai de quatre années prévu par l'article L. 274 du livre des procédures fiscales était expiré à la date à laquelle les trois mises en demeure du 24 novembre 2016 ont été notifiées au contribuable, de sorte qu'à cette date, les impositions mentionnées dans ces mises en demeure et restant en litige n'étaient, par l'effet de la prescription, plus exigibles.

C'est ainsi à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa demande. 

(31 mars 2021, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 438333)

 

66 - Impôt sur la fortune immobilière (IFI) - Plafonnement - Incidence sur ce plafonnement de l'institution d'un prélèvement de l'impôt par retenue à la source - Création d'un impôt de modernisation du recouvrement - Égalité devant les charges publiques - Niveau excessif de fiscalité - Rejet.

La présente affaire est la conséquence de la conjonction entre le principe du plafonnement de l'IFI et la création du prélèvement à la source pour le recouvrement de l'impôt.

Étaient contestés divers paragraphes des commentaires administratifs publiés le 22 novembre 2018 au BOFiP.

Le cadre du litige était constitué, pour l'essentiel et brevitatis causa, par deux dispositions législatives telles qu'interprétées par le § 130 de ces commentaires administratifs.

En premier lieu, le premier alinéa du I de l'article 979 du CGI dispose que :

" L'impôt sur la fortune immobilière du redevable ayant son domicile fiscal en France est réduit de la différence entre, d'une part, le total de cet impôt et des impôts dus en France et à l'étranger au titre des revenus et produits de l'année précédente, calculés avant imputation des seuls crédits d'impôt représentatifs d'une imposition acquittée à l'étranger et des retenues non libératoires et, d'autre part, 75 % du total des revenus mondiaux nets de frais professionnels de l'année précédente, après déduction des seuls déficits catégoriels dont l'imputation est autorisée par l'article 156, ainsi que des revenus exonérés d'impôt sur le revenu et des produits soumis à un prélèvement libératoire réalisés au cours de la même année en France ou hors de France (...) ".

En deuxième lieu, le A du II de l'article 60 de la loi du 29 décembre 2016 de finances pour 2017, qui institue, pour le calcul de l'impôt sur le revenu, un prélèvement à la source des revenus perçus par le contribuable au cours de la même année, dispose :

" Les contribuables bénéficient, à raison des revenus non exceptionnels entrant dans le champ du prélèvement mentionné à l'article 204 A du code général des impôts, tel qu'il résulte de la présente loi, perçus ou réalisés en 2018, d'un crédit d'impôt modernisation du recouvrement destiné à assurer, pour ces revenus, l'absence de double contribution aux charges publiques en 2019 au titre de l'impôt sur le revenu ".

Enfin, le § 130 susmentionné concerne l'incidence, pour le calcul du plafonnement de l'impôt sur la fortune immobilière, de l'entrée en vigueur en 2019 du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu.

Le litige porte sur deux critiques adressées à ce paragraphe des commentaires administratifs.

Tout d'abord, ce § 130 précise que l'impôt sur le revenu retenu pour la mise en oeuvre du plafonnement de l'impôt sur la fortune immobilière dû en 2019 est calculé après imputation du crédit d'impôt pour la modernisation du recouvrement, lequel neutralise en 2019, dans le cadre de la première année de mise en oeuvre du prélèvement de l'impôt à la source, la cotisation d'impôt sur le revenu due en 2019 sur les revenus de l'année 2018.  Les requérants reprochent à ce paragraphe de méconnaître la volonté du législateur quant à l'effectivité du plafonnement de l'impôt sur la fortune immobilière et d'être ainsi contraires au principe d'égalité devant les charges publiques, garanti par l'article 13 de la Déclaration de 1789, en grevant leur capacité contributive d'une charge de nature confiscatoire. Le juge rejette l'argument en relevant que ces commentaires se bornent à réitérer, sans y ajouter, le I de l'art. 979 du CGI qui a exactement le même contenu. Par suite, s'ils entendaient contester ce dernier, il leur incombait de soulever une QPC à l'appui de laquelle ils auraient déeloppé cette argumentation. Leur prétention est, de ce chef, écarté.

Ensuite, les requérants prétendaient que le § 130 des commentaires administratifs réitèreraient des dispositions législatives qui méconnaissant les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention EDH. En effet, de ce que ces dispositions ne prévoient pas, pour le calcul du plafonnement de la cotisation d'impôt sur la fortune immobilière due au titre de l'année 2019, la possibilité d'inclure les acomptes d'impôt sur le revenu payés en 2019 sur les revenus perçus au titre de cette même année tout en prévoyant qu'il y a lieu, pour ce même calcul, d'imputer sur l'impôt sur le revenu dû au titre de 2018, acquitté en 2019, le crédit d'impôt pour la modernisation du recouvrement dont ils ont bénéficié, il s'ensuivrait que le total des impôts effectivement acquittés en 2019 serait porté à un niveau excessif, constituant ainsi une charge spéciale et exorbitante d'où leur inconventionnalité.

Le Conseil d'État écarte le grief  en relevant que cette disposition transitoire, si elle a pour effet que se cumulent au cours de l'année 2019 le paiement, d'une part, par voie d'acomptes, de la cotisation d'impôt sur le revenu due au titre des revenus de 2019, qui sera définitivement établie en 2020, et, d'autre part, la cotisation d'impôt sur la fortune immobilière dû au titre de 2019, plafonnée en fonction de l'impôt sur le revenu dû au titre de 2018 après imputation du crédit d'impôt pour la modernisation du recouvrement, "les conséquences en trésorerie de l'instauration d'un mode de recouvrement de l'impôt sur le revenu contemporain de la perception des revenus qui y sont soumis sont indifférentes pour l'appréciation de la capacité contributive des contribuables concernés".

La réponse est cavalière et fait fi de la loyauté que l'État doit à ses contribuables lesquels risquent de se trouver, par l'effet d'une législation fiscale aussi inattendue que mal venue, dans une situation de trésorerie précaire qui ne doit rien à leur impéritie ou autres. Que la trésorerie ne soit pas un élément ce la capacité contributive des contribuables cela est certain mais que la mise en péril de la trésorerie puisse laisser l'État et surtout le juge, de marbre est une autre affaire. A notre connaissance, il n'existe pas (ou pas encore) un principe de rapacité fiscale.

(31 mars 2021, M. et Mme C. et autres, n° 440543)

(67) V. aussi, pour d'autres illustrations de cette "philosophie" : 31 mars 2021, Mme B., n° 440545 ; 31 mars 2021, M. B., n° 440576.

(68) V. également, très voisin : 31 mars 2021, Mme B., n° 441918.

 

69 - Octroi de mer - Assujettissement des opticiens à cette imposition - Interprétation correcte de la loi fiscale - Rejet.

L'organisation requérante contestait l'interprétation donnée par la directrice générale des douanes de la loi du 2 juillet 2004 relative à l'octroi de mer en tant, d'une part, qu'elle estime que l'activité des opticiens est incluse dans le champ de cette imposition et, d'autre part, qu'elle refuse de modifier les termes de la circulaire du 27 décembre 2018 retenant la même interprétation.

Le Conseil d'État rejette le recours en s'appuyant d'abord sur l'art. 2 de la loi précitée selon lequel : " Sont assujetties à l'octroi de mer les personnes qui exercent de manière indépendante, à titre exclusif ou non exclusif, une activité de production (...).

Sont considérées comme des activités de production les opérations de fabrication, de transformation ou de rénovation de biens meubles corporels (...)".

Il se fonde également sur l'annexe I au règlement n° 2658/87 du Conseil du 23 juillet 1987 relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun.

Il résulte de ces dispositions que si les montures, les verres et les lunettes correctrices relèvent de positions tarifaires différentes, l'activité consistant à obtenir des lunettes correctrices à partir, d'une part, de montures et, d'autre part, de verres assemblés après avoir été ajustés, a ainsi, alors même qu'elle s'accompagne de la fourniture de conseils à la clientèle qui les acquiert, la nature d'une activité de production au sens de l'article 2 de la loi du 2 juillet 2004 relative à l'octroi de mer. 

(31 mars 2021, Rassemblement des opticiens de France, n° 447979)

 

Droit public de l'économie

 

70 - Opération de concentration - Presse, magazines et sites internet - Offre de prise de contrôle exclusif - Autorisation conditionnelle de l'Autorité de la concurrence - Non-consultation préalable du comité social et économique (CSE) de l'entreprise par cette Autorité - Intérêt pour agir du comité - Vérification de l'existence de la consultation préalable du CSE ne s'imposant pas à l'Autorité de la concurrence - Rejet.

Cette importante décision, rendue en Section, à la lisière du droit public de l'économie et du droit social, est relative à une opération de prise de contrôle exclusif de la société Mondadori France, qui exerce son activité essentiellement dans les secteurs de l'édition de magazines papier ainsi que de l'exploitation de sites éditoriaux en ligne, par le groupe Reworld Media, qui exerce son activité dans les secteurs de l'édition de magazines papier, de l'exploitation de sites éditoriaux en ligne, de la vente d'espaces publicitaires sur ces supports et de l'intermédiation en matière de publicité en ligne. Cette opération a été autorisée par l'Autorité de la concurrence sous condition que le preneur cède à l'un de ses concurrents l'un des magazines de Mondadori consacrés à l'automobile.

Le comité social et économique de la société Mondadori demande l'annulation de la décision d'autorisation prise par l'Autorité de la concurrence motif pris de ce que cette dernière devait s'assurer préalablement à sa décision, ce qu'elle n'a pas fait, que les dispositions relatives à l'information et à la consultation du comité social et économique avaient été respectées par cette société.

Le Conseil d'État résout deux questions juridiques délicates.

En premier lieu, répondant à un argument de l'Autorité de la concurrence en sens contraire, le juge estime qu'eu égard à ses missions légales (cf. art. L. 2312-8 du code du travail) et aux effets de la décision en cause, le CSE justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour former le recours en annulation de la décision litigieuse.

En second lieu, en revanche, il décide qu'aucune disposition des codes du travail ou de commerce n'oblige l'Autorité de la concurrence à ne rendre sa décision qu'après vérification du respect par l'entreprise des dispositions relatives à la consultation du CSE.

(Section, 9 mars 2021, Comité social et économique de l'UES Mondadori Magazines France élargie, n° 433214)

 

71 - Droit public de l'agriculture - Contrôle des structures agricoles - Autorisation d'exploiter des terres agricoles - Aide à l'installation de jeunes agriculteurs - Rejet.

En l'espèce, une personne s'était installée en qualité de jeune agriculteur dans le cadre du GAEC de la Caille, requérant, à compter du 3 octobre 2013, et avait fait valider par le préfet de la Marne, en vue d'obtenir une aide à la première installation d'un jeune agriculteur, un plan de développement de l'exploitation en application des articles D. 343-3 et suivants du code précité. Par un avenant à ce plan validé le 5 mars 2015, il avait été envisagé d'intégrer à l'exploitation les 32 hectares de terre en litige.

Le 4 février 2015, l'un des membres du GAEC a sollicité du préfet de la Marne, au titre de la législation sur le contrôle des structures agricoles, une demande d'autorisation d'exploiter une superficie de 32 hectares environ de terres agricoles en complément des 308 hectares de terres et de vignes déjà exploités par le GAEC. Le préfet a refusé.

Le recours contre ce refus a été rejeté en première instance et en appel. Le GAEC de la Caille se pourvoit en cassation. Le pourvoi est rejeté.

Les textes ont prévu deux dispositifs parfaitement distincts d'aide en matière agricole. En particulier, les art. L. 331-1 à L. 331-3 du code rural et de la pêche maritime ont prévu une aide à la politique d'installation et au contrôle des structures agricoles tandis que celles des art. D. 343-3 et suivants de ce code fixent le régime des aides à la première installation des jeunes agriculteurs.

En conséquence, le Conseil d’État approuve la cour d'avoir jugé que la validation par le préfet de la Marne, dans le plan de développement de l'exploitation de ce jeune agriculteur, des 32 hectares pour lesquels le GAEC de la Caille sollicitait par ailleurs une autorisation d'exploitation, ne faisait pas obstacle à ce que la même autorité préfectorale, pour l'instruction de cette dernière demande, vérifie si ces terres étaient destinées à permettre l'installation d'un jeune agriculteur. Vainement la requérante fait valoir que le schéma départemental des structures agricoles du département de la Marne alors applicable plaçait en tête de l'ordre de ses priorités " l'installation aidée [d'un jeune agriculteur] après réalisation d'un plan de développement de l'exploitation ". Or l'intéressé, comme l'a également relevé la cour sans dénaturation, avait rejoint le GAEC en 2013, s'était installé comme jeune agriculteur sans intégrer dans son projet d'installation la reprise des terres en litige. Comme cette demande de reprise était intervenue après son installation, elle devait être regardée comme portant sur un agrandissement d'une exploitation existante.

(24 mars 2021, GAEC de la Caille, n° 427955)

 

72 - Contrôle des banques - Demande de désignation, par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), d'un administrateur provisoire auprès d'une banque - Refus - Motivation - Nature juridique - Compétence du juge de l'excès de pouvoir - Condition de désignation non remplie - Rejet.

La société requérante demandait l'annulation de la décision par laquelle le collège de supervision de l'ACPR a refusé de faire droit à sa demande tendant à ce que soit désigné un administrateur provisoire auprès d'une banque.

Sa requête est rejetée.

Tout d'abord, le juge indique que la décision attaquée constitue une décision administrative susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir et non soumise à l'obligation de motivation.

Ensuite, la requérante ayant fait valoir l'existence d'irrégularités et d'anomalies dans le fonctionnement ou la gestion de la banque ainsi que l'intervention du juge correctionnel et tiré de là qu'en raison de la gravité de la situation sa demande de désignation d'un administrtateur provisoire était justifiée, le Conseil d’État reconnaît en cette matière un large pouvoir d'appréciation - autant dire un pouvoir discrétionnaire - à l'ACPR.

Enfin, dès lors que les dirigeants de la banque n'ont pas fait l'objet de mesures de suspension et que cette dernière n'est pas "confrontée à une situation de blocage de ses instances de gouvernance ou à des difficultés financières d'une particulière gravité, de nature à compromettre la préservation de la stabilité du système financier et la protection de ses clients",  l'ACPR, en refusant par la décision contestée de désigner un administrateur provisoire, n'a pas porté une appréciation manifestement erronée.

(25 mars 2021, Société Interhold, n° 438669)

 

Droit social et action sociale

 

73 - Opération de concentration - Presse, magazines et sites internet - Offre de prise de contrôle exclusif - Autorisation conditionnelle de l'Autorité de la concurrence - Non-consultation préalable du comité social et économique (CSE) de l'entreprise par cette Autorité - Intérêt pour agir du comité - Vérification de l'existence de la consultation préalable du CSE ne s'imposant pas à l'Autorité de la concurrence - Rejet.

(Section, 9 mars 2021, Comité social et économique de l'UES Mondadori Magazines France élargie, n° 433214) V. n° 70

 

Élections

 

 

Cette rubrique est particulièrement nourrie ce mois-ci en raison de l'arrivée devant le Conseil d'État des recours, déjà examinés en première instance, dirigés contre les scrutins municipaux et/ou communautaires qui ont eu lieu au printemps 2020, échelonnés, du fait de la pandémie, sur plusieurs mois.

La pandémie elle-même est d'ailleurs l'un des griefs souvent soulevés pour contester soit l'organisation ou le déroulement des opérations électorales soit le résultat du scrutin.

 

 

 

74 - Élections municipales et communautaires - Conseillers - Inéligibilité - Entrepreneurs de services municipaux - Cas d'un chef de cuisine et d'un président d'OGEC - Absence de qualité d'entrepreneurs de services municipaux - Rejet.

L'art. L. 231 du code électoral déclare inéligibles en qualité de conseillers municipaux les entrepreneurs de services municipaux qui exercent ou ont exercé leurs fonctions depuis moins de six mois.

Le protestataire se fondait sur cette disposition pour demander au juge de déclarer inéligibles deux personnes élues le 15 mars 2020 alors qu'elles revêtaient cette qualité. Sa protestation est rejetée.

En premier lieu, si l'un des élus contestés est salarié de la société titulaire d'une convention de restauration passée avec la commune en vue de fournir le restaurant scolaire de la commune en liaison chaude, il y exerce, en tant qu'agent de maîtrise, des fonctions de chef de cuisine chargé de la gestion. Si ses fonctions le conduisent à être l'interlocuteur de la commune pour établir les besoins en approvisionnements de la restauration scolaire, prestation pour laquelle il dispose de marges de manoeuvre opérationnelles, il n'exerce pas un rôle prépondérant dans les relations contractuelles entretenues avec la commune et ne saurait donc être regardé, au sens et pour l'application de l'article précité, comme "entrepreneur d'un service municipal".

En second lieu, étaient alléguées à l'encontre d'un autre élu la qualité de président de l'organisme de gestion des écoles catholiques (OGEC) gérant l'école Saint-Joseph située sur le territoire de la commune et la circonstance que cette dernière reçoit des subventions municipales. L'argument est rejeté car, d'une part, la présidence de l'OGEC est bénévole, et d'autre part, les subventions sont versées en vertu d'obligations mises par la loi à la charge des communes (art. L. 442-5 et L. 442-44 du code de l'éducation). Ainsi l'OGEC n'a pas la nature d'un service municipal et son président ne saurait être qualifié d'"entrepreneur de services municipaux".

(3 mars 2021, M. B., Élect. mun. et cnautaires de la commune de Saint-Jacut-les-Pins, n° 445635)

 

75 - Élections municipales - Mise à disposition d'une liste de moyens de la commune - Écart important des voix - Autres griefs - Rejet.

La circonstance que des moyens de la commune aient été mis à la disposition d'une liste de candidats, si elle constitue une illégalité certaine, n'entraîne cependant pas ici l'annulation du scrutin en raison du trop grand écart entre les voix obtenues par cette liste et celles recueillies par la liste suivante, ce qui exclut toute atteinte à la sincérité du scrutin.

Les autres griefs (l'existence du courrier d'un adjoint à caractère informatif ou les renvois opérés par le site internet du maire sortant vers le site internet de la mairie) ne sont pas de nature à avoir entaché l'expression des suffrages.

(5 mars 2021, M. E., Él. municipales de la commune de Saint-Germain-sur-Morin, n° 446672)

 

76 - Élections municipales - Élément nouveau de polémique électorale - Élément n'ayant pas été diffusé par un candidat - Circonstance indifférente - Faible écart des voix - Annulation du scrutin.

La diffusion d'un élément nouveau de polémique électoral à un moment où il ne pouvait plus y être répliqué en temps utile avant la clôture de la campagne est de nature, en raison du faible écart des voix, à entacher la sincérité du scrutin quand bien même un candidat n'aurait pas été à l'origine de cette polémique.

(5 mars 2021, M. D., Élections municipales de la commune d'Aiguillon, n° 446493)

(77) V. pour une solution largement identique mutatis mutandis où le juge d'appel confirme le jugement annulant les opérations électorales : 12 mars 2021, M. D. et autres, Él. mun. et cnautaires de la commune de Vendegies-sur-Écaillon, n° 445805.

 

78 - Élections municipales - Existence et moyens de polémique électorale - Absence d'atteinte à la sincérité du scrutin - Confirmation du jugement.

L'utilisation et la diffusion de tracts, de teneur regrettable mais demeurant dans les limites de la polémique électorale, la diffusion d'éléments non publics, attribuables à l'une et à l'autre listes de candidats se compensant, il n'y a pas lieu, ainsi que jugé en première instance, d'annuler le scrutin.

(5 mars 2021, M. B., Él. municipales de Saint-Thibault-des-Vignes, n° 445826)

 

79 - Élections municipales et communautaires - Utilisation de la cérémonie des voeux à des fins de propagande électorale - Courrier adressé à des habitants d'un quartier - Utilisations des moyens ou deniers communaux - Conditions d'accueil des électeurs dans les bureaux de votes - Absence d'atteintes à la sincérité du scrutin - Annulation du jugement annulant les opérations électorales.

Par cette décision, le Conseil d’État annule le jugement prononçant l'annulation des opérations électorales dans une commune.

Il considère, contrairement aux premiers juges, que ni par sa tenue, ni par son importance, ni par le contenu des propos qui y ont été tenus, la cérémonie des voeux du 15 janvier 2020 ne peut être considérée comme ayant constitué une campagne de promotion publicitaire prohibée par les dispositions de l'article L. 52-1 du code électoral et de nature à rompre l'égalité des moyens de propagande entre les candidats. Pas davantage ne constitue une manoeuvre le courrier adressé par le maire et un adjoint en réponse aux demandes des habitants d'un quartier. Enfin, il n'est ni établi que les photographies utilisées par un candidat pour illustrer ses documents de campagne aient été soumises à des droits de reproduction qui auraient été pris en charge par le budget communal, ni établi que le maire aurait utilisé le téléphone dont il disposait en tant que maire à des fins de propagande électorale.

Les autres griefs, divers et variés, ne sont pas retenus non plus.

(5 mars 2021, M. B., Él. mun. et cnautaires de la commune de Croissy-Beaubourg, n° 445772)

 

80 - Élections municipales et communautaires - Élections s'étant déroulées en période d'épidémie - Atteinte à la sincérité du scrutin - Présence de certaines personnes près de bureaux de vote - Rejet.

La circonstance que les élections litigieuses se sont déroulées en période d'épidémie, si elle a pu dissuader certains électeurs de se déplacer pour voter, n'a pas altéré la sincérité du scrutin auquel la participation a été plus élevée en 2020 qu'en 2014. Les circonstances que le conjoint d'une candidate se soit trouvé en train de discuter, en fin d'après-midi, le jour du scrutin, avec d'autres personnes, à proximité d'un bureau de vote, que des membres d'une liste étaient présents dans les bureaux de vote en qualité de présidents ou de scrutateurs et, enfin, que les électeurs aient été accueillis par certains candidats à l'entrée des bureaux de vote pour garantir les conditions sanitaires et leur respect, n'ont pas altéré la sincérité du scrutin.

(5 mars 2021, M. A., Él. mun. et cnautaires de la commune de Schnersheim, n° 445561)

(81) V. aussi, présentant quelques similitudes et portant pareillement rejet du recours : 11 mars 2021, Mme C., Él. mun. et cnautaires de Cussac-Fort-Médoc n° 442540.

 

82 - Élections municipales et communautaires - Promotion de l'action municipale - Travaux dans un stade entre les deux tours de scrutin - Distribution de chèques alimentaires aux familles des élèves inscrits à la cantine scolaire - Annulation du jugement annulant les opérations électorales.

Le tribunal administratif avait annulé les opérations électorales dans une commune au triple motif que, dans les six mois précédant les élections, avaient été promues dans un bulletin municipal mensuel les actions réalisées durant le mandat du maire sortant ; que la réalisation de travaux dans un stade paraissaient répondre à des critiques faites durant la campagne concernant l'absence d'accomplissement desdits travaux et, enfin, qu'avaient été distribués entre les deux tours de scrutin des bons alimentaires aux familles dont les enfants étaient insrits à la cantine scolaire.

Le Conseil d’État annule ce jugement, estimant que la promotion de l'action municipale dans des termes identiques à ceux des années précédentes, sur une demi-page d'un bulletin de vingt pages n'excédait pas sa portée simplement informative, que le fait d'entreprendre entre les deux tours de scrutin des travaux de rénovation d'un stade - dont l'absence de rénovation avait été critiquée durant la campagne - ne révélait pas une manoeuvre susceptible d'avoir altéré la sincérité du scrutin et qu'enfin, la chronologie des faits entourant la distribution de chèques ou bons alimentaires accordés par la métropole du Grand Paris, en grande partie indépendante de la volonté communale, n'était pas davantage constitutive d'une telle altération même si a été "regrettable"  "la diffusion sur le compte Facebook personnel de M. X. (maire sortant) d'un message se prévalant des dotations obtenues pour financer l'opération".

Visiblement, la solution n'a pas pour elle les vertus de l'évidence...

(10 mars 2021, M. X. et autres, Él. mun. et cnautaires de la commune de l'Île-Saint-Denis, n° 445257 ; Mme W., Él. mun. et cnautaires de la commune de l'Île-Saint-Denis, n° 445540)

(83) V. aussi, en dépit de l'originalité de certains griefs qu'elle contient, de leur diversité et de leur nombre, la protestation rejetée par : 10 mars 2021, M. BA., Él. mun. et cnautaires de la commune de Parempuyre, n° 445547.

(84) V. également le rejet d'une protestation comportant de nombreux griefs : 12 mars 2021, Mme C., Él. municipales de la commune de Saintigny, n° 445423.

(85) Voir encore, rejetant notamment le grief tiré du comportement d'une association de parents d'élèves : 12 mars 2021, M. D., Él. mun. et cnautaires de Saint-Germain-au-Mont-d'Or, n° 445425.

(86) Voir, à propos d'une élection au bénéfice de l'âge après validation d'un bulletin comportant deux noms dont l'un rayé par stylo et ajout d'un autre nom, lequel n'est pas considéré ici comme un signe de reconnaissance : 12 mars 2021, M. C., Él. municipales de la commune de Confolent-Port-Dieu, n° 445458.

(87) Voir, rejetant en particulier, d'une part, le grief tiré de ce que la liste élue n'avait pas obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés car il a été présenté après l'expiration du délai de recours en première instance et, d'autre part, du grief tiré de ce qu'une liste n'aurait recueilli qu'un nombre de suffrages inférieur au quart du nombre des électeurs inscrits du fait des irrégularités affectant les listes d'émargements, celui-ci ayant été présenté pour la première fois en appel : 12 mars 2021, M. F., Élection municipale de la commune de Templeuve-en-Pévèle, n° 445717. 

 

88 - Élections municipales du 28 juin 2020 - Tardiveté de la saisine du juge - Irrecevabilité - Rejet.

Des élections municipales s'étant déroulées le 28 juin et le délai de recours expirant le vendredi 3 juillet à 18heures, l'envoi postal d'un recours contre celles-ci ayant eu lieu le 2 juillet, les requérants ne sauraient incriminer un retard anormal dans l'acheminement du courrier qui n'a été enregistré au greffe du tribunal que le 6 juillet.

La requête était irrecevable en raison de sa tardiveté.

(12 mars 2021, Mme C. et autres, Él. municipales de la commune de Saint-Michel, n° 443637)

(89) Voir, semblable : 30 mars 2021, M. A., Élections municipales de Wavrin, n° 44950)

(90) Voir, très comparable en ce qu'il est relatif à la tardiveté de certains des griefs invoqués au soutien de la requête, la confirmation du rejet de celle-ci par : 12 mars 2021, M. E., Él. mun. et cnautaires de la commune de Saint-Marcellin, n° 445875.

 

91 - Élections municipales et communautaires - Survenue d'une épidémie - Faiblesse du taux de participation - Conditions de recueil des procurations - Contamination des membres d'une liste - Durée réduite de campagne - Annulation du jugement prononçant l'annulation des opérations électorales.

Cette décision est une bonne démonstration, en matière électorale, de la ténuité qui sépare parfois l'annulation du refus d'annuler ainsi que du degré de subjectivité dans l'appréciation des circonstances de fait.

Pour l'essentiel, il était soutenu que les circonstances épidémiques entourant la campagne et les opérations électorales litigieuses avaient eu pour effet d'altérer la sincérité du scrutin : diminution importante du taux de participation, conditions défectueuses du recueil des procurations, contagion et quarantaire d'une dizaine de membres d'une liste, raccourcissement de la durée effective de la campagne, etc. Les juges du tribunal administratif avaient ainsi annulé les opérations électorales.

Le Conseil d’État, saisi d'un appel contre ce jugement, en a décidé autrement, prenant en considération notamment la disposition d'un mois pour faire campagne, l'utilisation du réseau social "Facebook", la possibilité de répondre dans le cadre de la polémique électorale.

(22 mars 2021, M. A., Él. mun. et cnautaires de la commune de La Balme de Sillingy, n° 445083)

(92) V., rejetant notamment ce même argument : 29 mars 2021, M. B., Él. mun. et cnautaires de la commune de Le Lardin-Saint-Lazare, n° 443527)

(93) V. aussi : 29 mars 2021, M. A., Él. mun. et cnautaires de la commune de Livarot-Pays d'Auge, n° 445639.

 

94 - Élections municipales - Reprise par une liste de candidats d'éléments de propagande audio-visuels commandés par et réalisés pour la commune en vue de sa propre communication - Avantage financier en raison du moindre coût de ces documents - Faible écart des voix - Annulation de l'élection et du jugement en sens contraire.

Le Conseil d’État censure le jugement refusant de procéder à l'annulation des opérations électorales alors que, d'une part, la liste élue a bénéficié d'un avantage financier injustifié en utilisant pour sa campagne, à moindre coût, dans le cadre de sa page "Facebook", sans réellement les modifier, deux vidéos de projets d'aménagement de la commune portant sur le pôle administratif et les abords de l'église et qui avaient été commandées par la commune à des cabinets d'architectes, et, d'autre part, l'écart entre les deux listes en présence n'était que de 0,47% des suffrages exprimés.

Par là, il a été porté atteinte à la sincérité du scrutin.

(12 mars 2021, Mme A., Él. mun. et cnautaires de la commune de Pusignan, n° 445719)

 

95 - Élections municipales - Diffusion d'un tract contenant des imputations diffamatoires - Délai de trois jours insuffisants pour répondre - Faible écart des voix - Confirmation de l'annulation des opérations électorales.

La diffusion trop tardive d'un tract contenant des imputations diffamatoires à l'égard de certains candidats, excédant les limites de la polémique électorale, combinée au faible écart des voix justifient l'annulation du scrutin prononcée en première instance.

(12 mars 2021, M. G. et autres, Él. mun. et cnautaires de la commune de Moidieu-Détourbe, n° 445847)

 

96 - Élections municipales et communautaires - Qualité d'ancien maire de la commune - Absence d'intérêt à agir en intervention - Informations municipales sans lien avec l'élection en cours - Mise à disposition d'une liste d'une salle et autres - Éléments non refusés aux autres listes - Impossibilité de tirer argument d'un jugement d'annulation d'autres opérations électorales sur le fondement de griefs identiques - Rejet.

Le juge rappelle que la seule qualité d'ancien maire d'une commune ne confère pas à celui-ci intérêt à intervenir dans une instance en annulation des opérations électorales s'étant déroulées dans cette commune.

Par ailleurs, aucun des griefs soulevés ne convainc ici le juge d'opérer l'annulation électorale qu'il lui était demandé de prononcer, qu'il s'agisse de l'usage de photographies dont le droit de reproduction a été régulièrement acquis auprès de la commune, du prêt à une liste d'une salle communale, d'un chapiteau et de l'utilisation d'un branchement électrique dès lors que ceux-ci n'ont pas été refusés aux autres listes, de la diffusion d'informations municipales sans rapport avec les élections litigieuses, ou encore la circonstance que le même tribunal aurait, pour annuler les élections tenues dans une autre commune, retenu les griefs développés dans la présente instance, etc.

(12 mars 2021, M. E. et Mme J., Él. mun. et cnautaires de Sainte-Anne, n° 441734)

 

97 - Procédure contentieuse en matière électorale - Particularités - Notion de bulletin valide - Signe de reconnaissance - Présence ou non d'un bulletin de vote accompagnant une profession de foi - Égalité de voix - Annulation confirmée du scrutin.

Cette affaire est intéressante d'abord parce qu'elle permet au juge de rappeler deux particularités de la procédure contentieuse en matière électorale.

D'abord, il résulte des dispositions combinées de l'article R. 773-1 du code de justice administrative et des articles R. 119 et R. 120 du code électoral que, par dérogation aux dispositions de l'article R. 611-1 du code de justice administrative, les tribunaux administratifs ne sont pas tenus d'ordonner la communication aux auteurs des protestations, des mémoires en défense des conseillers municipaux dont l'élection est contestée, ni des autres mémoires ultérieurement enregistrés et qu'il appartient seulement aux parties, si elles le jugent utile, de prendre connaissance de ces défenses et mémoires ultérieurs au greffe du tribunal administratif, dépôt dont ils sont avisés par l'examen de l'application Sagace (sur ce point, voir ci-après, au n° 98, du même jour : M. M. et autres, Élections de la commune de Biches, n° 445338). 

Ensuite, la protestation tendant à l'annulation d'une élection, lorsqu'elle est fondée sur des griefs tirés de la validité des bulletins de vote, a pour effet automatique de saisir le juge de la validité des bulletins qui sont contestés devant lui et de tous ceux des mêmes bureaux.

En l'espèce, était contestée la validité d'un bulletin de vote et le juge examine d'office celle de deux autres bulletins. Le premier bulletin a été déclaré à tort nul comme comportant un signe de reconnaissance alors que cela ne résulte pas des documents annexés au procès-verbal, le deuxième n'était pas nul, contrairement aux indications du procès-verbal, parce que si l'enveloppe contenait une profession de foi elle contenait aussi un bulletin de vote ; enfin, le dernier était nul car, à l'inverse du précédent, s'il contenait une profession de foi il ne comportait pas de bulletin de vote.

Les deux listes ayant recueilli le même nombre de suffrages aucune d'elles ne dispose de la majorité des voix et c'est donc sans erreur de droit que le tribunal administratif a annulé le premier tour de scrutin.

(12 mars 2021, Mme AK. et autres, Él. mun. et cnautaires de Chevreuse, n° 442454)

 

98 - Élections municipales - Moyens de propagande - Destruction des bulletins de vote autres que ceux annexés au procès-verbal - Rejet.

Outre le rejet des habituels arguments d'irrégularité de la propagande dès lors qu'ils ne sont pas en réalité irréguliers ou disproportionnés ou qu'il n'est pas démontré qu'ils ont eu pour effet d'altérer les résultats du scrutin, cette décision se signale à l'attention par deux aspects.

Le premier est évoqué au n° précédent.

Le second est relatif à l'application en l'espèce des dispositions de l'art. R. 68 du code électoral selon lesquelles " Les bulletins autres que ceux qui, en application de la législation en vigueur, doivent être annexés au procès-verbal sont détruits en présence des électeurs ". En l'espèce tous les bulletins avaient été détruits hors la présence des électeurs, sauf deux, déclarés nuls et annexés au procès-verbal du dépouillement du scrutin. Le juge estime ce procédé régulier.

(12 mars 2021, M. M. et autres, Élections municipales de la commune de Biches, n° 445338)

 

99 - Élections municipales et communautaires - Bulletins - Bulletins blancs et bulletins nuls - Décompte annexé au procès-verbal - Mention postérieure dans ce procès-verbal - Absence d'admission du grief d'irrégularité - Rejet.

Parmi les griefs, dont aucun n'est retenu par le juge, figurait celui tiré du non-respect des dispositions des articles 63, 64 et 67 du code électoral. En particulier, le dernier alinéa de ce dernier article dispose : " Dès l'établissement du procès-verbal, le résultat est proclamé en public par le président du bureau de vote et affiché en toutes lettres par ses soins dans la salle de vote ". En l'espèce, selon la narration du juge, à l'issue des opérations de vote "(...) 517 enveloppes ont été trouvées dans l'urne.

Le dépouillement, dont il est constant qu'il a été effectué conformément aux dispositions (précitées), a conduit à constater que 9 bulletins étaient nuls et 8 bulletins blancs.

Parmi les 500 suffrages exprimés, 251 bulletins de vote ont été comptés en faveur de la liste conduite par M. H., contre 249 bulletins de vote en faveur de la liste de M. E.

Le résultat de l'élection a été proclamé et le procès-verbal des opérations électorales, qui ne portait alors aucune réclamation, a été signé par les personnes requises à 19 heures 6 minutes. Si un recomptage des voix a été effectué postérieurement, à l'issue duquel M. E. allègue avoir identifié deux bulletins qui auraient dû, selon lui, être regardés comme nuls, ce qui l'a conduit à ajouter une mention au procès-verbal, ce nouveau décompte ne peut être regardé comme revêtant un caractère probant alors que les bulletins de vote sont restés sans surveillance pendant une vingtaine de minutes.

Le grief tiré de l'irrégularité des opérations de vote ne peut par suite qu'être écarté".

(12 mars 2021, M. E., Él. mun. et cnautaires de la commune de Maubert-Fontaines, n° 447200)

 

100 - Élections municipales - Manoeuvres - Absence - Irrégularités prises ensemble et séparément ne pouvant entraîner l'annulation du scrutin - Rejet.

Le protestataire invoquait plusieurs griefs au soutien de sa demande d'annulation d'opérations électorales.

Tout d'abord, la circonstance que, pendant deux périodes de deux heures, le bureau de vote n'aurait pas été tenu par deux de ses membres, en méconnaissance des dispositions de l'art. R. 42 du code électoral, n'est pas susceptible, en l'absence de toute manoeuvre, d'entraîner l'annulation de l'élection.

Ensuite, la circonstance que les corrections apportées sur la feuille de pointage ne portaient que sur la comptabilisation du nombre total des voix apportées à chaque candidat, non sur le pointage des voix, dont il n'est d'ailleurs pas soutenu qu'elles aient constitué des manoeuvres, ne sont pas de nature à entraîner l'annulation du scrutin d'autant que le dépouillement a été opéré publiquement, sans que les personnes présentes aient été empêchées de vérifier que le pointage opéré correspondait aux bulletins lus.

Enfin, ni la circonstance que le procès-verbal aurait été rédigé par la secrétaire de mairie et non par le secrétaire du bureau, ni celle que les ratures figurant sur la feuille de pointage n'y auraient pas été mentionnées, ni celles que les bulletins n'auraient pas été détruits en présence des électeurs mais dans la pièce attenante ou que les résultats auraient été proclamés avant l'établissement du procès-verbal, ne sont de nature, dès lors qu'il n'est pas soutenu qu'elles auraient été constitutives de manoeuvres, à entraîner l'annulation du scrutin.

Ainsi, aucun des moyens pris séparément et ceux-ci pris ensemble ne justifie une annulation du scrutin.

(26 mars 2021, M. N., Élections municipales de Mongaillard, n° 445505)

 

101 - Élections municipales - Enveloppes adressées au domicile des électeurs avec un des bulletins de vote manquant - Désignation de délégués en nombre insuffisant - Défaut de leurs signatures sur des procès-verbaux - Rejet.

La circonstance de la réception par certains électeurs, à leur domicile, d'enveloppes où était manquant l'un des bulletins de vote, même en présence d'une épidémie incitant à exprimer son vote chez soi avec les moyens à disposition, n'a pas été de nature à altérer le scrutin dès lors que ces bulletins étaient en nombre suffisant dans les bureaux de vote.

Une liste n'ayant pas désigné un nombre suffisant de délégués habilités ne saurait se plaindre de ce que ceux-ci, absents, n'ont pas signé deux des trois procès-verbaux et alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que les candidats et représentants de cette liste qui ont assisté aux opérations de vote et au dépouillement auraient constaté des irrégularités dont l'inscription au procès-verbal leur aurait été refusée. 

(26 mars 2021, M. B., Élections municipales de Ballainvilliers, n° 445788)

 

102 - Élections municipales et communautaires - Polémique électorale - Sincérité du scrutin - Bulletins comportant des erreurs - Rejet.

Aucune des irrégularités invoquées, dont une partie n'est pas établie et certaines ont été soulevées trop tardivement, n'a convaincu le juge de l'existence d'atteintes à la sincérité du scrutin susceptibles d'en avoir influencé les résultats.

Les propos tenus et accusations portées au cours d'une séance du conseil municipal n'ont pas excédé les limites de la polémique électorale ;  la lacération d'affiches et l'apposition de graffitis injurieux tout comme la distribution de tracts en faveur d'une liste sont intervenues bien trop avant le déroulement du scrutin pour en avoir altéré la sincérité ; il n'est pas établi que le refus de prêt d'une salle communale n'ait pas été opposé à toutes les listes ; les erreurs de prénoms ou de noms entachant certains des bulletins d'une liste n'entachaient point de nullité ces derniers dès lors qu'il s'agissait d'un scrutin de liste et que les électeurs ne pouvaient se méprendre sur la liste pour laquelle ils  avaient à se prononcer, etc.

(29 mars 2021, M. F., Él. mun. et cnautaires de la commune de Voulx, n° 447182)

 

103 - Élections municipales - Établissement des procurations - Refus de dépôt de bulletins de vote - Emplacement contesté de bulletins - Rejet.

Est confirmé en tous points le jugement rejetant la protestation de l'appelant et fondé sur ce que : 1°/ contrairement à ses allégations, le recueil des procurations n'a pas été irrégulier, 2°/ c'est à bon droit qu'a été refusé le dépôt de ses bulletins en format portrait, donc irrégulier, 3°/ ce refus n'a pas altéré la sincérité du scrutin étant donné le laps de temps très bref s'étant écoulé entre ce refus, à l'ouverture du bureau de vote, et la fourniture, quelques minutes plus tard, de bulletins de forme régulière, 4°/ enfin la disposition prétendument irrégulière, parce que guère visible, des bulletins de sa liste n'est pas attestée.

(30 mars 2021, M. D., Élections municipales de Boëseghem, n° 445503)

 

104 - Listes électorales - Inscriptions et radiations à tort sur et de ces listes - Confirmation du jugement du tribunal administratif - Rejet.

La circonstance que cinq électeurs auraient été radiés à tort et cinq autres retirés à tort des listes électorales, à la supposer établie, ne résulte pas de manoeuvres ou d'irrégularités de nature à avoir altéré la sincérité du scrutin.

(30 mars 2021, M. C., Élections municipales de Larrivoire, n° 445658)

 

105 - Élections municipales - Protestation dirigée contre le premier tour de scrutin - Absence de candidat proclamé à l'issue de celui-ci - Absence de demande qu'un candidat soit proclamé élu - Requête sans objet - Rejet.

Est sans objet et peut être rejetée par ordonnance la protestation demandant l'annulation d'un tour de scrutin qui n'a donné lieu à la proclamation d'aucun élu et qui ne sollicite pas qu'il soit procédé à la désignation d'un élu.

(30 mars 2021, Liste Alliance Meyzieu Indépendante, n° 441780)

 

106 - Élections municipales et communautaires - Faible écart des voix - Vidéo dénonçant des "intimidations" - Polémique électorale tardive - Altération de la sincérité du scrutin - Annulation des opérations électorales.

La double circonstance d'une accusation grave portée contre les membres d'une liste adverse d'être à l'origine d'intimidations à laquelle il a été répondu sans que puisse être mesuré l'effet utile de cette réponse et d'une distribution massive de tracts auxquels il n'a pu être répliqué utilement jointe au faible écart de voix (cinq voix) séparant les listes conduit le juge à confirmer le jugement prononçant l'annulation du scrutin.

(30 mars 2021, M. A., Él. mun. et cnautaires de la commune de Crespin, n° 445347)

 

107 - Élections municipales - Inéligibilités - Entrepreneur de services municipaux - Débroussaillage occasionnel par un auto-entrepreneur - Absence d'inéligibilité - Annulation du jugement en sens contraire.

C'est à tort qu'un tribunal administratif déclare inéligible un élu en raison de sa qualité d'entrepreneur des services municipaux, dont il annule ainsi l'élection (cf. 6° de l'art. 231 du code électoral), alors qu'en tant qu'auto-entrepreneur il a été rémunéré en deux ans pour 67 heures, effectuées de façon occasionnelle, de débroussaillage, de nettoyage et d'entretien de chemins alors qu'en outre la commune fait également appel à un autre entrepreneur pour ses travaux de broyage.

Il faut approuver une solution marquée au coin du bon sens et du réalisme.

(30 mars 2021, M. B., Élections municipales de Pretin, n° 445410)

(108) V. aussi, rejetant une protestation fondée sur la prétendue inéligibilité d'une électrice dont il n'est pas établi qu'elle ne remplirait pas les conditions fixées aux art. L. 11 et L. 228 du code électoral dans la mesure où elle est inscrite sur les listes électorales, réside dans la commune dans une maison dont elle est usufruitière : 30 mars 2021, M. A., Élections municipales de Saint-Lizier, n° 445496.

 

109 - Élections municipales et communautaires - Accessibilité du bureau de vote aux personnes handicapées - Faible taux de participation - Diffusion non irrégulière de tracts - Présence d'un grand nombre de personnes dans la salle de dépouillement du scrutin - Méconnaissance éventuelle des recommandations sanitaires - Rejet.

C'est à juste titre que le tribunal administratif a rejeté une protestation en vue que soient annulées les élections ici en cause : la circonstance d'un faible taux de participation liée à une épidémie n'a pas altéré la sincérité du scrutin; la distribution d'un tract litigieux a eu lieu durant la période de campagne électorale ; il n'est pas établi que des électeurs handicapés aient été empêchés d'exercer leur droit de vote et, enfin, la circonstance du non respect des prescriptions sanitaires n'entache pas d'irrégularité le scrutin.

(30 mars 2021, MM. C. et B., Él. mun. et cnautaires de la commune de Pernes, n° 445494)

 

110 - Élections municipales et communautaires - Griefs présentés tardivement - Note en délibéré - Absence de réouverture de l'instruction - Rejet.

D'une part, le protestataire ne saurait faire grief aux premiers juges de n'avoir pas rouvert l'instruction à la suite de la réception de la note en délibéré que ce dernier avait produite, cette réouverture n'étant pour le juge qu'une faculté sauf dans trois cas dont aucun ne se présente en l'espèce.

D'autre part, les griefs soulevés devant la juridiction d'appel sont irrecevables faute d'avoir été soulevés dans le délai de recours devant le tribunal administratif.

(30 mars 2021, M. B., Él. mun. et cnautaires de la commune de Monchecourt, n° 445665 et n° 447858)

 

111 - Élections municipales - Griefs nouveaux en appel - Autres griefs non étayés - Rejet.

L'appel contre le jugement de première instance est rejeté : d'une part, sont irrecevables les moyens nouveaux en appel, d'autre part sont rejetés par adoption des motifs retenus par les premiers juges, les moyens repris de première instance sans être étayés par des éléments nouveaux ou encore l'invocation de pressions qu'aucun élément du dossier ne vient corrober.

(30 mars 2021, M. A., Élections municipales de Saint-Romain-au-Mont-d'Or, n° 446007)

 

112 - Élection d'adjoints de quartier - Convocation aux réunions du conseil municipal - Absence d'irrégularité - Moyen nouveau en appel - Irrecevabilité - Rejet.

Rejet d'une protestation :

1°/ car la remise en main propre et dans le délai légal des convocations à une séance de conseil municipal ne saurait constituer une irrégularité d'autant que l'ensemble des conseillers municipaux étaient présents à cette séance ;

2°/ car le moyen tiré d'un vice de forme dans le libellé des convocations n'a été invoqué pour la première fois qu'en cause d'appel, il est donc irrecevable.

(30 mars 2021, Mme F., Élection d'adjoints de quartier de la commune du Tampon, n° 446461)

 

113 - Élections municipales - Contestation de la validité de bulletins de vote - Office du juge - Rectification des résultats de l'élection - Bulletins déclarés nul à tort - Rejet.

Estimant que deux bulletins avaient été à tort considérés comme nuls, des protestataires avaient obtenu du tribunal administratif l'annulation de la décision du bureau de vote et, en conséquence, procédé à la modification des résultats du scrutin proclamés par le bureau de vote.

Une élue qui du fait de ces rectifications ne l'est plus, conteste ce jugement mais en vain.

Tout d'abord, le Conseil d'État rappelle une règle très illustrative des pouvoirs de juge de plein contentieux qui sont ceux du juge électoral : " (...) une protestation tendant à l'annulation d'une élection, lorsqu'elle est fondée sur des griefs tirés de la validité des bulletins de vote, saisit le juge de la validité des bulletins qui sont contestés devant lui et de tous ceux des mêmes bureaux qui figurent au dossier ou dont il ordonne le versement au dossier. Il n'appartient pas au juge de procéder, notamment pour d'autres bureaux, à d'autres investigations que celles qu'impliquent les griefs soulevés devant lui dans les délais impartis par la loi aux recours en matière électorale. Au terme de ses vérifications, le juge doit réviser les décomptes des voix et modifier, le cas échéant, les résultats de l'élection".

Ensuite, pour le cas de l'espèce, il est jugé que c'est à tort que deux bulletins de vote ont été écartés du décompte des voix au motif qu'ils comportaient des signes distinctifs. L'un ne portait qu'une simple éraflure et l'autre une tache à peine perceptible : ils ne pouvaient être déclarés nuls dès lors que ces traces ne sont pas suffisantes pour être considérées comme des signes de reconnaissance. C'est donc sans erreur de droit que les premiers juges ont réintégré ces deux bulletins dans les suffrages exprimés et procédé à la rectification subséquente des opérations électorales du second tour de scrutin de la commune.

(31 mars 2021, Mme J., Élections municipales de Frayssinet, n° 446450)

 

114 - Élections municipales - Annulation du scrutin par le tribunal - Motifs insuffisants pour justifier cette annulation - Exament des autres griefs du fait de l'effet dévolutif de l'appel - Annulation du jugement et rejet des autres griefs.

Le Conseil d'État annule ici un jugement prononçant l'annulation d'élections municipales au double motif d'un travestissement à des fins politiques des indications portées sur trois panneaux de circulation routière et d'une mise en cause de la probité d'un candidat via le réseau Facebook. Il estime, d'une part, que les panneaux maquillés font allusion à un élément de polémique électorale qui n'est pas nouveau et, d'autre part, que l'information litigieuse donnée sur un réseau télématique n'a été suivie d'aucune réaction de ses membres et a été retirée peu après.

Toutefois, saisi par l'effet dévolutif de l'appel des griefs que les premiers juges n'avaient pas examinés du fait de l'annulation qu'ils avaient prononcée, le Conseil d'État les rejette notamment parce que les uns sont relatifs à des éléments non nouveaux de polémique électorale et parce qu'il a pu être répliqué en temps utile aux autres.

(31 mars 2021, M. CV. et autres, Élections municipales du Chesnay-Rocquencourt, n° 447880)

 

Environnement

 

115 - Produits biocides - Réglementation nationale plus restrictive que celle de l'Union européenne - Marge de liberté des États - Difficulté sérieuse conditionnant la solution du litige - Renvoi préjudiciel à la CJUE.

Les requérants demandaient l'annulation du décret 26 juin 2019 relatif à la publicité commerciale pour certaines catégories de produits biocides. Rejetant les autres griefs, le Conseil d’État retient que constitue une difficulté sérieuse la question de savoir, dès lors que le règlement européen n° 528/2012 ne comporte aucune disposition autorisant un État membre à prévoir des mesures restrictives du type de celles qui figurent aux articles L. 522-18 et L. 522-5-3 du code de l'environnement ni le lui interdisant, si de telles mesures, non prévues par le règlement, peuvent être prises sans déroger ou porter atteinte à ce règlement et sans faire obstacle à son bon fonctionnement.

En effet, les dispositions législatives en application desquelles ont été prises les dispositions réglementaires attaquées ont pour objectif de prévenir, pour certains produits biocides, les inconvénients que leur usage excessif présente pour la santé publique et l'environnement. Si cet objectif n'est pas en contradiction avec ceux du règlement européen précité, les interdictions que prévoient ces dispositions législatives interviennent dans le champ de la mise sur le marché des produits biocides, que le règlement a pour objet d'harmoniser au niveau européen, sans renvoyer à l'adoption de textes d'application par les États membres et sans que de tels textes d'application soient rendus nécessaires pour sa pleine efficacité. 

La réponse à cette question conditionne bien la solution du litige et revêt par suite un caractère préjudiciel d'où le renvoi à la Cour de Luxembourg.

(5 mars 2021, Comité interprofessionnel des huiles essentielles françaises (CIHEF) et autres, n° 433889 ; CIHEF et autres, n° 433890, jonction)

 

116 - Référés liberté et suspension - Semences de betterave sucrière - Traitement par produits phytopharmaceutiques - Produits contenant des substances néonicotinoïdes - Arrêté autorisant à titre provisoire un tel traitement - Suspension refusée - Rejet.

En raison de la propagation de pucerons ayant provoqué la jaunisse de la betterave sucrière et la perte d'une grande partie de la récolte, le ministre de l'écologie a, en application de dispositions dérogatoires du droit national ainsi que du droit de l'Union, autorisé pour une période provisoire le traitement de ces betteraves avec des produits phytopharmaceutiques contenant les substances actives imidaclopride ou thiaméthoxame. 

Les deux recours joints contestent la légalité dudit arrêté, ils sont rejetés.

Le premier, qui est un référé liberté, estimait illégal un arrêté ayant des incidences mortifères en particulier pour les abeilles et leur fonction pollinisatrice en raison de la persistance dans les sols et les plantes, pendant une longue durée, des substances autorisées. Le Conseil d’État rejette cette argumentation en raison 1° de la limitation dans le temps - conformément à la réglementation européenne - de la dérogation litigieuse afin de sauver une production agricole, 2° de ce que ce qui est reproché figure en réalité non dans l'arrêté attaqué mais dans la loi elle-même qui a été jugée conforme à la Charte de l'environnement et au droit de propriété des apiculteurs, par le Conseil constitutionnel (n° 2020-809 DC du 10 décembre 2020).

Le second recours, en référé suspension, invoquait diverses violations, de fond et de forme, du droit de l'Union (absence de réelle urgence, autorisation d'emploi d'une substance non autorisée par la Commission européenne, absence de notification régulière de l'arrêté à la Commission et aux États-membres, etc.).

 (ord. réf. 15 mars 2021, Association " Terre d'abeille " et autres, n° 450194 ; Association "Agir pour l'environnement" et autres, n° 450199, jonction)

116 bis - Emballages ménagers - Cahiers des charges des éco organismes de traitement d'emballages - Signalétique et marquage en matière de tri de déchets d'emballages - Pénalisation financière des producteurs utilisant des emballages marqués "Point vert" - Interdiction propre à la France - Mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative (art. 34 TFUE) - Suspension ordonnée.

L'annexe II, 4°, à un arrêté ministériel du 25 décembre 2020 portant modification du cahier des charges des éco-organismes et à un arrêté du 30 novembre 2020 relatif aux signalétiques et marquages pouvant induire une confusion sur la règle de tri ou d'apport du déchet issu du produit, était contesté par des organismes producteurs et utilisateurs d'emballages.

L'arrêté du 25 décembre 2020 frappe d'une pénalité financière les producteurs et utilisateurs d'emballages comportant le logo "Point vert" au motif de protection de l'environnement en vue d'économiser des ressources naturelles.

Les requérants, obligés de distinguer entre les emballages selon qu'ils sont destinés à être utilisés et jetés en France ou dans le reste de l'Union européenne, se plaignent de ce que l'application, seulement en France, de cette pénalité a pour effet de renchérir le coût dans ce dernier pays et donc constitue une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative, prohibée par l'art. 34 du TFUE.

Guère convaincu par l'argumentation ministérielle, le juge des référés, constatant l'existence simultanée d'un moyen sérieux et d'une urgence, ordonne la suspension de l'arrêté litigieux.

(ord. réf. 15 mars 2021, Association française des industries de la détergence (AFISE) et autres, n° 450160 et n° 450164)

 

État-civil et nationalité

 

117 - Référé suspension - Adoption internationale d'enfants - Adoption en Haïti - Suspension par arrêté - Absence d'urgence - Rejet.

Les requérants demandaient la suspension d'arrêtés ministériels suspendant du 11 mars 2020 jusqu'au 30 juin 2021 les procédures d'adoption internationale, par toute personne résidant en France, d'enfants ayant leur résidence habituelle en Haïti.

Pour rejeter la requête, le juge des référés du Conseil d’État relève que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et cela pour plusieurs motifs : la durée longue de la procédure haïtienne d'adoption; le renouvellement quasi automatique, à conditions inchangées, des agréments déjà accordés lorsqu'est expirée la durée pour laquelle ils ont été accordés; la circonstance que celles des procédures qui sont proches de leur dénouement ont été exclues de la suspension décidée par les arrêtés litigieux ; enfin, la certitude qu'une décision du Conseil d’État sera rendue au fond avant l'été.

Par ailleurs, le juge rappelle que si les enfants concernés encourent de graves risques de toute nature du fait de la situation haïtienne actuelle, l'installation en France des enfants adoptés ne pourra pas avoir lieu, de toute façon, avant plusieurs mois.

Enfin, est rappelé le risque grave qu'encourent les adoptants français en se rendant dans ce pays.

(ord. réf. 15 mars 2021, Mme BM. et autres, n° 450145)

 

Étrangers

 

118 - Référé liberté - Demandeurs d'asile - Cessation de l'hébergement d'urgence - Suppression des conditions matérielles d'accueil - Situation particulière de Mayotte au regard des questions asilaires - Impossibilité d'hébergement et substitution d'octroi d'une aide matérielle - Annulation de l'ordonnance attaquée.

Une demanderesse d'asile et son enfant de onze ans, de nationalité burundaise, se sont vus privés, dans l'attente d'une décision sur le recours introduit devant la Cour nationale du droit d'asile contre le rejet par l'OFPRA de ladite demande enregistrée à Mayotte, d'abord d'un hébergement d'urgence assuré par une association puis de l'aide financière sous forme de bons alimentaires à compter du 31 janvier 2020. Le tribunal administratif, par une ordonnance du 25 décembre 2020, a rejeté son référé liberté dirigé contre le refus de l'Office français de l'immigration et de l'intégration de la diriger vers un centre d'hébergement pour elle et son fils, de lui verser l'allocation pour demandeur d'asile et de l'autoriser provisoirement à travailler. Elle conteste le rejet de son référé devant le Conseil d’État.

Celui-ci, après avoir relevé qu'actuellement l'intéressée et son fils sont sans ressources depuis le 31 janvier 2020 et vivent dans l'unique pièce d'une habitation de fortune partagée avec douze autres personnes, sans accès à l'eau courante ni à l'électricité, estime qu'en dépit du temps qui a passé sa requête revêt encore un caractère d'urgence et que la situation est, pour eux, grave.

Puis, prenant acte de ce qu'aucune place d'hébergement n'est actuellement disponible dans la seule structure existant à cet effet à Mayotte, le juge enjoint à l'État d'accorder sans délai les aides matérielles mentionnées à l'article L. 761-1 du CESEDA. Il ajoute que si la forme de ces aides peut être liée aux particularités de la situation dans ce département, elles doivent être de nature à assurer à la requérante ainsi qu'à son fils un niveau de vie qui garantisse leur subsistance et protège leur santé physique et mentale, en prenant en compte la circonstance qu'il ne leur est pas proposé d'hébergement. 

La solution est généreuse et empreinte d'une certaine compassion.

(ord. réf. 12 mars 2021, Mme C., n° 448453)

 

119 - Demande d'asile présentée par les parents - Rejet définitif de leur demande - Enfant mineur entré en France postérieurement au rejet de la demande de ses parents - Possibilité de demander l'asile au nom de cet enfant - Demande s'analysant en une demande de réexamen (art. L. 723-15 CESEDA) - Rejet.

Rappel de deux solutions bien établies en jurisprudence en matière de demandes d'asile en présence d'enfant(s) mineur(s).

D'une part, l'étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile doit présenter une demande en son nom et, le cas échéant, au nom de ses enfants mineurs qui l'accompagnent. En cas de naissance ou d'entrée en France d'un enfant mineur postérieurement à l'enregistrement de sa demande, l'étranger est tenu, tant que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou, en cas de recours, la Cour nationale du droit d'asile, ne s'est pas prononcé, d'en informer cette autorité administrative ou cette juridiction. La décision rendue par l'office ou, en cas de recours, par la Cour nationale du droit d'asile, est réputée l'être à l'égard du demandeur et de ses enfants mineurs.

D'autre part, les parents d'un enfant entré en France après l'enregistrement de leur demande d'asile peuvent présenter, postérieurement au rejet définitif de leur propre demande, une demande au nom de leur enfant. Cependant, la demande ainsi présentée au nom de l'enfant mineur doit alors être regardée, dans tous les cas, comme une demande de réexamen au sens de l'article L. 723-15 du CESEDA.

(25 mars 2021, M. B. représenté par son père, n° 450659)

 

120 - Statut de réfugié d'un ressortissant russe - Décision de l'OFPRA mettant fin à ce statut - Cour nationale du droit d'asile (CNDA) annulant la décision de l'OFPRA mettant fin à la qualité de réfugié et rejetant les conclusions de l'intéressé tendant à se voir reconnaître cette qualité - Office du juge - Erreur de droit - Cassation et renvoi à la CNDA.

Méconnaît son office et commet une erreur de droit la décision de la CNDA vérifiant d'office si l'intéressé remplissait les conditions prévues aux articles 1er de la convention de Genève et L. 711-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour se voir reconnaître la qualité de réfugié alors que l'OFPRA n'avait pas remis en cause devant la CNDA la qualité de réfugié du requérant. En effet, la possibilité de refuser le statut de réfugié ou d'y mettre fin, en application de l'article L. 711-6 du CESEDA, est sans incidence sur le fait que l'intéressé a ou conserve la qualité de réfugié. La CNDA, seulement saisie d'un recours dirigé contre une décision mettant fin au statut de réfugié prise sur le fondement dudit article L. 711-6, ne pouvait donc pas décider comme elle l'a fait en l'espèce. La cassation est prononcée avec renvoi à la Cour.

(30 mars 2021, M. B., n° 431792)

 

121 - Procédure devant la Cour nationale du droit d'asile - Dépôt d'une note en délibéré - Note non visée dans l'arrêt de la Cour - Irrégularité - Cassation.

A été rendu dans des conditions irrégulières conduisant à sa cassation l'arrêt de la CNDA qui ne vise pas la note en délibéré que le requérant lui avait transmise le 26 septembre 2019 via l'application " CNDém@t ", après l'audience qui s'est tenue le 20 septembre 2019 et avant la lecture de sa décision le 27 septembre 2019. 

(30 mars 2021, M. B., n° 439960)

 

Fonction publique et agents publics

 

122 - Pension militaire d'invalidité - Révision - Date d'effet de la décision de révision - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

Rappel de ce qu'en cas de révision du taux d'une pension militaire d'invalidité la décision prend effet non à compter de la demande initiale de liquidation de la pension mais à celle de la demande de révision.

(3 mars 2021, Ministre des armées, n° 432081)

 

123 - Attribution d'une pension de réversion du chef d'une épouse décédée - Remariage subséquent de l'intéressé - Non-déclaration du mariage - Répétition de l'indu par la Caisse des dépôts et consignations - Faute partielle de la Caisse - Réduction du montant de l'indu - Annulation du jugement.

Son épouse, ouvrière de l'État, étant décédée, une pension de réversion a été concédée au requérant. Celui-ci n'a déclaré que treize ans après, à la Caisse des dépôts et consignations, organisme versant la pension, qu'il s'était remarié. La Caisse a réclamé la restitution des montants indus de pensions qu'il avait perçus soit 44026,66 euros.

On ne revient pas ici sur une part importante de la décision qui est consacrée à la résolution d'une délicate question de prescription, pour relever plutôt la circonstance que le juge, prenant en considération le fait que l'intéressé n'était pas de mauvaise foi et que la Caisse était fautive pour ne l'avoir point interrogé sur sa situation familiale, a réduit le montant de la restitution allouée à la Caisse à 29350,00 euros, soit une réduction d'un tiers de la dette.

(4 mars 2021, M. B., n° 433653)

(124) V. aussi, s'agissant du régime de la preuve de la durée minimale d'un mariage célébré en Algérie en vue de l'attribution d'une pension de réversion à la veuve d'un militaire : 4 mars 2021, Mme C., n° 434588.

 

125 - Officier du service de renseignement - Non-dénonciation d'activités suspectes de son futur beau-père - Sanction disciplinaire - Connaissance des faits par l'intéressé non établie - Annulation.

Un officier du renseignement a fait l'objet de la sanction de vingt jours d'arrêt pour n'avoir pas porté à la connaissance de ses supérieurs des éléments d'information qu'il détenait sur des agissements d'intelligence avec une puissance étrangère de son futur beau-père alors qu'il servait lui-même dans un service de renseignement à cette date. 

Relevant que l'administration du renseignement ne fournit aucun élément pour établir l'inaction du requérant, le juge annule la sanction.

En revanche, il refuse de lui accorder l'euro symbolique en réparation du préjudice moral subi par le demandeur faute qu'il ait sur ce point lié le contentieux par une demande préalable...

(4 mars 2021, M. A., n° 441755)

 

126 - Compétence du tribunal administratif en premier et dernier ressort - Litige portant sur le non-versement d'une prime - Litige étant sans finalité indemnitaire - Appel devant être porté devant la cour administrative d'appel.

Si les tribunaux administratifs, jusqu'à un certain montant, statuent en premier et dernier ressort sur les actions indemnitaires sous réserve d'un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État, cette règle dérogatoire n'est pas applicable à une contestation relative au non-versement d'une prime. En ce cas l'appel doit être porté devant la cour administrative d'appel.

(10 mars 2021, Mme C., n° 433225)

 

127 - Ouvrier de l'État (cuisinier) - Admission d'office à faire valoir ses droits à la retraite - Annulation de cette décision - Obligation de réintégration formelle - Absence - Annulation de l'arrêt d'appel imposant cette exigence.

Commet une erreur de droit l'arrêt d'appel qui, pour juger non exécutée une décision ordonnant la réintégration d'un agent admis à tort d'office à la retraite, juge que ne pouvait être prise qu'une "réintégration formelle" alors qu'une réintégration de fait suffit à considérer la décision de justice comme exécutée.

(4 mars 2021, Ministre des armées, n° 438372)

 

128 - Agent hospitalier - Auxiliaire de puériculture - Demande de reclassement sur un emploi sédentaire - Mise à la retraite pour limite d'âge - Statut particulier ne comportant pas d'indication sur la limite d'âge - Application des règles régissant les emplois de la fonction publique hospitalière classés dans la même catégorie - Erreur de droit - Annulation.

Voila une affaire peu banale de mise à la retraite pour limite d'âge d'un agent hospitalier, auxiliaire de puériculture, dont le statut particulier ne contient pas de dispositions relatives à la limite d'âge.

Le Conseil d’État juge qu'il faut en ce cas procéder par comparaison avec les règles de fixation de l'âge de départ à la retraite applicables dans les emplois de la fonction publique hospitalière classés dans la même catégorie que celle à laquelle appartient l'agent. En l'espèce, l'emploi occupé par l'agent relevait de la catégorie B dite "active" où la limite d'âge applicable est régie par les dispositions de l'art. 28 de la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites et non, contrairement à ce qui avait jugé par la cour administrative d'appel, par celles de l'art. 31 qui concerne les agents de catégorie "A".

L'annulation est prononcée avec renvoi de l'affaire à la cour.

(24 mars 2021, CHU de Toulouse, n° 421065)

 

Libertés fondamentales

 

129 - Covid-19 - Dispositions portant adaptation de règles de la procédure pénale pour cause d'épidémie - Délai d'exercice des voies de recours - Utilisation des techniques de communication audiovisuelle - Publicité restreinte ou supprimée des débats judiciaires - Entretien de garde à vue sous forme électronique ou téléphonique - Régime de prolongation des gardes à vue de certains mineurs - Règles dérogatoires de durée de détention provisoire ou d'assignation à résidence - Prolongation du délai des mesures de placement des mineurs délinquants -  Annulations partielles et réouverture des débats sur une éventuelle modulation des effets de celles-ci.

Les requérants demandaient l'annulation au fond de dix articles de l'ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale et de la circulaire du 26 mars 2020 de la ministre de la justice présentant les dispositions de cette ordonnance.

S'il rejette nombre de griefs, le juge des référés en retient un certain nombre parmi les plus importants. Il prononce l'annulation :

- de l'article 4 de l'ordonnance du 25 mars 2020 en tant qu'il ne prévoit pas la suspension des délais fixés par les dispositions du code de procédure pénale ou par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse pour l'exercice d'une voie de recours entre le 17 et le 26 mars 2020 lorsque le recours ne pouvait, en l'état des textes applicables, être exercé que par déclaration au greffe de la juridiction compétente et que le délai de recours était échu au cours de cette période ;

- de l'article 5 de cette ordonnance en ce qu'il ne soumet l'exercice de la faculté pour le juge d'imposer au justiciable le recours à des moyens de télécommunication audiovisuelle ou, le cas échéant, de communication téléphonique devant l'ensemble des juridictions pénales, à la seule exception des juridictions criminelles, à aucune condition légale et ne l'encadre par aucun critère. En raison de l'importance que revêt la garantie qui s'attache à la présentation physique du justiciable devant la juridiction pénale, les dispositions de cet article sont jugées porter une atteinte au droit à un procès équitable garanti par l'article 6 de la convention EDH que ne peut justifier le contexte de lutte contre l'épidémie de Covid-19;

- de l'article 16 de l'ordonnance attaquée en tant qu'il prévoit la prolongation de plein droit des délais maxima de détention provisoire pour une durée de deux, trois ou six mois, et de l'article 17 de cette ordonnance en tant qu'il allonge les délais d'audiencement dans le cadre des procédures de comparution immédiate et de comparution à délai différé pour les personnes placées en détention provisoire dans l'attente de l'audience de jugement, parce que, ce décidant, ces dispositions méconnaissent les stipulations du paragraphe 3 de l'article 5 de la convention EDH selon lesquelles : "3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1. c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l'intéressé à l'audience ". L'annulation concerne aussi l'article 15 de l'ordonnance ainsi que la circulaire du garde des sceaux du 26 mars 2020 en tant qu'ils concernent les dispositions de ces articles 16 et 17.

(5 mars 2021, Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation et autres, n° 440037 ; M. C., n° 440165, jonction)

 

130 - Prisons - Condition de vie et d'hygiène en milieu carcéral - Pouvoirs et office du juge du référé liberté - Exercice du pouvoir d'injonction.

Le requérant, détenu dans une prison de Polynésie française, a saisi le juge du référé liberté d'une série de demandes relatives à l'état, parfois déplorable, de ce service public.

C'est là une question récurrente et irritante à laquelle le juge s'efforce d'apporter quelque solution dans les étroites limites d'action qui sont les siennes.

Le juge rappelle, aux points 6 et 7 de son ordonnance, le cadre de son intervention : l'exigence d'une atteinte grave à une liberté fondamentale, l'exercice d'une juridiction du provisoire sauf si cela ne suffit pas à sauvegarder la liberté fondamentale en cause et qui peut aller jusqu'à ordonner, à titre provisoire, que soit prise une mesure d'organisation du service,  le bref délai de 48 heures, la prise en compte des efforts déjà faits par l'administration, des moyens dont elle dispose et du délai de mise en place des mesures éventuellement ordonnées, la faculté d'ordonner, dans des décisions ultérieures, des mesures complémentaires, le pouvoir d'enjoindre et d'ordonner sous astreinte, etc.

En l'espèce, il est fait injonction aux autorités pénitentiaires de demander à leur prestataire de modifier les méthodes qu'il utilise afin de renforcer l'efficacité de la lutte contre les rats dans la cour de promenade et les coursives d'un bâtiment du centre pénitentiaire ; de procéder à un curage toutes les semaines des canalisations d'évacuation des eaux usées situées dans la cour de promenade d'un bâtiment ; de modifier l'aménagement des parloirs afin de permettre une qualité de communication correcte entre les détenus et leurs visiteurs.

(2 mars 2021, M. A., n° 449514)

 

Police

 

131 - Traitement de données à caractère personnel - Prévention et lutte contre les violences collectives lors de manifestations sportives - Existence d'autres traitements de données personnelles dédiés aux violences commises par des supporters - Rejet.

(ord. réf. 2 mars 2021, Association nationale des supporters, n° 449429)

V. n° 10

 

132 - Services d'ordre assurés par la police ou la gendarmerie pour le compte de personnes privées - Mise à leur charge des dépenses induites par l'accomplissement de missions excédant les obligations légales des forces de l'ordre - Missions ne plaçant pas les forces de l'ordre sous l'autorité de personnes privées - Charge de ces dépenses ne rompant pas l'égalité devant les charges publiques - Rejet de la QPC.

L'article L. 211-11 du code de la sécurité intérieure dispose que : " Les personnes physiques ou morales pour le compte desquelles sont mis en place par les forces de police ou de gendarmerie des services d'ordre qui ne peuvent être rattachés aux obligations normales incombant à la puissance publique en matière de maintien de l'ordre sont tenues de rembourser à l'État les dépenses supplémentaires qu'il a supportées dans leur intérêt ".

La requérante conteste la constitutionnalité de cette disposition et soulève de ce chef une QPC que le Conseil d’État rejette.

Tout d'abord, de ce qu'une circulaire serait irrégulière en tant qu'elle commente cette disposition il ne s'ensuit pas l'inconstitutionnalité de cette dernière.

Ensuite, il est à nouveau rappelé qu'il n'est pas possible d'invoquer l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité ou d'intelligibilité de la loi au soutien d'une QPC.

Egalement, la circonstance que des personnes privées puissent bénéficier de services d'ordre assurés par les forces de police ou de gendarmerie n'a pas pour effet de placer ces dernières sous l'autorité de ces personnes. L'inconstitutionnalité invoquée de ce chef n'existe pas.

Enfin, concernant la mise à la charge de ces personnes privées des frais engendrés par la mise en oeuvre de ces services d'ordre ne porte pas atteinte au principe d'agalité devant les charges publiques, d'une part parce que l'initiative d'y recourir appartient aux seules personnes privées le désirant, et d'autre part, parce que seule est mise à la charge de ces personnes la partie des frais excédant ceux résultant de l'accomplissement de missions d'intérêt général.

(16 mars 2021, Société d'exploitation de l'Arena, n° 448010)

 

133 - Personnes handicapées - Détention d'une carte de stationnement pour personnes handicapées ou d'une carte mobilité inclusion avec mention "stationnement pour personnes handicapées " - Gratuité du stationnement - Absence d'apposition de la carte contre le pare-brise du véhicule - Circonstance sans incidence sur le droit à gratuité - Rejet.

Le Conseil d’État juge que le droit à la gratuité du stationnement sur les emplacements publics institué en faveur des véhicules des personnes handicapées ou destinés à leur transport est lié seulement à la détention d'une carte de stationnement pour personnes handicapées ou d'une carte mobilité inclusion avec mention "stationnement pour personnes handicapées" et non, en outre, à l'apposition de cette carte contre la face interne du pare-brise du véhicule.

Solution généreuse mais peu réaliste au regard de l'exigence de contrôle et du risque avéré de fraude.

(24 mars 2021, Commune de Tours, n° 428742)

(134) Voir, par comparaison, la solution retenue lorsque l'accompagnateur de la personne handicapée titulaire de la carte omet d'enregistrer son stationnement par horodateur ou système dématérialisé alors que la commune avait fixé une durée maximale de stationnement gratuit de vingt-quatre heures pour les personnes titulaires d'une carte de stationnement pour personnes handicapées ou pour les tierces personnes les accompagnant et imposé à celles-ci de déclarer le début de leur stationnement par horodateur ou système dématérialisé : 24 mars 2021, Commune de Marseille, n° 431132.

 

Professions réglementées

 

135 - Référé suspension - Masseur-kinésithérapeute - Refus d'inscription à un tableau départemental de l'ordre - Praticien sous le coup d'une interdiction d'exercer - Absence d'urgence à statuer - Rejet.

Est rejeté pour défaut d'urgence le référé tendant à la suspension d'un refus d'inscrire un masseur-kinésithérapeute sur un tableau départemental de l'ordre, l'intéressé se trouvant sous le coup d'une interdiction d'exercer sa profession durant seize mois.

(2 mars 2021, M. B., n° 449945)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

136 - Services d'ordre assurés par la police ou la gendarmerie pour le compte de personnes privées - Mise à leur charge des dépenses induites par l'accomplissement de missions excédant les obligations légales des forces de l'ordre - Missions ne plaçant pas les forces de l'ordre sous l'autorité de personnes privées - Charge de ces dépenses ne rompant pas l'égalité devant les charges publiques - Rejet de la QPC.

(16 mars 2021, Société d'exploitation de l'Arena, n° 448010) V. n° 132

 

Responsabilité

 

137 - Préjudice lié à une hospitalisation - Evaluation du taux de perte de chance - Application de ce taux à l'état de santé ainsi qu'aux frais exposés par la victime - Erreur de droit - Cassation partielle sans renvoi.

Commet une erreur de droit la juridiction  qui, après avoir estimé à 85% la perte de chance d'éviter une aggravation de l'état de santé de la demanderesse du fait des conditions de prise en charge au CHU de Caen, applique ce taux non seulement aux préjudices affectant son état de santé mais également aux frais exposés par elle pour se faire assister de trois médecins-conseils et pour ses déplacements afin de se rendre aux réunions d'expertise, alors que ces derniers frais doivent être entièrement remboursés.

(10 mars 2021, Mme B., n° 433790)

 

138 - Agent public - Éducation nationale - Retard dans la prise du décret d'exécution d'une loi - Perte d'une chance sérieuse d'être titularisé - Absence d'examen de l'existence de cette perte - Cassation dans cette mesure.

Dans le cadre d'un litige portant sur le retard mis par l'État à prendre le décret d'application de la loi du 11 janvier 1984 en vue de permettre la titularisation de certains agents, les parties, dont l'État défendeur, n'avaient pas contesté le motif du jugement du 5 juillet 2016 par lequel le tribunal administratif de Lille avait jugé que lors de la demande faite par l'intéressé en 1987, l'abstention de l'État, au-delà d'un délai raisonnable, à avoir pris le décret d'application nécessaire à la titularisation des agents contractuels dans les corps de catégories A et B relevant du ministère de l'éducation nationale était fautive. Le Conseil d’État censure l'erreur de droit commise par la cour administrative d'appel en se bornant à juger qu'il n'était pas alors légalement possible que celui-ci soit titularisé sans rechercher si la faute commise par l'État ne l'avait pas privé d'une chance sérieuse de l'être. 

(11 mars 2021, Mme C., n° 433065)

 

139 - Évaluation de l'indemnisation - Préjudice de même nature que celui dont souffrait la victime antérieurement à l'accident - Lien direct entre préjudice et accident - Interdiction d'évaluer un préjudice global par retranchement de celui-ci du préjudice existant - Annulation sans renvoi, réglement de l'affaire au fond.

L'intéressé, ouvrier professionnel qualifié dans un centre hospitalier, a perdu la vue de son oeil gauche par suite d'un décollement de la rétine en 2004. En 2007, un accident de service lui fait perdre également la vision par son oeil droit. Devenu aveugle, se pose la question de l'évaluation du préjudice en vue de son indemnisation.

Le Conseil d’État pose, pour la première fois, le principe suivant en ces termes : " Pour évaluer le montant de l'indemnité due au titre du préjudice de déficit fonctionnel permanent imputable à un accident alors que la victime souffrait antérieurement d'une infirmité de même nature, il appartient aux juges du fond de se livrer, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de l'espèce, à une estimation du préjudice de déficit fonctionnel permanent résultant directement de l'événement ayant causé la nouvelle infirmité."

La cour administrative d'appel, pour calculer ce préjudice, avait déterminé le préjudice global résultant de la cécité totale dont elle avait déduit le préjudice résultant de la cécité de l'oeil gauche. Le Conseil d’État reproche à cette solution de ne pas reposer sur une évaluation directe du seul préjudice résultant de la cécité consécutive à l'accident de service. Pour autant, se perçoit bien lalimite de cette critique lorsqu'on lit ensuite comment procède le Conseil d’État. Celui-ci écrit : " Il résulte de l'instruction et notamment des rapports d'expertise, que M. A. souffre, en raison de sa cécité totale, d'un taux de déficit fonctionnel permanent de 85%. Compte tenu, d'une part, du montant de l'indemnisation correspondant à un tel taux de déficit fonctionnel permanent pour une personne de son âge et, d'autre part, de la circonstance qu'il souffrait, avant l'accident en litige, d'un déficit fonctionnel permanent lié à la perte totale d'un de ses deux yeux, il sera fait, eu égard à l'indemnisation correspondant à cette infirmité d'un oeil, une juste appréciation de ce chef de préjudice en le fixant à 250 000 euros."

En réalité, il est aisé de relever que la perte d'un second oeil conduisant à une cécité totale est un préjudice bien plus important que la perte de deux fois un seul oeil.

(24 mars 2021, M. A., n° 428924)

 

Santé 

 

140 - Référé liberté - Arrêt des traitements de suppléance des fonctions vitales - Invocation de l'obstination déraisonnable - Conditions de mise en oeuvre - Mesure d'instruction ordonnée - Suspension de l'arrêt des traitements.

Nouvelle illustration d'une situation devenue si fréquente qu'elle en revêt une banalité tragique : une équipe médicale décide, au nom du refus de l'obstination déraisonnable, d'arrêter les traitements de suppléance des fonctions vitales d'un patient tandis que sa famille s'y oppose.

Cette dernière saisit le Conseil d’État d'un recours en annulation de l'ordonnance de référé rejetant sa demande de suspension de la décision d'arrêter les soins.

Le juge rappelle dans les termes suivants le protocole à suivre et les exigencers impératives qu'il comporte :

" 6. Pour apprécier si les conditions d'un arrêt des traitements de suppléance des fonctions vitales sont réunies s'agissant d'un patient victime de lésions cérébrales graves, quelle qu'en soit l'origine, qui se trouve dans un état végétatif ou dans un état de conscience minimale le mettant hors d'état d'exprimer sa volonté, le médecin en charge doit se fonder sur un ensemble d'éléments, médicaux et non médicaux, dont le poids respectif ne peut être prédéterminé et dépend des circonstances particulières à chaque patient, le conduisant à appréhender chaque situation dans sa singularité. Les éléments médicaux doivent couvrir une période suffisamment longue, être analysés collégialement et porter notamment sur l'état actuel du patient, sur l'évolution de son état depuis la survenance de l'accident ou de la maladie, sur sa souffrance et sur le pronostic clinique. Une attention particulière doit être accordée à la volonté que le patient peut avoir exprimée, par des directives anticipées ou sous une autre forme.

7. Enfin, si l'alimentation et l'hydratation artificielles ainsi que la ventilation mécanique sont au nombre des traitements susceptibles d'être arrêtés lorsque leur poursuite traduirait une obstination déraisonnable, la seule circonstance qu'une personne soit dans un état irréversible d'inconscience ou, à plus forte raison, de perte d'autonomie la rendant tributaire d'un tel mode d'alimentation, d'hydratation et de ventilation ne saurait caractériser, par elle-même, une situation dans laquelle la poursuite de ce traitement apparaîtrait injustifiée au nom du refus de l'obstination déraisonnable."

Cette rédaction témoigne d'une exigence accrue des juges à l'égard des décisions du corps médical, peut-être même d'un certain raidissement, le point 7 est, à cet égard, éloquent et en forme d'avertissement.

Constatant être saisi d'appréciations contradictoires entre celles données par la requérante et sa famille et celles fournies par le groupe hospitalier universitaire (GHU) Paris - Psychiatrie et Neurosciences, le juge ordonne une mesure d'instruction à fin de désignation d'un expert disposant de compétences reconnues en neurosciences.

La suspension de l'arrêt des traitements est ordonnée.

(ord. réf. 8 mars 2021, Mme Sylvie Hannion, n° 449834)

 

141 - Référé liberté - Vaccination contre le Covid-19 - Convention conclue entre l'État et une société prestataire - Société recourant aux services d'un hébergeur de données personnelles basé aux États-Unis - Incompatibilité avec le règlement général sur la protection des données (RGPD) - Absence en raison des mesures prises par la société cocontractante avec l'État - Rejet.

(ord. réf. 12 mars 2021, Association InterHop et autres, n° 450163)

V. n° 12

 

142 - Spécialité pharmaceutique - Demande d'inscription d'une spécialité sur la liste de celles agréées pour les collectivités publiques - Refus - Motivation - Appréciation du service médical rendu par cette spécialité - Rejet.

Les requérantes demandaient l'annulation de la décision interministérielle du 11 avril 2019 refusant l'inscription de la spécialité Reverpleg 40 U.I/2ml, sur la liste des spécialités pharmaceutiques agréées à l'usage des collectivités publiques prévue à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique, ainsi que la décision implicite de rejet de leur recours gracieux formé le 7 juin 2019.

Deux moyens principaux étaient développés au soutien du recours.

En premier lieu, était critiquée la motivation des décisions attaquées, ce grief est rejeté car le juge relève l'existence d'une motivation suffisante notamment par appropriation de l'avis frendu à ce sujet par la Haute autorité de santé ; il rappelle que l'exigence de motivation ne s'impose qu'à la décision contestée non au rejet du recours gracieux formé contre cette décision.

En second lieu, il ressort de l'examen des pièces que le motif tiré de ce que le médicament en cause, d'une part, n'a une efficacité hémodynamique que sur le maintien d'une pression artérielle moyenne cible de plus de 65 mmHg chez des patients ayant déjà un choc septique stabilisé, qui ne présentent donc pas d'hypotension réfractaire aux catécholamines et, d'autre part, que celui-ci n'a pas un effet réducteur de la morbi-mortalité des patients démontrée d'une manière statistiquement significative. Aucune erreur manifeste d'appréciation n'est ainsi relevée cdans les décisions attaquées.

(17 mars 2021, SAS Amomed Pharma et Centre spécialités pharmaceutiques, n° 435139)

(143) V. aussi, assez comparable mutatis mutandis : 17 mars 2021, Société Bayer Healthcare, n° 436965.

 

Service public

 

144 - Enseignement privé hors contrat - Organisation d'une épreuve optionnelle au baccalauréat - Différence de régime par rapport à l'enseignement public et à l'enseignement privé sous contrat - Atteinte au principe d'égalité devant les examens et concours publics - Absence.

Cette décision soulève une question récurrente concernant la place faite par notre droit à l'enseignement privé hors contrat. D'un côté est reconnue la liberté fondamentale d'organisation et de fonctionnement d'un enseignement privé ne faisant pas appel à l'argent public car situé hors contrat, d'un autre côté sont sans cesse portés des coups de canif à une prétendue égalité sans cesse grignotée par l'administration confortée par le juge. C'est une situation malsaine et dangereuse. Malsaine car il faut appeler un chat un chat et dissocier complètement le pouvoir de contrôle de l'État de la condition juridique de l'enseignement privé, qu'il soit sous ou hors contrat : il suffirait de dire que, s'agissant des conditions morales, de programme, d'hygiène et de sécurité, l'étendue du contrôle exercé est la même quelle que soit la nature, publique ou privée, de l'établissement. En se comportant de façon beaucoup plus insidieuse l'État court un danger, celui de se voir accusé, avec succès, de vider de sa substance la liberté prétendument reconnue.

L'association requérante  demandait, par voie de référé liberté, que soient étendues  aux élèves de l'enseignement privé hors contrat ayant choisi l'enseignement optionnel " Langues et cultures de l'Antiquité " les modalités d'évaluation applicables pour cette épreuve optionnelle aux élèves de l'enseignement public et de l'enseignement privé sous contrat telles qu'elles sont contenues dans  l'arrêté du 31 décembre 2018 modifiant l'arrêté du 16 juillet 2018 relatif aux épreuves du baccalauréat général à compter de la session de 2021.

Pour rejeter ce recours, le Conseil d’État retient tout d'abord que la liberté laissée aux  établissements hors contrat en matière de programmes d'enseignement et de déroulement de la scolarité pour l'enseignement du second degré, la faculté de prévoir des modalités distinctes de fixation de la note de contrôle continu du baccalauréat selon que l'établissement est public ou privé sous contrat ou, au contraire hors contrat, " ne méconnaît ni la liberté de l'enseignement, ni la liberté d'expression et de conscience, ni l'intérêt supérieur de l'enfant".

Ensuite, le juge tire de là que la circonstance que la note de contrôle continu prévue à l'article 1er de l'arrêté du 16 juillet 2018 soit fixée, pour les candidats inscrits dans les établissements hors contrat en tenant compte des notes obtenues par eux aux évaluations ponctuelles prévuesce texte n'est pas de nature à porter atteinte au principe d'égalité entre les candidats au baccalauréat.

Avouons qu'aussi bien la première proposition que la seconde peinent à convaincre. On voudrait pousser les établissements hors contrat à contracter que l'on ne s'y prendrait pas autrement. Que reste-t-il de la "substance" du droit qui leur est reconnu d'exister ? Qu'en penserait la Cour EDH éventuellement saisie ?

(ord. réf. 4 mars 2021, Association Civitas, n° 449467)

 

Sport

 

145 - Traitement de données à caractère personnel - Prévention et lutte contre les violences collectives lors de manifestations sportives - Existence d'autres traitements de données personnelles dédiués aux violences commises par des supporters - Rejet.

(ord. réf. 2 mars 2021, Association nationale des supporters, n° 449429) V. n° Informatique

 

146 - Fédération française de rugby - Contrat conclu avec une société de droit irlandais - Organisation de la coupe du monde de rugby 2007 - Perception de revenus de billetterie et de compétition - "Redevance de tournoi" versée par la Fédération à la Société - Redevance contrepartie de la concession du droit incorporel d'orgnisation - Assujettissement à la TVA - Invocations impossibles d'une doctrine fiscale et du principe de confiance légitime - Substitution de motif - Rejet.

(25 mars 2021, Fédération française de rugby, liquidateur du groupement d'intérêt public (GIP) " Coupe du monde de rugby 2007 ", n° 438050) V. n° Dr F

 

Travaux publics et expropriation

 

147 - Expropriation - Arrêté de cessibilité - Parcelles constituant un "patecq" - Terrain en indivision perpétuelle et forcée - Obligation d'identifier toutes parties de parcelles et tous les co-indivisaires du patecq - Absence - Annulation de l'arrêt sans renvoi.

Dans le cadre d'une procédure d'expropriation des terrains nécessaires au réaménagement de la place de la mairie de la commune de Taradeau en vue de réaliser un espace public piétonnier avec rampe d'accès à cette place, a été pris un arrêté de cessibilité. Celui-ci portait notamment sur un terrain constituant un "patecq" c'est-à-dire une indivision perpétuelle et forcée. Il était reproché à l'arrêté préfectoral de cessibilité de n'avoir point, en violation des dispositions de l'art. R.11-28 du code de l'expropriation, identifié les différentes parcelles constituant le terrain à exproprier ainsi que les différents co-indivisaires.

Annulant l'arrêt d'appel qui s'était mépris sur la portée des écritures déposées par les requérants, le Conseil d’État confirme le jugement de première instance qui avait estimé que l'omission, dans l'arrêté de cessibilité litigieux, de mentionner l'ensemble des propriétaires indivis ne satisfaisait pas aux exigences de l'article précité.

(2 mars 2021, M. J. et autres, n° 437392)

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

148 - Règles particulières de procédure - Obligation de notification du recours (gracieux et/ou contentieux) au pétitionnaire (art. R. 600-1 c. urb.) - Absence - Irrecevabilité opposée à tort - Recours non dirigé contre un permis de construire - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation.

Dénature les pièces du dossier qui lui est soumis le juge qui déclare irrecevable un recours prétendument dirigé contre un permis de construire pour n'avoir pas fait l'objet d'une notification au pétitionnaire alors que le recours gracieux contestait la délibération du conseil municipal approuvant la procédure de mise en compatibilité du plan local d'urbanisme engagée sur le fondement de l'article L. 300-6-1 du code de l'urbanisme.

(3 mars 2021, Association Sauvons la forêt valbonnaise, n° 431525)

 

149 - Règles particulières de procédure - Compétence du tribunal administratif en premier et dernier ressort (R. 811-1-1 cja) - Compétence dérogatoire d'interprétation stricte - Attribution du litige à une cour.

Le Conseil d’État rappelle que les dispositions de l'art. R. 811-1-1 cja qui attribuent aux tribunaux administratifs, jusqu'au 31 décembre 2022, la compétence en premier et dernier ressort pour connaître des recours dirigés contre les permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d'habitation ou contre les permis d'aménager un lotissement lorsque le bâtiment ou le lotissement est implanté en tout ou partie sur le territoire de certaines communes sont, parce que dérogatoires, d'interprétation stricte. Elles ne s'appliquent donc pas aux jugements statuant sur des recours formés contre des refus d'autorisation.

C'est pourquoi la présente affaire est soumise au droit commun, l'appel relevant non du Conseil d’État mais d'une cour administrative d'appel.

(3 mars 2021, Commune de La Garde, n° 441112)

(150) V. aussi, pour un autre cas d'inapplication de l'art. R. 811-1-1 cja : 3 mars 2021, Préfet de la Charente-Maritime, n° 445809.

 

151 - Routes et autoroutes - Création d'une liaison routière à deux fois deux voies - Légalité externe projet - Légalité interne du projet - Rejet.

Le présent arrêt concerne le contentieux né du projet de mise à deux fois deux voies, sous forme de liaison autoroutière, de la route conduisant de Castres à Verfeil.

Le recours est rejeté car les arguments de légalité externe comme ceux de légalité interne n'ont pas convaincu le juge.

Au plan de la légalité externe, le contreseing du ministre chargé de l'urbanisme n'était pas requis; la composition de la commission d'enquête n'était pas irrégulière du seul fait que plusieurs de ses membres étaient des retraités de la fonction publique; l'étude d'impact est suffisamment détaillée et précise au regard des objectifs qui lui sont assignés et compte tenu des précisions complémentaires apportées dans le cadre de l'enquête publique ; l'évaluation socio-économique est globalement satisfaisante en tant qu'elle informe suffisamment les participants à l'enquête et qu'elle n'est pas susceptible, en dépit de quelques insuffisances, de les induire en erreur ; le déroulement de l'enquête publique n'est pas entaché des irrégularités prétendues par les requérants et la création d'un échangeur ne constituant pas une modification substantielle du projet il n'y a pas lieu de procéder à une seconde enquête publique ; enfin, la Commission européenne n'avait pas à être consultée contrairement à ce que prétendent les demandeurs.

Au plan de la légalité interne, d'une part, l'importance qui s'attache à ce projet combiné avec les inconvénients qu'il peut comporter ne lui retire pas son caractère d'utilité publique, d'autre part, les articles L. 212-1 et L. 215-13 du code de l'environnement, contrairement à ce qui est soutenu, ne sont pas méconnus : la déclaration d'utilité publique de travaux autoroutiers ne constitue pas une décision prise "dans le domaine de l'eau" au sens de ces dispositions et il ne résulte pas des textes que la déclaration d'utilité publique de travaux de dérivation des eaux impliqués par la réalisation d'un projet déclaré d'utilité publique doive être préalable à la déclaration d'utilité publique du projet.

(5 mars 2021, Commune de Bonrepos Riquet et autres, n° 424323 ; Associations France nature environnement Midi-Pyrénées et Nature en Occitanie, n° 424356 ; Association La coulée verte, n° 424375, jonction)

 

152 - Permis de construire - Permis de régularisation - Utilisation successive de l'art. L. 600-5-1 puis L. 600-5 du code de l'urbanisme - Respect du droit à recours effectif - Importance des effets de la régularisation sur le projet objet du permis de construire - Rejet.

Il est parfois permis de se demander s'il existe encore, pleinement, un contentieux de l'urbanisme tant il est devenu difficile pour un requérant d'obtenir l'annulation d'un permis de construire ou d'une procédure juridictionnelle portant sur un tel permis.

Une société avait obtenu le 25 avril 2018 un permis de construire en vue de l'édification de deux maisons individuelles et de la création de deux logements supplémentaires dans un bâtiment existant, puis un permis de construire modificatif le 30 mai 2018.

Le tribunal administratif, statuant sur le premier permis de construire, sur le fondement de l'art. L. 600-5-1 c. urb., avait sursis à statuer dans l'attente d'un permis de régularisation. Ce permis obtenu, son annulation a été demandée à ce juge. Le tribunal l'a annulé et, sur le fondement cette fois de l'art. L. 600-5 c. urb., a sursis à statuer dans l'attente de la délivrance d'un permis de régularisation.

Saisi d'un pourvoi de la demanderesse le Conseil d’État apporte deux séries de précisions.

1°/ Les premiers juges n'ont pas commis d'erreur de droit en décidant, par un premier jugement, de surseoir à statuer sur le fondement de l'art. L. 600-5-1 c. urb. puis, par un second jugement et alors qu'ils constataient l'irrégularité du permis de régularisation pour un autre vice que celui ayant entraîné l'annulation du permis initial, de surseoir à nouveau à statuer pour régularisation, sur le fondement de l'art. L. 600-5 c. urb. L'intéressée pouvant saisir le juge administratif dans les deux cas il n'est nullement porté atteinte à son droit à un recours effectif.

2°/ De façon assez subtile en pratique, le juge indique qu'un vice entachant le bien-fondé d'un permis de construire peut être régularisé même dans le cas où cette régularisation implique de revoir l'économie générale du projet en cause, sous une double limite.

D'une part, il faut que les règles d'urbanisme en vigueur à la date à laquelle le juge statue permettent cette mesure de régularisation et d'autre part, cette dernière  ne doit pas impliquer qu'il soit apporté à ce projet un bouleversement tel qu'il en changerait la nature même.

La différence entre revoir l'économie générale d'un projet d'urbanisme (ce qui est permis) et bouleverser ledit projet (ce qui est interdit) ne va pas de soi.

(17 mars 2021, Mme C., n° 436073)

 

153 - Exception d'illégalité ou contestation du refus d'abroger un acte prétendu irrégulier - Moyens seuls invocables - Effets sur l'art. L. 600-1 c. urb. - Rejet.

Rappel de ce qu'en cas de contestation d'un acte réglementaire intervenant après l'expiration du délai de recours contentieux contre cet acte, soit par voie d'exception soit au moyen d'un recours pour excès de pouvoir contre le refus de l'abroger, la légalité des règles qu'il fixe, la compétence de son auteur et l'existence d'un détournement de pouvoir peuvent être utilement critiquées. En revanche, les conditions d'édiction de cet acte, les vices de forme et de procédure dont il serait entaché ne peuvent être utilement invoqués que dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre cet acte réglementaire lui-même et à condition qu'il ait été introduit avant l'expiration du délai de recours contentieux.

L'art. L. 600-1 du code de l'urbanisme prévoit que certains vices de forme affectant la légalité d'un plan local d'urbanisme (PLU) peuvent être invoqués par voie d'exception sans condition de délai. Cette règle ne concerne pas le contentieux né du refus d'abrogation d'un PLU.

Il s'ensuit qu'en ce dernier cas c'est le droit commun ci-dessus rappelé qui s'applique.

(24 mars 2021, M. A. c/ Commune de Saint-Sauveur-de-Puynormand, n° 428462)

 

154 - Taxe d'aménagement - Assiette - Notion de reconstruction - Détermination de l'assiette de la taxe en ce cas - Substitution de motifs - Rejet.

La taxe d'aménagement est due en cas de construction, de reconstruction et d'agrandissement des bâtiments, installations ou aménagements de toute nature soumises à un régime d'autorisation en vertu du code de l'urbanisme.

En l'espèce, il fallait, d'une part, déterminer la nature de l'opération assujettie à cette taxe et d'autre part, calculer cette dernière.

Pour qu'une opération soit qualifiée de "reconstruction", le Conseil d’État relève qu'elle doit comporter la construction de nouveaux bâtiments à la suite de la démolition totale des bâtiments existants, ce qui était bien le cas dans chacune de ces affaires jointes.

Ensuite, pour le calcul de l'assiette de la taxe, le juge estime qu'elle est constituée par la surface totale des constructions nouvelles sans déduction de la surface détruite.

(25 mars 2021, Société Villa Florence, n° 431603 ; Société Les Terrasses de Lauga, n° 431605 ; Société L'Amiral, n° 431606 ; Société Villa Irrika, n° 431607 ; Société Meridiana, n° 431609, jonction)

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Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Février 2021

Février 2021

  

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Décret portant reconnaissance de l'utilité publique d'une association - Demande de retrait d'agrément en cette qualité - Refus de prendre un décret - Décret non réglementaire - Absence de compétence directe du Conseil d’État en premier ressort - Renvoi au tribunal administratif de Paris.

Le décret reconnaissant la qualité d'utilité publique d'une association n'a pas de caractère réglementaire et il en va de même du refus implicite de prendre le décret retirant cet agrément. Dès lors le recours tendant à l'annulatiuon de ce refus est mal dirigé en tant qu'il est porté en premier ressort devant le Conseil d’État.

Renvoi de l'affaire au tribunal administratif de Paris, dans le ressort duquel a son siège l'autorité qui a pris la décision implicite de refus.

(4 février 2021, M. B., n° 436911)

 

2 - Détenu - Sanction disciplinaire - Composition de la commission de discipline - Irrégularité affectant une garantie offerte au détenu - Annulation de l'arrêt d'appel.

Le code de procédure pénale prévoit que la commission disciplinaire appelée à connaître des fautes commises par les personnes détenues doit comprendre une personne extérieure à l'administration pénitentiaire. Le Conseil d’État y voit, à juste titre, une garantie reconnue au détenu alors même que cette personne n'a qu'une voix consultative.

En l'espèce, l'absence d'un tel assesseur a constitué, contrairement à ce qu'a jugé l'arrêt d'appel infirmatif, une irrégularité, d'où l'annulation de cet arrêt.

(5 février 2021, M. B., n° 434659)

 

3 - Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) - Réunion des collèges du CSA - Respect des dispositions de l'art. 4 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication - Procès-verbal des réunions desdits collèges - Absence de certaines mentions - Mentions non obligatoires - Annulation.

(16 février 2021, Société Catalogne Informations, n° 439435) V. n° 10

 

4 - Référé suspension d'une décision implicite - Décision ministérielle refusant implicitement de prendre les mesures d'exécution d'un décret - Injonction demandée en ce sens - Mesures d'exécution non nécessaires - Mesures relevant de la compétence des recteurs - Rejet.

Le syndicat demandeur poursuivait la suspension de la décision implicite du ministre de l'éducation nationale, rejetant sa demande tendant à ce que soient prises les mesures d'application qu'implique nécessairement le décret du 31 juillet 2015 relatif aux maîtres délégués des établissements d'enseignement privés sous contrat d'association du 1er degré en tant qu'il les rend éligibles à l'avancement au choix. Il demandait également la prise d'injonctions dans le délai d'un mois à compter de la décision à intervenir, afin que le ministre, d'une part, prenne les mesures nécessaires pour que, à l'occasion de la campagne d'avancement 2020-2021, le droit des maîtres délégués à bénéficier d'un avancement au choix soit respecté, et d'autre part, reconstitue les tableaux d'avancement avec effet rétroactif et en prenant en compte l'avancement au choix des maîtres délégués au titre des années 2017-2018, 2018-2019 et 2019-2020.

L'ensemble de ces demandes est rejeté.

Tout d'abord, le Conseil d'État juge inutile d'ordonner la prise de mesures d'exécution du décret du 31 juillet 2015 car il ne ressort pas des dispositions de ce texte qu'il ne puisse être appliqué en l'état ; en l'état de l'instruction il n'appelle pas, sur ce point, de mesures réglementaires d'application.

Ensuite, il n'est pas davantage nécessaire que soit prise une instruction à destination des recteurs leur impartissant de prendre les mesures réclamées par le syndicat car elles relèvent de la compétence des recteurs et que, d'ailleurs, une circulaire en ce sens a déjà été adressée aux recteurs en novembre 2015.

Au passage, le juge rappelle une constante du droit administratif : l'administration n'est jamais tenue de faire connaître à ses agents l'interprétation qu'elle retient de l'état du droit.

(16 février 2021, Syndicat National de l'Enseignement Chrétien - Confédération des Travailleurs Chrétiens, n° 449135)

 

5 - Référé suspension - Légalisation des actes publics pris par une autorité étrangère - Régime juridique issu du décret du 10 novembre 2020 - Caractère obligatoire de la légalisation - Autorités de légalisation - Rejet.

Les organisations requérantes demandaient la suspension de l'exécution des articles 3 et 4 du décret du 10 novembre 2020 relatif à la légalisation des actes publics établis par une autorité étrangère pris pour l'exécution du II de l'art. 16 de la loi du 23 mars 2016 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, qui dispose : "Sauf engagement international contraire, tout acte public établi par une autorité étrangère et destiné à être produit en France doit être légalisé pour y produire effet."

La légalisation est la formalité par laquelle est attestée la véracité de la signature, la qualité en laquelle le signataire de l'acte a agi et, le cas échéant, l'identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu.

Un décret en Conseil d'État précise les actes publics concernés par le présent II et fixe les modalités de la légalisation". Ce mécanisme succède d'abord au régime de légalisation instauré par le titre IX du Livre 1er de l'ordonnance de la marine de 1681 puis, après l'abrogation de celui-ci par le II de l'article 7 de l'ordonnance du 21 avril 2006, en vertu d'une jurisprudence constante du juge judiciaire, sur le fondement d'une coutume internationale.

Il est tout d'abord clair que ne saurait sérieusement être contestée la compétence du pouvoir réglementaire pour prendre ce décret.

Ensuite, le régime français de légalisation des actes pris par une autorité étrangère s'applique sous réserve d'engagement international contraire, ainsi de l'article 8 de la convention relative à la coopération internationale en matière d'aide administrative aux réfugiés, signée à Bâle le 3 septembre 1985, ratifiée et entrée en vigueur en France, dispensant de toute légalisation ou de toute formalité équivalente sur le territoire de chacun des États liés par cette convention les documents concernant l'identité et l'état civil des réfugiés qui émanent de leurs autorités d'origine.

Également, les requérantes ne peuvent soutenir que la seule circonstance que le législateur n'ait pas dispensé de légalisation les actes d'état civil produits en justice par des mineurs étrangers dans le cadre d'une demande de mesure d'assistance éducative ou dans des contentieux d'urgence les concernant ferait, par elle-même, obstacle à ce que la protection à laquelle les intéressés ont droit soit le cas échéant assurée ou à ce qu'ils bénéficient des garanties attachées à leur minorité comme c'était d'ailleurs également le cas sous l'empire des régimes antérieurs de légalisation ayant existé d'août 1681 à 2006 puis de 2006 à 2021.

La légalité du décret attaqué ne souffre pas de doute sérieux.

Enfin, les requérantes contestaient les modalités de la légalisation en ce que celle-ci est réservée aux autorités diplomatiques et consulaires françaises et non, sauf rares exceptions, ouverte également aux autorités diplomatiques et consulaires de l'État d'émission en France. Contrairement à ce qui est soutenu la solution préconisée ne repose sur aucune coutume internationale qui inclurait l' "usage diplomatique" qu'évoque  l'instruction générale relative à l'état civil du 11 mai 1999. Le principe de l' "égalité souveraine des États" n'y fait pas davantage obligation.

Pour finir, la solution retenue par le décret se justifie par la nécessité de vérifier l'authenticité des actes, de leurs auteurs et de leurs contenus et elle n'aboutit pas à ce que les légalisations soient délivrées au terme d'un délai déraisonnable.

(ord. réf. 12 février 2021, Groupe d'information et de soutien des immigré.e.s et syndicat des avocats de France, n° 448294 ;  et Association Avocats pour la défense des droits des étrangers et autre, n° 448307)

 

6 - Référé liberté - Inscription d'une formation sur la plateforme Parcoursup - Refus ne constituant pas une décision réglementaire - Incompétence du Conseil d'État saisi en premier et dernier ressort - Rejet.

Un organisme de formation conteste directement devant le Conseil d'État le refus tacite du ministre de l'éducation d'inscrire les formations qu'il dispense sur la plateforme Parcoursup, parce qu'il voit dans ce refus une décison réglementaire en raison de son caractère général et impersonnel.

L'argumentation est rejetée car " la circonstance que le recours à l'encontre de cet acte soit introduit par un syndicat, à l'égard duquel l'acte aurait une portée générale, et, ne le concernant que par l'intermédiaire de ses membres, impersonnelle, est dénuée d'incidence sur la nature de l'acte, qui ne dépend pas du rapport qu'un requérant entretient avec son contenu". Cette formulation est d'une grande importance, elle rappelle la place majeure du critère organique : ce n'est ni son contenu ni la qualité ou la nature juridique de ses destinataires qui confère à celui-ci sa nature juridique, réglementaire ou non, mais seulement la qualité de l'auteur de l'acte.

Faute que l'acte soit réglementaire, son contentieux ne relève pas de la compétence de premier et dernier ressort du Conseil d'État. Le recours est rejeté.

(ord. réf. 18 février 2021, Syndicat Franceactive-FNEAPL, n°449394)

(7) V. aussi, voisine, la décision qui juge  que la décision par laquelle le ministre de la santé autorise un établissement de santé à porter, pour certaines catégories de personnel et pour une certaine durée, le nombre d'heures supplémentaires au-delà des bornes horaires fixées par le cycle de travail, est dépourvue de caractère général et impersonnel et n'a pas, par elle-même, pour objet l'organisation du service public : elle ne revêt pas un caractère réglementaire permettant de la contester devant le Conseil d'État statuant en premier et dernier ressort : 19 février 2021, Syndicat CGT du personnel de l'hôpital Beaujon, n° 439207. 

 

8 - Motivation des décisions administratives - Habilitation au "secret défense" - Refus d'habilitation - Décision non soumise à l'obligation de motivation - Cassation et rejet.

Dans une affaire à rebondissements contentieux - faisant l'objet d'un second pourvoi - où était en cause, notamment, le retrait d'une habilitation au "secret défense", le Conseil d'État juge que la décision refusant l'habilitation au " secret défense " étant au nombre de celles dont la communication des motifs est de nature à porter atteinte au secret de la défense nationale, n'a pas à être motivée.

La solution n'est pas nouvelle.

(23 février 2021, Ministre des armées, n° 432198)

 

9 - Décision de rejet annulée par le juge - Nouveau rejet fondé sur des motifs identiques en l'absence de changement de fait ou de droit de la situation - Violation de l'autorité de chose jugée - Illégalité - Annulation.

À propos d'une décision du conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes refusant de reconnaître un diplôme universitaire d'études complémentaires en kinésithérapie du sport alors qu'une identique décision précédente avait été annulée par le juge de l'excès de pouvoir, le Conseil d'État rappelle que l'autorité de chose jugée qui s'attache au dispositif d'une décision juridictionnelle d'annulation et aux motifs qui en sont le support nécessaire fait obstacle à ce que, à la suite de l'annulation d'une décision ayant rejeté une demande et en l'absence de modification de la situation de droit ou de fait, la même demande fasse l'objet d'un nouveau rejet pour des motifs identiques à ceux qui ont été censurés par la décision juridictionnelle.

(19 février 2021, M. A., n° 439649)

 

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques

 

10 - Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) - Réunion des collèges du CSA - Respect des dispositions de l'art. 4 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication - Procès-verbal des réunions desdits collèges - Absence de certaines mentions - Mentions non obligatoires - Annulation de l'arrêt d'appel.

Selon l'art. 4 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication : " Le Conseil supérieur de l'audiovisuel ne peut délibérer que si quatre au moins de ses membres sont présents. Il délibère à la majorité des membres présents. (...) ". Se fondant sur cette disposition, la cour administrative d'appel avait accueilli favorablement la demande d'une société exploitant une chaîne de radio d'annuler une délibération du collège plénier du CSA dont le procès-verbal ne permettait pas d'établir qu'elle avait été adoptée conformément aux règles de majorité applicables en vertu de l'art. 4 précité.

Le Conseil d'État décide, à l'inverse, que ni les dispositions de cet article ni aucune autre disposition législative ou réglementaire ni aucun principe général n'impose que les procès-verbaux des réunions du collège du CSA portent mention de sa composition ou de ce que ses délibérations ont été approuvées à la majorité des membres présents.

En l'espèce, dès lors que le procès-verbal de la réunion du collège plénier porte mention de ce que le projet de délibération rejetant le recours formé par la société Catalogne Informations a été approuvé et, en l'absence de tout élément de preuve contraire, les mentions du procès-verbal établissent ipso facto la régularité de la procédure suivie au regard des dispositions susrappelées. La cour a commis une erreur de droit, d'où l'annulation, avec renvoi, de son arrêt.

(16 février 2021, Société Catalogne Informations, n° 439435)

 

Biens

 

11 - Locataires d'un bien immobilier loué par une société commerciale à une SCI - Bien faisant l'objet d'une préemption - Contestation par les locataires des décisions en cause - Réclamation indemnitaire - Rejet.

Les requérants, associés d'une société locataire d'un terrain loué par une SCI, contestent l'exercice par la commune de son droit de préemption sur ce terrain à propos duquel les deux sociétés avaient conclu une promesse de vente. Ils réclament l'annulation de la décision de préemption ainsi que celle, intervenue postérieurement à la préemption, de céder ce terrain à un syndicat d'action foncière. Ils réclament également réparation du préjudice causé par la préemption.

Leurs prétentions sont rejetées en leurs deux chefs.

Tout d'abord, les requérants, tiers par rapport à la préemption qui ne concernait que la société dans laquelle ils étaient associés, ont été informés par un courrier du 18 décembre 2007 de l'acquisition du terrain par le syndicat et de ce que désormais ils devraient payer le loyer de son occupation audit syndicat. Le délai du recours contentieux ayant commencé à courir à compter de cette date, il était expiré lorsqu'ils ont saisi le juge le 27 octobre 2015, d'où la forclusion encourue.

Ensuite, informés à cette date du 18 décembre 2007 des décisions contestées, les requérants devaient avoir formé leur action dans le délai de la prescription quadriennale soit au plus tard le 31 décembre 2011. De ce chef aussi la forclusion était encourue.

(24 février 2021, M. E. et M. B., n° 431475)

 

Contentieux administratif

 

12 - Référé liberté - Caractérisation particulière de l'urgence dans le cadre de l'art. L. 521-2 CJA - Caractère impérieux qu'une décision soit rendue à bref délai - Absence d'urgence - Rejet.

Cette décision fournit une bonne illustration de ce qu'il convient d'entendre par l' "urgence particulière" à l'art. L. 521-2 (référé liberté).

La société requérante demandait qu'il soit fait injonction à un préfet de rétablir l'accès au service d'immatriculation des véhicules (SIV) dont elle disposait en vertu d'une convention du 18 avril 2018 et dont elle a été privée à compter du 26 août 2020. Elle invoquait la privation de toute ressource financière résultant de cette décision et le risque qu'elle soit, en conséquence, conduite au dépôt de bilan.

Le juge rejette cette requête motif pris de ce que la société, qui a pour objet social " le commerce de voitures et véhicules automobiles légers ", "ne fournit aucune indication sur le chiffre d'affaires dont elle aurait été privée du fait de la décision du préfet". Ainsi, ne justifiant pas de circonstance particulières manifestant la nécessité pour elle d'obtenir à bref délai la mesure qu'elle sollicite du juge du référé liberté, elle n'établit pas la satisfaction de la condition d'urgence.

(2 février 2021, SAS 3SM, n° 445695)

 

13 - Cour nationale du droit d'asile (CNDA) - Obligation d'informer le demandeur de la tenue de l'audience trente jours au moins avant la date de celle-ci - Non-respect de ce délai - Absence du bénéfice de l'un des délais dérogatoires plus brefs - Annulation.

Le droit commun du délai de convocation à l'audience dont dispose la CNDA sauf les hypothèses dérogatoires de délais de convocation plus brefs est de trente jours. En l'absence de situation dérogatoire, doit être annulée la décision de la CNDA rendue alors que l'intéressé avait été convoqué à l'audience moins de trente jours avant sa tenue.

(4 février 2021, M. B., n° 437994)

 

14 - Recours contentieux - Arrêté relatif à la formation exigée des télépilotes qui utilisent des aéronefs civils circulant sans personne à bord à des fins de loisir - Requête ne comportant pas de conclusions - Irrecevabilité.

Est frappée d'irrecevabilité la requête qui ne comporte pas de conclusions, notamment, ici, à fin d'annulation.

(11 février 2021, M. D., n° 438382)

(15) V. aussi, très voisin, appliqué à une protestation contre un refus d'inscription sur les listes électiorales : 11 février 2021, M. I., n° 440953.

 

16 - Inopérance - Absence de délégation régulière de signature à l'effet de signer les mémoires produits devant le juge administratif - Irrégularité sans effet sur la solution du litige - Rejet pour inopérance du moyen.

Le moyen tiré de ce que la signataire d'observations présentées en défense au nom de l'État devant le Conseil d'État et tendant au rejet de la requête n'aurait pas disposé d'une délégation de signature régulière étant ici sans incidence sur la solution du présent litige, il est donc inopérant et rejeté comme tel.

(11 février 2021, Société MEI Partners, Me A., en qualité de liquidateur judiciaire de cette société et autres, n° 439928)

 

17 - Cour nationale du droit d'asile (CNDA) - Procédure - Production de pièces en langue étrangère - Pièces émanant d'un État membre de l'Union - Impossibilité de rejet sans invitation à les traduire - Manquement de la Cour à son office - Annulation et renvoi.

Les pièces et documents présentés par les demandeurs d'asile à la CNDA doivent être produites accompagnées de leur traduction en langue française, à défaut, la Cour peut refuser d'en tenir compte. Elle peut aussi en tenir compte pour autant que cela ne fasse pas obstacle à l'exercice de son contrôle par le juge de cassation.

Cependant, lorsque ces pièces ou documents émanent d'un État membre de l'Union européenne et revêtent donc ainsi un caractère probant, elle ne peut pas refuser d'en tenir compte sans avoir, préalablement, invité le demandeur, en vertu de son pouvoir d'instruction, à produire une traduction en vue qu'elle figure au dossier de la procédure. En s'abstenant de le faire, la Cour a manqué à son office d'où l'annulation prononcée.

(5 février 2021, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 436759)

 

18 - Expertise en cours de procès - Extension de la mission expertale - Demande en référé - Portée et effets des articles 2241 et 2244 du code civil - Nécessité de mettre en cause tous les bénéficiaires - Annulation des ordonnances rendues en première instance et en appel - Extension de l'expertise.

Des désordres étant apparus après la réalisation des travaux d'aménagement d'une médiathèque pour le compte d'une communauté de communes, le juge des référés a été saisi d'une demande d'expertise pour en déterminer l'origine et fixer l'étendue. Il a pris une ordonnance en ce sens.

L'assureur du maître d'ouvrage, appelé en la cause, a demandé à ce juge l'extension, à la fois, de la mission expertale et des parties mises en cause. Le juge des référés a accueilli la première partie de la demande mais rejeté la seconde qui tendait à la mise en cause de deux autres sociétés d'assurances.

Son appel sur ce dernier point ayant été rejeté, la requérante se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État, d'une part, rappelle les dispositions de l'article 2241 du code civil ("La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription (...)") et, d'autre part, relève que si la réforme de la prescription issue de la loi du 17 juin 2008 n'a pas repris la disposition de  l'art. 2244 de ce code qui réservait un effet interruptif à la demande justice qu'aux seuls actes "signifiés à celui qu'on veut empêcher de prescrire", il ne résulte ni des textes ni des travaux préparatoires à cette réforme que cette dernière aurait eu pour effet d'étendre le bénéfice de la suspension ou de l'interruption du délai de prescription à d'autres personnes que le demandeur à l'action. Il faut donc en déduire que la demande en justice n'interrompt la prescription "qu'à la double condition d'émaner de celui qui a la qualité pour exercer le droit menacé par la prescription et de viser celui-là même qui en bénéficierait".

C'est donc par suite d'erreurs de droit que tant l'ordonnance du premier juge que celle rendue en appel ont dénié à la requérante le droit d'exercer dans sa plénitude le droit à demander l'extension de l'expertise qu'elle a sollicitée en vain.

C'est pourquoi le Conseil d’État est à la cassation de l'ordonnance rendue en appel et à l'annulation de celle rendue en première instance et ordonne l'extension de l'expertise telle que sollicitée par la requérante.

(4 février 2021, Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), n° 441593)

 

19 - Juge de cassation - Application d'une convention fiscale internationale - Étendue du contrôle exercé sur la notion de "bénéficiaire effectif" utilisée par la convention - Contrôle de qualification juridique - Cassation avec renvoi.

La convention fiscale franco-britannique du 19 juin 2008 dispose en son article 13 :

" 1. Les redevances provenant d'un Etat contractant et dont le bénéficiaire effectif est un résident de l'autre Etat contractant ne sont imposables que dans cet autre Etat.

2. Le terme " redevances " employé dans le présent article désigne les rémunérations de toute nature payées pour l'usage ou la concession de l'usage d'un droit d'auteur sur une oeuvre littéraire, artistique ou scientifique ".

Dans le cadre d'un litige relatif à l'imposition de droits d'auteurs cédés à une société britannique mais redistribués par elle, pour leur plus grande part, aux auteurs, il s'agissait de déterminer qui avait la qualité de "bénéficiaire effectif" au sens et pour l'application de la convention précitée.

La société avait répondu la cour administrative d'appel, ses membres rétorque le Conseil d’État, annulant ainsi les arrêts déférés à sa censure.

Par là le juge de cassation révèle exercer un contrôle de qualification juridique sur la notion en cause.

(5 février 2021, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 430594 et n° 432845)

 

20 - Référé liberté - Référé modificatif (art. L. 521-4 cja) - Accès à une propriété privée - Inexécution de l'ordonnance enjoignant de rendre libre cet accès - Circonstances de fait empêchant cette exécution - Rejet.

Le requérant avait obtenu du juge des référés du Conseil d'État, le 2 décembre 2020, une ordonnance enjoignant le maire de la commune de Samoëns et une société effectuant des travaux sur une voie communale de rétablir l'accès à sa propriété par des véhicules automobiles légers ne nécessitant pas d'aptitude spécifique de type "tout terrain".

Constatant l'inexécution de cette injonction, le requérant a, quarante jours plus tard, le 11 janvier 2021, saisi à nouveau le juge des référés du Conseil d'État sur le fondement de l'art. L. 521-4 du cja.

Ce dernier, après avoir constaté qu'à la date du 10 février 2021, soit soixante-dix jours après son ordonnance assortie d'une injonction, l'accès n'était toujours pas rétabli, rejette la demande car " il résulte de l'instruction qu'à la date de la présente ordonnance, ces travaux sont rendus temporairement impossibles du fait des conditions météorologiques et nivologiques, sans qu'il soit possible de fixer une date à bref délai pour leur réalisation."

L'on pourrait s'étonner d'une décision aussi avantageuse pour des justiciables condamnés à faire quelque chose et pourtant demeurés inertes. En particulier, il pourrait sembler possible d'objecter que si la collectivité n'avait pas tant tardé, le demandeur aurait eu la possibilité d'accéder depuis deux mois à sa propriété.

Cependant, il demeure vrai qu'en l'état des conditions climatiques aucun ordre exécutable à bref délai ne pouvait être donné.

Toutefois, il convient de rappeler que, d'une part, l'ordonnance primitive conserve toute sa valeur et son caractère exécutoire dès que cela sera possible et que, d'autre part, il est loisible à l'intéressé de former une action à fins indemnitaires en vue que soit réparé le dommage subi du fait de l'incurie municipale.

 (ord. réf. 10 février 2021, M. A., n° 448663)

 

21 - Référé suspension - Commentaires administratifs de la loi fiscale - Commentaires se bornant à rappeler la loi fiscale - Urgence éventuelle née d'une ordonnance non des commentaires administratifs - Rejet.

Une demande en référé suspension dirigée contre un texte (ici des commentaires administratifs de la loi fiscale) qui se borne à faire application des dispositions contenues dans un texte antérieur doit être rejetée car l'urgence invoquée ne résulte pas du texte attaqué mais de celui dont il fait application qui, lui, n'a pas été contesté dans le délai de recours contentieux.

(10 février 2021, Conseil national des barreaux, Conférence des Bâtonniers et Ordre des avocats du barreau de Paris, n° 448485)

 

22 - Vins - Classement des vins dans l'appellation d'origine contrôlée Saint-Emilion grand cru - Décision prise après nouvel examen - Délai du recours contentieux - Point de départ - Notification de la décision de la commission de classement - Erreur de droit - Annulation avec renvoi dans la mesure de l'annulation prononcée.

Les requérants, candidats malheureux au classement de leur vignoble dans l'appellation Saint-Emilion grand cru ont contesté, en vain, ce refus devant les juridictions administratives de premier degré et d'appel, cette dernière ayant rejeté leur recours pour tardiveté.

Le juge de cassation, estime, lui, qu'il résulte du cahier des charges annexé au décret du 5 décembre 2011 relatif à cette prestigieuse appellation que les demandes de classement sont prises par la commission de classement y compris en cas de réexamen demandé par le candidat rejeté une première fois lorsqu'elles sont rejetées. En revanche, pour les candidats retenus, c'est par un arrêté des ministres chargés de l'agriculture et de la consommation qu'est homologuée la liste définitive approuvée par le comité national des appellations d'origine relatives aux vins et aux boissons alcoolisées et des eaux-de-vie de l'INAO. Il s'ensuit que le délai de recours contre ces décisions court à compter de la notification de la décision de la commission à l'égard du demandeur contestant le rejet de sa candidature et à compter de la publication de l'arrêté d'homologation pour les tiers qui contestent les décisions de classement.

La cour administrative d'appel a commis une erreur de droit en jugeant tardive la requête dont elle était saisie car elle a considéré qu'elle avait été présentée plus de deux mois après la publication de l'arrêté du 29 octobre 2012 homologuant la liste établie par la commission de classement alors que les intéressés contestaient non l'homologation mais le refus de retenir leur candidature ; ils doivent donc être regardés comme contestant la décision de la commission du 5 septembre 2012. Il incombait donc à la cour, ce qu'elle n'a pas fait, de vérifier si cette décision avait été notifiée, et à quelle date, aux requérants.

(12 février 2021, M. A. et groupement foncier agricole Geoffrion, n° 431597)

 

23 - Référé liberté - Inscription d'une formation sur la plateforme Parcoursup - Refus ne constituant pas une décision réglementaire - Incompétence du Conseil d'État saisi en premier et dernier ressort - Rejet.

(ord. réf. 18 février 2021, Syndicat Franceactive-FNEAPL, n°449394)

(24) V. aussi 19 février 2021, Syndicat CGT du personnel de l'hôpital Beaujon, n° 439207.  V. n° 7

 

25 - Interdiction partielle de manifestations sur la voie publique - Référé liberté - Rejet en première instance - Appel - Formulation de conclusions nouvelles - Irrecevabilité.

Les requérants avaient demandé au juge du référé liberté de première instance la suspension d'un arrêté préfectoral qui avait interdit toute manifestation ou rassemblement revendicatif sur diverses voies et places publiques de Strasbourg le samedi 9 janvier 2021. Leur recours ayant été rejeté, ils interjettent appel.

Au soutien de leur appel, ils demandent la suspension de l'exécution de l'arrêté préfectoral interdisant de manifester le samedi comme indiqué ci-dessus ainsi que de manifester en dehors du parcours imposé. Ils demandent également qu'il soit fait injonction à l'autorité préfectorale de prendre toutes mesures propres à garantir l'exercice par les manifestants de leur liberté de manifester et le respect du parcours qu'ils ont déclaré le 22 janvier 2021.

Sans surprise, ces demandes, nouvelles en appel sont rejetées car irrecevables.

C'est l'occasion de rappeler que le principe d'immutabilité des éléments fondamentaux du litige en appel s'applique dans toutes les procédures même de référé.

(ord. réf. 12 février 2021, M. C., Mme A. et M. D., n° 449047)

 

26 - Référé liberté - Référé formé contre une mesure entièrement exécutée - Rejet.

Rappel d'une constante du droit du contentieux administratif de l'urgence : il n'y a pas lieu à statuer sur un référé dirigé contre une décision entièrement exécutée avant la saisine du juge.

On observera qu'en cette hypothèse il s'agit bien d'un non-lieu à statuer et non d'une irrecevabilité.

(15 février 2021, M. A., n° 449018)

 

27 - Allocation personnalisée au logement (APL) - Suspension de son paiement jugée justifiée - Omission de réponse à un chef des conclusions - Annulation.

Doit être annulé pour omission de réponse à un chef des conclusions, le jugement qui décide que c'est à bon droit qu'une caisse d'allocations familiales a un temps suspendu le paiement de l'APL car l'intéressé ne lui avait pas adressé en temps utile son titre de séjour et qu'ainsi la requête de ce dernier était en son entier devenue privée d'objet par le versement rétroactif de cette allocation alors que le requérant demandait également une révision du montant de l'aide perçue depuis le mois de février 2016.

Omettant de répondre à un chef des conclusions, le jugement, irrégulier, est annulé.

(16 février 2021, M. B., n° 438324)

 

28 - Exécution des jugements et arrêts - Article L. 911-5 du cja - Mesures d'exécution d'un arrêt du Conseil d'État rendu le 24 octobre 2001 - Organisme ne pouvant plus être réuni - Conséquences sur l'exécution de la décision juridictionnelle censurant l'une de ses décisions - Injonction au ministre avec mode d'emploi.

La présente affaire atteint l'extravagance.

Un requérant a contesté une décision de la commission départementale d'aménagement foncier de la Somme du 27 octobre 198. Il a reçu satisfaction (façon de parler comme on va le voir) d'abord par un jugement du tribunal administratif en 1992 puis par décision du Conseil d'État du 26 janvier 1996.

La commission départementale s'étant abstenue d'agir pendant un an pour exécuter la décision du Conseil d'État, le requérant a saisi en 1997, conformément aux dispositions du code rural alors en vigueur (art. L. 121-11), la Commission nationale d'aménagement foncier afin qu'elle statue en lieu et place de la commission départementale négligente d'agir. Celle-ci s'est déclarée incompétente le 3 décembre 1999. Cette décision d'incompétence a été annulée par le Conseil d'État, par une décision du 24 octobre 2001. C'est de cette décision toujours inappliquée à ce jour et pourtant apparemment rendue au nom de peuple français, que le requérant, faisant montre d'une grande patience, demande au Conseil d'État, dix-neuf ans après qu'elle a été prononcée, de faire assurer l'exécution en vertu des pouvoirs qu'il tient de l'art. L. 911-5 du cja.

Relevant que la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux a largement changé la donne et que la Commission nationale, qui a fonctionné jusqu'en avril 2014, n'a pas daigné exécuter la décision de 2001, le Conseil d'État constate qu'aujoud'hui cette commission n'est plus susceptible d'être réunie.

Il va donc donner à l'administration un vade-mecum pour mettre un terme à ce véritable déni.

Il juge que, par conséquent, " il appartient désormais au ministre chargé de l'agriculture de prendre une nouvelle décision, le cas échéant en prévoyant que le rétablissement des propriétaires intéressés dans leurs droits sera assuré par une indemnité dont il déterminera le montant, s'il constate que la modification du parcellaire nécessaire pour assurer ce rétablissement par des attributions en nature aurait des conséquences excessives sur la situation d'autres exploitations".

Six mois sont donnés à l'actuel locataire du n° 78 de la rue de Varennes pour exécuter l'injonction du Conseil d'Etat.

Il se sera écoulé, si tout se passe bien à ce moment-là, trente-deux ans et dix mois depuis qu'a été rendue la décision attaquée. Espérons que le requérant pourra rester en vie jusque-là.

"Plaisante justice" dirait Pascal...

(24 février 2021, M. C., remembrement de la commune de Poulainville, n° 441556)

 

Contrats

 

29 - Marché public de travaux de dragage - Demande de résiliation du marché par son titulaire pour ordre de service tardif - Demande fondée sur le fondement de l'art. 46.2.1 du CCAG Travaux de 2009 - Demande non dispensée du respect de l'art. 50.1.1. de ce cahier - Absence d'envoi d'une copie de la réclamation au maître d'oeuvre - Annulation avec renvoi.

L'arrêt d'appel est censuré en raison de l'erreur de droit commise en estimant qu'une demande fondée sur l'art. 46.2.1. du CCAG Travaux (ordre de service tardif) était dispensée de l'obligation, posée à l'art. 50.1.1. dudit cahier, d'adresser copie au maître d'oeuvre de la réclamation dont le maître d'ouvrage a été rendu destinataire.

(3 février 2021, Grand port maritime de Marseille, n° 442844)

 

30 - Référé de l'art. L. 551-1 CJA - Marché de prestations de gardiennage, accueil et filtrage de sites militaires - Marché ne constituant pas un marché de défense ou de sécurité - Rejet.

La ministre des armées s'est pourvue en cassation contre une ordonnance de référé refusant de regarder un marché de prestations de gardiennage, d'accueil et de filtrage de trois sites militaires à La Réunion comme un marché de défense ou de sécurité régi par l'art. L. 1113-1 du code de la commande publique qui institue un régime dérogatoire au droit commun de la commande publique.

Le juge des référés s'est fondé pour cela sur la triple constatation que les services prévus par le marché ne faisaient pas intervenir des informations protégées dans l'intérêt de la sécurité nationale au sens  de l'article précité, que les informations en cause nécessaires pour l'exercice des missions objet de ce marché n'étaient pas protégées et que les installations qui, au sein de ces sites, contiennent des informations protégées ou classifiées bénéficient d'une protection spécifique par des personnels militaires.

Le Conseil d’État, par adoption des motifs du premier juge, rejette le pourvoi, confirmant ainsi la tendance jurisprudentielle antérieure à interpréter strictement les cas de dérogation à l'application du droit commun de la commande publique.

(ord. réf. 4 février 2021, Ministre des armées, n° 445396)

 

31 - Contrat d'exploitation d'une salle de spectacles - Délégation de service public -  Référé suspension de l'art. L. 521-1 du cja - Recours de la société candidate évincée - Attribution du contrat à un autre candidat - Atteinte grave et immédiate aux intérêts de la candidate évincée - Manquement aux obligations de transparence et de mise en concurrence - Imprécisions des informations fournies par la commune de nature à rompre l'égalité entre candidats - Suspension du contrat confirmée en cassation.

Était demandée l'annulation de l'ordonnance de référé ordonnant la suspension de l'exécution d'un contrat de délégation de service public conclu entre la ville de Toulon et une société Arts et Loisirs Gestion relatif à l'exploitation de la salle de spectacles du Zénith de cette ville.

Le recours est rejeté, le Conseil d'État approuvant en tous ses chefs querellés l'ordonnance du premier juge.

Tout d'abord, c'est sans dénaturer les pièces du dossier que le premier juge a estimé que la seule circonstance que la société évincée n'avait qu'une chance de se voir attribuer le contrat ne faisait pas, par elle-même, obstacle à ce que l'attribution de celui-ci à une autre société fût regardée comme portant une atteinte grave et immédiate à ses intérêts.

Ensuite, il a pu, sans erreur de droit, juger qu'en accordant une part prépondérante, parmi les éléments d'appréciation des offres, à l'estimation du montant du chiffre d'affaires pendant toute la durée de la délégation alors que cet élément d'appréciation ne reposait que sur les seules déclarations des candidats, sans engagement contractuel de leur part et sans possibilité d'en contrôler l'exactitude, il avait été manqué à l'obligation de transparence et de mise en concuurence.

Également, l'imprécision des indications fournies par la commune sur le régime fiscal de la subvention qu'elle était susceptible d'allouer au futur délégataire était de nature à créer une rupture de l'égalité entre les candidats.

Enfin, aucun motif d'intérêt général ne faisait obstacle à la suspension d'exécutiuon du contrat litigieux décidé par le premier juge.

(15 février 2021, Commune de Toulon, n° 445488)

 

32 - Procédure - Juge administratif des référés - Désignation par un bâtonnier d'un avocat commis d'office - Litiges en résultant - Incompétence de l'ordre administratif de juridiction - Annulation de l'ordonnance en sens contraire.

Incompétence du juge administratif pour connaître, même dans le cadre d'une procédure se déroulant devant une juridiction administrative, d'un litige né de la désignation, par un bâtonnier, d'un avocat commis d'office.

(23 février 2021, Ordre des avocats au Barreau de Hauts-de-Seine, n° 449214)

 

33 - Décret portant reconnaissance d'utilité publique d'une association - Demande de retrait d'agrément en cette qualité - Refus de prendre un décret - Décret non réglementaire - Absence de compétence directe du Conseil d’État en premier ressort - Renvoi au tribunal administratif de Paris.

(4 février 2021, M. B., n° 436911) V. n° 1

 

Covid-19

Poursuite de l'épidémie contentieuse...

 

34 - Référé suspension - Accès aux remontées mécaniques - Limitation aux seuls mineurs licenciés à une association sportive affiliée à la Fédération française du ski - Légalité au regard des circonstances sanitaires - Rejet.

Les organisations requérantes demandaient la suspension du 3° du I de l'article 18 du décret du 29 octobre 2020 modifié par le décret n° 2020-1519 du 4 décembre 2020, en tant qu'il limite l'accès aux remontées mécaniques aux seuls pratiquants mineurs licenciés au sein d'une association sportive affiliée à la Fédération française de ski.

La requête est rejetée motif - très classique et constant - pris de ce qu'une atteinte au principe d'égalité peut être justifiée pour des motifs d'intérêt général et à la double condition que cette différence soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et qu'elle ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.

En l'espèce, tout en interdisant l'accès du public aux remontées mécaniques, la disposition contestée a néanmoins entendu maintenir l'accès à celles-ci aux mineurs résidant à proximité des stations de ski et pratiquant le ski alpin de manière intensive, notamment en compétition. Ainsi, conciliant ces deux objectifs, la différence de traitement entre les pratiquants mineurs licenciés dans une association sportive affiliée à la Fédération française de ski et les pratiquants mineurs licenciés dans d'autres fédérations sportives agréées, "n'apparaît pas, (...) compte tenu du contexte très particulier lié à l'épidémie de Covid-19 et de la nécessité de limiter le brassage d'une population importante dans les stations de ski, comme manifestement disproportionnée au regard de l'objet du décret du 4 décembre 2020 ".

Le lecteur sera-t-il surpris de nous voir dubitatif sur le bien-fondé cette solution ?

(ord. réf. 3 février 2021, Fédération gymnique et sportive du travail et autres, n° 448939)

 

35 -Dispositions réglementaires relatives à la lutte contre l'épidémie de Covid-19 - Diverses demandes d'injonction - Invocations d'atteintes, de disproportions ou d'insuffisances de ces dispositions - Rejet.

Le requérant sollicitait l'annulation de six décrets pris dans le cadre de la lutte contre l'épidémie de Covid-19 et leur transformation en simples recommandations (sic) et demandait que soient prononcées dix injonctions.

Les griefs soulevés, formulés en termes généraux, étaient multiples : mesures inefficaces, inadaptées, excessives, insuffisantes, etc.

Sans surprise la requête est rejetée

(4 février 2021, M. B., n° 440118)

(36) V. aussi, rejetant une requête en référé posant une QPC, à laquelle il avait déjà été répondu par le Conseil constitutionnel, et des demandes exigeant l'intervention du juge judiciaire pour l'interdiction des sorties de domicile ou contestant l'exonération de responsabilité des professionnels de santé instituée par l'art. L. 3131-3 du code de la santé publique. Le lecteur ne sera pas surpris de leur rejet : ord. réf. 4 février 2021, M. A., n° 446888.

(37) V. également, assez voisin, le rejet, en raison du caractère très général de la demande en son argumentation et en ses conclusions, d'un référé liberté tendant à ce qu'il soit enjoint au premier ministre de modifier les dispositions du I de l'article 37 du décret du 29 octobre 2020, en prenant les mesures strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriés aux circonstances de temps et de lieux applicables pour permettre l'ouverture des commerces : ord. réf. 19 février 2021, M. B. et Association Victimes Coronavirus Covid-19 - France, n° 449136.

(38) V. encore, toujours dirigés contre de nombreuses dispositions du décret du 29 octobre 2020 (y compris dans les versions que lui ont successivement données les décrets du 27 novembre puis du 14 décembre 2020), les référés suspension rejetés en tant qu'ils contestent brevitatis causa l'obligation de port du masque alors que son efficacité est certaine et que la situation sanitaire générale est de nature à justifier l'obligation de le porter : ord. réf. 22 févr. 2021, M. AC. et autres, n° 448682, ou encore, du même jour : ord. réf., M. D., n° 448842 ; Mme K, n° 448952 ; Mme C. épouse B., n° 448953 ; Mme F., n° 448977 ; Mme I., n° 449021 ; Mme L., n° 449022.

(39) V. aussi, plus original, la requête en référé liberté, rejetée pour non-justification de l'urgence à statuer, tendant au renvoi à la Cour EDH d'une demande d'avis portant sur la conformité de l'article 36 du décret du 29 octobre 2020 à certaines stipulations de la convention EDH ainsi que de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : ord. réf. 22 février 2021, Mme B., n° 449393.

 

40 - Référé liberté - Arrêtés préfectoraux interdisant les vols au départ ou à destination de la Guyane - Arrêtés pris sur le fondement du décret du 29 octobre 2020 - Incompétence du Conseil d'État - Absence d'urgence - Rejet.

La requérante se plaint de ce que les dispositions de l'art. 10 du décret du 29 octobre 2020 habilitent le préfet à interdire, pour les vols au départ ou à destination des collectivités d'outre-mer, les déplacements de personnes par transport public aérien autres que ceux fondés sur un motif impérieux d'ordre personnel ou familial, un motif de santé relevant de l'urgence ou un motif professionnel ne pouvant être différé, lorsque les circonstances locales l'exigent. Elle invoque l'urgence à statuer.

Tout d'abord, le Conseil d'État, qui n'est pas compétent en premier ressort pour statuer sur des recours dirigés contre des arrêtés préfectoraux, rejette ce chef de demande.

Ensuite, si elle invoque l'urgence pour justifier se rendre en Martinique auprès de ses parents, l'intéressée n'indique pas avoir un projet prochain de déplacement en Martinique. L'urgence n'est pas établie.

(ord. réf. 24 février 2021, Mme B., n° 449629)

 

41 - Référé liberté - Fermeture temporaire d'un établissement à usage de débits de boissons et restauration - Art. L. 3332-15 c. santé pub. - Invocation de la mise en péril de l'exploitation - Éléments rapportés insuffisants à établir l'urgence - Rejet.

Comme l'avait fait le premier juge, le juge des référés du Conseil d’État estime que la société requérante n'établit pas l'urgence à statuer sur sa demande en référé liberté tendant à la suspension de l'arrêté préfectoral ordonnant la fermeture provisoire d'un débit de boissons et restaurant contrevenant à l'art. L. 3332-15 du code de la santé publique.

Les éléments, trop épars et trop généraux, apportés par la société requérante au soutien de sa demande ne permettent pas au juge de s'assurer de l'existence, en l'espèce, de l'urgence, particulière à l'art. L. 521-2 du CJA, à statuer.

(ord. réf. 5 février 2021, Société L'Amourette, n° 449065)

 

42 - Référé liberté - Vaccination des détenus - Instruction ministérielle laissant supposer l'impossibilité de vacciner ces personnes lors de la première campagne vaccinale - Rejet.

Pour rejeter la requête en référé liberté tendant au classement de l'ensemble des détenus dans une catégorie particulière de personnes à risques au regard de la propension à être contaminées par le virus Covid-19, le Conseil d’État retient trois éléments.

D'abord, les personnes prioritaires lors de la première campagne de vaccination, soit celles âgées de plus de 75 ans, l'étaient aussi dans les prisons.

Ensuite, des mesures strictes, dites gestes barrière, ont été appliquées dans les prisons et continuent de l'être afin de protéger la santé de ceux qui y séjournent.

Enfin, aucune étude ne démontre l'existence d'un risque particulier plus fort de contamination pour les personnes incarcérées.

Par suite, en ne retenant pas l'ensemble de la population carcérale comme constituant un groupe spécifique de personnes à risque, les autorités responsables n'ont pas fait montre d'une carence grave et donc manifestement illégale dans le traitement de cette épidémie et de ces personnes.

(ord. réf. 5 février 2021, Association Robin des Lois, n° 449081)

 

43 - Référé liberté - Police spéciale de lutte contre l'urgence sanitaire - Police générale du maire - Interdiction de principe de l'intervention de cette police générale en matière spéciale - Dérogation possible sous deux conditions restrictives et cumulatives - Rejet.

(ord. réf. 16 février 2021, Commune de Nice, n° 449605) V. n° 116

 

44 - Référé suspension - Interdiction de l'éducation physique et sportive en divers lieux - Absence d'illégalité manifeste - Rejet.

Le recours du syndicat requérant tendant à la suspension de l'exécution de l'article 2 du décret n° 2021-31 du 15 janvier 2021, notamment les 6° et 9° qui proscrivent l'éducation physique et sportive obligatoire en salle, gymnase et autres lieux clos, est rejeté.

Compte tenu de l'état sanitaire du pays et des risques engendrés par ces activités, le juge n'aperçoit dans ces dispositions aucune illégalité manifeste, ce qui le conduit au rejet sans examiner la condition d'urgence ni même l'intérêt à agir du demandeur.

(ord. réf. 19 février 2021, Syndicat national de l'enseignement privé - Union nationale des syndicats autonomes (SNEP-UNSA), n° 449449)

 

45 - Référé liberté - Décret du 30 janvier 2021 restreignant fortement l'entrée sur le territoire national de ressortissants français en provenance de pays étrangers sauf ceux de l'Union et de quelques autres États - Absence d'urgence.

En dépit de ce que le droit d'entrer sur le territoire français constitue, pour un ressortissant français, une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du cja, un ressortissant français résidant au Japon qui n'allègue pas devoir rentrer en France prochainement ne justifie pas de l'urgence particulière de l'art. L. 521-2 cja pour demander la suspension de l'exécution du décret du 30 janvier 2021 en tant qu'il soumet l'entrée sur le territoire métropolitain des ressortissants français présents dans un pays étranger autre que ceux de l'Union européenne, Andorre, l'Islande, le Liechtenstein, Monaco, la Norvège, Saint-Marin, le Saint-Siège ou la Suisse à la justification d'un motif impérieux d'ordre personnel ou familial, un motif de santé relevant de l'urgence ou un motif professionnel ne pouvant être différé.

(ord. réf. 10 février 2021, M. B., n° 449211)

(46) V. aussi, en revanche, affirmant qu'"Un ressortissant français, mineur, qui doit rejoindre son père ou sa mère en France, doit être regardé comme justifiant d'un motif impérieux d'ordre familial qui fait obstacle à ce que lui soient opposées les dispositions du décret dont la suspension est demandée. Conformément à ces dispositions, il appartient seulement au titulaire de l'autorité parentale de produire, avant l'embarquement, une déclaration sur l'honneur du motif de leur déplacement, accompagnée de tout document permettant d'en justifier, sans qu'y puisse faire obstacle la liste des motifs, purement indicative, fournie à cet égard par le ministère de l'intérieur." : ord. réf. 10 février 2021, M. A., n° 449466.

(47) V. également, voisin : ord. réf. 16 février 2021, Mme A., n° 449462

(48) V. encore, rejetant la demande de référé pour défaut de caractérisation de l'urgence particulière au référé liberté dans le cas d'un établissement de restauration rapide invoquant, sans l'établir, que la situation financière de la société serait gravement menacée sans remède et à brève échéance : ord. réf. 16 février 2021, Société Providence, n° 449508. Et aussi, très voisin : ord. réf. 17 février 2021, M. A., n° 449491

(49) Voir pareillement, le rejet, pour défaut d'urgence, d'un référé liberté tendant à ce que soit octroyé un passeport à une enfant mineure alors que n'est invoqué aucun projet proche de déplacement : ord. réf. 19 février 2021, M. D. et Mme C., n° 449737.

 

50 - Référé suspension - " Guide ministériel Mandataires judiciaires à la protection des majeurs " - Document ne comportant pas de dispositions impératives - Simples recommandations - Absence d'effet immédiat sur l'exercice de la profession - Absence d'urgence - Rejet.

Les requérants contestaient le contenu du " Guide ministériel Mandataires judiciaires à la protection des majeurs " publié le 20 novembre 2020 par la Direction générale de la cohésion sociale du ministère des solidarités et de la santé et dont ils demandaient que l'exécution en soit suspendue car, sous couleur de "recommandations", il contient des dispositions de caractère impératif.

Pour rejeter la demande le juge relève, d'une part, que ce document précise lui-même en préambule que "les préconisations contenues dans ce guide ont la valeur de recommandations" dans le cadre des mesures sanitaires de lutte contre l'épidémie de Covid-19, et, d'autre part, qu'à l'audience de référé les représentants de l'administration ont reconnu la maladresse de certaines formulations et réaffirmé le simple caractère de recommandations des indications qu'il contient. Il en déduit que n'affectant point les obligations professionnelles des mandataires judiciaires à la protection des majeurs, ses dispositions ne revêtent pas, de ce fait, un caractère d'urgence.

(ord. réf. 12 février 2021, Chambre nationale des mandataires judiciaires à la protection des majeurs, Fédération nationale des mandataires judiciaires indépendants à la protection des majeurs et Mme A., n° 448698)

 

51 - Référé liberté - Tenue possible par visioconférence des audiences pénales en matière criminelles (ordonnance du 18 novembre 2020, art. 2) - Suspension par le juge administratif - Caducité de l'ordonnance - Non lieu à statuer - Recours à la visioconférence devant les juridictions pénales autres que criminelles - Absence d'encadrement - Annulation.

Les requérants avaient déjà obtenu la suspension de l'exécution de l'art. 2 de l'ordonnance du 18 novembre 2020 instaurant le recours à la visioconférence pour les juridictions pénales statuant en matière criminelle. Dans la présente décision il est statué sur le régime applicable à toutes les juridictions pénales.

S'agissant de celles statuant en matière criminelle le Conseil d'État constate que dans le délai fixé par la loi d'habilitation prise sur le fondement de l'art. 38, le projet de loi de ratification de cette ordonnance ne soumet au parlement que la ratification des dispositions s'appliquant aux juridictions pénales autres que criminelles, il suit de là que les dispositions de l'ordonnance relatives aux juridictions criminelles sont devenues caduques.

S'agissant des juridictions pénales intervenant en matière non criminelle, le Conseil d'État considère, assez sèchement, que les " dispositions de l'article 2 de l'ordonnance contestée, en ce qu'elles autorisent le recours à la visioconférence, sans l'accord des parties, devant les juridictions pénales autres que criminelles, sans subordonner cette faculté à des conditions légales ni l'encadrer par aucun critère, portent une atteinte grave et manifestement illégale aux droits de la défense". La condition d'urgence n'étant pas contestée par le ministre défendeur, la suspension de cet article est ordonnée.

(ord. réf. 12 février 2021, Syndicat des avocats de France, Syndicat de la magistrature et Association des avocats pour la défense des droits des détenus, n° 448972)

(52) V. aussi, identique : ord. réf. 12 février 2021, Association des avocats pénalistes, n° 448981)

 

53 - Référé liberté - Demande de suspension des art. 3 et 4 du décret du 27 novembre 2020 et de la totalité du décret du 14 décembre 2020 - Atteintes aux libertés fondamentales et inutilité des mesures prises - Nécessité d'une régionalisation des mesures - Absence d'un préjudice suffisamment grave et immédiat - Rejet.

Un recours tend à voir conciliées libertés fondamentales et lutte contre l'épidémie de Covid-19 et, pour cela, demande la suspension partielle d'un décret (art. 3 et 4 du décret n° 2020-1454 du 27 novembre 2020) et totale d'un autre (n° 2020-1582 du 14 décembre 2020) car en tant que textes à portée nationale ils ne tiennent pas compte de la diversité des situations régionales.

Encore une fois, le juge rappelle que l'urgence au sens de l'art. L.521-2 cja n'est pas l'urgence simple de droit commun. Ici, manifestement, la requérante ne saurait invoquer l'existence d'un préjudice suffisamment grave et immédiat.

Le rejet est, très logiquement, prononcé.

(5 février 2021, Mme B., n° 448166)

 

54 - Référé liberté - Obligation de dépistage virologique imposée aux personnes en provenance du Royaume-Uni - Situation sanitaire grave en France - Capacité de réalisation de tests en Grande-Bretagne - Rejet.

Le requérant contestait l'obligation faite aux personnes âgées de onze ans ou plus en provenance du Royaume-Uni de présenter le résultat d'un examen biologique de dépistage virologique réalisé sur le territoire britannique moins de 72 heures avant l'embarquement ne concluant pas à une contamination par le Covid-19. Il invoquait une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de circulation et au droit des ressortissants français d'entrer sur le territoire national.

Sans surprise, la requête est rejetée au double motif, d'une part, de la gravité croissante de la situation sanitaire française, et d'autre part, de la facilité d'accès aux tests de dépistage au Royaume-Uni. Ainsi, et alors même qu'aucune dérogation n'a été prévue à cette exigence, celle-ci est nécessaire et adaptée au risque lié à l'épidémie de Covid-19.

(16 février 2021, M. B., n° 449011)

 

55 - Référé liberté - Épidémie de Covid-19 - Établissements d'une superficie de vingt mille mètres carrés - Interdiction d'accueil du public - Rejet.

La requête contestant l'interdiction d'ouverture au public - pour motif de risque épidémique - des établissements commerciaux d'une superficie utile d'au moins 20000 m2 est rejetée car elle est fondée sur des allégations formulées en termes généraux et n'établit pas l'existence en l'espèce de l'urgence spécifique exigée par l'art. L. 521-2 cja.

(ord. réf. 23 février 2021, Société Cigusto Vannes et autres, n° 449577)

 

56 - Référé liberté - Covid-19 - Persistance de la fermeture des cinémas, théâtres et salles de spectacles - Atteinte grave à plusieurs libertés fondamentales - Accroissement élevé du nombre d'états anxieux et dépressifs - Situation sanitaire justificative - Rejet.

Il n'est pas douteux, comme le soutiennent les requérants dont plusieurs sont des artistes, que la fermeture des cinémas, théâtres et salles de spectacles, d'une part, porte une atteinte grave aux libertés fondamentales d'expression et de libre communication des idées, de création artistique, d'accès aux oeuvres culturelles, d'entreprendre ainsi qu'à la liberté du commerce et de l'industrie et au droit au libre exercice d'une profession, sans que la possibilité qu'une partie de ces activités puisse demeurer accessible au public à travers d'autres supports ou de manière dématérialisée, fasse disparaître cette atteinte et sa gravité, et d'autre part contribue de manière certaine à une augmentation avérée des pathologies mentales, il n'en reste pas moins qu'en l'état des données sur la situation sanitaire globale du pays cette fermeture n'est pas manifestement illégale.

(ord. réf. 26 février 2021, M. Francis B. et autres, n° 449692)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

57 - Habitation principale neuve - Financement à plus de 50% par des prêts aidés par l'État - Exonération sous conditions de la taxe foncière sur les propriétés bâties - Cas où le financement est partiellement assuré au moyen de l'avance remboursable ne portant pas intérêt (art. R. 317-1 c. de la construct. et de l'habit.) - Annulation.

Commet une erreur de droit le tribunal administratif qui considère que le cumul, en vue de la construction neuve d'une habitation principale, du bénéfice d'un prêt aidé par l'État dont le montant excède de plus de 50% le coût de la construction et de l'avance remboursable ne portant pas intérêt instituée par l'art. R. 317-1 du code de la construction et de l'habitation ne fait pas perdre le droit à l'exonération temporaire de la taxe foncière sur les propriétés bâties.

En effet, il résulte des dispositions du I de l'art. 1384 du CGI combinées, d'une part, avec celle des art. L. 301-1 et suivants du code de la construction et de l'habitation et, d'autre part, avec celles de l'art. R. 317-1 de ce code, que l'exonération ne joue pas en cas de financement partiel de l'acquisition au moyen de l'avance remboursable précitée même dans le cas où ladite acquisition serait par ailleurs financée à plus de 50% au moyen d'un prêt aidé par l'État.

(3 février 2021, Mme A., n° 429004)

 

58 - Revenus tirés de détournements de fonds - Revenus imposables au titre des bénéfices non commerciaux - Assujettissement aux contributions sociales - Arrêt contraire entaché d'erreur de qualification juridique - Cassation.

Commet une erreur de qualification juridique l'arrêt qui estime que des revenus tirés de détournements de fonds, parce qu'ils constituent des revenus d'activité et de remplacement au sens des articles L. 136-1 à L. 136-4 du code de la sécurité sociale, ne doivent pas être assujettis à la contribution sociale généralisée, à la contribution au remboursement de la dette sociale et au prélèvement social majoré des contributions additionnelles.

En réalité, il s'agit, comme le soutenait le ministre défendeur, de revenus imposables dans la catégorie des bénéfices non commerciaux et assujettis, à ce titre, aux contributions précitées.

(3 février 2021, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 429882)

 

59 - Demande de justifications adressée à un contribuable (art. L. 16 LPF) - Absence de réponse de ce dernier ou réponse imprécise ou invérifiable - Imposition d'office - Réponses reposant sur des éléments insuffisants - Obligation d'une mise en demeure préalable assortissant la demande de justifications complémentaires (art. L. 16 A LPF) - Erreur de droit - Annulation partielle - Rejet au fond.

L'administration fiscale peut, lorsqu'elle contrôle les déclarations faites par un contribuable, lui demander de fournir des justifications de certaines opérations.

Si le contribuable ne répond pas à cette demande ou ne fournit que des éléments imprécis ou invérifiables, l'administration impose d'office le contribuable sans mise en demeure préalable.

Si le contribuable répond à la demande de justifications mais que ses justifications apparaissent insuffisantes, l'administration doit le mettre en demeure préalablement à toute taxation (art. L. 16 A LPF)) en vue de l'informer sur les précisions attendues de lui.

Commet donc une erreur de droit la cour administrative d'appel qui juge que, compte tenu des demandes de justification qui lui avaient été adressées, l'absence de mise en demeure de l'intéressée ne l'avait pas privée des garanties attachées à cette mise en demeure.

(3 février 2021, Mme B., n° 430852)

 

60 - Taxe foncière sur les propriétés bâties - Exonération de cette taxe pour certains bâtiments à usage agricole exploités par les sociétés coopératives agricoles (SCA) - Conditions et limites - Absence d'exonération pour les activités accomplies pour le compte de sociétaires négociants n'ayant pas qualité pour être associés coopérateurs d'une SCA - Annulation.

Il résulte des dispositions des a et b du 6° de l'art. 1382 du CGI complétées par celles des art. L. 521-3, L. 522-1 et L. 532-1 du code rural et de la pêche maritime, que l'exonération de taxe foncière qu'ils établissent ne concernent que les opérations réalisées habituellement par les agriculteurs eux-mêmes. Une activité conduite par une société d'intérêt collectif agricole (SICA), soit pour le compte des sociétaires n'ayant pas qualité pour être associés coopérateurs d'une société coopérative agricole, soit pour le compte de tiers à la société dans un cadre commercial, ne peut être regardée comme une opération habituellement réalisée par les agriculteurs eux-mêmes, sauf si l'activité conduite dans l'un ou l'autre cas a pour seul objet de compenser, à activité globale inchangée et dans des conditions normales de fonctionnement des équipements, une réduction temporaire des besoins des sociétaires ayant qualité pour être associés coopérateurs d'une société coopérative agricole.

Ces conditions n'étant pas satisfaites en l'espèce, il en résulte que contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif par suite d'une erreur de droit, la société demanderesse ne pouvait pas contester le refus d'exonération opposé par l'administration fiscale.

(3 février 2021, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 431014)

(61) V. aussi, sur ce litige : 3 février 2021, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 431015, n° 431018 et n° 431020)

 

62 - Crédit impôt recherche (art. 244 quater B CGI) - Contrôle de l'effectivité de la recherche - Procédure à suivre (art. L. 45 B LPF) - Effets - Annulation sans renvoi.

Un crédit impôt recherche est accordé aux entreprises, sous certaines conditions, à raison des dépenses qu'elles affectent à une activité de recherche. Lorsqu'un contrôle de l'administration aboutit à la constatation que l'activité en cause n'est pas vraiment une activité de recherche ou, si elle l'est, que le montant prétendument affecté à celle-ci n'est pas celui avancé par l'entreprise, il est procédé aux rectifications et rehaussements consécutifs.

Le décret du 5 février 2013, entré en vigueur le 15 février 2013, a modifié les dispositions de l'art. R. 45 B du CGI qui réglemente la procédure de contrôle de la réalité de l'affectation à l'activité de recherche des dépenses annoncées par l'entreprise.

Les agents du ministère chargé de la recherche qui effectuent le contrôle d'une entreprise au titre du crédit d'impôt recherche doivent lui adresser une demande d'éléments justificatifs et lui laisser à cet effet un délai de trente jours pour y répondre, ce délai étant prorogé d'une durée égale sur demande de l'entreprise contrôlée.

L'agent contrôleur a l'obligation de motiver son avis lorsqu'il conteste la réalité de l'affectation à la recherche des dépenses contrôlées.

Par ailleurs, dans le cas où l'agent chargé du contrôle, ne pouvant mener à bien son expertise, a adressé à cette entreprise une seconde demande d'informations complémentaires, il doit lui faire connaître la faculté de s'entretenir avec lui. Toutefois, s'il est établi que le non-respect par l'administration de cette formalité n'a pas eu d'influence sur la décision de redressement, celui-ci est sans conséquence sur le bien-fondé de l'imposition.

En revanche, lorsque l'entreprise n'a pas été destinataire d'une seconde demande d'informations complémentaires, l'agent contrôleur n'est pas tenu d'engager avec l'entreprise contrôlée un débat oral et contradictoire sur son appréciation de la réalité de l'affectation à la recherche des dépenses prises en compte pour la détermination du crédit d'impôt recherche.

En l'espèce est relevée la dénaturation des pièces du dossier par une cour administrative d'appel qui déclare le non-respect de la procédure ci-dessus comme ayant été sans conséquence sur le bien-fondé de l'imposition alors que l'agent du ministère chargé de la recherche, tout en soulignant l'ambiguïté et l'insuffisance des explications fournies par la société pour démontrer le caractère novateur des réponses techniques qu'elle soutenait avoir développées, ne lui avait adressé ni demande d'éléments justificatifs, ni demandes d'informations complémentaires qui lui auraient permis de mener son expertise à bien. Or ce n'est que sous la satisfaction de cette condition que la cour aurait pu adopter le raisonnement qu'elle a suivi dans son arrêt.

Le Conseil d’État statuant au fond (art. L. 821-2 CJA), aucun renvoi n'est ordonné.

(3 février 2021, Société Zoomici, n° 431253)

(63) V. aussi, dans le cas d'une association exerçant des activités de recherche au profit exclusif d'une société, s'agissant de déterminer  l'intérêt propre de l'association aux dépenses de recherche engagées et donc l'éligibilité de celle-ci au mécanisme du crédit impôt recherche : 5 février 2021, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 426882.

(64) V. également, jugeant que peuvent être qualifiés de techniciens de recherche - et donc éligibles au mécanisme du crédit d'impôt recherche - les salariés qui réalisent des opérations nécessaires aux travaux de recherche ou de développement expérimental eux-mêmes éligibles au crédit d'impôt recherche, sous la conduite d'un ou plusieurs chercheurs qui les supervisent, sans qu'y fasse obstacle la circonstance qu'ils ne disposeraient pas d'un diplôme ou d'une qualification professionnelle dans le domaine scientifique : 24 février 2021, Société Nurun, n° 429222.

 

65 - Taxe foncière sur les propriétés bâties (TFB) - Notion de "propriété bâtie" pour l'application de l'art. 1380 CGI - Démolition complète ou travaux affectant le gros-oeuvre et rendant l'immeuble impropre à sa destination - Exonération - Absence d'exonération si l'une au moins de ces conditions n'est pas remplie - Rejet.

Le juge interprète l'art. 1380 du CGI comme exonérant de la TFB soit la propriété bâtie qui fait l'objet de travaux entrainant sa destruction intégrale avant sa reconstruction et ce jusqu'à l'achèvement des travaux, soit celle qui fait l'objet de travaux nécessitant une démolition qui, sans être totale, affecte son gros oeuvre d'une manière telle qu'elle le rend dans son ensemble impropre à toute utilisation.

En revanche, l'exonération est refusée à l'immeuble bâti qui, ultérieurement à son achèvement et alors qu'il est soumis à ce titre à la taxe foncière sur les propriétés bâties, fait l'objet de travaux qui, sans emporter démolition complète ni porter une telle atteinte à son gros oeuvre, le rendent inutilisable au 1er janvier de l'année d'imposition.

On a vu des solutions plus équitables.

(3 février 2021, Société de la Reine Blanche, n° 434120)

 

66 - Taxe foncière sur les propriétés bâties - Cas de la cession d'un établissement - Notion - Équipements nécessaires à l'exercice autonome de l'activité par le cédant - Hypothèse d'un bail - Erreur de droit à faire abstraction de cette notion - Annulation.

L'art. 1518 B du CGI décide que : "À compter du 1er janvier 1980, la valeur locative des immobilisations corporelles acquises à la suite (...) de cessions d'établissements réalisés à partir du 1er janvier 1976 ne peut être inférieure aux deux tiers de la valeur locative retenue l'année précédant (...) la cession (...)". Selon le juge, la notion de "cession d'établissement industriel" doit s'entendre de l'acquisition par le même redevable de l'ensemble des éléments mobiliers et immobiliers qui étaient nécessaires à l'exercice autonome de l'activité par le cédant, en vue d'y exercer, avec ces moyens, sa propre activité.

Il s'ensuit, d'une part, qu'une cession de locaux nus ne constitue pas une cession d'établissement au sens des dispositions précitées, et d'autre part, que la circonstance que l'immeuble soit cédé à bail n'empêche pas d'y voir une cession d'établissement pour autant que soient respectées les conditions ci-dessus.

D'où l'erreur de droit commise par un tribunal qui a exclu la qualification comme "cession d'établissement industriel" au seul motif que l'immeuble cédé était donné à bail.

(16 février 2021, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 431774)

 

67 - Comptable d'une chambre d'agriculture - Paiement irrégulier d'une dépense par un comptable public - Détermination de l'existence d'un préjudice financier pour la personne publique - Nécessité d'une délibération préalable à ce versement - Absence - Irrégularité couverte par une délibération postérieure rétroactive - Absence de préjudice - Cassation avec renvoi à la Cour des comptes.

Si le versement à un agent comptable d'une chambre d'agriculture d'une indemnité pour rémunération de services à laquelle il a droit doit être précédé d'une délibération de cette chambre arrêtant le montant de cette indemnité et si le non-respect de cette formalité constitue une irrégularité comptable devant être sanctionnée c'est à la condition que cette dernière ait causé un préjudice financier à cet organisme.

Lorsque, postérieurement aux versements irréguliers, une délibération de la chambre d'agriculture, à portée rétroactive, fixe ce montant, il n'y a pas de préjudice financier pour cette dernière.

L'arrêt de la Cour des comptes qui a constaté en l'espèce l'existence d'un tel préjudice est cassé.

(4 février 2021, Mme A., n° 428887)

(68) V. aussi, identique : 4 février 2021, Mme C., n° 428888

(69) V. également, très voisin : 4 février 2021, M. B., n° 431393

 

70 - Distribution occulte de revenus - Loyers versés par deux sociétés à une SCI - Bénéficiaire prétendu de la distribution occulte n'étant pas associé de la SCI - Absence de caractère de revenus occultes - Rejet.

Une SCI acquiert au moyen d'un emprunt un appartement qu'elle loue à M. B. ainsi qu'à deux sociétés et à une entité sans personnalité juridique. L'administration fiscale soutient que les loyers versés par ces dernières sociétés et entité constituent une distribution occulte consentie au profit de M. B. et qu'ils ont permis à la SCI de rembouser l'emprunt qu'elle avait contracté.  En conséquence, elle entend imposer ces sommes comme revenus entre les mains de M. B.

Le Conseil d’État, confirmant le jugement et l'arrêt, rejette le pourvoi du ministre en relevant, d'une part, que c'est bien à la SCI qu'incombait la charge du remboursement de l'emprunt et, d'autre part, que M. B., son locataire n'était pas un associé de la SCI.

(4 février 2021, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 431399)

 

71 - Députés français au parlement européen - Régime fiscal des indemnités perçues - Régime de l'art. 80 undecies du CGI - Régime résultant d'une décision du parlement européen (28 septembre 2005) - Erreur de droit - Annulation partielle avec renvoi.

Le régime fiscal des indemnités versées aux députés membres du parlement européen, jusqu'en 2005, reposait sur une option de l'État membre entre une imposition selon les règles du droit national ou une imposition au profit des Communautés. Depuis cette date, une décision du parlement européen du 28 septembre 2005 a supprimé cette option : les indemnités versées aux députés au parlement européen sont à la charge de ce dernier tout comme leur imposition, sauf pour les députés antérieurement soumis à la législation nationale et qui ont opté pour le maintien de ce régime après la décision de 2005.

C'est donc au prix d'une erreur de droit que la cour administrative d'appel a jugé que l'intéressé continuait après 2005 à relever du régime français.

(5 février 2021, M. B. et Mme C. épouse B., n° 438853)

 

72 - Procédure fiscale non contentieuse - Correspondances avec l'administration fiscale - Désignation d'un mandataire - Effets - Avocat désigné comme mandataire - Destinataire exclusif des notifications fiscales - Annulation.

Le mandat donné par un contribuable à un mandataire pour recevoir l'ensemble des actes de la procédure d'imposition et y répondre emporte élection de domicile auprès de ce mandataire.

Quand l'existence de ce mandat a été portée à la connaissance de l'administration fiscale, celle-ci est en principe tenue d'adresser au mandataire l'ensemble des actes de la procédure d'imposition.

Enfin, lorsque le mandataire du contribuable a la qualité d'avocat et que celui-ci déclare que son client a élu domicile à son cabinet, l'administration fiscale est tenue de lui adresser les actes de la procédure d'imposition sans pouvoir exiger de lui la production d'un mandat exprès en vertu du principe que "l'avocat est toujours cru sur sa robe".

Entache donc d'irrégularité la procédure d'imposition, l'administration fiscale qui, avisée de la constitution d'un mandataire, ne lui notifie pas ses propositions de rectification de la base imposable à l'issue d'une vérification de comptabilité ; l'arrêt qui n'aperçoit pas dans ce cas une irrégularité est vicié pour erreur de droit et doit être annulé.

(24 février 2021, M. C., n° 428745)

 

73 - TVA - Fait générateur et exigibilité de la TVA - Acomptes - Conditions d'exigibilité de la TVA en cas de versements d'acomptes - Annulation.

Une société Fellous avait encaissé en août 2007 une certaine somme à titre d'acompte pour l'exécution de travaux d'aménagement en appartements d'un corps de ferme et ne s'était pas acquittée de la taxe sur la valeur ajoutée au moment de cet encaissement. L'administration fiscale soutenait qu'il s'agissait là du paiement anticipé d'une partie du montant des travaux et que cette somme devait ainsi être assujettie à la TVA.

Le contribuable soutenait, au contraire, que cette somme avait été versée avant la délivrance du permis de construire, de telle sorte que la réalisation des travaux envisagés restait incertaine à la date de ce versement, cette incertitude rendant la TVA non exigible.

La cour administrative d'appel, confirmant la position de l'administration, a rejeté cet argument.

Cependant, s'il est exact qu'en principe, le fait générateur de la taxe sur la valeur ajoutée et son exigibilité interviennent au moment où la livraison du bien ou la prestation de services est effectuée, la taxe devient toutefois exigible dès l'encaissement, à concurrence du montant encaissé, lorsque des acomptes sont versés avant que la prestation de services ne soit effectuée. En revanche, lorsque la prestation n'a pas encore été effectuée, ce qui était le cas en l'espèce, la TVA n'est exigible, en vertu de la jurisprudence de la CJUE (13 mars 2014, Firin Ood, aff. C-107/13 ;  31 mai 2018, Finanzamt Dachau c/ Achim Kollross, aff. C-660/16 et  Finanzamt Göppingen c/  Eric Wirtl, aff. C-661/16, deux espèces), que si sont cumulativement réunies deux conditions : 1°/ tous les éléments pertinents de la future prestation, laquelle constitue le fait générateur de la taxe, doivent être déjà connus ce qui implique que lors du versement de l'acompte, les biens ou les services soient désignés avec précision ; 2°/ la réalisation de la prestation ne doit pas être, à cette même date, incertaine.

En l'espèce, lors du versement de l'acompte, il n'est pas discuté que ces deux conditions n'étaient pas remplies et que la TVA n'était pas, par suite, exigible ; en jugeant le contraire, la cour a commis une erreur de droit.

(24 février 2021, M. C., n° 429647)

 

74 - Intérêts alloués par une société à une société mère domiciliée à l'étranger - Régime fiscal de leur taxation - Portée du 3. de l'art. 119 quater du CGI - Absence de présomption légale de fraude - Administration tenue de rapporter la preuve d'une fraude - Absence en l'espèce - Annulation dans cette mesure.

Le litige était relatif à la comptabilisation en charges, par une société, d'intérêts qu'elle a alloués à deux autres sociétés, la première domiciliée aux îles Caïman, la seconde, qui détient la demanderesse à 100%, domiciliée aux Pays-Bas et elle-même détenue par une société domiciliée aux Îles Caïman et par deux sociétés domiciliées aux Îles Vierges britanniques, en rémunération des avances en compte courant que ces sociétés lui avaient apportées. Si plusieurs questions de droit étaient soulevées, l'une d'elles retiendra l'attention en ce qu'elle concerne la procédure fiscale non contentieuse et, spécifiquement, le régime de la preuve.

En premier lieu, il résulte de l'art. 125 du CGI que " L'impôt est dû par le seul fait, soit du paiement des intérêts, de quelque manière qu'il soit effectué, soit de leur inscription au débit ou au crédit d'un compte " et du III de l'art. 125 A de ce code que " (...) Le prélèvement est obligatoirement applicable aux revenus visés ci-dessus, dont le débiteur est établi ou domicilié en France, qui sont encaissés par des personnes n'ayant pas en France leur domicile fiscal ou leur siège social ".

En deuxième lieu, l'article 119 quater du CGI alors applicable dispose que : " 1. (...) le prélèvement prévu au III de l'article 125 A [n'est] pas applicable […] aux intérêts entendus, pour l'application du présent article, comme les revenus des créances de toute nature, à l'exclusion des pénalités pour paiement tardif, payés par (...) une société par actions simplifiée (...) à une personne morale qui est son associée ou à un établissement stable dépendant d'une personne morale qui est son associée. / (...) 3. Les dispositions du 1 ne s'appliquent pas lorsque les revenus payés bénéficient à une personne morale ou à un établissement stable d'une personne morale contrôlée directement ou indirectement par un ou plusieurs résidents d'Etats qui ne sont pas membres de la Communauté européenne et si la chaîne de participations a comme objet principal ou comme un de ses objets principaux de tirer avantage des dispositions du 1 ". 

Le Conseil d'État en déduit très logiquement, tout d'abord, que, par le 3. précité, "le législateur n'a pas entendu instaurer une présomption de fraude à l'égard des bénéficiaires contrôlés par des résidents d'États tiers" et, ensuite, qu'"Il appartient à l'administration, si elle estime que la chaîne de participations a comme objet principal ou comme un de ses objets principaux de tirer avantage des dispositions du 1 de cet article, d'apporter au soutien de ses affirmations des éléments suffisants pour constituer un commencement de preuve de fraude ou d'abus. Il appartient ensuite au contribuable d'opposer à l'administration tout élément qu'il estime pertinent et, enfin, au juge de l'impôt, de se prononcer au vu des éléments produits par les parties".

Ainsi interprétées, les dispositions litigieuses, comme cela a été jugé en appel, ne sont pas incompatibles avec les objectifs de la directive 2003/49/CE. 

En troisième lieu, il découle de ce qui précède qu'en l'espèce la cour administrative d'appel s'est bornée à relever que l'administration faisait valoir que la société FCV BV était contrôlée par une société domiciliée aux îles Caïmans et deux sociétés domiciliées aux Iles Vierges britanniques, lesquels sont des pays à fiscalité privilégiée au sens de l'article 238 A du CGI, pour juger que la société requérante ne pouvait prétendre, au titre des intérêts alloués à sa mère, la société néerlandaise FCV BV, au bénéfice de l'exonération du prélèvement libératoire prévu au 1 de l'article 119 quater CGI. Par suite, la cour ne pouvait pas, comme elle l'a fait, "déduire de cette seule circonstance que l'administration fiscale apportait un commencement de preuve de fraude, alors qu'elle n'apportait, en l'état de l'instruction, aucun autre élément, relatif notamment à l'objet de l'interposition de la société mère néerlandaise dans la chaîne de participations".

L'arrêt est ainsi annulé, dans cette limite, pour inexacte application des règles gouvernant la charge de la preuve et pour une erreur de droit.

(24 février 2021, Société France Citévision, n° 434129)

 

Droit public économique

 

75 - Délai légal de paiement des fournisseurs - Dépassement de ce délai - Sanctions - Amendes - Application des dispositions de la loi du 17 mars 2014 - Loi pénale plus douce - Sanction non disproportionnée en l'espèce - Rejet.

Le code commerce (art. L. 442-6) punit d'amendes le fait pour un producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de ne pas régler ses factures dans le délai légal (cf. art. L. 441-6 de ce code). L'entreprise auteur de la requête a été condamnée à payer une amende au taux maximum de 375000 euros.

Deux enseignements doivent être tirés de cette décision.

En premier lieu, était contestée l'application de la loi du 17 mars 2014, relative à la consommation, à des faits commis antérieurement. Donnant raison à la cour administrative d'appel, le Conseil d’État considère que cette loi, qui punit cette infraction d'amendes d'un montant maximum de 75 000 euros lorsqu'elle est le fait d'une personne physique et de 375 000 euros lorsqu'elle est commise par une personne morale, est une loi pénale plus douce que la précédente (où le montant maximum de l'amende était de deux millions d'euros) et qu'elle est donc d'application immédiate y compris aux infractions commises antérieurement à son entrée en vigueur. Le juge précise en outre, d'une part, que cette amende a bien le caractère d'une punition alors même qu'elle est prononcée par une autorité qui n'a pas la nature d'une juridiction, et, d'autre part, que la loi en cause est plus douce même si les sanctions qu'elle comporte sont appliquées plus fréquemment que celle qui avait été instituée par la législation antérieure.

En second lieu, la cour ayant jugé que le montant de 375 000 euros retenu pour l'amende infligée à la demanderesse n'était pas disproportionné, le Conseil d’État approuve la solution " Au vu de l'ampleur des dépassements constatés, du volume d'affaire concerné, ainsi que de la position de force de l'entreprise dans ses relations commerciales ".

(3 février 2021, Société Airbus Helicopters, n° 430130)

 

76 - Emprunt bancaire - Domiciliation obligatoire des salaires auprès du prêteur - Renvoi préjudiciel à la CJUE - Inconventionnalité de la base légale - Annulation du décret attaqué.

Le Conseil d'État avait saisi la CJUE de deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation de directives européennes au regard des dispositions législatives (art. L. 312-25-1 du code de la consommation) permettant à un prêteur d'imposer à l'emprunteur la domiciliation de ses salaires ou revenus assimilés sur un compte de paiement.

La Cour ayant dit pour droit dans sa réponse, notamment, que le droit de l'Union s'oppose à une réglementation nationale qui autorise le prêteur à imposer à l'emprunteur, lors de la conclusion d'un contrat de crédit, la domiciliation de l'ensemble de ses revenus salariaux ou assimilés sur un compte de paiement ouvert auprès de ce prêteur, la présente décision en tire les conséquences.

L'art. 313-25-1 du code de la consommation, dont les dispositions sont indivisibles, est déclaré incompatible avec les objectifs de la directive du 4 février 2014. Par suite, privé de sa base légale qui était constituée par cet article, le décret querellé, du 14 juin 2017, est annulé.

(4 février 2021, Association française des usagers des banques, n° 413226)

 

77 - Compensation entre dettes et créances - Décision unilatérale d'une personne publique - Compensation possible seulement entre dettes et créances certaines - Créances faisant l'objet d'un recours - Annulation de l'ordonnance et de la décision ordonnant la compensation.

Une commune avait prétendu compenser sa dette envers une société par suite de la condamnation à lui verser une certaine somme par un arrêt de cour administrtative d'appel avec des créances qu'elle détenait sur cette société du fait de l'émission à son encontre de titres exécutoires. Cette argumentation a été retenue par la cour administrative d'appel. Sur pourvoi le Conseil d'Etat casse cette solution dès lors que les créances de la commune n'étaient pas certaines car elles faisaient l'objet d'un recours en contestant le bien-fondé, ce qui est la confirmation d'une solution constante et bien établie (6 juillet 1966, Consorts des Acres de l'Aigle, Rec. p. 441 ; 19 décembre 1973, commune d'Arcangues, Rec. p. 731).

(23 février 2021, Société Les Moulins, n° 441222)

 

78 - Agriculture - Ordonnance du 24 avril 2019 - Organisation de la coopération agricole - Régime de la rémunération abusivement basse des apports des membres coopérateurs - Haut Conseil de la coopération agricole - Médiateur de la coopération agricole - Annulation partielle.

L'association requérante demandait l'annulation l'ordonnance n° 2019-362 du 24 avril 2019 relative à la coopération agricole en tant qu'elle insère un V à l'article L. 521-3-1 du code rural et de la pêche maritime et qu'elle modifie ou crée d'autres dispositions du même code. En particulier, elle reproche aux auteurs de l'ordonnance trois éléments qu'elle contient.

La requérante ne reçoit satisfaction que sur le premier d'entre eux. En effet, en créant au V de l'article L. 521-3-1 du code rural et de la pêche maritime une action en responsabilité contre les coopératives agricoles en cas de fixation d'une rémunération abusivement basse des apports des membres coopérateurs, et en en prévoyant le régime, l'auteur de l'ordonnance a méconnu le champ de l'habilitation qui lui avait été donnée tant par l'article 11, et notamment son 8°, que par le II de l'article 17 de la loi d'habilitation du 30 octobre 2018. 

Sur les deux autres points sa requête est rejetée.

Tout d'abord, la mission donnée au Haut Conseil de la coopération agricole n'excède pas le champ de l'habilitation conférée au pouvoir réglementaire et les conditions d'intervention de ce dernier ne sont pas insuffisamment définies.

Ensuite, la définition des missions du médiateur d'un secteur économique, ici la coopération agricole, et de la procédure applicable devant lui ne relevant pas, en elle-même, du domaine de la loi, l'ordonnance attaquée ne saurait avoir excédé le champ de l'habilitation conférée sur ce point au pouvoir réglementaire.

(24 février 2021, Association Coop de France, n° 430261)

 

Droit social et action sociale

 

79 - Allocation d'aide au retour à l'emploi - Refus opposé par Pôle emploi à une demande d'attribution de cette allocation - Compétence juridictionnelle pour connaître du contentieux né de ce refus - Compétence judiciaire - Rejet.

Le contentieux né des décisions par lesquelles Pôle emploi refuse d'admettre une personne au bénéfice de l'allocation d'aide au retour à l'emploi relève du juge judiciaire. Le recours est rejeté comme porté devant une juridiction incompétente pour en connaître.

(3 février 2021, M. C., n° 442346)

 

80 - Travailleurs étrangers détachés en France - Obligation déclarative - Date d'exigibilité de cette obligation - Modification des exigences administratives de déclaration postérieurement à l'envoi de la déclaration - Rejet.

Le code du travail (art. L. 1262-1) fait obligation à l'employeur établi hors de France qui détache temporairement des salariés sur le territoire français, pour l'un des motifs prévus par la loi, d'adresser une déclaration, préalablement au détachement, à l'inspection du travail du lieu où débute la prestation.

Le Conseil d'État confirme la solution retenue en appel :

- d'une part, parce que ces obligations déclaratives sont attachées non à la conclusion du contrat de prestation de services mais au détachement effectif des salariés, elles étaient applicables, en l'espèce, à tout détachement réalisé à compter de l'entrée en vigueur du décret du 30 mars 2015, intervenue le 1er mai 2015 ;

- d'autre part, si l'entreprise, au regard de la situation de droit existant à la date où a été rempli en ligne le formulaire mis à sa disposition par le ministère du travail, soit le 19 mars 2015, avait satisfait à ses obligations, le détachement, alors même qu'il était initialement prévu comme devant débuter le 23 mars 2015, n'a été effectif qu'à compter du 4 mai 2015 soit postérieurement à l'entrée en vigueur, le 1er mai 2015, du décret du 30 mars 2015.

L'entreprise était donc fautive de n'avoir pas, en conséquence, modifié sa déclaration primitive afin de se mettre en conformité avec les nouvelles dispositions ; c'est donc à bon droit que deux amendes lui ont été infligées par le directeur régional du travail.

Cette décision, alors que la bonne foi de l'intéressée n'était pas discutée, est très inéquitable et témoigne de l'un des travers du modèle administratif français plus soucieux d'un respect symbolique que d'une efficacité pratique.

(24 février 2021, Société Tradi Art Construction, n° 431090)

 

81 - Agents de Pôle emploi - Remboursement des frais de déplacement - Fixation d'un ordre de priorité dans l'usage des moyens de transports - Invocation de l'existence d'un "usage" - Rejet.

Le syndicat requérant contestait une instruction par laquelle le directeur général de Pôle emploi a fixé les modalités de remboursement des frais de déplacements pour motif syndical en établissant un ordre de priorité entre les moyens de transports utilisés avec dérogation possible lorsque les circonstances l'imposent.

Le Conseil d'État rejette en premier lieu le grief tiré de ce que cette instruction serait contraire à la convention collective nationale de Pôle emploi puisqu'elle ne porte point atteinte au libre exercice du mandat syndical.

Il rejette, en second lieu, l'argument tiré de l'existence d'un "usage" à Pôle emploi concernant l'utilisation d'un véhicule personnel, un tel usage ne pouvant être invoqué qu'à la condition, absente en l'espèce, d'avoir fait l'objet d'un agrément dans les conditions prévues à l'art. L. 5312-9 du code du travail.

(24 février 2021, CGT Pôle emploi Centre Val-de-Loire, n° 432039)

 

Élections

 

82 - Élections municipales et communautaires du 15 mars 2020 - Diffusion d'un tract l'avant-veille du scrutin contenant un élément nouveau de polémique électorale - Protestataires ne démontrant pas l'impossibilité d'y répliquer en temps utile - Liste élue avec un nombre de voix très supérieur à la majorité absolue - Rejet.

La double circonstance qu'il n'était pas impossible à une liste de candidats de répliquer à la diffusion tardive d'un tract comportant un élément nouveau de polémique électorale et que le nombre de suffrages de la liste élue excédait notablement la majorité absolue des suffrages entraîne le rejet de la protestation tendant à l'annulation d'opérations électorales

(3 février 2021, M. J. et autres, Élections mun. et cnautaires de Talais, n° 445759)

(83) V., à l'inverse, à propos, d'une part, de tracts diffusés par voie postale mettant gravement en cause la probité d'un candidat dans des termes excédant ce qui peut être toléré dans le cadre d'une polémique électorale et, d'autre part, de l'impossibilité d'y répondre en temps utile, conduisant à l'annulation du premier tour de scrutin et, par voie de conséquence, du second tour : 11 février 2021, M. I, Élections mun. et cnautaires de la commune d'Oisy, n° 445100.

Dans le même sens que la décision précédente, voir aussi : 12 février 2021, M. L. et autres, Élect. municipales de Cléon, 445409

 

84 - Élections municipales et communautaires du 15 mars 2020 - Communes de mille habitants et plus - Bulletin devant comporter deux listes de candidats, municipaux et communautaires - Désignation insuffisante d'une des listes - Bulletins devant être déclarés nuls - Conséquence - Annulation des élections et du jugement contesté.

Le code électoral (art. L. 273-9) impose que les bulletins de vote, dans les communes de mille habitants et plus, s'agissant d'élections municipale et communautaires, comportent simultanément les deux listes de candidats, respectivement de conseillers municipaux et de conseillers communautaires.

Sont nuls, en leur entier, les bulletins ne comportant qu'une désignation insuffisante de la liste.

En l'espèce, treize bulletins ne comportaient qu'une seule liste, celle des candidats au mandat de conseiller municipal. Contrairement aux premiers juges, le Conseil d’État les déclare nuls.

Du fait de cette irrégularité et en raison du faible écart de voix entre les différentes listes, l'annulation des bulletins concernés provoque l'inversion des résultats du scrutin, altérant ainsi - malgré l'absence de manoeuvre et de doute sur l'intention des électeurs concernés - la sincérité du scrutin, ce qui conduit à l'annulation de l'ensemble des opérations électorales.

(4 février 2021, M. D., Élections mun. et cnautaires de la commune de Thénac, n° 443446)

 

85 - Élection d'adjoints au maire - Principe de parité - Non-respect - Annulation de l'élection - Rejet.

Le principe de parité imposé pour la présentation des listes de candidats aux élections exige que chaque liste soit composée alternativement d'un candidat de chaque sexe.

Une liste de candidats d'adjoints au maire composée successivement d'un homme, d'une femme, d'un homme et de deux femmes est irrégulière et l'élection de ces personnes doit être annulée.

(10 février 2021, M. D. et autres, Élections des adjoints au maire de la commune de Plourhan, n° 442495)

 

86 - Élections municipales du 15 mars 2020 - Non-correspondance entre le nombre de bulletin et celui des émargements - Annulation du bulletin excédentaire et retranchement d'une voix à chacun des élus - Conséquence - Annulation partielle.

La présence d'un bulletin de plus que le nombre d'émargements conduit à l'annulation de celui-ci et, par voie de conséquence, à le retrancher du nombre total des suffrages exprimés ainsi que du nombre de voix obtenues par chacun des candidats déclarés élus.

Ceci a pour conséquence que le dernier candidat élu n'a plus la majorité absolue et que son élection est annulée comme l'ont à bon droit décidé les premiers juges. En revanche, ces derniers ne pouvaient pas, à égalité de voix et par application du principe de séniorité, proclamer élue la première candidate qui avait été déclarée non élue puisque, par retranchement d'un suffrage au nombre de voix obtenues elle n'était plus en position d'être déclarée élue.

(10 février 2021, M. L., Élections municipales d'Éteveaux, n° 445165)

 

87 - Élections municipales et communautaires du 15 mars 2020 - Niveau élevé inhabituel du taux des abstentions - Absence d'altération de la sincérité du scrutin, au libre exercice du droit de vote ou à l'égalité entre candidats - Rejet.

La circonstance que la tenue d'un scrutin en période de pandémie expliquerait le taux élevé d'abstentions dans une commune ne constitue pas une circonstance propre à cette dernière, ne porte pas atteinte à la liberté d'exercice du droit de vote, ni à l'égalité entre candidats et donc, par suite, n'a pas altéré la sincérité du scrutin.

(11 février 2021, M. C., Élections mun. et cnautaires de la commune de Savigneux, n° 445309)

 

88 - Élections municipales du 15 mars 2020 - Protestation émanant d'une personne n'ayant pas la qualité d'électeur ni celle d'éligible - Irrecevabilité.

Est irrecevable la protestation dirigée contre les résultats d'une élection par une personne qui, non inscrite sur les listes électorales et n'ayant pas contesté cette absence d'inscription, n'est, en conséquence, ni électeur ni éligible.

(15 février 2021, M. D., Élections municipales de la commune de Régina-Kaw, n° 445636)

 

89 - Élections municipales et communautaires - Absence d'indication de la nationalité de candidats ressortissants de l'UE autres que Français - Annulations des bulletins litigieux - Conséquences - Altération de la sincérité du scrutin - Confirmation de l'annulation des opérations électorales.

L'art. L.O. 247-1 du code électoral dispose que les bulletins de vote, dans les communes concernées, doivent, à peine de nullité, comporter, à la suite du nom des candidats, l'indication de leur nationalité lorsqu'il s'agit de ressortissants de pays de l'Union européenne autres que la France.

Dans ces conditions, les bulletins obtenus par une liste D. ont été déclarés nuls et cette liste, qui avait recueilli plus de 42% des suffrages exprimés n'a donc obtenu aucun siège de conseiller municipal alors même que la loi a prévu que toute liste ayant recueilli au moins 5% des suffrages doit être représentée au sein du conseil municipal. Les électeurs concernés ont ainsi vu leurs votes privés de tout effet utile.

Le juge d'appel en déduit l'altération de la sincérité du scrutin en dépit de l'absence de manoeuvre. Il confirme l'annulation du scrutin prononcée en première instance.

(16 février 2021, M. F., Élections mun. et cnautaires de la commune de Cousolre, n° 445433)

 

90 - Polynésie française - Élections des 15 mars et 28 juin 2020, des maires délégués dans les communes associées - Régimes juridique et contentieux applicables - Formation d'une QPC - Existence d'une candidature déclarée en vue de sa désignation comme maire délégué - Candidature non prise en compte - Rejet de l'appel contre le jugement annulant les opérations électorales.

Le régime électoral applicable en Polynésie française combine des dispositions propres à ce territoire et des dispositions communes au droit électoral national.

Étaient en cause les opérations électorales ayant conduit à la désignation des maires délégués dans les communes associées de la commune de Taha'a.

Le juge aborde trois questions.

La première est une question de droit du contentieux électoral. En tant qu'il est formé par la commune précitée, l'appel comme au reste l'action introduite en première instance, est irrecevable  car il résulte, d'une part des dispositions des articles L. 2113-22, L. 2122-13, L. 2573-3 et L. 2573-6 du code général des collectivités territoriales, et d'autre part de celles des articles L. 248 et L. 250 du code électoral, que les protestations dirigées contre les opérations électorales par lesquelles un conseil municipal désigne, en Polynésie française, les maires délégués des communes associées doivent être formées dans les conditions, formes et délais prescrits pour les réclamations contre les élections du conseil municipal et qu'il en va de même pour l'appel d'un jugement statuant sur de telles protestations. Ainsi, une commune ne saurait donc avoir la qualité de partie devant le juge de l'élection saisi d'une contestation relative à l'élection de maires délégués des communes associées, ni pour faire appel d'un jugement annulant les opérations électorales par lesquelles un conseil municipal désigne ces délégués. 

La seconde question prend la forme d'une contestation de la décision des premiers juges refusant le renvoi d'une QPC ainsi que d'une demande au juge d'appel de renvoyer cette QPC. Il était prétendu qu'étaient inconstitutionnelles les dispositions de l'article L. 2573-3 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction issue de l'article 3 de la loi du 5 décembre 2016 en ce qu'elles porteraient atteinte aux principes d'égalité devant le suffrage, de pluralisme des courants d'idées et d'opinion, de la prohibition de tout mandat impératif et de libre administration des collectivités territoriales. L'argument est rejeté car le principe d'égalité n'exclut pas les différences de traitement aux conditions d'encadrement ordinaires, l'atteinte invoquée au pluralisme n'est pas jugée sérieuse, et enfin, les dispositions contestées ne portent aucune atteinte aux deux derniers principes invoqués par les requérants.

Enfin, sur les opérations électorales elles-mêmes, le rejet était inévitable. En effet, l'article L. 2573-3 du CGCT dispose que les maires délégués des communes associées de Polynésie française sont élus par le conseil municipal parmi les conseillers municipaux faisant acte de candidature qui figurent sur la liste ayant recueilli le plus de suffrages dans la section électorale concernée, ou à défaut parmi les candidats élus sur les autres listes dans la même section électorale ou encore à défaut parmi les autres membres du conseil municipal. Dès lors, comme c'était le cas en l'espèce, qu'un conseiller municipal élu sur la liste arrivée en tête dans chacune de ces communes associées était candidat, sa candidature ne pouvait pas être écartée.

(17 février 2021, Commune de Taha'a et autres, n° 446734)

(91) V. aussi, semblables : 17 février 2021, Mme J. et autres, n° 446738 ; 17 février 2021, M. M. et autres, n° 446740 ; 17 février 2021, Commune de Taha'a et M. B., n° 446743 ; 17 février 2021, Commune de Taha'a, n° 446746, Mme L. et autres, n° 446747 ; 17 février 2021, Commune de Hitia'a O Te Ra, n°446754 ; 17 février 2021, M. I., n° 446755 ; 17 février 2021, Commune de Huahine, MM. Tuihani et Mou-Sin, n° 446756

(92) V. également, très proche : 17 février 2021, Commune de Tumaraa, n° 446752 ; 17 février 2021, Mme C., n° 446753.

(93) V. voisin mais soulevant des questions spécifiques : 17 février 2021, M. A., en son nom personnel et en qualité de maire de Taiarapu-Est, n° 446767 et Commune de Taiarapu-Est et M. A., en qualité de maire de Taiarapu-Est, n° 446788.

(94) V. encore, un peu voisin : 17 février 2021, M. B., n° 446777.

 

Environnement

 

95 - Protection de la faune - Ours brun des Pyrénées - Dommages causés aux troupeaux domestiques - Mesures expérimentales d'effarouchement simple de l'ours et d'effarouchement renforcé - Annulation partielle.

Afin de prévenir les dommages causés aux troupeaux par les ours pyrénéens, un arrêté du 27 juin 2019 a mis en place, à titre expérimental, des mesures d'effarouchement des ours et, à cette fin, a permis aux préfets d'accorder des dérogations à l'interdiction de perturbation intentionnelle des ours bruns. Deux niveaux d'effarouchement ont ainsi été créés : l'effarouchement simple, lorsque se sont produites au  moins une attaque sur l'estive lors de l'année précédente ou au moins quatre attaques cumulées au cours des deux années précédentes, et l'effarouchement renforcé lorsque malgré la mise en oeuvre effective de moyens d'effarouchement simple, une deuxième attaque en moins d'un mois ou, sur les estives ayant subi au moins quatre attaques sur les deux dernières années, dès la première attaque imputable à l'ours.

Tout d'abord, le juge rejette l'argument tiré du principe de précaution, celui-ci ne pouvant jouer en l'absence d'incertitudes scientifiques en la matière.

Ensuite, le juge relève que les mesures d'effarouchement simple ne sont pas illégales en ce que, notamment, elles ne sont pas de nature à porter atteinte au maintien des populations d'ours ou à compromettre l'amélioration de l'état de conservation de l'espèce.

En revanche, il juge illégal l'art. 4 de l'arrêté attaqué en tant que, au titre de l'effarouchement renforcé, il autorise le recours à des tirs non létaux de toute arme à feu chargée de cartouches en caoutchouc ou de cartouches à double détonation, il prévoit que les dérogations accordées sont délivrées pour deux mois et sont reconductibles deux fois et, enfin, autorise cet usage à l'éleveur ou au berger, titulaires du permis de chasser, aux lieutenants de louveterie, aux chasseurs ou encore aux agents de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage, après une formation préalable par les agents de cet Office. En effet, le juge considère qu'en n'encadrant pas davantage l'usage de l'effarouchement renforcé,  les dispositions de l'arrêté litigieux relatives à ce mode d'effarouchement ne permettent pas de s'assurer, eu égard aux effets d'un tel effarouchement sur l'espèce, que les dérogations susceptibles d'être accordées sur ce fondement par le préfet ne portent pas atteinte, en l'état des connaissances prévalant à la date de l'arrêté attaqué, au maintien des populations concernées dans leur aire de répartition naturelle et ne compromettent pas l'amélioration de l'état de l'espèce.

(4 février 2021, Association Ferus - Ours, loup, lynx et autres, n° 434058)

 

96 - Protection des sites Natura 2000 - Compétitions de sports motorisés - Manifestations se déroulant en dehors des lieux ou parcours fermés de manière permanente à la circulation publique - Obligation de produire une évaluation des incidences Natura 2000 - Obligation s'imposant à toutes les manifestations - Illégalité - Annulation partielle.

L'arrêté  du 2 avril 2019, pris pour l'application de l'art. R. 331-24-1 du code du sport relatif aux épreuves et compétitions de sports motorisés sur les voies non ouvertes à la circulation publique, impose à l'organisateur d'une manifestation se déroulant sur des terrains ou des parcours fermés de manière permanente à la circulation publique et non soumis à la procédure prévue à l'article L. 421-2 du code de l'urbanisme qu'il produise, au soutien de sa demande d'autorisation, d'une part, une évaluation des incidences Natura 2000 prévue en application de l'article R. 414-19 du code de l'environnement et, d'autre part, un formulaire décrivant les incidences de la manifestation sur l'environnement ainsi que les mesures préventives et correctives.

Or une telle évaluation n'est exigée, selon les termes mêmes du I de l'art. L. 414-4 du code de l'environnement, que pour les manifestations "susceptibles d'affecter de manière significative un site Natura 2000, individuellement ou en raison de leurs effets cumulés (...)".

En imposant cette formalité à toute demande d'autorisation d'une manifestation de véhicules terrestres à moteur sur des voies non ouvertes à la circulation publique, l'arrêté litigieux est illégal car il excède le champ de l'article L. 414-4 du code précité.

(15 février 2021, Fédération française de motocyclisme, n° 431578)

 

97 - Énergie électrique d'origine nucléaire - Catastrophe de Fukushima - Contrôle subséquent de l'ensemble des réacteurs nucléaires français (systèmes et composants essentiels du "noyau dur") - Diverses mesures ordonnées par l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) - Absence de vice de forme ou d'erreur d'appréciation - Rejet.

Suite à la catastrophe nucléaire de Fukushima (11 mars 2011), l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a demandé à EDF de procéder à une vérification de l'ensemble des réacteurs nucléaires de ses centrales et, au vu des résultats, a pris un certain nombre de décisions ou de préconisations.

Les requérantes contestent deux décisions de l'ASN fixant des prescriptions complémentaires à EDF ou en modifiant d'autres antérieures. Leurs demandes sont rejetées.

Un premier moyen était tiré de l'irrégularité de la procédure de participation du public car l'ASN a omis d'annexer le dossier de demande d'EDF au projet de décision mis en ligne sur son site Internet à l'occasion de la première procédure de participation du public qui s'est déroulée du 22 octobre au 5 novembre 2018. Il est rejeté par le double motif que cette omission a été réparée lors de la seconde procédure de participation, qui s'est tenue du 21 décembre 2018 au 10 janvier 2019, et qu'aucune personne ayant participé à la première procédure n'a été empêchée de participer à la seconde. Le juge estime que la circonstance de la coïncidence de cette dernière avec les fêtes de fin d'année a été sans incidence alors même que la participation à la seconde procédure a été inférieure à celle de la première procédure.

On peut regretter ce rejet un peu expéditif du moyen.

Un second moyen soulevait l'erreur d'appréciation commise par l'ASN concernant la dispense accordée à EDF de rendre obligatoire la présence de diesels d'ultimes recours pour le cas où l'alimentation électrique ne serait plus possible ou insuffisante en cas de catastrophe car, relève le juge, la sûreté de chacun des réacteurs de l'installation en cause a été renforcée par la mise en place d'un système d'alimentation électrique de l'appoint en eau ultime permettant le refroidissement des réacteurs et des piscines de cette installation.

(15 février 2021, Associations Réseau " Sortir du nucléaire " et Greenpeace France, n° 433832 et n° 433834)

 

98 - Loups - Destruction - Dérogation préfectorale au quota annuel de destructions - Compétence des ministres chargés de l'agriculture et de l'environnement - Tirs autorisés, de défense simple ou mixtes - Rejet.

La requérante demandait l'annulation de deux arrêtés interministériels (écologie et agriculture) du 26 juillet 2019 et du 30 décembre 2019 portant expérimentation de diverses dispositions en matière de dérogations aux interdictions de destruction pouvant être accordées par les préfets concernant le loup.

Un seul des moyens soulevés est retenu : les dispositions des II des articles 5 des deux arrêtés attaqués  sont illégaux car si l'art. 2 du décret du 12 septembre 2018 dont ces arrêtés font application permet aux préfets de département d'autoriser la poursuite de tirs de défense simple ou renforcée, dans la limite de 2 % de l'effectif moyen de loups estimé annuellement, lorsqu'est atteint avant la fin de l'année civile concernée le nombre maximum de spécimens de loups dont la destruction est autorisée, ce texte ne permet pas, comme le font à tort les dispositions querellées des arrêtés litigieux, la poursuite de tirs de défense mixte ainsi que de tirs de prélèvement simple.

En revanche sont rejetés tous les autres moyens : l'arrêté du 26 juillet 2019 n'était pas tenu de suivre le sens des observations formulées par le public ; la possibilité octroyée au préfet coordinateur de suspendre certaines autorisations de tir délivrées par les préfets de département, ni aucune autre disposition du décret du 12 septembre 2018 ne s'opposent à ce que les ministres chargés de l'environnement et de l'agriculture prévoient, sur le fondement de l'article R. 411-13 du code de l'environnement, une suspension automatique des seuls tirs de prélèvements afin de garantir le respect du plafond annuel mentionné à l'article 2 de l'arrêté du 19 février 2018 ; contrairement à ce qui est soutenu, d'une part, le recours à des tirs de défense mixte est toujours conditionné au constat préalable, dans des zones précisément identifiées par la voie réglementaire, de l'existence de dommages importants aux élevages  et, d'autre part, le recours aux tirs de prélèvement simples est bien toujours conditionné à l'existence préalable de dommages importants causés aux troupeaux ; la solution retenue ne méconnaît pas la condition relative à l'absence d'autre solution satisfaisante ; la fixation du nombre de spécimens de loups pouvant être détruits, pour les années 2019 puis 2020, par référence à un plafond correspondant à 17 % de l'effectif moyen de la population de l'espèce, ne méconnaît pas les dispositions de l'article L. 411-2 du code de l'environnement ; pas davantage ne sont ici méconnus le principe de précaution et celui de non-régression.

(15 février 2021, Association One Voice, n° 434933 et n° 437646)

 

99 - Rivières et cours d'eau - Notion d'obstacle à la continuité écologique et au débit réservé à laisser à l'aval des ouvrages en rivière - Décret du 3 août 2019 - Illégalité de l'art. 1er - Rejet pour le surplus.

Les requérants demandaient l'annulation entière ou de certaines des dispositions du décret n° 2019-827 du 3 août 2019 modifiant diverses dispositions du code de l'environnement relatives à la notion d'obstacle à la continuité écologique et au débit réservé à laisser à l'aval des ouvrages en rivière.

De très nombreux moyens étaient soulevés, qui ne peuvent être présentés ici, un seul d'entre eux prospérant.

Le Conseil d'État annule l'art. 1er du décret attaqué en tant qu'il interdit  de manière générale, la réalisation, sur les cours d'eau classés au titre du 1° du I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement, de tout seuil ou barrage en lit mineur de cours d'eau atteignant ou dépassant le seuil d'autorisation du 2° de la rubrique 3.1.1.0 de la nomenclature annexée à l'article R. 214-1 de ce code, alors que la loi prévoit que l'interdiction de nouveaux ouvrages s'applique uniquement si, au terme d'une appréciation au cas par cas, ces ouvrages constituent un obstacle à la continuité écologique (cf. 1° du I de l'art. L. 214-17 précité).

(15 février 2021, Association Union des étangs de France, n° 435026 ; Fédération Électricité autonome française, n° 435036 ; Fédération nationale de la pêche en France et de protection du milieu aquatique, n° 435060 ; Syndicat France hydro-électricité et autres, n° 435182 ; Association France nature environnement, n° 438369)

 

100 - Biocarburants - Huile de palme - Note d'information de l'administration des douanes incluant les carburants produits à partir d'huile de palme (PFAD) dans le mécanisme de la taxe incitative à l'incorporation de biocarburants - Loi excluant des biocarburants les produits à partir d'huile de palme - Illégalité - Annulation de la note d'information.

Est entachée d'illégalité la note d'information de l'administration des douanes, du 19 décembre 2019, qui range les carburants produits à partir d'huile de palme ou de ses dérivés (PFAD) éligibles à la taxe incitative relative à l'incorporation de biocarburants alors, d'une part, que la loi (dernier alinéa du B du V de l'article 266 quindecies du code des douanes) décide que " Ne sont pas considérés comme des biocarburants les produits à base d'huile de palme " et que, d'autre part, les PFAD  sont extraits de l'huile de palme brute au cours de son raffinage.

On peine à concevoir qu'une administration d'État puisse à ce point faire fi de prescriptions législatives : les lobbies parviennent-ils jusqu'à faire nier l'évidence ?

(24 février 2021, Associations Canopée et Les amis de la terre et autre, n° 437277)

 

Fonction publique et agents publics

 

101 - Militaire - Retraite - Calcul du montant de la pension de retraite - Traitement des six derniers mois précédant le départ en retraite - Traitement afférent à des services effectifs - Annulation.

La base de calcul de la retraite des fonctionnaires est constituée par le dernier traitement d'activité afférent à leur grade, touché durant six mois au moins de services effectifs.

En l'espèce, un militaire versé par la suite dans la réserve opérationnelle a demandé la révision du montant de sa pension de retraite en se prévalant de la règle rappelée ci-dessus. Le tribunal lui a donné raison en relevant que la nomination de l'intéressé dans son nouveau grade était intervenue plus de six mois avant la fin de la période de réserve d'une durée continue de plus d'un mois.

Le Conseil d’État aperçoit une erreur de droit dans le fait que le tribunal n'a pas vérifié, ce qui lui était demandé par le ministre défendeur, si l'intéressé avait accompli au moins six mois de services effectifs, continus ou non, dans son nouveau grade au sein de la réserve opérationnelle.

Après annulation du jugement, traitant l'affaire au fond, le Conseil d’État constate que la durée des services effectifs accomplis par le demandeur dans le nouveau grade était très inférieure à la durée minimale de six mois. Sa requête est rejetée.

(4 février 2021, M. C., n° 439662)

 

102 - Accident de service - Accident survenu à un agent à l'intérieur de sa propriété - Notion de trajet entre le domicile et le lieu du travail - Absence ici - Annulation.

Un jugement qualifie inexactement d'accident de service l'accident subi par l'intéressé à l'intérieur de sa propriété alors qu'ayant placé son véhicule sur la voie publique en vue de son départ vers son lieu de travail, il était retourné sur sa propriété pour fermer la porte du garage.

La solution ne brille pas par son équité.

(12 février 2021, M. A., n° 430112)

 

103 - Sanction disciplinaire - Procédure - Absence de motivation - Absence de comunication des auditions organisées dans le cadre de l'enquête administrative - Annulation de l'arrêté attaqué.

Doit être annulé pour illégalité l'arrêté ministériel qui inflige la sanction de déplacement d'office à un fonctionnaire :

- d'une part, à raison du défaut de production de la motivation de l'avis rendu par la commission administrative paritaire compétente siégeant en conseil de discipline car cette exigence de motivation constitue une garantie, cela d'autant plus que n'a pas non plus été produit le procès-verbal de la réunion de cette commission,

- d'autre part, pour non-communication à l'intéressé des procès-verbaux des auditions auxquelles la mission d'inpection a procédé au cours de l'enquête en vue de l'établissement de son rapport, alors qu'ils avaient été expressément demandés et que n'est allégué aucun obstacle à cette communication tel le risque de nuire gravement aux personnes interrogées.

(12 février 2021, M. A., n° 435352)

 

104 - Polynésie française - Intégration dans la fonction publique polynésienne des agents de droit privé d'entités dont l'activité est reprise par le territoire - Conditions - "Loi du pays" - Contrôle contentieux.

Une "loi du pays" a fixé le régime juridique des personnels d'entités privés dont l'activité est reprise par le territoire de Polynésie française lorsque ces agents étaient placés sous le régime du contrat à durée indéterminée. Le texte prévoit leur intégration, à diverses conditions, dans la fonction publique polynésienne.

Sasi d'un recours formé par un syndicat de fonctionnaires, le Conseil d'État apporte d'utiles indications dont l'une est propre au droit public local de ce territoire et les deux autres ont valeur de portée générale.

Sur le premier point, il est rappelé que l'article 177 de la loi organique du 27 février 2004, ne permet au Conseil d'État d'apprécier la légalité des " lois du pays " qu'au regard de la Constitution, des lois organiques, des engagements internationaux et des principes généraux du droit. Est par suite inopérant le moyen tiré de ce que la " loi du pays " contestée méconnaitrait les dispositions du code du travail de la Polynésie française alors qu'elles ont elles-mêmes été édictées par une " loi du pays ".

Sur le second point, le juge rappelle deux choses importantes qui valent pour toute la France.

En premier lieu, ne constitue pas, par elle-même, une opération de recrutement soumise au principe d'égal accès aux emplois publics (cf. art. 6 de la Déclaration de 1789), la reprise de contrats de travail par une personne publique gérant un service public administratif, lorsqu'elle résulte du transfert à cette personne d'une entité économique employant des agents de droit privé.

En second lieu cependant, alors même qu'aucune règle ni aucun principe n'interdit de prévoir que certains fonctionnaires puissent être recrutés sans concours, il incombe à l'autorité compétente de ne procéder à une intégration en qualité d'agents titulaires de la fonction publique que sous le respect de trois conditions : 1°/  avoir précisé les modalités selon lesquelles les aptitudes des candidats seront examinées ; 2°/ se conformer à ces modalités; 3°/ fonder sa décision de nomination sur les seuls vertus, talents et capacités des intéressés à remplir leurs missions, au regard de la nature du service public considéré et des règles, le cas échéant statutaires, régissant l'organisation et le fonctionnement de ce service. 

(17 février 2021, Syndicat de la fonction publique et M. B., n° 446833)

 

105 - Référé suspension - Principale adjointe de collège - Révocation - Perte de traitement entraînant une situation d'urgence - Sanction disproportionnée - Annulation de l'ordonnance attaquée - Suspension d'exécution de l'arrêté litigieux.

L'intéressée a été révoquée de sa fonction de principale adjointe de collège pour comportement agressif à l'égard de ses supérieurs, chefs d'établissement, et vexatoire envers ses subordonnés.

Elle a obtenu la suspension d'exécution de l'arrêté de révocation et le ministre défendeur se pourvoit en Conseil d'État. Son pourvoi est rejeté.

Tout d'abord, le juge constate que la condition d'urgence est remplie en raison de l'état de précarité dans lequel la révocation place l'intéressée du fait de ses maigres ressources personnelles ainsi que de celles de son conjoint.

Ensuite, le juge estime disproportionnée la révocation prononcée alors que l'administration disposait d'un large éventail large d'autres sanctions.

(ord. réf. 23 février 2021, Ministre de l'Éducation nationale, n° 445072)

 

106 - Personnel hospitalier - Fixation de la durée quotidienne de travail dans un centre hospitalier - Justification par les contraintes du service public - Insuffisance - Annulation.

Une délibération du conseil de surveillance du centre hospitalier de Lisieux et une note de service de son directeur relatives au plan de retour à l'équilibre ont fixé une durée quotidienne de travail de douze heures pour les infirmiers et les aides-soignants du service pédiatrie, ainsi que les infirmiers des services d'accueil des urgences, de neurologie, de cardiologie, de gastro-entérologie et de gynécologie-obstétrique du centre hospitalier.

Pour juger cette décision régulière la cour administratives d'appel a estimé qu'il n'était pas établi que cette amplitude horaire dérogatoire ne répondrait pas à des contraintes de service public, " eu égard au type de patients qui y sont accueillis ".

Le Conseil d'État estime qu'il incombait à la cour administrative d'appel - ce qu'elle n'a pas fait - de rechercher l'existence d'un motif de nature à justifier, compte tenu des particularités des services en cause et, le cas échéant, d'engagements souscrits par l'établissement dans le cadre d'un plan de redressement ayant donné lieu à un avenant au contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens, que l'organisation du travail des agents en cycle de douze heures était nécessaire pour assurer la continuité et le maintien d'un niveau adéquat de qualité des soins. L'arrêt est annulé avec renvoi.

(19 février 2021, Syndicat départemental Sud santé du Calvados et autre, n° 430606)

 

Libertés fondamentales

 

107 - Étranger - Demande de visa - Visa de court ou de long séjour - Motifs de refus - Annulation.

Lorsqu'un étranger sollicite l'octroi d'un visa de court séjour, sa demande peut être refusée, entre autres motifs, en cas de risque avéré de détournement de son objet car le motif qu'il a indiqué dans sa demande de visa n'est pas le motif réel de son séjour en France, il en va ainsi en particulier si ce dernier cache une finalité migratoire avérée.

Lorsqu'est sollicité un visa de long séjour en qualité de visiteur, donc d'une durée supérieure à trois mois, l'exception de finalité migratoire ne peut pas être opposée à l'étranger demandeur d'un tel visa. En effet, en ce cas, il est loisible à l'étranger, durant son séjour sous visa, de solliciter la délivrance d'un titre de séjour afin de s'installer durablement en France, c'est pourquoi l'exception de finalité migratoire ne peut motiver un refus de visa long séjour. Il n'en irait autrement que dans le cas où, dès la demande de visa de long séjour, l'administration établirait que l'étranger n'est manifestement pas susceptible de remplir les conditions lui permettant d'obtenir le titre de séjour qui lui sera nécessaire après la période couverte par le visa.

L'arrêt d'appel, qui avait jugé possible d'opposer à un demandeur de visa de long séjour le caractère de finalité migratoire de sa demande, est cassé avec renvoi.

(4 février 2021, M. A., n° 434302)

 

108 - Ressortissant d'un pays tiers à l'Union - Détention d'un titre de séjour délivré par un État partie à la convention sur l'accord de Schengen - Droit à séjourner en France quatre-vingt-dix jours - Annulation et injonction.

Il résulte des dispositions du 1. de l'art. 21 de la convention d'application de l'accord de Schengen, dans la version qui lui a été donnée successivement par  le règlement du 25 mars 2010 et par celui du 26 juin 2013 que : " 1. Les étrangers titulaires d'un titre de séjour délivré par un des États membres peuvent, sous le couvert de ce titre ainsi que d'un document de voyage, ces documents étant en cours de validité, circuler librement pour une durée n'excédant pas 90 jours sur toute période de 180 jours sur le territoire des autres États membres, pour autant qu'ils remplissent les conditions d'entrée visées à l'article 5, paragraphe 1, points a), c) et e), du règlement (...) du 15 mars 2006 établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) et qu'ils ne figurent pas sur la liste de signalement nationale de l'État membre concerné (...)".

En l'espèce, un ressortissant tunisien dont les diverses demandes de titre de séjour ont toutes été rejetées, a été interpellé sur le territoire français le 23 octobre 2018 et a fait l'objet le jour même d'un arrêté préfectoral l'obligeant à quitter le territoire français sans délai, lui interdisant d'y revenir pendant six mois et fixant le pays de destination.

Cet arrêté a été annulé par le tribunal administratif mais, la cour administrative d'appel de Lyon a annulé le jugement, en tant qu'il a annulé les décisions par lesquelles le préfet a obligé le requérant à quitter le territoire français et a fixé le pays de destination ; elle a rejeté les demandes du requérant dirigées contre ces deux décisions.

La cour a motivé son arrêt en objectant au requérant, qui soutenait que son retour depuis moins de trois mois sur le territoire français faisait obstacle à son éloignement, qu'il ne se prévalait d'aucune règle ni d'aucun principe. Ce jugeant elle n'a pas correctement motivé son arrêt dès lors qu'il était soutenu devant elle que l'intéressé avait quitté le territoire français à la suite du refus de séjour qui lui avait été opposé en 2017, qu'il bénéficiait d'un titre de séjour de longue durée délivré par les autorités italiennes et que le droit à la libre circulation qu'il tirait de l'article 21 de la convention d'application de l'accord de Schengen faisait obstacle à ce qu'une mesure d'éloignement soit prise à son encontre. 

Le Conseil d’État annule l'arrêt sans renvoi et fait injonction au préfet de munir immédiatement le demandeur d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas, cela dans le délai maximum de quatre mois. 

(4 février 2021, M. A., n° 436109)

 

109 - Cour nationale du droit d'asile (CNDA) - Procédure - Supplément d'instruction ordonné - Régime - Tenue d'une audience - Absence - Annulation avec renvoi.

Il résulte des art. R. 733-25, 733-28 et 733-29 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :

1°/ que le président de la formation de jugement de la CNDA peut, à l'issue de l'audience publique, ordonner un supplément d'instruction ;

2°/ que les productions et observations des parties dans le cadre de ce supplément d'instruction doivent intervenir dans un délai d'un mois à compter de la date de l'audience ;

3°/ qu'à l'expiration de ce délai, il appartient à la formation de jugement de délibérer ;

4°/ que dans le cas où le président de la formation de jugement entend permettre aux parties de produire de nouvelles observations au-delà de ce délai, il doit renvoyer l'affaire à une audience ultérieure. Il en va de même s'il estime nécessaire de recueillir leurs observations orales sur les éléments produits.

En rendant en l'espèce sa décision après avoir ordonné un nouveau supplément d'instruction mais sans tenir d'audience, la formation de jugement de la CNDA a statué dans des conditions irrégulières, notamment au regard des dispositions de l'art. R. 733-2ç du CESEDA, ce qui conduit à la cassation.

(5 février 2021, Office français de protection des réfugiés et apatrides, n° 431131)

 

110 - Réfugié - Conditions de perte de cette qualité (art. L. 711-6 CESEDA) - Deux conditions cumulatives - Apologie publique d'un acte de terrorisme - Absence de qualification comme "acte de terrorisme" - Rejet.

Se fondant sur les dispositions du 2° de l'art. L. 711-6 du CESEDA, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a mis fin au statut de réfugié d'une personne de nationalité russe et d'origine tchétchène, car condamnée pour apologie publique d'un acte de terrorisme. La Cour nationale du droit d'asile (CNDA) a annulé cette décision et rétabli l'intéressé dans sa qualité de réfugié. L'OFPRA se pourvoit contre cette décision.

Le Conseil d'État rejette le pourvoi en relevant que la disposition précitée ne prévoit la perte de la qualité de réfugié que pour "acte de terrorisme" or si l'apologie publique d'un tel acte constitue bien un délit prévu dans un chapitre du code pénal intitulé "Actes de terrorisme", le législateur n'a pas qualifié l'apologie d'un tel acte comme étant elle-même un acte de terrorisme ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel (18 mai 2018, Jean-Marc R., n° 2018-706 QPC).

Cet angélisme est-il bien encore de saison ?

(12 février 2021, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 431239)

 

111 - Référé liberté - Détenu mis à l'isolement carcéral - Contestation et demande de prise de diverses mesures - Rejet.

Un détenu mis à l'isolement carcéral à raison de multiples violations du règlement de la prison, détention et utilisation massive de son téléphone, possession de cartes SIM, commission, depuis sa cellule de prison, d'escroqueries, au moyen de téléphones poortables, sur 52 personnes âgées, se plaint de ses conditions de détention : il demande à sortir du régime d'isolement cellulaire, exige une expertise aux fins d'apprécier ses états psychologique et psychiatrique, etc.

Rejetant le recours dirigé contre l'ordonnance rejetant sa demande en première instance, le Conseil d'État estime tout d'abord que la mise à l'isolement compte tenu de ses activités insolites au sein de la prison n'est une mesure ni injustifiée ni disproportionnée. Ensuite, il juge le maintien de cette condition de détention compatible avec son état général ainsi que l'atteste le suivi régulier dont il fait l'objet à cet égard.

(ord. réf. 12 février 2021, M. A., n° 448997)

 

Police

 

112 - Référé liberté - Évacuation de campements illégaux de migrants - Instauration de périmètres de sécurité - Atteintes à la liberté d'expression et à la liberté de communication des idées et des opinions - Obstacles inadaptés et disproportionnés à l'exercice effectif du métier de journaliste - Absence - Rejet.

Les requérants, qui exercent le métier de journalistes, se plaignent de ce que les conditions matérielles selon lesquelles se déroulent les démantèlements de campements illégaux de migrants portent atteinte à diverses libertés fondamentales en les empêchant d'exercer effectivement leur métier de journalistes couvrant ces opérations de police.

Le Conseil d’État rejette le recours en relevant, d'une part, que les opérations en cause sont justifiées à raison de l'illégalité des campements, parce qu'elles font suite à des décisions de justice les ordonnant et tendent, en particulier, à protéger les mineurs, et, d'autre part, que les périmètres de sécurité sont justifiés afin de faciliter le travail des forces de l'ordre. Par ailleurs, les mesures critiquées ne privent pas les journalistes de toute visibilité sur le déroulement des opérations de telle sorte qu'ils dépendraient exclusivement des informations délivrées par le service de communication des préfectures ; il en va de même des contrôles d'identité.

La requête est rejetée sans qu'il y ait lieu pour le juge de se prononcer sur la condition d'urgence.

(ord. réf. 3 février 2021, MM. Louis J. et Simon A., n° 448721)

 

113 - Police des circuits de vitesse - Homologation - Conditions d'homologation - Respect - Rejet.

Des associations de riverains d'un circuit de vitesse contestent la légalité tant externe qu'interne de l'arrêté ministériel (intérieur) homologuant ledit circuit.

Tous les moyens sont rejetés.

Au plan externe, le délégataire de signature au nom du ministre avait bien le pouvoir de signer l'arrêté, la Commission nationale d'examen des circuits était régulièrement composée au moment où elle a rendu son avis favorable et elle l'a fait dans des conditions conformes au code du sport, enfin le dossier de demande d'homologation comportait bien les documents le complétant à la demande du préfet et de l'agence régionale de santé.

Au plan interne, les mesures exigées afin de préserver la tranquillité publique notamment concernant le niveau des émissions sonores sont conformes aux dispositions du code de la santé publique en la matière.

(11 février 2021, Association des riverains du circuit de Lédenon et autres, n° 432064)

 

114 - Permis de conduire - Suspension - Détermination du conducteur d'un véhicule - Classement sans suite par le procureur de la république - Appréciation souveraine des juges administratifs du fond - Rejet.

Le Conseil d'État estime que le tribunal administratif a pu juger souverainement, sans dénaturation et sans erreur de droit, que, au vu des pièces du dossier, le requérant  était le conducteur du véhicule dont l'immobilisation, sur le bas-côté de la route, avait conduit au contrôle effectué par la gendarmerie alors même que l'autorité administrative n'avait pas établi de procès-verbal à la suite de ce contrôle routier et que la procédure avait, pour ce motif, fait l'objet d'un classement par le procureur de la République.

On peut ne pas approuver cette solution.

(12 février 2021, M. B., n°427187)

 

115 - Travaux sur un immeuble privé - Préfet de police de Paris imposant des études techniques préalables - Invocation des pouvoirs de police municipale du préfet - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit le jugement selon lequel le préfet de police de Paris pouvait, sur le fondement de ses pouvoirs de police municipale, imposer la réalisation d'études techniques préalables à d'éventuels travaux sur un immeuble privé en copropriété alors que ces études visaient à assurer une plus grande sécurité d'un immeuble aux incendies et non d'assurer par elles-mêmes la sécurité de cet immeuble ou de son environnement.

(12 février 2021, Syndicat des copropriétaires de l'immeuble des deux Moulins, n° 428379)

 

116 - Référé liberté - Police spéciale de lutte contre l'urgence sanitaire - Police générale du maire - Interdiction de principe de l'intervention de cette police générale en matière spéciale - Dérogation possible sous deux conditions restrictives et cumulatives - Rejet.

Le maire de Nice avait pris un arrêté interdisant pour les logements de particuliers proposant des hébergements payants temporaires de courtes à moyennes durées, d'accueillir, de recevoir, d'héberger des vacanciers, des touristes ou toute autre personne se déplaçant aux motifs de vacances, villégiatures, tourisme, visites dans la famille ou tout autre motif similaire durant la période du 6 au 20 février 2021. Cet arrêté avait été suspendu par le juge des référés de première instance. La commune a interjeté appel de cette ordonnance, en vain.

Selon le juge la loi du 23 mars 2020 dite d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19, aurait institué au profit des autorités étatiques des pouvoirs exclusifs de police sanitaire qui constituent une police spéciale. Le maire, titulaire des pouvoirs de police générale, ne peut édicter des mesures de lutte contre l’épidémie qu’à la double condition qu'elles soient exigées par des raisons impérieuses propres à la commune et qu'elles ne soient pas susceptibles de compromettre la cohérence et l'efficacité des mesures prises par l'État dans le cadre de ses pouvoirs de police spéciale.

Le raisonnement reprend intégralement celui qui avait été adopté dans l'ordonnance du 17 avril 2020 (Commune de Sceaux, n° 440057 ; V. cette Chronique, avril 2020 n° 43) et il est toujours aussi peu convaincant.

D'une part, on chercherait vainement l'institution d'une police spéciale dans les art. L. 3131-13, L. 3131-15, L. 3131-19 et L. 3131-22 du code de la santé publique, dans la rédaction que leur a donnée la loi d'urgence sanitaire et sur lesquels le Conseil d'État s'appuie. D'autre part, a fortiori et surtout, on trouverait évidemment encore moins une exclusion de toute compétence de la police générale du maire en matière d'épidémie notamment (cf. les termes sans équivoque du 5° de l'art. L. 2212-2 du CGCT), cette exclusion, qui concernerait un texte législatif, devant revêtir un caractère exprès.

(ord. réf. 16 février 2021, Commune de Nice, n° 449605)

 

Professions réglementées

 

117 - Masseur-kinésithérapeute - Demande de l'nscription de la mention "conseil en micronutrition" - Refus - Rejet.

Est, sans surprise, rejeté le recours d'une masseuse-kinésithérapeuthe contre le refus du conseil national de son ordre de l'autoriser à ajouter à ses compétences propres la faculté de conseiller ses patients en "micronutrition".

Le refus de cet ordre de reconnaître le diplôme d'université d'études complémentaires en " micronutrition " délivré en 2018 par l'université de Strasbourg est jugé justifié car cette discipline ne présente pas de liens suffisants avec la masso-kinésithérapie.

(19 février 2021, Mme B., n° 432994)

(118) V. aussi, voisin, à propos d'une décision du conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes refusant de reconnaître la micro-kinésithérapie et le titre de micro-kinésithérapeute : 19 février 2021, Association Microkiné France, n° 440021.

 

119 - Masseurs-kinésithérapeutes - Décision de rejet annulée par le juge - Nouveau rejet fondé pour des motifs identiques en l'absence de changement de fait ou de droit de la situation - Violation de l'autorité de chose jugée - Illégalité - Annulation.

(19 février 2021, M. A., n° 439649) V. n° 9

 

120 - Infirmier - Sanction disciplinaire pour nombre excessif de cotations journalières - Rejet par une instance ordinale d'une demande de reversement d'honoraires à une caisse de sécurité sociale - Violation de l'autorité de chose jugée - Cassation sans renvoi (second pourvoi).

En refusant, dans le cadre d'une instance disciplinaire, d'ordonner à un infirmier sanctionné, de reverser à la caisse demanderesse les honoraires irréguliers pour défaut de production par cette dernière d'éléments nouveaux permettant d'apprécier la réalité de certains des actes reprochés et la justification de leur facturation, la section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des médecins a violé l'autorité de chose jugée attachée à une décision antérieure du Conseil d'Etat ayant tranché cette question en sens inverse.

La cassation était inévitable et, s'agissant d'un second pourvoi, elle conduit le juge à statuer au fond dans une longue décision dont la lecture montre le souci du Conseil d'État dans la précision de l'analyse.

(24 février 2021, Caisse primaire d'assurance maladie de Bayonne, n°420777)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

121 - Réfugié - Décision mettant fin à ce statut - Faculté pour le président d'une formation de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) de décider le huis clos des débats (art. L. 733-1-1 CESEDA) - Faculté pour la CNDA de recueillir des informations auprès du juge judiciaire (art. L. 713-5 CESEDA) - Rejet des deux QPC.

Le requérant auquel le statut de réfugié a été supprimé par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) confirmée par la CNDA, soulevait deux questions préjudicielles.

La première tendait à contester la constitutionnalité des dispositions de l'art. L. 733-1-1 du CESEDA en ce qu'elles permettent au président d'une formation de la CNDA de prononcer le huis clos sans ce que ce pouvoir soit encadré par la loi. Celle-ci décide que l'exercice de ce pouvoir n'est possible que "si les circonstances de l'affaire l'exigent", sans préciser en quoi peuvent consister ces circonstances. L'argument est rejeté car le législateur a ainsi tenu compte de la nature des litiges portés devant la CNDA et des enjeux particuliers qu'ils présentent, notamment au regard de l'intimité et de la vie privée des personnes, de la sécurité et de la confidentialité ; par suite, le prononcé du huis clos n'est possible que dans les seuls cas où la sauvegarde de l'ordre public, le respect de l'intimité des personnes ou des secrets protégés par la loi l'exigent. Il n'est ainsi porté atteinte ni au principe de la publicité des débats ni à celui de l'égalité devant la justice.

La seconde QPC visait l'art. L. 713-5 du CESEDA en ce qu'il permet à la CNDA de refuser de faire droit à une demande de mesure d'instruction auprès de l'autorité judiciaire présentée par le requérant. L'argument est rejeté car s'il appartient à la Cour de rechercher les faits pertinents pour lui permettre de fonder sa décision et, pour cela, le cas échéant, de solliciter l'autorité judiciaire en vue d'obtenir des informations recueillies dans le cadre de procédures civiles ou pénales, de telles dispositions ne portent atteinte ni aux droits de la défense, ni à l'égalité devant la justice ni au droit à un procès équitable garantis par les articles 6 et 16 de la Déclaration de 1789.

Les demandes de renvois des QPC sont rejetées.

(12 février 2021, M. A., n° 439141)

 

122 - Titres nobiliaires - Régimes de leur attribution héréditaire et de leur inscription sur le registre du sceau de France- Impossibilité d'une QPC contre des dispositions législatives inapplicables au litige - QPC irrecevable contre un acte royal de nature souveraine dans l'exercice de son pouvoir administratif - Rejet.

Le requérant, auquel a été refusé par le garde des sceaux le titre de duc de Broglie attribué à son frère cadet (non à lui qui est le frère aîné) et inscrit comme tel au registre du sceau de France, soulève deux QPC.

En premier lieu, est invoquée l'incompétence négative du législateur, aucune disposition du Code civil relatives, d'une part, aux actes de l'état-civil (art. 34, 34-1, 35, 40, 46 et 49) et, d'autre part, aux changements de nom, (art. 61, 61-1, 61-2, 61-3, 61 3-1 et 61-4) ne définissant les règles relatives à la transmission des titres nobiliaires.

Cet argument est rejeté au motif que les dispositions critiquées ne sont pas applicables au litige ce qui est une condition sine qua non de la recevabilité des QPC.

En effet, le Conseil d'Etat rappelle que les titres nobiliaires ne peuvent plus être collationnés, confirmés ou reconnus par une quelconque autorité de la république depuis la promulgation des lois constitutionnelles de 1875 (lois des 24 et 25 février et du 16 juillet 1875). Au reste, le garde des sceaux, en vertu des décrets du 8 janvier 1859 et du 10 janvier 1872, se borne à décider sur les demandes de vérification des titres de noblesse, ce qui le conduit uniquement à examiner les preuves de la propriété du titre par celui qui en fait la demande ; ce faisant, car le titre nobiliaire ne se confond pas avec le nom, il n'exerce aucune compétence qui ferait application des dispositions contestées du Code civil.

En second lieu, est rejetée la QPC tendant à faire juger par le Conseil constitutionnel la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des lettres patentes du roi  Louis XV de juin 1742, enregistrées au Parlement de Paris le 20 août 1742, au vu desquelles les arrêtés litigieux ont été pris, qui prévoient que " le titre, qualité et honneur de duc héréditaire " Broglie est exclusivement transmis de son titulaire à " l'aîné de ses mâles nés et à naître de lui en légitime mariage " car elles ne sont pas de nature législative.

En effet, si certains actes des rois de France constituent des lois, tels la plupart des édits ou des ordonnances, quelques baillettes aussi, c'est à la condition qu'ils aient été pris par le roi selon la procédure alors usitée pour les actes à portée générale et impersonnelle.

En l'espèce, il est jugé que "les actes conférant, confirmant ou maintenant les titres nobiliaires antérieurement à l'instauration de la république constituent des actes de la puissance souveraine dans l'exercice de son pouvoir administratif, y compris en ce qu'ils fixent, le cas échéant, les règles de transmission de ces titres. Par suite, les lettres patentes du roi Louis XV de juin 1742 ne sont pas au nombre des dispositions législatives susceptibles d'être renvoyées au Conseil constitutionnel en application de l'article 61-1 de la Constitution".

Notre requérant aura perdu son procès mais gagné une jolie leçon de droit nobiliaire sous la république.

(12 février 2021, M. B., n° 440401)

 

123 - Décision-cadre n° 2008/909/JAI du Conseil du 27 novembre 2008 - Reconnaissance mutuelle et exécution des jugements rendus en matière pénale dans l'UE - Transfèrement international des détenus - Pouvoir du garde des sceaux (art. 728-10 à 728-22 inclus du c. proc. pén.) - Question de caractère sérieux - Renvoi de la QPC.

Est jugée de caractère sérieux et renvoyée au Conseil constitutionnel la question de savoir si les art. 728-10 à 728-22 inclus du code de procédure pénale portent atteinte à un droit ou à une liberté que garantit la Constitution en tant, d'une part, qu'ils ne prévoient pas de voie de recours contre les décisions du ministère public décidant d'engager, sans le consentement de la personne détenue, une procédure de transfèrement international ou refusant de donner suite à une demande de transfèrement international et, d'autre part, qu'ils ne prescrivent pas de délai au ministère public pour statuer sur une telle demande.

(16 février 2021, Section française de l'Observatoire international des prisons, n° 446531)

 

124 - Transaction commerciale sans facture - Amende égale à 50% du montant de la transaction - Solidarité en paiement du client (art. 1737, I du CGI) - QPC renvoyée au Conseil constitutionnel.

Constitue une question de caractère sérieux justifiant son renvoi au Conseil constitutionnel celle de savoir si le I de l'art. 1737 du CGI porte atteinte au principe de nécessité des peines en tant qu'il prévoit qu'entraîne l'application d'une amende égale à 50 % du montant de la transaction, le fait de ne pas délivrer une facture.

(24 février 2021, Société KF3 Plus, n° 443476)

 

125 - Pensions alimentaires - Régime fiscal - Article 156 du CGI - Cas des pensions pour enfants en résidence alternée - Atteinte ux principes d'égalité devant la loi et les charges publiques - Question de caractère sérieux - Renvoi de la QPC au Conseil constitutionnel.

Revêt un caractère sérieux la question de sa voir si les dispositions du deuxième alinéa du 2° du II de l'article 156 du CGI (selon lesquelles le contribuable ne peut opérer aucune déduction pour ses descendants mineurs, des pensions alimentaires versées en vertu d'une décision de justice et en cas de révision amiable de ces pensions lorsque ces descendants sont pris en compte pour la détermination de son quotient familial), en tant qu'elles sont applicables  aux parents d'enfants mineurs en résidence alternée en cas de séparation, de divorce, d'instance de séparation ou de divorce, portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment aux principes d'égalité devant la loi et les charges publiques.

(24 février 2021, M. B. et Mme G., n° 447219)

 

Responsabilité

 

126 - Enfant victime d'un malaise cardiaque dans la cour d'une école - Soins de premiers secours donnés sur place - Appel tardif aux services de secours - Faute - Faute sans effet sur le préjudice - Annulation de l'arrêt d'appel et confirmation du premier jugement.

Un enfant est victime d'un malaise cardiaque dans une cour d'école ; des soins appropriés lui sont donnés immédiatement puis, les massages cardiaques avec ventilation et utilisation d'un défibrillateur automatique demeurant sans effets, les services de secours sont appelés. Estimant ce délai, de dix minutes, excessif, les premiers juges y aperçoivent une faute résultant d'un défaut d'organisation du service public et ordonnent, par un jugement avant dire droit, une expertise aux fins de déterminer le taux de perte de chance d'éviter le décès de l'enfant lié à ce délai. L'expert a conclu à l'absence de caractère fautif de ce délai en raison notamment de la maladie cardiaque génétique dont l'enfant était atteint, laquelle a provoqué une forte résistance aux manoeuvres de réanimation. Le tribunal a rejeté les requêtes à fins indemnitaires dont il était saisi.

La cour, a annulé le jugement avant dire droit au motif qu'il n'y avait pas eu de faute dans l'organisation du service public et rejeté l'appel formé par les requérants ainsi que leurs demandes d'indemnisation.

Ceux-ci se pourvoient.

Le Conseil d'Etat annule l'arrêt car il y a bien eu faute dans l'organisation du service public. En effet, même formés et équipés pour ce genre d'incident, les personnels de l'école devaient immédiatement alerter les services de secours tout en prodiguant les premiers soins et non attendre que ces derniers aient échoué. Toutefois, comme le tribunal administratif, le Conseil d'Etat considère que le caractère excessif de la durée du délai à appeler les secours " n'a pas eu d'incidence sur les chances de survie de l'enfant, en raison notamment de la maladie cardiaque génétique dont il était atteint, qui a entraîné une forte résistance aux manoeuvres de réanimation, même réalisées par des équipes spécialisées de secours, et de l'importance du délai écoulé jusqu'à la reprise de l'activité cardiaque, au cours duquel des lésions cérébrales sont apparues, qui sont à l'origine de l'encéphalopathie anoxique ayant conduit au décès de l'enfant après plusieurs jours d'hospitalisation en service de réanimation".

Le rejet des requêtes est confirmé.

(12 février 2021, Mme D. et autres, n° 429801)

 

127 - Travailleur exposé à l'amiante - Bonification de retraite au titre de travaux insalubres - Indemnisation du préjudice d'anxiété - Rejet.

Un agent de la direction des constructions navales (DCN) de Toulon y ayant travaillé en qualité d'ouvrier de l'État, a obtenu, par application d'un arrêté ministériel, une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante et une bonification de retraite au titre de l'accomplissement de travaux insalubres. Il a sollicité la réparation du préjudice moral d'anxiété résultant de la crainte de développer une pathologie liée à l'amiante. Il se pourvoit contre l'arrêt confirmatif rejetant sa demande motif pris de ce que l'intéressé n'ayant pas produit de relevé de carrière indiquant l'état exact des services ayant pu risquer de l'exposer aux poussières d'amiante, ni d'attestation d'exposition à l'amiante, la circonstance qu'il ait bénéficié d'une bonification de retraite au titre de travaux insalubres ne suffisait pas à établir les conditions et la durée de son exposition personnelle aux poussières d'amiante et, par suite, à justifier la réparation du préjudice moral d'anxiété invoqué.

Le juge de cassation approuve en tout point cette solution.

(23 février 2021, M. B., n° 439489)

 

128 - Carence dans l'exercice des pouvoirs de police par un maire - Délai de deux ans pour remédier à des désordres résultant du dispositif d'évacuation des eaux usées - Délai d'exécution excessif - Carence fautive - Annulation.

Doit être annulé le jugement estimant que ne révèle pas une carence fautive le délai de deux ans mis par une commune pour mettre un terme aux nuisances olfactives subies par la demanderesse du fait du fonctionnement défectueux du système communal d'évacuation des eaux usées.

(19 février 2021, Mme D., n° 423658)

 

Sport

 

129 - Protection des sites Natura 2000 - Compétitions de sports motorisés - Manifestations se déroulant en dehors des lieux ou parcours fermés de manière permanente à la circulation publique - Obligation de produire une évaluation des incidences Natura 2000 - Obligation s'imposant à toutes les manifestations - Illégalité - Annulation partielle.

(15 février 2021, Fédération française de motocyclisme, n° 431578) V. n° 96

 

130 - Police des circuits de vitesse - Homologation - Conditions d'homologation - Respect - Rejet.

(11 février 2021, Association des riverains du circuit de Lédenon et autres, n° 432064) V. n° 113

 

Urbanisme

 

131 - Permis de construire et permis modificatif - Examen au cas par cas pour l'appréciation du besoin d'une étude d'impact - Prise en considération globale de deux permis de construire des habitats sociaux sur deux parcelles adjacentes - Jugement fondé sur l'existence d'un projet unique - Erreur de droit - Annulation.

Lorsqu'une demande de permis de construire concerne l'édification de bâtiments d'une certaine importance, la réglementation impose un examen au cas par cas afin de déterminer s'il doit donner lieu à une étude d'impact.

En l'espèce, le tribunal administratif avait estimé que si, en vue de la construction de logements sociaux, deux permis avaient été demandés, portant sur deux parcelles, il convenait toutefois de les apprécier globalement pour l'appréciation du point de savoir s'ils relevaient ou non d'une étude d'impact.

A cet effet les premiers juges avaient retenu que les deux permis portaient sur deux parcelles adjacentes, que celles-ci comportaient deux passages communs et que les permis étaient relatifs à des constructions ayant même finalité d'être des logements sociaux. Le Conseil d'État annule pour erreur de droit cette solution car les juges n'ont pas recherché s'il s'agissait bien d'un projet unique, conçu dans sa globalité, qui n'avait fait l'objet d'un fractionnement que pour bénéficier de l'application minimale de la réglementation.

Dans les circonstances de fait de l'espèce on peut estimer cette solution par trop exigeante et bien favorable aux constructeurs, ce qui est tout à fait dans l'air du temps.

(1er février 2021, Société Le Castellet-Faremberts, n° 429790)

 

132 - Annulation d'un document d'urbanisme sans remise en vigueur d'un document d'urbanisme antérieur - Délivrance des permis de construire - Nécessité d'un avis conforme du préfet - Compétence liée du maire en cas d'avis défavorable non en cas d'avis favorable - Annulation avec renvoi à la cour.

Lorsque, dans une commune ou une intercommunalité, la carte communale, le plan d'urbanisme ou le document d'urbanisme en tenant lieu est annulé par le juge ou est abrogé sans remise en vigueur d'un document d'urbanisme antérieur, l'autorité compétente pour délivrer le permis de construire doit recueillir l'avis préalable conforme du préfet (art. L. 442-6 c. urb.).

Interprétant de façon inattendue ces dispositions de l'art. L. 442-6 du code de l'urbanisme, le Conseil d'État estime que le maire n'a compétence liée pour refuser le permis de construire que dans le cas d'un avis défavorable du préfet, en revanche, en cas d'avis favorable du préfet, il n'est pas en situation de compétence liée et n'est donc pas tenu de délivrer le permis sollicité.

(3 février 2021, Commune de Cuttoli-Corticchiato, n° 434335)

 

133 - Permis de construire - Régularisation - Contestation de l'invitation à régulariser - Effets de la régularisation sur le contentieux en cours - Rejet du pourvoi.

Cette décision est intéressante en ce qu'elle revisite plusieurs questions relatives aux conditions et aux effets de la décision du juge, saisi d'un recours en annulation d'un permis de construire, d'inviter le(s) bénéficiaire(s) à en demander la régularisation.

Tout d'abord, il se déduit des dispositions de l'art. L. 600-5-2 du code de l'urbanisme que lorsque, sur le fondement de l'article L. 600-5-1 de ce code, a été rendu un jugement avant dire droit invitant le bénéficiaire à solliciter la régularisation de son permis de construire, les requérants qui sont parties à l'instance ayant donné lieu à ce jugement ne peuvent contester la légalité de la mesure de régularisation, sur laquelle le tribunal les a invités à présenter des observations, que dans le cadre de la même instance. La circonstance qu'ils aient formé appel contre le jugement avant dire droit est sans incidence à cet égard.

Ensuite, il est rappelé que si le juge qui fait usage des pouvoirs qu'il tient de l'art. L. 600-5-1 précité, doit en principe, dans sa décision avant dire droit, se prononcer sur l'ensemble des moyens qu'il estime non fondés, il ne commet pas d'irrégularité en y statuant non dans cette dernière mais dans le jugement mettant fin à l'instance. 

Enfin, après qu'a été prononcé le sursis à statuer dans l'attente de la décision de régularisation, le requérant, dont les autres moyens qu'il avait soulevés ont été rejetés, est recevable à faire appel de ce jugement avant dire droit, d'une part, en tant qu'il a écarté comme non fondés les moyens dirigés contre l'autorisation d'urbanisme initiale et, d'autre part, en tant qu'il a fait application des dispositions de l'art. L. 600-5-1.

Cependant, dès l'intervention de la mesure de régularisation, c'est-à-dire, généralement, la délivrance d'un permis de construire modificatif, les conclusions contestant la mise en oeuvre par le jugement de l'art. L. 600-5-1 sont privées d'objet.

 (5 février 2021, M. et Mme C., n° 430990)

 

134 - Permis de construire - Permis de construire un garage enterré avec rampe d'accès - Recours des voisins immédiats - Présomption d'intérêt à agir - Annulation avec renvoi.

Dans le souci de limiter les recours contentieux contre des autorisations d'urbanisme, le législateur a durci les conditions d'appréciation de l'intérêt à agir des requérants potentiels.

Toutefois, s'il doit exister entre l'autorisation délivrée et celui qui la conteste un lien assez étroit tel que l'autorisation affecte directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'il détient ou occupe régulièrement, (cf. art. L. 600-1-2 c. urb.), en principe cette condition est censée remplie par le voisin immédiat du terrain d'assiette de l'autorisation contestée dès lors qu'il apporte des éléments rendant assez vraisemblable l'atteinte aux intérêts dont il se prévaut sans que, pour autant, il rapporte la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque au soutien de la recevabilité de son recours. Il s'agit donc d'une présomption simple que le défendeur peut et doit combattre s'il veut en démontrer l'inexactitude ou l'inexistence.

En l'espèce, c'est par suite d'une qualification inexacte des faits que le juge des référés du tribunal administratif a dénié à la requérante un intérêt à agir suffisant alors qu'elle contestait un permis de construire un  garage enterré auquel conduisait une rampe d'accès de vingt mètres de long et de quatre mètres de large, précédée d'un portail électrique d'accès à cette rampe et d'une zone de manoeuvre à l'entrée du garage, le tout étant à édifier sur un terrain situé à moins d'un mètre de la propriété de la requérante.

La solution doit être approuvée.

(5 février 2021, Mme A., n° 439618)

 

135 - Permis de construire - Intérêt à agir - Voisin immédiat - Importance du projet contesté - Annulation du jugement.

Commet une erreur de droit le tribunal administratif qui dénie à un syndicat de copropriété intérêt à agir en annulation du permis de construire sur une parcelle immédiatement voisine de cette copropriété, trois immeubles comportant un total de 74 logements, soit le triplement de la surface actuellement bâtie, et la création de 124 places de parking.

On remarquera la ténuité de la différence, ici, entre l'erreur de droit qui a été retenue, et l'erreur de fait.

(24 février 2021, Syndicat des copropriétaires de la résidence La Dauphine, n° 432096)

 

136 - Association syndicale libre de propriétaires d'un lotissement - Capacité à agir - Recouvrement des droits reconnus à l'art. 5 de l'ordonnance du 1er juillet 2004 dès la mise en conformité de ses statuts - Condition - Annulation.

L'article 60 de l'ordonnance du 1er juillet 2004 relative aux associations syndicales de propriétaires a prévu, au troisième alinéa de son I, dans la rédaction issue de l'art. 59 de la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, que ces associations, dès lors que, postérieurement au 5 mai 2008, elles auraient mis leurs statuts en conformité avec les dispositions du titre II de l'ordonnance, recouvreraient l'ensemble des droits énumérés à l'art. 5 de ladite ordonnance. Au rang de ces droits figure celui d'ester en justice.

Interprétant largement le texte, mais respectant en cela l'intention du législateur, le Conseil d'État juge que cette disposition liant directement et immédiatement ce recouvrement des droits à la mise en conformité des statuts, il importe peu que celle-ci intervienne en cours d'instance, ce qui a pour effet de régulariser ipso facto la requête, comme c'est le cas en l'espèce.

Ainsi, doit être annulé le jugement rejetant en pareille circonstance le recours de l'association syndicale pour irrecevabilité.

(24 février 2021, Association syndicale libre de La Joallière, n° 432417)

 

137 - Procédure de déclaration de projet - Opération d'aménagement - Mise en compatibilité du plan d'occupation des sols (POS) - Réunion d'examen conjoint par les personnes publiques associées à l'élaboration de ce document - Nouvelle réunion nécessaire pour aboutir à un procès-verbal de réunion conforme au projet modifié - Nouvelle réunion non nécessaire en cas de compléments apportés au rapport de présentation du document d'urbanisme pour satisfaire aux exigences de l'évaluation environnementale - Annulation de l'arrêt exigeant en l'espèce une nouvelle réunion.

La commune requérante a engagé une procédure de déclaration de projet pour la réalisation d'une opération d'aménagement comprenant 140 logements, dont 80 logements locatifs sociaux, sur des parcelles jusque-là classées en zone agricole, d'une superficie totale de 20 hectares. Cette procédure a conduit à la mise en compatibilité du POS de la commune à la suite d'une réunion d'examen conjoint par les personnes publiques associées à l'élaboration de ce document. Par la suite l'autorité étatique compétente a émis son avis sur l'évaluation environnementale et une enquête publique a été organisée.

La commune ayant produit un document intitulé "addenda au rapport de présentation et évaluation environnementale", comportant une série de réponses aux observations qui avaient été faite au cours de l'enquête publique et du fait de l'avis de l'autorité environnementale et ayant complété sur des éléments de fond le dossier de présentation de la mise en compatibilité du plan d'occupation des sols, le conseil municipal a, ensuite, déclaré ce projet comme étant d'intérêt général et il a approuvé la mise en compatibilité du POS de la commune.

Une association a contesté cette délibération, en vain en première instance, avec succès en appel. La cour administrative d'appel a, en effet, estimé que les compléments apportés au rapport de présentation du document d'urbanisme, qui portaient sur la description et l'évaluation des incidences notables que le document pouvait avoir sur l'environnement, rendaient nécessaire une nouvelle réunion des personnes publiques associées et, jugeant qu'en l'absence de cette nouvelle réunion, le public avait été privé d'une garantie, elle a en conséquence annulé la délibération attaquée.

Cet arrêt est annulé car selon le Conseil d'État, "une nouvelle réunion d'examen conjoint n'a, en principe, pas à être organisée en cas de compléments apportés au rapport de présentation du document d'urbanisme pour satisfaire aux exigences de l'évaluation environnementale en ce qui concerne la description et l'évaluation, prévue au 1° de l'article L. 104-4 du code de l'urbanisme (...), des incidences notables que peut avoir le document sur l'environnement ou l'exposé, prévu au 3° du même article, des raisons pour lesquelles, notamment du point de vue de la protection de l'environnement, parmi les partis d'aménagement envisagés, le projet a été retenu".

Poursuivant sur une tendance jurisprudentielle désormais bien établie, le juge retient une interprétation très souple des dispositions ici en cause.

(24 février 2021, Commune de Cestas, n° 433084)

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Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Janvier 2021

Janvier 2021

  

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Décrets d'application de dispositions législatives - Obligation de mise à disposition effective du public des décisions de justice - Refus implicite - Décret renvoyant à un arrêté ultérieur le soin de fixer la date d'entrée en vigueur de cette mise à disposition - Inexécution persistante de dispositions législatives - Injonction au garde des sceaux de le faire sous trois mois.

Les articles L. 10 du code de justice administrative et L. 111-13 du code de l'organisation judiciaire, dans la version qui leur a été donnée successivement par les art. 20 et 21 de la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique et par l'art. 33 de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, ont prévu la mise à disposition du public des décisions de justice. L'association requérante, qui avait saisi en ce sens le premier ministre par un courrier du 18 décembre 2018, estimant s'être heurtée au refus implicite du premier ministre de prendre les mesures réglementaires d'exécution de ces textes législatifs, a demandé au Conseil d’État l'annulation de ce refus d'autant que lui semble expiré le délai raisonnable de leur exécution.

Si, en défense, le garde des sceaux oppose un non-lieu à statuer du fait de la publication du décret du 29 juin 2020 relatif à la mise à la disposition du public des décisions des juridictions judiciaires et administratives, cette demande est rejetée car ce décret se borne à renvoyer à un arrêté ultérieur le soin de fixer le calendrier d'entrée en vigueur de ces dispositions législatives. En effet, cet arrêté, pris en exécution d'un décret lui-même pris en exécution d'une loi, devait l'être à son tour dans un délai raisonnable, ce qui n'était pas le cas en l'espèce, plus de vingt mois s'étant écoulés depuis la loi de 2019, d'où l'injonction, mais sans astreinte, au garde des sceaux d'y satisfaire sous trois mois.

(21 janvier 2021, Association " Ouvre-boîte ", n° 429956)

 

2 - Droit transitoire - Réforme de la durée d'études conduisant à un diplôme universitaire - Application différenciée de la réforme selon l'année d'entrée dans le troisième cycle des études - Principe de non-rétroactivité - Portée en cas de modification de la durée des études en cours - Rejet.

Le requérant, étudiant en médecine, demandait l'annulation de l'arrêté ministériel portant de quatre à cinq années la durée totale de la formation conduisant au diplôme d'études spécialisées de médecine cardiovasculaire. Outre des moyens de légalité externe ne pouvant prospérer, le requérant invoquait deux arguments de la légalité interne.

D'abord était avancé le moyen tiré de la différence de traitement entre étudiants selon qu'ils sont entrés dans ce cycle d'études après l'édiction de l'arrêté litigieux ou qu'ils y sont entrés antérieurement. D'évidence, c'était là la conséquence nécessaire et liée de la succession des règles applicables et une application normale des principes régissant le droit transitoire.

Ensuite, était invoquée la violation du principe de non-rétroactivité des actes administratifs : celle-ci n'est pas retenue car aucune atteinte excessive aux intérêts des internes en médecine cardiovasculaire n'est portée par la disposition attaquée contrairement aux exigences de l'art. L. 221-5 du code des relations du public avec les administrations (CRPA).

Il en va d'autant plus ainsi que les administrés n'ont pas de droit acquis au maintien d'une disposition réglementaire.

(21 janvier 2021, M. P., n° 432311)

 

3 - Communiqué de presse d'un centre hospitalier régional appelant aux dons d'ovocytes - Communiqué relayant une campagne de sensibilisation en ce sens de l'Agence de biomédecine - Acte sans caractère décisoire ne pouvant donc pas faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir - Rejet.

Cette décision, confirmant l'ordonnance rendue en première instance, peut surprendre. Une association demandait l'annulation de la décision du centre hospitalier régional universitaire de Tours, révélée par un communiqué de presse, de diffuser une campagne de promotion du don d'ovocytes initiée nationalement par l'Agence de biomédecine.

Pour rejeter la requête, le premier juge, confirmé par le Conseil d'État a estimé qu'une telle campagne d'information ne constituait ni ne révélait une décision susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.

On trouvera étrange qu'une campagne officielle, labellisée par les pouvoirs publics, destinée, sur fonds publics, à provoquer des dons d'ovocytes en se fondant pour cela sur ce que le déficit de tels dons " mettait en péril le modèle français " du don d'ovocytes, puisse n'être pas qualifiée de décision, ne serait-ce a minima qu'en tant qu'elle a décidé une telle campagne.

(28 janvier 2021, Association Tous pour la famille, n° 432460)

 

4 - Motivations des décisions administratives - Refus d'admission en master - Absence d'obligation de motivation au sens de l'art. L. 211-2 du CRPA - Obligation de communiquer cette motivation à l'étudiant sur sa demande (art. D. 612-36-2 c. éducat.).

Il résulte des dispositions de l'art. L. 211-2 du CRPA que la décision par laquelle un président d'université refuse à un étudiant l'accès en première ou en deuxième année de master n'est pas au nombre des décisions devant être spontanément motivées car elle ne restreint pas l'exercice des libertés publiques, ne subordonne pas l'octroi d'une autorisation à des conditions restrictives et ne refuse pas une autorisation.

En revanche, il découle des dispositions de l'art. D. 612-36-2 du code de l'éducation que, sur demande de l'étudiant, les motifs de cete décision doivent lui êttre communiqués.

La solution peut paraître compliquer inutilement les choses pour un bénéfice pratique ou théorique guère perceptible.

(Avis de droit, 21 janvier 2021, Mme B., n° 442788)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques

 

5 - Loi du 6 janvier 1978 sur les fichiers, l'informatique et les libertés - Traitement des données à caractère personnel - Interdiction du traitement des données révélant certaines informations - Obligation de saisine préalable de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNI) - Décisions réglementaires prises sans cette saisine préalable, tendant à la modification de dispositions réglementaires antérieures prises après cette consultation et prévoyant l'enregistrement de ces données - Rejet.

Les requêtes en référé contestaient la légalité des dispositions des décrets n° 2020-1510, n° 2020-1511 et n° 2020-1512 du 2 décembre 2020 modifiant les dispositions du code de la sécurité intérieure relatives au traitement de données à caractère personnel dénommés respectivement "enquêtes administratives liées à la sécurité publique", "prévention des atteintes à la sécurité publique" et "gestion de l'information et prévention des atteintes à la sécurité publique".

Etait invoqué le fait que ces décrets, qui entraient dans la catégorie des dispositions réglementaires relatives au traitement de données "à caractère personnel qui révèlent la prétendue origine raciale ou l'origine ethnique, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques ou l'appartenance syndicale d'une personne physique ou de traiter des données génétiques, des données biométriques aux fins d'identifier une personne physique de manière unique, des données concernant la santé ou des données concernant la vie sexuelle ou l'orientation sexuelle d'une personne physique", n'ont pas été soumis, comme ils devaient l'être, en vertu du I de l'art. 6 de la loi précitée du 6 janvier 1978, à l'avis préalable de la CNIL.

Pour rejeter les recours le juge relève que ces décrets se bornent à modifier une disposition réglementaire (l'art. R. 236-12 du code de la sécurité intérieure) elle-même soumise à l'avis de la CNIL sans y ajouter d'autres catégories de données susceptibles d'être enregistrées, autres que celles soumises à l'avis de la CNIL.

De ce fait et au surplus, ces décrets, qui ne mettent pas en évidence une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée ou à la liberté d'opinion, n'avaient pas davantage à être soumis, préalablement à leur édiction ou à la collecte des informations qu'ils autorisent, à la saisine du Conseil de l'Europe.

On regrettera une interprétation par trop étroite des textes : la modification du texte originaire n'est ni neutre ni sans effets et il n'eût pas été déraisonnable de saisir la CNIL pour qu'elle donne son avis sur la nouvelle architecture de la collecte résultant des textes litigieux et apprécie sa compatibilité avec les prévisions de son avis antérieur.

(ord. réf. 4 janvier 2021, Association VIA La Voie du Peuple, n° 447868, n° 447869, n° 447870 ; Association Fondation service politique, n° 447879, n° 447881 et n° 447882)

(6) V. aussi :

- relativement au décret n° 2020-1511 précité, sur divers aspects du traitement de certaines données : ord. réf. 4 janvier 2021, Confédération générale du travail, et autres, n° 447970 ;

- relativement au décret n° 2020-1512 précité : ord. réf. 4 janvier 2021, Confédération générale du travail, et autres, n° 447972 ;

- relativement au décret n° 2020-1510 précité : ord. réf. 4 janvier 2021, Confédération générale du travail, et autres, n° 447974.

 

Biens

 

7 - Cession de terrains appartenant au domaine privé communal - Accord sur la chose et sur le prix - Notion de prix "déterminé" - Création de droits au profit de l'acquéreur - Retrait impossible des délibérations antérieures fût-ce pour un motif d'intérêt général - Cassation sans renvoi.

Deux délibérations d'un conseil municipal, du 22 septembre 2011 et du 17 octobre 2013, avaient autorisé le maire à consentir puis consenti la cession de terrains du domaine privé communal, à un certain prix à parfaire à la marge, à une société de production de béton.

Par la suite, la commune a entendu retirer la décision contenue dans les délibérations antérieures en tirant argument d'un motif d'intérêt général.

Le Conseil d’État annule le jugement et l'arrêt confirmatif ayant rejeté la demande d'annulation de cette dernière délibération dont les juges du fond avaient été saisis par la société acquérante.

Le Conseil relève d'abord que la vente était parfaite, conformément aux dispositions du code civil, dès lors que les parties étaient d'accord sur la chose et sur le prix et encore que, d'une part, la chose n'ait point encore été livrée et que, d'autre part, le prix n'ait point encore été payé.

Ensuite, la vente s'étant faite au prix de 6,14 euros par mètre carré, prix à parfaire en fonction du coût des marchés à conclure par la commune pour la viabilisation des terrains, se posait la question de savoir si le prix était suffisamment déterminé en l'espèce ; le juge répond positivement car " un prix doit être regardé comme suffisamment déterminé s'il est déterminable en fonction d'éléments objectifs ne dépendant pas de la volonté d'une partie ". C'était le cas en l'espèce où le prix définitif avait été porté à 7,88 euros par mètre carré pour tenir compte des travaux de viabilisation susindiqués et de la réalisation d'un rond-point non prévu à l'origine. Au reste, ce prix a été expressément accepté par l'acquéreur par courrier du 13 mai 2015.

Enfin, pour tenter de justifier le retrait des délibérations initiales, la commune invoquait un motif d'intérêt général. Le juge décide que ce motif est sans effet sur le caractère parfait et définitif de la cession.

(26 janvier 2021, Société Pigeon Entreprises, n° 433817)

 

Collectivités territoriales

 

8 - Polynésie française - Incompatibilités applicables au Président et aux membres du gouvernement de ce territoire - Obligation d'option - Pouvoir du haut-commissaire - Absence d'incompatibilité en l'espèce - Rejet.

Dans cette importante décision, le Conseil d’État  apporte cette précision que, soit spontanément soit sur demande d'un électeur, le haut-commissaire en Polynésie française, lorsque le président, un membre du gouvernement de ce territoire ou un représentant à l'assemblée de la Polynésie française exerce une fonction incompatible avec cette qualité et n'exerce pas l'option entre cette dernière et la fonction incompatible, a l'obligation de constater le défaut d'option et de déclarer l'intéressé démissionnaire d'office.

Toutefois, cette incompatibilité, s'agissant de l'exercice des fonctions de directeur ou de président d'établissement public, suppose l'existence d'une rémunération.

Au cas d'espèce, l'exercice par un ministre du gouvernement des fonctions de président du centre de gestion et de formation ne crée pas une situation d'incompatibilité, ces dernières n'étant pas rémunérées.

(21 janvier 2021, M. C., n° 439105)

(9) V. aussi, semblables mutatis mutandis en ce que, à l'inverse de la situation précédente, la loi organique réserve au seul haut-commissaire le pouvoir de prononcer la démission d'office d'un représentant qui a méconnu l'interdiction de prendre une part active aux décisions relatives  à une affaire à laquelle il est intéressé (21 janvier 2021, M. C., n° 439106) et en ce que les incompatibilités édictées, étant de droit étroit, ne peuvent pas concerner le vice-président d'un établissement public y exerçant des fonctions même rémunérées (21 janvier 2021, M. B., n° 439107).

 

10 - Exercice du droit de préemption urbain - Délégation consentie par le conseil municipal à un maire pour la durée de son mandat - Faculté accordée au maire de déléguer l'exercice de cette compétence - Conditions et limites - Rejet.

Saissant l'occasion d'un recours dirigé contre l'exercice par le maire d'une commune du droit de préemption urbain, le Conseil d’État apporte trois précisions très importantes.

En premier lieu, le conseil municipal a toujours la faculté de déléguer au maire, pour la durée de son mandat, l'exercice du droit de préemption que la commune soit titulaire de ce droit ou seulement délégataire de ce droit.

En deuxième lieu, la circonstance que cette délibération soit antérieure à la décision par laquelle une commune a reçu du président de la communauté d'agglomération délégation pour préempter deux parcelles identifiées est sans incidence sur la compétence que le maire tenait de la délibération susmentionnée, pour toute la durée de son mandat.

Enfin, en toute hypothèse il faut, d'une part, que soit sauf le pouvoir du conseil municipal de mettre fin à tout moment à la délégation qu'il a accordée au maire et, d'autre part, qu'à la date de la décision de préempter la commune soit toujours titulaire ou délégataire du droit de préempter.

(28 janvier 2021, Sociétés Matimo, Perspective Avenir et Juliette, n° 429584)

 

11 - Taxe de séjour - Institution successive ou concomitante de cette taxe par une commune et par une communauté de communes - Impossibilité - Rejet.

Le litige était relatif au désaccord entre une commune et la communauté de communes à laquelle elle appartient sur la collectivité compétente pour instituer une taxe de séjour.

Tout d'abord, jusqu'au 31 décembre 2014, les dispositions de l'art. L. 5211-21 du CGCT ne permettaient pas aux communes membres d'un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) de s'opposer à l'institution d'une taxe de séjour par ce dernier. Par suite, les communes membres d'un EPCI ne pouvaient instituer une telle taxe concurrement à celle décidée par l'EPCI et, si elles en avaient institué une auparavant, la décision de l'EPCI de créer cette taxe emportait abrogation de toute taxe de séjour antérieurement créée par une commune membre de l'EPCI.

Ensuite, à compter de l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2015, des nouvelles dispositions contenues aux art. L. 5211-21 et L. 2333-6 du CGCT, s'il a été possible aux communes membres d'un EPCI de faire valoir leur opposition à l'institution d'une taxe de séjour par cet EPCI, c'est sous la double condition que ce droit d'opposition : 1° ne peut s'exercer qu'au moment où l'EPCI décide d'instituer cette taxe, et non postérieurement à l'entrée en vigueur de la taxe qu'il a instituée et 2° n'est ouvert qu'aux communes ayant institué une taxe de séjour encore en vigueur au moment où l'EPCI décide de créer une telle taxe ; en effet, la loi du 29 décembre 2015 de finances pour 2016 a précisé que l'article L. 5211-21 du CGCT, prévoyant ce droit d'opposition réservé aux communes ayant déjà institué une taxe dont la délibération est encore en vigueur, n'avait sur ce point qu'une portée interprétative.

(26 janvier 2021, Commune de Linguizzetta c/ communauté de communes de l'Oriente, n° 431187)

 

Contentieux administratif

 

12 - Compétence territoriale du juge administratif - Recours dirigé contre une décision rendue sur recours hiérarchique (Paris) - Compétence contentieuse pour en connaître appartenant au juge compétent pour statuer sur les recours formés contre la décision initiale (Nice) - Rejet.

Rappel de ce que la juridiction administrative compétente pour connaître d'une requête dirigée contre la décision rendue sur recours hiérarchique est celle compétente pour statuer sur un éventuel recours formé contre la décision initiale.

Les décisions initiales ayant été prises par le directeur territorial de l'Office français de l'immigration et de l'intégration de Nice, le tribunal administratif de Paris n'était, de toute évidence, pas compétent pour connaître du recours contentieux dirigé contre le recours hiérarchique formé contre les décisions initiales quand bien même l'autorité hiérarchique compétente siégerait à Paris.

(ord. réf. 12 janvier 2021, M. B., n° 448235)

 

13 - Clôture de l'instruction - Indication postérieure à cette clôture que la décision de justice à intervenir est susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office - Communication aux parties - Absence de réouverture de l'instruction - Réception et communication des observations subséquentes des parties - Absence de réouverture de l'instruction - Réserve de l'exception de réouverture pour fait ou moyen nouveau susceptible d'influence sur le jugement à venir - Rejet.

Dans cette importante décision, dont on peut regretter la solution en ce qu'elle va plutôt à rebours de l'évolution du droit du contentieux administratif depuis trente ans, le juge se prononce sur le statut contentieux des moyens indiqués aux parties comme susceptibles d'être relevés d'office.

Lorsque le juge, usant des dispositions de l'art. R. 611-7 du CJA, informe les parties que la décision à intervenir est susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office, ni cette information, ni les observations éventuelles des parties sur cette information n'ont pour effet de rouvrir l'instruction même lorsque, dans cette seconde hypothèse, l'une des parties, en reprenant à son compte le moyen énoncé par le juge, soulève ainsi un moyen nouveau. Il n'en va autrement, comme d'ailleurs, en toute hypothèse de pièces ou mémoires remis après clôture de l'instruction, que si ces observations contiennent l'exposé d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit qui est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire et dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction. La solution est doublement discutable : en ce qu'elle refuse la réouverture en présence d'un moyen nouveau et en ce qu'elle déroge au principe de non-réouverture de l'instruction dans un cas où l'invocation du moyen ou du fait nouveau n'est pas initialement le fait des parties mais du juge lui-même...

(25 janvier 2021, Mme C. et autres, n° 425539)

 

14 - Référé suspension - Communiqué commun de l'Autorité des marchés financiers et de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution - Appréciation de la condition d'urgence - Absence d'urgence - Rejet.

Les requérantes demandaient la suspension de l'exécution d'un communiqué commun de l'Autorité des marchés financiers et de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution par lequel les prestataires de services sur actifs numériques étaient informés que " la période transitoire pour exercer une activité sur actifs numériques sans enregistrement prend fin le 18 décembre 2020 ". Elles invoquaient l'urgence à statuer née car le communiqué litigieux allait avoir des conséquences irréversibles dans la mesure où il a pour effet de leur interdire, tant que l'enregistrement qu'elles ont sollicité avant le 18 décembre 2020 ne leur aura pas été octroyé, de poursuivre leur activité, ce qui les prive de toute ressource financière et les contraint à licencier l'intégralité de leur personnel.

Pour dire non satisfaite la condition d'urgence et donc rejeter la demande dont il était saisi, le juge des référés relève, d'une part, que ces sociétés ne contestent point les éléments produits en défense par l'Autorité des marchés financiers, d'autre part, que les requérantes exercent d'autres activités et n'indiquent pas la part respective de ces dernières et de celles qui sont l'objet du référé dans leur volume global d'activités et, enfin, que le Conseil d’État  est appelé à statuer à bref délai sur la demande d'annulation de la décision contenue dans le communiqué attaqué.

(26 janvier 2021, Société Blockchain Process Security, n° 448419 ; Société Digital Broker, n° 448432 ; Société Kamix, n° 448433, jonction)

 

15 - Contentieux général de la sécurité sociale - Institution d'un recours administratif obligatoire préalablement à la saisine du juge - Règle instaurée par voie réglementaire - Absence d'inconstitutionnalité pour incompétence du pouvoir réglementaire - Droit d'agir en justice restant sauf - Rejet.

L'instauration par le premier alinéa de l'art. R. 142-1 du code de la sécurité sociale, alors applicable au litige, de l'obligation que les réclamations formées contre les décisions prises par les organismes de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole et relevant du contentieux général de la sécurité sociale soient soumises à la commission de recours amiable composée et constituée au sein du conseil d'administration de chacun de ces organismes, ne réalise pas un empiétement du pouvoir réglementaire sur la compétence du législateur.

En effet, cette obligation de recours préalable avant saisine du juge n'a ni pour objet ni pour effet de remettre en cause l'exercice par tout intéressé du droit d'agir en justice. Elle ne contrevient donc pas aux dispositions de l'art. 34 de la Constitution invoqués par la demanderesse.

(27 janvier 2021, SAS Lilly France, n° 441213)

 

17 - Recours en rectification d'erreurs matérielles - Recours dirigés contre des décisions prises par le bureau d'aide juridictionnelle établi près le Conseil d’État - Irrecevabilité.

Irrecevabilité de recours, portés devant le Conseil d’État, et tendant à la rectification d'erreurs matérielles qu'aurait commis le bureau d'aide juridictionnelle établi près le Conseil d’État.

(25 janvier 2021, Mme A., n° 447912, n° 448715 et n° 448787)

 

18 - Référé liberté - Requête ne comportant ni demande ni conclusions relevant de l'office du juge des référés - Irrecevabilité - Rejet.

Rappel d'une solution constante et logique.

Doit être rejetée en tant qu'elle est irrecevable une requête ne comportant aucune demande ou conclusion relevant de l'office du juge saisi (ici le juge du référé liberté).

(29 janvier 2021, M. A., n° 449107)

 

Covid-19

 

 

Hydroychloroquine et azithromycine : le retour...

 

Elles ont été, un temps, les vedettes incontestées d'une palpitante saga sanitaire puis, s'en étaient allées après trois petits tours et les revoilà, bien en chair et guillerettes, de nouveau sur la scène médiatique contentieuse.

 

19 - Interdiction du traitement par hydroychloroquine et azithromycine aux personnes présentant des symptômes de Covid-19 mais non hospitalisées et non atteintes d'une affection rendant nécessaire une réanimation - Demande d'injonction tendant à un approvisionnement suffisant de ces produits - Evaluation difficile de l'efficacité du traitement par ces substances - Inapplicabilité du principe de précaution - Données acquises de la science - Principe de libre prescription des médecins - Absence de disproportion des mesures critiquées - Droit à la protection de la santé - Rejet.

Les requérants contestaient les dispositions des décrets du 23 mars 2020, du 26 mars 2020 et du 11 mai 2020 (décr. n° 545 et n° 548), en tant qu'elles limitent la prescription, la dispensation et l'administration de l'hydroxychloroquine aux seuls patients pris en charge en établissement de santé et présentant une pneumonie oxygéno-requérante ou une défaillance d'organes.

Dans une longue décision promise à la publication, le juge semble vouloir faire le point sur une polémique médico-sanitaire de plusieurs mois, sans doute dans l'espoir d'y mettre un terme.

Il relève en premier lieu que s'agissant des données acquises de la science à la date où ont été prises chacune des décisions susrappelées, il n'existe pas de preuve scientifique suffisante de l'efficacité certaine de l'administration généralisée de l'hydroychloroquine associée à l'azithromycine pour le traitement de l'épidémie de Covid-19.

Ensuite, ne saurait être invoqué en l'espèce le principe de précaution qui ne joue qu'en cas de risque de dommage grave et irréversible pour l'environnement ou d'atteinte à l'environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé, hypothèses absentes en l'espèce.

Pas davantage, ne saurait être invoqué l'art. L. 5121-12-1 du code de la santé publique qui permet qu'une spécialité pharmaceutique ne peut faire l'objet d'une prescription non conforme à son autorisation de mise sur le marché qu'en l'absence d'alternative médicamenteuse appropriée disposant d'une autorisation de mise sur le marché ou d'une autorisation temporaire d'utilisation et sous réserve que le prescripteur juge indispensable, au regard des données acquises de la science, le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l'état clinique de son patient. Les conditions qui viennent d'être rappelées n'étant pas, d'évidence, réunies au cas de l'espèce.

Enfin, ne sauraient non plus être invoquées à l'encontre des dispositions critiquées ni l'atteinte au principe de libre prescription des médecins en l'absence de toute recommandation temporaire d'utilisation et en l'absence d'alternative médicamenteuse appropriée disposant d'une autorisation de mise sur le marché ou d'une autorisation temporaire d'utilisation, ni le défaut de proportionnalité de celles-ci, ni, non plus, la méconnaissance du droit à la protection de la santé et du droit à la vie.

(28 janvier 2021, M. F. et autres, n° 439764)

(20) V. aussi, largement semblables :

28 janvier 2021, Syndicat des médecins d'Aix et région et autres (SMAER), n° 439936 ;

28 janvier 2021, Union générale des travailleurs de Guadeloupe, n° 440025 ;

28 janvier 2021, M. B., n° 440129 ;

28 janvier 2021, M. D., n° 440244 ;

28 janvier 2021, Syndicat des médecins d'Aix et région et autres (SMAER), n° 441751 ;

28 janvier 2021, Association Victimes coronavirus Covid-19 et autres, n° 441767.

 

21 - Référé liberté - Contestation d'un décret - Décret modifié postérieurement à l'introduction de la requête - Conclusions devenues sans objet - Non-lieu à statuer.

Il n'y a pas lieu pour le juge des référés de statuer sur une requête dirigée contre le I de l'article 4 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 en vue d'y inclure les actes domestiques d'autoconsommation impliquant un déplacement des administrés hors de leur résidence, ces dispositions ayant été modifiées, postérieurement à l'introduction de la requête en référé, par le décret n° 2020-1582 du 14 décembre 2020 substituant à l'interdiction générale de se déplacer en dehors des cas limitativement énumérés, une mesure d'interdiction des déplacements entre 20 heures et 6 heures du matin.

(ord. réf. 4 janvier 2021, M. A., n° 446000)

(22) V. aussi, la solution identique retenue, mutatis mutandis, à propos d'un référé dirigé contre l'article 4 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 successivement modifié en cours d'instance, d'abord  par  le décret n° 2020-1454 du 27 novembre 2020, aux termes duquel sont autorisés les "déplacements, sans changement du lieu de résidence, dans la limite de trois heures quotidiennes et dans un rayon maximal de vingt kilomètres autour du domicile, liés aux activités de plein air (...) ", puis par le décret n°2020-1582 du 14 décembre 2020 qui a à nouveau modifié l'article 4 du décret du 29 octobre 2020, en substituant à l'interdiction générale de se déplacer en dehors de cas limitativement énumérés une mesure d'interdiction des déplacements entre 20 heures et 6 heures du matin : ord. réf. 4 janvier 2021, Mme A., n° 446684 ; ord. réf. 4 janvier 2021, Mme B., n° 447266.

(23) V. également, dans le même sens, mais déclarant irrecevables des conclusions, prises par des ressortissants français aux Etats-Unis, à fin de suspension de l'article 11, section II, alinéa 3 du décret n° 2020-1262 du 16 octobre 2020, modifié par l'article 1 du décret n° 2020-1358 du 6 novembre 2020 imposant un test aux voyageurs provenant des Etats-Unis, le décret du 16 octobre 2020 ayant été abrogé le 29 octobre 2020, antérieurement à l'enregistrement de la requête, le 2 janvier 2021: ord. réf. 7 janvier 2021, M. C. et autres, n° 448321.

 

24 - Référé liberté - Demande de suspension de l'art. 4 du décret du 29 octobre 2020 - Absence de preuve d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale - Rejet.

La requête tendant à la suspension de l'article 4 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire au double motif qu'il porte une atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et de venir dès lors qu'aucune dérogation n'est prévue pour voyager en véhicule individuel dans le cadre d'un déplacement de longue distance entre 20 heures et 6 heures du matin et qu'il méconnaît le principe d'égalité, est rejetée car, se bornant à des observations de caractère très général, son auteur n'apporte aucun élément de nature à établir que le décret attaqué porte à cette liberté et à ce principe une atteinte grave et manifestement illégale. 

Cette ordonnance constitue un rappel de l'obligation pour tout requérant en référé liberté d'établir lui-même la nature et, surtout, la preuve ou un faisceau d'éléments concordants, établissant la gravité de l'atteinte invoquée, celle-ci étant seule de nature à permettre au juge de ce référé d'exercer son office.

(ord. réf. 4 janvier 2021, M. B., n° 447925)

 

25 - Référé liberté - Décret du 29 octobre 2020 - Réglementation du nombre maximum de participants à une cérémonie funéraire - Atteinte grave alléguée à certaines libertés - Absence d'établissement de la condition d'urgence - Rejet.

La circonstance qu'en raison de l'épidémie de Covid-19 l'art. 3 du décret contesté limite strictement le nombre de personnes pouvant participer à une cérémonie funéraire, portant ainsi atteinte à plusieurs libertés fondamentales (liberté d'aller et de venir, liberté de réunion) ne dispense l'auteur de la requête de démontrer qu'en sus de cette première condition, est satisfaite la seconde condition, laquelle consiste en l'urgence qu'il y aurait pour le juge des référés à statuer.

Le juge revient ainsi à une certaine orthodoxie conforme à la lettre comme à l'esprit de l'art. L. 521-2 CJA - qu'il a parfois un peu perdu de vue en considérant que la gravité de l'atteinte portée valait aussi urgence - lequel requiert la réunion de deux conditions distinctes, appelant chacune la démonstration de sa réalité par le requérant.

(ord. réf. 4 janvier 2021, Mme B., n° 448165)

 

26 - Référé liberté - Recours tendant à ce que le juge statue sur une requête dont il est saisi - Décision ayant été déjà rendue - Recours sans objet - Non-lieu à statuer.

Est sans objet le recours contentieux formé le 7 décembre 2020 tendant à ce que le juge des référés statue sur la requête dont il a été saisi le 30 novembre 2020 alors que celle-ci a été rejetée selon la procédure de l'art. L. 522-3 CJA le 7 décembre. Le non-lieu à statuer est prononcé.

(ord. réf. 5 janvier 2021, Mme A., n° 447238)

 

27 - Référé liberté - Interdiction générale et absolue des fêtes foraines - Mesures sanitaires strictes prises par leurs organisateurs - Absence de perspective d'avenir - Diffusion élevée du virus - Rejet.

La présente décision est curieusement construite et argumentée.

Le juge des référés du Conseil d’État était saisi d'une requête dirigée contre l'interdiction générale et absolue de tenir des fêtes foraines.

Tout d'abord, il donne le sentiment que cette mesure est illégale et qu'il convient de l'annuler. Il écrit ainsi : "9.  Il résulte toutefois de l'instruction que les exploitants de fêtes foraines ont conçu des aménagements des pratiques professionnelles et des protocoles sanitaires stricts qui sont de nature à diminuer de manière significative le risque lié à l'existence de rassemblements. Ces protocoles, outre le port obligatoire du masque, prévoient, en particulier, des limitations du nombre de visiteurs, des nettoyages et désinfections des équipements réguliers, des espaces entre les personnes lors de l'arrivée du public, l'obligation d'utiliser des solutions hydro-alcooliques avant de monter sur un manège ou de prendre part à un jeu et une information des visiteurs sur l'ensemble des contraintes à respecter. 
10. Par ailleurs, le risque de contamination est d'une intensité relativement plus faible que pour d'autres événements rassemblant du public dès lors que les activités des fêtes foraines se pratiquent pour l'essentiel en extérieur.

11. Au vu de l'ensemble de ces circonstances, et en l'absence de perspective d'éradication du virus dans un avenir proche, le maintien d'une interdiction générale et absolue de fêtes foraines, mesure qui, ainsi qu'il a été dit, porte une atteinte grave aux libertés (fondamentales que constituent la liberté d'entreprendre et la liberté du commerce et de l'industrie ainsi que le droit au libre exercice d'une profession), constituerait une illégalité manifeste si elle était justifiée par la seule persistance d'un risque de contamination du public par le virus SARS-CoV-2 (...)".

Ensuite, pour justifier la solution de rejet finlement retenue, il indique : " 11. (...) Le maintien d'une telle interdiction sur l'ensemble du territoire national ne peut être regardé comme une mesure nécessaire et adaptée et, ce faisant, proportionnée à l'objectif de préservation de la santé publique qu'elle poursuit, qu'en présence d'un contexte sanitaire marqué par un niveau particulièrement élevé de diffusion du virus au sein de la population susceptible de compromettre à court terme la prise en charge, notamment hospitalière, des personnes contaminées et des patients atteints d'autres affections.

12. En l'espèce, il résulte des données scientifiques disponibles qu'à la date du 24 janvier 2021, 3 053 617 cas sont confirmés positifs au virus, en augmentation de 18 436 dans les dernières vingt-quatre heures, le taux de positivité des tests se situe à 7,1% et 73 049 décès liés à l'épidémie sont à déplorer, en hausse de 172 personnes dans les dernières vingt-quatre heures. Le taux d'incidence est de 205,15. Le taux d'occupation des lits en réanimation par des patients atteints de la covid-19 demeure à un niveau élevé avec une moyenne nationale de 58,4%, mettant sous tension l'ensemble du système de santé. Ces données, qui montrent une dégradation de la situation sanitaire au cours de la période récente à partir d'un " plateau épidémique " déjà très élevé, pourraient se révéler encore plus préoccupantes au mois de mars. En outre, la détection de nouveaux variants du SARS-CoV-2, notamment au Royaume-Uni, avec un taux de transmission plus important, qui a conduit à fermer provisoirement les frontières avec ce pays, est de nature à accroître l'incertitude. Dans ces conditions, compte tenu du contexte actuel d'augmentation avérée de la circulation de l'épidémie, la décision du Premier ministre, à la date de la présente ordonnance, ne porte pas une atteinte manifestement illégale aux libertés fondamentales dont se prévaut la fédération requérante ". 

Enfin, oubliant que l'on peut vouloir travailler pour de multiples raisons autres que financières, comme, par exemple, pour le plaisir et l'accomplissement de soi que l'on y trouve, le juge des référés croit bon d'ajouter qu' "Il résulte par ailleurs de l'instruction que les professionnels du secteur des fêtes foraines ont accès aux différents types d'aides mises en place par le gouvernement. Ils bénéficient en particulier du fonds de solidarité prévu par le décret n° 2020-371 du 30 mars 2020, ainsi que des exonérations ou aides relatives aux cotisations sociales et des mesures relatives au chômage partiel, et ont la possibilité de contracter un prêt garanti par l'Etat jusqu'au 30 juin 2021."

Cette rédaction argumentative révèle l'embarras du juge - parfaitement compréhensible - pour rendre sa décision.

(27 janvier 2021, Fédération des forains de France, n° 448732)

 

28 - Référé liberté - Suspension de l'obligation du port du masque par les enfants de 6 à 11 ans - Art. 36, II du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 - Rejet.

Est rejeté un énième recours contre l'obligation faite aux enfants de 6 à 11 ans, au sein des écoles primaires, de porter un masque.

L'évolution de la situation épidémique, en particulier l'apparition du variant dit "anglais" du virus, à contagiosité très forte, la difficulté à faire respecter par des enfants les autres gestes barrières dont la distanciation physique, enfin, le bienfait sanitaire global apporté par cette mesure ne confèrent pas à l'obligation querellée le caractère d'une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales des enfants.

(ord. réf. 11 janvier 2021, Mme A. et autres, n° 447993)

(29) V. aussi, très sembables, à propos de l'obligation de port de masques pour les enfants de 6 à 11 ans, dix-neuf requêtes étant jointes : 25 janvier 2021, Mme O., n° 447319 ; Mme AN., n° 447462 ; Mme U., n° 448031 ; Mme AM., n° 448082 ; M. AF. Et autres, n° 448089 ; Mme B., n° 448164 ; Mme A., n° 448168 ; Mme AD., n° 448192 ;  Mme S., n° 448247 ;  Mme AA., n° 448386 ; Mme C., n° 448452 ; Mme AO., n° 448527 ; M. AE. et autres, n° 448528; Mme W., n° 448531 ; Mme AI., n° 448532 ; Mme K., n° 448533; Mme V., n° 448545 ; Mme AI., n° 448550 ; Mme AC., n° 448551.

Et aussi, rejets en termes identiques : 25 janvier 2021, Mme G., n° 448733 ; Mme D., n° 448735 ; Mme P., n° 449739 ; Mme C., n° 448740 ; M. B. et autre, n° 448789 ; Mme L., n° 448832 ; Mme K., n° 448838 ; Mme O., n° 448844, requêtes jointes. Ou encore, identiques : 25 janvier 2021, Mme D., n° 448833 ; Mme C., n° 448915 ; Mme H., n° 448936 ; Mme F., n° 448937.

(30) V. encore, solution très voisine : 25 janvier 2021, Mme A., n° 448169.

(31) V. également, rejetant semblable demande au motif que le juge des référés, juge du provisoire, ne saurait annuler une décision administrative donc se prononcer de façon définitive : 25 janvier 2021, Mme I. et autres, n° 448206.

 

32 - Référé suspension - Décrets imposant le port du masque - Décret imposant une distanciation physique - Condition d'urgence non satisfaite - Rejet.

Le requérant contestait la légalité de l'obligation de port d'un masque et des mesures de distanciation physique.

Compte tenu de la situation sanitaire, d'une part, et de ce que le demandeur se bornait à soulever l'illégalité des mesures en cause, la condition d'urgence n'est pas établie rendant impossible l'octroi de la suspension sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre condition, en toute hypothèse impuissante à elle seule à justifier les suspensions sollicitées.

(ord. réf. 5 janvier 2021, M. B., n° 447984)

(33) V. aussi, s'agissant d'un référé liberté cette fois, réitérant la solutioprécédente mais en sens inverse, à propos de l'article 2 du décret n° 2020-1582 du 14 décembre 2020 en tant qu'il ne prévoit pas de dérogation au couvre-feu instauré de 20 heures à 6 heures du matin, l'absence d'atteinte à une liberté fondamentale dispense d'examiner l'éventuelle satisfaction de la condition d'urgence : ord. réf. 7 janvier 2021, M. D. et M. C., n° 448029.

 

34 - Référé suspension - Demande de suspension de l'interdiction d'utiliser l'hydroxychloroquine - Requête à fin d'annulation non jointe - Irrecevabilité manifeste - Rejet.

Rappel de ce que toute demande en référé suspension doit être accompagnée d'une requête distincte tendant à l'annulation de la décision dont la suspension est demandée.

A défaut la requête en référé est manifestement irrecevable et rejetée selon la procédure de l'art. L. 522-3 du CJA.

(ord. réf. 5 janvier 2021, M. A., n° 447989)

 

35 - Personnes vulnérables - Fonctionnaires et agents publics - Conditions d'identification et modalités de leur prise en charge - Circulaire du directeur général de l'administration et de la fonction publique - Condition de retour des personnes vulnérables sur leur lieu de travail - Mesures de protection - Distinction de deux catégories de personnes vulnérables - Rejet.

Les requérants, qui en contestaient la légalité, demandaient la suspension d'exécution de la circulaire du directeur général de l'administration et de la fonction publique du 10 novembre 2020 relative à l'identification et aux modalités de prise en charge des agents publics civils reconnus personnes vulnérables.

Le I de l'article 20 de la loi du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020 a placé en position d'activité partielle ceux des salariés du secteur privé ne pouvant continuer à travailler en raison de leur qualité de "personne vulnérable". Le décret du 5 mai 2020, modifié sur ce point par celui du 29 août 2020, a fixé les critères d'identification du caractère vulnérable d'un salarié. Ce dernier décret a été suspendu par décision du Conseil d’État le 15 octobre 2020.

Le décret du 10 novembre 2020, abrogeant en totalité celui du 5 mai précédent et, en grande partie, celui du 29 août 2020, fixe de nouveaux critères de vulnérabilité que met en oeuvre la circulaire litigieuse.

Les salariés du secteur privé qui le souhaitent peuvent être placés en position d'activité partielle sous réserve de la présentation d'un certificat médical et de répondre cumulativement à deux critères.

1°/ un critère tenant soit à leur âge, être âgé d'au moins soixante-cinq ans, soit à leur état de grossesse, à partir du début du septième mois, soit à la pathologie dont ils sont atteints et qui figure sur une liste.

2°/ un critère tenant à leur impossibilité, à la fois, de recourir au télétravail et de bénéficier de mesures de protections renforcées, que le décret énumère, s'agissant de leur poste de travail et de leur trajet entre leur domicile et leur lieu de travail, notamment pour prendre en compte l'utilisation des moyens de transports collectifs.

Ces dispositions ne sont applicables qu'aux seuls salariés du secteur privé.

Toutefois, la circulaire attaquée reprend, à destination des fonctionnaires et des agents publics les critères susrappelés. C'est donc de cette circulaire que les requérants demandaient la suspension, sauf en tant que la liste des critères de vulnérabilité fixée par le décret du 10 novembre 2020, qu'elle reprend, étend celle qui était fixée par le décret du 5 mai 2020.

La requête est d'abord rejetée en tant qu'elle invoque une erreur manifeste d'appréciation en ce que la circulaire permettrait le retour des personnes vulnérables sur leur lieu de travail ; au contraire, c'est le télétravail qui est, en ce cas, privilégié et, à défaut, la reprise sur le lieu de travail est subordonnée au respect strict des gestes barrières (masque, gel et distanciation).

Elle est ensuite rejetée en tant qu'elle critique l'insuffisance de ces gestes barrière et l'impossibilité pour les intéressés de former contre elles un recours alors que, d'une part, ces mesures sont suffisantes, claires et intelligibles et, d'autre part, qu'elles sont soumises à recours éventuels.

(ord. réf. 11 janvier 2021, Association Renaloo, Association France lymphome espoir et M. A., n° 447978)

 

36 - Arrêté ministériel (Santé) - Étendues respectives de la compétence du premier ministre et de celle du ministre de la santé en matière de santé publique dans le cadre de la lutte contre le Covid-19 - Mesure proportionnée et correctement fondée - Rejet.

Le ministre de la santé était bien et seul compétent pour prendre l'arrêté querellé du 26 mai 2020 en tant que, par l'art. 6-2 qu'il insère dans le décret du 23 mars 2020 et au visa de l'art. L. 3131-1 du code de la santé publique, il a prévu que la spécialité pharmaceutique Plaquenil (c) ne pourrait être dispensée en officine, dans le respect des indications de son autorisation de mise sur le marché, que sur le fondement d'une prescription initiale émanant de certains spécialistes susceptibles de la prescrire dans le cadre de son autorisation de mise sur le marché ou dans le cadre d'un renouvellement de prescription émanant de tout médecin. Par cette mesure, le ministre de la santé a entendu éviter une tension sur l'approvisionnement pour les patients y recourant conformément à son autorisation de mise sur le marché, afin qu'ils puissent bénéficier des soins dont ils ont besoin pendant la catastrophe sanitaire.

Par ailleurs, l'arrêté n'est pas entaché d'illégalité car, contrairement à ce qui était soutenu, il ne repose pas sur des faits inexacts ou inexactement appréciés, est conforme aux données acquises de la science actualisées au jour où il a été pris, ne porte pas atteinte à la liberté d'aller et de venir, à la liberté de prescription des médecins ou au droit à la vie et, enfin, ne repose pas sur un détournement de pouvoir.

(28 janvier 2021, M. B., n° 441038)

 

37 - Police spéciale de lutte contre une catastrophe sanitaire - Police appartenant notamment au premier ministre - Institution d'un régime d'autorisation préalable de rassemblements sur la voie publique - Incompétence - Interdiction des rassemblements de plus de 5000 personnes - Mesure illégale - Annulations.

La circonstance que le premier ministre est, en vertu du 6° du I de l'art. L. 3131-15 du code de la santé publique, l'une des autorités de la police spéciale de lutte contre la catastrophe sanitaire née de l'épidémie de Covid-19, ne lui conférait pas compétence pour créer, en matière de rassemblements sur la voie publique, un régime d'autorisation préalable substitué à celui de déclaration préalable existant jusque-là.

Par ailleurs, le souci de lutter contre un fléau sanitaire, s'il lui permettait de réglementer réunions et rassemblements, ne l'autorisait pas à créer un régime d'interdiction générale et absolue du tout rassemblement de plus de 5000 personnes. L'atteinte ainsi portée à la liberté de manifester "n'est ni nécessaire, ni adaptée ni proportionnée".

(15 janvier 2021, Confédération générale du travail et autres, n° 441265)

 

38 - Référé liberté - Décret du 15 janvier 2021 - Absence d'urgence - Rejet.

Est rejetée pour défaut d'urgence et en raison de la généralité des arguments de principe invoqués à son soutien, la demande de référé dirigée contre le décret du 15 janvier 2021 en tant qu'il n'est applicable que pendant quinze jours et qu'il porterait par nature une atteinte grave aux libertés publiques.

(ord. réf. 21 janvier 2021, M. A., n° 448734)

 

39 - Référé liberté - Enseignement supérieur - Interdiction d'accès à certains enseignements faite notamment aux étudiants de master - Absence d'atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales - Rejet.

Est rejetée la demande en référé liberté d'un étudiant que soient étendues aux autres étudiants, notamment ceux de master, les dérogations consenties pour certains enseignements, aux étudiants de première année.

En raison de la situation sanitaire actuelle ce refus ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales ; la demande est rejetée sans qu'il soit besoin d'examiner la condition d'urgence.

(ord. réf. 21 janvier 2021, M. B., n° 448736)

 

40 - Référé liberté - Injonction au ministre de la santé - Imposition à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) de l'obligation de prendre une mesure d'élaboration et de délivrance d'un médicament - Absence d'urgence - Rejet.

Les requérants demandaient au juge des référés d'enjoindre au ministre des solidarités et de la santé de saisir l'ANSM afin qu'une recommandation temporaire d'utilisation (RTU) puisse être considérée, élaborée et délivrée en urgence pour la molécule ivermectine afin de lutter contre l'épidémie de Covid-19.

Pour rejeter cette demande le juge des référés relève que l'ANSM a d'ores et déjà décidé de procéder, dans les plus brefs délais, à l'évaluation de l'efficacité et de la sécurité présumées de l'ivermectine pour la lutte contre la Covid-19 en vue, le cas échéant, d'adopter une RTU en ce sens. Ainsi n'est pas satisfaite la condition d'urgence, particulière au référé liberté, d'où le rejet du référé.

(26 janvier 2021, Syndicat des médecins d'Aix et Région (SMAER) et autres, n° 448714)

 

41 - Élections municipales et communautaires - Scrutin s'étant déroulé sous l'empire d'une contrainte épidémique - Circonstance favorisant l'abstention notamment des personnes âgées - Absence d'atteinte à la sincérité du scrutin - Rejet.

La circonstance que des élections municipales et communautaires aient été maintenues en dépit d'une grave crise sanitaire n'est pas de nature, même si elle a pu provoquer un nombre plus élevé d'abstentions, à avoir porté atteinte à la sincérité du scrutin alors qu'en l'espèce le taux de participation, de 62,75%, s'est situé bien au-dessus de la moyenne nationale

(27 janvier 2021, M. E. et autres, Élect. mun. et cnautaires de la commune de Ruffey-lès-Echirey, n° 445579)

 

 

Droit fiscal et droit financier public

 

42 - Entreprises industrielles, commerciales, artisanales ou professionnelles situées en zone de revitalisation rurale - Entreprises créées ou reprises durant une certaine période - Exonération temporaire partielle d'impôt sur le revenu ou sur les sociétés - Cas du rachat de la totalité des parts d'un associé dans une société civile professionnelle (SCP) par un nouvel associé - Reprise d'entreprise individuelle éligible au mécanisme d'exonération - Cassation pour erreur de droit.

Le I de l'article 44 quindecies du CGI a institué au bénéfice des créateurs ou des repreneurs d'entreprises exerçant une activité industrielle, commerciale, artisanale ou professionnelle, situées dans une zone de revitalisation rurale (cf. art. 1465 A CGI), une exonération temporaire partielle d'impôt sur le revenu ou sur les sociétés dès lors que cette reprise ou création est intervenue entre le 1er janvier 2011 et le 31 décembre 2013.

Cassant un arrêt de cour administrative d'appel contraire sur ce point, le Conseil d’État  considère que le rachat, dans une société civile professionnelle (SCP), de la totalité des parts d'un associé par un nouvel associé doit être regardé comme constituant une reprise d'entreprise individuelle et comme ouvrant droit à l'exonération d'imposition précitée dès lors que la société compte moins de dix salariés et que l'opération de cession des parts ne se fait pas au profit de proches parents ou alliés du cédant.

(26 janvier 2021, M. A., n° 428124)

 

43 - Recouvrement de créances fiscales - Débiteur résidant à l'étranger - Régime de la prescription des créances - Régime de l'action en recouvrement - Cassation partielle.

Le litige opposait l'administration fiscale à un contribuable résidant en Suisse à propos du paiement de cotisations à l'impôt sur le revenu, de prélèvements sociaux et de frais des mises en demeure émises à cet effet.

Dans cette importante décision qui concerne une situation de fait désormais très répandue, le Conseil d’État se prononce en particulier sur l'office du juge de l'impôt en ce cas.

En premier lieu, lorsque le juge de l'impôt est saisi d'une contestation relative au recouvrement d'une créance fiscale auprès d'un débiteur qui ne réside pas habituellement en France, il lui incombe de déterminer si une norme communautaire ou un traité international autorise des modalités de notification ou de signification à l'étranger des actes pris dans le cadre de la procédure en cause qui dérogent aux modalités qui sont prévues, en l'absence de tels textes, par les dispositions du livre des procédures fiscales, en particulier celles des art.L. 257-0 A, L. 257-0 B, L. 258 A, L. 277 et par celles du code de procédure civile (art. 683 et 684).

En second lieu, lorsque ce juge est saisi d'une telle contestation par un débiteur ne résidant habituellement ni en France ni dans un Etat membre de l'Union européenne il entre dans son office de déterminer si un instrument juridique relatif à l'assistance mutuelle en matière de recouvrement ayant une portée similaire à celle de la directive 2010/24/UE du Conseil du 16 mars 2010 est applicable à l'intéressé, auquel cas celui-ci n'est soumis qu'au délai de prescription de quatre années prévu par le premier alinéa de l'article L. 274 du livre des procédures fiscales.

En l'espèce il est fait application des principes susindiqués aux sommes mises en recouvrement en 2005 au titre de l'impôt sur le revenu pour les années 2001 à 2003 ainsi qu'au titre des contributions sociales de l'année 2003, avec les frais correspondants. Le surplus de la demande n'est rejeté que pour une raison de procédure.

(26 janvier 2021, M. A., n° 429381 ; Ministre de l'Économie, des Finances et de la Relance, n° 429410)

 

44 - Taxe de séjour - Institution successive ou concomitante de cette taxe par une commune et par une communauté de communes - Impossibilité - Rejet.

(26 janvier 2021, Commune de Linguizzetta c/ communauté de communes de l'Oriente, n° 431187) V. n° 11

 

45 - Bois et forêts - Régime fiscal des cessions de terres à usage forestier ou de peuplements forestiers - Détermination des plus-values imposables - Cas d'acquisitions par fractions successives - Conséquence de l'abattement pour durée de détention - Rejet.

Une personne a cédé, par fractions successives, la quasi-totalité des parts qu'elle possédait dans un groupement forestier à une SCI dont ses enfants sont associés et déclaré à cette occasion que la plus-value résultant de cette cession devait être exonérée sur le fondement du IV de l'article 150 U du CGI. Le litige, après accord partiel avec l'administration fiscale, portait sur l'application aux 323 dernières parts cédées de l'abattement pour cession de peuplements forestiers alors que cette cession avait déjà bénéficié de l'abattement pour durée de détention.

Confirmant les jugement et arrêt rendus dans ce litige, le Conseil d’État juge tout d'abord qu'en cas de cession de biens immobiliers ou de droits relatifs à ces biens, qui ont été acquis par fractions successives, la plus-value est calculée à partir des plus et moins-values propres aux différentes fractions en cause, corrigées par l'abattement pour durée de détention.

Il juge aussi que lorsqu'une fraction des peuplements forestiers cédés ne donne lieu à aucune plus-value prise en compte dans ce calcul, elle n'ouvre pas droit, eu égard à son objet, à l'abattement prévu, en cas d'imposition, pour la cession de tels biens.

La cour administrative d'appel n'a donc pas commis d'erreur de droit en jugeant que, dès lors que les 323 parts détenues depuis 1981 n'avaient fait l'objet d'aucune imposition, l'administration n'avait pas à les prendre en compte pour déterminer le montant de l'abattement prévu par le III de l'article 150 VF du CGI.

En quelque sorte, ici abattement sur abattement ne vaut...

(26 janvier 2021, M. et Mme B., n° 429576)

 

46 - Impôts sur le revenu - Impôt sur les sociétés - Intervention d'une procédure de reprise ou de rectification - Délai de réclamation - Notification postérieure d'une mise en recouvrement - Absence d'effet sur le cours du délai de réclamation - Rejet.

Si, par application des art. L. 169, L. 189 et R. 196-3 du livre des procédures fiscales, le contribuable qui a fait l'objet d'une procédure de reprise ou de rectification de la part de l'administration fiscale, dispose, symétriquement, d'un délai de réclamation dont la durée est égale à celle dont bénéficie l'administration pour établir l'impôt, qui s'achève le 31 décembre de la troisième année au cours de laquelle a été notifiée la proposition de rectification, en revanche la notification postérieure de la mise en recouvrement des impositions n'a pas pour effet de proroger ce délai.

La solution est parfaitement logique.

(26 janvier 2021, Société Accor, n° 437802)

 

47 - Imposition des sociétés - Société mère d'un groupe fiscalement intégré - Rehaussement de son bénéfice imposable - Détermination du délai de réclamation - Rejet.

Parce que la notification régulière à la société mère d'un groupe fiscalement intégré de rehaussements apportés à son propre bénéfice imposable, en tant que société membre de ce groupe, ne lui permet de se prévaloir du délai de réclamation prévu à l'article R. 196-3 du livre des procédures fiscales que pour les seules impositions correspondant à ses propres résultats individuels, c'est sans erreur de droit que la cour administrative d'appel a jugé tardive la réclamation de la société requérante tendant à la restitution d'une fraction, correspondant à des bénéfices d'une autre société membre du groupe, des cotisations primitives d'impôt sur les sociétés et de contribution sociale additionnelle à cet impôt qu'elle avait acquittées au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2010. En effet, la proposition de rectification en date du 17 décembre 2013 qui lui avait été notifiée portait sur son seul résultat propre et n'avait eu aucune incidence sur le résultat individuel de l'autre société, de sorte qu'elle ne pouvait se prévaloir de cette notification pour l'application du délai prévu à l'article R. 196-3 du livre des procédures fiscales.

On peut regretter la rigidité d'une solution trop générale et peu adaptée à des situations fiscales multiformes.

(26 janvier 2021, Société Vicat, n° 438217)

 

48 - Option d'une société pour le régime d'intégration fiscale (art. 223 A CGI) - Refus de l'administration - Conditions d'octroi du régime d'intégration - Ajout par une disposition de l'annexe III au CGI de conditions supplémentaires à celles prévues par la loi - Illégalité - Annulation sans renvoi (seconde cassation).

La société demanderesse s'était vu refuser par l'administration fiscale le bénéfice de son option pour le régime d'intégration fiscale prévu par l'article 223 A CGI car elle ne remplissait pas l'ensemble des conditions nécessaires pour être éligible à cette intégration.

En réalité ces conditions figurent à l'art. 223 A précité ainsi qu'à l'art. 46 quater-0 ZF de l'annexe III au CGI.

Si la société satisfaisait bien à la condition prévue à l'art. 223 A, elle ne satisfaisait pas aux autres conditions prévues à l'annexe III.

Toutefois, constatant que ces dernières conditions méconnaissent la portée de la disposition législative dont l'art. 46 quater-0 ZF a pour objet de préciser les modalités d'application, le juge les dit entachées d'incompétence et, par suite, inopposables à la requérante.

C'est donc illégalement que l'administration a refusé à la société le bénéfice de l'intégration fiscale qu'elle sollicitait.

(26 janvier 2021, SELAS Biomnis, n° 439582)

 

49 - Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) - Conditions d'assujettissement - Exercice habituel d'une activité professionnelle non salariée - Condition réalisée en l'espèce - Rejet.

La société requérante avait contesté son assujettissement à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises ; si le tribunal administratif lui a donné raison en ordonnant la restitution des sommes versées, la cour administrative d'appel a infirmé ce jugement. Le pourvoi en cassation est rejeté par adoption des motifs retenus par le juge d'appel.

L'art. 1447 du CGI définit l'activité professionnelle, au sens de l'art. 1586 ter du CGI, comme l'exercice à titre habituel d'une activité professionnelle non salariée.

En l'espèce, la contribuable tirait des revenus de la concession d'un brevet ; il est jugé que dès lors que le concédant met en oeuvre de manière régulière et effective, pour cette activité de concession, des moyens matériels et humains ou qu'il est en droit de participer à l'exploitation du concessionnaire et qu'il est rémunéré, en tout ou partie, en fonction des résultats de cette exploitation, il exerce une activité professionnelle au sens et pour l'application des dispositions régissant le champ d'application et les conditions d'assujettissement à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises.

Or, en l'espèce, en premier lieu, la cour a relevé qu'au cours de la période d'imposition en cause, la SAS SCA Hygiène Holding détenait directement ou indirectement la totalité du capital de l'ensemble des filiales françaises du groupe SCA, au nombre desquelles figuraient la société SEGAS, requérante, et celles auxquelles cette dernière avait sous-concédé des brevets pour lesquels elle bénéficiait d'une licence d'usage et d'exploitation exclusive.

En deuxième lieu, la cour a constaté que les stipulations des contrats de sous-concession de brevets en cause prévoyaient que le montant des redevances perçues par la société requérante était, au moins pour partie, fixé en fonction du volume des ventes et donc proportionnel à l'activité et aux résultats des sociétés sous-concessionnaires.

En déduisant de là que la totalité du capital de la société concessionnaire et des sociétés sous-concessionnaires était, directement ou indirectement, détenue par un seul et même actionnaire, et qu'ainsi la société SEGAS devait être regardée comme étant en droit de participer à l'exploitation de ses sous-concessionnaires, d'où il résultait que la sous-concession du droit d'usage et d'exploitation des brevets en cause revêtait, en l'espèce, le caractère d'une activité professionnelle au sens de l'article 1447 du CGI, la cour n'a pas entaché son arrêt d'une erreur de droit, ni inexactement qualifié les faits au plan juridique.

(26 janvier 2021, SAS Société d'Etude et de Gestion d'Appareils Sanitaires (SEGAS), n° 439856)

 

50 - Procédure fiscale - Substitution de la base légale de l'imposition - Limite - Contribuable privé d'une garantie procédurale légale - Respect du droit de saisine de la commission départementale des impôts - Rejet.

Des diverses questions juridiques abordées dans cette décision sera retenue, même si elle est sans effet en la présente espèce, l'affirmation  centrale que " si l'administration peut, à tout moment de la procédure, invoquer un nouveau motif de droit propre à justifier l'imposition, une telle substitution de base légale ne saurait avoir pour effet de priver le contribuable des garanties de procédure prévues par la loi compte tenu de la base légale substituée et notamment de la faculté, prévue par les articles L. 59 et L. 59 A du livre des procédures fiscales, de demander la saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, lorsque celle-ci est compétente pour connaître du différend ".

 (26 janvier 2021, M. A., n° 439976)

 

Droit public économique

 

51 - Programme d'aide de l'Union européenne accordé dans le cadre du volet " lait et fruits à l'école " - Notification de la stratégie de la France à la Commission européenne - Décision de FranceAgriMer modifiant cette stratégie - Information de la cessation de cet agrément en fin d'année scolaire en cours - Absence de rétroactivité illégale, d'atteinte à des droits acquis, à la sécurité juridique ou à la confiance légitime - Annulation de l'ordonnance de référé suspension.

L'établissement public requérant avait informé, le 6 juin 2019, une société qu'il avait agréée à partir du deuxième trimestre de l'année scolaire 2018/2019 commençant le 1er janvier 2019, en tant que gestionnaire de la partie "fruits et légumes" du programme d'aide de l'UE dénommé "lait et fruits à l'école", que cet agrément cesserait de s'appliquer à compter de la fin de l'année scolaire en cours.

FranceAgriMer invoquait à l'origine de cette décision l'évolution de la stratégie nationale pour ce programme d'aide qui conduisait à réserver l'accès à l'aide aux organismes supportant le coût de la restauration collective dans les établissements scolaires, ce qui en excluait les opérateurs qui, comme la société en cause, intervenaient en qualité de fournisseurs.

Par ailleurs, FranceAgriMer informait cette dernière de la faculté qui lui était ouverte d'intervenir dorénavant auprès des organismes précités en qualité de fournisseur référencé. 

Le juge des référés a suspendu cette décision et enjoint FranceAgriMer de reprendre le fonctionnement de l'agrément.

Sur appel de cet établissement, le Conseil d’État annule l'ordonnance de référé au motif que les Etats membres de l'Union ont la faculté, notamment en vertu du 4 de l'art. 2 du règlement délégué (UE) 2017/40 de la Commission du 3 novembre 2016, de modifier leur stratégie nationale, notamment pour déterminer, parmi les catégories de demandeurs visées par ce texte, celles qui pourront être agréées en vue de bénéficier de l'aide.

Il s'ensuit que les opérateurs concernés sont en mesure de prévoir que cette stratégie, en particulier en tant qu'elle détermine l'accès direct à l'aide, est susceptible d'être adaptée et de connaître des évolutions ce qui implique nécessairement qu'ils ne disposent d'aucun droit au maintien de la stratégie nationale en vigueur au moment où ils ont été agréés et qu'ils ne se sont, alors, engagés à aucune contrepartie autre que celle de fournir les denrées alimentaires correspondant à leur agrément au cours du trimestre où celui-ci leur a été accordé.

C'est donc à tort que, pour rendre l'ordonnance attaquée, le premier juge a cru pouvoir se fonder sur l'illégalité rétroactive de la décision informant de la fin de l'agrément ainsi que sur le fait qu'elle aurait porté atteinte à des drois acquis ainsi qu'aux principes de sécurité juridique et de confiance légitime.

(26 janvier 2021, FranceAgriMer, n° 436639)

 

52 - Redevances aéroportuaires - Directive du 11 mars 2009 sur les redevances aéroportuaires - Consultation des usagers - Intervention d'une autorité de supervision indépendante - Intervention non nécessaire en l'espèce - Rejet.

Des divers points de droit abordés dans cette décision on retiendra surtout celui relatif au grief tiré de la non-consultation de l'Autorité de la concurrence.

Selon le juge, il résulte des dispositions du code des transports (art. L. 6325-1 et L. 6325-6) que si les redevances pour services rendus sur les aérodromes ouverts à la circulation aérienne publique sont fixées par décret en Conseil d’État  qui peut réglementer les prix " après consultation de l'Autorité de la concurrence ", cette consultation n'est prévue que pour les textes  ayant pour objet les règles relatives au champ, à l'assiette et aux modulations des redevances, les principes et les modalités de fixation de leurs tarifs lorsque de telles règles ne se bornent pas à préciser les modalités d'application des dispositions législatives ou de la directive précitée de 2009 et modifient de manière substantielle l'état du droit antérieur.

Or les dispositions querellées du décret du 3 octobre 2019 n'ont pas cette portée car elles se bornent à préciser ou à réitérer selon une rédaction antérieure des dispositions existantes et ne modifient pas de manière substantielle l'état du droit antérieur.

La consultation de l'Autorité de la concurrence n'étant pas nécessaire en l'espèce, son absence ne saurait entacher d'illégalité le décret attaqué.

Cette jurisprudence réitère mutatis mutandis la décision du 3 mai 2004, Fonds régional d'organisation du marché du poisson (FROM Nord), n° 260036, encore que cette dernière reposait sur une interprétation plus souple que dans la présente affaire, de la notion de modification substantielle.

(28 janvier 2021, Syndicat des compagnies aériennes autonomes (SCARA), n° 436166 et n° 439999 ; Chambre syndicale du transport aérien (CSTA), n° 436517 ; Société Ryanair, n° 438178, jonction)

 

53 - Exonération de cotisations sociales pour création ou reprise d'activité professionnelle ou exercice d'une autre profession non salariée (art. L. 131-6-4 c. sécurité sociale) - Décret du 20 novembre 2019 apportant des modifications substantielles au régime antérieur - Entrée en vigueur au 1er janvier 2020 - Espérance légitime frustrée - Cessation du régime antérieur motivée par l'intérêt général - Rejet.

Une disposition du code de la sécurité sociale avait institué au profit de personnes créant ou reprenant une activité professionnelle ou entreprenant l'exercice d'une autre profession non salariée, pour douze mois prorogeables jusqu'à trente-six mois à certaines conditions, une exonération des cotisations dues aux régimes d'assurance maladie, maternité, veuvage, vieillesse, invalidité et décès et d'allocations familiales dont elles sont redevables au titre de l'exercice de leur activité (art. L. 131-6-4, I du code de la sécurité sociale).

Le décret attaqué, du 20 novembre 2019, entré en vigueur le 1er janvier 2020, modifie profondément ce mécanisme. En particulier, il limite à un an seulement la durée d'application de l'exonération et, pour les périodes d'activité postérieures au 1er janvier 2020, plafonne l'exonération à 50% des sommes dues au lieu de 100% jusque-là. D'autres dispositions sont prévues à titre transitoire pour les personnes dont l'activité a débuté antérieurement à cette date.

Le Conseil d’État , s'il rejette l'argument des requérantes fondé sur l'atteinte au principe de non rétroactivité des actes administratifs puisque le décret ne contient pas de dispositions rétroactives, admet que soit invoqué - uniquement pour celles des activités existant antérieurement au 1er janvier 2020 non pour celles ayant débuté postérieurement - l'argument tiré de ce qu'elles disposaient bien " d'une espérance légitime de bénéficier de cette exonération pendant la durée et dans les conditions prévues par ces dispositions, constitutive d'un bien au sens des stipulations (de l'art. 1er du premier protocole additionnel à la convention EDH)".

Toutefois, il relève que les mesures contenues dans le décret litigieux étant justifiées par un motif d'intérêt général, l'atteinte invoquée n'est pas illégale.

Pour parvenir à ce résultat le juge relève, d'une part, que même réduit, le taux d'exonération de cotisations "demeure relativement proche de celui dont elles auraient pu bénéficier sur le fondement des dispositions antérieures", et, d'autre part, que les mesures adoptées visent "à atténuer l'avantage que les règles précédentes avaient pour effet de procurer aux micro-entrepreneurs par rapport aux autres travailleurs indépendants, en rapprochant les exonérations dont ils bénéficient et en assurant le respect de l'article L. 613-7 du code de la sécurité sociale qui prévoit que le taux global appliqué aux cotisations et contributions sociales durant les premières années d'activité des travailleurs indépendants relevant du régime micro-social ne peut être inférieur à la somme des taux de la contribution sociale généralisée et de la contribution au remboursement de la dette sociale".

L'argument ne convainc pas car c'était précisément ce qui faisait toute l'attractivité du régime antérieur que d'apporter un avantage jusque-là inexistant dans l'intérêt général de développer la création d'entreprises et de favoriser l'initiative productive individuelle.

L'Etat donne une nouvelle fois le sentiment, comme c'est souvent le cas en matière d'avantages sociaux ou fiscaux, de reprendre d'une main ce qu'il a lâché de l'autre lorsqu'il s'aperçoit avoir été incapable de déterminer le coût global futur du nouveau mécanisme institué. C'est là une façon de légitimer l'absence de confiance des citoyens envers leurs gouvernants, si largement répandue en France, à la différence d'autres Etats européens.

(28 janvier 2021, Association pour le droit à l'initiative économique et Fédération nationale des autoentrepreneurs, n° 437776)

 

54 - Référé suspension - Communiqué commun de l'Autorité des marchés financiers et de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution - Appréciation de la condition d'urgence - Absence d'urgence - Rejet.

(26 janvier 2021, Société Blockchain Process Security, n° 448419 ; Société Digital Broker, n° 448432 ; Société Kamix, n° 448433, jonction) V. n° 14

 

Droit social et action sociale

 

55 - Conventions collectives - Fusion - Représentativité des organisations syndicales - Appréciation - Absence d'urgence à statuer compte tenu des dispositions prises - Rejet.

Les syndicats requérants, qui ont demandé  l'annulation de l'exécution de l'arrêté du 9 avril 2019 du ministre du travail procédant, en application de l'article L. 2261-32 du code du travail, à la fusion de la convention collective des artistes-interprètes engagés pour les émissions de télévision  et de la convention collective de la production audiovisuelle, sollicitent également sa suspension  au motif qu'en cas d'annulation contentieuse de cette fusion et alors que des élections à cet effet sont prévues du 22 mars au 4 avril 2021, il ne serait plus possible d'apprécier la représentativité des organisations syndicales relevant de chacune des deux branches objet de la fusion contestée.

Pour dire n'y avoir pas urgence à statuer le juge du référé suspension relève, sur les affirmations ministérielles réitérées à la barre du Conseil d’État , que des urnes distinctes correspondant aux champs de chacune des conventions collectives composant la nouvelle branche sont proposées aux électeurs dans toutes les nouvelles branches issues de fusions soumises à un contentieux et que, à cet effet, au sein de la liste électorale, les électeurs ont été affectés selon les branches professionnelles qui préexistaient à la fusion des champs. De sorte que si le Conseil d'État décidait de l'annulation de l'arrêté litigieux, la direction générale du travail serait en capacité d'affecter les résultats du vote des salariés de l'une et l'autre conventions collectives à chacune et ce en vue de l'édiction d'arrêtés de représentativité syndicale distincts.

(ord. réf. 11 janvier 2021, Syndicat indépendant des artistes interprètes et Union nationale des syndicats autonomes Spectacle et Communication, n° 447183)

 

56 - Conventions collectives et accords de branche - Portée de l'art. L. 2261-15 du code du travail - Conditions d'appréciation de la représentativité des organisations professionnelles d'employeurs - Extension d'un avenant à une convention collective - Absence d'appréciation préalable de la représentativité des participants à l'accord - Exclusion d'une organisation remplissant les critères de représentativité - Annulation de l'arrêté ministériel opérant cette extension.

Doit être annulé l'arrêté ministériel portant extension d'un accord professionnel et de l'avenant à cet accord sans qu'il ait été procédé auparavant à une enquête de représentativité des organisations professionnelles d'employeurs participant à cet accord ou n'y participant pas. En l'espèce, une des organisations requérantes, non appelée à la négociation de l'avenant, satisfaisait aux critères légaux de représentativité, l'arrêté portant extension de cet avenant est donc annulé.

(21 janvier 2021, Chambre nationale des professions libérales, n° 418617 ; Institut français des experts-comptables et des commissaires aux comptes (IFEC), n° 418618 ; Conseil national des barreaux, n°444576)

 

57 - Licenciement d'un salarié pour faute - Conducteur de car - Permis de conduire ayant perdu sa validité - Motif d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement - Qualification inexacte des faits - Cassation avec renvoi.

L'arrêt attaqué qualifie inexactement comme n'étant pas d'une gravité suffisante pour motiver son licenciement, le fait pour un conducteur de car de continuer à conduire alors, d'une part, que la durée de validité de son permis de conduire était arrivée à expiration et, d'autre part, qu'il lui incombait d'en solliciter en temps utile la prorogation.

(21 janvier 2021, Société N'4 Mobilités, n° 427235)

 

58 - Médecine du travail - Visite médicale à l'embauche d'un apprenti - Expérimentation de l'accomplissement d'une visite médicale par un médecin autre qu'un médecin du travail - Régime de cette expérimentation - Rejet.

Le I de l'article 11 de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel permet qu'à titre expérimental, jusqu'au 31 décembre 2021, pour un apprenti embauché en contrat d'apprentissage, la visite d'information et de prévention prévue par le code du travail (art. L. 4624-1, alinéa 2) peut être réalisée par un professionnel de santé de la médecine de ville, dans des conditions définies par décret, lorsqu'aucun médecin du travail n'est disponible pour réaliser cette visite dans un délai de deux mois à compter de l'embauche. Le décret du 28 décembre 2018, pris pour l'exécution de ces dispositions, était argué d'illégalité par l'organisation requérante.

Tous ses arguments sont rejetés.

La consultation du Conseil national de l'ordre des médecins préalablement à l'édiction de ce texte n'était pas requise. La circonstance qu'une disposition législative impose " un diplôme spécial (...) pour l'exercice des fonctions de médecin du travail " n'interdisait pas à une disposition législative postérieure d'y déroger en particulier à titre expérimental. En troisième lieu, le décret litigieux ne s'applique qu'à défaut de médecin du travail disponible et ne fait nullement obstacle à l'exercice par celui-ci de ses prérogatives.

La loi n'interdit pas que le médecin substitué soit le médecin traitant de l'intéressé et le fait que ce dernier, à l'issue de la visite d'information et de formation, puisse orienter son client vers un médecin du travail ne porte pas atteinte au principe de l'indépendance professionnelle du médecin.

Enfin, le décret attaqué comporte les garanties et précisions nécessaires à la bonne application du I de l'art. 11 précité et il n'apporte aucune dérogation au principe du secret médical.

(21 janvier 2021, Conseil national de l'ordre des médecins, n° 431492)

 

59 - Syndicat mixte gérant un service de remontées mécaniques et de pistes de ski - Service public à caractère industriel et commercial - Grave déficit d'enneigement - Demande de mise en activité partielle de ceux des agents placés sous un régime de droit privé - Marge d'appréciation de l'administration sollicitée en vue ce donner son accord à l'utilisation de ce dispositif - Caractère exceptionnel ou non du déficit d'enneigement - Cassation avec renvoi.

Commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui juge régulier le refus du préfet, confirmé par le ministre, d'accorder au syndicat requérant, gestionnaire d'un service public de remontées mécaniques ou de pistes de ski, l'autorisation de placer ses salariés en position d'activité partielle en raison d'un déficit d'enneigement.

En effet, l'activité, même gérée en régie directe par une commune ou un groupement de communes, y compris avec la participation d'un département, constitue toujours un service public à caractère industriel et commercial. Il s'ensuit, contrairement à ce qui avait été jugé en appel, que les agents contractuels recrutés pour exercer dans un service de remontées mécaniques ou de pistes de ski sont soumis à un régime de droit privé et qu'ils peuvent donc être placés par leur employeur en position d'activité partielle dans les conditions prévues par le code du travail, sous réserve de l'adhésion de ce dernier au régime d'assurance chômage.

Reste une question pratique à résoudre, celle de déterminer si le déficit d'enneigement a, en l'espèce, revêtu, ou non, un caractère exceptionnel.

(28 janvier 2021, Syndicat mixte Savoie Grand Revard, n° 432340)

 

Élections

 

60 - Élections municipales et communautaires du 15 mars 2020 - Apparition d'un élément nouveau de polémique électorale - Article de presse relatif à l'effondrement de la voûte d'une église - Absence de caractère polémique - Rejet.

Ne constitue pas, au sens de l'art. L. 48-2 du code électoral, un élément nouveau de polémique électorale, la publication dans un quotidien local d'un article relatif aux opérations de déblaiement menées le mercredi précédent le scrutin à la suite de l'effondrement de la voûte de l'église de la commune et aux étapes à venir de la réfection de l'édifice. D'une part, la publication d'un article de presse dans un quotidien local rendant compte de l'intervention des services municipaux sur un bâtiment communal ne saurait constituer, par elle-même, une méconnaissance des articles L. 48-2 et L. 49 du code électoral et, d'autre part, les organes de presse demeurent libres de leurs publications durant la campagne électorale, notamment en mentionnant les propos de certains candidats, sous réserve, dans ce dernier cas, que ces propos ne constituent pas, par leur présentation et leur contenu, de la part de ces candidats, un procédé de publicité commerciale prohibé par l'article L. 52-1 du code électoral.

Dans les circonstances de l'espèce, ces conditions ont été respectées d'où le rejet de la protestation.

(27 janvier 2021, M. E. et autres, Élections mun. et cnautaires de la commune de Ruffey-lès-Echirey, n° 445579)

 

61 - Élections municipales et communautaires du 15 mars 2020 - Altérations alléguées de la sincérité du scrutin - Absence - Rejet.

Le protestataire demandait l'annulation d'opérations électorales s'étant déroulées dans une commune de plus de mille habitants au motif que divers éléments auraient entaché la sincérité du scrutin.

Le Conseil d’État rejette le recours dirigé contre le jugement de rejet de cette protestation.

La présentation des détails d'un projet communal de construction d'un quartier destiné aux séniors, par la liste conduite par M. D., maire sortant, ne constitue pas une manoeuvre frauduleuse de nature à altérer la sincérité du scrutin dès lors que le conseil municipal avait déjà été informé du projet de construction de ce quartier et que cette annonce dans la presse est intervenue avant le début de la campagne officielle, de sorte que le protestataire disposait du temps nécessaire pour y répondre dans le cadre de la campagne. Pas davantage ne constitue une telle manoeuvre la circonstance que le site internet de campagne de M. D. a été réalisé par l'agence de communication qui réalise des prestations pour la commune.

Le taux d'abstention de 60,6% constaté lors des élections, peut-être du fait de l'épidémie de coronavirus, n'a pas, non plus, altéré la sincérité du scrutin.

(28 janvier 2021, M. B., Élections mun. et cnautaires de la commune de Faulquemont, n° 443737)

 

62 - Élections municipales et communautaires du 15 mars 2020 - Taux élevé d'abstention - Altération prétendue de la sincérité du scrutin - Ecart des voix -Rejet.

Rejetant la protestation dont il était saisi en appel d'un jugement la rejetant, le Conseil d’État juge que le nombre d'abstentions peut-être lié à l'existence d'une épidémie n'a pas altéré la sincérité du scrutin pas plus qu'une inscription à la peinture sur le sol en un lieu et un temps non identifiés.

Enfin, le sort incertain de deux procurations n'a pas, non plus, eu cet effet dès lors qu'en retranchant hypothétiquement deux voix à la liste la mieux placée celle-ci dépasse encore de deux voix la majorité absolue requise.

(28 janvier 2021, M. C., Élections mun. et cnautaires de la commune de Saint Geoges-d'Oléron, n° 445084)

 

63 - Élections municipales et communautaires du 15 mars 2020 - Éléments nouveaux de polémique électorale - Faible écart des voix - Confirmation de l'annulation des opérations électorales - Rejet de l'appel.

La circonstance de l'apparition d'éléments nouveaux de polémique électorale, au moyen de la distribution de deux tracts, l'avant-veille du scrutin, auxquels il ne pouvait être utilement répliqué, a, à bon droit, conduit le premier juge à annuler les opérations électorales en raison du faible écart des voix entre les listes, ne représentant que 0,28% des suffrages exprimés.

(28 janvier 2021, M. C. et autres, Élections mun. et cnautaires de la commune de Duttlenheim, n° 445308)

(64) Voir aussi, constatant l'existence d'un élément nouveau de polémique électorale mais jugé ici comme n'ayant pas altéré la sincérité du scrutin : 28 janvier 2021, M.  G., Élections mun. et cnautaires de la commune de Delme, n° 445518.

 

65 - Élections municipales et communautaires du 15 mars 2020 - Intervention officielle au moyen d'un courrier distribué aux habitants d'une commune - Utilisation de moyens municipaux - Très faible écart des voix - Altération de la sincérité du scrutin - Confirmation de l'annulation des opérations électorales du premier tour et, par voie de conséquence, du second tour de ces élections - Rejet.

La distribution aux habitants d'une commune, par des moyens municipaux, d'un courrier du maire sortant qui ne se représentait pas, pour soutenir l'une des listes en présence constitue, eu égard à ce que l'unique candidate élue au premier tour ne disposait que de trois voix de plus seulement que la majorité absolue requise, une irrégularité ayant altéré le scrutin. L'annulation du premier tour entraîne, par voie de conséquence, celle du second tour de ces élections.

(28 janvier 2021, M. AN. et autres, Élections mun. et cnautaires de la commune de Champdeuil, n° 445775)

 

État-civil et nationalité

 

66 - Français ayant demandé la libération de ses liens d'allégeance à la France - Acquisition antérieure de la nationalité suisse - Demande de réintégration dans la nationalité française - Régime applicable en l'état d'un vide juridique - Conditions de la réintégration - Absence - Rejet.

Le requérant, français d'origine, a obtenu la nationalité suisse en 1975, sollicité la libération de ses liens d'allégeance à la France en 1977 et demande désormais sa réintégration dans la nationalité française.

Rejetant le recours qu'il a introduit contre la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre de l'intérieur sur la demande, qu'il lui a adressée le 10 avril 2019, de retrait du décret du 3 août 1977 portant libération de ses liens d'allégeance avec la France, le Conseil d’État précise deux points qu'il importe de retenir.

En premier lieu, relevant que les " dispositions du code civil, qui régissent aujourd'hui l'acquisition et la perte de la nationalité française, n'organisant aucune procédure d'abrogation ni de retrait d'un décret autorisant la perte de la qualité de Français, il appartient à celui qui a été l'objet d'une telle décision, s'il souhaite recouvrer la nationalité française, de solliciter sa réintégration dans la nationalité française dans le cadre de l'une des deux procédures (instituées et régies par les articles 24 à 24-2 du code civil)".

En second lieu, l'intéressé peut, à tout moment, demander le retrait de la décision de libération des liens d'allégeance à la France lorsque celle-ci n'a pas été prise à sa demande ou que cette dernière est entachée d'un vice du consentement.

Comme ce n'était pas le cas en l'espèce, la demande est rejetée.

(28 janvier 2021, M. B., n° 435279)

 

Fonction publique et agents publics

 

67 - Enseignants dans l'enseignement technique - Enseignants agrégés du second degré - Conditions de rémunération des heures supplémentaires - Obligation d'effectuer un nombre minimum d'heures hébdomadaires au titre du service statutaire - Annulation sans renvoi, le Conseil d’État réglant l'affaire au fond.

Les personnels enseignant dans des établissements publics d'enseignement technique peuvent percevoir une rémunération supplémentaire en cas d'accomplissement de services d'enseignement au-delà du minimum hebdomaire d'enseignements statutaires.

Si, en l'espèce, la cour administrative a, à bon droit, estimé que le requérant, professeur agrégé enseignant en section de technicien supérieur sous la forme de séances de travaux dirigés de sciences appliquées ou de cours d'essais de systèmes dispensés sous forme de travaux pratiques d'atelier, avait bien accompli des heures complémentaires, elle a cependant commis une erreur de droit en ordonnant leur paiement alors que n'était pas remplie la condition d'un nombre minimum d'heures d'enseignement au titre du service statutaire hebdomadaire, lequel était de treize et trente minutes.

(21 janvier 2021, M. D., n° 428299)

 

68 - Technicien supérieur des études et de l'exploitation de l'aviation civile - Épuisement de ses droits à congé de longue durée - Contestation par l'intéressé, devant le comité médical supérieur, de l'avis du comité médical - Conséquence sur la position statutaire de l'agent - Position arrêtée à titre provisoire - Mise en disponibilité d'office - Rejet.

La question posée ici au juge était de savoir dans quelle position statutaire il convient de placer l'agent qui, ayant épuisé ses droits à congé de longue durée, conteste devant le comité médical supérieur l'avis du comité médical estimant qu'il n'était pas en état de reprendre un emploi ?

Le ministre compétent avait fait choix de placer l'intéressé, à titre provisoire, en position de disponibilité d'office pour trois ans. C'est cette décision que le requérant a contestée en vain en première instance. La juridiction d'appel avait annulé ce jugement et enjoint le ministre de réunir sous deux mois la commission de réforme afin qu'elle se prononce sur la mise en disponibilité d'office.

Le Conseil d’État estime que c'est sans illégalité que, dans les circonstances de l'espèce, le demandeur a été placé à titre provisoire en disponibilité d'office dans l'attente de l'avis du comité médical supérieur statuant sur sa réintégration. Il précise encore qu'il n'y avait pas lieu, en l'état de ce caractère provisoire, de réunir le comité de réforme, celui-ci ne devant l'être, le cas échéant, qu'en fonction du sens de l'avis du comité médical supérieur.

La procédure suivie n'a donc pas été irrégulière contrairement à ce qui a été jugé en appel.

(26 janvier 2021, M. C., n° 430790)

 

69 - Fonctionnaire employé dans un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) - Office national des forêts (ONF) - Régime applicable aux heures supplémentaires - Inapplicabilité des dispositions y relatives du code du travail - Annulation pour erreur de droit.

Commet une erreur de droit l'arrêt d'une cour administrative d'appel qui fait application à une fonctionnaire employée par l'ONF, qui est un EPIC, des règles fixées par le code du travail (art. L. 3111-1, L. 3121-10, L. 3121-22) en matière de rémunération des heures supplémentaires, inapplicables par principe aux fonctionnaires

(26 janvier 2021, Office national des forêts, n° 433291)

 

70 - Fonctionnaire - Supplément familial de traitement pour enfant à charge - Notion d'enfant à charge - Enfant de plus de 20 ans - Absence de qualité d'enfant à charge - Annulation avec renvoi.

Commet une erreur de droit dans son interprétation de l'art. R. 512-2 du code de la sécurité sociale, la cour administrative d'appel qui juge qu'un enfant âgé de plus de vingt ans entre dans la catégorie des enfants à charge ouvrant droit au bénéfice du parent fonctionnaire à un supplément familial de traitement

(26 janvier 2021, M. A., n° 433426)

 

71 - Fonctionnaire - Recul de l'âge de la retraite - Enfant de moins de 21 ans - Enfant devant être pris en compte pour l'application de la loi du 18 août 1936 - Rejet.

Ne commet pas d'erreur de droit la cour administrative d'appel qui juge que doit être pris en compte pour le recul d'un an de l'âge de la retraite d'un fonctionnaire par ancienneté, en application de l'art. 4 de la loi du 18 août 1936, l'enfant de ce fonctionnaire âgé de moins de 21 ans.

(26 janvier 2021, Ministre de l'économie et des finances et Ministre de l'action et des comptes publics, n° 433429)

 

72 - Élections au comité technique d'établissement et aux commissions administratives paritaires d'un centre hospitalier - Possibilité de voter à l'urne, par correspondance ou par voie électronique via internet - Possibilité de solliciter un nouvel identifiant ou mot de passe en cas de perte - Obligation de sécuriser la procédure - Absence en l'espèce - Annulation eu égard au nombre des votes électroniques - Annulation.

Il est possible, au même titre que les votes par correspondance ou à l'urne, de recourir au vote électronique pour les élections au comité technique d'établissement et aux commissions administratives paritaires.

En l'absence de toute réglementation le prévoyant, il est également possible d'instaurer une procédure permettant aux votants par voie électronique qui les auraient égaré de solliciter la réédition électronique - en lieu et place de celle "papier" prévue par le décret du 14 novembre 2017 - du mot de passe et/ou de l'identifiant. Toutefois, le recours à cette solution est subordonné à ce que la procédure adoptée garantisse le respect des principes de secret du vote et de sincérité du scrutin de manière équivalente à ce qu'il en est pour les deux autres modalités de vote. A cette fin, elle doit permettre de s'assurer de l'identité de l'électeur qui sollicite une nouvelle communication de son identifiant et de son mot de passe ainsi que du caractère personnel du ou des modes de communication par lesquels ils lui sont transmis. 

L'absence en l'espèce de telles garanties et le recours important à cette procédure conduisent à l'annulation des opérations électorales litigieuses.

(26 janvier 2021, Centre hospitalier du pays d'Aix n° 437986 et n° 437998)

(73) V. aussi, la solution identique retenue sur ce point par :

- 26 janvier 2021, Assistance publique - Hôpitaux de Marseille (AP-HM), n° 437989 et n° 437985

- ainsi que par : 26 janvier 2021, Assistance publique - Hôpitaux de Marseille (AP-HM), n° 437992 et n° 438006

- et par : 26 janvier 2021, Assistance publique - Hôpitaux de Marseille (AP-HM), n° 437993 et n° 438008.

 

74 - Inspecteur de la jeunesse et des sports - Directeur général de l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (INSEP) - Sanction disciplinaire - Mise à la retraite d'office - Communication préalable du dossier - Caractère en principe intégral de cette communication - Absence - Annulation de la sanction et obligation de réintégration.

Le requérant s'était vu reprocher d'avoir fait prendre en charge par l'INSEP des frais de séjour à Rio-de-Janeiro, à l'occasion des Jeux olympiques, de personnes proches de lui et étrangères à cet établissement. Après une enquête de l'inspection générale de son corps, une procédure disciplinaire a été engagée, au terme de laquelle un décret du président de la république l'a mis à la retraite d'office.

Le requérant contestait la régularité de la procédure suivie ; le Conseil d’État accueille le recours.

Le conseil de discipline disposait de trois documents ou séries de documents à l'ouverture de la procédure disciplinaire : un rapport de la Cour des comptes sur l'INSEP qui n'était pas relatif à l'affaire, le rapport de l'inspection générale et les pièces annexées à celui-ci.

Ces dernières n'ont pas été communiquées à l'agent malgré la demande expresse en ce sens de son avocat, en particulier les procès-verbaux d'audition des personnes entendues par les enquêteurs en vue de l'établissement de leur rapport. Pas davantage ne lui ont été communiqués les procès-verbaux des auditions réalisées, pour son propre rapport, par la Cour des comptes.

Le Conseil d’État écarte le grief de non-communication de ces dernières auditions puisque le rapport de la Cour ne concernait que l'INSEP non le requérant, elle n'affectait point son droit au respect des droits de la défense. En revanche, la non-communication des auditions réalisées dans le cadre de l'établissement du rapport de l'inspection générale affecte ces droits dès lors qu'il n'est pas soutenu que leur communication serait susceptible d'avoir de graves incidences sur leurs auteurs.

L'annulation de la procédure entraîne celle de la sanction disciplinaire subséquente et conduit à ordonner la réintégration de l'agent, celui-ci n'étant pas, à cette date, atteint par la limite d'âge.

(28 janvier 2021, M. Jean-Pierre de Vincenzi, n° 435946)

 

Libertés fondamentales

 

75 - Reconnaisance de plein droit de la qualité de réfugié - Personne placée sous le mandat du Haut-Conseil des Nations unies pour les réfugiés (HCR) - Retrait de cette qualité - Conditions - Annulation avec renvoi à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA).

La CNDA avait annulé la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) retirant à un individu le statut de réfugié au motif que celui-ci lui ayant été accordé automatiquement en sa qualité de personne placée sous le mandat du HCR, il ne pouvait lui être retiré.

Le Conseil d’État censure cette solution pour erreur de droit : la circonstance d'un octroi automatique de cette qualité comme dans le cas de l'espèce ne prive pas l'OFPRA du droit de mettre fin au statut de réfugié dès lors que sont découverts, postérieurement à l'octroi de ce statut, soit des éléments nouveaux soit des éléments révélés après cette date.

 (21 janvier 2021, OFPRA, n° 428146)

 

76 - Reconnaissance de la qualité de réfugié ou octroi de la protection subsidiaire - Octroi de cette qualité ou de cette protection aux parents ou à l'un d'eux - Effet sur ceux de leurs (ses) enfants mineurs se trouvant avec eux ou l'un d'eux - Extension à leur profit de l'attribution de cette qualité ou du bénéfice de la protection - Rejet du pourvoi.

Saisi d'un recours de l'Office de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) dirigé contre la décision par laquelle la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire à une personne ainsi qu'à ses enfants mineurs se trouvant avec elle en France, le Conseil d’État rejette le pourvoi.

Il décide en premier lieu - par une interprétation très bienveillante du deuxième alinéa de l'art. L. 741-1 du CESEDA - que les effets de la décision conférant l'asile à un ressortissant étranger se trouvant en France accompagné de ses enfants mineurs, soit en qualité de réfugié soit au titre de la protection subsidiaire, s'étendent également ipso facto à ses enfants mineurs.

Il décide également que dans le cas où il est statué sur la demande de chacun des parents, la décision accordant la protection la plus étendue est réputée prise également au bénéfice des enfants sans qu'il y ait lieu de distinguer entre la qualité d'enfants de réfugiés et celle d'enfants de bénéficiaires de la protection subsidiaire, alors même que ces derniers ne peuvent pas se prévaloir du principe de l'unité de la famille lequel est un principe général du droit des seuls réfugiés.

(21 janvier 2021, OFPRA, n° 439248)

 

77 - Enregistrement des demandes de visas long séjour par les consulats de France - Procédures de réunification familiale et de regroupement familial - Décision ministérielle interdisant cet enregistrement - Circulaire primo-ministérielle ne prévoyant aucune dérogation - Annulation avec injonction.

Sont suspendues en tant qu'elles ne sont pas proportionnées à la menace sanitaire à laquelle elles entendent pallier, d'une part, l'instruction donnée par le ministre de l'intérieur de ne pas délivrer les visas de long séjour demandés aux consulats de France dans le cadre de procédures de regroupement familial ou de réunification familiale et, d'autre part, la circulaire du premier ministre, du 29 décembre 2020, en tant qu'elle ne prévoit pas de dérogations pour les bénéficiaires d'un visa au titre du regroupement familial ou de la réunification familiale.

(21 janvier 2021, Cimade, service oecuménique d'entraide, n° 447878 ; Association des avocats pour la défense du droit des étrangers (ADDE) et autres, n° 444893)

 

78 - Étranger - Expulsion - Respect de la vie privée et familiale - Gravité des faits commis - Absence d'atteinte manifestement disproportionnée - Rejet.

L'expulsion d'un ressortissant malien, condamné en 2016 à une peine de sept ans de prison ferme pour des faits de viol en réunion, qui a fait l'objet d'une libération conditionnelle en avril 2020 pour son bon comportement en détention, qui a épousé une française en octobre 2017, laquelle est enceinte depuis le mois d'août 2020, ne porte pas une atteinte manifestement disproportionnée au respect de sa vie privée et familiale, eu égard au caractère récent du crime commis et à la gravité de celui-ci.

(26 janvier 2021, M. A., n° 448576)

 

79 - Étranger - Expulsion - Suspension de l'expulsion ordonnée - Comportement de l'intéressé - Intérêt supérieur des enfants - Confirmation de l'ordonnance de suspension - Rejet.

Le ministre de l'intérieur demandeur entendait voir annulée une ordonnance suspendant l'exécution de l'arrêté d'expulsion d'un ressortissant comorien à l'issue de son incarcération.

Le Conseil d’État rejette le recours du ministre au terme d'un examen minutieux des éléments de fait de l'affaire, d'une part ceux concernant l'intéressé lui-même, et d'autre part ceux relatif à sa vie familiale.

S'agissant de l'intéressé, celui-ci, condamné à 10 ans de réclusion criminelle pour des faits commis entre 2007 et 2012, a fait l'objet d'une libération anticipée, le 24 décembre 2020, après évaluation du risque de récidive, soit plus de trois ans avant le terme normal de sa peine. Au cours de sa détention, il a bénéficié, à sa demande, d'un suivi par le service médico-psychologique du centre de détention, lequel a pris fin le 19 novembre 2019, sa psychologue estimant que leurs objectifs avaient été atteints. Enfin, le juge des enfants lui a accordé, après avoir évalué sa dangerosité potentielle, un droit de visite de ses enfants placés auprès des services de l'aide sociale à l'enfance, d'abord sous le contrôle de ces derniers, puis un droit simple sans contrainte. 
S'agissant de sa vie familiale, le juge relève qu'il est père de trois enfants français, dont les deux plus jeunes ont été confiés à l'aide sociale à l'enfance, compte tenu de son incarcération et du comportement défaillant de leur mère, celle-ci étant très peu investie dans l'éducation de ses deux fils, refusant de collaborer avec les services sociaux et n'adoptant pas un comportement adapté lors des quelques visites auxquelles elle a participé. En revanche, le père, selon les services sociaux et judiciaires, témoigne d'un réel investissement affectif envers ses enfants, entretenant avec eux une relation épistolaire régulière et faisant usage de son droit de visite plusieurs fois par mois, de telle sorte qu'il constitue le seul repère parental pour eux. Enfin, les représentants du ministre de l'intérieur ont admis à l'audience que, dans la situation actuelle, tant que la mère de ces deux enfants, française également, conserverait l'autorité parentale, ceux-ci ne seraient pas autorisés à aller vivre aux Comores avec leur père. Il en résulte que l'expulsion de l'intéressé empêcherait ses enfants de voir leur père et, a fortiori, de reconstituer la cellule familiale sur le territoire français, alors même que cette reconstitution serait également impossible aux Comores.

Faisant la balance entre les diverses libertés fondamentales en cause, le Conseil d’État juge que l'auteur de l'ordonnance attaqué n'a pas commis d'erreur en estimant que la mesure d'expulsion en litige porte à l'intérêt supérieur des deux enfants de l'intéressé une atteinte grave et manifestement illégale.

(28 janvier 2021, Ministre de l'Intérieur, n° 448629)

 

80 - Demande d'asile - Effets de la demande sur les enfants mineurs - Cas des enfants mineurs nés ou entrés en France postérieurement à l'enregistrement de la demande d'asile - Situation des mineurs en cas de refus de l'asile opposé aux parents - Rejet.

Cette décision apporte des précisions ou en complète certaines antérieurement établies.

En premier lieu, l'étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile doit présenter une demande en ce sens en son nom et, le cas échéant, en celui de ses enfants mineurs qui l'accompagnent.

En deuxième lieu, en cas de naissance ou d'entrée en France d'un enfant mineur postérieurement à l'enregistrement de sa demande, l'étranger est tenu d'en informer l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). En ce cas, la décision rendue par l'OFPRA (ou, en cas de recours, par la Cour nationale du droit d'asile), est réputée l'être à l'égard du demandeur et de ses enfants mineurs. 

En troisième lieu, les parents d'un enfant né après l'enregistrement de leur demande d'asile et alors que celle-ci a été rejetée, peuvent présenter, postérieurement, une demande au nom de leur enfant. Celle-ci doit alors être regardée, dans tous les cas, comme une demande de réexamen (cf. les dispositions de l'art. L. 723-15 du CESEDA).
Enfin, si, dans cette dernière hypothèse, le bénéfice des conditions matérielles d'accueil peut être refusé à la famille, après un examen au cas par cas et en tenant notamment compte de la présence au sein de la famille du mineur concerné, lorsque l'OFPRA décide de proposer à la famille les conditions matérielles d'accueil et que les parents les acceptent, il est tenu, jusqu'à ce qu'il ait été statué sur cette demande, d'héberger la famille et de verser aux parents l'allocation pour demandeur d'asile, calculée en fonction du nombre de personnes composant le foyer du demandeur d'asile.

Par suite, doit être rejetée la requête de l'OFPRA soutenant que c'est à tort que le juge des référés lui a enjoint de verser à Mme C., en sa qualité de représentante légale de son fils mineur, l'allocation pour demandeur d'asile en tenant compte des trois personnes composant le foyer du demandeur.

(27 janvier 2021, OFPRA, n° 445958)

 

81 - Presse - Institution par l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) d'une contribution exceptionnelle des éditeurs - Atteinte à des libertés ou droits constitutionnels (liberté contractuelle, principe du consentement à l'impôt, égalité devant les charges publiques et droit de propriété) - Demande de renvoi d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) - Rejet.

La requête contestait une décision de l'ARCEP relative à une décision du Conseil supérieur des messageries de presse instituant une contribution exceptionnelle des éditeurs pour le financement des mesures de redressement du système collectif de distribution de la presse. Elle soulevait une QPC tirée de ce que la faculté pour l'ARCEP d'imposer une contribution financière sans garantie suffisante aux éditeurs de presse affecterait un certain nombre de libertés et de droits que la Constitution garantit (liberté contractuelle, principe du consentement à l'impôt, égalité devant les charges publiques et droit de propriété).

Le Conseil d’État  refuse de renvoyer cette question par le double motif, d'une part, que la décision critiquée n'a pas été prise sur le fondement de l'article 18 de la loi du 2 avril 1947 modifiée et n'est pas régie par cet article, qui n'étant pas applicable au litige ne saurait faire l'objet, de ce chef, d'une QPC, et d'autre part, que l'art. 16 de cette loi, qui fait également l'objet de la demande de QPC, se borne à définir les missions générales de l'ARCEP mais ne concerne point ses pouvoirs qui sont seuls l'objet du recours, sa contestation est donc irrelevante.

(28 janvier 2021, Société Coopérative des Editeurs Libres et Indépendants et autres, n° 442464)

 

Professions réglementées

 

82 - Chirurgien dentiste - Procédure disciplinaire - Analyse de l'activité du praticien préalable à la saisine du juge - Respect des droits de la défense - Recevabilité de la plainte non subordonnée au respect de cette exigence procédurale - Absence de contrariété aux droits et libertés garantis par la Constitution - Possibilité d'invoquer devant la juridiction du contrôle technique les effets d'irrégularités entachant la phase d'analyse de l'activité préalable à la saisine du juge - Rejet de la QPC et, sur les autres moyens, du pourvoi.

La circonstance que des irrégularités affectent la phase d'analyse préalable à la saisine de la juridiction du contrôle technique, réalisée par le service du contrôle médical sur le fondement du IV de l'art. L. 315-1 du code de la sécurité sociale, n'a pas, par elle-même, d'effets sur la régularité de la procédure juridictionnelle en cas de saisine, subséquente à ce contrôle, de la juridiction du contrôle technique et ne porte pas atteinte aux droit et libertés que la Constitution garantit.

En effet, si, au cours de la phase préalable, le principe du respect des droits de la défense s'impose, la double circonstance que son respect ne conditionne pas la recevabilité de la plainte dirigée contre le professionnel de santé et que cette phase ne constitue pas un élément de la procédure juridictionnelle, n'empêche pas l'intéressé de se prévaloir, devant la juridiction compétente, de ce que cette irrégularité a affecté substantiellement la procédure juridictionnelle elle-même dans l'un quelconque de ses éléments (matérialité des faits, possibilité de rapporter une preuve, qualification des faits dénoncés dans la plainte, droits de la défense dans la phase juridictionnelle, etc.).

Par suite, la demande de renvoi de la QPC ne peut qu'être rejetée.

(14 janvier 2021, M. A., n° 442985 et n° 445397)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

83 - QPC - Question invoquant le principe d'égalité entre contribuables - Matière transférée à la Polynésie française - Impossibilité d'invoquer ce principe dans le cadre d'une QPC - Rejet.

La requérante avait soulevé une QPC fondée sur la violation du principe d'égalité en matière d'impôt sur les sociétés car le contribuable n'est pas traité de la même manière selon qu'il est une société polynésienne ayant des activités sur le territoire métropolitain ou qu'il est une société métropolitaine ayant une activité en Polynésie française.

Le renvoi de la question est refusé au motif que " lorsqu'une matière a été transférée à une collectivité d'outre-mer sur le fondement de l'article 74 ou 77 de la Constitution, le principe d'égalité ne peut être utilement invoqué pour contester le fait que la collectivité adopte des dispositions différentes de celles qui sont applicables sur le territoire métropolitain".

La solution peine à convaincre et, en tant que cette inégalité crée des distorsions de concurrence, elle n'est guère compatible avec le droit européen et le droit mondial de la concurrence.

(21 janvier 2021, Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), n° 429998)

 

84 - Élections municipales - Invocation en appel de l'exception d'inconstitutionnalité - Irrecevabilité de l'exception - Dispositions inapplicables au litige - Rejet de la demande de renvoi de l'exception d'inconstitutionnalité.

Le requérant avait - en vain - contesté en première instance des opérations électorales municipales ; en appel de ce jugement il faisait valoir, par voie de QPC, que des dispositions de l'article L. 52-1 du code électoral porteraient atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution.

Le Conseil d’État relève que pour rejeter sa protestation le tribunal administratif ne s'est pas fondé sur ce texte, qui, au demeurant, n'était pas invoqué devant lui. Par suite, le Conseil d’État, en vertu du principe d'immutabilité du litige, ne peut en faire application pour la première fois en appel, celui-ci n'étant pas d'ordre public.

Il en résulte que la question de sa conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution est sans incidence sur la régularité ou le bien-fondé du jugement dont le requérant relève appel.

Par voie de conséquence, ce texte n'étant pas applicable au litige dont est saisi le Conseil d’État, les conditions de recevabilité d'une QPC ne sont pas réunies.

(21 janvier 2021, M. B., Élections de la commune de Fay-de-Bretagne, n° 444766)

 

85 - Droit pénal - Modalités d'aménagement des peines - Impossibilité pour le juge de l'application des peines de tenir compte de conditions de détention indignes - Question de caractère sérieux - Renvoi de la QPC.

Le Conseil d’État  juge que présente un caractère sérieux la question de la conformité à la Constitution des art. 707, 720-1, 720-1-1, 723-1, 723-7 et 729 du code de procédure pénale en tant qu'ils portent  atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment le principe à valeur constitutionnelle de dignité de la personne humaine et le droit à un recours juridictionnel effectif, faute de prévoir la possibilité pour le juge de l'application des peines de tirer les conséquences de conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine afin qu'il y soit mis fin par un aménagement de la peine.

La question est renvoyée au Conseil constitutionnel pour qu'il procède à son examen.

(27 janvier 2021, Section française de l'observatoire international des prisons, n° 445873)

 

Santé publique

 

86 - Personne hospitalisée en phase terminale - Décision de limitation des traitements - Caractère d'obstination déraisonnable - Opposition de la famille - Instructions écrites contrauires de la patiente - Suspension de la décision de limitation des traitements - Annulation de l'ordonnance attaquée.

Dramatique affaire que celle qui fait l'objet de la présente décision.

Une personne atteinte de nombreuses et très graves pathologies à l'issue irrémissible, fait l'objet, à deux reprises, d'un protocole afin de décider de la limitation des traitements dont elle était l'objet jusque-là car les médecins estiment que leur poursuite constituerait une obstination déraisonnable.

En dernier lieu, à la suite d'une réunion au titre de la procédure collégiale tenue le 4 janvier 2021, les requérants sont informés oralement de la nouvelle décision de limitation des soins. Le juge des référés de première instance, saisi le 11 janvier d'une demande de référé suspension, l'a rejetée le 13 janvier. Le Conseil d’État est à nouveau saisi.

Celui-ci constate que l'ensemble de la procédure suivie par les médecins et l'hôpital en vue de la décision de limitation des soins l'a été régulièrement ainsi que l'a constaté l'ordonnance attaquée.

Toutefois, relevant que le 18 janvier, après qu'un médecin lui a expliqué son état et son évolution et qu'il a constaté qu'elle était " bien consciente et attentive " et a " très bien compris ces informations ", la patiente a écrit une lettre dans laquelle elle déclare vouloir " avoir tous les traitements " et " ne veux pas avoir de limitation de traitement ". Cette volonté est confirmée par l'entretien qu'elle a eu le 20 janvier avec trois médecins. Dès lors, quelle que soit la gravité de l'état de la patiente et quelque régulière qu'ait été la procédure suivie, il y a lieu d'ordonner la suspension de la décision querellée du 4 janvier 2021.

(ord. réf. 29 janvier 2021, Mme C. et M. C., n° 448923)

 

87 - Arrêté ministériel (Santé) - Étendues respectives de la compétence du premier ministre et de celle du ministre de la santé en matière de santé publique dans le cadre de la lutte contre le Covid-19 - Mesure proportionnée et correctement fondée - Rejet.

 (28 janvier 2021, M. B., n° 441038) V. n° 36

 

Travaux publics et expropriation

 

88 - Expropriation - Annulation de la déclaration d'utilité publique par le juge administratif - Travaux de viabilisation entrepris pendant le cours de l'instance - Audience de plaidoirie devant le juge de l'expropriation fixée au 11 janvier 2021 - Continuation et accélération des travaux - Ordonnance de suspension des travaux jusqu'à ce que le juge de l'expropriation se soit prononcé - Rejet.

La création, par une communauté de communes, d'une zone d'activité intercommunale à finalité industrielle, artisanale et commerciale a été déclarée d'utilité publique, entraînant l'acquisition, par voie d'expropriation, de diverses parcelles auparavant à finalité agricole.

L'arrêté portant DUP a été annulé par un jugement confirmé en appel puis en cassation.

La communauté de communes, alors que l'affaire était pendante devant le Conseil d’État, a entrepris des travaux de viabilisation, interrompus pendant la crise sanitaire du printemps 2020, puis repris et accélérés au mois de sptembre 2020. Compte tenu de la fixation, par le juge de l'expropriation, au 11 janvier 2021, de l'audience devant se tenir dans le cadre de l'action en annulation de l'ordonnance d'expropriation, le juge du référé liberté du tribunal administratif a enjoint la communauté de communes de suspendre l'exécution des travaux qu'elle avait entrepris jusqu'à ce que le juge de l'expropriation se soit prononcé, la poursuite desdits travaux étant de nature à priver d'effet utile le recours des personnes expropriées devant ce juge dans la mesure où celui-ci tendait, à titre principal, à obtenir la restitution de leurs parcelles.

La communauté de communes sollicite du juge des référés du Conseil d’État l'annulation de cette ordonnance. Sa demande est, sans surprise, rejetée.

En premier lieu, le juge des référés ne s'est pas mépris sur sa compétence, laquelle était d'ailleurs exclusive s'agissant d'ordonner l'interruption de travaux publics, interruption que le juge judiciaire ne pouvait pas ordonner.

Ensuite, ce juge ne s'est pas mépris en constatant l'urgence à statuer sur la requête dont il était saisi car la poursuite, en toute connaissance de cause, des travaux de viabilisation des parcelles en litige par la communauté de communes était de nature à préjudicier de manière grave et immédiate aux intérêts des requérants tels qu'ils entendaient les défendre devant le juge de l'expropriation, en ôtant à ces parcelles, en raison de l'ampleur des modifications qui leur seraient apportées, la qualité de biens susceptibles d'être restitués au sens des dispositions de l'article R . 123-6 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.

La circonstance que les demandeurs n'auraient pas mis en avant l'existence d'une circonstance particulière justifiant de cette urgence est sans effet car, d'une part, les travaux en cours au moment de cette demande n'avaient pas transformé les biens d'une manière telle que le juge de l'expropriation se serait vu privé de toute possibilité d'en ordonner la restitution et, d'autre part, cette urgence ressortait à l'évidence de " l'accélération des travaux à l'automne 2020 et la volonté publiquement affirmée de la communauté de communes de les mener à bien en dépit des trois décisions de la juridiction administrative intervenues entre janvier 2018 et février 2020 ".

Egalement, si la communauté de communes excipe de ce qu'étant propriétaire des terrains en cause, il lui est loisible, tant que l'ordonnance d'expropriation n'a pas été annulée, d'y conduire les travaux en litige, il est évident qu'aucune nouvelle déclaration d'utilité publique n'est susceptible d'être obtenue avant que le juge de l'expropriation ne statue au début de l'année 2021, et qu'aucune nécessité impérieuse de réaliser de manière urgente ces travaux n'a été mise en avant, " excepté le souhait de la communauté de communes de les conduire à leur terme en dépit des décisions de la juridiction administrative ayant annulé la déclaration d'utilité publique sur le fondement de laquelle ils ont été entrepris".

On aura compris qu'outre l'absence de toute base juridique sérieuse à l'appui du raisonnement conduit par la communauté de communes devant le Conseil d’État, son comportement de fait, assez peu respectueux des décisions de la juridiction administrative, n'a pas peu contribué au rejet d'une requête si mal fondée.

(ord. réf. 11 janvier 2021, Communauté de communes des Portes de Rosheim, n° 448094)

 

89 - Référé suspension dirigé contre un arrêté de cessibilité - Condition d'urgence remplie ipso facto sous réserve de l'existence d'un intérêt public attaché à une réalisation rapide du projet - Rejet.

La présente décision, qui porte sur un litige d'expropriation, se signale à l'attention, indépendamment de l'application qu'elle retient en l'espèce de la jurisprudence dite du "bilan coûts-avantages" (cf. Assemblée, 28 mai 1971, Ministre de l'Équipement c. Fédération de défense des personnes concernés par le projet actuellement dénommé "Ville nouvelle Est", Rec. 409, concl. G. Braibant), par la présomption d'urgence qu'elle institue.

Le référé suspension ayant été dirigé contre un arrêté préfectoral de cessibilité, le juge considère que l'urgence est ipso facto établie ainsi que l'a jugé le premier juge et qu'il en va ainsi même dans le cas où serait déjà intervenue l'ordonnance du juge judiciaire de l'expropriation procédant au transfert de propriété.

Il n'y a d'exception à cette présomption que par suite de circonstances particulières, telle, par exemple, l'existence d'un intérêt public à la réalisation rapide du projet en vue duquel est réalisée l'expropriation.

Tel n'était pas le cas en l'espèce.

(ord. réf. 27 janvier 2021, Établissement public foncier de la Vendée et commune du Poiré-sur-Vie, n° 437237 ; Ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, n° 437293)

 

Urbanisme

 

90 - Procédure en cours de réalisation d'un plan urbanisme (PLU) - Sursis à statuer - travaux de nature à remettre en cause la procédure du PLU (art. L. 424-1 c. urb., ex-art. L. 111-7) - Sursis possible en phase d'élaboration du PLU - Exclusion du sursis en cas de modification du PLU - Annulation.

Confirmant une tendance jurisprudentielle récente (cf. CAA Lyon, 18 juin 2019, Société Denali Consulting et autres, n° 18LY03593), le Conseil d’État décide qu'un maire ne peut opposer le sursis à statuer dans le cadre de la modification d'un PLU, ce sursis ne pouvant être décidé que lors de l'élaboration d'un PLU ou durant la procédure de sa révision (art. L. 123-6 et art. L. 123-13, II c. urb.).

(28 janvier 2021, EURL Denali Consulting et autres, n° 433619)

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Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Décembre 2020

Décembre 2020

  

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Acte réglementaire d’un ordre professionnel – Conditions de reconnaissance de diplômes, titres ou fonctions - Publication dans un mensuel d’informations professionnelles sur le site internet de l’ordre – Publicité insuffisante à permettre son entrée en vigueur – Absence d’opposabilité de l’acte – Annulation.

Un chirurgien-dentiste qui sollicitait la reconnaissance d’un diplôme se l’est vu refuser par le Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes, lequel s’est fondé pour cela sur sa décision à caractère réglementaire établissant le « protocole d'examen des demandes de reconnaissance des diplômes, titres et fonctions » qui fixe notamment les critères et la procédure selon lesquels ce conseil examine les demandes de reconnaissance des diplômes, titres et fonctions présentés par des chirurgiens-dentistes. 

Toutefois, cette décision n’ayant été insérée que dans un mensuel d’informations professionnelles (« La lettre de l’Ordre ») publié sur le site internet de l’ordre des chirurgiens-dentistes, le Conseil d’Etat, saisi par l’intéressé, considère qu’il s’agit là d’une publicité par trop inadéquate pour permettre l’entrée en vigueur de cette décision et donc son opposabilité au requérant. Le refus opposé au requérant est ainsi annulé car fondé sur un protocole inopposable.

(2 décembre 2020, M. D., n° 426692)

 

2 - Circulaire du ministre de la justice – Circulaire réitérant le silence de la loi – Impossibilité de la contester sur ce point par la voie du recours pour excès de pouvoir – Rejet.

Il était reproché à une circulaire ministérielle relative à l’application de la loi du 5 août 2013 (portant diverses dispositions d'adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l'Union européenne et des engagements internationaux de la France relatives à l'exécution transfrontalière des condamnations à une peine ou une mesure de sûreté privative de liberté en application d'une condamnation pénale et notamment des transfèrements), alors que ladite loi ne prévoit pas de voie de recours contre les décisions du ministère public décidant ou refusant de donner suite aux demandes de transfèrement international formulées par une personne condamnée, et ne prescrit pas de délai au ministère public pour statuer sur une demande de transfèrement international, de comporter elle aussi cette lacune.

Le juge considère que la circulaire qui « réitère » (si l’on peut dire) le silence de la loi ne peut pas faire l’objet de ce chef d’un recours pour excès de pouvoir.

La solution est logique.

Peut-être eût-il fallu contester l’incompétence négative du législateur du fait d’un silence susceptible de porter atteinte à des droits et libertés que la Constitution garantit ?

(24 décembre 2020, Section française de l'Observatoire international des prisons et autre, n° 434746)

 

3 - Acte individuel – Acte de simple information – Acte insusceptible de recours – Cas de l’information d’avoir à rembourser une somme selon des modalités communiquées ultérieurement – Rejet.

La lettre par laquelle l'administration se borne à informer un fonctionnaire qu'il doit rembourser une somme indument payée et qu'en l'absence de paiement spontané de sa part, un ordre de reversement ou un titre de perception lui sera notifié ne constitue pas un acte susceptible de recours.

La solution semble d’autant plus discutable qu’est jugée susceptible de recours la lettre par laquelle l'administration informe un fonctionnaire qu'une somme indument payée fera l'objet d'une retenue sur son traitement.

(29 décembre 2020, Université de Savoie Mont-Blanc, n° 425728 ; Ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, n° 4297165)

 

4 - « Instruction » relative à la suspension de conditions matérielles d’accueil à certains demandeurs d’asile – Absence de production de cette instruction – Existence de celle-ci prétendument démontrée par des éléments statistiques relatifs aux suspensions des conditions matérielles d’accueil – Absence de démarches pour se procurer, à la supposer existante, l’instruction critiquée – Rejet d’une requête manifestement irrecevable.

Est manifestement irrecevable et donc rejeté, le recours dirigé contre une instruction relative à la suspension de conditions matérielles d’accueil à certains demandeurs d’asile qui n’est pas produite à l’appui de ce recours. Ne saurait suppléer au défaut de présentation de la décision attaquée un aperçu statistique qui en démontrerait l’existence.

(3 décembre 2020, Association « La Cimade », n° 426564)

 

5 - Réduction de trois à deux du nombre d’enfants qu’une assistante maternelle est autorisée à accueillir - Non-consultation préalable de la commission consultative paritaire départementale - Vice affectant le déroulement d’une procédure – Privation d’une garantie – Rejet.

L’absence de consultation de la commission consultative paritaire départementale avant de prendre la décision de ne plus confier à une assistante maternelle agréée que deux enfants au lieu de trois antérieurement constitue un vice de procédure qui, en l'espèce, a privé l’intéressée d'une garantie, ce qui conduit à l’annulation de la décision ainsi que l’a jugé, sans dénaturation des pièces du dossier, la cour administrative d’appel.

(31 décembre 2020, Ville de Paris, n° 437006)

 

6 - Convention nationale organisant les rapports entre pharmaciens d’officine et assurance-maladie – Avenants à cette convention – Approbation ministérielle – Approbation conférant un caractère réglementaire à la convention et à ses avenants – Interdiction de toute portée rétroactive de l’approbation ou des stipulations approuvées – Annulation.

Rappel de ce que l’approbation ministérielle donnée à une convention nationale (ici entre pharmaciens d’officine et assurance-maladie) ou à l’un de ses avenants confère aux stipulations ainsi approuvées un caractère réglementaire.

Par suite, est illégale l’approbation qui a une portée rétroactive ou qui porte sur des stipulations ayant déjà par elles-mêmes une portée rétroactive.

(31 décembre 2020, Fédération des syndicats pharmaceutiques de France, n° 441716)

 

7 - Recommandations de bonnes pratiques – Recommandations élaborées par la Haute autorité de santé (HAS) – Contribution à la connaissance des données acquises de la science – Obligation pour les professionnels de santé de parfaire leurs connaissances et de les adapter au patient – Mise à jour ultérieure des recommandations, rectification ou abandon de celles-ci par la HAS – HAS saisie d’une demande de réexamen d’une recommandation négative – Obligation pour la HAS, le cas échéant, de correction, même partielle, d’une recommandation -  Date à laquelle le juge se place pour statuer – Rejet.

L’association requérante avait demandé le réexamen par la HAS de la recommandation de bonne pratique « Autisme et autres troubles envahissants du développement : interventions éducatives et thérapeutiques coordonnées chez l'enfant et l'adolescent », adoptée en mars 2012 par cette autorité et par l'Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux, en ce qui concerne la méthode des « 3i ». Elle saisit le Conseil d’État du refus opposé à sa demande par la présidente de la HAS.

C’est l’occasion pour ce dernier d’apporter beaucoup de précisions sur le statut juridique des recommandations de bonne pratique, dévoilant par là même la grande complexité des questions à trancher dans une matière délicate.

En principe, il revient au collège de la HAS d’élaborer et/ou de réviser une recommandation de bonne pratique au vu d’informations de tous ordres portées à sa connaissance ou recueillies par lui ce qui se traduit par deux grands effets.

En direction des professionnels d’abord, qui doivent fonder leurs décisions sur les données actuelles acquises de la science, lesquelles résultent notamment des recommandations de bonne pratique de la HAS, mais il leur incombe aussi de rechercher par eux-mêmes des informations par d’autres sources et en fonction des caractéristiques propres de la pathologie d’un patient déterminé.

Concernant la HAS elle-même, elle a l’obligation de tenir à jour ses recommandations car elles traduisent, comme on vient de l’indiquer, le socle des connaissances médicales avérées à la date où elles sont édictées. De là suit, le cas échéant, le devoir, pour elle, de modifier, d’éliminer en cas d’obsolescence ou d’erreur manifeste d’appréciation, d’accompagner de précisions restrictives ou négatives, les recommandations existantes ou d’en produire de nouvelles. Cette exigence implique, lorsque sur un point déterminé existe une difficulté et alors même que l'engagement de travaux de refonte de l'ensemble de la recommandation ne serait pas justifié, d'en tirer les conséquences, à tout le moins en accompagnant sa publication d'un avertissement sur ce point. 

A cet égard, si le collège de la HAS est seul compétent pour décider de l'élaboration ou de la révision d'une recommandation de bonne pratique, pour adopter ou pour abroger une telle recommandation, le président de la HAS tient de son règlement intérieur la compétence pour rejeter une demande tendant à la modification ou à l'abrogation d'une recommandation de bonne pratique, et, par suite, pour l'abroger en tout ou partie ou pour accompagner sa publication d'un avertissement approprié, sauf si cette décision impose d'engager les travaux nécessaires à son réexamen.

En l’espèce, l’association requérante, qui promeut la méthode dite des " 3i ", reposant sur une stimulation individuelle, interactive et intensive de l'enfant, avait saisi la HAS d'une demande de réexamen de sa recommandation de bonne pratique pour que cette méthode ne soit plus mentionnée au nombre des « interventions globales non recommandées ».

Examinant au fond et très complètement l’argumentation des parties, le Conseil d’État se convainc, d’abord, que l’objection de déscolarisation qui résulterait du recours à cette méthode, invoquée par la HAS, peut dans certains cas être écartée. Il relève cependant, ensuite, se rangeant ici à l’opinion de la HAS, l’absence de données scientifiques sur l’efficacité de la méthode que les études récentes invoquées en réponse par l’association requérante ne suffisent pas à contredire ou contrebalancer, pour in fine en conclure que la décision de la HAS ne revêt pas un caractère manifestement erroné qui rendrait illégal d’abroger ou modifier dans cette mesure la recommandation de bonne pratique litigieuse.

Le recours est rejeté.

(23 décembre 2020, Association Autisme Espoir vers l'école, n° 428284)

 

8 - Certificats d’économies d’énergie (CEE) – Silence gardé sur une demande de CEE valant décision implicite d’acceptation – Intervention d’une mise en demeure – Effets pour le passé et pour l’avenir – Rejet.

En principe, le silence gardé par le ministre chargé de l'énergie sur une demande de CEE autre que celles relatives à des opérations spécifiques fait naître une décision implicite d'acceptation à l'issue d'un délai de deux mois suivant la date de réception par le ministre du dossier de demande.

Cependant, lorsque le ministre chargé de l'énergie notifie une mise en demeure en application de l'article R. 222-9 du code de l'énergie à la suite d’un contrôle de la régularité de la délivrance des CEE, le délai ci-dessus est suspendu au titre des demandes de certificats déposées avant la mise en demeure et n'ayant pas donné lieu à décision implicite et il ne peut commencer à courir pour toutes les demandes présentées ultérieurement.

Enfin, les effets de cette mise en demeure cessent soient quand le ministre décide de prononcer l'une ou plusieurs des sanctions prévues à l'article L. 222-2 du même code soit lorsqu’il informe le demandeur qu'il renonce à faire usage de ces dispositions.

(29 décembre 2020, Société ACI, n° 427201 et n° 432672, jonction)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques

 

9 - Société de vente en ligne - Achats en ligne par des non-abonnés – Régime de conservation des données de cartes bancaires des non-abonnés – Récurrence des Commerce en ligne - Achats en ligne par des non-abonnés acheteurs récurrents – Demande de conservation de ces données - Recommandation de la CNIL de ne pas conserver ces données – Demande d’annulation de la décision implicite rejetant la modification de cette recommandation – Rejet.

La requérante demandait l’annulation de la décision implicite par laquelle la présidente de la CNIL a rejeté sa demande de modification d’une recommandation afin que puissent être conservées les données des cartes bancaires de clients non-abonnés mais dont les achats en ligne sont néanmoins récurrents.

Rejetant le recours, le Conseil d’État, se fondant sur l’art. 6 du règlement de la CNIL du 27 avril 2016, juge que la demande de la requérante tendant à la conservation des numéros de cartes bancaires pour les clients de son site en ligne non-abonnés, a été à bon droit rejetée car :

- d’une part, la volonté de faciliter des achats ultérieurs au moyen de cette conservation n'est nécessaire ni au respect d'une obligation légale, ni à l'exécution d'une mission d'intérêt public, ni à la sauvegarde des intérêts vitaux de la personne concernée ou d'une autre personne,

- d’autre part, la conservation du numéro de carte bancaire du client qui a procédé à un achat en ligne n’est pas nécessaire aux fins de l'intérêt légitime consistant à faciliter des paiements ultérieurs en dispensant le client de le saisir à chacun de ses achats, cet intérêt ne saurait prévaloir sur l'intérêt des clients de protéger ces données, compte tenu de la sensibilité de ces informations bancaires et des préjudices susceptibles de résulter pour eux de leur captation et d'une utilisation détournée, et alors que de nombreux clients qui utilisent des sites de commerce en ligne en vue de réaliser des achats ponctuels ne peuvent raisonnablement s'attendre à ce que les entreprises concernées conservent de telles données sans leur consentement,

- enfin, s'agissant de l'exécution d'un contrat auquel la personne concernée est partie, la conservation du numéro de carte bancaire ne saurait se justifier une fois ce contrat exécuté.

(10 décembre 2020, Société Cdiscount, n° 429571)

 

10 - Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) – Intervention pour garantir une concurrence effective et loyale sur un marché – Détermination de la pertinence de ce marché – Obligation d’une consultation publique – Expiration du délai triennal (éventuellement prolongé) – Nouvelle consultation publique nécessaire - Analyse du marché de gros amont de la diffusion hertzienne de la télévision numérique terrestre – Prolongation du quatrième cycle de régulation du marché de gros amont de la diffusion hertzienne de la télévision numérique terrestre jusqu'au 17 décembre 2021 – Maintien jusqu'à cette date les obligations imposées à TDF par deux décisions antérieures de l’ARCEP – Annulation.

 L'ARCEP, sa décision n° 2015-1583 du 15 décembre 2015, a : 1°/ défini comme pertinent le marché de gros amont de la diffusion hertzienne terrestre numérique (TNT) de programmes télévisuels, 2°/ désigné la société TDF comme opérateur exerçant une influence significative sur ce marché et 3°/ a imposé à cette dernière un certain nombre d'obligations afin qu'il soit notamment fait droit à toute demande raisonnable d'accès à des éléments de réseau ou à des ressources qui y sont associées portant sur la fourniture de prestations sur ce marché. 

A l’approche de l'arrivée à son terme de la période triennale d'application de la décision précédente, l’ARCEP a procédé à une consultation portant sur son analyse du marché de gros des services de diffusion audiovisuelle hertzienne terrestre, sur le bilan des mesures prises et sur les perspectives d'évolution de ce marché, en indiquant envisager de ne pas reconduire la régulation de ce marché. Au vu des résultats de cette première consultation, elle a décidé, après une nouvelle consultation réalisée à la fin de l'année 2018 et en l'absence d'opposition de la Commission européenne, de prolonger jusqu'au 17 décembre 2020 les effets de sa décision de 2015. 

Toutefois, l'ARCEP devait procéder, à l'issue de la période de prolongation, à une consultation publique et aux autres consultations requises avant de prendre une décision sur le maintien du marché de gros amont de la diffusion hertzienne terrestre numérique (TNT) sur la liste mentionnée à l'article D. 301 du code des postes et communications électroniques ou sur son retrait de cette liste, ainsi que sur le maintien, la modification ou la suppression des autres mesures prises dans sa décision du 15 décembre 2015, sans que pût l'en dispenser la circonstance que les documents soumis à consultation publique en juin 2018 envisageaient l'arrêt de la régulation du marché en cause et cela d’autant plus que la décision de prolongation de deux ans présentait ce délai comme « nécessaire pour mener à bien une analyse de marché incluant les phases de consultations indispensables ». 

En rejetant la demande de la société towerCast tendant à ce qu'une nouvelle analyse du marché soit engagée et soumise à consultation publique avant le terme des mesures de régulation prolongées en avril 2019, l'ARCEP a méconnu les dispositions précitées et la société towerCast est fondée à demander l'annulation de la décision implicite de rejet de sa demande.

(31 décembre 2020, Société towerCast, n° 444751)

 

Biens - Culture

 

11 - Subventions publiques – Irrégularité de la décision d’octroi de la subvention – Emission d’un titre exécutoire en vue du remboursement de la subvention – Demande d’indemnisation du préjudice subi – Absence de lien de causalité – Caractère de « bien » d’une subvention – Demande de restitution non contraire à la Convention EDH (art. 1er du premier protocole additionnel) – Rejet.

La société requérante demandait au juge de cassation d’annuler l’arrêt d’appel confirmant le jugement rejetant sa demande de réparation du préjudice financier qu’elle aurait subi du fait de l’obligation de rembourser une subvention qu’elle avait reçue sur la base d’une décision illégale.

En premier lieu, est rejetée l’invocation du préjudice subi du fait de l’illégalité commise dans l’octroi de la subvention dont le remboursement l’aurait mise dans une « situation désastreuse » car la société requérante n’établit pas l’existence d’un lien certain et direct de causalité entre l’attribution irrégulière de la subvention et le préjudice dont elle réclame réparation.

Ensuite, le Conseil d’Etat, s’il admet qu’une subvention, en tant qu’espérance légitime d’obtenir une somme d’argent, est un « bien » au sens de l’art. 1er du premier protocole additionnel à la Convention EDH, juge cependant – ce qui est assez évident – que l’obligation de rembourser une subvention illégalement octroyée comme l’ont constaté deux jugements du tribunal administratif ne contrevient nullement aux dispositions conventionnelles précitées.

(3 décembre 2020, Société Hélios Bay, n° 428939)

 

12 - Captation d’eau d’une source – Instauration d’un périmètre de protection – Déclaration d’utilité publique (DUP) – Régime juridique applicable – Appréciation sommaire des dépenses – Exploitation d’une source située en sous-sol – Prise en compte pour déterminer la plus-value du terrain du chef de sa captation – Annulation avec renvoi.

Le litige portait sur la contestation d’un arrêté préfectoral autorisant la dérivation et l'utilisation de l'eau d’une source pour la consommation humaine, déclaration d'utilité publique d'instauration des périmètres de protection autour de cette source et autorisation au titre du code de l'environnement.

Deux questions importantes de droit se posaient.

La première était de déterminer le régime juridique applicable aux déclarations d’utilité publique des travaux de prélèvement de l'eau destinée à l'alimentation des collectivités humaines pris sur le fondement des dispositions de l'article L. 1321-2 du code de la santé publique lequel est muet sur la procédure à suivre en ce cas. Comme l’art. L. 1321-3 cde ce code dispose que « Les indemnités qui peuvent être dues aux propriétaires ou occupants de terrains compris dans un périmètre de protection de prélèvement d'eau destinée à l'alimentation des collectivités humaines, à la suite de mesures prises pour assurer la protection de cette eau, sont fixées selon les règles applicables en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique », le Conseil d’État en déduit, très logiquement, que leur est applicable le code de l’expropriation.

La seconde question résultait en partie de la réponse à la précédente question : comment déterminer le montant de l’indemnisation due au propriétaire ? Rappelant que la propriété du sol emporte celle du sous-sol (art. 552 Code civil), le Conseil d’État considère que, dans le cas – qui est celui de l’espèce - d’une source située en tréfonds d’une parcelle incluse dans le périmètre de protection immédiat déterminé par la DUP, laquelle, au jour de l’ouverture de l’enquête publique, est exploitable par son propriétaire ou à son profit, cette exploitabilité est susceptible de conférer à cette parcelle une plus-value, compte tenu le cas échéant des dépenses nécessaires à la mise en exploitation, qui doit être prise en compte dans le coût de son acquisition et, par suite, dans l'appréciation sommaire des dépenses figurant dans le dossier d'enquête publique.

La cour administrative d’appel a donc commis une erreur de droit en jugeant que le dossier soumis à enquête publique répondait aux exigences des dispositions du code de l’expropriation en se fondant pour cela sur la seule circonstance que la commune requérante n'avait jamais exploité à son profit la source située dans le tréfonds du terrain lui appartenant, alors qu’il lui incombait de s’assurer, comme indiqué ci-dessus, si la source était exploitable par la commune propriétaire ou à son profit.

(29 décembre 2020, Commune de Louvie-Juzon, n° 426098)

 

13 - Monuments historiques inscrits ou classés – Imputation sans limite des déficits fonciers – Condition – Exclusion en cas de classement d’un élément isolé – Inclusion quand le classement protège l’ensemble architectural – Cas en l’espèce – Arrêt contraire – Annulation avec renvoi.

Les propriétaires d’un manoir partiellement inscrit à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques qu’ils occupent à titre privatif et qui est ouvert à des visites payantes, ont imputé sur leurs revenus fonciers 75% du coût des travaux d’aménagement d’un appartement privatif.

L’administration fiscale a remis en cause cette déduction ; les recours des intéressés, de première instance comme en appel, ont été rejetés.

Les demandeurs – sur le fondement des dispositions de l’art. L. 80 A du livre des procédures fiscales (prises de position formelles de l’administration fiscale) -s’appuient sur une réponse ministérielle de laquelle il résulte que les règles selon lesquelles les déficits fonciers correspondant aux immeubles classés ou inscrits sont imputables sans limitation de montant sur le revenu global « (ces règles) s'appliquent dans les mêmes conditions lorsque le classement ou l'inscription à l'inventaire supplémentaire ne concerne pas la totalité de l'immeuble, à condition toutefois que ce classement ou cette inscription ne soit pas limité à des éléments isolés ou dissociables de l'ensemble immobilier, tels un escalier, des plafonds ou certaines salles, mais vise la protection de l'ensemble architectural. (…) »

Pour rejeter l’appel des intéressés une cour a considéré que le classement à l'inventaire supplémentaire dont les requérants se prévalent ne vise pas à la protection d'un ensemble architectural au sens de cette réponse ministérielle car ce classement ne porte que sur les façades et toitures du manoir, la cheminée de la salle de l'aile est, le colombier et les communs, alors que la propriété acquise par les requérants comporte, outre le manoir, des dépendances, des écuries, des remises, des étables, un atelier, une grange, une bergerie, un grand hangar en bois, un logement de trois pièces, une petite grange, le tout entouré de jardins, d'un parc, de bois et de terres agricoles.

L’arrêt est cassé au motif, assez logique, que les travaux en litige ne concernant que le manoir lui-même et non les autres bâtiments ou les terrains qui les entourent, il incombait à la cour de rechercher « si le classement des façades et des toitures de l'immeuble en cause vise à protéger l'ensemble architectural constitué par le manoir ».

(31 décembre 2020, M. et Mme C., n° 431945)

 

Collectivités territoriales

 

14 - Syndicat mixte – Participation d’une commune ou d’un établissement public de coopération intercommunale à ce syndicat devenue sans objet - Retrait – Condition – Annulation sans renvoi plus rien ne restant à juger.

Reprenant et amplifiant une tendance jurisprudentielle récemment esquissée (13 décembre 2017, Assemblée des départements de France, n° 406563), le Conseil d’État décide qu’il découle des dispositions de l’art. L. 5711-5 du code général des collectivités territoriales, éclairées par les travaux parlementaires, que la commune ou l’établissement public de coopération intercommunale jusque-là membre d’un syndicat mixte, qui ne dispose plus de la compétence au titre de laquelle était justifiée sa présence dans ce syndicat, n’a plus de raison de maintenir sa présence  désormais devenue sans objet : le retrait de la collectivité de ce syndicat est dès lors possible.

(8 décembre 2020, Syndicat intercommunal d'adduction d'eau et d'assainissement (SIAEA) de Saint-Jean-d'Illac et de Martignas-sur-Jalle et la commune de Saint-Jean-d'Illac, n° 438238 ; SIAEA de Saint-Jean-d'Illac et de Martignas-sur-Jalle, n° 438239 et n° 438332)

 

15 - Département – Aide sociale à l’enfance – Fermeture d’un établissement recevant des mineurs relevant de cette aide – Compétence pour décider la fermeture – Préfet ou président de département – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.

La fondation requérante demandait l’annulation de la décision du président d’un département prononçant la fermeture définitive d’un établissement qui prenait jusque-là en charge des mineurs et des jeunes majeurs au titre de l'aide sociale à l'enfance et dont elle avait la charge.

La cour avait estimé que dans le silence des textes sur ce point, la compétence pour décider cette fermeture revenait au président du département, cette collectivité gérant l’aide sociale à l’enfance. Le Conseil d’État aperçoit dans ce raisonnement une erreur de droit car en l'absence de décret définissant, en application du II de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles, les conditions techniques minimales d'organisation et de fonctionnement applicables à une catégorie de services ou d'établissements mentionnée au I du même article, la fermeture d'un service ou d'un établissement relevant de cette catégorie ne pouvait être prononcée, à la date de l'arrêté de fermeture en litige, sur le fondement du 1° de l'article L. 313-16 du même code mais relevait, le cas échéant, des dispositions des art. L. 331-3 et L. 331-5, et L. 313-14 à 18 du code précité, dont la mise en oeuvre incombait, à la date précitée, soit le 26 septembre 2013, au seul représentant de l'Etat.

(9 décembre 2020, Fondation Armée du Salut, n° 429063)

 

16 - Question prioritaire de constitutionnalité – Libre administration des collectivités territoriales – Transfert aux communes membres d’un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) des agents correspondants en cas de restitution à ces communes d’une des compétences qui avaient été transférées à l’EPCI – Pouvoir du préfet d’effectuer cette répartition à défaut d’accord entre les collectivités concernées – Continuité du service public – Refus de renvoyer la question.

Le deuxième alinéa du 2° du IV bis de l’art. L. 5211-4-1 CGCT, qui réserve au préfet la décision de répartir des agents à défaut d'accord entre les collectivités intéressées, lorsqu’une compétence jusque-là transférée à un EPCI leur est restituée, ne méconnait pas le principe de libre administration des collectivités territoriales contrairement à ce que soutenait la commune requérante.

 En effet, la disposition litigieuse confie la décision de répartition à une autorité de l'Etat dans un souci de continuité du service public et d’application continue des lois et cette autorité est placée sous le contrôle du juge qui s’assure d’ « un partage équilibré qui tienne compte des besoins effectifs de chaque commune au regard des conditions d'exercice de la compétence restituée et des ressources dont elle dispose, y compris celles résultant de la répartition des biens et de la redéfinition des relations financières avec l'EPCI en conséquence de la même restitution de compétence ».

(11 décembre 2020, Commune de Carnin, n° 444762)

 

Contentieux administratif

 

17 - Section des assurances sociales du Conseil national de l’ordre des médecins – Décision disciplinaire – Contradiction entre les motifs et le dispositif d’une décision de nature juridictionnelle – Cassation avec renvoi.

La solution est classique et imparable : la contradiction entre les motifs et le dispositif d’une décision de justice entraîne toujours son annulation.

Ici, le conseil de l’ordre, dans sa formation assurances sociales, avait, dans les motifs de sa décision, précisé que la sanction de l'interdiction du droit de donner des soins à des assurés sociaux pendant une période de trois mois, dont deux mois avec sursis, infligée à M. A., devait être publiée pendant la période d'interdiction ferme, soit un mois. Or à l’art. 4 du dispositif de son jugement ledit conseil ordonne la publication de cette même sanction pendant une période de trois mois.

La cassation était inéluctable car le dispositif n’est plus la suite logique, nécessaire et liée, des motifs.

(10 décembre 2020, M. A., n° 430744)

 

18 - Intérêt donnant qualité pour agir – Installation d’une microcentrale sur la berge d’une rivière – Effets sur la faune piscicole – Contestation, par des fédérations de pêche, du permis de construire cette centrale – Intérêt à agir – Qualification inexacte des faits – Cassation avec renvoi.

Qualifie inexactement les faits de l’espèce l’arrêt qui dénie aux requérantes un intérêt à agir contre le permis de construire une microcentrale électrique sur les berges d’une rivière alors qu’elle comporte, sur huit mètres carrés, une armoire de commande électrique et son kit de secours, des appareils de mesure et un clavier de commande, ainsi qu'un compresseur et un ensemble de purgeurs dont l’ensemble comporte des nuisances pour la faune piscicole et que les requérantes ont notamment pour objet de participer à la protection du patrimoine piscicole de l'Isère et du Valbonnais, et de promouvoir les intérêts des pratiquants de la pêche dans ces milieux aquatiques.

(10 décembre 2020, Fédération de pêche et de protection du milieu aquatique de l'Isère et Association agréée de pêche et de protection du milieu aquatique (AAPMA) du Valbonnais « La Truite de la Bonne », n° 431289)

 

19 - Conclusions du rapporteur public – Affaires non dispensées de ces conclusions – Communication aux parties du sens de ces conclusions – Communication ne permettant pas d’en connaître le sens – Irrégularité de la décision subséquente - Annulation.

Dans un litige de droit fiscal relatif aux intérêts moratoires dûs, ou non, en cas de dégrèvement d’un indu de taxe s’est posé une question importante de procédure.

Le rapporteur public, conformément aux dispositions de l’art. R. 711-3 du CJA, avait communiqué aux parties le sens de ses conclusions par cette énigmatique formule « Satisfaction totale ou partielle » dont l’intelligibilité n’était pas la vertu première ; elle privait ainsi les parties de prévoir la stratégie à adopter, si d’éventuelles pièces ou précisions devaient être apportées, etc., d’où il suit que le Conseil d’État est à la cassation intégrale de l’arrêt d’appel déféré à sa censure.

(10 décembre 2020, Société Supermarchés Match, n° 432587) V. aussi cette décision à la rubrique Droit fiscal et financier public, n° 99

 

20 - Représentation de l’État devant le tribunal administratif – Préfet ou préfet de région lorsque le litige résulte de l’activité « des administrations civiles de l’État dans le département ou la région » (R. 431-10 CJA) - Cas des établissements pénitentiaires - Établissements ne constituant pas une administration civile au sens de ce texte – Rejet.

Si, aux termes de l’art. R. 431-10 du CJA l'État est représenté devant le tribunal administratif par le préfet ou le préfet de région lorsque le litige a sa source dans l'activité des « administrations civiles de l'Etat dans le département et la région », les établissements pénitentiaires, relevant de l'autorité du ministre de la justice ne sont pas des « administrations civiles de l'Etat dans le département ou la région » au sens et pour l’application des dispositions de cet article.

Seul le ministre de la justice a compétence pour signer les recours et mémoires présentés au nom de l'État devant les tribunaux administratifs dans le cadre des litiges nés de l’activité des établissements pénitentiaires.

(10 décembre 2020, M. E., n° 433458)

 

21 - Ministère d’avocat – Avocat constitué – Impossibilité de rejeter une requête pour défaut de ministère d’avocat – Avocat n’ayant ni produit ni repris à son compte le mémoire présenté par son client avant sa constitution – Annulation.

Est irrégulier l’arrêt qui, constatant qu’un avocat s’est constitué dans une affaire et a annoncé la production d’un mémoire en défense sans que cette production ait lieu et sans que l’avocat ait repris à son compte le mémoire qu’avait déposé son client avant sa constitution, juge que le requérant n’a pas présenté de défense et le déboute, sans avoir préalablement invité l’avocat constitué à effectuer ses diligences et, en cas de carence de ce dernier, sans avoir demandé au requérant de choisir un autre représentant.

(11 décembre 2020, M. B., n° 427517)

 

22 - Compétence du tribunal administratif en premier et dernier ressort – Action indemnitaire des fonctionnaires ou agents publics – Réclamation tendant seulement au versement de traitements, avantages et autres – Régime normal de compétence de ce tribunal – Renvoi de l’affaire à la cour administrative d’appel.

Rappel de ce que si, en vertu du 8° de l’art. R. 811-1 du CJA, le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort, sous réserve d’un pourvoi en cassation, en matière d’action indemnitaire formée par un fonctionnaire ou un agent public, tel n’est pas le cas des réclamations financières par lesquelles il est seulement demandé au juge de se prononcer sur le versement de traitements, rémunérations, indemnités, avantages ou soldes impayés sans que, par ailleurs, ne soit demandée la réparation d’un préjudice quelconque.

Ici c’est donc à tort que le recours a été porté directement au Conseil d’État. Il est renvoyé à la cour administrative d’appel selon le régime procédural de droit commun.

(11 décembre 2020, M. B., n° 438812)

(23) V. aussi, même solution : 11 décembre 2020, Mme B., n° 438813.

 

24 - Annulation d’une décision administrative sur recours pour excès de pouvoir - Exercice par le juge du pouvoir de modulation des effets d’une annulation contentieuse - Plan de prévention des risques d'incendies de forêt pour le territoire d’une commune – Annulation – Balance des intérêts en présence – Annulation à effets différés – Rejet.

Par un arrêt du 9 novembre 2018, une cour administrative d’appel a annulé l’arrêté préfectoral approuvant le plan de prévention des risques naturels prévisibles d'incendies de forêt sur le territoire de la commune de Bormes-les-Mimosas et le rejet implicite des recours gracieux dirigés contre ledit arrêté ainsi que les jugements du tribunal administratif qui avaient rejeté les recours.

La cour, après avoir sursis à statuer sur la question de savoir si les effets de l’annulation devaient être modulés dans le temps, a jugé qu’il convenait de faire produire effet à l’annulation à compter du 9 novembre 2020.

Les demandeurs au pourvoi sollicitaient la cassation de cet arrêt, ce qui leur est refusé, le Conseil d’État approuvant en tous leurs points les chefs critiqués de l’arrêt.

Il s’est fondé pour cela sur la circonstance que seuls deux moyens de légalité avaient été retenus pour prononcer l’annulation, sur les risques très élevés d’incendie dans cette zone, sur le fait qu’une annulation aux effets immédiats aurait remis en vigueur une servitude d’urbanisme résultant de l’art. R. 111-2 du code de l’urbanisme qui n’a pas la même portée ni la même efficacité que les dispositions du plan annulé.

Enfin, sur la durée de deux ans du délai de report des effets de son arrêt, la cour est approuvée en raison de la complexité d’élaboration d’un plan de prévention des risques ; ainsi, l’élaboration du plan annulé avait duré dix ans.

(17 décembre 2020, SCI Marine et autres, n° 430572 ; Association syndicale libre des propriétaires du lotissement de la baie du Gaou Bénat et autres, n° 430604, jonction)

 

25 - Plan de prévention des risques technologiques pour un site industriel - Annulation contentieuse – Refus, en première instance, de modulation des effets dans le temps – Pouvoirs du juge d’appel en cette matière – Cassation avec renvoi.

Dans un litige relatif à l’annulation du plan de prévention des risques technologiques pour un site industriel, confirmée en appel, se posait la question des pouvoirs de la juridiction d’appel lorsqu’elle est saisie d'un jugement ayant annulé une décision et rejetant l'appel formé contre ce jugement : la circonstance que l'annulation ait été prononcée par le tribunal administratif avec un effet rétroactif fait-elle, ou non, obstacle à ce que le juge d'appel apprécie, à la date à laquelle il statue, s'il y a lieu de déroger en l'espèce au principe de l'effet rétroactif de l'annulation contentieuse et détermine, en conséquence, les effets dans le temps de l'annulation, en réformant le cas échéant sur ce point le jugement de première instance ?

La réponse est évidemment - même si la solution semble nouvelle - positive en raison du principe de l’effet dévolutif de l’appel lequel emporte re-jugement de l’affaire en son entier.

(17 décembre 2020, Ministre de la transition écologique et solidaire, n° 430592)

 

26 - Couches à usage unique pour bébés – Présence éventuelle de substances chimiques dangereuses – Refus d’interdiction ou d’ordonner la mention d’un avertissement sur l’emballage du produit (art. L. 521-7 et L. 521-17 du code de la consommation) - Saisine du juge de l’excès de pouvoir – Conditions dans lesquelles il statue en ce cas – Rejet.

A l’occasion d’un recours dirigé contre le refus de l’autorité administrative compétente d’interdire ou de suspendre la commercialisation de couches à usage unique pour bébés contenant des substances dangereuses pour la santé  ou d’exiger l’inscription d’une mise en garde en ce sens sur les emballages, le Conseil d’État réitère une jurisprudence discutable (Assemblée, 19 juillet 2019, Association des Américains accidentels, au Recueil p. 296 ; Voir cette Chronique, juillet-août 2019, n° 70) selon laquelle, lorsqu'il est saisi de conclusions aux fins d'annulation d'un refus comme celui de l’espèce, le juge de l'excès de pouvoir est conduit à apprécier son bien-fondé au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa propre décision et non à celle de la décision contestée.

(23 décembre 2020, M. I. et autres, n° 431520)

 

27 - Référé « mesures utiles » - Conditions d’octroi – Impossibilité de faire obstacle à l’exécution d’une décision administrative (art. L. 521-3 CJA) – Note attribuée à l’épreuve subie par un candidat à un concours – Indivisibilité de celle-ci avec la délibération – Irrecevabilité de ce référé – Annulation.

De ce que n’est pas recevable une demande de référé « mesures utiles » lorsqu’elle fait obstacle à l’exécution d’une décision administrative, il s’ensuit que n’est pas recevable l’action fondée sur cette disposition et tendant à la modification d’une note attribuée au candidat à un concours, cette modification affectant nécessairement la délibération du jury dont elle est n’est pas dissociable : le référé, en ce cas, porte atteinte à l’exécution de cette délibération qui constitue une décision administrative.

(ord. réf. 24 décembre 2020, Mme A., n° 445768)

 

28 - Recours contentieux devant être exercé après formation d’un recours administratif préalable obligatoire (RAPO) – Exercice de ce recours administratif – Décision sur ce dernier recours se substituant à la décision initiale – Recours contentieux devant être considéré comme dirigé contre la seconde décision – Annulation.

Est entachée d’erreur de droit l’ordonnance qui considère comme manifestement irrecevable le recours dirigé contre une décision initiale alors, un RAPO ayant été formé, que la décision implicite de rejet de ce recours s’est substituée à la décision attaquée, le recours doit être considéré, en ce cas, comme tendant à l’annulation de la décision de substitution.

(29 décembre 2020, M. A., n° 434726)

 

29 - Acte invitant le requérant à confirmer expressément le maintien de ses conclusions - Ordonnance donnant acte d’un désistement – Annulation en appel – Donné acte du désistement - Obligation d’inviter préalablement le requérant à confirmer ses conclusions – Annulation avec renvoi.

Rappel d’une conséquence procédurale - inévitable mais pas toujours perçue - de l’annulation en appel d’une ordonnance de donné acte d’un désistement après qu’il a été demandé au requérant s’il confirmait le maintien de ses conclusions.

En ce cas, le juge d’appel qui, après annulation de l’ordonnance, statue au titre de son pouvoir d’évocation, ne peut pas, à son tour, donner acte du désistement sans avoir préalablement demandé à l’intéressé s’il maintenait expressément ses conclusions.

(29 décembre 2020, Mme A., n° 427834)

 

30 - Compétence de la juridiction administrative – Absence – Contrat n’ayant pas pour objet l’exécution d’un service public et ne révélant pas l’intention des parties de le soumettre au régime exorbitant du droit public – Clause d’attribution de compétence à la juridiction administrative sans effet ici – Rejet.

Ne relève pas de la compétence de l’ordre administratif de juridiction la convention conclue entre une association, personne privée, et un syndicat mixte d’un pôle hippique pour la présentation de spectacles équestres, dès lors qu’elle ne comporte ni exécution d’un service public ni intention des parties de le soumettre au régime exorbitant qui est celui du droit public des contrats et alors même que les parties contractantes y ont inclus une clause attribuant compétence à la juridiction administrative.

En effet, cette compétence étant d’ordre public elle est indisponible pour les contractants.

(30 décembre 2020, Association Barokia, n° 438094)

 

31 - Candidature pour l'inscription sur la liste de qualification aux fonctions de professeur des universités – Rejet du Conseil national des universités (CNU) – Saisine du Conseil d’État – Demande de récusation de la présidente et du rapporteur public d’une des chambres de la section du contentieux – Liens entre ces derniers et l’un des membres de la section du CNU ayant refusé la candidature ainsi qu’avec le doyen de la faculté d’affectation de l’enseignant – Rejet.

Ne saurait être  allégué au soutien d’une demande de récusation de la présidente et du rapporteur public de la 4ème chambre du Conseil d’État chargée d’examiner  un recours dirigé contre le refus du CNU de retenir la candidature du requérant car les liens entretenus entre ces derniers et l’un des membres de la section du CNU qui a rejeté sa candidature ainsi qu’avec le doyen de la faculté où il enseigne « qui sont ponctuels et qui s'inscrivent dans un cadre strictement professionnel, ne sont pas de nature à mettre en doute leur impartialité ».

(30 décembre 2020, M. F., n° 440880)

 

32 - Action contestant le bien-fondé d’une demande de restitution d’un indu d’aide personnalisée au logement – Tribunal l’interprétant comme une demande de remise gracieuse – Méprise sur la portée des écritures – Annulation avec renvoi.

Doit être cassé le jugement qui se méprend sur la requête dont il est saisi en interprétant une contestation du bien-fondé d’une demande de restitution d’un indu d’aide personnalisée au logement comme étant une demande de remise gracieuse.

Voilà comment, pour 3 960,93 euros, le contentieux résultant de deux décisions de novembre 2016 et mars 2017, n’a toujours pas trouvé sa solution et il reste encore un jugement à rendre sur le principal… Pourvu qu’il n’engendre point, à son tour, un recours…

(31 décembre 2020, M. A., n° 424959)

 

33 - Visas d’un jugement – Absence de visa de conclusions tendant à ce que le juge fasse injonction à l’administration de délivrer certaines pièces – Absence d’irrégularité – Intérêt à agir d’une association – Absence quand l’objet défini par ses statuts ne concerne pas la décision attaquée – Rejet.

L’intérêt de cette décision est double.

D’une part, elle contient un rappel : l’intérêt pour agir d’une association dépend de son objet statutaire ; elle ne peut donc contester des décisions n’entrant pas dans cet objet. Ici une association dont les statuts se donnent pour objet de « s’opposer à toute extension de l'activité [de l'aéroport de Lyon] nuisible au cadre de vie » n’a pas intérêt lui donnant qualité pour contester la modification du capital de la société Aéroports de Lyon qui n’a pas d’incidences directes sur l’accroissement du trafic aéroportuaire et ses nuisances éventuelles.

D’autre part, et cet aspect est plus nouveau – et un peu déroutant -, il est également jugé que c’est sans erreur de droit que la cour administrative d’appel a estimé que les premiers juges n'étaient pas tenus, à peine d'irrégularité de leur jugement, de viser celles des conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à l'Etat de produire dans l'instance, dans le cadre de l'instruction de l'affaire, l'intégralité des offres de tous les candidats, des contrats et cahiers des charges liant l'État à l'acquéreur et d'y répondre expressément.

(31 décembre 2020, Association contre l'extension et les nuisances de l'aéroport de Lyon-Saint-Exupéry (ACENAS) et autres, n° 428277)

 

34 - Parlementaire – Rapporteur d’une loi – Recours contre une ordonnance de l’art. 38 – Ordonnance excédant le champ de l’habilitation donnée au Gouvernement – Absence de qualité lui donnant intérêt pour agir – Rejet.

La circonstance qu’un requérant se prévaut de la qualité de parlementaire et de rapporteur d’une loi à l’Assemblée nationale ne lui confère pas un intérêt à former un recours pour excès de pouvoir contre la disposition d’une ordonnance qui excéderait le champ de l’habilitation accordée au Gouvernement en tant qu’elle abroge l'article L. 254-10-5 du code rural et de la pêche maritime instituant un régime de pénalités financières en cas de méconnaissance, au 31 décembre 2021, par un « opérateur obligé » au sens de l'article L. 254-10-1 du même code, de l'obligation relative aux certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques mise à sa charge, alors même que l’article abrogé serait issu de la loi sur laquelle il a rapporté.

(31 décembre 2020, M. D. Potier, n° 430925)

 

35 - Instance en appel – Communication d’un mémoire en défense pour observations éventuelles du demandeur – Absence de fixation de délai – Absence d’audience – Rejet par ordonnance pour absence manifeste de fondement (art. R. 222-1, dernier alinéa CJA) – Méconnaissance du principe du contradictoire – Annulation.

Est cassé l’arrêt d’appel qui rejette un appel comme manifestement dépourvu de fondement après avoir communiqué à la demanderesse le mémoire en défense qui concluait au rejet de sa demande en lui indiquant qu’elle pouvait produire des observations dans le cas où elle estimerait devoir le faire mais sans préciser, en l'absence de date déterminée, le délai dans lequel elle était invitée à produire ses observations en réplique alors que, en l'absence d'audience, elle n'a pas été mise en mesure de les faire éventuellement valoir avant que le juge ne statue.

L’ordonnance rendue en appel dans ces conditions méconnaît les exigences du caractère contradictoire de la procédure, d’où sa cassation avec renvoi.

(31 décembre 2020, Société Nass-y-beach, n° 431799)

(36) V. aussi, du même jour avec même solution : 31 décembre 2020, M. B., n° 431800.

 

37 - Référé suspension – Mise à la retraite – Suspension pour mise à la retraite anticipée – Agent atteint par la limite d’âge de son statut – Dénaturation des pièces du dossier – Annulation.

Dénature les pièces du dossier de l’instruction le juge des référés qui, pour ordonner la suspension d’un arrêté de mise à la retraite d’un agent public hospitalier, se fonde sur ce qu’il s’agit d’une mise à la retraite anticipée alors que l’intéressée a atteint la limite d’âge de son statut, ce qui entraîne automatiquement sa mise à la retraite.

(31 décembre 2020, Centre hospitalo-universitaire de Poitiers, n° 440484)

 

38 - Covid-19 – Instauration de l’obligation du port du masque – Demande de suspension d’un arrêté préfectoral en ce sens – Arrêté remplacé par un autre lui-même abrogé à son tour – Recours devenu sans objet – Rejet.

Est sans objet et doit donc être rejeté, le référé tendant à la suspension d’un arrêté préfectoral pris pour l’exécution d’un décret, abrogé depuis et remplacé par un autre sur la base duquel a été pris un nouvel arrêté abrogeant le précédent arrêté.

(1er décembre 2020, M. A., n° 445394)

 

 

L’intarissable contentieux du Covid-19

 

Tel un moderne Sisyphe, le juge administratif, jour après jour, n’en finit pas d’être saisi en référés divers des mesures anti-Covid prises par les pouvoirs publics, les plaideurs ne se lassant jamais de rechercher quelque faille ou biais qui leur permettrait de faire annuler telle disposition d’arrêtés, décrets ou ordonnances pris en ce domaine.

Que cela finisse par être lassant est une évidence qui se passe de démonstration, toutefois cette persistance dans le temps de l’utilisation de l’arme contentieuse devant ce juge même qui, sans arrêt, rejette la plupart des recours qui lui sont soumis, soulève une importante interrogation.

Qu’est-ce qui ne marche pas ?

La confiance dans les pouvoirs publics a-t-elle disparu ? Ceux-ci et donc leurs décisions ne seraient-ils plus vus comme bienveillants et recherchant la protection des citoyens mais comme des empêcheurs de tourner en rond, voulant tout régenter et, pour tout dire,…incapables ?

Les opinions, avis et préconisations des scientifiques sont-ils en train de devenir des « fake news » et la science n’a-t-elle plus de science que le nom et l’apparence ?

Est-ce tout simplement parce que les individus sont trop attachés à leurs libertés, si prosaïques fussent-elles, et parce que cela dure un peu trop ?

L’impatience permet-elle de jeter aux orties tout le reste ?

En tout cas, le divorce est patent et c’est à une grande crise de légitimité qu’il est donné d’assister et dont il conviendrait de saisir rapidement les causes – pour agir sur elles efficacement - car une société, si elle peut vivre longtemps sans respect de la légalité (comme l’attestent d’innombrables exemples historiques jusqu’à une époque récente), ne survit généralement jamais bien longtemps à une défiance durable de la légitimité de ceux qui la gouvernent.

 

Sont rejetées les demandes de suspension ou d’annulation :

 

(39) - du décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 instaurant un premier confinement de la population, le premier ministre disposant, à titre de pouvoir propre, du pouvoir d’édicter des mesures de police applicables sur l’ensemble du territoire national, notamment en cas d’épidémie et les mesures prises étant en l’espèce adaptées et proportionnées à l’objectif de santé publique qui les fonde : 22 décembre 2020, M. A., n° 439800, n° 439818 et n° 439855. On aura reconnu l’application au cas d’espèce de la célébrissime jurisprudence Louis Labonne (8 août 1919, au Recueil p. 737) ;

 

(40) - du IV de l'article 1er de l'ordonnance du 25 mars 2020 relative aux adaptations des règles d'organisation et de fonctionnement des établissements sociaux et médico-sociaux ainsi que la demande d’injonction à l’État de verser l'aide sociale aux bénéficiaires et non aux services et d'organiser la concurrence entre services, pour permettre aux personnes âgées dépendantes de bénéficier de remplaçants lorsque les autres intervenants font défaut ; les moyens soulevés étant irrelevants pour l’essentiel et aucune erreur manifeste d’appréciation ne pouvant être relevée à l’encontre de cette décision : 31 décembre 2020, M. A., n° 440814 ;

 

(41) - des décrets des 16, 17, 23 et 30 mars 2020, 1er avril 2020 ainsi que de l’arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19 car contrairement à ce que soutiennent les requérants ces décrets et arrêté – dans le contexte très contraint d’une épidémie -, ne portent atteinte ni à l'objectif à valeur constitutionnelle de prévisibilité et d'intelligibilité de la loi ni au principe de légalité des délits et des peines ni, non plus, au droit de propriété, à liberté du commerce et de l'industrie, à la liberté d'entreprendre ni, encore, au droit à la vie ni au principe d’égalité ou au droit à une vie privée et familiale normale  et ils ne revêtent pas un caractère disproportionné au regard des risques sanitaires et de la disparité des situations locales : 22 décembre 2020, Mme G. et autres, n° 439804 ;

 

(42) - de l’art. 3 du décret du 23 mars 2020 car ses dispositions ne méconnaissent pas le principe de légalité des délits et des peines ni celui de nécessité et de proportionnalité des peines, les expressions « achats de première nécessité » ou « motif familial impérieux », n’étant ni imprécis ni équivoques, non plus que la liste des dérogations aux interdictions de circulation en dehors du domicile ou la notion de « sans domicile fixe » : 22 décembre 2020, M. B., n° 439954 ;

(43) V. aussi, même réponse aux mêmes arguments : 22 décembre 2020, M. B., n° 439956 ;

 

(44) - du décret du 23 mars 2020 en tant qu’il interdit tout rassemblement ou réunion au sein des établissements cultuels à l'exception des cérémonies funéraires car il trouve sa justification dans le constat de la gravité de la situation sanitaire et dans le souci d’enrayer la progression de l’épidémie : 22 décembre 2020, M. A., n° 440402 ;

 

(45) - de l'arrêté du 15 mars 2020 complétant l'arrêté du 14 mars 2020 en tant qu'il limite à 20 le nombre de personnes que peuvent accueillir les établissements de culte ainsi que le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements contre la propagation du virus Covid-19 en tant qu'il ne ménage pas d'exception à l'interdiction de déplacement qu'il édicte pour les déplacements à finalité cultuelle  car, juge le Conseil d’État, « Les cérémonies de culte exposent les participants à un risque de contamination d'autant plus élevé qu'elles ont lieu dans un espace clos, de taille restreinte, pendant une durée importante, avec un grand nombre de personnes, qu'elles s'accompagnent de prières à haute voix ou de chants, de gestes rituels impliquant des contacts, de déplacements, ou encore d'échanges entre les participants, y compris en marge des cérémonies elles-mêmes » : 23 décembre 2020, M. A., n° 439810 ;

 

(46) - des articles 1er respectivement du décret du 11 mai 2020 et de celui du 31 mai 2020 à propos des gestes « barrières » car outre qu’ils ne sont guidés que par le souci d’arrêter la progression du virus du Covid-19, ils ne constituent que des recommandations, non des mesures de police pénalement sanctionnées : 22 décembre 2020, M. Philippe B. et autres, n° 440868 ;

 

(47) - la décision révélée par la mise en ligne de modèles d'attestation de déplacement dérogatoire et de justificatif de déplacement professionnel prise sur le fondement du II de l'article 3 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 car ces modèles ne revêtent aucun formalisme particulier, n’ont aucun caractère obligatoire, n’ont pas la nature de « décisions » administratives, n’obligent pas à mentionner l’heure de sortie lorsque cette donnée n’est pas légalement requise et ne violent pas le principe d’égalité : 22 décembre 2020, M. B., n° 439996 ;

 

(48) -  du 3° de l'article 1er du décret n° 2020-360 du 28 mars 2020 complétant le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 en tant qu'il insère dans ce décret les dispositions du II de l'article 12-3 et du décret du 11 mai 2020 ayant le même objet, en celles de leurs dispositions qui autorisent la prescription de la spécialité pharmaceutique Rivotril en dehors du cadre de son autorisation de mise sur le marché et sa dispensation par les pharmacies d'officine en vue de la prise en charge des patients atteints ou susceptibles d'être atteints par le virus SARS-CoV-2 dont l'état clinique le justifie car la mesure litigieuse adoptée est nécessaire pour que les patients puissent bénéficier des soins dont ils ont besoin pendant la catastrophe sanitaire, sous réserve qu'elles soient strictement nécessaires et proportionnées aux risques sanitaires encourus et soient appropriées aux circonstances de temps et de lieu, le cas échéant en dérogeant sur des points limités à des dispositions législatives ; et, par ailleurs, lorsqu'il est prévu par les dispositions en vigueur qu'une décision administrative doit être prise par voie d'arrêté ministériel ou interministériel, il est satisfait à ces dispositions quand cette mesure est prise par un décret contresigné par le ou les ministres compétents. Or les dispositions attaquées ont été adoptées par le Premier ministre sur le rapport du ministre des solidarités et de la santé et contresignées par celui-ci : 23 décembre 2020, M. I. et autres, n° 440030 ; M. T. et autre, n° 441520 ;

 

(49) - des 1°, 3° et 5° de l'article 1er du décret n° 2020-432 du 16 avril 2020 complétant le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 car l’extension à la Polynésie française du décret du 23 mars 2020, qui repose sur une base juridique incontestable, est parfaitement justifiée en raison de l’épidémie de Covid-19 et les pouvoirs dévolus au haut-commissaire de la république dans ce territoire sont proportionnés et justifiés par les circonstances de l’espèce : 22 décembre 2020, M. B., n° 440158 ;

 

 (50) - de l’ordonnance du 15 avril 2020 relative à la prise de jours de réduction du temps de travail ou de congés dans la fonction publique de l'Etat et la fonction publique territoriale au titre de la période d'urgence sanitaire car ses dispositions ne sont ni imprécises ni équivoques ; elles ne portent pas atteinte à l’art. 1er du premier protocole additionnel à la Convention EDH relatif à la protection des biens ; l’ordonnance n’est pas entachée d’une rétroactivité illégale et n’introduit pas non plus des inégalités injustifiées eu égard à son objet et aux catégories d’agents concernés : 30 décembre 2020, Syndicat national Solidaires Finances publiques, n° 440286 ;

 

(51) - du I de l’art. 47 du décret du 29 novembre 2020 encadrant les rassemblements et réunions dans les établissements de culte car cette demande est devenue sans objet du fait de l’injonction au premier ministre de modifier la disposition de l’ordonnance servant de base au texte attaqué : 1er décembre 2020, Mgr Pascal Roland, n° 446987 ;

 

(52) - de l’arrêté préfectoral (Hauts-de-Seine) du 10 septembre 2020 imposant le port du masque dans tout le département aux personnes de plus de onze ans car cette demande est devenue sans objet, l’arrêté litigieux ayant été remplacé par un autre puis celui-ci par un troisième avant que la mesure ne soit décidée par le décret du 29 octobre 2020 : 1er décembre 2020, M. A., n° 445934 ;

 

(53) - de l’art. 36 du décret du 29 octobre 2020 en ce qu’il impose l’obligation de port d’un masque aux enfants dès l’âge de six ans, cette mesure étant justifiée et proportionnée du fait de l’aggravation de la crise sanitaire à l’automne 2020 : 2 décembre 2020, Mme B., n° 445900 ; 2 décembre 2020, M. B., n° 446395 ; 8 décembre 202, M. L., n° 447184 ; M. C., n° 447192 ; Mme B, n° 447235 ; M. J. et Mme D., n° 447240 ; Mme G., n° 447241 ; 18 décembre 2020, Mme B., n° 446466 ;

 

(54) - du 2° de l’art. 1er du décret du 2 novembre 2020 modifiant le décret du 29 octobre 2020 en ce qu'il interdit aux grandes surfaces ou magasins multi-commerces la vente de certains biens, relevant de la catégorie des biens de première nécessité car cette requête est devenue sans objet du fait de la prise d’un nouveau décret, le 27 novembre 2020, permettant à ces commerces d'accueillir du public dans la limite d'une capacité maximale d'accueil en fonction de la surface de vente et, sauf pour certaines activités, dans la tranche horaire courant de 6 heures à 21 heures, mettant ainsi fin à l'exclusivité des ventes de biens de première nécessité : 2 décembre 2020, M. A., n° 445931 ; 2 décembre 2020, Commune d’Evreux, n° 445941 ;

 

(55) - du décret du 29 octobre 2020 en tant qu'il interdit de manière générale aux personnes de se déplacer hors de leur lieu de résidence car n’est pas satisfaite la condition d’urgence particulière qu’exige l’art. L. 521-2 du CJA : 2 décembre 2020, M. A., n° 445990, ou encore car cette interdiction a été modifiée par le décret du 14 décembre 2020 qui n’interdit plus que les déplacements entre 20 heures et 6 heures du matin à l'exception de ceux prévus pour les motifs listés par ce nouveau décret : 17 décembre 2020, M. B., n° 446985 ;

(56) - à propos du même décret d’octobre 2020 en tant qu’il ne permet pas la pratique non professionnelle du golf : 2 décembre 2020, M. A., n° 446710 ;

 

(57) - de l’art. 4 de ce décret en tant qu’il réserve aux seuls sportifs et professionnels de haut niveau l’accès aux établissements sportifs de plein air, cet article, ainsi que l’art. 42, ayant été modifié par un décret du 27 novembre 2020, rendant ce recours sans objet : 4 décembre 2020, M. A., n° 446719 ; V. aussi : 8 décembre 2020, M. B., n° 445998 ;

 

(58) - de supprimer tout critère de distance du domicile, de durée et d’objet de déplacement journalier dans le 6° du I de l’art. 4 du décret précité, cette demande ne revêtant pas l’urgence particulière que requiert l’art. L. 521-2 du CJA : 4 décembre 2020, Mme A., n° 446552 ;

 

(59) - ainsi que la modification des art. 40, 41, 42, 45 et 46 du décret du 29 octobre 2020 pour que, d’une part, ils prévoient la réouverture des établissements de sport et loisirs collectifs, à savoir notamment les établissements de restauration, débits de boissons, auberges, hôtels, stations thermales, salles de sport, salles de culture et de loisirs et activités nautiques, en déterminant un protocole sanitaire adapté et, d’autre part, qu’ils soient suspendus jusqu’à parfaite exécution de la décision : 21 décembre 2020, Association Réaction 19 et autres, n°447572 ;

(60) V. aussi : 4 décembre 2020, Mme A., n° 446716 ;

(61) V. également, à propos de l’atteinte réalisée par l’art. 4 précité de ce décret à la liberté d'aller et venir ainsi qu'au droit à la vie privée et familiale, à la liberté individuelle, à la liberté de réunion, au principe de primauté du droit de l'Union européenne et à l'égalité devant la loi : 4 décembre 2020, M. B., n° 446720 ;

(62) V. encore, concernant d’identiques critiques faites à l’art. 1er du décret du 27 novembre 2020 modifiant celui du 29 octobre : 7 décembre 2020, Mme A., n° 446997 ;

 

(63) - de l’art. 34 du décret du 29 octobre 2020 modifié par celui du 2 novembre 2020 en prenant les mesures strictement proportionnées d'encadrement des enseignements et des réunions dans les établissements de l'enseignement public supérieur car quels que soient les effets négatifs d’un enseignement toujours dispensé à distance, ces mesures, dictées par la situation sanitaire actuelle, ne sont pas disproportionnées par rapport à la gravité de la situation : 10 décembre 2020, M. A et autres, n° 447015 ;

 

(64) - de l’art. 37 du décret d’octobre 2020 en ce qu’il prévoit, en dehors de certaines exceptions, que les magasins de vente, relevant de la catégorie M, mentionnée par le règlement pris en application de l'article R. 123-12 du code de la construction et de l'habitation, ne peuvent accueillir du public que pour leurs activités de livraison et de retrait de commandes car cette interdiction a été levée, entre 6 heures et 21 heures, par le décret du 27 novembre 2020 pris postérieurement à l’enregistrement de la présente requête : 4 décembre 2020, Commune de Coubron et onze autres, n° 445960 ;

 

(65) - des art. 37 et 40 de ce même décret s’agissant de la fermeture des établissements de type N (restaurants et débits de boissons) car n’est pas caractérisée une situation d’urgence compte-tenu, d’une part, des mesures réparatrices ou correctrices prises par les pouvoirs publics et, d’autre part, de l’état sanitaire du pays : 4 décembre 2020, Commune de Coubron et huit autres, n° 447126 ;

 

(66) - de l’art. 40 de ce décret en tant que les différences existant dans la situation sanitaire des régions et des villes françaises justifient une appréciation géographiquement différenciée des mesures à prendre concernant les bars, restaurants et hôtels, avec une réponse – évidemment négative - longuement motivée : 8 décembre 2020, Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH), Union des métiers et des industries de l'hôtellerie Nouvelle Aquitaine (UMIH NA) et Union des métiers et des industries de l'hôtellerie de la Gironde (UMIH 33), n° 446715 ;

(67) V. aussi : 11 décembre 2020, SAS CF Groupe et autres, n° 447295 ;

 

(68) - de l’art. 42 du décret du 29 octobre 2020 qui, en interdisant la plupart des déplacements, hypothèque les conditions de fonctionnement et de développement des centres sportifs et excède ce qui est raisonnablement nécessaire pour lutter contre l’épidémie car les salles de sports présentent, comme les bars, restaurants ou hôtels, un risque significativement plus élevé de transmission du virus que d’autres lieux ou circonstances de brassage de populations : 16 décembre 2020, Société Vita Liberté la Destrousse et Société Vita Liberté, n° 447045 ;

 

(69) - de l’art. 51 II du décret du 29 octobre 2020 en ce qu'il permet la prescription du Rivotril dans le cadre de la lutte contre le Covid-19, demande en outre assortie d’une QPC dirigée contre l’art. 7 de la loi du 23 mars 2020, les art. L. 3131-3, L. 3131-12, L. 3131-20 du code de la santé publique et les art. L. 211-3 et L. 213-8 du code de l'organisation judiciaire : 9 décembre 2020, M. A et Sarl FXTOP, n° 446932 ;

 

(70) - de « tweets » du premier ministre qui révéleraient l’existence d’une décision relative à un modèle officiel d’« Attestation de déplacement » seul utilisable mais de l’existence duquel le juge n’a pas trouvé trace : 2 décembre 2020, M. C., n° 446988 ;

 

(71) - d’un arrêté préfectoral (Guadeloupe) en ce qu’il impose le port du masque même dans les rues peu passantes car cet arrêté a cessé de s’appliquer rendant sans objet cette requête : 2 décembre 2020, Mme B. et autres, n° 446072 ;

 

(72) - d’une part, du protocole national actualisé en dernier lieu au 13 novembre 2020, en particulier en tant qu’il traite du télétravail et, d’autre part, de l’instruction du 3 novembre 2020, prise par le directeur général du travail, en tant également qu’elle est relative au télétravail car les moyens tirés de ce que le protocole et l'instruction seraient entachés d'incompétence, et méconnaîtraient les dispositions du code du travail en ce qu'ils imposeraient aux employeurs le recours au télétravail et porteraient ce faisant une atteinte excessive aux libertés individuelles des salariés et des employeurs et à la liberté d'entreprendre ne sont pas, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de ce protocole. Aucun des autres moyens soulevés n'est non plus dans ce cas : 17 décembre 2020, Syndicat Alliance Plasturgie et Composites du Futur Plastalliance, n° 446797 ;

 

(73) - d’enjoindre au premier ministre d’autoriser les personnes guéries du Covid à circuler librement sur le territoire : 9 décembre 2020, M. B., n° 447026 ;

 

(74) - dans l’attente que soit transmise à la CJUE, dans le cadre d’une procédure accélérée d’urgence, la question préjudicielle portant, d'une part, sur la compatibilité des mesures françaises de lutte contre l'épidémie de Covid-19 avec le principe de l'Etat de droit et, d'autre part, sur l'interprétation de l'article 35 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne car l’état sanitaire de la France rend dépourvue d’urgence cette demande : 11 décembre 2020, Mme B. et Société Profil CS, n° 446708 ;

 

(75) - de l’art. 1er du décret du 4 décembre 2020 (modifiant le décret du 29 octobre 2020) en tant qu’il dispose que « les services mentionnés à l'article L. 342-7 du code du tourisme ne sont pas accessibles au public », services dont font partie l’ensemble des activités des stations de ski, car cette limitation est justifiée en l’état des données actuelles sur la catastrophe épidémique : 11 décembre 2020, Syndicat Domaines skiables de France, Association nationale des maires des stations de montagne, Syndicat national des moniteurs du ski français, Syndicat national des guides de montagne et autres, n° 447208 ;

 

(76) - du décret du 10 novembre 2020 pris pour l'application de l'article 20 de la loi du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020, sauf en ce qu'il étend la liste des personnes vulnérables par rapport au décret du 5 mai 2020 et en ce qu'il permet de faire travailler à distance les personnes vulnérables plutôt que de les faire bénéficier d'un arrêt de travail ainsi que du refus, notamment, du premier ministre d'adopter un nouveau décret qui qualifie de vulnérables au sens de l'article 20 précité les femmes enceintes à tous les stades de la grossesse, les personnes souffrant d'une quelconque pathologie rénale et les trisomiques car, relève le juge, d’une part, s’agissant des demandes fondées sur l’art. L. 521-1 du CJA, aucun doute sérieux n’existe sur les mesures adoptées et, d’autre part, quant aux demandes fondées sur l’art. L. 521-2 du CJA, aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale en raison de ce que le cas, il est vrai sérieux et pouvant susciter des préoccupations légitimes de personnes présentant certaines pathologies, ne paraissant pas avoir été exclu de toute protection par les autorités compétentes : 15 décembre 2020, Association Renaloo et autres, n° 446873 ; 15 décembre 2020, Association Renaloo et autres, n° 446876 ; 15 décembre 2020, Union nationale des associations agréées d'usagers du système de santé (UNAASS), n° 447162 ;

 

(77) - des art. 4, 5 et 6 de l'ordonnance n° 2020-1400 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux copropriétés en ce qu’ils porteraient une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que constituent le droit à un recours effectif, les droits de la défense, le droit à un procès équitable, le principe de la collégialité de la procédure et le principe d'égalité devant la loi ; le juge estime notamment que les solutions retenues sont limitées dans le temps, ne sont souvent qu’une faculté pour le juge, sont justifiées par les circonstances et proportionnées à elles et que, concernant le recours massif à la visioconférence, toutes garanties sont prises pour s’assurer de l’identité des personnes, respecter le caractère contradictoire de la procédure et celui de la confidentialité des échanges : 17 décembre 2020, Syndicat des avocats de France et autres, n° 446904 ; 17 décembre 2020, Conseil national des barreaux et Association des avocats conseils d'entreprises, n° 446981 ;

 

(78) - de l’exécution de la décision du premier ministre révélée par ses propos tenus publiquement le 2 décembre 2020 tendant à interdire aux Français de se rendre dans les stations de sport d'hiver à l'étranger pour pratiquer le ski et, corrélativement, à faire automatiquement subir à ceux qui le feraient une mesure de « quarantaine de sept jours » car cette décision est destinée à éviter un rebond épidémique, soumise à l’appréciation des préfets des départements concernés pour tenir compte des circonstances locales et elle est marquée par le souci d’éviter une interdiction générale et absolue : 17 décembre 2020, Ligue des droits de l’homme, n° 447431.

 

Sont annulés

 

(79) - les art. 2 et 4 du décret du 29 août 2020 en tant, d’une part, qu'ils dressent la liste des pathologies et situations permettant de considérer une personne comme vulnérable au sens du deuxième alinéa du I de l'article 20 de la loi du 25 avril 2020 et, d’autre part, qu'ils ne diffèrent pas au 4 septembre 2020 l'application de l'article 3 du même décret : 18 décembre 2020, M. C., n° 444000 ; Ligue nationale contre l'obésité, n° 444665, jonction ;

 

 

Contrats

 

80 - Accords-cadres comportant plusieurs lots – Interdiction d’un même soumissionnaire pour plusieurs lots – Soumissions par deux personnes juridiques différentes mais en réalité sans autonomie commerciale l’une par rapport à l’autre - Personnes juridiques constituant en réalité un soumissionnaire unique – Rejet.

Un accord-cadre multi-attributaires portant sur des travaux d'aménagement, de réparation, d'entretien et de rénovation de bâtiments et ouvrages divers de la métropole Aix-Marseille-Provence, a été sl’occasion d’un litige concernant la procédure de passation du lot n° 12 « plomberie, chauffage, ventilation et climatisation-zone sud ».

Des diverses questions juridiques soulevées la plus intéressante était la suivante.

De la combinaison de divers textes (3ème alinéa de l’art. 4 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics ; art. 13 de cette ordonnance, repris en substance aux art. L 1220-1 à 1220-3 du code de la commande publique ; I de l'art. 57 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, repris à l'art. R. 2151-6 du code précité) il résulte qu’un même soumissionnaire ne peut présenter qu’une seule offre par lot. Que se passe-t-il lorsque des soumissions sont faites par deux entités juridiques distinctes à propos d’un lot et qu’il est constaté que les liens existant entre elles les rend sans autonomie commerciale l’une par rapport à l’autre ?

A juste titre, le premier juge, confirmé par le Conseil d’Etat, a considéré qu’il s’agissait de fait d’un unique soumissionnaire au sens et pour l’application des textes précités. La procédure ayant été irrégulière, elle a été annulée à bon droit.

(8 décembre 2020, Métropole Aix-Marseille-Provence, n° 436532 ; Société CMT Services, n° 436582 ; Société Compagnie méridionale d'applications thermiques, n° 436583, jonction)

 

81 - Marché public de travaux – Réception des travaux avec réserves (art. 41.6 CCAG Travaux) – Délai d’établissement du décompte général et définitif – Absence d’influence de l’importance des réserves – Annulation de l’ordonnance rendue en appel et réformation partielle du jugement de première instance.

Dans le cadre d’un référé provision relatif à un marché public de travaux se posait, notamment, une intéressante double question de droit.

Lorsque le pouvoir adjudicateur prononce la réception des travaux avec réserves sur le fondement des dispositions de l’art. 41.6 du CCAG Travaux, quel est le point de départ du délai d’établissement du décompte général et définitif ?

L’importance des réserves émises a-t-elle une incidence sur la réponse à la question précédente ?

Sur le second point la réponse est négative.

Sur le premier point, il est répondu que, quelle que soit l’importance des réserves émises lors de la réception des travaux au sens et pour l’application de l’art. 41.6 précité, c’est la date de cette réception et non celle de la levée des réserves qui constitue le point de départ des délais d’établissement du décompte tels que fixé à l’art. 13.3.2 du CCAG précité.

Cette solution est souvent confondue avec celle résultant de l’art. 41.5 du CCAG qui ne concerne que l’hypothèse où certaines prestations prévues par les documents particuliers du marché et devant encore donner lieu à règlement n'ont pas été exécutées au moment où est prononcée la réception « sous réserve » et non « avec réserves ». Dans ce second cas, c’est bien à compter du jour de la levée de la réserve que court le délai d’établissement du décompte. Ce n’était pas la situation rencontrée dans le cas de la présente espèce.

(8 décembre 2020, Société Sogetra, n° 437983)

 

82 - Concession de service public – Création et exploitation d’un crématorium – Introduction de plusieurs référés précontractuels successifs – Durée du délai séparant la date d’envoi de la notification aux soumissionnaires de celle de la conclusion du contrat de concession – Régime et effets – Rejet.

Était en cause l’attribution du contrat de concession de service public portant sur le financement, la conception, la construction, l'entretien-maintenance et l'exploitation d'un crématorium. La société requérante ayant été évincée s’en est suivi un contentieux où une question principale attire l’attention.

La société a d’abord saisi le juge du référé précontractuel de deux référés successifs, portant sur le même objet, et fondés sur l’art. L. 551-1 du CJA, puis elle a saisi le juge du référé contractuel d’un troisième référé, celui-ci fondé sur les art. L. 551-13 et L. 551-18 de ce code. La troisième requête a été jugée irrecevable en première instance au motif que son auteur ayant déjà exercé deux référés précontractuels au cours desquels elle aurait pu soulever le manquement dont elle se prévalait dans son troisième référé, cette circonstance faisait obstacle à ce qu'elle forme un nouveau référé précontractuel.

Le Conseil d’État, censurant l’erreur de droit ainsi commise, juge que la demanderesse était fondée à former un nouveau référé tant que le délai de suspension de la signature du contrat n'était pas expiré.

Toutefois, précisément s’agissant du délai de signature, le Conseil d’État relève que la commune, avant de signer le contrat litigieux, avait été informée par son avocat, auquel cette ordonnance avait été notifiée, du sens de l'ordonnance du 27 février 2020 rejetant le deuxième référé précontractuel. Dès lors, elle devait être regardée comme ayant reçu notification de l’ordonnance au sens et pour l'application de l'article L. 551-4 du CJA. D’où il suit que la signature de ce contrat n'est pas intervenue en méconnaissance de l'obligation de suspension fixée par ce même article.

La société requérante n'était, à cette date, pas recevable à saisir le juge d'un référé contractuel. 

(8 décembre 2020, Société Pompes funèbres funérarium Lemarchand, n° 440704)

 

83 - Contrat de partenariat – Clause instituant une procédure obligatoire de règlement amiable – Effets et portée – Émission de titres exécutoires – Annulation partielle.

L’insertion dans un contrat administratif d’une obligation de règlement amiable des litiges emporte un certain nombre de conséquences financières. La présente affaire est l’occasion de signaler trois d’entre elles dont l’enchaînement est logique, étant auparavant rappelé que l’interprétation d’une stipulation contractuelle comme rendant obligatoire une procédure de conciliation avant la saisine du juge en cas de désaccord sur les pénalités, relève du pouvoir souverain des juges du fond.

Tout d’abord, à défaut de mise en œuvre de cette procédure de conciliation, la collectivité publique ne peut émettre directement des titres exécutoires pour le règlement de sommes en contestation.

Ensuite, elle ne peut non plus, en ce cas, recouvrer les sommes litigieuses par voie de compensation avec ses dettes envers son cocontractant.

Enfin, le défaut de recourir à la procédure amiable obligatoire empêche la personne publique de se prévaloir, du chef de pénalités contractuelles qu’elle prétend lui être dues, d’une créance certaine, liquide et exigible sur son cocontractant.

(10 décembre 2020, Commune de Nogent-sur-Marne, n° 427662)

 

84 - Marché « de prestations de transports sanitaires par avion du SAMU » –Demande d’annulation du marché – Irrégularité grave justifiant cette annulation – Absence en l’espèce – Erreur de droit de la cour administrative d’appel – Cassation avec renvoi.

Une compagnie aérienne demande l’annulation du marché de « prestations de transports sanitaires par avion du SAMU » conclu entre une autre compagnie aérienne et un centre hospitalier. Refusée en première instance, cette annulation est accordée en appel. Le centre hospitalier et la compagnie attributaire se pourvoient. Leur pourvoi est accueilli.

En effet, le Conseil d’État aperçoit une erreur de droit dans le fait que, pour prononcer l’annulation du marché, la cour s’est fondée sur ce que l'absence de prise en compte des capacités financières de la compagnie attributaire du marché avait eu une influence déterminante dans le choix de l'attributaire et constituait une irrégularité grave de nature à porter atteinte aux règles de liberté de la concurrence et d'égal accès à la commande publique. Or le Conseil d’État estime que ce grief est insuffisant pour justifier à elle seule la solution retenue : la cour aurait dû s’assurer que cette omission révélait une intention de favoriser un candidat et devait, de ce fait, être regardée comme caractérisant un vice d'une particulière gravité justifiant l'annulation du contrat à l'exclusion de toute autre mesure.

Il nous semble, comme à la cour, qu’une telle omission, sans égard au point de savoir si elle était peccamineuse ou non, suffit, en elle-même, à frapper d’un vice irrémissible le contrat conclu en cet état d’ignorance surtout s’agissant de petites compagnies aériennes dont la fragilité financière est fréquente dans un univers de concurrence impitoyable.

(10 décembre 2020, Société Air Loyauté, n° 432602 ; Centre hospitalier territorial Gaston Bourret, n° 433611)

 

85 - Responsabilité contractuelle des maîtres d’œuvre – Évolution de la réglementation applicable en matière acoustique à une salle polyvalente en cours de construction – Non-signalement au maître d’ouvrage – Manquement à l’obligation de conseil – Responsabilité engagée – Rejet.

Le juge apporte ici cette importante précision, qui n’allait pas de soi, que la responsabilité des maîtres d'oeuvre pour manquement à leur devoir de conseil peut être engagée, dès lors qu'ils se sont abstenus d'appeler l'attention du maître d'ouvrage sur des désordres affectant l'ouvrage et dont ils pouvaient avoir connaissance, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l'ouvrage ou d'assortir la réception de réserves. Il en va ainsi notamment quand le maître d'oeuvre ne signale pas au maître d'ouvrage l'entrée en vigueur, au cours de l'exécution des travaux, de toute nouvelle réglementation applicable à l'ouvrage, afin que celui-ci puisse éventuellement ne pas prononcer la réception et décider des travaux nécessaires à la mise en conformité de l'ouvrage.

C’est là une conception très extensive des obligations s’imposant aux maîtres d’œuvre.

(10 décembre 2020, M. A. c/ commune de Biache-Saint-Vaast, n° 432783)

 

86 - Résiliation du contrat – Résiliation tacite – Faisceau d’indices – Motif de résiliation – Indemnisation du préjudice – Annulation partielle de l’arrêt d’appel, confirmation du jugement et rejet de la requête.

La société requérante s’était vu confier par une convention conclue en 1995 la réalisation d’une zone d’aménagement concerté (ZAC). Des quatre tranches prévues seule la première a été réalisée ; depuis l’an 2000 il n’y a plus eu de travaux. Elle demandait l’indemnisation du préjudice subi du fait de l’arrêt des travaux.

La première question était donc de savoir comment analyser, en droit, cette interruption. Il s’agit d’une résiliation tacite du contrat dès lors que sont présents un certain nombre d’éléments manifestant la volonté de la personne publique de ne pas poursuivre l’exécution du contrat que ce soit positivement, par exemple en annonçant ne plus vouloir de la réalisation projetée, ou négativement, en prenant des actes, mesures ou positions impliquant la renonciation au contrat ou l’empêchement de sa poursuite. Sur ce point, le Conseil d’État estime que la cour administrative d’appel a dénaturé les pièces du dossier en jugeant qu'aucune résiliation tacite de la convention d'aménagement conclue en vue de réaliser la zone d'aménagement concertée ne pouvait être caractérisée en l'espèce. En effet, après achèvement de la première tranche, une étude hydraulique a révélé l’existence d’un important risque d’inondation, puis, en janvier 2012 la commune a informé la requérante, qui l’interrogeait sur l’avancement du projet, de « l’arrêt de l’aménagement ».

La seconde question était de savoir si la requérante avait droit à l’indemnisation qu’elle sollicitait. Normalement, le caractère tacite d’une résiliation de contrat et alors même qu’une personne publique peut toujours résilier un contrat, ne change rien aux conditions de réparation du préjudice résultant de cette résiliation en l’absence de faute du cocontractant.

Ici la résiliation unilatérale est intervenue pour un motif d’intérêt général : le risque d’inondation.

Toutefois, il ressort des écritures de la demanderesse que le préjudice dont elle demande réparation n’est pas établi, ayant un caractère seulement éventuel, ainsi que l’a jugé le tribunal administratif, d’où le rejet de ses prétentions sur ce point.

(11 décembre 2020, Société Copra Méditerranée, n° 427616)

 

87 - Candidat évincé d’une procédure d’attribution d’un contrat public – Éviction irrégulière – Condition de réparation du préjudice – Offre irrégulière – Impossibilité pour le candidat d’être regardé « comme n’ayant pas été dépourvu de toute chance de remporter le contrat » – Caractère indifférent de l’existence d’une faculté de régularisation ou du caractère irrégulier de l’offre retenue - Rejet.

Le candidat à l’attribution d’un contrat public dont l’éviction en cours de procédure est irrégulière peut obtenir la réparation des conséquences dommageables résultant directement du caractère irrégulier de cette éviction s’il établit que, sans cette irrégularité, il n’était pas « dépourvu de toute chance de remporter le contrat ».

En l’espèce la requérante, évincée d'un marché de conception réalisation portant sur la construction d'un nouveau bâtiment hospitalier, soutenait se trouver dans ce dernier cas et réclamait réparation du préjudice subi.

Pour lui dénier tout droit à indemnisation, la cour administrative d’appel a relevé que l’offre de la demanderesse était irrégulière ce qui suffisait à l’écarter de la procédure. Ni la circonstance qu’une irrégularité est, à certaines conditions, régularisable (art. R. 2152-2 du code de la commande publique), ni celle que l’offre retenue était elle aussi irrégulière ne sont de nature à faire regarder la requérante « comme n’ayant pas été dépourvue de toute chance de remporter le contrat ».

Le Conseil d’État approuve la cour.

(18 décembre 2020, Société Architecture Studio, n° 429768)

 

88 - Marché public de fournitures courantes et de services – Fourniture et mise en service d’une grue automobile portuaire à câbles – Mise en demeure de mener à bonne fin le contrat – Marché de substitution aux frais et risques du titulaire du marché – Indifférence de l’absence de stipulations contractuelles en ce sens dans le marché d’origine - Continuation du contrat initial – Surveillance du marché de substitution par le cocontractant initial  -   Résiliation toujours possible du marché pour faute grave – Indifférence du silence ou de l’incomplétude des clauses contractuelles à cet égard – Impossibilité d’infliger des pénalités contractuelles pour la période postérieure à la date de résiliation du contrat – Rejet.

Par la diversité et le nombre de questions qu’elle aborde, la présente décision revêt une certaine importance pour le droit des contrats publics.

Les faits sont assez simples : une chambre de commerce et d’industrie (CCI) conclut un marché de fournitures courantes et de services en vue de la fourniture et de la mise en service d’une grue automobile à câbles, d’un système de contrôle/commande et d’un contrôleur d’état de charges. Après réception avec réserve ont été constatés des dysfonctionnements auxquels il a été demandé au prestataire de remédier.

Plusieurs mises en demeure en ce sens étant demeurées sans effet, la CCI a notifié au titulaire du marché son intention de conclure, à ses frais et risques, un marché de substitution. Devant l’impossibilité d’une remise en service de la grue, la CCI a résilié pour faute le marché initial.

Les juges administratifs, de première instance et d’appel, saisis par la CCI, ont condamné l’ex-titulaire du marché à indemniser cette dernière.

Celui-ci se pourvoit, en vain mais soulève d’intéressantes questions au travers de ses arguments.

 

I. - La première question abordée est celle du régime du marché de substitution.

 

Deux séries de précisions doivent être retenues de ce chef.

La première série concerne le statut de la substitution contractuelle. La faculté pour l’acheteur public, après mise(s) en demeure infructueuse(s) adressée(s) à son cocontractant, de recourir à un marché de substitution afin de faire exécuter ce qui ne l’a pas été ou ne l’a été que de manière défectueuse est au rang des règles générales applicables aux contrats administratifs et a la nature d’une règle d’ordre public.

La seconde série est relative aux clauses du contrat en matière de substitution ; à cet égard il n’est ni nécessaire que la possibilité d’y recourir ait été prévue au contrat ni, quand elle y est prévue, que l’hypothèse de l’espèce figure dans l’énumération des cas ouvrant à substitution ; c’est là la conséquence du caractère d’ordre public de la règle de substitution lequel caractère découle de l'intérêt général qui s'attache à l'exécution des prestations prévues au contrat.

 

II. - La deuxième question touche aux relations entre l’acheteur et l’entrepreneur à partir de la conclusion du marché de substitution.

 

Il est fondamental de relever que la mise en œuvre de cette mesure coercitive ne rompt pas le lien contractuel noué au moment de l’attribution du marché initial.

Il suit de là :

1° que cette exécution par un tiers du contrat de substitution a lieu aux frais et risques du cocontractant défaillant en son exécution et que ce dernier élément est d’ordre public ;

2° que, par suite, le contrat de substitution n’a pas à être précédé de la résiliation du contrat originaire ;

3° que le titulaire initial du marché peut contester la conclusion d’un tel contrat et qu’il doit être mis à même de suivre les opérations exécutées par le titulaire du marché de substitution, afin de pouvoir veiller à la sauvegarde de ses propres intérêts ;

4° que la circonstance que le marché de substitution n'aurait pas permis de réaliser avec succès les prestations attendues ne saurait, en elle-même, dispenser le cocontractant primitif d'en supporter la charge comme de réparer l’entier préjudice résultant pour la personne publique de la nécessité de recourir à un marché de substitution et, le cas échéant, y ayant recouru en vain celui-ci n’ayant, au final, pas permis la réalisation de l’objet du marché initial.


III. - La troisième question abordée est celle de la résiliation.

 

La résiliation à titre de sanction est toujours possible dans un contrat public en cas de faute grave d’une suffisante gravité de la part du titulaire du contrat.

C’est pourquoi ne font pas obstacle à cette résiliation l’absence de clause en ce sens dans le contrat ou le fait que la faute reprochée ne figure pas dans les hypothèses pour lesquelles une clause du contrat a prévu la possibilité de la résiliation.

En l’espèce, c’est donc sans erreur de droit que la cour administrative d’appel a estimé qu’en livrant avec plus de deux ans de retard par rapport à la date de livraison prévue, d’une grue dont la mise en service n'a jamais pu intervenir en raison de graves vices de conception, le titulaire du marché avait  commis une faute d'une gravité suffisante pour justifier le recours à des marchés de substitution puis la résiliation du marché à ses torts exclusifs, alors même qu’un délai de cinq ans s'est écoulé entre la date de réception de la grue et celle de la résiliation.

 

IV. – La dernière question est celle des pénalités contractuelles.

 

Pendant l’exécution du contrat des pénalités contractuelles peuvent être infligés au titulaire dans les termes et selon les conditions et tarifs stipulés au contrat.

Lorsque de telles pénalités ont été infligées dans le cours de l’exécution d’un contrat public cela n’empêche pas que l’acheteur public décide finalement de prononcer la résiliation du contrat pour faute grave, les deux sanctions se cumulant.

En revanche, il n’est plus possible d’infliger des pénalités postérieurement à la date de résiliation.

(18 décembre 2020, Société Treuils et Grues Labor, n° 433386)

 

89 - Compétence de la juridiction administrative – Absence – Contrat n’ayant pas pour objet l’exécution d’un service public et ne révélant pas l’intention des parties de le soumettre au régime exorbitant du droit public – Clause d’attribution de compétence à la juridiction administrative sans effet ici – Rejet.

(30 décembre 2020, Association Barokia, n° 438094) V. n° 30

 

90 - Marchés publics – Interdiction de toute renonciation au paiement d’intérêts moratoires – Atteinte à la liberté contractuelle, notamment en cas de transaction – QPC – Rejet.

Les requérants contestaient la constitutionnalité de l'article 67 de la loi du 8 août 1994 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier en ce qu’il interdit la renonciation aux intérêts moratoires, portant ainsi atteinte à la liberté contractuelle en interdisant les transactions ayant cet objet.

La demande de renvoi d’une QPC pour ce motif est rejetée car l’atteinte ainsi portée à la liberté contractuelle est justifiée par l'intérêt général qui s'attache à réduire les retards de paiement des collectivités publiques aux entreprises et n'est pas disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi.

(23 décembre 2020, Société Territoires 62 et autres, n° 443158)

 

91 - Marché public – Accord-cadre en vue de la prestation d’infogérance d’un centre d’appels et d’assistance téléphoniques aux utilisateurs et d’un support de proximité – Offre de base devant être complétée d’une prestation supplémentaire éventuelle (PSE) – Rejet d’une offre pour irrégularité, la PSE n’étant pas chiffrée en tous les éléments attendus – Annulation du rejet par le juge des référés – Confirmation de l’ordonnance et rejet du pourvoi.

L’offre présentée par l’une des sociétés candidates à l’attribution d’un marché de prestation d'infogérance d'un centre d'appels et d'assistance téléphonique aux utilisateurs et du support informatique de proximité a été rejetée par le pouvoir adjudicateur, la Chambre de commerce et d'industrie de région Paris Ile-de-France (CCIR), au motif que la PSE « proposée par le candidat n'est pas chiffrée dans tous les éléments attendus, elle ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation.

En effet, le candidat (…) a proposé un prix pour une volumétrie dite « volumétrie actuelle » non définie contractuellement alors que les documents de la consultation exigeaient un prix par tranche de quantité ». Une ordonnance rendue en référé a, à la demande de la société évincée, annulé le rejet de l’offre et l’attribution du marché à une autre candidate.

Sur pourvoi de la CCIR, le Conseil d’État confirme le bien-fondé de l’ordonnance.

Il ressort du dossier que l’entreprise évincée a remis, à l'appui de son offre, un bordereau des prix unitaires et un détail quantitatif estimatif dont les cases relatives aux prix des licences pour la PSE indiquaient des prix unitaires et totaux de zéro euro pour chacune des tranches de quantité de licences demandées. A la suite d'une première demande de complément puis d'une nouvelle demande de précision adressées par la CCIR, la société a maintenu son prix de zéro euro pour les licences en précisant qu'en cas de migration sur l'outil Ivanti Service Manager, la CCIR n'aurait pas à payer de licences pour l'utilisation de cet outil. 

Le premier juge n’a pas commis d’erreur de droit ni, non plus, dénaturé les pièces de ce dossier, en jugeant que la seule référence, dans la réponse de la société évincée, à la volumétrie des licences actuelles du marché n'avait pu, dans les circonstances de l'espèce et compte tenu de l'ensemble des réponses apportées par cette société, créer une ambiguïté sur le prix de zéro euro proposé pour les licences dans le cadre de la PSE et en déduisant que l'offre de la société ne pouvait être regardée comme irrégulière.

(24 décembre 2020, Chambre de commerce et d'industrie de région Paris Ile-de-France (CCIR), n° 439430)

 

92 - Marché public de fourniture – Exigence du respect d’une caractéristique technique – Obligation de produire un justificatif du respect de cette exigence lorsque celle-ci sert à fixer un critère ou un sous-critère d’attribution du marché – Absence d’une telle obligation quand cet élément d’appréciation de la valeur technique n’est pas assorti de conséquences directes sur la notation des offres – Dénaturation des pièces – Annulation mais rejet au fond.

Une région a lancé un avis d'appel à candidature pour l'attribution, selon une procédure d'appel d'offres ouvert, d'un accord-cadre mono-attributaire portant sur la fourniture et la maintenance de déshydrateurs thermiques et la collecte, le transport et la valorisation des biodéchets dans le cadre du projet européen « Life IP Smart Waste » pour un groupement de commande constitué de sept lycées membres. Elle a informé la société requérante de l’attribution du marché à une société concurrente.

Saisi par la société évincée, le juge du référé précontractuel du tribunal administratif a annulé la procédure et imposé à la région, pour le cas où elle entendrait conclure le marché, de lancer une nouvelle procédure.

Sur pourvoi, le Conseil d’État casse cette ordonnance mais rejette la requête au fond.

Le juge administratif suprême rappelle tout d’abord le principe selon lequel, lorsque pour fixer un critère ou un sous-critère d'attribution du marché, le pouvoir adjudicateur prévoit que la valeur des offres sera examinée au regard d'une caractéristique technique déterminée, il lui incombe d'exiger la production de justificatifs lui permettant de vérifier l'exactitude des informations données par les candidats. 

Il indique ensuite que ce principe ne joue pas quand, comme c’était le cas en l’espèce, le règlement de la consultation se bornait à prévoir que l'ergonomie des équipements constituait un élément d'appréciation du critère de la valeur technique, sans que cette exigence, au demeurant générale, soit assortie de conséquences directes sur la notation des offres.

C’est au prix d’une dénaturation des pièces du dossier à lui soumis que le premier juge a estimé que la région avait manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence, le respect effectif des normes européennes constituant une exigence précise qui impliquait, selon lui, la production de justificatifs, sanctionnée par le système d'évaluation des offres. Or, comme indiqué plus haut, cette exigence n’emportait pas de conséquences directes sur la notation des offres.

(24 décembre 2020, Société Cuisine froid professionnel, n° 445078)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

93 - Impôt sur les sociétés – Souscription d’emprunts rémunérés à un certain taux auprès de la société mère – Preuve devant être rapportée que ce taux est comparable à celui susceptible d’être consenti par des organismes ou établissements financiers indépendants – Comparaison avec le rendement d’emprunts obligataires émis par des entreprises en situation économique comparable – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.

Est annulé pour erreur de droit l’arrêt qui n’admet pas qu’une société, pour justifier du taux rémunérant des emprunts consentis par sa société mère, procède par comparaison avec le taux rémunérant des émissions obligataires souscrites par des entreprises se trouvant dans des conditions économiques comparables.

(10 décembre 2020, Société WB Ambassador, n° 428522)

(94) V. aussi, très voisin : 11 décembre 2020, Société anonyme BSA, n° 433723.

 

95 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères – Obligation d’être en rapport avec les dépenses exposées par la collectivité pour cet enlèvement – Cassation de l’ordonnance de rejet.

Rappel une nouvelle fois – car il s’agit, avec la taxe en question, d’un contentieux sans fin – que le taux de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères ne doit pas être disproportionné par rapport aux dépenses de la collectivité et non couvertes par des recettes non fiscales.

Le litige portait ici sur les modalités de preuve du caractère disproportionné du taux retenu.

(10 décembre 2020, Société L'Immobilière Leroy Merlin France, n° 429451)

 

96 - Aide à l’acquisition de véhicules propres – Conditions d’octroi du bénéfice de l’aide – Sanction du non-respect de ces conditions – Non-respect par l’acheteur postérieurement à la vente – Obligation de rapporter la preuve du manquement du vendeur à son obligation de contrôle au moment de la vente – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.

Le décret du 26 décembre 2007, dans son article 8, crée une aide à l'acquisition des véhicules propres et permettant au vendeur d'un véhicule neuf de faire bénéficier son client de l'avance du montant de l'aide. L’octroi et le maintien de cette aide sont subordonnés à deux conditions :  le respect de conditions d'éligibilité et un engagement du bénéficiaire de l'aide.

S’agissant des conditions d'éligibilité, le demandeur de l’aide doit justifier d'un domicile ou d'un établissement en France et acquérir ou prendre en location, dans certaines conditions, un véhicule neuf revêtant des caractéristiques techniques précises.

S’agissant de son engagement, le bénéficiaire de l'aide s'engage à ne pas destiner le véhicule acquis à la vente ou à la location en tant que véhicule neuf.

En cas de non-respect des conditions, la sanction consiste en la récupération de l'aide indûment perçue. Lorsque, ce qui est le cas le plus fréquent, le montant de l'aide a été avancé à l'acheteur par le vendeur du véhicule, dans le cadre d'une convention prévue par le décret précité, peut être ordonné le reversement par le vendeur des véhicules du montant des aides que ce dernier avait avancé et dont il avait obtenu le remboursement, s'il est établi que le vendeur n'a pas satisfait à l'obligation qui lui incombe de s'assurer de l'éligibilité du dossier de demande présenté par l'acheteur. En particulier, le vendeur doit refuser de consentir une avance de l'aide en cas de doute manifeste sur le respect par l'acheteur de la règlementation relative à l'aide, notamment s'il apparait au vendeur que l'acheteur destine les véhicules en cause à la revente comme véhicules neufs.

C’est dans ces conditions que l'Agence de services et de paiement a demandé à la société requérante une attestation certifiant que l’un de ses clients, qui avait été bénéficiaire de l’avance d’aide, était toujours propriétaire du véhicule afin de vérifier que celui-ci n'était pas destiné à être cédé par l'acquéreur en tant que véhicule neuf. Estimant que la condition stipulée n'avait pas été respectée par l’acheteur qui avait revendu les véhicules ainsi acquis en Belgique comme véhicules neufs, l’Agence a réclamé au vendeur le reversement des aides remboursées.

La cour administrative d’appel a jugé que c’était à bon droit que l’Agence avait agi comme elle l’a fait en l’espèce.

Toutefois, sur pourvoi, le Conseil d’État annule l’arrêt sur ce point en ce que la cour a commis une erreur de droit car elle « n'a pas caractérisé le manquement de la société Garage du Rempart dans les contrôles réalisés par celle-ci au moment de la vente des véhicules et de l'avance du montant de l'aide ».

(10 décembre 2020, Société Garage du Rempart, n° 430514)

(97) V. aussi, identique : 10 décembre 2020, Société Avenir Automobile 78, n° 430516.

(98) V. également, identique :  10 décembre 2020, Société d'exploitation du garage de Robinson, n° 430519.

 

99 - Taxe sur les achats de viandes – Demande dégrèvement – Dégrèvement obtenu puis retiré, enfin spontanément accordé – Demande du bénéfice de l’art. 208 du livre des procédures fiscales (LPF : intérêts moratoires de la somme restituée) – Erreur de droit – Annulation et rejet.

L’art. 208 du LPF dispose : « Quand l'Etat est condamné à un dégrèvement d'impôt par un tribunal ou quand un dégrèvement est prononcé par l'administration à la suite d'une réclamation tendant à la réparation d'une erreur commise dans l'assiette ou le calcul des impositions, les sommes déjà perçues sont remboursées au contribuable et donnent lieu au paiement d'intérêts moratoires dont le taux est celui de l'intérêt de retard prévu à l'article 1727 du code général des impôts. Les intérêts courent du jour du paiement. Ils ne sont pas capitalisés. ». Le Conseil d’État en déduit que ce texte n’est applicable que dans le cas où le dégrèvement fait suite à une « réclamation » du contribuable. En revanche, lorsque, comme en l’espèce à la suite d’un véritable imbroglio, l’administration accorde spontanément un tel dégrèvement au contribuable les intérêts moratoires ne sont pas dus.

Tout d’abord, dans le contexte concret de cette affaire, il pourrait être sérieusement discuté du caractère « spontané » du dégrèvement.

Ensuite et surtout, l’intérêt moratoire n’est que le prix du temps qui passe (Times is money disent les Anglais qui ont sur ce point un esprit très boutiquier), ici du temps qui a passé du jour du versement indu jusqu’au jour du remboursement, c’est-à-dire de la remise en état du patrimoine originel du contribuable. On ne voit guère en quoi le caractère « spontané » du dégrèvement pourrait occulter – même magiquement -  le temps perdu du patrimoine en cause.

(10 décembre 2020, Société Supermarchés Match, n° 432587) V. aussi à la rubrique Contentieux, n° 19

 

100 - Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Territorialité de la taxation – Société irlandaise de marketing digital – Société disposant de sociétés sœurs dont une en France – Assujettissement de la société française à la TVA – Condition d’assujettissement satisfaite – Impôts sur les sociétés – Condition d’établissement stable – Condition satisfaite en l’espèce – Erreurs de droit et de qualification juridique – Annulation avec renvoi.

Dans cette importante décision, d’ailleurs rendue par quatre chambres réunies (3e, 8e, 9e et 10e) – ce qui n’est pas rare désormais mais est loin d’être fréquent cependant -, le Conseil d’État avait à connaître d’un pourvoi dirigé contre un arrêt de cour administrative d’appel qui avait jugé qu’une société française spécialisée dans le marketing digital, sœur d’une société irlandaise détenue à 100% par une société de droit américain, ne devait être soumise, pour une période donnée, ni à l’impôt sur les sociétés ni à la TVA.

L’arrêt est cassé sur ces deux points. A la lecture de la décision il se perçoit bien que sa forte motivation est d’abord justifiée parce qu’elle est limite au regard du droit de l’UE.

L’assujettissement à l’impôt sur les sociétés en France suppose que la société y ait un « établissement stable » (au sens des dispositions de l’art. 209 du CGI et des art. 2 et 4 de la convention fiscale franco-irlandaise du 21 mars 1968), ce qui désigne, selon les termes mêmes de cette convention, soit une installation fixe d'affaires où une entreprise exerce tout ou partie de son activité, soit  l’intervention d’une personne, autre qu'un agent jouissant d'un statut indépendant, agissant dans un Etat contractant pour le compte d'une entreprise de l'autre Etat contractant. Or le Conseil d’État relève qu’il ressort de l’arrêt frappé de pourvoi que « si la société irlandaise fixe le modèle des contrats conclus avec les annonceurs pour leur ouvrir le bénéfice des services dont elle assure l'exploitation ainsi que les conditions tarifaires générales, le choix de conclure un contrat avec un annonceur et l'ensemble des tâches nécessaires à sa conclusion relèvent des salariés de la société française, la société irlandaise se bornant à valider le contrat par une signature qui présente un caractère automatique ».

Le juge de cassation déduit de ces constations que la cour a commis une erreur de droit et une erreur de qualification juridique en jugeant, au motif que les contrats avec les clients français étaient signés par la société irlandaise, que la société française n'était pas, pour elle, un établissement stable au sens des dispositions de la convention franco-irlandaise précitée.

Les conditions d’assujettissement à la TVA intracommunautaire ont évolué au cours des trois années en litige dans la présente affaire même si c’est toujours l’art. 259 du CGI qui les fixe.

Jusqu’au 31 décembre 2009, cet art. 259 (issu de la transposition de l’art. 9 de la directive du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires et de l’art. 44 de la directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA, tels qu’interprétés par la CJCE pour fixer le point de rattachement des prestations de services : 4 juillet 1985, Berkholz c/ Finanzamt Hamburg-Mitte-Altstadt, aff. C-168/84 et 17 juillet 1997, ARO Lease BV c/ Inspecteur van de Belastingdienst Grote Ondernemingen te Amsterdam, aff. C-190/95) imposait, pour déterminer si la taxe sur la valeur ajoutée grevant les prestations de services servant d’assiette à cet impôt était due en France ou dans l'autre Etat membre, de savoir si les prestations pouvaient être rattachées :

- soit à un établissement satisfaisant à certains critères, fixés par les directives et jurisprudences précitées dont le prestataire dispose en France,

- soit au siège de son activité économique situé sur le territoire d'un autre Etat membre.

Pour les années 2010 à 2012, le régime d’assujettissement à la TVA est régi par les dispositions des art 259 et 283 du CGI transposant plusieurs dispositions de la directive précitée du 28 novembre 2006 dans leur nouvelle version entrée en vigueur le 1er janvier 2010, telles qu’interprétées par la CJUE et que complétées par l’art. 53 du règlement du 15 mars 2011 pris pour l’exécution de cette directive.

Dès lors que, comme indiqué plus haut, le Conseil d’État estimait que la société irlandaise disposait d’un établissement stable en France, la solution à cette seconde question pouvait aisément se deviner sous réserve, pour satisfaire aux conditions européennes, d’établir que, contrairement à ce qui avait été jugé en appel, la société française disposait bien, pour la fourniture des prestations de la société irlandaise, et cela de manière autonome, des moyens humains lui permettant de prendre la décision de conclure, avec un annonceur, un contrat lui ouvrant le bénéfice des services dont la société irlandaise assure l'exploitation. La pierre d’achoppement de cette démonstration, bien perçue par la cour, résidait en ce que la société française ne disposait que d’un parc informatique limité qui n'avait pas la nature d'un centre de données et n'était donc pas assez puissant pour permettre la prise en charge des traitements d'exécution des campagnes publicitaires. Pour le Conseil d’État cet obstacle, important il est vrai, n’en est pas un au regard de la qualification d’établissement stable dès lors « que si l'exécution des fonctionnalités de mise en relation en temps réel des annonceurs et des éditeurs de sites internet suppose une infrastructure technique, comprenant les logiciels nécessaires au fonctionnement des plateformes de mise en relation et des serveurs sur lesquels elles sont hébergées, implantés dans des centres de données, la création, le paramétrage et la gestion du compte client par les salariés de la société française, en application du contrat conclu avec un annonceur, suffisent pour ouvrir de manière effective à ce dernier un accès aux fonctionnalités prévues au contrat adapté aux besoins de ses programmes de publicité, sans restriction et sans qu'aucune intervention spécifique soit requise de la part de sociétés du groupe distinctes de la société française et de la société irlandaise, en charge du développement et de la maintenance des logiciels ou de l'exploitation des serveurs ».

Il faut donc en conclure que « les salariés de la société française doivent être regardés comme disposant de moyens techniques adaptés rendant possible, de manière autonome, la fourniture des prestations de la société irlandaise, quand bien même aucun centre de données utilisé pour l'exécution des fonctionnalités de mise en relation n'est localisé en France (…) ».

Ce ne sera pas facile, le cas échéant, de convaincre la CJUE sur la base d’un tel raisonnement.

(11 décembre 2020, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 420174)

 

101 - Impôts sur les sociétés – Sociétés françaises détenues par une même société mère – Société mère établie dans un autre État membre que la France – Impossibilité de constituer un groupe fiscalement intégré entre les deux sociétés sœurs et la société mère (art. 223 A du CGI) – Entrave à la liberté d’établissement – Rejet.

L'impossibilité de constituer un groupe fiscalement intégré entre deux sociétés françaises détenues indirectement par une même société mère située dans un autre Etat membre de l’UE constitue une entrave à la liberté d'établissement.

Toutefois, la société demanderesse en première instance est déboutée d’une partie de sa demande en tant qu’elle ne rapporte pas la preuve, pour deux des sociétés concernées, de l’existence de leur accord pour une intégration fiscale.

(29 décembre 2020, Ministre de l’action et des comptes publics et société BPD France, n° 427259)

 

102 - Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Assujettissement des intermédiaires – Distinction entre intermédiaires agissant pour le compte d’autrui et intermédiaires agissant en leur propre nom pour le compte d’autrui – Régimes distincts – Commentaires administratifs se bornant à réitérer une disposition législative – Rejet.

L’association requérante demandait l’annulation d’un paragraphe des commentaires administratifs publiés au Bulletin Officiel des Finances Publiques (BOFiP) – Impôts relatif au taux de la taxe sur la valeur ajoutée applicable aux prestations assurées par un intermédiaire agissant au nom et pour le compte d'autrui.

Le Conseil d’État rejette le recours en rappelant la distinction entre les intermédiaires agissant en leur nom propre mais pour le compte d'autrui et les intermédiaires agissant au nom et pour le compte d'autrui.

Les premiers sont assujettis à la TVA à raison du montant total de l'opération incluant leur commission, au taux correspondant aux produits et services qu'ils sont dans ce cas réputés avoir personnellement acquis et livrés ou reçus et fournis.

Les seconds, sont soumis à la TVA du chef des seules sommes perçues en contrepartie de la prestation d'entremise assurée, au taux de droit commun correspondant à cette dernière, indépendamment du taux applicable aux produits ou services faisant l'objet de la prestation d'entremise.

Cette distinction découlant des conséquences liées à l’intervention de la loi du 17 juillet 1992, les commentaires administratifs attaqués qui se bornent à les commenter sans ajouter à la loi ne sont pas irréguliers.

La requérante ne saurait donc valablement contester le refus qui lui a été opposé de faire droit à sa demande tendant à l'application du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée aux prestations d'entremise assurées par un intermédiaire agissant au nom et pour le compte d'autrui.

(11 décembre 2020, Association Alliance Professionnelle des Agents Commerciaux (APAC), n° 440587)

(103) V. aussi, comparable en ce qu’il est jugé que ne sont pas irréguliers les commentaires administratifs qui se bornent à interpréter correctement, en matière de prélèvements sur les trusts, les dispositions combinées de l’art. 792-0 bis, des I et III de l’art. 990 J, ainsi que des art. 1649 AB et 885 G ter du CGI (repris à l’art. 970 de ce code) : 11 décembre 2020, Société Sequent, n° 442320

 

104 - Activité de formation professionnelle continue – Dépenses non justifiées – Ordre de reversement – Annulation pour non-respect du principe du contradictoire – Moment où s’impose ce principe – Erreur de droit en l’espèce – Annulation et rejet.

Interprétant restrictivement les dispositions du code du travail sur l’exercice par l’État d’un contrôle administratif et financier sur les activités de formation professionnelle continue, le Conseil d’État, cassant l’arrêt contraire pour erreur de droit, juge que si les décisions de rejet de dépenses et de versements prises par l'autorité administrative à la suite de contrôles effectués en cette matière, ne peuvent intervenir sans qu'une procédure contradictoire ait été respectée, la mise en oeuvre de celle-ci n'est imposée qu'après la notification des résultats du contrôle. La légalité de la décision de rejet ou de versement prise n'est ainsi pas subordonnée au respect d'une telle procédure durant la conduite des opérations de contrôle.

Ce raisonnement suppose que sont sans aucune incidence pour la manifestation de la vérité les conditions dans lesquelles se déroulent les opérations de contrôle.

(23 décembre 2020, Ministre du travail, n° 431085)

 

105 - Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Exonération – Cas des soins dispensés aux personnes par les membres des professions médicales et paramédicales réglementées – Absence en l’espèce du fait de l’usage d’une technique sans « face-à-face » entre soignant et client - Régime alimentaire établi et géré via un logiciel et internet – Rejet.

Le 1° du 4 de l’art. 261 du CGI, pris pour la transposition en droit interne de directives européennes (§ 1 du A de l'article 13 de la directive du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, repris par l'article 132, paragraphe 1 de la directive du 28 novembre 2006), exonère de TVA les soins dispensés aux personnes par les membres des professions médicales et paramédicales réglementées.

La société requérante, invoquant ces dispositions, contestait son assujettissement à la TVA.

Pour rejeter son recours le Conseil d’État relève, comme le juge d’appel, « que la société GIIS propose aux personnes désireuses de perdre du poids, via ses sites internet, un régime culinaire adapté à leurs goûts et habitudes alimentaires, d'abord en établissant un bilan initial sur la base d'un questionnaire en ligne par lequel le client renseigne notamment, outre sa taille, son poids, son objectif de perte de poids, le délai souhaité pour l'atteindre ainsi que ses goûts et habitudes culinaires. (De plus), grâce à une analyse informatisée des données ainsi renseignées, une proposition de régime alimentaire est délivrée au client ainsi qu'un suivi dans le cadre duquel l'intéressé peut être amené à fournir, en ligne, des données complémentaires relatives à son comportement alimentaire, susceptibles d'entraîner, après une nouvelle analyse informatisée, des ajustements du régime initial ».

Surtout, comme la cour, le juge de cassation relève « que les diététiciens que la société emploie, soit en qualité de salariés soit en qualité de prestataires de services, n'entretenaient pas de relation personnalisée avec le client ».

Dès lors, les prestations fournies par cette société n’entrent pas dans les prévisions du 1° du 4 de l’art. 261 du CGI et ne sauraient être exonérées de TVA.

(29 décembre 2020, Société Groupement international d'informatique de santé (GIIS), n° 426219)

 

106 - Impôt sur les sociétés – Contribution sociale sur cet impôt – Invocation de l’art. L. 80 A du livre des procédures fiscales (LPF) – Inapplicabilité en matière de procédure d’établissement de l’impôt ou de pénalités fiscales – Rejet.

Dans le cadre d’un litige portant sur une demande de restitution d’impôts supplémentaires ainsi que des pénalités les assortissant, la demanderesse invoquait les dispositions du second alinéa de l’art. L. 80 A du LPF selon lesquelles : « Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. Sont également opposables à l'administration, dans les mêmes conditions, les instructions ou circulaires publiées relatives au recouvrement de l'impôt et aux pénalités fiscales. » 

Le Conseil d’État décide qu’en l’espèce la requérante ne pouvait pas invoquer ce texte à l’appui de ses prétentions car le litige ne portait pas sur le recouvrement de l’impôt mais sur son établissement et celui des pénalités fiscales. Or s’agissant d’une instruction relative aux mentions que doit comporter un avis de mise en recouvrement, le texte précité n’est pas applicable car il concerne la procédure d'établissement de l'impôt ou des pénalités fiscales, et non le recouvrement de l'impôt.

Il faut regretter une position aussi rigoriste qui s’appuie sur une interprétation stricte du texte en cause alors que seules les exceptions sont strictissimae interpretationis : il serait déraisonnable et, dans une « société de la confiance », inconvenant de considérer que les dispositions protectrices de l’art. L. 80 A sont d’exception. Lorsque l’administration fiscale prend acte de ce que les contribuables lui ont fait confiance, elle ne leur fait pas un cadeau mais se plie à un évident devoir de conscience.

(11 décembre 2020, SA BNP Paribas, n° 421084)

(107) V. aussi, identique en tout point : 11 décembre 2020, SA BNP Paribas, n° 421087.

(108) V. aussi, voisine par certains aspects, la décision : 11 décembre 2020, SA BNP Paribas, n° 421113.

 

109 - Impôt sur les sociétés – EDF – Provision sur charges futures de démantèlement d’un réacteur nucléaire – Perte du combustible irradié – Cas d’un réacteur démantelé et cas d’un réacteur mis à l’arrêt – Régimes fiscaux distincts – Annulation.

La société EDF a demandé, et obtenu des juges du fond, la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt ainsi que le versement d'intérêts moratoires du fait de l’obligation dans laquelle elle s’est trouvée de démanteler une centrale nucléaire et, par suite, de constituer une provision au titre des coûts futurs de la perte du combustible irradié résultant de ce démantèlement. 

Le Conseil d’État considère que si la cour n’a pas commis de dénaturation des faits en relevant que le combustible non irradié n'était, en l'état des connaissances techniques, pas réutilisable dans un autre réacteur et que l'arrêt du réacteur entraînait sa perte définitive, en revanche, cette perte constitue un coût qui est une conséquence directe de cet arrêt définitif et non des opérations de démantèlement.  Il ne relève donc pas des charges de démantèlement du réacteur.

La cour a ainsi commis une erreur de droit en même temps qu’elle a inexactement qualifié les faits en jugeant que le coût en cause devait donner lieu à la constatation d'une provision au titre des coûts futurs de démantèlement et d'un actif amortissable de contrepartie en application de l'article 39 ter C du code général des impôts.

(11 décembre 2020, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 439666)

 

110 - Impôt sur le revenu des salariés – Salariés recrutés à l’étranger par une entreprise installée en France – Bénéfice d’une exonération d’impôt forfaitaire sur leurs rémunérations – Condition d’octroi de ce bénéfice – Annulation avec renvoi.

Le 1 du I de l'article 155 B du CGI disposait, au moment des faits litigieux, que : « Les salariés et les personnes mentionnées aux 1°, 2° et 3° du b de l'article 80 ter appelés de l'étranger à occuper un emploi dans une entreprise établie en France pendant une période limitée ne sont pas soumis à l'impôt à raison des éléments de leur rémunération directement liés à cette situation ou, sur option, et pour les salariés et personnes autres que ceux appelés par une entreprise établie dans un autre Etat, à hauteur de 30 % de leur rémunération ».

Le Conseil d’État, interprétant aussi strictement que possible ces dispositions, décide qu’elles ne sont applicables qu’à des personnes qu’une entreprise sise en France a recrutées directement à l’étranger. Elles ne sont, en revanche, pas applicables à des salariés qui effectuent une mobilité entre des entités appartenant à un même groupe ou en relevant.

En l’espèce, un salarié d’HSBC UK qui avait auparavant rompu tout lien avec cette dernière, avait conclu ensuite un CDI avec la société HSBC France. Dès lors qu’il continuait à travailler pour le même groupe il ne pouvait pas bénéficier de la faveur fiscale instituée par l’article précité, contrairement à ce qu’avait jugé la cour administrative d’appel.

(22 décembre 2020, M. et Mme A., n° 427536)

 

111 - Impôt sur le revenu et cotisations sociales – Rehaussement d’impôts suite à une vérification – Demande à l’administration de la communication intégrale des documents auxquels elle a eu accès pour opérer ce rehaussement – Absence d’obligation de communiquer ceux des documents que le contribuable peut se procurer par lui-même – Annulation et rejet.

Le juge rappelle que :

1° l’art. L. 76 B du livre des procédures fiscales oblige l’administration, quelle que soit la procédure d'imposition mise en oeuvre, et au plus tard avant la mise en recouvrement, à informer le contribuable dont elle envisage soit de rehausser, soit d'arrêter d'office les bases d'imposition, de l'origine et de la teneur des documents et renseignements obtenus auprès de tiers, qu'elle a utilisés pour fonder les impositions, avec une précision suffisante pour mettre à même l'intéressé d'y avoir accès avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent.

2° Lorsque le contribuable lui en fait la demande, l'administration est, en principe, tenue de lui communiquer, alors même qu'il en aurait eu connaissance, les renseignements, documents ou copies de documents obtenus auprès de tiers qui lui sont opposés, afin de lui permettre d'en vérifier l'authenticité ou d'en discuter la teneur ou la portée.

3° Toutefois, Il en va autrement pour les documents et les renseignements qui, à la date de la demande de communication, sont directement et effectivement accessibles pour le contribuable dans les mêmes conditions que pour l'administration. En ce cas, le défaut de communication n’est pas irrégulier.

(24 décembre 2020, M. et Mme A.-B., n° 433456)

 

112 - Plus-values immobilières – Taxation – Détermination de la date du transfert de propriété et donc de l’entrée dans le patrimoine – Application des règles du Code civil en l’absence de dérogation expresse - Promesse synallagmatique sans condition suspensive – Effet immédiat du transfert de propriété – Acte authentique postérieur sans effet – Annulation.

Dans un litige relatif au calcul de la plus-value immobilière imposable, une cour administrative d’appel commet une erreur de droit en jugeant que, en dépit de la signature des promesses de vente, la date du transfert de propriété devait être regardée comme fixée au jour de la signature des actes authentiques de vente dès lors que ces actes décrivaient les parcelles en litige comme appartenant aux vendeurs et stipulaient que l'acquéreur serait propriétaire du bien à compter de leur signature. En effet, il résulte des dispositions de l’art. 1589 du Code civil que, dans l'hypothèse où une promesse synallagmatique de vente sans condition suspensive révèle le consentement réciproque des deux parties sur la chose et sur le prix, le transfert de propriété, qui détermine la date de réalisation de la plus-value imposable, est réputé avoir lieu à compter de la signature de la promesse, ou le cas échéant de la date à laquelle les conditions suspensives qu'elle fixe sont levées, et que les stipulations d'un acte authentique ultérieur sont alors insusceptibles de remettre en cause la date du transfert de propriété.

Il convient d’approuver cette excellente solution.

(29 décembre 2020, Mme B. et M. E., n° 428306)

(113) V. aussi, du même jour et avec mêmes solutions : 29 décembre 2020, Mme B. et M. E., n° 428309 ; 29 décembre 2020, MM. Michel et Jean-Michel C., n° 428313 et n° 428315, deux espèces.

 

114 - Résidents fiscaux en Belgique – Perception de revenus provenant de sociétés établies en France – Retenue à source – Demande de restitution – Assiette de cette retenue – Non-application de l’abattement de 40% – Rejet.

Voici encore une importante décision de droit fiscal international. Celle-ci est relative à l’imposition – par voie de retenue à la source - de ceux des revenus tirés par des résidents fiscaux belges de distributions provenant de sociétés établies en France.

A l’occasion du pourvoi formé par ces contribuables contre le jugement et l’arrêt les ayant déboutés de leur demande de restitution de la retenue à la source, le Conseil d’État apporte trois précisions qui n’allaient pas de soi et démontrent, une fois encore, que prévaut toujours l’interprétation maximaliste de la loi fiscale.

Tout d’abord, est confirmée la solution retenue par la cour administrative d’appel selon laquelle la retenue à la source n’est pas une modalité particulière de perception de l’impôt sur le revenu mais une imposition distincte de ce dernier. Par suite, c’est sans erreur de droit que la cour a rejeté la demande du bénéfice de l’abattement de 40% sur les revenus distribués institué à l’art. 158 (au 2° du 3) du CGI.

Ensuite, est confirmé le fait que le taux de cette retenue à la source s’applique sur le montant brut des produits qui y sont assujettis par construction un peu échevelée à partir des art. 119 bis (point 2), 108 à 117 bis et 48 de l’annexe II du CGI.

Enfin et surtout, la cour avait comparé la charge fiscale supportée par les requérants et la charge qu’aurait supportée un couple de contribuables domiciliés en France percevant le même montant de dividendes et elle avait conclu que l'imposition à laquelle ceux-ci auraient été soumis aurait été supérieure au montant de la retenue à la source en litige. Elle en avait donc déduit que si l'abattement de 40 % sur les revenus distribués dont bénéficient les résidents fiscaux français pour le calcul de l'impôt sur le revenu, ne s'appliquait pas aux dividendes soumis à la retenue à la source, cette différence ne traduisait pas, par elle-même, un traitement fiscal discriminatoire contraire au principe de libre circulation des capitaux. Le Conseil d’État approuve pleinement ce raisonnement.

IL convient de signaler que cette jurisprudence n’est pas satisfaisante au regard de celle développée sur ce même sujet par la CJUE (22 novembre 2018, Sofina SA, Rebelco SA, Sidro SA c/ Ministre de l’action et des comptes publics, aff. C-575/17, où sur questions préjudicielles du Conseil d’État, la Cour dit pour droit « Les articles 63 et 65 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle les dividendes distribués par une société résidente font l’objet d’une retenue à la source lorsqu’ils sont perçus par une société non-résidente, alors que, lorsqu’ils sont perçus par une société résidente, leur imposition selon le régime de droit commun de l’impôt sur les sociétés ne se réalise à la fin de l’exercice au cours duquel ils ont été perçus qu’à la condition que le résultat de cette société ait été bénéficiaire durant cet exercice, une telle imposition pouvant, le cas échéant, ne jamais intervenir si ladite société cesse ses activités sans avoir atteint un résultat bénéficiaire depuis la perception de ces dividendes. ».

(11 décembre 2020, M. et Mme C., n° 434038)

(115) V. aussi, identique : 11 décembre 2020, M. et Mme B., n° 434889.

(116) V. également, pour une interprétation par trop « maximaliste » de la convention franco-brésilienne destinée à éviter les doubles impositions : 11 décembre 2020, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 440307.

 

117 - Taxe foncière – Appréciation de la consistance des propriétés assujetties à la taxe – Éléments exonérés de la taxe – Rejet et annulation partiels.

Cette décision – rendue par quatre chambres réunies (3e, 8e, 9e et 10e) - a le mérite de préciser le champ d’application et celui d’exonération de la taxe foncière.

En réalité la société requérante demandait au juge la réduction de cotisations supplémentaires de taxe professionnelle et de taxes annexes à celle-ci ainsi que de la cotisation foncière des entreprises et de taxes annexes à celle-ci. Ces taxes étant toutefois assises sur la valeur locative de l’établissement qui y est soumis, le recours mettait en jeu l’évaluation de la taxe foncière qui se trouvait ainsi au cœur du litige.

En premier lieu, le juge déduit des dispositions combinées des art. 1495 du CGI et du II de l’art. 324 B de l’annexe III à ce code que pour l’appréciation de la consistance des biens soumis à cette taxe il convient de tenir compte non seulement de tous les éléments figurant dans ces deux articles mais encore des biens faisant corps avec eux.

En second lieu, le 11° de l’art. 1382 du CGI exonérant de taxe foncière les biens qui font partie des outillages, autres installations et moyens matériels d'exploitation d'un établissement industriel, il est ici jugé qu’entrent dans cette catégorie les biens qui remplissent deux conditions positives et ne satisfont pas à une condition négative : ils doivent relever d’un établissement industriel au sens de l’art. 1499 du CGI ; ils doivent être substantiellement adaptés aux activités qu’exerce l’établissement ; ils ne doivent pas figurer au rang des éléments mentionnés aux 1° et 2° de l’art. 1381 du CGI.

(11 décembre 2020, Société GKN Driveline, n° 422418)

(118) V. aussi, sur la notion d’établissement industriel : 28 décembre 2020, Société Covivio (ex-Société foncière des régions), n° 431198.

 

119 - Cession de créance – Cession des droits d’emphytéote d’une dépendance communale à une banque – Créance détenue sur une personne publique – Application des dispositions ad hoc du code monétaire et financier – Condition de régularité de la cession de créance – Annulation de l’arrêt d’appel et réformation partielle de l’ordonnance de référé provision rendue en première instance.

La commune demanderesse au pourvoi était débitrice envers une société en nom collectif du montant de redevances trimestrielles dues dans le cadre d’un bail emphytéotique administratif relatif à la construction d’une caserne de gendarmerie sur une dépendance communale. Cette société a cédé sa créance sur la commune à une banque.

Cette dernière, après mise en demeure infructueuse de la commune, a saisi le juge administratif du référé provision qui lui a donné gain de cause sur le principal et sur les intérêts. La cour administrative d’appel ayant, tout en réformant l’ordonnance attaquée, rejeté l’appel de la commune, celle-ci se pourvoit.

Son pourvoi est rejeté.

Le juge, confirmant la jurisprudence antérieure (25 juin 2003, Caisse centrale de crédit mutuel du Nord de la France c/ Commune de Sainte-Menehould, n° 240679), rappelle que le régime de la cession de créance, tel qu’il résulte notamment de l’art. L. 313-23 du code monétaire et financier, s’applique aux créances détenues sur des personnes morales de droit public. Il s’ensuit que, conformément aux dispositions de l’art. L. 313-29 de ce code, la souscription par le débiteur d'une créance cédée, à la demande de l'établissement de crédit cessionnaire, de l'acte d'acceptation prévu par cet article, a pour effet de créer à l'encontre de ce débiteur une obligation de paiement entre les mains du bénéficiaire du bordereau.

Toutefois, parce que, d’une part, cette obligation est alors détachée de la créance initiale de l'entreprise et, d’autre part,  le débiteur ne peut pas faire valoir contre cette obligation des exceptions tirées de ses rapports avec l'entreprise cédante, il importe que l'acceptation d'une cession de créance effectuée dans les conditions prévues par l'article L. 313-23 du code précité - en raison de ses conséquences pour le débiteur cédé - ne puisse pas intervenir avant que cette cession ait pris effet : elle doit donc résulter d'un acte postérieur à la date apposée par le cessionnaire sur le bordereau après qu'il lui a été remis.

En l’espèce, cette dernière condition n’était pas remplie car l’acte d’acceptation dont se prévalait la banque a été signé le 28 août 2017 alors que la date apposée sur le bordereau de la cession de créance litigieuse est celle du 7 février 2008. Dès lors, contrairement à ce qui avait été jugé en appel, les exceptions soulevées par la commune étaient, non pas inopérantes, mais, au contraire, recevables et opposables.

Examinant ces exceptions pour déterminer si la créance dont se prévalait la banque était bien « non sérieusement contestable », le juge de cassation les rejette et confirme sur ce point les solutions de première instance et d’appel s’agissant du montant du principal et de celui des intérêts successivement dus.

(11 décembre 2020, Commune de Thiron-Gardais, n° 436388)

 

120 - Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) – Location et sous-location d’immeubles nus autres que des immeubles d’habitation – Distinction et effets au regard de l’art. 1447 du CGI – Annulation de l’arrêt d’appel, confirmation du jugement et rejet.

Clarifiant un droit positif un peu confus, le Conseil d’État apporte les précisions suivantes.

En premier lieu, la location d'un immeuble nu par son propriétaire n'entre pas dans le champ de la CVAE sur le seul fondement du premier alinéa du I de l'article 1447 du CGI qui concerne l'exercice à titre habituel d'une activité professionnelle non salariée, sauf dans l'hypothèse où, à travers cette location, le bailleur ne se borne pas à gérer son propre patrimoine mais poursuit, selon des modalités différentes, une exploitation commerciale antérieure ou participe à l'exploitation du locataire. Il en va de même lorsqu'un immeuble nu est donné en sous-location par une personne qui en dispose en vertu d'un contrat de crédit-bail (V. sur ce dernier point : 25 septembre 2013, Société immobilière Groupe Casino SAS, n° 350893). 

En second lieu, en dehors de ce dernier cas, une activité de sous-location d'immeuble nu n'entre dans le champ de l'impôt en raison de l'exercice à titre habituel d'une activité professionnelle non salariée, sur le seul fondement des dispositions du I de l’art. 1447 du CGI, que dans l’un des trois cas suivants : soit ce sous- loueur met en oeuvre de manière régulière et effective, pour cette activité de sous-location, des moyens matériels et humains , soit il poursuit, selon des modalités différentes, une exploitation commerciale antérieure, soit il  participe à l'exploitation du locataire.

(29 décembre 2020, Société Quick Invest France, n° 428973)

(121) V. aussi, dans le même sens : 29 décembre 2020, Société Quick Invest France, n° 428975.

 

122 - Monuments historiques inscrits ou classés – Imputation sans limite des déficits fonciers – Condition – Exclusion en cas de classement d’un élément isolé – Inclusion quand le classement protège l’ensemble architectural – Cas en l’espèce – Arrêt contraire – Annulation avec renvoi.

(31 décembre 2020, M. et Mme C., n° 431945) V. n° 13

 

123 - Impôt sur les sociétés de personnes – Remise en cause – Assujettissement à l’impôt sur les sociétés - Régime de la preuve – Conditions d’application de l’art. 209 du CGI – Annulation avec renvoi.

L’intérêt de la présente espèce tient à l’application à la matière fiscale d’un principe déjà connu dans les autres branches du contentieux.

Selon ce principe : « en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, s'il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits nécessaires au succès de sa prétention, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci ».

S’agissant pour un contribuable, comme ici, de justifier l'existence d'un déficit reportable et son montant, il lui incombe à ce titre de produire une comptabilité régulière et probante ou, à défaut, toute autre preuve extracomptable suffisamment probante.

Dès lors que le contribuable a produit une telle comptabilité, ses obligations probatoires cessent et il incombe alors à l'administration, le cas échéant, soit de critiquer les écritures ayant conduit à la constatation d'un déficit, soit de demander au contribuable de justifier de la régularité de ces écritures.

Il revient ensuite au juge de trancher en fonction des explications fournies par le contribuable et par l'administration.

La solution est d’un intérêt pratique certain car il est assez fréquent que le contribuable ne puisse qu’arguer de sa bonne foi ou de la correcte tenue des documents qu’il doit fournir ou présenter à l’administration fiscale.

(31 décembre 2020, SCI Calme, n° 428297)

 

124 - Impôt sur le revenu - Exonérations de cet impôt les salaires versés à certaines personnes de moins de 25 ans – Élèves ou étudiants en études secondaires ou supérieures – Limitation de l’exonération à un certain plafond – Exclusion du bénéfice de l’exonération de la rémunération de stages accomplis dans le cadre d’un cursus pédagogique – Rejet.

Si est cassé l’arrêt d’appel qui juge que le 36° de l’art. 81 du CGI qui exonère certains salaires ne s’applique qu’aux salaires perçus versés à des étudiants en vue de financer leurs études et à raison seulement d'emplois sans lien avec les stages prévus dans le cadre de ces études, en revanche, il résulte des art. L. 612-8 et L. 612-11 du code de l’éducation que la gratification mensuelle versée au stagiaire pour un stage accompli dans le cadre d’un cursus pédagogique scolaire ou universitaire ayant fait l'objet entre le stagiaire, l'entreprise d'accueil et l'établissement d'enseignement d'une convention, n'a pas le caractère d'un salaire au sens de l'article L. 3221-3 du code du travail. Elle n’entre donc pas dans le champ de l’exonération d’impôt sur le revenu prévue au 36° de l’art. 81 du CGI.

(31 décembre 2020, M. et Mme B., n° 430230)

 

Droit public économique

 

125 - Droit de l’agriculture – Classement de parcelles de vignes en zone d’appellation d’origine contrôlée (AOC) – Refus de classement d’une parcelle incluse dans l’aire parcellaire de vignobles AOC – Homologations de cahiers des charges d’appellations contrôlées – Légalité – Rejet.

Le requérant contestait que des parcelles lui appartenant, incluses dans l’aire parcellaire d’AOC, aient été exclues de ces appellations.

Pour rejeter le recours, le Conseil d’État relève que c’est sans erreur d’appréciation que les arrêtés homologuant les cahiers des charges des quatre AOC concernées (Montagne-Saint-Emilion, Bordeaux, Bordeaux supérieur et Crémant de Bordeaux) n’ont pas inclus les parcelles en cause dans ces appellations dès lors que, comme relevé par les expertises  « ces parcelles, aux sols sablo-argileux, sont situées en fond de vallon et présentent un profil concave, avec un mauvais écoulement des eaux et une grande abondance de prêles. Par ailleurs (…) la présence à l'est, le long du fossé bordant les parcelles, d'un masque végétal important composé d'une flore de milieu hydromorphe avec une ombre portée très importante sur les parcelles favorisent les risques de gel, des dégâts du gel ayant d'ailleurs déjà été observés sur ces parcelles, contrairement aux parcelles incluses dans l'aire parcellaire à proximité ». 

(16 décembre 2020, M. D., n° 432169, n° 432170, n° 432171, n° 432173, jonction)

 

126 - Logement – Changement d’usage – Modification soumise à autorisation administrative préalable (art. L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation) – Locaux d’habitation servant en partie à un usage professionnel non commercial – Nature de l’autorisation – Autorisation personnelle et non réelle (loi du 1er septembre 1948 modifiée, art. 60) – Rejet.

Est confirmé l’arrêt d’appel qui juge que l’autorisation administrative donnée au propriétaire indivis d’un logement à fin d’utilisation d’une partie de sa superficie à un usage professionnel non commercial est attachée à la personne qui a sollicité et obtenu cette autorisation non au local en cause. Il suit de là que tout nouvel occupant doit solliciter et obtenir cette autorisation dérogatoire.

(23 décembre 2020, M. C. et Mme A., n° 428800)

 

127 - Autorisation d’exploitation commerciale – Organismes habilités à délivrer un certificat de conformité des exploitations commerciales – Fixation de la date d’ouverture au public – Annulation partielle.

On retient de cette décision un seul aspect, celui relatif à la subordination du début de l’exploitation commerciale d’un bâtiment à l’achèvement des travaux autorisés.

Il résulte du c) du 2° de l'article R. 752-44-1 du code de commerce que la déclaration attestant l'achèvement et la conformité des travaux au permis de construire délivré pour la construction ou la transformation de l'immeuble devant faire l'objet de l'exploitation commerciale doit être jointe au certificat de conformité de l'équipement commercial à l'autorisation d'exploitation commerciale. Cette disposition a pour effet de subordonner le début de l'exploitation commerciale de cet équipement à l'achèvement des travaux autorisés, puisque, en application des deux premiers alinéas de l'article L. 752-23 du code de commerce, le certificat de conformité doit être transmis aux autorités administratives un mois avant la date de l'ouverture au public, sous peine que l'exploitation de l'équipement soit réputée illicite.

Or cette exigence constitue une condition non prévue par la loi car l'achèvement des travaux autorisés par le permis de construire n'est pas, en soi, une condition légale de l'autorisation d'exploitation d'un équipement commercial, laquelle requiert seulement la transmission aux autorités administratives compétentes du certificat de conformité de l'équipement à l'autorisation d'équipement commercial prévu par l'article L. 752-23 précité.

Cette partie de l’art. R. 752-44-1, divisible du reste du texte, est annulée

(29 décembre 2020, Conseil national des centres commerciaux, n° 433292 et n° 434451, jonction)

 

128 - Appellation d’origine protégée « Comté » – Cahier des charges de l’appellation interdisant l’utilisation d’un robot de traite – Légalité – Rejet.

Le groupement requérant contestait la légalité de la disposition du cahier des charges de l‘appellation protégée « Comté », homologuée par arrêté ministériel du 8 septembre 2017, interdisant l’utilisation d’un robot de traite des vaches dont le lait sert à la fabrication de cette variété de fromage.

Au terme d’une analyse très fouillée, le Conseil d’État juge légale cette interdiction qui vise à empêcher la réduction du temps de pâture, l’augmentation du taux de lipolyse du lait, l’amplification du développement de certains germes et le recours à des méthodes de nettoyage palliatives qui peuvent être mises en oeuvre par le robot de traite car elles sont susceptibles, par leur caractère systématique, d'être incompatibles avec un développement harmonieux de la bonne microflore du lait.

(31 décembre 2020, GAEC Jeanningros, n° 415751)

 

129 - Commission de régulation de l’énergie – Composante d'accès aux réseaux publics de distribution d'électricité pour la gestion de clients en contrat unique dans les domaines de tension HTA et BT – Tarifs d'utilisation de ces réseaux publics d'électricité – Composante d'accès aux réseaux publics de distribution du gaz naturel pour la gestion de clients en contrat unique à compter du 1er janvier 2018 – Tarifs péréqués d'utilisation des réseaux publics de distribution de gaz naturel – Rejet.

Le Conseil d’État rejette, une nouvelle fois, des décisions arrêtées par la Commission de régulation de l’énergie en matière d’accès aux réseaux publics de gaz et d’électricité et de fixation de divers tarifs d’utilisation desdits réseaux.

La décision est importante par ses enjeux financiers et pratiques.

Elle ne sera pas rapportée ici en raison de sa technicité. Le lecteur voudra bien se reporter directement à son texte.

(31 décembre 2020, Société Direct Energie, devenue Total Direct Energie, n° 416802, n° 416805, n° 419231, jonction)

 

130 - Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) – Intervention pour garantir une concurrence effective et loyale sur un marché – Détermination de la pertinence de ce marché – Obligation d’une consultation publique – Expiration du délai triennal (éventuellement prolongé) – Nouvelle consultation publique nécessaire – Analyse du marché de gros amont de la diffusion hertzienne de la télévision numérique terrestre – Prolongation du quatrième cycle de régulation du marché de gros amont de la diffusion hertzienne de la télévision numérique terrestre jusqu'au 17 décembre 2021 – Maintien jusqu'à cette date les obligations imposées à TDF par deux décisions antérieures de l’ARCEP – Annulation.

(31 décembre 2020, Société towerCast, n° 444751) V. n° 10

 

Droit social et action sociale

 

131 - Convention collective – Extension d’un avenant à un accord conclu dans ce cadre – Création par la loi du 8 août 2016 d’une commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation par branche – Absence de mesures transitoires – Délai raisonnable de mise en place – Régime juridique applicable selon les cas – Rejet.

Le litige portait sur le régime d’extension des avenants à une convention collective issue de la loi du 8 août 2016. Celle-ci a créé une commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation par branche (CPPNI) sans prévoir de mesures transitoires.

Précisément, le syndicat requérant demandait l’annulation de l’arrêté du ministre du travail portant extension d’un avenant à un accord conclu dans le cadre de la convention collective nationale de la plasturgie puisque cet avenant n’avait pas été soumis à l’examen de la CPPNI compétente. Le Conseil d’Etat, devant le vide résultant de l’absence de mesures transitoires prévues par la loi précitée, construit un système palliatif : si une CPPNI existe, l’extension d’un avenant sans saisine préalable de cette commission est illégale ; à défaut de création de cette commission dans un délai raisonnable - et c’est là l’innovation jurisprudentielle -, l’extension d’un avenant survenant durant ce délai raisonnable n’est pas, de ce seul fait, irrégulière. Tel a été le cas en l’espèce où, en outre, ont été consultées les instances paritaires existantes.

Le recours est, de ce chef, rejeté.

(3 décembre 2020, Syndicat national de la plasturgie, des composites, des bioplastiques et de la fabrication additive (Plastalliance), n° 419361)

 

132 - Convention collective – Notion de travail à temps partiel – Définition légale et définition conventionnelle – Cas des salariés affectés aux équipes de suppléance – Applicabilité des dispositions du code du travail régissant le temps partiel – Rejet.

La fédération requérante demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté de la ministre du travail portant extension d’un accord relatif aux équipes de suppléance conclu dans le cadre de la convention collective nationale de la plasturgie, en tant qu’il décide que l’une des dispositions de son annexe V est étendue « sous réserve de l'application des dispositions relatives au temps partiel aux salariés travaillant en équipe de suppléance, dès lors que le travail effectué est à temps partiel au sens de l'article L. 3123-1 du code du travail ».

Les équipes de suppléance, dont les membres ne peuvent avoir droit à congé hebdomadaire qu’en dehors du dimanche, sont destinées à remplacer leurs collègues au moment de leur repos hebdomadaire.

Le Conseil d’Etat rejette le recours en rappelant que selon l’article L. 3123-1 précité est à temps partiel le salarié dont la durée de travail est inférieure soit à la durée légale du travail prévue par la loi soit, lorsque la convention collective fixe une durée inférieure à la durée légale, lorsque son temps de travail est inférieur à celui fixé conventionnellement.

La convention collective nationale de la plasturgie prévoit, d’une part, que la durée hebdomadaire du travail est, conformément à la loi, de trente-cinq heures dans la branche, d’autre part, que « la durée quotidienne de travail des salariés affectés aux équipes de suppléance est de douze heures maximum (…) lorsque la durée de la période de recours à ces équipes n'excède pas quarante-huit heures consécutives ». 

La durée de travail des salariés d’équipes de suppléance est donc inférieure à la durée légale, sans que puisse y faire obstacle la circonstance que ces salariés sont amenés, parfois, à travailler à temps plein. Il suit de là que leur sont applicables, contrairement à ce que soutient la fédération syndicale requérante, les dispositions légales qui régissent le travail à temps partiel.

(3 décembre 2020, Fédération de la plasturgie et des composites, n° 427860)

 

133 - Logement social – Examen des candidatures à l’attribution d’un logement social – Commission créée par un accord entre le préfet et les organismes disposant d’un parc de logements sociaux – Décisions déclarant une personne prioritaire en vue de l’attribution d’un tel logement ou lui refusant cette qualité – Étendue du contrôle exercé par le juge administratif sur ces décisions – Contrôle plein et entier – Annulation avec renvoi.

Commet une erreur de droit la juridiction qui n’exerce sur la décision d’une commission chargée de déterminer le caractère prioritaire, ou non, d’une candidature à un logement social, qu’un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation, qui n’est qu’un contrôle restreint, alors qu’il lui incombe d’exercer sur une telle décision un contrôle plein et entier d’excès de pouvoir.

(23 décembre 2020, M. B., n° 428196)

 

134 - Transports publics – SNCF – Continuité du service public – Grève - Plan de prévisibilité de perturbations de trafic – Régime juridique – Détermination des catégories d’agents soumis à l’obligation de déclaration individuelle – Choix de ces catégories – Rejet.

Les fédérations requérantes demandaient l’annulation de la décision du 15 janvier 2019 du directeur de la cohésion et des ressources humaines du groupe public ferroviaire portant mise en oeuvre des dispositions de la loi du 21 août 2007 relative au dialogue social et à la continuité du service public en ce que cette décision a modifié, en étendant de trois à seize catégories d'agents, la liste des salariés qui sont tenus de faire connaître à leur employeur, la SNCF, SNCF Réseau ou SNCF Mobilités, leur intention de participer à une grève, telle qu'elle résultait du plan de prévisibilité initialement défini par l'employeur le 30 mai 2008, sur le fondement de l'article L. 1222-7 du code des transports. 

Les moyens de légalité interne retiennent surtout l’attention et cela sur trois points.

Était tout d’abord critiquée une extension du nombre de catégories d’agents soumis à l'obligation d'informer, au moyen d’une déclaration d’intention, le chef d'entreprise ou la personne désignée par lui, au plus tard quarante-huit heures à l'avance, de leur intention de participer à une grève sans que ces catégories aient été définies avec une précision suffisante. Le Conseil d’État, s’il ne conteste pas une certaine imprécision quant à la désignation de leur lieu d'affectation ou à la mention des métier, fonction et niveau de compétence ou de qualification, rejette cependant le grief car « il ressort des pièces des dossiers que leur désignation sous cette forme n'a pas fait obstacle à l'identification des agents auxquels elles se rapportaient et à leur examen lors de la négociation collective ». La motivation nous semble quelque peu sibylline.

Ensuite était contesté le bien-fondé du choix des catégories d’agents soumises à l’obligation de déclaration d’intention, le principe posé par le Conseil constitutionnel (16 août 2007, Loi sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs, n° 2007-556 DC) étant qu’il ne peut s’agir que des seuls salariés dont la présence détermine directement l'offre de services. Le juge décide qu’il en est bien ainsi en l’espèce après avoir examiné les caractéristiques des catégories litigieuses.

Enfin, concernant la déclaration individuelle d’intention de participer à une grève, aucune des critiques d’illégalité faites par les fédérations requérantes (choix par l’entreprise de deux seulement des cinq modalités prévues par l’accord collectif de prévisibilité des entreprises de transports ; prise en charge, en cas de déclaration téléphonique, par une plate-forme) n’est retenue.

(23 décembre 2020, Fédération des syndicats des travailleurs du rail - Sud Rail, n° 428717 ; Fédération nationale des travailleurs cadres et techniciens des chemins de fers français (Fédération CGT des cheminots), n° 428867, deux espèces, jonction)

 

135 - Droit de l’Union européenne – Allégements de cotisations salariales des pêcheurs – Qualification par la Commission européenne comme aides d’État incompatibles avec le marché commun – Récupération des aides par l’État français – Invalidité de la décision de la Commission constatée par la CJUE sur renvoi préjudiciel du Conseil d’État – Régime du remboursement du principal et des intérêts.

La Commission européenne avait considéré, dans une décision du 14 juillet 2004, que les allègements de charges sociales consentis par la France aux pêcheurs afin de remédier aux dommages causés par le naufrage du navire Erika le 12 décembre 1999 et par la tempête des 27 et 28 décembre 1999 constituaient des aides d’État incompatibles avec le marché commun et en a ordonné la récupération immédiate. La CJCE a constaté le manquement de la France à ses obligations pour n’avoir pas récupéré les aides illégales versées aux pêcheurs. En conséquence, a été émis un titre de perception à l’encontre de la compagnie requérante assorti des intérêts de retard. Ce titre de perception a été annulé, à la demande de la Compagnie des Pêches de Saint-Malo par le tribunal administratif et cette annulation a été confirmée en appel. Le ministre de l’agriculture s’est pourvu contre cet arrêt.

Le Conseil d’État a saisi la CJUE d’un renvoi préjudiciel.

Au terme de celui-ci, la Cour a jugé (17 septembre 2020, Compagnie des Pêches de Saint-Malo, aff. C-212/19) que la décision de la Commission, rendue en 2004, était invalide en raison de son erreur de droit ayant consisté à considérer que les allègements de cotisations salariales en cause étaient des mesures procurant un avantage aux entreprises de pêche en ce qu'elles auraient été dispensées de certaines charges qu'elles auraient normalement dû supporter alors que, les cotisations salariales n'étant pas supportées par les entreprises en leur qualité d'employeur, mais étant à la charge des salariés, ces derniers sont les bénéficiaires effectifs de ces allègements.

Tirant les conséquences de cet arrêt, le Conseil d’État juge illégal le titre de perception litigieux et ordonne la restitution du montant des allègements de cotisations salariales ainsi que le versement d’intérêts de retard dans les conditions de l’art. 1231-6 (ex.- 1153), du Code civil.

(30 décembre 2020, Compagnie des pêches de Saint-Malo et ministre de l’agriculture, n° 411507)

(136) Voir, identiques : 30 décembre 2020, Compagnie française du thon océanique, n° 411537 ; 30 décembre 2020, Société Armement Dhellemmes et ministre de l'agriculture et de l'alimentation, n° 411539 ; 30 décembre 2020, Société Scapêche Bretagne ouest et ministre de l'agriculture et de l'alimentation, n° 411540 ; 30 décembre 2020, Société Armement bigouden et ministre de l'agriculture et de l'alimentation, n° 4115405 ; 30 décembre 2020, Société Saupiquet et ministre de l'agriculture et de l'alimentation, n° 411547.

 

137 - Licenciement d’un salarié protégé – Autorisation préalable obligatoire de l’inspection du travail – Éléments susceptibles d’être pris en considération par cette dernière dans l’appréciation de l’adéquation de la faute à la sanction – Cas des antécédents disciplinaires – Annulation avec renvoi.

Commet une erreur de droit la juridiction qui pour dire irrégulière l’autorisation de licenciement d’un salarié protégé accordée par l’inspecteur du travail, retient que pour apprécier l’adéquation de la sanction à la gravité de la faute, celui-ci a, notamment, tenu compte de ses antécédents disciplinaires alors qu'ils n'ont pas donné lieu à sanction.

(29 décembre 2020, Société Groupe Services France (GSF), n° 427509)

(138) V. aussi, concernant la même entreprise, approuvant les juges du fond d’avoir estimé, sans erreur de droit ni de qualification juridique des faits, que la faute commise par un comptable n’était pas d’une gravité suffisante pour permettre de justifier son licenciement : 29 décembre 2020, Société Groupe Services France (GSF), n° 427511 ; Société Groupe Services France (GSF), n° 427512, deux espèces.

 

Élections – Financement de la vie politique

 

139 - Élections municipales du 15 mars 2020 – Dépouillement hors la présence d’électeurs – Procès-verbal des opérations électorales établi en dehors de la salle et sans présence du public – Irrégularités entraînant l’annulation.

Doivent être annulées en leur totalité des opérations électorales municipales au terme desquelles il a été procédé au dépouillement des enveloppes et à la rédaction du procès-verbal hors la présence du public, laquelle n’était pas – même réduite pour cause d’épidémie – impossible.

Cette annulation est prononcée alors même qu’aucune réclamation n’a été portée au procès-verbal et que ces irrégularités ne sont constitutives ni d’une fraude ou tentative ni de manœuvres.

(11 décembre 2020, Mme G. et autres, n° 445424)

(140) V. aussi, relatif à d’autres sortes d’irrégularités et rejetant le recours : 30 décembre 2020, Élections municipales de Mont-Saint-Jean, n° 444891.

 

141 - Élections du maire, de ses adjoints et d’un maire délégué – Recours en annulation – Mémoire en intervention de la commune – Irrecevabilité – Rejet.

Il résulte des dispositions combinées des art. L. 248 et L. 250 du code électoral que, dans un contentieux électoral, faute de justifier d'un intérêt propre, une commune ne peut avoir, quand bien même elle aurait été mise en cause dans l'instance, ni la qualité de partie, ni celle d'intervenant, ce qui rend irrecevable son intervention dans la procédure.

(30 décembre 2020, Élections du maire, de ses adjoints et d’un maire délégué de la commune de Theix-Noyalo, n° 445050)

 

142 - Élections municipales du 15 mars 2020 – Taux d’abstention très élevé – Crainte du Coronavirus – Commissariat de police fermé rendant difficiles les procurations – Atteinte à la sincérité du scrutin – Rejet.

Saisi de protestations contre les résultats de l’élection municipale s’étant déroulée dans une commune du Var en période d’épidémie, le Conseil d’État les rejette en dépit d’un taux d’abstention très élevé, des difficultés à établir et à transmettre des procurations du fait de la fermeture du commissariat de police, de l’absence d’un grand nombre de personnes âgées parmi les participants au scrutin, aucun de ces éléments pris séparément et tous ensemble ne permettant pas d’établir qu’il a été ainsi porté atteinte à la sincérité du scrutin.

(16 décembre 2020, Élections municipales de Sanary-sur-Mer, n° 442351)

(143) V. aussi, assez semblable : 29 décembre 2020, Élections municipales de Dannemarie, n° 443688.

(144) V. également, voisin mais où l’argument du niveau du taux d’abstention était faible : 29 décembre 2020, Élections municipales de Saint-Chély d’Apcher, n° 442566.

(145) V. encore, à propos de cette commune, le rejet du grief tiré de ce qu’une inéligibilité aurait été de nature à porter atteinte à la sincérité du scrutin : 29 décembre 2020, Élections municipales de Saint-Chély d’Apcher, n° 442928.

 

146 - Élections municipales – Jugement n’ayant ni modifié ni annulé les résultats – Impossibilité pour un protestataire non partie en première instance d’interjeter appel de ce jugement – Rejet.

Rappel d’une règle classique du contentieux électoral : lorsque le jugement modifie ou annule les résultats de l’élection tout électeur, même non protestataire en première instance, peut interjeter appel, en revanche lorsqu’il ne procède ni à leur modification ni à leur annulation, seuls peuvent former appel ceux des électeurs qui étaient déjà protestataires en première instance.

(29 décembre 2020, Élections municipales de Villers-Faucon, n° 445244)

 

147 - Élections municipales – Vote d’un électeur non inscrit sur la liste électorale – Méthode de l’annulation hypothétique – Absence de majorité absolue pour deux candidats proclamés élus à l’issue de premier tour – Annulation – Rejet.

Dans l’impossibilité de déterminer sur qui s’est porté le suffrage d’une personne ayant voté alors qu’elle n’était pas inscrite sur la liste électorale de la commune, il convient de retrancher hypothétiquement une voix à chacun des candidats parmi celles qu’il a obtenues. En l’espèce, où la majorité requise pour être élu au premier tour était de 127 voix, deux candidats proclamés élus ne disposait plus, chacun, après déduction hypothétique, que de 126 voix : leur élection a été à bon droit annulée par le tribunal administratif.

(29 décembre 2020, Élections municipales de Nogent-sur-Eure, n° 445256)

 

148 - Établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre – Élections des membres du bureau – Élections devant suivre le renouvellement général des conseils municipaux - Désignation non concomitante du président et des vice-présidents – Absence d’irrégularité – Rejet.

De ce que les dispositions de l’art. L. 5211-6 du CGCT prévoient que l'ordre du jour de la première réunion de l'organe délibérant des EPCI  à fiscalité propre suivant le renouvellement général des conseils municipaux doit comporter l'élection du président et celle des vice-présidents et des autres membres du bureau, il n'en résulte pas que la régularité de l'élection du président serait subordonnée à la condition qu'il soit effectivement procédé, au cours de la même séance, au scrutin portant sur l'élection des vice-présidents et des autres membres du bureau, ces différents scrutins demeurant distincts les uns des autres.

(29 décembre 2020, Election du président de Grenoble-Alpes Métropole, n° 443524)

 

Environnement

 

149 - Projets soumis à évaluation environnementale – Organisation d’une concertation préalable sous l’égide d’un garant – Substitution, à titre expérimental, d’une participation du public par voie électronique à l’enquête publique –– Absence de motif à renvoyer une QPC – Rejet.

Les recours tendaient à l’annulation du décret du 24 décembre 2018 pris en application des articles 56 et 57 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un Etat au service d'une société de confiance car, d’une part, ces articles législatifs seraient inconstitutionnels entachant de ce fait la légalité du décret qui les applique et, d’autre part, ce décret serait lui-même entaché d’illégalités.

Étaient encore demandés, dans ce cadre juridique, les renvois d’une QPC dirigée contre la loi et d’une question préjudicielle à la CJUE sur la compatibilité du décret attaqué tant avec les objectifs de la convention d’Aarhus qu’avec la directive du 13 décembre 2011, concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement et modifiée en 2014, afin de garantir la participation effective du public à un stade précoce des procédures décisionnelles.

L’art. 56 de la loi de 2018 permet à titre expérimental, dans certaines régions et pour une durée limitée, que la procédure de délivrance de l'autorisation environnementale, lorsque le projet a donné lieu à une concertation préalable sous l'égide d'un garant puisse être remplacée par une participation du public par voie électronique.

Examinant les différents moyens, le juge les rejette tous.

Tout d’abord, n’est pas retenue la demande de renvoi d’une QPC dès lors :

1° que l’institution d’une procédure expérimentale est prévue à l’art. 37-1 de la Constitution et que, le juge ajoutant cette double condition ici, l'objet et les conditions de cette expérimentation sont définis de façon suffisamment précise et ne méconnaissent pas les autres exigences de valeur constitutionnelle, comme c’est le cas de l’art. 56 attaqué ;

2° qu’eu égard aux conditions dans lesquelles la concertation préalable est organisée, au rôle du garant et aux conditions de la participation du public par voie électronique, il n’est pas porté atteinte à l’art. 7 de la Charte de l’environnement ;

3° que l’ensemble de la procédure ainsi organisée ne prive pas les personnes intéressées d'exercer un recours contre les autorisations environnementales prises dans le cadre de l'expérimentation, y compris en référé, il n’est pas, non plus, porté atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration de 1789.

Ensuite, s’agissant du contenu du décret

Le juge rejette l’argument de méconnaissance de la directive du 13 décembre 2011 en ce qu’il ne prévoirait pas pour la procédure de participation du public un tiers indépendant analogue au commissaire-enquêteur existant dans d’autres procédures, un tel tiers n’étant pas prévu par le droit de l’Union.

Il considère par ailleurs  « que les dispositions législatives et réglementaires critiquées organisent un ensemble de modalités qui offrent au public concerné une possibilité effective d'exercer ses droits à l'information et à la participation au processus décisionnel portant sur la demande d'autorisation environnementale faisant l'objet de l'expérimentation en cause, y compris lorsqu'il ne dispose pas personnellement d'une connexion internet ou n'est pas familier avec l'usage de cette technologie ».

De là découle également la non-contrariété de cette procédure aux art. 1er, 3 et 6 § 7 de la convention d’Aarhus contrairement à ce que soutenaient les requérantes.

(17 décembre 2020, Association Fédération environnement durable et autres, n° 427389 ; Association Greenpeace France, n° 428380, jonction)

 

150 - Installation d’éoliennes – Évaluation environnementale – Exigences jurisprudentielles tirées de l’art. 6 de la directive du 27 juin 2001 – Même direction régionale ayant instruit la demande d’autorisation et préparé l’avis de l’autorité environnementale – Absence d’autonomie réelle – Cassation avec renvoi.

Commet une erreur de droit l’arrêt qui juge respectées les exigences de l’art. 6 de la directive européenne du 27 juin 2001 (concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement) modifiée par celle du 13 décembre 2001, telle qu’interprétée par le juge européen (CJUE 20 octobre 2011, Department of the Environment for Northern Ireland contre Seaport (NI) Ltd et autres, aff. C-474/10) à l’occasion de l’autorisation d’implantation de cinq éoliennes et de deux postes de livraison alors que si l'avis de l'autorité environnementale avait été émis par le préfet de région et la décision attaquée avait été prise par le préfet de département, l’un et l’autre avaient été, le premier préparé et la seconde instruite par la même direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement.

Les deux procédures étaient donc sans autonomie réelle, en particulier l’avis de l’autorité gouvernementale, en contravention avec les dispositions de l’art. 6 précité.

(30 décembre 2020, Association Les Robins des bois de la Margeride, n° 439753)

 

151 - Oiseaux sauvages – Espèce en mauvais état de conservation – Classée en catégorie vulnérable - Cas du courlis cendré – Chasse autorisée à nouveau à partir de 2012 sur le domaine public maritime – Absence d’élément scientifique justifiant une telle reprise – Violation des art. L. 424-1 et R. 424-14, du code l’environnement – Méconnaissance des objectifs de la directive du 30 novembre 2009 – Annulation.

L'arrêté du ministre de la transition écologique et solidaire du 31 juillet 2019 relatif à la chasse du courlis cendré en France métropolitaine pour la saison 2019-2020 est annulé à raison de son illégalité en ce qu’il autorise la chasse au courlis cendré alors que cet oiseau figure dans la liste officielle des oiseaux sauvages (B de l’annexe I à la directive du 30 novembre 2009), que cette espèce est en mauvais état de conservation, que le courlis cendré appartient à la catégorie des oiseaux vulnérables et que l’absence de données scientifiques disponibles sur cette espèce et sa conservation ne permettent pas de s'assurer que la chasse est compatible avec le maintien de la population et respecte une régulation équilibrée de l'espèce du point de vue écologique.

Au surplus, le ministre défendeur ne fournit aucun élément scientifique de nature à justifier sa décision en dépit des données contraires susmentionnées.

(17 décembre 2020, Association LPO France, n° 433432)

 

152 - Projet de travaux affectant l’environnement animal ou végétal – Interdiction de principe – Conditions restrictives de dérogation – Projet d’aménagement de la déviation d’une route départementale – Rejet.

Dans la présente affaire il est fait le rappel d’une jurisprudence bien établie concernant la réalisation de travaux susceptibles d’affecter la conservation d’espèces animales ou végétales et de leurs habitats.

Les requérants contestaient la légalité de l’arrêté préfectoral autorisant un département à réaliser et à exploiter les ouvrages et aménagements rendus nécessaires par la déviation d’un tronçon de route départementale et, pour ce faire, à déroger à l'interdiction de destructions d'espèces et d'habitats d'espèces animales protégées et de destruction d'espèces végétales protégées.  Leur demande de suspension ayant été rejetée en première instance, ils se pourvoient, en vain, le Conseil d’État rejetant leur demande.

Celui-ci rappelle les principes méthodologiques qu’il convient de mettre en œuvre en pareil cas.

En principe, il résulte des art. L. 411-1 et L. 411-2 du code de l’environnement qu'un projet de travaux, d'aménagement ou de construction d'une personne publique ou privée susceptible d'affecter la conservation d'espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats ne peut être autorisé.

Toutefois, à titre dérogatoire, un tel projet peut être réalisé :

1° positivement, que s'il répond, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, tels que notamment le projet urbain dans lequel il s'inscrit, à une raison impérative d'intérêt public majeur ;

2° négativement, si, d’une part, eu égard aux atteintes portées aux espèces protégées appréciées en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, il n'existe pas d'autre solution satisfaisante et si, d'autre part, cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.

Appliquant aux faits de l’espèce cette ligne méthodologique, le juge de cassation, comme le premier juge, relève que l’ensemble des conditions susrappelées ayant été respectées par les autorités chargées de ce dossier, aucun doute sérieux n’existe concernant la légalité de l’arrêté préfectoral attaqué.

(ord. réf. 17 décembre 2020, Association Natur'Jalles, n° 439201)

 

153 - Forêts – Forêts de protection – Régime spécial applicable à ces forêts – Décret du 6 avril 2018 – Dispositions relatives aux fouilles et sondages archéologiques ainsi qu’à la recherche et à l'exploitation souterraine de gisements d'intérêt national de gypse – Absence d’illégalité sauf sur un point – Annulation très partielle.

La requérante poursuivait l’annulation du décret du 6 avril 2018 en celles de ses dispositions relatives, d’une part, aux fouilles et sondages archéologiques et, d’autre part, à la recherche et à l'exploitation souterraine de gisements d'intérêt national de gypse. Il soutenait qu’il était ainsi porté atteinte au principe de protection des forêts placées sous ce régime, à la destination forestière des terrains, à la fixation à six hectares des périmètres de recherche et d’exploitation des gisements de gypse, au principe de non-régression (art. L. 110-1 c. environnement.).

Le Conseil d’État rejette le recours pour l’essentiel. Il estime que les précautions prises, les limitations et les contrôles imposés, la surveillance constante par le préfet, l’absence de nouvelle limitation du droit de propriété, etc. excluent tout grief d’illégalité.

Sur un point cependant, le recours est admis car le Conseil d’État juge que le deuxième alinéa du nouvel article R. 141-38-4 du code forestier, en tant qu’il prévoit que les prescriptions que le préfet peut imposer à une opération de fouille ou de sondage autorisée avant le classement, lorsque ces prescriptions se révèlent nécessaires compte tenu de l'incidence de l'opération sur la stabilité des sols, la végétation forestière ou les écosystèmes forestiers, doivent être « proportionnées afin de ne pas compromettre l'opération ». En effet, le décret est, sur ce point, illégal : il n’impose une condition de proportionnalité qu’au regard des seuls besoins de l'opération de fouille ou de sondage et méconnaît la nécessité de veiller aussi à ne pas compromettre la conservation ou la protection des boisements (cf. art. L. 141-2 du code forestier).

(18 décembre 2020, Association Forestiers du monde, n° 424290)

 

154 - Nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement – Décret modificatif de cette nomenclature – Fixation des seuils de soumission à un régime d’autorisation – Atteinte au principe de non-régression – Rejet sauf sur un point.

Par ces deux recours joints était demandée, pour l’essentiel, l’annulation d’un décret du 22 octobre 2018 modifiant la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement, spécialement en tant qu'il modifie les rubriques 2120, 2140, 2220, 2260, 2515-1 et 2731-3 de la nomenclature en fixant des seuils inadaptés de soumission au régime de l'autorisation.

La totalité des griefs de légalité externe est rejetée ainsi que la plupart des griefs touchant à la légalité interne.

Ainsi, est notamment rejeté l’argument tiré de la méconnaissance par le décret attaqué de la directive européenne du 13 décembre 2011 relative à l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement en ce qu'il soumet des activités au régime de l'enregistrement prévu aux articles L. 512-7 et suivants du code de l’environnement, alors que l'examen au cas par cas de la nécessité d'une évaluation environnementale que comporte ce régime ne satisfait pas aux objectifs de cette directive, d'une part, parce que cet examen est effectué par le préfet par ailleurs compétent pour statuer sur la demande d'autorisation, d'autre part, parce ce qu'il ne prend pas en compte l'ensemble des critères définis dans l'annexe III de la directive, visant à déterminer si le projet d'exploitation doit faire l'objet d'une évaluation de ses incidences sur l'environnement. Le Conseil d’État rejette donc la question préjudicielle qu’il lui était demandée de ce chef de renvoyer à la CJUE

Semblablement, contrairement à ce qui était soutenu devant lui, le juge estime que le décret attaqué ne méconnaît pas le principe de non-régression de la protection de l’environnement en soumettant au régime de l'enregistrement des installations jusqu'alors soumises au régime de l'autorisation.

Toutefois, le juge impose en ce cas que soit rapportée la preuve que les projets ainsi nouvellement exemptés de toute évaluation environnementale ne sont pas susceptibles, eu égard à leur nature, à leurs dimensions et à leur localisation et compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine.

C’est précisément sur ce point qu’est prononcée une annulation dans la mesure où l’administration n’a pas fait état, s’agissant du tableau annexé à l’art. R. 122-2  du code de l’environnement, d'éléments permettant d'établir que ces installations ne font pas courir de risque à l'environnement ou à la santé humaine ou que la nature d'un tel risque a changé ou que la procédure de déclaration, exempte de toute évaluation environnementale, offrirait une protection équivalente à celle qu'assurait la procédure d'autorisation.

(29 décembre 2020, Association One Voice, n° 426528 ; Association France Nature Environnement, n° 429429, jonction)

(155) V. aussi, voisin mais rejetant le recours : 30 décembre 2020, Association Celene, n° 440144.

 

156 - Délimitation des zones vulnérables aux pollution par les nitrates – Procédure précédant l’arrêté préfectoral de délimitation – Phase d’élaboration d’un projet de concertation – Phase de consultation sur le projet de délimitation des zones vulnérables – Représentation des organisations professionnelles agricoles – Entités distinctes des chambres d’agriculture – Rejet.

Ne commet pas d’erreur de droit la cour administrative d’appel qui juge qu’au cours  de la procédure d'élaboration de l'arrêté par lequel le préfet coordonnateur de bassin procède à la délimitation des zones vulnérables aux pollutions par les nitrates si les organisations professionnelles agricoles sont représentées en tant que telles lors de la première phase de cette procédure, c’est-à-dire la phase d'élaboration d'un projet en concertation, en revanche elles ne le sont pas au cours de la seconde phase, celle de consultation portant sur le projet de délimitation des zones vulnérables car les organisations professionnelles agricoles, bien que représentées au sein des chambres d'agriculture ne peuvent être assimilées à ces dernières pour la mise en oeuvre de cette procédure dès lors que les chambres d'agriculture constituent des organismes professionnels distincts des organisations professionnelles agricoles.

L’absence de consultation de ces dernières les a privées d'une garantie et a donc été susceptible d'exercer une influence sur le sens de l'arrêté contesté, d’où le bien-fondé de son annulation.

(29 décembre 2020, Ministre de la transition écologique c/ commune de Rambaud et autres, n° 431544)

 

État-civil et nationalité

 

157 - Acquisition de la nationalité française – Date d’appréciation des faits – Refus d’octroi – Rejet.

Reconnaissant comme d’ordinaire un large pouvoir d’appréciation aux autorités compétentes, le Conseil d’État estime dans le présent dossier de refus d’octroi de la nationalité française, d’une part, que le refus peut être fondé sur des faits antérieurs à la date à laquelle le préfet primitivement saisi a opposé un refus à cette demande, d’autre part,  que la circonstance que le demandeur était, à la date de la décision attaquée, débiteur envers son bailleur et alors même qu’il respectait l'échéancier de remboursement fixé par le juge judiciaire justifiait le refus opposé.

La solution est sévère à en juger par son motif.

(14 décembre 2020, M. A., n° 432778)

(158) V. aussi, pour un rejet de refus d’octroi de la nationalité à une personne ayant commis plusieurs condamnations pénales assorties de peines d’emprisonnement : 14 décembre 2020, Mme B., n° 443466 ou encore, très voisin : 18 décembre 2020, M. B., n° 440365.

(159) V. également, relatifs au rejet d’un recours contre le décret retirant la nationalité française :

- à un ressortissant égyptien qui n’avait pas signalé à l’administration l’existence d’une union qui avait été verbalement dissoute en Égypte ainsi que des six enfants nés de cette union : 14 décembre 2020, M. B., n° 439163.

- à un ressortissant comorien pour déclaration mensongère sur sa situation familiale : 14 décembre 2020, M. A., n° 440975 ;

- semblablement pour une ressortissante tunisienne : 14 décembre 2020, Mme A., n° 441987 ;

- à un ressortissant ivoirien prétendant qu’il ignorait avoir des enfants au moment de sa déclaration alors que certains ont été reconnus par lui antérieurement à la date de cette déclaration : 14 décembre 2020, M. A., n° 441193.

- à un ressortissant algérien ayant dissimulé sa situation familiale réelle : 18 décembre 2020, M. A., n° 441137 ;

 

160 - Français ayant une nationalité étrangère – Demande de libération de ses liens d’allégeance avec la France – Décision administrative individuelle notifiée à son destinataire ou dont celui-ci a eu connaissance – Délai raisonnable de recours contentieux – Délai fixé de façon prétorienne à trois ans à compter de la publication du décret ou de la date de la majorité du requérant – Condition non remplie - Rejet.

Combinant le principe de sécurité juridique et celui du régime des recours contre une décision administrative individuelle dépourvue d’indications relatives aux voies et délais du recours contentieux dont elle pourrait faire l’objet, le Conseil d’État rappelle la solution prétorienne consistant à enfermer le recours dans un délai raisonnable lequel a, ici, une durée de trois ans décomptée à partir de la date de publication du décret ou, si elle est plus favorable, à compter de l’âge de la majorité.

Ce délai était largement expiré dans cette affaire, d’où le rejet.

(18 décembre 2020, Mme C., n° 440336)

(161) V. aussi, très semblable : 18 décembre 2020, Mme D., n° 440337.

 

Fonction publique et agents publics

 

162 - Fonctionnaires – Nouvelle bonification indiciaire (NBI) – Conditions d’attribution (loi du 18 janvier 1991, art. 27) – Intégration dans le corps des adjoints administratifs – Refus d’attribution de la NBI – Recours contentieux rejetés – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.

Intégrée en 2007 dans le corps des adjoints administratifs, la requérante s’est vu opposer un refus à sa demande d’attribution de la NBI. Elle a saisi en vain le tribunal administratif et la cour administrative d’appel ; elle se pourvoit.

Le Conseil d’Etat énonce d’abord un principe important et souvent inaperçu en raison de que la NBI est versée dans la limite des crédits disponibles, de ce qu’est plafonné le nombre maximum d’emplois pouvant en bénéficier et, surtout, de ce qu’elle est répartie (pour ne pas écrire « éclatée ») par cadres et par départements : l’octroi de la NBI est soumis au principe d’égalité. D’où cette conséquence qu’énonce le juge : « (…) les agents qui occupent effectivement des emplois correspondant aux fonctions ouvrant droit à la nouvelle bonification indiciaire et qui comportent la même responsabilité ou la même technicité particulières bénéficient de la même bonification ».

Les premiers juges, pour rejeter la requête dont ils étaient saisis, ont considéré que l’arrêté interministériel contesté par la requérante n'avait pas fixé d'emplois d'adjoint administratif susceptibles de bénéficier de la nouvelle bonification indiciaire dans le département de la Haute-Garonne. Etait ainsi commise une erreur de droit car les juges devaient rechercher si ce refus était justifié par une différence objective dans l'exercice des fonctions, en termes de responsabilité ou de technicité particulières, avec les autres agents occupant un emploi comparable dans d'autres départements.

(2 décembre 2020, Mme D., n° 430745)

 

163 - Ouvriers de l’Etat – Emploi sur une base militaire – Validation de trimestres pour le calcul du droit à pension – Trimestres réputés cotisés en période de chômage – Limitation de leur nombre à quatre – Erreur de droit – Cassation dans cette mesure avec renvoi.

Commet une erreur de droit le jugement qui, pour déterminer le nombre total de trimestres cotisés par une ouvrière de l’Etat en vue de la constitution de ses droits à pension, retient huit trimestres comme validés au titre d’une période de chômage alors que le 6° du II de l’art. D. 16-2 du code des pensions civiles et militaires de retraite limite à quatre au maximum le nombre de trimestres pouvant être pris en compte à ce titre.

(2 décembre 2020, Mme A., n° 437941)

 

164 - Surveillants pénitentiaires – Demande d’un syndicat de surveillants de participer à la consultation en vue des campagnes de mobilité – Injonction en ce sens par le juge du référé liberté – Confirmation par le juge d’appel en l’état d’une atteinte à une liberté fondamentale et alors qu’il y a urgence.

Un syndicat des agents pénitentiaires a demandé à être associé, comme d’autres syndicats, aux réunions au cours desquelles sont discutées les candidatures à l’un des emplois de surveillant pénitentiaire ouvert à la mutation.

Du fait de la suppression du rôle des commissions administratives paritaires en matière de mutation par la loi du 6 août 2019, où siégeaient les représentants syndicaux, il a été décidé, à titre transitoire, de consulter de manière informelle les organisations syndicales représentées au comité technique ministériel. Pour cela, ont été regardées comme représentatives les organisations syndicales disposant d'au moins un siège au sein du comité technique ministériel ou de tout autre comité technique dont relève l'agent. Or le syndicat requérant en première instance,  le syndicat pénitentiaire des surveillants non gradés, qui dispose d'un siège au comité technique de l'administration pénitentiaire, n’a pas été invité à participer.

Alors même qu’il instituait une procédure spontanée de consultation, le garde des sceaux ne pouvait se dispenser de respecter le principe d’égalité en réservant le bénéfice des informations individuelles relatives à la mutation des surveillants à une partie seulement des organisations syndicales membres du comité technique ministériel ou du comité technique de l'administration pénitentiaire. Le garde des sceaux a ainsi porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté syndicale et au principe de non-discrimination entre organisations syndicales, qui ont le caractère de libertés fondamentales au sens et pour l’application de l'article L. 521-2 du CJA. 

(2 décembre 2020, Ministre de la justice, n° 446507)

 

165 - Fonctionnaire militaire radié des cadres sur sa demande – Intégration dans le corps des agents techniques du ministère de la défense – Régime du reclassement – Application du régime le plus favorable – Rejet.

Ne commet pas d’erreur de droit ni ne dénature les pièces du dossier qui lui était soumis la cour administrative d’appel qui juge qu’un militaire radié, sur sa demande, des cadres de l'armée à compter de la date de sa nomination dans le corps des agents techniques du ministère de la défense, doit être reclassé dans celui-ci sur le fondement des règles fixées par l'article R. 4139-5 du code de la défense, auxquelles renvoie le II de l'article 4 du décret du 29 septembre 2005, et non, comme le soutient la ministre défenderesse, en application de celles de l'article 5 de ce décret, qui étaient applicables aux anciens militaires et qui lui étaient moins favorables et en en déduisant que l'intéressé pouvait ainsi bénéficier de la conservation, à titre personnel, de son traitement antérieur en application des dispositions du dernier alinéa de l'article R. 4139-5 du code de la défense.

(18 décembre 2020, Ministre des armées, n° 433781)

 

166 - Enseignante-stagiaire – Agent inspecté durant l’année probatoire imputant l’apparition d’un syndrome anxio-dépressif à cette inspection – Imputabilité au service de la maladie – Rejet.

Pour confirmer le jugement rejetant l’imputabilité au service du syndrome dépressif dont se plaint une enseignante stagiaire qui l’attribue à l’inspection dont elle a fait l’objet pendant son temps de probation, le Conseil d’Etat relève, notamment, des arrêts de travail antérieurs à l’inspection litigieuse et reposant sur le même motif médical ainsi que l’avis d’un expert psychiatrique estimant que l’état dépressif ne pouvait pas être la conséquence de l’inspection.

(3 décembre 2020, Mme B., n° 429611)

 

167 - Secrétaire général d’un établissement public administratif – Condamnation pénale – Interdiction d’exercer un emploi public – Reclassement impossible – Annulation de la radiation de cet agent – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

Le secrétaire général d’une chambre départementale des métiers et de l’artisanat, qui est un établissement public administratif, est condamné par un jugement correctionnel assorti de l’exécution provisoire, pour détournement de fonds publics par une personne chargée d'une mission de service public et prise illégale d'intérêt, à  une peine d'emprisonnement avec sursis, à une amende et à la peine complémentaire d'interdiction d'exercer pendant une durée d'un an l'activité professionnelle ayant permis la commission de l'infraction. Son employeur, la chambre des métiers, a mis fin à ses fonctions et l’a radié de ses effectifs. Il a, en outre, rejeté la demande de l’intéressé afin d’être réintégré à l’issue de la période d’interdiction.
Le juge de première instance a rejeté le recours formé contre cette décision mais la cour administrative d’appel a annulé ledit jugement. Elle a considéré tout d’abord que la condamnation pénale, bien qu'assortie de l'exécution provisoire, n'était pas définitive et, ensuite, que la peine complémentaire d'interdiction d'exercice pendant un an de l'activité professionnelle ayant permis la commission de l'infraction n'impliquait pas une rupture définitive et automatique de tout lien de l'intéressé avec le service ; une procédure disciplinaire pouvait, par exemple, être engagée contre lui à raison de ces faits.

Sur pourvoi de la chambre des métiers concernée, le Conseil d’État a annulé l’arrêt déféré à sa censure car, en premier lieu, « l'autorité administrative est tenue de tirer les conséquences que doit emporter la condamnation pénale exécutoire d'un agent à une peine d'interdiction d'exercer un emploi public, même en l'absence de disposition de son statut prévoyant cette hypothèse » et, en second lieu,  compte tenu de sa condamnation pour détournement de fonds publics par une personne chargée d'une mission de service public et prise illégale d'intérêt et de la nature de l'emploi de secrétaire général de l'établissement public qu'il occupait, l’intéressé ne pouvait bénéficier d'une mesure de reclassement sur un autre emploi au sein de la chambre quand bien même il aurait été suspendu en vue de l'exercice de poursuites disciplinaires.

La solution doit être approuvée.

(10 décembre 2020, Chambre des métiers et de l'artisanat des Vosges, n° 437034)

 

168 - Emploi supérieur à la décision du gouvernement – Directeur d’une agence régionale de santé (ARS) – Décret mettant fin à ses fonctions – Mesure prise en considération de la personne – Obligation d’informer l’intéressé préalablement à la décision le visant – Violation de la loi du 22 avril 1905, art. 65 – Annulation.

Si le pouvoir exécutif peut mettre à tout moment fin aux fonctions exercées dans un emploi supérieur à la décision du gouvernement, tel ici celui de directeur d’une ARS, une telle mesure, prise en considération de la personne, doit être précédée de la communication de son dossier à la personne révoquée.

Comme il l’avait déjà jugé, dans des conditions assez comparables à propos du limogeage express d’un recteur d’académie (26 février 2014, Roland Debbasch, n° 364153), le Conseil d’État considère que n’a pas été, en l’espèce, une information suffisante l’appel téléphonique à l’intéressé le matin où se déroulait un conseil des ministres qu’était inscrit à son ordre du jour un décret mettant fin à ses fonctions et nommant son successeur. Le Conseil d’État précise en outre que les éléments avancés par le ministre défendeur pour justifier cette précipitation (l'urgence qui se serait attachée à la cessation des fonctions de l'intéressé, en raison notamment du retentissement médiatique de certaines de ses déclarations ; les circonstances exceptionnelles liées à la crise sanitaire et le rôle dévolu à l'agence régionale de santé pour y faire face) ne pouvaient légalement le dispenser de fournir l’information préalable requise par la loi.

(10 décembre 2020, M. Christophe Lannelongue, n° 441035)

 

169 - Fonction publique territoriale et fonction publique hospitalière – Allocation temporaire d’invalidité – Alignement sur la fonction publique d’État – Détermination de l’éligibilité à ce régime et du taux applicable – Recours au barème indicatif du code des pensions civiles et militaires de retraite non à celui du code de la sécurité sociale – Rejet.

L’article L. 417-8 du code des communes maintenu expressément en vigueur par le III de l’art. 119 de la loi du 26 janvier 1984, dispose que les agents entrant dans le champ de ses dispositions peuvent bénéficier d'une allocation temporaire d'invalidité dans les mêmes conditions que celles requises pour les fonctionnaires de l'État.

Le Conseil d’État estime que l'article 5 du décret du 2 mai 2005, relatif à l'attribution de l'allocation temporaire d'invalidité aux fonctionnaires relevant de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière, doit être interprété à la lumière de l'article 1er du décret du 6 octobre 1960 applicable aux fonctionnaires de l'État.

Or ce dernier texte impose à l'administration de tenir compte du barème indicatif prévu à l'article L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite à la fois pour déterminer l'éligibilité à l'allocation temporaire d'invalidité et pour le calcul de son montant. Par suite, l'administration, lorsqu'elle vérifie si les fonctionnaires justifiant se trouver dans les cas prévus aux b et c de l'article 2 du décret du 2 mai 2005 remplissent les conditions mentionnées aux articles L. 461-1 et L. 461-2 du code de la sécurité sociale afin de déterminer leur éligibilité à l'allocation temporaire d'invalidité, doit se référer au barème indicatif prévu à l'article L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite, et non aux barèmes indicatifs prévus à l'article R. 434-32 du code de la sécurité sociale. 

La solution est claire, elle n’allait cependant pas de soi.

(18 décembre 2020, M. A., n° 436461)

 

170 - Fonctionnaires et agents publics – Président d’un office public de l'habitat (OPH) – Révocation accompagnée de sanctions complémentaires – Sanction devant être infligée dans un délai raisonnable – Cas en l’espèce – Rejet.

La présente décision innove en précisant que la sanction infligée à un agent public doit intervenir dans un « délai raisonnable » à partir du moment de la commission des actes qui fondent ladite sanction. Sans fixer cette durée raisonnable, le juge relève cependant dans la présente affaire, eu égard aux circonstances particulières de l’espèce, que le délai d'un peu plus d'une année qui s'est écoulé entre la transmission de la proposition de l'agence nationale de contrôle du logement social (ANCOLS) et la sanction litigieuse n'a pas revêtu un caractère déraisonnable susceptible de l'entacher d'illégalité. D’où il faut déduire qu’en principe ce délai est d’un an.

(23 décembre 2020, M. A., n° 433666)

 

171 - Fonctionnaires – Mesures tendant à favoriser, par voie de détachement, la mobilité intra-fonctions publiques des fonctionnaires – Prise en compte des avancements d’échelon et de grade obtenus dans le cadre d’emplois de détachement – Bénéfice limité aux seules trois fonctions publiques françaises – Inapplication à un détachement dans la fonction publique européenne – Rejet.

A un attaché principal qui prétendait à l’issue de son détachement dans la fonction publique européenne, être reclassé au 10e échelon de son grade en application des dispositions de l’art. 14 de la loi du 13 juillet 1983, et de l’art. 45 de la loi du 11 janvier 1984 (dans version issue de l’art. 5 de la loi du 3 août 2009), il est rappelé que ces textes ne sont intervenus que pour favoriser la mobilité à l’intérieur de chacune des trois fonctions publiques françaises et entre elles non s’agissant, comme en l’espèce, d’une mobilité entre administrations française et européenne.

(29 décembre 2020, M. B., n° 426656)

 

172 - Pensions civiles et militaires de retraite – Majoration pour enfants – Absence de caractère distinct de la pension de retraite – Nature de « bien » au sens de la Convention EDH (1er protocole) – Règle de plafonnement prévue des pensions de retraite, en cas de cumul de la majoration pour enfants et de la surcote – Institution d’une différence injustifiée de traitement entre les fonctionnaires ayant élevé au moins trois enfants – Annulation.

Le Conseil d’État juge tout d’abord que la majoration dont bénéficient les fonctionnaires retraités ayant élevé au moins trois enfants ne constitue point un revenu distinct de la pension de retraite mais un mode de calcul de cette pension elle-même.

Ensuite, les fonctionnaires – comme tous les autres salariés - qui ont travaillé et cotisé au-delà du nombre de trimestres requis pour une pension à taux plein ont droit à une majoration dite « surcote » du montant de la pension, or le V de l’art. 18 du code des pensions institue un plafonnement du montant total de la pension. Lorsqu’un pensionné ayant élevé trois enfants bénéficie également d’une surcote, la règle de plafonnement a pour effet d’introduire une discrimination entre les pensionnés ayant élevé trois enfants selon qu’ils bénéficient ou non, en outre, d’une surcote., laquelle, au demeurant, n’est elle-même plus plafonnée depuis 2010. Cette différence de traitement est sans rapport avec l’objet de l’art. 18 du code des pensions qui est de compléter le montant de la pension pour tenir compte des charges exposées par le pensionné qui a élevé au moins trois enfants. Elle est donc contraire aux stipulations de l’art. 14 de la Convention EDH et doit être écartée.

Dans le cas d’espèce, le cumul de la majoration pour enfants et de la surcote a pour effet de porter le montant total de la retraite de l’intéressée à 114% de son dernier traitement d’activité.

(29 décembre 2020, Mme B., n° 428626)

 

Hiérarchie des normes

 

173 - Directive européenne du 11 décembre 2018 remplaçant la directive du 23 avril 2009 ayant même objet – Directive de 2018 n’ayant pas encore abrogé la précédente – Intervention d’une loi durant le délai de transposition de la directive de 2009 – Exception d’inconventionnalité – Moyen inopérant – Rejet.

La société requérante demandait l’annulation du décret n° 2019-570 du 7 juin 2019 portant sur la taxe incitative relative à l'incorporation des biocarburants au motif que, pris pour l’application de la loi du 28 décembre 2018, elle-même inconventionnelle, il était entaché d’illégalité. Pour opérer sa démonstration la requérante contestait par voie d’exception la conventionnalité de l’art. 192 de la loi de finances du 28 décembre 2018 qui dispose : « Ne sont pas considérés comme des biocarburants les produits à base d'huile de palme » (cf. dernier alinéa du B du V de l’art. 266 quindecies du code des douanes) au motif qu’il est incompatible avec la directive européenne du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables.

Pour rejeter l’argument, le Conseil d’État considère que si la directive du 11 décembre 2018 remplace celle, ayant le même objet, du 23 avril 2009, elle n’opère pas pour autant, à cette date, abrogation de cette dernière.

Celle-ci était donc encore en vigueur au moment où a été adoptée la loi du 28 décembre 2018 qui n’est pas incompatible avec elle. Par suite, le décret faisant application de ladite loi n’est pas non plus illégal par voie de conséquence.

Le moyen tiré de l’inconventionnalité de la loi de 2018 par rapport à la directive du 11 décembre 2018 est, par suite, inopérant.

La construction juridique est quelque peu échevelée et il reste à démontrer que cette loi est bien compatible avec la seconde des directives, contrairement à ce que soutient la société requérante.

On peut s’interroger sur le point de savoir si la CJUE a la même appréciation que le Conseil d’État sur l’agencement de la hiérarchie des normes applicables en l’espèce.

(31 décembre 2020, Société Total Raffinage France, n° 431589)

(174) V. aussi, à propos de ce même décret en tant qu'il met en oeuvre un taxe incitative affectée aux égouts pauvres issus des plantes sucrières et obtenus après deux extractions sucrières (« EP2 »), pour un quota de 0,2 % au titre de l'année 2019, et 0,4 % pour les années suivantes : 31 décembre 2020, Chambre syndicale française de la levure, n° 433330.

 

175 - Ordonnances de l’art. 38 de la Constitution – Régime contentieux de ces ordonnances à l’expiration du délai d’habilitation – Mesures législatives susceptibles d’une QPC au regard des droits et libertés garantis par la Constitution – Compétence du Conseil constitutionnel – Décisions administratives réglementaires pour le reste – Compétence du juge de droit commun et exclusion de la compétence du Conseil constitutionnel – Rejet.

L’occasion – voire le prétexte - de cette importante décision est fournie par un recours d’organisations syndicales tendant à l’annulation de l’ordonnance du 15 avril 2020 relative à la prise de jours de réduction du temps de travail ou de congés dans la fonction publique de l'Etat et la fonction publique territoriale au titre de la période d'urgence sanitaire. En bref, le pouvoir exécutif, par cette ordonnance, constatant que la période d’épidémie de Covid-19 avait pour effet de laisser sans travail ou avec une productivité réduite en cas de télétravail, tout en demeurant rémunérés, plusieurs millions de fonctionnaires et agents publics, a décidé d’obliger ces agents à imputer sur cette inactivité totale ou partielle un certain nombre de jours de réduction du temps de travail ou de congés.

Les requérantes contestent la légalité de ce texte au regard de la Constitution, de la Convention EDH et du droit de l’Union ; elles soulèvent également une QPC à son encontre.

Disons très brièvement, car ce n’est pas là l’intérêt principal de cette décision qui a justifié qu’elle ait été rendue en Assemblée du contentieux, que les recours sont rejetés.

La mesure prise ne relève pas d’une QPC car elle ne modifie pas le droit à congé et la durée ce celui-ci et n'assure pas une conciliation manifestement déséquilibrée entre l'intérêt du service et le droit au repos et aux loisirs que garantit le onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

Elle ne constitue pas une discrimination à raison du sexe même si davantage de femmes que d’hommes ont été placées en position d’inactivité ou ont eu recours au télétravail.

Elle ne porte pas atteinte à un « bien » des intéressés au sens de l’art. 1er du premier protocole additionnel à la convention EDH dans la double mesure où elle n’affecte point la durée et la substance du droit à congé et où elle se borne à imputer une faible partie de ceux-ci sur une période déterminée, celle de la période d’urgence sanitaire.

Enfin, la différence de traitement entre agents selon qu’ils sont en télétravail ou présents sur leur lieu de travail est en rapport avec l’objectif poursuivi et n’est pas manifestement disproportionnée.

L’intérêt majeur de cette affaire vient de ce qu’elle est relative à des recours dirigés contre une ordonnance pour laquelle le délai d’habilitation était expiré sans qu’elle ait été ratifiée par le Parlement. Or sur ce point, l’évolution récente de la jurisprudence du Conseil constitutionnel est venue jeter le trouble dans l’ordonnancement juridique et de cet imbroglio porte la trace la présente décision.

 

I.- Avant le séisme

 

Rappelons d’abord les termes de l’art. 38 de la Constitution :

« Le Gouvernement peut, pour l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi.

Les ordonnances sont prises en Conseil des ministres après avis du Conseil d'Etat. Elles entrent en vigueur dès leur publication mais deviennent caduques si le projet de loi de ratification n'est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d'habilitation. Elles ne peuvent être ratifiées que de manière expresse.

A l'expiration du délai mentionné au premier alinéa du présent article, les ordonnances ne peuvent plus être modifiées que par la loi dans les matières qui sont du domaine législatif ».

 

On a beaucoup glosé sur ce texte dont la rédaction est, en effet, perfectible. Outre la construction grammaticale et sémantique de l’art. 38, on relèvera que là où ce dernier parle d’habilitation l’article 41 de la Constitution emploie, lui, le terme « délégation »

Toutefois, tant par sa genèse que par son objet, il est très clair ; il vise à permettre au parlement d’autoriser le gouvernement à intervenir, pour un temps et un objet délimités, dans les matières législatives.

D’une part, il s’agit d’éviter les errements constitutionnels des deux républiques précédentes : la troisième n’avait rien prévu en matière de délégation du pouvoir législatif et a été contrainte à un bricolage acrobatique sous la forme des décrets-lois ; la quatrième, forte de cette expérience, a purement et simplement interdit la délégation du pouvoir législatif mais, les choses étant ce qu’elles sont, il a fallu contourner cette interdiction intenable en pratique, là aussi par un système d’équilibriste transformiste sous la forme des lois-cadres et des lois de pleins pouvoirs. D’où le choix fait en 1958 d’habiliter le gouvernement à intervenir en matière législative mais en encadrant de façon assez précise cette intervention.

D’autre part, en droit, les ordonnances ne sont pas des lois d’abord car elles ne sont pas prises par le parlement (cf. art. 24, alinéa 1 de la Constitution : « Le Parlement vote la loi (…) ») or il n’y a de loi que votée par le Parlement ; ensuite parce que, à la différence des lois, les ordonnances peuvent, sans inconstitutionnalité, contenir des dispositions de nature réglementaire ; également parce qu’elles doivent, à peine de nullité, respecter les principes généraux du droit même non repris dans le texte constitutionnel  ou dans une convention internationale.

C’est pourquoi est prévue une ratification expresse du parlement qui est seule à conférer à l’ordonnance la nature d’une loi.

D’ailleurs, si l’ordonnance contenait des dispositions déjà en soi absolument législatives la ratification postérieure par le parlement serait une parfaite absurdité

Brevitatis causa c’est là la conséquence de l’analyse organique des actes qui domine le droit public français depuis très longtemps. Pour déterminer la nature d’un acte juridique, sont pris en considération son auteur et la procédure qu’il a suivie pour prendre l’acte en question : est loi, l’acte pris par le parlement selon la procédure législative ; en dehors de la réunion de ces deux éléments il n’y a pas de loi : ainsi une motion de renvoi, une motion de censure ou l’adoption du règlement de chaque assemblée ne sont pas des lois.

Et, à l’inverse, tout acte pris par un organe qui, au moment où il l’a pris, était un organe législatif et selon la procédure législative, est une loi : ainsi des édits et ordonnances royaux, de certaines baillettes, des actes pris par les commissaires de la république envoyés en mission sous la révolution, des avis du Conseil d’État impérial publié au Bulletin des lois, des décrets du gouvernement de la défense nationale, des décisions des gouvernements provisoires  de Londres, de Brazzaville, d’Alger puis de Paris.

Sauf à titre subsidiaire et supplétif, dans de rares hypothèses, en aucun cas n’est retenue l’analyse matérielle des actes qui, on le sait, prend en considération deux autres éléments : le contenu de l’acte et sa portée.

Partant de là avait été construit un système contentieux assez simple : tant qu’elles ne sont pas ratifiées les ordonnances, en ce qu’elles émanent du pouvoir exécutif, demeurent des actes administratifs relevant de la compétence de droit commun du juge administratif et, beaucoup plus rarement, du juge pénal par application des dispositions dérogatoires de l’art. 111-5 du code pénal, (selon lequel : « Les juridictions pénales sont compétentes pour interpréter les actes administratifs, réglementaires ou individuels et pour en apprécier la légalité lorsque, de cet examen, dépend la solution du procès pénal qui leur est soumis ») dont il faut redire ici le caractère malvenu et contestable.

Ce système a reçu l’aval des deux ordres de juridiction et du Conseil constitutionnel pendant plus d’un demi-siècle. C’est ainsi, qu’il a été dit, enseigné et jugé qu’une ordonnance non ratifiée, parce qu’elle n’est pas une loi, ne peut être l’objet d’une QPC.

 

II.- Le séisme

 

 Pour des raisons diverses dont pratiquement aucune n’a de valeur juridique, n’étant que des considérations pratiques, politiques, sociologiques voire d’opportunité et qui ne peuvent être développées puis critiquées ici, le Conseil constitutionnel, par deux décisions rendues dans le cadre de QPC (du 28 mai 2020 et du 3 juillet 2020, seule cette dernière étant citée dans la décision du Conseil d’État) a renversé la donne, se déjugeant avec un aplomb renversant.

S’agissant de recours en QPC, donc de l’art. 61-1 de la Constitution, et seulement en ce cas, il a jugé qu’à compter de l’expiration du délai d’habilitation et sous condition qu’ait été déposé dans les délais constitutionnels un projet de loi de ratification de l’ordonnance, les dispositions de celle-ci « doivent être regardées comme des dispositions législatives ».

Ce n’est pas le lieu, dans le cadre de cette chronique, de discuter de la portée et de la légitimité d’un tel changement mais seulement de rendre compte de ce qu’en a tiré, pour sa part, le Conseil d’État.

 

III.- Après le séisme

 

 Dans la présente affaire, le Conseil d’État botte en touche si l’on peut dire, prenant acte de ce micmac jurisprudentiel et essayant de sauver le plus possible de ce qui faisait la cohérence du système jusque-là en vigueur.

On peut faire confiance au juge administratif sur ce point : avec le temps sera retiré progressivement le venin inoculé par un juge constitutionnel que le rapporteur public sur cette affaire a qualifié de « facétieux » même si nous pensons que ces messieurs-dames ont passé l’âge des farces et attrapes, ce qui rend d’autant plus inquiétante leur position.

Pour l’heure, il faut donc au Conseil d’État composer avec le galimatias issu de l’aile Montpensier du Palais-Royal. A cet effet, est dressé un état des lieux avant que ne soit exposé le mécanisme contentieux nouveau issu de l’innovation jurisprudentielle du Conseil constitutionnel.


A) État des lieux

 

1 - Tout d’abord, le Conseil d’État réaffirme - et maintient donc - que l’habilitation conférée au gouvernement par le parlement sur le fondement de l’art. 38 de la Constitution « élargit de façon temporaire le pouvoir réglementaire dont le Gouvernement dispose, en l'autorisant à adopter des mesures qui relèvent du domaine normalement réservé à la loi, que ce soit en vertu de l'article 34 de la Constitution ou d'autres dispositions de celle-ci. » L’article 38 n’a donc pas pour effet d’autoriser le gouvernement à légiférer.

2 - Ensuite, est également réitérée la doctrine, constante jusque-là et qui complète l’affirmation précédente, selon laquelle, même si les mesures ainsi adoptées ont une portée identique à celle qu’elles auraient eu si elles avaient été prises par la loi, les ordonnances de l'article 38 conservent le caractère d'actes administratifs aussi longtemps qu'elles n'ont pas fait l'objet d'une ratification, qui ne peut être qu'expresse, par le Parlement.

De là, sont tirées trois conséquences principales :

1°/ les mesures prises par de telles ordonnances sont soumises aux règles et principes de valeur constitutionnelle et aux engagements internationaux de la France, ainsi qu’aux principes généraux du droit sauf à ce que la loi d’habilitation ait expressément permis d’y déroger.

2°/ les ordonnances sont circonscrites de toutes parts par la loi d’habilitation dont elles ne sauraient excéder les limites que cette dernière a fixées : ceci est capital car cet effet ne peut résulter que de ce que les dispositions d’ordonnances n’ont pas de nature législative ; en effet, si l’on devait considérer qu’avant leur ratification elles sont déjà législatives, alors il devient impossible de critiquer une ordonnance qui ne respecterait pas l’habilitation car ce qu’une loi (ici d’habilitation) a fait, une autre (sous la forme d’une ordonnance de l’art. 38) peut le défaire.

3°/ les ordonnances n’étant que de nature administrative, leur régularité juridique peut être contestée par la voie directe du recours pour excès de pouvoir ou par voie d’exception.

3 – Également, et c’est le point central de la décision, celui qui contient la doctrine actuelle du Conseil d’État depuis les deux décisions précitées du Conseil constitutionnel, le Conseil d’État examine le régime juridique de l’ordonnance une fois expiré le délai d’habilitation dont on sait qu’il consiste en ce que les dispositions d’une ordonnance portant sur des matières législatives ne peuvent plus être modifiées ou abrogées que par le législateur ou sur le fondement d'une nouvelle habilitation qui serait donnée au Gouvernement.

C’est de cette conséquence que le Conseil constitutionnel a cru pouvoir déduire que les dispositions d'une ordonnance qui relèvent du domaine législatif entrent, dès l'expiration du délai d'habilitation, dans les prévisions de l'article 61-1 de la Constitution et que leur conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit ne peut ainsi être contestée que par une question prioritaire de constitutionnalité.


B) « Petits arrangements entre amis »


1 - D’emblée le Conseil d’État prend acte de cette volonté.

Il est désormais acquis que l’inconstitutionnalité de la disposition d’une ordonnance de l’art. 38 portant sur une matière législative, à raison de ce qu’elle porterait atteinte à un droit ou une liberté que la Constitution garantit, ne peut faire l’objet que d’une QPC. Est fermé le recours au juge administratif ou au juge judiciaire, principalement sous sa forme pénale. S’applique alors l’entier régime des recours en inconstitutionnalité croisé avec celui de la QPC.

C’est à peu près la seule concession que le Conseil d’État fait, volens nolens, à la solution du Conseil constitutionnel.

2 - Pour le reste, c’est le maintien du système antérieur parce que, écrit malicieusement le Conseil d’État, « la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République (qui a créé le mécanisme de la QPC), (…) entendait accorder aux citoyens des droits nouveaux, en ouvrant au justiciable la faculté de contester, par voie d'exception, la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de dispositions législatives, et faire progresser l'État de droit en prévoyant la sortie de vigueur des dispositions déclarées inconstitutionnelles à cette occasion (…) ».

Parce qu’il n’est pas possible d’admettre un amoindrissement de la protection des citoyens ou que soit rendu plus difficile leur accès au juge, l’institution de la QPC « ne saurait cependant faire obstacle à ce que le juge annule l'ordonnance dont il est saisi par voie d'action ou écarte son application au litige dont il est saisi, si elle est illégale pour d'autres motifs, y compris du fait de sa contrariété avec d'autres règles de valeur constitutionnelle que les droits et libertés que la Constitution garantit ». 

Ceci entraîne deux séries de conséquences, l’une pour le justiciable, l’autre pour le juge.

Le justiciable se trouve désormais placé devant un choix lorsqu’il invoque – après expiration du délai d’habilitation - une atteinte portée à des droits ou libertés par une disposition d’une ordonnance.  Soit il fonde son action sur la violation de la Constitution : ce sera et ce ne peut être désormais que par la voie de la QPC, soit il la fonde sur la violation d’une stipulation d’un traité international ou sur un principe général du droit : ce sera dans ces deux cas au juge administratif seul de trancher. Naturellement, si est invoquée une pluralité de sources, ce n’est que si la QPC paraît sérieuse qu’elle sera renvoyée au Conseil constitutionnel, à défaut le juge de droit commun reprend tout son empire.

Le juge administratif, s’il est saisi à la fois d’un recours pour excès de pouvoir contre des dispositions d’une ordonnance et d’un recours en QPC, peut en prononcer l’annulation alors même que le délai d’habilitation est expiré, avant même l'expiration du délai de trois mois à compter de la présentation de la question, sans se prononcer sur son renvoi au Conseil constitutionnel, si un motif autre que la méconnaissance des droits et libertés garantis par la Constitution ou les engagements internationaux de la France est de nature à fonder cette annulation et que l'intérêt d'une bonne administration de la justice commande qu'il ne soit pas sursis à statuer. 

Nul doute qu’est par là annoncée la raréfaction future, dans une telle hypothèse, qui très fréquente en pratique, des renvois de QPC, façon élégante de mithridatiser une jurisprudence que le Conseil d’État n’a pas plus appréciée que cela…

 

3 - Enfin, d’une part, en présence d’une déclaration d’inconstitutionnalité d’une ordonnance sur QPC, il appartient au juge administratif saisi par voie d’action, tout en tirant les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel, de statuer sur les autres conclusions de la requête, et d’autre part, la ratification de l’ordonnance par le parlement rend sans objet le recours pour excès de pouvoir contre cette ordonnance encore pendant devant le juge administratif ; seules demeurent possibles soit une QPC fondée sur l’atteinte aux droits et libertés constitutionnellement garantis, qui sera portée devant le Conseil constitutionnel soit une exception d’inconventionnalité – qu’elle concerne des droits et libertés ou toute autre matière - portée exclusivement devant le juge administratif.

Gageons que les péripéties de l’application concrète de cet agencement vertigineux ne manqueront pas d’offrir de belles perspectives de franches empoignades ou de coups fourrés dont le Landerneau juridique demeure très friand.

(Assemblée, 16 décembre 2020, Fédération CFDT des Finances et autres, n° 440258 ; Confédération générale du travail (CGT), n° 440289 ; Fédération des personnels des services publics et des services de santé Force ouvrière, n° 440457, jonction)

 

Libertés fondamentales

 

176 - Etranger – Iranien converti au christianisme – Crainte de persécutions et de traitements dégradants – Condamnation à mort en Iran - Refus de délivrance d’un titre de de séjour – Jugement rejetant le recours contre ce refus – Annulation sans renvoi.

Un ressortissant iranien, condamné à mort dans son pays pour s’être converti au christianisme et avoir ainsi commis le crime d’apostasie, a sollicité la qualité de réfugié et demandé l’octroi d’un titre de séjour. Sa demande a été rejetée par le préfet qui lui a fait obligation de quitter le territoire français sous trente jours, et par l’OFPRA. Son recours contentieux contre le refus préfectoral a été rejeté par le tribunal administratif, refus confirmé en appel.

Le Conseil d’Etat annule arrêt et jugement dès lors, d’une part, que la conversion de l’intéressé au christianisme est certaine, et d’autre part, que cette conversion, qui est un crime en droit iranien, expose le requérant à des risques certains de traitements inhumains ou dégradants notamment du fait de sa condamnation à mort par un tribunal iranien.

(2 décembre 2020, M. A, n° 435867)

 

177 - Libre accès des riverains à la voie publique – Corollaire du droit de propriété – Liberté fondamentale – Impossibilité d’accéder à une résidence secondaire en voiture – Besoin urgent d’y accéder – Annulation sans renvoi du jugement contraire.

Contrairement à ce qui avait été jugé en première instance, le Conseil d’Etat estime qu’il y a urgence pour une personne à se rendre en voiture dans sa résidence secondaire à laquelle l’accès est rendu impossible du chef de travaux entrepris sur une voie routière du domaine public d’une commune.

Comme ce droit d’accès à partir de la voie publique riveraine est une liberté fondamentale, il est fait injonction à la commune et à la société privée chargée d’installer une nouvelle gare de télécabine, de rétablir l’accès à une propriété privée au moyen de véhicules automobiles légers sans qu’il soit besoin d’utiliser des véhicules de type « tout terrain ».

(2 décembre 2020, M. A., n° 446403)

 

178 - Étranger ayant la qualité de réfugié depuis 1990 – Personne condamnée pour faits graves – Personne présentant encore une menace grave pour la société – Retrait de la qualité de réfugié en l’état de son emprisonnement – Rejet.

Le requérant demande l’annulation de la décision de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) refusant d’annuler la décision de l’OFPRA mettant fin à son statut de réfugié.

Pour rejeter la demande, le Conseil d’État relève que le requérant a été condamné à plusieurs reprises pour des faits d'une gravité croissante, qu’il purge depuis 2010 une peine de dix-huit ans de réclusion criminelle assortie d'un suivi socio-judiciaire d'une durée de quinze ans, pour destruction de bien d'autrui par un moyen dangereux ayant causé la mort de trois personnes.

Il juge que la CNDA, en estimant que malgré le temps qui a passé depuis la condamnation et les réductions de peine obtenues, le requérant, toujours incarcéré à la date de sa décision,  représentait, au vu notamment de son état de récidive et du suivi socio-judiciaire d'une durée de quinze ans suivant l'exécution de sa peine que l'autorité judiciaire avait imposé, une menace grave pour la société au sens des dispositions de l'article L. 711-6 du CESEDA, n’a pas inexactement qualifié les faits de l’espèce. 

(10 décembre 2020, M. A., n° 425040)

 

179 - Étranger demandeur d’asile – Bénéfice de cette protection dans un autre État – Obligation de mettre cet étranger en mesure de s’expliquer sur cette situation avant la tenue de l’audience – Absence – Cassation.

Est irrégulière la décision de la Cour nationale du droit d’asile qui, pour refuser, à un demandeur d’asile en France d’accéder à sa requête, objecte dans son jugement qu’il bénéficie déjà de cette protection dans un autre pays (l’Italie en l’occurrence) sans que cette situation n’ait été soutenue par l’OFPRA durant la procédure et à l’audience et, surtout, sans que l’intéressé, préalablement à la tenue de l’audience, ait été invité par la Cour à s’exprimer sur ce point.

(10 décembre 2020, M. B., n° 435910)

 

180 - Étranger demandeur d’asile – Entretien avec l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) – Portée – Irrecevabilité d’une demande d’asile en France pour une personne déjà bénéficiaire de l’asile dans un autre pays de l’Union – Contrôle de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) sur l’existence et le contenu de l‘entretien – Annulation avec renvoi.

Un ressortissant somalien s’est vu refuser l’asile par l’OFPRA motif pris de ce qu’il bénéficiait déjà de la protection asilaire accordée par Malte, pays membre de l’UE.

Il saisit la CNDA qui annule le refus de l’OFPRA car il n’avait pas été expressément indiqué à l’intéressé au cours de l’entretien qu’il a eu avec des agents de l’OFPRA que l'office envisageait de soulever un motif d'irrecevabilité à l’encontre de sa demande, motif tiré de ce qu'il bénéficierait déjà d'une protection effective à Malte.

Ainsi, la cour a estimé que le demandeur d’asile n'avait pas été mis à même de présenter ses observations sur l'application à sa situation personnelle du motif d'irrecevabilité de sa demande. Le Conseil d’État est à la cassation de cette décision pour erreur de droit car il considère que la CNDA devait seulement rechercher si, en application des dispositions de l'article L. 723-du CESEDA, l'entretien avait porté sur les motifs d'irrecevabilité de sa demande.

(10 décembre 2020, OFPRA, n° 441376)

 

181 - Étranger demandeur de la qualité de réfugié ou du bénéfice de la protection subsidiaire – Refus de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) – Saisine de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) – Office de la CNDA en ce cas – Annulation avec renvoi.

Cette décision rappelle un aspect important de la procédure asilaire parfois méconnu.

La CNDA est un juge de plein contentieux non un juge de l’excès de pouvoir. Saisie d’un recours contre une décision de l’OFPRA refusant à une personne la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire, il lui incombe non de juger la légalité de la décision qui lui est soumise mais d’apprécier elle-même, à la date où elle statue, si le requérant est fondé en sa demande. Toutefois, et par exception, lorsqu’elle constate un vice grave de la procédure administrative non contentieuse dans le déroulement de l’instruction du dossier par l’OFPRA, elle doit annuler la décision contestée et en renvoyer l’examen à l’OFPRA.

(18 décembre 2020, M. A. et Mme B., n° 431219)

 

182 - Ressortissant russe (Tchétchénie) - Demandeur d’asile – Rejet – Expulsion en urgence absolue – Fixation de la Russie comme pays de renvoi – Contestation – Existence certaine de tortures et autres traitements inhumains - Arrêté d’expulsion n’indiquant pas les motifs de l’expulsion – Non-communication de ce motif aux autorités russes – Rejet.

C’est une affaire très délicate qu’a eue à juger le Conseil d’État.

Un ressortissant russe (Tchétchénie) a demandé, dès l’âge de dix-huit ans, l’asile politique à la France où il était entré avec ses parents à l’âge de quinze ans.

De façon concomitante, d’une part, il fait l’objet d’une expulsion vers la Russie, en urgence absolue, car il a mené des activités de recrutement au profit de l'organisation terroriste « Daech » afin de commettre des attentats contre les membres des forces de l'ordre et que depuis le mois d'août 2020, il consulte régulièrement un site internet proposant des tutoriels sur la fabrication artisanale d'explosifs et, d’autre part, sa demande d’asile est rejetée par l’OFPRA.

L’intéressé conteste et la mesure d’expulsion et le choix du pays de renvoi.

Concernant l’expulsion, celle-ci est jugée régulière d’autant que le requérant ne conteste pas les faits qui lui sont reprochés et alors que le recours contre le refus de l’asile est encore pendant devant la Cour nationale du droit d’asile.

Concernant le choix de la Russie comme pays de renvoi, la décision est très circonstanciée et motivée sans toutefois que soit évité un sentiment de malaise. Le juge reconnaît l’importance et la gravité des atteintes aux droits de l’homme perpétrées en Tchétchénie et cite plusieurs sources différentes le confirmant. Il admet aussi que la jurisprudence générale de la Cour EDH est plutôt défavorable à ce genre de renvois. Toutefois, relevant les ombres et incertitudes de ce dossier, fort de l’affirmation par l’État français que les autorités russes seront laissées dans l’ignorance des motifs d’expulsion du requérant et, enfin, retenant que la Cour EDH elle-même a, par deux décisions récentes (du 24 novembre et du 4 décembre 2020) décidé de ne pas s’opposer au renvoi en Russie du demandeur, le Conseil d’État juge régulier le choix de la destination de renvoi.

(10 décembre 2020, M. A., n° 447225)

 

183 - Étranger bénéficiaire d’un visa – Abrogation – Recours – Nature du recours – Juridiction compétente pour en connaître – Demande d’avis contentieux.

Le Conseil d’État était saisi par le tribunal administratif de Nantes, juridiction compétente pour connaître des litiges relatifs au rejet par les autorités diplomatiques et consulaires des demandes de visa d'entrée sur le territoire français ainsi que de ceux relatifs à l'abrogation d'un visa par ces autorités, de deux demandes d’avis de droit.

A la première question, le juge régulateur répond que :

1°/ lorsque la décision d’abrogation est prise par un préfet, qu’il s’agisse du préfet du département où séjourne l'étranger titulaire de ce visa ou de celui du département où sa situation est contrôlée en qualité d'autorité décisionnaire, sa contestation relève du tribunal administratif territorialement compétent pour connaître des décisions de ce préfet ;

2°/ lorsque l'abrogation du visa est décidée par les autorités diplomatiques ou consulaires, l'intérêt d'une bonne administration de la justice conduit à attribuer au tribunal administratif de Nantes, qui est déjà la juridiction nationale unique du premier degré compétente pour connaître des refus de visas opposés par les autorités diplomatiques ou consulaires.

A la seconde question, il est répondu qu’une personne dont le visa d'entrée en France est abrogé, par le préfet ou par une autorité diplomatique ou consulaire, peut exercer un recours contentieux dans les conditions du droit commun, sans avoir à saisir la commission des recours contre les refus de visa, prévue à l’art. D. 211-5 du CESEDA,  car le recours préalable obligatoire à un recours contentieux instituée devant cette commission n’est prévu qu'à l'égard des décisions refusant un visa et non de celles qui l'abrogent ou le retirent.

(11 décembre 2020, M. B., n° 443382)

 

184 - Détenu – Conditions de vie très dégradées – Encellulement défectueux – Conditions d’hygiène insatisfaisantes – Chauffage inadapté – Atteinte à la dignité des personnes – Injonctions diverses et multiples à l’administration pénitentiaire.

Dans cette décision, particulièrement illustrative de l’état déplorable de nombre de prisons françaises et de conditions de détention guère admissibles, le juge du référé liberté, confirmant largement l’ordonnance du premier juge, ordonne à l’administration de prendre à très bref délai toute une série de mesures d’hygiène, de chauffage, de lavage, etc.

A cela s’ajoutent les tentatives d’intimidation, des humiliations et des menaces contre l’intéressé pour avoir saisi le juge du Conseil d’État. Ce dernier y voyant une atteinte grave et manifestement illégale aux stipulations de l’art. 3 de la convention EDH et, confirmant le premier juge, réitère à l’administration pénitentiaire de prendre sans délai toute mesure pour garantir et assurer la sécurité et l'intégrité physique et psychologique du requérant au cours de sa détention.

On voudrait croire en l’efficacité de ces injonctions

(ord. réf. 16 décembre 2020, M. B., n° 447141)

 

185 - Étranger faisant l’objet d’une peine complémentaire d’interdiction temporaire du territoire français – Notion d’exécution de cette peine – Étranger se maintenant sur le territoire français durant la période d’interdiction – Exécution de la peine devant être considérée comme complète à l’expiration du délai fixé pour celle-ci – Caractère irrégulier du refus de titre de séjour en qualité de parent d’un enfant français – Annulation avec renvoi.

L’intéressé, qui avait été condamné par un tribunal correctionnel à la peine complémentaire d’interdiction du territoire français pendant deux ans, (art. L. 131-30 du code pénal), n’avait point respecté cette interdiction en se maintenant durant toute cette période sur le territoire national et, au terme de celle-ci, avait formé une demande de délivrance d’un titre de séjour en qualité de parent d’un enfant français.

Saisie d‘un appel de l’intéressé dirigé contre le refus du préfet de lui délivrer un titre de séjour, la cour administrative d’appel l’a rejeté car il n’était pas établi qu’il avait bien quitté le territoire français durant ces deux années.

Le Conseil d’État, interprétant de manière étrange les dispositions légales, considère que pour irrégulier que soit le maintien en France d’un individu frappé d’une interdiction de territoire, l’accomplissement de cette peine commence dès son prononcé et se poursuit jusqu’à son terme quand bien même il ne quitte pas la France. Par suite, en sa qualité de parent d’un enfant français, la délivrance du titre de séjour qu’il sollicitait au terme de l’« accomplissement » (sic) de sa peine ne pouvait pas lui être refusé.

C’est donc par suite d’une « une erreur de droit » (sic) que la cour a jugé le contraire.

La solution est très discutable car le deuxième alinéa de l’art. L. 131-30 du code pénal dispose sans équivoque : « L'interdiction du territoire entraîne de plein droit la reconduite du condamné à la frontière, le cas échéant, à l'expiration de sa peine d'emprisonnement ou de réclusion » soit à peu près le contraire de l’interprétation qu’en donne le Conseil d’État.

(18 décembre 2020, M. A., n° 435097)

 

186 - Embryons humains – Agence de la biomédecine – Distinction entre autorisation de conservation d’embryons humains et délivrance ou maintien de l’autorisation de recherche – Portée de la garantie de traçabilité des embryons confiés – Rejet.

La fondation requérante demandait l’annulation de la décision du 13 mai 2015 par laquelle la directrice générale de l'Agence de la biomédecine a autorisé, pour une durée de cinq ans, l'unité 1197 de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) à mettre en oeuvre un protocole de recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines.

Pour rejeter le recours dont il était saisi, le Conseil d’État opère une distinction dont la subtilité laisse dubitatif, ce doute croissant avec la lecture des textes dont il est fait ici interprétation.

D’un côté, le juge indique : « l'Agence de la biomédecine ne peut délivrer une autorisation de conservation sur le fondement de l'article L. 2151-7 du code de la santé publique si la traçabilité des embryons et des cellules souches embryonnaires, qui est destinée à assurer le respect des principes éthiques auxquels le législateur subordonne la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires, n'est pas garantie par l'organisme qui sollicite cette autorisation. Il en résulte également qu'il incombe à l'agence de veiller, notamment à l'occasion des inspections qu'elle diligente, à ce que cette traçabilité demeure garantie pendant toute la durée de validité de l'autorisation délivrée et, à défaut, de suspendre ou retirer cette autorisation.
Il résulte aussi de ces dispositions qu'il en va de même s'agissant des autorisations de recherche délivrées sur le fondement de l'article L. 2151-5 du même code, dont la délivrance comme le maintien sont, de la même façon subordonnés à la garantie par le bénéficiaire de l'autorisation de la traçabilité, dès leur remise pour cette recherche et tout au long de celle-ci, des embryons et des cellules souches embryonnaires
 ». 

De l’autre côté, il estime que : « La délivrance ou le maintien de l'autorisation de recherche ne sont en revanche pas subordonnés à la garantie par le bénéficiaire de cette autorisation de la traçabilité des embryons ou des cellules souches embryonnaires par l'organisme titulaire d'une autorisation de conservation qui les lui remet, l'autorisation dont bénéficie cet organisme tiers étant distincte de l'autorisation de recherche, laquelle n'est prise ni sur son fondement ni pour son application, et étant elle-même subordonnée à cette garantie de traçabilité (…). »

Par suite, «  Il revient seulement à l'Agence de la biomédecine, compétente pour délivrer, suspendre ou retirer l'une comme l'autre de ces autorisations, et à laquelle l'article R. 2151-11 du code de la santé publique confie la tenue d'un registre national des embryons et cellules souches embryonnaires permettant d'établir le lien entre les données résultant des autorisations de conservation et celles résultant des autorisations de recherche, de vérifier que l'autorisation de conservation de l'organisme le cas échéant sollicité pour la remise des embryons ou cellules souches embryonnaires humaines destinés à la recherche soumise à son autorisation est en cours de validité, à la date à laquelle cette autorisation est accordée et tout au long de la période pour laquelle elle l'est, et que ni sa suspension ni son retrait ne sont engagés ».

Dès lors, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en annulant, à la demande de la fédération requérante, l'autorisation de recherche contestée, en se fondant sur ce que les pièces du dossier n'établissaient pas que la traçabilité des cellules souches embryonnaires humaines était garantie au sein de l'unité de conservation sollicitée par l'unité de recherche pour lui céder les cellules souches embryonnaires destinées à cette recherche.

Nous avouons préférer la logique juridique de l’arrêt d’appel à celle qui sous-tend (?) celle de la décision de cassation.

(23 décembre 2020, Fondation Jérôme Lejeune, n° 430693)

(187) V. aussi, voisin, cassant un arrêt d’appel annulant, pour défaut de pertinence scientifique de la recherche, la décision de la directrice générale de l'Agence de la biomédecine autorisant, pour une durée d'un an, le centre hospitalier universitaire de Marseille à mettre en oeuvre un protocole de recherche sur l'embryon humain, au motif que la cour aurait confondu la condition figurant au 1° du I de l’art. 2151-5 du code de la santé publique avec celle figurant au 3° de ce I : 23 décembre 2020, Fondation Jérôme Lejeune, n° 430694.

 

188 - Ressortissante pakistanaise – Personne n’ayant pas sollicité l’asile mais un titre de séjour - Membre active d’un groupe de chrétiens de Lahore – Risques de persécutions, violences et traitements inhumains – Refus illégal d’un titre de séjour – Annulation avec injonction d’une délivrance de titre sous un mois.

Membre de la communauté chrétienne de Lahore au Pakistan, la requérante avait demandé, en vain, un titre de séjour en France, où vivent plusieurs de ses enfants et petits-enfants, pour fuir les persécutions dont les chrétiens sont notoirement victimes dans ce pays et ce refus a été confirmé par le tribunal administratif ; pareillement a été rejeté son recours contre l’obligation de quitter le territoire français (OQTF) dont elle a fait, en conséquence, l’objet, au motif, notamment, qu’elle a de nombreux liens familiaux au Pakistan.

Le Conseil d’État annule ce jugement en retenant que si, du fait qu’elle y a vécu de nombreuses années, l’intéressée a des liens familiaux au Pakistan et si elle n’a pas, formellement, présenté une demande d’asile, il est constant que les chrétiens sont victimes de persécution permanentes au Pakistan de la part de groupes musulmans, que la situation y régnant actuellement rend très dangereux le retour de la requérante dans son pays et, enfin, que vivent en France plusieurs de ses enfants dont l’un est français et l’autre a obtenu le statut de réfugié, ainsi que des petits-enfants.

Il est jugé, par suite, que le jugement confirmant le refus d’un titre de séjour ainsi que la légalité de l’OQTF doit être annulé. Injonction est, en outre, faite au préfet de délivrer sous un mois un titre de séjour à la demanderesse.

(29 décembre 2020, Mme A., n° 438108)

 

189 - Liberté de religion – Bien-être animal - Certification « halal » et mention « agriculture biologique » – Logo attestant le respect de normes élevées de bien-être animal – Animaux abattus sans étourdissement préalable – Label de production biologique refusé – Rejet.

Une association avait demandé à un organisme certificateur de mettre fin à la publicité et à la commercialisation des viandes hachées commercialisées par la société Bionoor sous la marque « Tendre France », certifiées « halal » et portant la mention « agriculture biologique » au motif qu’une telle certification était contraire au droit de l’Union européenne (règlements du 28 juin 2007, du 5 septembre 2008 et du 24 septembre 2009).

Sa demande ayant fait l’objet d’un rejet implicite, l’association a saisi la juridiction administrative. Son recours a été rejeté en première instance tandis que la juridiction d’appel a saisi le juge européen d’une question préjudicielle.

Au vu de la réponse donnée à cette question, la cour administrative d’appel a annulé le jugement de rejet et fait droit à la demande de l’association.

La société Bionoor se pourvoit et son pourvoi est, au vu de la décision de la CJUE, sans surprise, rejeté.

En effet, la CJUE (26 février 2019, Oeuvre d'assistance aux bêtes d'abattoirs (OABA) contre ministre de l'agriculture et de l'alimentation e.a., aff. C-497/17) a jugé que le règlement précité du 28 juin 2017 relatif à la production biologique et à l'étiquetage des produits biologiques, qui caractérise l'observation de normes renforcées en matière de bien-être animal à tous les stades de la production dans le cadre de l'agriculture biologique, n’autorise pas l’usage du logo de production biologique de l’Union européenne pour des produits issus d'animaux ayant fait l'objet d'un abattage rituel sans étourdissement préalable, selon la forme d'abattage autorisée à titre dérogatoire uniquement afin d'assurer le respect de la liberté de religion, car ces produits n'ont pas été obtenus dans le respect des normes les plus élevées en matière de bien-être animal au moment de la mise à mort des animaux.

 (31 décembre 2020, Société Bionoor, n° 434546)

 

190 - Extradition – Régime juridique du décret d’extradition – Absence d’atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit – Rejet de la demande de renvoi d’une QPC.

Le Conseil d’État était saisi d’une demande de renvoi d’une QPC dirigée contre l’atteinte que porterait aux libertés constitutionnellement garanties le second alinéa l’art. 689-18 du code de procédure pénale en ce qu’il fixe à un mois le délai durant lequel peut être formé un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un décret d’extradition.

Le juge rejette la demande de renvoi au motif que l’exercice d’un recours contentieux contre un décret d’extradition est entouré de garanties suffisantes et il les énumère.

La brièveté du délai de recours est destinée à assurer la célérité et l’efficacité du décret accordant l’extradition.

Sa notification – contrairement à ce que soutient le demandeur - doit comporter mention des voies et délais de recours dans les conditions du droit commun des recours contentieux (art. R. 421-5 CJA).

Une coutume constante veut que l’extradition ne soit pas exécutée tant que n’est pas expiré le délai de recours contre le décret d’extradition et, si le Conseil d’État a été saisi d’un recours, tant qu’il n’a pas statué.

L’absence de délai préfix imposé à la juridiction pour se prononcer sur le recours contentieux éventuellement formé contre un décret d’extradition n’affecte pas la liberté de l’intéressé qui peut, en cas d’incarcération, user de toutes les voies de recours juridictionnelles, tant administratives que judiciaires, pour demander sa mise en liberté.

(31 décembre 2020, M. B., n° 439436)

 

Police

 

191 - Police de l’ordre et de la sécurité publics – Chiens dangereux – Placement en fourrière – Euthanasie éventuelle – Référé suspension contre l’euthanasie – Chien appartenant à une catégorie de chiens d’attaque dangereux dite « de race Staffordshire terrier » ou « American Staffordshire » – Obligations s’imposant aux propriétaires de tels chiens – Rejet.

Le propriétaire d’un chien classé comme dangereux et ne devant circuler en extérieur que muselé, a été trouvé promenant son chien non muselé, en période de couvre-feu, à 23 heures environ, sans pouvoir fournir l'attestation d'aptitude prévue au II de l’art. L. 211-1 du code rural et de la pêche maritime ; au surplus cette personne a fait l'objet de six inscriptions au bulletin n° 2 du casier judiciaire.

Le préfet de police ayant décidé le placement du chien en fourrière, son propriétaire a saisi le juge des référés qui a seulement ordonné la suspension de l’arrêté de placement en tant qu’il évoque une possible euthanasie de l’animal.

Le Conseil d’État rejette l’appel formé contre cette ordonnance qui ne souffre de critique ni en sa forme (certains moyens étant inopérants et par ailleurs le contradictoire et l’obligation de répondre à tous les moyens ayant été respectés) ni en son fond (l’appartenance du chien à la catégorie des chiens dangereux n’étant pas sérieusement discutée, et cette classification n’étant pas entachée d’erreur manifeste d’appréciation).

(ord. réf. 1er décembre 2020, M. B., n° 446808)

 

192 - Police de l’air et des frontières – Transporteur aérien ou maritime – Obligation de déceler les erreurs manifestes sur les documents de voyage – Amende – Étendue du contrôle du juge de cassation – Confirmation de l’arrêt en tant qu’il juge irrégulier le comportement de la compagnie mais réformation sur le quantum de l’amende infligée.

L’art. L. 625-1 du CESEDA punit d’une amende d’un montant maximum de 5000 euros le transporteur aérien ou maritime qui ne décèle pas lors des formalités d’embarquement les irrégularités manifestes dont sont éventuellement entachés les documents produits par les passagers étrangers non ressortissants de l’UE, en provenance d’un État avec lequel ne s’applique pas l’acquis de Schengen et qui les laisse débarquer sur le territoire français.

La compagnie requérante est condamnée dans ces conditions à l’amende au taux maximal pour avoir laissé débarquer un passager titulaire d’un passeport contrefait.

Cette condamnation ayant été confirmée en appel, elle se pourvoit.

Le Conseil d’État précise tout d’abord l’étendue de son contrôle sur les juges du fond : 1) ceux-ci exercent, sous réserve de dénaturation, un pouvoir souverain sur l’appréciation de l’existence de l’irrégularité que le transporteur se voit reprocher de n’avoir pas décelée ; 2) le caractère manifeste de l’irrégularité peut faire l’objet d’un contrôle de qualification juridique ; 3) l’appréciation du caractère proportionné de l’amende à la gravité du manquement ne relève que du pouvoir des juges du fond hormis l’hypothèse de disproportion marquée.

Appliquées à l’espèce, ces conditions aboutissent à voir retenue la faute de la compagnie qui n’a pas aperçu une anomalie manifeste et à voir réduite l’amende jugée hors de proportion avec le comportement reproché.

(11 décembre 2020, Compagnie Air France, n° 427744)

(193) V. aussi, identique : 11 décembre 2020, Compagnie Air France, n° 427745.

 

194 - Police du permis de conduire – Échange d’un permis de conduire étranger avec un permis français – Détention d’un permis d’Arménie – Permis résultant d’un échange avec un permis antérieur russe – Échange impossible – Annulation et rejet.

Un ressortissant d’Arménie s’est vu refuser par un préfet l’échange de son permis de conduire, obtenu par échange avec le permis russe qu’il détenait jusque-là. Le tribunal administratif, qu’il a saisi, a annulé ce refus car l'intéressé était encore titulaire du permis délivré par l'URSS en 1991, sa demande devait, dès lors, être examinée en considération de l'accord de réciprocité qui avait existé entre la France et l'URSS.

Pour annuler ce jugement le Conseil d’État relève une double erreur des premiers juges : le permis en cause n’était pas russe mais arménien et la possibilité d’échange devait être examinée non par rapport aux termes d’un accord de réciprocité entre la Fédération de Russie et la France mais entre cette dernière et la république d’Arménie. La circonstance que le permis de conduire avait été délivré par les autorités arméniennes en échange d'un permis antérieurement obtenu des autorités de l'URSS n'est pas de nature à lui rendre applicables les règles d'échanges qui valaient avec l'URSS avant la disparition de cet Etat, ni celles qui valent avec la Fédération de Russie qui en est l'État continuateur.

Comme n’existe aucun accord de réciprocité entre la France et l'Arménie en matière d'échange de permis de conduire c’est sans irrégularité que le préfet a refusé l’échange sollicité.

(11 décembre 2020, Ministre de l’intérieur, n° 432899)

 

195 - Police du stationnement – Titre exécutoire pour recouvrement du forfait post-stationnement – Titre émis après trois mois d’absence de paiement du forfait – Contestation du titre – Régime – Annulation.

Encore une fois sévit le forfait post-stationnement.

Rappel du régime des recours possibles en cette matière :

(11 décembre 2020, Mme B., n° 433276) V. aussi, plus développée, nos observations sous les n° 155 et 156 de la Chronique du mois de novembre 2020.

(196) V. aussi, identiques : 11 décembre 2020, Mme B., n° 433302 ; 11 décembre 2020, Mme B., n° 433304 ; 11 décembre 2020, Mme B., n° 433306 ; 11 décembre 2020, Mme B., n° 433307 ; 11 décembre 2020, Mme B., n° 433309 ; 11 décembre 2020, Mme B., n° 433310 ; 11 décembre 2020, Mme B., n° 433312.

(197) V. également, particulièrement illustratifs de la complexité procédurale de ce régime s’agissant des réponses aux demandes du greffe de la commission du contentieux du stationnement payant et de la cascade des situations possibles et de leurs effets, tout cela pour trente-trois euros… créant ainsi des situations aussi échevelées que dans une pièce de Feydeau : 18 décembre 2020, Mme A., n° 431136 ; 18 décembre 2020, M. B., n° 436605.

(198) V. encore, sur le point de savoir s’il est possible de faire stationner sur un emplacement pendant la durée payée du stationnement, successivement plusieurs véhicules, la réponse du juge saisi pour avis de droit est positive, sauf si l’organe délibérant local en a disposé autrement, par exemple en conservant le n° d’immatriculation du véhicule : 18 décembre 2020, M. B., n° 440935.

(199) V., outre le rappel de certains éléments précédents, les conséquences de l’absence de publication ou d’affichage y compris par voie électronique, des tarifs des forfaits de post-stationnement arrêtés par délibération du conseil municipal : 23 décembre 2020, Commune de Marseille, n° 437649.

 

200 - Police de la chasse – Chasse à courre – Arrêté du 25 février 2019 – Légalité externe – Légalité interne – Fixation du nombre maximum de chiens par meute – Compatibilité avec le respect du droit de propriété – Obligations s’imposant au regard d’un animal aux abois ou au ferme près de lieux habités ou fréquentés par le public – Rejet.

Le requérant demandait, par divers moyens, l’annulation de l’arrêté du 25 février 2019 modifiant l'arrêté du 18 mars 1982 relatif à l'exercice de la vènerie et visant à limiter les incidents en fin de chasse à proximité des lieux habités.

Ils sont tous rejetés.

Les moyens de légalité externe critiquaient le non-respect par ce texte de l’art. L. 123-19-1 du code de l’environnement relatif au principe de participation du public en matière d’enquête à fins environnementales : ils sont rejetés qu’il s’agisse du délai de publication de la synthèse des observations et propositions du public, de sa complétude, de sa date de rédaction ou encore des organismes consultés.

Sur la légalité interne, sont rejetés les griefs tenant à l’obligation de détenir une attestation de conformité de meute, à celle de prévoir que tout équipage doit être dirigé par un responsable titulaire et porteur d’un permis de chasser, au régime juridique de la fin de chasse afin de prévenir les incidents fréquents à ce stade de la chasse, au respect du droit de propriété, etc.

(17 décembre 2020, M. D., n° 430314)

 

201 - Police des manifestations sur la voie publique – Dispositif de captation d’images au moyen de drones – Envoi seulement d’images floutées au centre opérationnel – Existence de données identifiantes dans les images collectées – Annulation de l’ordonnance attaquée – Injonction de cesser immédiatement toute surveillance de manifestations publiques au moyen de drones.

La requérante, se fondant sur ce que, en dépit d’une décision contraire du Conseil d’État, persistent, au moyen de drones, tant le contrôle des manifestations sur la voie publique que la captation d’images les concernant, a saisi le Conseil d’État d’un appel contre l’ordonnance du premier juge rejetant sa demande de suspendre l'exécution de la décision du préfet de police de Paris, révélée par des témoignages, des clichés photographiques et des vidéos diffusés par la presse et par des particuliers sur les réseaux sociaux, montrant que la police utilise toujours des drones à des fins de police administrative, notamment lors de manifestations sur la voie publique, et d'enjoindre au préfet de police de cesser immédiatement, à compter du prononcé de l'ordonnance à intervenir, de capter des images par drones, de les enregistrer, de les transmettre ou de les exploiter et de détruire toute image déjà captée dans ce contexte.

Le juge relève le non-respect de sa décision du 18 mai 2020 par laquelle il a enjoint à l’État de cesser, sans délai, de procéder aux mesures de surveillance par drone du respect, à Paris, des règles de sécurité sanitaire applicables à la période de confinement sauf à respecter des prescriptions techniques satisfaisantes. Il s’appuie pour cela sur les pièces produites par la requérante qui établissent que la préfecture de police continue à recourir à des drones pour la surveillance de manifestations publiques à Paris.

Pour dire que l’utilisation de ce procédé est irrégulière, il est rappelé que l'art. 3 de la directive du 27 avril 2016 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d'enquêtes et de poursuites en la matière ou d'exécution de sanctions pénales et à la libre circulation de ces données, donne une définition précise de la notion de «  données à caractère personnel » en ce que celles-ci concernent « toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable » et qu’il convient d’entendre par l’expression « personne physique identifiable », :  « une personne physique qui peut être identifiée, directement ou indirectement notamment par référence à un identifiant, tel qu'un nom, un numéro d'identification, des données de localisation, un identifiant en ligne, ou à un ou plusieurs éléments spécifiques propres à son identité physique, physiologique, génétique, psychique, économique, culturelle ou sociale ».

Si, en l’espèce, la préfecture de police de Paris fait valoir que les images sont floutées au moyen d’un logiciel et que c’est dans cet état qu’elles parviennent, lorsqu’elles lui sont adressées, à la salle de commandement de la direction de l'ordre public et de la circulation de la préfecture de police, le juge relève, d’une part, qu’il s’agit bien là d’un « traitement » au sens et pour l’application de la directive précitée, et d’autre part, que « Dès lors que les images collectées par les appareils sont susceptibles de comporter des données identifiantes, la circonstance que seules les données traitées par le logiciel de floutage parviennent au centre de commandement n'est pas de nature à modifier la nature des données faisant l'objet du traitement, qui doivent être regardées comme des données à caractère personnel ».

C’est donc au prix d’une erreur de droit que le premier juge des référés a estimé que la décision attaquée n'avait pas pour effet d'autoriser un traitement de données à caractère personnel, au motif que seul le flux flouté des images captées par des drones arriverait en salle de commandement et a écarté pour ce motif le moyen tiré de ce que ce traitement aurait dû faire l'objet d'un texte l'autorisant.

Estimant que le nombre de personnes susceptibles d’être et/ou d’avoir été soumises à un tel traitement est constitutif d’une urgence à statuer et qu’il existe un doute sérieux sur la légalité dudit traitement, le juge ordonne la suspension de la mesure sans délai jusqu’à ce que, le cas échéant, soit pris un texte, après avis favorable de la CNIL, autorisant la création d’un tel traitement de données à caractère personnel.

(ord. réf. 22 décembre 2020, Association « La Quadrature du Net », n° 446155)

 

202 - Police des immeubles en état de péril (art. L. 511-1 c. construct. et habit.) – Office du juge saisi d’un recours contre un arrêté de péril – Juge de plein contentieux devant se placer au jour où il statue – Méconnaissance de son office – Annulation.

Saisi d’un recours contre un arrêté municipal de péril, le juge, qui est ici un juge de plein contentieux, a l’obligation de juger en se plaçant, pour apprécier les circonstances de droit et de fait de la décision attaquée, au jour où il statue et non à celui où a été prise la décision litigieuse.

En l’espèce, le maire ayant mis fin à son arrêté de péril antérieurement au jour où le juge s’est prononcé, en réalité la demande dont ce dernier était saisi n’avait plus d’objet et il aurait dû prononcer un non-lieu à statuer.

(23 décembre 2020, Société Aramis, n° 431843)

 

203 - Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé - Police des produits cosmétiques non rincés – Obligation d’étiquetage – Mesure provisoire mais contraire au droit de l’UE – Renvoi préjudiciel.

La fédération demanderesse sollicitait l’annulation de la décision de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé du 13 mars 2019 fixant des conditions particulières d'utilisation des produits cosmétiques non rincés contenant du phénoxyéthanol et imposant l’indication sur leur étiquetage qu'ils ne peuvent pas être utilisés sur le siège des enfants de trois ans ou moins.

Constatant que cette mesure, qui n’est pas illégitime et qui est conservatoire dans l’attente d’une décision de la Commission européenne saisie à cette fin, est contraire aux prescriptions du règlement européen du 30 novembre 2009 relatif aux produits cosmétiques, le Conseil d’État opère un renvoi préjudiciel à la CJUE afin qu’il soit répondu à un certain nombre de questions.

(23 décembre 2020, Fédération des entreprises de la beauté, n° 429578)

 

204 - Police du transport des animaux vertébrés vivants – Arrêté ministériel restreignant le transport routier de ces animaux en période caniculaire – Légalité – Rejet.

L’association requérante demandait l’annulation de l’arrêté du 22 juillet 2019 du ministre de l'agriculture et de l'alimentation restreignant le transport routier des animaux vertébrés vivants durant les épisodes caniculaires et qu’injonction soit faite au ministre de l’agriculture de suspendre, sur l'ensemble du territoire national, le transport routier et par voie navigable des animaux vertébrés vivants dès lors que la température extérieure est en deçà de 5° C ou supérieure à 30° C.

Les demandes sont rejetées.

D’une part l’arrêté querellé n’est ni entaché d’incompétence, ni illégal en raison de sa non-motivation car il est un acte réglementaire.

D’autre part, s’agissant de sa légalité interne, il est relevé que la réglementation du transport routier des animaux vertébrés vivants résulte du règlement du 22 décembre 2004 relatif à la protection des animaux pendant le transport et les opérations annexes et que l’arrêté contesté ne contrevient pas aux dispositions du règlement précité, pas davantage il ne saurait être argué qu’il ne prévoit pas de sanction en cas de manquement puisqu’il institue à cet effet une contravention de la quatrième classe.

(31 décembre 2020, Association Welfarm Protection Mondiale des Animaux de Ferme, n° 434754)

 

205 - Police des produits phytopharmaceutiques – Police spéciale confiée aux seules autorités de l’État – Illégalité d’un arrêté municipal pris en cette matière – Rejet.

Pour respecter l’objectif du droit de l’Union européenne d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et animale et de l’environnement tout en améliorant la production agricole et de créer un cadre juridique commun pour parvenir à une utilisation des pesticides compatibles avec le développement durable, d’autant que leurs effets à long terme sont encore incertains, le code rural et de la pêche maritime, dans ses art. L. 253-1, L. 253-7, L. 253-7-1, L. 253-8 et leurs articles règlementaires d’application, a institué un pouvoir de police spéciale des produits phytopharmaceutiques confié aux autorités de l'État, exclusive du pouvoir de police générale.

Il s’ensuit que c’est sans erreur dans la qualification des faits que la cour administrative d’appel a jugé illégal un arrêté municipal réglementant cette matière et cela alors même que la commune invoquait l’existence de circonstances locales exceptionnelles.

(31 décembre 2020, Commune d’Arcueil, n° 439253)

(206) V. aussi, dans le même sens : 31 décembre 2020, Commune de Gennevilliers, n° 440923.

 

Professions réglementées

 

207 - Sages-femmes – Suspension temporaire du droit d’exercer – Condition suspensive d’obligation de suivre une formation – Absence d’erreur de de droit et d’erreur de fait – Rejet.

Le Conseil national de l'ordre des sages-femmes, statuant en formation restreinte, n’a commis ni erreur de droit ni erreur de fait en suspendant la requérante pour deux ans du droit d’exercer son métier de sage-femme et en subordonnant l’autorisation éventuelle de le reprendre après cette période au suivi d’une formation.

Il résulte des pièces du dossier l’existence chez l’intéressée de graves lacunes professionnelles rendant dangereux pour les parturientes l’ensemble des gestes d’une sage-femme ; l’obligation de formation est ainsi justifiée et proportionnée.

(2 décembre 2020, Mme B., n° 428840)

(208) V. aussi, très semblable, s’agissant d’un gynécologue : 2 décembre 2020, M. B., n° 429112.

 

209 - Médecins – Suspension du droit d’exercer jusqu’aux résultats d’une expertise sur l’aptitude de l’intéressé à exercer – Suspension sans durée déterminée – Illégalité – Annulation avec renvoi.

Fait une inexacte application du I de l'art. R. 4124-3 du code de la santé publique et encourt la cassation, la formation restreinte du Conseil national de l’ordre des médecins qui suspend un médecin du droit d'exercer la médecine jusqu'à la constatation de son aptitude par une expertise effectuée par des experts choisis dans les conditions de l'article R. 4124-3 préc. sans fixer de durée déterminée à la suspension.

Il lui appartenait de déterminer celle-ci et, sur avis des experts, d’interrompre la suspension s’il est positif ou de prendre toute mesure nécessaire s’il est négatif.

(3 décembre 2020, M. A., n° 431987)

(210) V. aussi, à propos du rejet d’une demande d’annulation de la décision de la formation restreinte du Conseil national de l’ordre des médecins suspendant pour six mois l’intéressé du droit d'exercer la médecine et subordonnant la reprise de son activité au suivi d'une formation qualifiante en anesthésie-réanimation : 3 décembre 2020, M. C., n° 438059.

 

211 - Section des assurances sociales du Conseil national de l’ordre des médecins – Décision disciplinaire – Contradiction entre les motifs et le dispositif d’une décision de nature juridictionnelle – Cassation avec renvoi.

(10 décembre 2020, M. A., n° 430744 V. n° 17

 

212 - Notaires – Tarifs réglementés de certaines de leurs prestations – Champ d’application de l’art. L. 444-1 du code de commerce – Renvoi au pouvoir réglementaire de la compétence à cet effet (cf. art. L. 444-7 c. com.) – Etendue de cette compétence – Tarification d’actes complémentaires – Rejet sauf sur un point.

Le code de commerce (art. L. 444-1 et s.) confie au pouvoir réglementaire le soin de fixer les tarifs applicables aux actes relevant du monopole des notaires, ceux qu’ils accomplissent en concurrence avec d’autres professionnels sont libres.

Un notaire conteste un certain nombre de lignes du tarif établi sur le fondement de l’art. R. 444-3 c. com. et figurant à l'annexe 4-7 du titre IV bis du livre IV du code précité.

Le Conseil d’État considère, ce qui ne va pas de soi et peut se discuter, que l’attribution de compétence faite au pouvoir réglementaire par la loi ne se limite pas aux seuls actes entrant dans le monopole mais peut concerner également, par exception, les actes qui, accomplis en concurrence avec d’autres professions, sont le complément d’actes entrant dans le champ du monopole des notaires.

Le Conseil d’État n’annule en conséquence, parmi les six lignes tarifaires contestées, que la ligne 203 concernant la « rédaction et l’envoi d’une requête au juge des tutelles », un tel acte n’entrant pas dans le monopole des notaires et n’en constituant pas, non plus, un complément.

(2 décembre 2020, M. C., n° 432470)

 

213 - Chirurgiens-dentistes – Régime disciplinaire – Jugement de deux plaintes en première instance – Chambre disciplinaire nationale ne se prononçant que sur l’une d’elles – Cassation avec renvoi.

Se méprend sur la portée de la décision qui lui est soumise et méconnaît son office, la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des chirurgiens-dentistes qui, statuant sur un jugement se prononçant sur deux plaintes visant l’intéressée, estime que les juges du premier degré n’avaient  été saisis que d’une seule plainte.

(2 décembre 2020, M. C., n° 434266)

 

214 - Chirurgiens-dentistes – Sanction disciplinaire inexécutée – Refus d’inscription au tableau de l’ordre – Mesure non disproportionnée dans les circonstances de l’espèce – Rejet.

Le requérant demandait l’annulation de la décision du conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes refusant sa réinscription à l’un des tableaux départementaux de l’ordre.

Pour rejet le recours, le juge rappelle que le demandeur a été condamné par un tribunal correctionnel à deux ans d'emprisonnement dont dix-huit mois assortis du sursis pour escroquerie en lien direct avec l'exercice de sa profession de chirurgien-dentiste et, à titre de peine complémentaire, à une interdiction d'exercice de la profession de chirurgien-dentiste d'une durée de cinq ans. Cependant, d’une part, il a continué à exercer sa profession nonobstant l’interdiction dont il faisait l’objet, d’autre part, dans sa demande de réinscription, il s’est abstenu de mentionner l’instance pendante devant le tribunal correctionnel, se bornant seulement à évoquer sa condamnation à une peine de six mois d'emprisonnement avec sursis prononcée par un tribunal correctionnel pour des faits de corruption active de magistrat. Il n’a pas davantage complété son dossier en faisant état de sa nouvelle condamnation, intervenue le lendemain du dépôt de sa demande de réinscription.

En conséquence, le Conseil d’Etat a jugé – sans surprise - que le conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes avait fait une exacte application de la loi en lui refusant, pour non satisfaction de la condition de moralité, sa réinscription à l’un des tableaux départementaux de l’ordre.

(2 décembre 2020, M. B., n° 434997)

 

215 - Chirurgiens-dentistes – Plainte dirigée contre un fait prescrit – Obligation de relever d’office la forclusion – Absence – Annulation.

Doit être cassée pour erreur de droit la décision de la section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes  de sanctionner un chirurgien-dentiste pour des irrégularités dont l’une au moins était prescrite lors du dépôt de la plainte par le médecin-conseil d’un service médical départemental  et de la caisse primaire d'assurance maladie de ce département, sans relever d’office la forclusion entachant l’un des faits reprochés alors qu’il s’agit là d’un motif d’ordre public.

(30 décembre 2020, M. B., n° 437221)

 

216 - Acte réglementaire d’un ordre professionnel – Conditions de reconnaissance de diplômes, titres ou fonctions - Publication dans un mensuel d’informations professionnelles sur le site internet de l’ordre – Publicité insuffisante pour permettre son entrée en vigueur – Absence d’opposabilité de l’acte – Annulation.

(2 décembre 2020, M. D., n° 426692) V. n° 1

 

217 - Avocats – Marché public de travaux – Résiliation - Contestation du décompte général et définitif du marché par un avocat de l’entreprise titulaire du marché – Avocat sans qualité pour contester le décompte – Décompte considéré comme accepté par l’entreprise – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

La Banque de France avait adressé à l’entreprise titulaire d’un marché qu’elle avait conclu le décompte général et définitif de ce marché. Celui-ci avait été contesté par l’avocat de l’entrepreneur.

Se prévalant des dispositions de l'article 5.1.1 du CCAG et de l'article 1.2.6 du CCAP, selon lesquelles le titulaire du marché doit désigner une personne physique pour le représenter au cours de l’exécution du marché, la Banque de France a considéré que l’avocat ne représentait pas validement l’entrepreneur lorsqu’il a contesté ce décompte et qu’ainsi l’entrepreneur avait acquiescé à celui-ci tel que présenté par la Banque.

Son recours contre cette décision ayant rejeté en première instance et en appel, la société s’est pourvue en cassation. Le Conseil d’État lui donne raison, ces décisions de justice reposant chacune sur une erreur de droit.

Pour parvenir à ce résultat le juge résout en réalité deux questions distinctes.

La première concerne le mandat de l’avocat.

Le juge de cassation considère que les art. 4 et 6 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques et 8 du décret du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat confèrent aux avocats, sous réserves d’exceptions expresses, qualité pour représenter leurs clients devant les administrations publiques sans avoir à justifier du mandat qu'ils sont réputés avoir reçu de ces derniers dès lors qu'ils déclarent agir pour leur compte (en vertu du principe que « l’avocat est cru sur sa robe »). Les dispositions précitées du CCAG et du CCAP ne font pas obstacle à ce principe de représentation universelle de son client par l’avocat.

La seconde question découle du libellé du début de l’art. 6 précité de la loi de 1971 selon lequel « Les avocats peuvent assister et représenter autrui devant les administrations publiques (…) ». La Banque de France constitue-t-elle une « administration publique » ? On sait le particularisme de la nature juridique de cet organisme qui est un peu transgenre de ce point de vue.

Le Conseil d’État, assez logiquement et, en tout cas, de façon expédiente considère ici que la Banque de France doit être considérée comme une administration publique au sens et pour l'application des dispositions précitées de la loi du 31 décembre 1971.

(18 décembre 2020, Société Rudo Chantier, n° 427850)

 

218 - Pédicures-Podologues – Poursuites disciplinaires – Utilisation de procédés de publicité – Absence d’initiative en ce sens de la part du professionnel – Absence de faute disciplinaire – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

Commet une erreur de droit la chambre disciplinaire de l’ordre des pédicures-podologues qui estime que la circonstance qu’un confrère n’était pas à l’initiative d’un article de presse dans lequel il tient des propos de nature publicitaire exclut toute faute professionnelle ou déontologique et rejette la plainte formée contre lui par un conseil régional de l’ordre.

(23 décembre 2020, Conseil régional d'Occitanie de l'ordre des pédicures-podologues, n° 425963)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

219 - Redevance post-stationnement – Régime argué d’inconstitutionnalité – Non-respect des droits de la défense – Atteinte au droit au recours – Méconnaissance de l’art. 12 de la Déclaration de 1789 – Refus de renvoi d’une QPC – Rejet.

Aucune des critiques émises par le demandeur à l’encontre de l’inconstitutionnalité du mécanisme et de la procédure du forfait post-stationnement n’a convaincu le Conseil d’Etat d’en renvoyer l’examen au Conseil constitutionnel sous forme de QPC.

Tout d’abord ce forfait ne porte pas atteinte aux droits de la défense d’une part car il ne constitue pas une sanction mais une redevance pour occupation du domaine public et, d’autre, la majoration dont il fait l’objet trois mois après son non-paiement peut être contestée devant la juridiction administrative.

Ensuite, ce forfait ne porte pas davantage atteinte au droit au recours ni en ce qu’il présuppose un recours administratif préalable obligatoire devant la commission compétente ni en ce qu’il empêcherait le recours aux personnes peu fortunées en l’état de la possibilité d’obtenir l’aide juridictionnelle.

Enfin, nulle atteinte n’est portée à l’art. 12 de la Déclaration de 1789 par le fait que la collecte de la redevance puisse être, par contrat, confiée à un tiers, cette fonction ne constituant pas une mission de souveraineté et d’ailleurs les dispositions contestées (art. L. 2333-87 CGCT) ne prévoient point que l’établissement et la collecte de la majoration due à l’Etat soient confiés à une personne privée.

(1er décembre 2020, M. B., n° 44526)

 

220 - Question prioritaire de constitutionnalité – Libre administration des collectivités territoriales – Transfert aux communes membres d’un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) des agents correspondants en cas de restitution à ces communes d’une des compétences qui avaient été transférées à l’EPCI – Pouvoir du préfet d’effectuer cette répartition à défaut d’accord entre les collectivités concernées – Continuité du service public – Refus de renvoyer la QPC.

(11 décembre 2020, Commune de Carnin, n° 444762) V. n° 16

 

221 - Accès aux professions médicales et pharmaceutiques – Accès réservé, sous condition, aux seuls praticiens à diplôme étranger – Atteinte au principe d’égalité – Caractère sérieux de la QPC – Renvoi au Conseil constitutionnel.

Est jugée de caractère et sérieux et renvoyée au C.C. pour y être examinée, la question de la conformité au principe d’égalité des dispositions du B du IV et du V de l'article 83 de la loi du 21 décembre 2006 de financement de la sécurité sociale pour 2007 - dans la version qui lui a été donnée par les lois du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé et du 17 juin 2020 relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d'autres mesures urgentes ainsi qu'au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne - instaurant un accès aux professions médicales et pharmaceutiques réservé aux seuls praticiens à diplôme étranger ayant exercé des fonctions de professionnel de santé au sein d'établissements de santé, alors que de telles fonctions, notamment paramédicales, peuvent être exercées de manière comparable dans d'autres environnements professionnels, notamment médico-sociaux.

(23 décembre 2020, Mme D. et autres, n° 445041)

 

222 - Utilisation de produits phytopharmaceutiques à proximité des zones d’habitation – QPC dirigée contre le III de l’art. L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime – Art. 7 de la Charte de l’environnement – Question de caractère sérieux – Renvoi de la QPC.

Les associations requérantes soutenaient, à l’appui de leur demande d’annulation du décret du 27 décembre 2019 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques à proximité des zones d'habitation, une QPC à l’encontre du III de l’art. L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime sur la base duquel ce décret a été pris.

Le Conseil d’État envoie au Conseil constitutionnel cette QPC en relevant que présente un caractère sérieux le moyen tiré de ce que cette disposition législative méconnaît l’art. 7 de la Charte de l’environnement en tant que cette dernière dispose que « toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, (...) de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement » alors  que la loi n’a pas prévu des modalités suffisantes de participation du public préalablement à l'élaboration des chartes d'engagements des utilisateurs des produits phytopharmaceutiques à proximité des zones d’habitation.

(31 décembre 2020, Association Générations Futures et autres, n° 439127)

 

Responsabilité

 

223 - Principe de sécurité juridique – Règle du délai raisonnable – Inapplicabilité aux recours en responsabilité – Sécurité juridique assurée par la règle de prescription quadriennale – Annulation.

Nouveau rappel de ce que la règle jurisprudentielle du délai raisonnable, normalement d’un an, a été instituée dans un souci de sécurité juridique. Elle ne s’applique donc pas aux actions en responsabilité lesquelles, d’une part, doivent être précédées d’une demande préalable à l’administration et, d’autre part, sont soumises au régime de la prescription quadriennale des créances sur les personnes publiques, ce qui assure en cette matière une protection suffisante de la sécurité juridique.

(11 décembre 2020, Société Casa, n° 433639)

 

224 - Dépôts sauvages de déchets sur un propriété privée – Propriété se trouvant sur un site classé et labellisé Natura 2000 – Inertie du maire dans l’exercice de ses pouvoirs de police des déchets – Carence lourdement fautive du préfet – Annulation sans renvoi, le Conseil d’État statuant au fond.

Dans cette affaire exemplaire, un couple, propriétaire d’un vaste terrain situé sur un site classé cherche, en vain depuis 1990, à faire empêcher par les autorités publiques le dépôt de déchets sur celui-ci et à les voir ordonner leur enlèvement.

Le Conseil d’État condamne la commune, d’une part, à retirer à ses frais ses propres déchets et d’autre part, à indemniser à hauteur de 70% de son montant le préjudice subi par les demandeurs à la réparation. Il condamne également l’État, pour faute lourde car il s’agit d’une grave carence dans l’exercice de son pouvoir de tutelle sur l’autorité municipale défaillante, à hauteur des 30% restants dudit préjudice, sous réserve de compléments et précisions devant être fournis au juge par les parties.

(18 décembre 2020, Commune de Six-Fours-les-Plages, n° 420569 ; Ministre de la transition écologique et solidaire, n° 420584)

 

225 - Inspection du travail – Faute commise dans l’exercice de sa mission de contrôle – Comportement fautif de nature à engager la responsabilité de l’État – Annulation.

Dans un litige en responsabilité de l’État du fait d’exposition de travailleurs aux poussières d’amiante sur un chantier naval, le Conseil d’État précise les motifs et conditions de la mise en cause de la responsabilité de l’État du chef de l’éventuelle carence de l’inspection du travail.

Normalement, les membres de l'inspection du travail, qui disposent d'une large marge d'appréciation dans le choix des moyens juridiques qui leur apparaissent les plus appropriés pour assurer l'application effective des dispositions légales par les entreprises soumises à leur contrôle, doivent adapter le type et la fréquence de leurs contrôles à la nature et à la gravité des risques que présentent les activités exercées ainsi qu’à la taille des entreprises. Il leur revient de tenir compte, dans l'exercice de leur mission de contrôle, des priorités définies par l'autorité centrale ainsi que des indications dont ils disposent sur la situation particulière de chaque entreprise, au regard notamment de la survenance d'accidents du travail ou de maladies professionnelles ou de l'existence de signalements effectués en particulier par les représentants du personnel.

Il suit de là qu’une faute commise par l'inspection du travail dans l'exercice de ses pouvoirs pour veiller à l'application des dispositions légales relative à l'hygiène et à la sécurité au travail est de nature à engager la responsabilité de l'Etat s'il en résulte pour celui qui s'en plaint un préjudice direct et certain.

En l’espèce, il est considéré que la cour administrative d’appel a inexactement qualifié les faits de l'espèce en jugeant que le préjudice invoqué trouvait sa cause directe dans la carence fautive de l'Etat.

(18 décembre 2020, Ministre du travail, n° 437314)

 

226 - Réparation d’un dommage – Aggravation postérieure au jugement – Office du juge d’appel en ce cas – Annulation.

Rappel de ce que si, en principe, le juge d'appel ne peut réparer les préjudices invoqués que dans la limite du montant total demandé devant les premiers juges,  il peut mettre à la charge du responsable une indemnité excédant ce montant si le dommage s'est aggravé ou révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement attaqué dès lors que le demandeur en indemnisation a majoré en appel ses prétentions de première instance car le dommage s'est aggravé ou s'est révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement qu’il attaque.

(29 décembre 2020, M. A., n° 432775)

 

227 - Responsabilité hospitalière – Dommage anormal (art. L. 1142-1 c. santé pub.) – Présomption irréfragable d’anormalité du dommage en cas de probabilité faible de survenance – Annulation pour qualification inexacte des faits.

Rappel de ce que : « La condition d'anormalité du dommage prévue par les dispositions de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique doit toujours être regardée comme remplie lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, mais que la survenance du dommage présentait une probabilité faible ».

Il faut donc considérer qu’il s’agit là d’une présomption irréfragable d’anormalité du dommage.

(31 décembre 2020, Mme C., n° 438787)

 

Santé publique

 

228 - Covid-19 - Recours à l’avortement – Assouplissement des conditions – Avortements pratiqués avant la fin de la douzième semaine de grossesse – Avortements par voie médicamenteuse en dehors d’un établissement de santé – Délivrance de substances en dehors du champ cde l’autorisation de mise sur le marché – Impossibilité pour un pharmacien d’invoquer une clause de conscience – Rejet.

Pour tenir compte d’un certain nombre de contraintes, d’urgences ou d’impossibilités liées à l’épidémie de coronavirus et susceptibles d’affecter la possibilité pour des femmes enceintes de recourir à l’avortement, un arrêté du premier ministre, du 14 avril 2020, est intervenu pour apporter plusieurs modifications au cadre réglementaire jusque-là existant, constituant chacune autant d’assouplissements ou de mises à l’écart du droit commun. Cet arrêté est attaqué par les trois associations requérantes dont les demandes sont jointes.

Le Conseil d‘État rejette l’ensemble des arguments en se fondant, pour l’essentiel, sur la gravité de la situation sanitaire, les difficultés de déplacement des personnes concernées, la surcharge hospitalière rendant parfois impossible la réalisation d’avortements.

Brevitatis causa, l’arrêté litigieux autorise la réalisation, en dehors d'un établissement de santé, d’un avortement par voie médicamenteuse jusqu'à la fin de la septième semaine de grossesse, soit au-delà du délai de droit commun de cinq semaines de grossesse et permet la prescription à cette fin des spécialités pharmaceutiques en dehors du cadre de leur autorisation de mise sur le marché.

Par ailleurs, dérogeant sur ce point également au code de la santé publique, l’arrêté litigieux  permet – avec les accords de la femme et du praticien - la prescription, dans le cadre d'une téléconsultation réalisée par le médecin ou la sage-femme, des médicaments nécessaires à la réalisation de l’avortement ainsi que la délivrance directe, par le pharmacien d'officine à la femme, de ces médicaments, dans un conditionnement ajusté à la prescription, et la prise du premier de ces médicaments lors d'une téléconsultation avec le médecin ou la sage-femme. 

Tout d’abord, le Conseil d’État estime qu’en raison des circonstances exceptionnelles telles que régies par la loi d’urgence du 23 mars 2020, outre le premier ministre, dont la compétence se limite aux mesures générales, le ministre de la santé était compétent pour prendre toutes les autres mesures de nature à assurer la protection de la santé, pour autant qu’elles soient strictement nécessaires et proportionnées pour obvier la menace sanitaire. Il était donc, à ce titre, compétent, afin de permettre la réalisation d’un avortement par voie médicamenteuse au domicile jusqu'à la fin de la septième semaine de grossesse, pour autoriser – à titre dérogatoire - la prescription de spécialités pharmaceutiques en dehors du cadre de leur autorisation de mise sur le marché. 

Ensuite, concernant le contenu même des mesures critiquées, il est jugé que dans le contexte décrit plus haut, celui-ci est estimé proportionné, en densité et dans le temps, aux circonstances de fait nées de l’épidémie de Covid-19.

Enfin, est rejeté l’argument selon lequel serait illégale l’absence de clause de conscience qui permettrait aux pharmaciens d’officine - au contraire de ce qu’il en est pour d’autres professions de santé - de ne pas délivrer des médicaments destinés à provoquer un avortement car la circonstance qu’au lieu d’être délivrés par eux à d’autres professionnels de santé, ils le sont par eux directement à la femme enceinte ne modifierait pas la situation antérieure. De plus, est aussi avancé, sans valeur juridique en réalité et sans démonstration pertinente une fois de plus, l’argument selon lequel ces pharmaciens seraient « dans une situation différente » de celle des autres professionnels de santé.

La solution, dans son ensemble, repose – implicitement mais nécessairement - sur l’idée que le recours à l’avortement est une liberté plus fondamentale que d’autres (réunion, religion, aller et venir, etc.) puisque tout est mis en œuvre pour assurer son effectivité.

(16 décembre 2020, Association Alliance Vita et Association Juristes pour l'enfance, n° 440214 ; association Pharmac'éthique, n° 440316, jonction)

 

229 - Spécialités pharmaceutiques remboursables – Exclusion des spécialités et des préparations homéopathiques – Absence d’atteinte aux objectifs d’une directive européenne – Absence de non-respect des droits de la défense – Avis de la commission de la transparence rendu en connaissance de cause – Rejet.

Les huit requêtes jointes tendaient à l’annulation :

- des décrets n° 2019-904 du 30 août 2019 relatif à l'exclusion de préparations homéopathiques de la prise en charge par l'assurance maladie, n° 2019-905 du 30 août 2019 modifiant les conditions de remboursement des spécialités homéopathiques et des préparations homéopathiques,

- des arrêtés interministériels du 4 octobre 2019 portant radiation de médicaments homéopathiques de la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables aux assurés sociaux mentionnée au premier alinéa de l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale et mettant fin à la prise en charge par l'assurance maladie des préparations homéopathiques remboursables, de l’arrêté du 25 novembre 2019 fixant le taux de la participation de l'assuré prévue à l'article L. 160-13 du code de la sécurité sociale pour les spécialités homéopathiques et les préparations homéopathiques mentionnées au 7° de l'article R. 160-5 du même code,

- de la décision du 27 novembre 2019 du directeur général de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie portant application du taux de participation de l'assuré fixé au titre du 7° de l'article R. 160-5 du code de la sécurité sociale,

- de la décision tacite augmentant de 70 à 85 % le taux de la participation de l'assuré social prévue à l'article L. 160-13 du code de la sécurité sociale pour les formules homéopathiques de prescription courante, révélée par la publication en ligne, en décembre 2020, sur la base des médicaments et des informations tarifaires de l'assurance maladie, de la liste de ces formules et de leur taux modifié de prise en charge,

- de la décision tacite radiant, à compter du 1er janvier 2021, les formules homéopathiques de prescription courante de la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables aux assurés sociaux, révélée par la publication en ligne, le 11 février 2020, sur la base des médicaments et informations tarifaire de l'assurance maladie, de la liste de ces formules assortie d'une date de fin de prise en charge au 31 décembre 2020 au motif d'une « radiation ».

Elles sont rejetées en tous leurs chefs de moyens, le recours contre l’avant-dernier des actes attaqués précités étant jugé irrecevable car il ne constitue pas une décision contrairement à ce qui est allégué par la société requérante première dénommée.

Pour le reste :

1° l'arrêté du 4 octobre 2019 radiant des médicaments homéopathiques de la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables aux assurés sociaux ne souffre d’aucun des vices qui, selon les requérantes, affecteraient sa légalité externe ;

2° l'exception d'illégalité des articles R. 163-14-4 à R. 163-14-6 du code de la sécurité sociale est rejetée qu’il s’agisse de leur confrontation avec les art. L. 5121-13, L. 5121-8 et L. 5121-9 du code de la santé publique ou avec les objectifs de la directive 89/105/CEE du 21 décembre 1988,

3° les autres moyens de légalité interne sont également rejetés, en particulier celui tiré de la méthodologie et de l’avis de la commission de la transparence et celui tiré de ce que la radiation des spécialités homéopathiques de la liste des médicaments remboursables aurait mécaniquement pour effet d’accroître les dépenses d’assurance maladie,

4° ne prospèrent pas davantage les critiques dirigées contre le décret du 30 août 2019 et l'arrêté du 4 octobre 2019 mettant fin à la prise en charge par l'assurance maladie des préparations homéopathiques, notamment celles portant sur l’incompétence de l’auteur du décret, sur la consultation spontanée de la commission de la transparence par le premier ministre, sur la prétendue erreur manifeste d’appréciation qu’aurait commise le pouvoir réglementaire en relevant l'absence d'élément propre à établir l'efficacité des préparations homéopathiques ou leur intérêt pour la santé publique,

5° le décret du 30 août 2019, l'arrêté du 25 novembre 2019 et la décision du 27 novembre 2019 relatifs au taux de la participation de l'assuré social aux tarifs des spécialités et préparations homéopathiques n’ont pas davantage que les précédents été pris par une autorité incompétente et ne souffrent d’aucune des illégalités déjà alléguées, en vain, pour les autres textes précédemment examinés par le juge.

(18 décembre 2020, Sociétés Boiron et Homéopathie Rocal, n° 435407, n° 435409, n° 436452, n° 436453, n° 437628, n° 437631 ; Société Boiron, n° 438097 et n° 439042, jonction)

 

230 - Fixation d’éléments tarifaires – Activités de soins de suite et de réadaptation – Modification réglementaire des conditions de prise en charge des prestations d’hospitalisation par les régimes obligatoires de sécurité sociale – Fixation d’une évolution moyenne nationale et d’une évolution moyenne par région des tarifs de soins de suite et de réadaptation sans distinction entre établissements de santé privés à but lucratif ou sans but lucratif – Rejet.

Les conditions de prise en charge par le régime obligatoire de sécurité sociale des soins de suite et de réadaptation ont été modifiées par un arrêté du 18 avril 2019 fixant pour l'année 2019 les éléments tarifaires mentionnés aux 1° à 3° du I de l'article L. 162-22-3 du code de la sécurité sociale des établissements de santé figurant au d de l'article L. 162-22-6 du code de la sécurité sociale. En bref, le nouveau mécanisme, à la différence du précédent, ne distingue plus, parmi les établissements de santé privés entre ceux à but lucratif et ceux sans but lucratif et se fonde sur l'évolution moyenne nationale et l'évolution moyenne dans chaque région des tarifs de ces prestations. Le recours tendait à l’annulation de cette modalité nouvelle.

Il est rejeté en tous ses chefs de moyens.

Tout d’abord, il ne résulte pas directement de ce texte, contrairement à ce que soutient la fédération requérante, qu'il modifierait les règles relatives au dispositif d'allègement de charges fiscales existant pour les établissements sans but lucratif.

Ensuite, en prenant en considération, pour édicter l'arrêté attaqué, l'incidence positive du crédit d'impôt sur la taxe sur les salaires sur le niveau des charges des établissements privés de santé à but non lucratif mentionnés au d de l'article L. 162 22-6, les nouvelles dispositions n'ont pas méconnu les termes de l'article R. 162-31-5 dont elles devaient faire application et n'ont pas commis d'erreur de droit.

Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en fixant l'évolution moyenne nationale des tarifs des prestations de soins de suite et de réadaptation et de psychiatrie aux niveaux prévus par l'arrêté attaqué, aurait été commise, au regard notamment des charges de personnel des établissements de santé ayant une activité de soins de suite et de réadaptation ou de psychiatrie, une erreur manifeste dans l'application des dispositions mises en oeuvre.

Encore, l’arrêté, se bornant à fixer d’une part les deux catégories d’évolutions moyennes et d’autre part les variations maximales et minimales des taux d'évolution des prestations qui peuvent être allouées aux établissements, n’empêche pas que les agences régionales de santé fixent les tarifs applicables à chaque établissement en tenant compte de sa situation particulière.

(23 décembre 2020, Fédération des établissements hospitaliers, et d'aide à la personne, privés à but non lucratif, n° 431858)

 

231 - Recommandations de bonnes pratiques – Recommandations élaborées par la Haute autorité de santé (HAS) – Contribution à la connaissance des données acquises de la science – Obligation pour les professionnels de santé de parfaire leurs connaissances et de les adapter au patient – Mise à jour ultérieure des recommandations, rectification ou abandon de celles-ci par la HAS – HAS saisie d’une demande de réexamen d’une recommandation négative – Obligation pour la HAS, le cas échéant, de correction, même partielle, d’une recommandation - Date à laquelle le juge se place pour statuer sur un tel litige – Rejet.

(23 décembre 2020, Association Autisme Espoir vers l'école, n° 428284) V. n° 7

 

Service public

 

232 - Invocation de règles particulières pour se soustraire à l’application de la loi commune - Restauration scolaire – Menus de substitution aux menus comportant de la viande de porc – Imposition d’un menu unique à tous les rationnaires - Absence de d’obligation ou d’interdiction de proposer de tels menus – Prise en compte de l’intérêt général – Rejet.

L’association requérante a contesté en justice la décision d’une commune de ne plus proposer de repas de substitution lorsque le menu des cantines scolaires prévoit du porc car cette dernière se serait fondée pour cela – à tort - sur les principes de laïcité, de neutralité et d’égalité entre usagers du service public.

Le Conseil d’État lui donne raison en confirmant l’essentiel de la motivation de l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel.

Selon le Conseil d’État une collectivité publique n’est pas tenue de proposer des menus de substitution et ne se le voit pas non plus interdire. Dès lors, ainsi que l’avait jugé la cour administrative d’appel, pour supprimer le système existant d’offre d’un menu de substitution, une commune n’a pas le droit de se fonder sur les principes de laïcité, de neutralité et d’égalité des usagers du service public.

La cour avait ajouté que le gestionnaire d’un service public administratif ne peut décider d’en modifier les modalités d’organisation et de fonctionnement sans invoquer « des motifs en rapport avec les nécessités du service ». Le Conseil d’État, estimant ce motif surabondant par rapport au précédent, se dispense de le censurer pour cause d’inopérance.

Par ailleurs, la commune ayant soutenu que l’existence de menus de substitution conduisait à stigmatiser les enfants concernés, à les regrouper à des tables communes et à les ficher pour des raisons de commodité de gestion, ceci en violation de la loi informatique et libertés, le Conseil d’État rejette l’argumentaire au motif que la requérante n’établit pas l’existence de ces pratiques.

La décision est critiquable pour les incertitudes qu’elle crée.

Pour quel(s) motif(s) une commune peut-elle décider de ne pas créer de menu de substitution ? En soutenant que c’est plus cher, plus compliqué, etc. En voyant dans le menu unique une façon d’amener tous les enfants à la soumission à une loi commune ?

Pour que(s) motif(s) une collectivité publique peut-elle légalement décider de mettre fin au menu de substitution ?

Que se serait-il passé si les pratiques dénoncées par la commune avaient été établies ?

Le raisonnement de la cour déclaré, ici, inopérant l’est-il relativement à l’autre motif ou bien absolument ?

Enfin, il est une question passée sous silence dans cette interminable controverse sur les menus « religieux » qui est celle de la taxation de nature religieuse que supportent les aliments de substitution. La certification qu’une viande est bien conforme aux prescriptions de telle religion est un rituel payant ; la commune qui achète ce produit verse donc, inclus dans le prix d’achat, le coût de la certification de conformité.

Que devient en ce cas le principe de la loi de 1905 que la république « ne subventionne aucun culte » ?

(11 décembre 2020, Commune de Chalon-sur-Saône, n° 426483)

 

Sport

 

233 - Football – Épidémie de Covid-19 – Interruption de la saison 2019-2020 – Décision subséquente de la Fédération française de football concernant les championnats amateurs – Rejet.

Les différents recours tendaient à l’annulation, les uns, de la décision du comité exécutif de la Fédération française de football du 16 avril 2020 en tant qu’elle a mis fin à la saison 2019/2020 des championnats amateurs et a fixé les règles relatives au classement, aux accessions et aux relégations, les autres, à la décision de cet organisme en date du 11 mai 2020 établissant les critères et les modalités d'accession et de relégation du championnat de National 1 masculin pour la saison 2019/2020, et, l’un d’eux, en outre, la décision du 15 mai 2020 établissant le classement du championnat de National 1 masculin pour la saison 2019/2020.

On n’est guère surpris que, par une argumentation très semblable à celle retenue dans le cadre d’autres recours, nombreux, formés par des organisations professionnelles (cf. cette Chronique, juin 2020, n° 163 à n° 165 inclus, juillet-août 2020, n° 207 à n° 210 inclus et n° 212, octobre 2020, n° 138 et n° 139), le juge rejette l’ensemble de ces recours en raison des circonstances sanitaires, du silence des statuts fédéraux sur une telle question, de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation, et cela alors même que d’autres solutions eussent été possibles et que, dans d’autres pays européens, ont été retenues, ceci étant sans effet sur la légalité des décisions contestées.

(17 décembre 2020, Association Blanc-Mesnil Sport Football, n° 440437 ; Le Causse Limagne FC et autres, n° 440967 ; Sporting Club Toulon, n° 441114 ; Union sportive Nogent 94, n° 441188 ; Association Le Puy Foot 43 Auvergne, n° 441775 ; Société AS Béziers, n° 442089)

(234) V. aussi, le rejet de demandes d’annulation :

1° de la décision du 27 mai 2020 par laquelle le comité exécutif de la Fédération française de football a réformé, en la privant de tout effet, la décision de l'assemblée générale de la Ligue de football professionnel du 20 mai 2020 portant à vingt-deux clubs le format de la Ligue 2 et maintenant en Ligue 2, pour la saison 2020-2021, les clubs classés en 19ème et 20ème positions de ce championnat à l'issue de la saison 2019-2020 ;

2° ainsi que, par voie de conséquence, de la décision du conseil d'administration de la Ligue de football professionnel du 5 juin 2020 prononçant la relégation en National 1 des clubs classés en 19ème et 20ème positions de Ligue 2 ;

3° de la décision du conseil d'administration de la Ligue de football professionnel du 5 juin 2020 de ne pas organiser de barrages entre le 18ème de Ligue 2 et le 3ème de National 1 et de la décision du comité exécutif de la Fédération française de football du 22 juin 2020 approuvant cette décision : 17 décembre 2020, Société Union sportive Orléans Loiret Football, n° 441444 ; Société anonyme sportive professionnelle (SASP) Le Mans Football Club, n° 441451 ; Union sportive Boulogne Côte d'Opale (USCO), n° 442159.

(235) V. également, très semblable, à propos des effets du Covid-19 sur les compétitions de volley-ball : 18 décembre 2020, SASP Le Grand Nancy Volley-Ball et Association Le Grand Nancy Volley-Ball, n° 440801 et n° 441541.

 

Urbanisme

 

236 - Aire de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine (AVAP) – Appréciation de la légalité de l’institution d’une telle aire – Cas d’une parcelle incluse dans l’aire et ne présentant pas un tel intérêt – Appréciation de la légalité au regard de l’objectif de mise en valeur de l’ensemble – Annulation avec renvoi.

Une société a obtenu le permis de construire un hôtel de cent chambres ainsi que 48 logements ; il est attaqué par un particulier qui sollicite en même temps l’annulation, pour illégalité, du règlement de l'aire de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine de la commune de La Baule-Escoublac. Débouté en première instance, il obtient gain de cause en appel avec l’annulation du règlement contesté.

La commune se pourvoit et le Conseil d’État annule l’arrêt d’appel en tant qu’il a estimé illégal ledit règlement.

Pour ce faire, le juge de cassation se fonde sur le caractère global de l’objectif de création d’une AVAP ; le diagnostic qui la fonde envisage un territoire dans sa globalité et non dans ses diverses composantes territoriales. Or la cour avait jugé que la parcelle de terrain sur laquelle portait le permis ne présentait pas par elle-même de caractéristiques particulières justifiant son inclusion dans une AVAP.

La théorie de la globalité d’appréhension d’une AVAP n’impose donc pas que chaque parcelle ou chaque entité territoriale quelconque prise en elle-même possède l’une ou plusieurs des raisons d’ordre culturel, architectural, urbain, paysager, historique ou archéologique qui ont conduit à créer l’AVAP.

(10 décembre 2020, Commune de La Baule-Escoublac, n° 428303)

 

237 - Permis de construire des logements en résidence étudiante – Permis modificatif à fin de régularisation – Permis dérogeant à certaines règles d’urbanisme – Condition de mixité sociale – Pouvoir souverain d’appréciation laissé aux juges du fond – Rejet.

Dans ce litige en contestation du permis de construire délivré à une société en vue de la réalisation d’une résidence pour étudiants, le Conseil d’État, outre diverses questions se rencontrant habituellement dans ce genre de dossier, résout deux difficultés particulières.

La première relève du droit du contentieux : un pouvoir souverain d’appréciation est laissé aux juges du fond pour apprécier si est respectée la condition de mixité sociale imposée par diverses dispositions du droit de l’urbanisme pour qu’il puisse être dérogé à certaines prescriptions du plan local d’urbanisme (cf. art. L. 152-6 c. urb.).

La seconde difficulté concerne la forme qu’est susceptible de revêtir la régularisation d’un permis de construire irrégulier. Ici il est admis qu’elle puisse consister, sur demande expresse en ce sens du pétitionnaire, en une dérogation, permise par le code de l’urbanisme, aux règles d’urbanisme normalement applicables

(17 décembre 2020, Société Lapeyre, n° 432561)

 

238 - Demande d’annulation de divers articles d’un plan local d’urbanisme – Juge ordonnant la régularisation des dispositions illégales par délibération du conseil municipal – Utilisation de l’art. L. 600-9 du code de l’urbanisme - Conséquences procédurales en résultant – Non-lieu à statuer et rejet du surplus des demandes.

Le litige, qui portait sur l’illégalité de dispositions d’un plan local d’urbanisme et a conduit le juge à faire usage des pouvoirs qu’il tient de l’art. L. 600-9 du code de l’urbanisme de demander à la commune de régulariser les dispositions illégales dudit plan, est l’occasion de très utiles précisions procédurales sur le recours à cette disposition.

L’art. L. 600-9 du code précité dispose que : « Si le juge administratif, saisi de conclusions dirigées contre (...) un plan local d'urbanisme (...), estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'une illégalité entachant l'élaboration ou la révision de cet acte est susceptible d'être régularisée, il peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation et pendant lequel le document d'urbanisme reste applicable, sous les réserves suivantes : 1° En cas d'illégalité autre qu'un vice de forme ou de procédure, pour (...) les plans locaux d'urbanisme, le sursis à statuer ne peut être prononcé que si l'illégalité est susceptible d'être régularisée par une procédure de modification (...).

Si la régularisation intervient avant le délai fixé, elle est notifiée au juge, qui statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations (...) ".

Il suit de là deux séries de conséquences, l’une pour le juge et l’autre pour l’auteur du recours.

Il résulte des termes mêmes de cette disposition (« après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés ») que le juge a l’obligation, avant d’ordonner la régularisation et de surseoir à statuer à cet effet, d’une part, de constater expressément qu’aucun des autres moyens soulevés par le demandeur n’est fondé et, d’autre part, d’indiquer les motifs pour lesquels ils ne sont pas retenus.

S’agissant du requérant, il s’évince de ce qui précède après qu’un tel sursis a été ordonné, qu’il peut contester aussi bien la décision de faire application de l’art. L. 600-9 précité que le rejet des autres moyens qu’il avait invoqués. Cependant, sa demande relativement à la mise en œuvre de l’art. L. 600-9 c. urb. devient sans objet dès qu’intervient la délibération régularisant l’illégalité relevée par le juge.

(18 décembre 2020, Société Fonimmo-ID, n° 421987)

 

239 - Plan d’urbanisme - Contestation du classement de parcelles dans ce plan - Annulation du plan – Nouveau plan adopté par la commune – Portée de l’autorité de chose jugée attachée au jugement d’annulation antérieur – Rejet.

Le requérant avait demandé et obtenu du tribunal administratif en 2004 l’annulation de la révision d’un plan d’occupation des sols (POS) adoptée en 2000 en tant qu’il classait trois des parcelles dont il était propriétaire en zone ND car celles-ci devaient être regardées comme faisant partie d’une zone urbanisée. Ce jugement, fondé sur l’erreur manifeste d’appréciation résultant d’un tel classement, est devenu définitif.

Le nouveau plan local d’urbanisme, adopté en 2014 classe lesdites parcelles en zone N.

Le tribunal administratif a rejeté le recours de l’intéressé qui était fondé sur ce que ce classement porterait atteinte à l’autorité absolue attachée à son précédent jugement. Le jugement ayant été confirmé en appel, un pourvoi est formé. Il est rejeté.

Le Conseil d’État approuve la cour administrative d’appel d’avoir jugé que le nouveau classement ne méconnaissait pas l’autorité de chose jugée du premier jugement car celle-ci ne concerne que le dispositif de celui-ci et ceux des motifs qui en sont le soutien nécessaire. La cour a considéré que la commune, dans son nouveau plan, retenait un parti d’aménagement et de développement durables caractérisé par une limitation de l’urbanisation en vue de préserver les milieux naturels, de limiter le mitage et de favoriser une utilisation économe de l’espace naturel, par suite, elle a pu légalement ne plus classer les parcelles litigieuses en zone urbaine et ceci « alors même que leur configuration et leur aspect n'avaient pas évolué ».

Au-delà du phénomène de mode sur le développement durable, la solution peut surprendre au regard de la « logique » de raisonnement qui y est suivi et du peu de considération pour le principe d’effectivité des recours en justice.

(18 décembre 2020, M. B., n° 421988)

 

240 - Permis de construire – Preuve d’un affichage continu de deux mois non rapportée – Absence de forclusion du recours introduit – Urgence censée toujours exister, sauf circonstance particulière, s’agissant de la construction d’un bâtiment – Construction presque achevée – Urgence inexistante – Annulation de l’ordonnance de référé contraire.

La requérante contestait un permis de construire qu’une commune s’était délivré à elle-même pour la construction d’une maison de sauvetage. Son action en référé suspension (art. L. 521-1 CJA) ayant été rejetée en première instance, elle saisit le Conseil d’État par voie d’appel.

Le Conseil d’État, accueillant l’appel mais le rejetant au fond, apporte deux indications intéressantes.

En premier lieu, est annulée la forclusion opposée à la requérante en première instance car les constats d’huissier établissent l’existence d’un affichage du permis de construire litigieux du 19 septembre au 21 octobre mais point du 21 octobre au 19 novembre. L’absence de preuve d’un affichage continu de deux mois n’étant pas rapportée la requérante est fondée à demander l’annulation de l’ordonnance qui l’a déboutée pour forclusion.

En second lieu, et plus original, le Conseil d’État estime non remplie la condition d’urgence même si en principe, en matière de construction d’un bâtiment, la condition d’urgence est présumée toujours satisfaite car en l’espèce la construction était presque terminée lors de la saisine du juge puisque restait encore seule à réaliser la végétalisation du toit.

D’où le rejet de l’appel.

(ord. réf. 23 décembre 2020, Fédération des Associations de Protection de l'Environnement et du Littoral des Côtes-d'Armor, n° 441349)

 

241 - Permis de construire – Irrégularités – Invitation du juge à régulariser (art. L. 600-5-1 c. urb.) – Possibilité pour l’auteur du recours de contester ce jugement – Recours devenant sans objet à partir de la délivrance d’un permis modificatif – Annulation sans renvoi de l’arrêt d’avant-dire droit.

Rappel d’une solution bien connue quand les juges du fond, ayant retenu l'existence d'un ou de plusieurs vices entachant la légalité d’un permis de construire dont l'annulation leur était demandée, ont décidé avant dire droit de surseoir à statuer en faisant usage des pouvoirs qu'ils tiennent de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme pour inviter l'administration à régulariser ce ou ces vices.

En cette hypothèse, l'auteur du recours formé contre le jugement ou l'arrêt avant dire droit peut contester ce jugement ou cet arrêt en tant qu'il a écarté comme non fondés les autres moyens qu’il avait dirigés contre l'autorisation initiale d'urbanisme et également en tant qu'il a fait application des dispositions de l'article L. 600-5-1.

Toutefois, la délivrance du permis modificatif régularisant le ou les vices relevés, a pour effet de rendre sans objet celle de ses conclusions dirigée contre la mise en œuvre par le juge des pouvoirs de l'article L. 600-5-1 précité.

(24 décembre 2020, M. A. et société La Savane, n° 427890)

 

242 - Projet d'aménagement et de développement durables (PADD) - Absence d’opposabilité directe à une demande d’autorisation de construire – Nécessité de la prise en compte des orientations du PADD en cas d’élaboration suffisamment avancée d’un plan local d’urbanisme – Appréciation du point de savoir si l’objet du permis de construire est de nature à rendre plus onéreuse ou à compromettre l’exécution du PLU – Absence d’erreur de droit – Rejet.

Rappel de ce que, d’une part, le projet d'aménagement et de développement durables (PADD) prévu par l'article L. 151-2 du code de l'urbanisme n'est pas directement opposable aux demandes d'autorisation de construire, et d’autre part, l'autorité saisie d'une telle demande doit prendre en compte les orientations du PADD, dès lors qu'elles traduisent un état suffisamment avancé du futur plan local d'urbanisme, pour apprécier si la construction envisagée serait de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l'exécution de ce plan et décider, le cas échéant, de surseoir à statuer sur la demande, en application de l'article L. 153-11 du code de l'urbanisme.

(24 décembre 2020, M. A., n° 435980)

 

243 - Permis de construire – Contestation de deux permis identiques - Permis situé sur des terrains contigus - Identité des constructions – Desserte par une même voie – Octroi le même jour de permis modificatifs identiques – Réalisation d’un ensemble immobilier unique – Absence – Rejet.

La circonstance que deux projets, faisant l’objet de permis de construire distincts délivrés à des personnes juridiques différentes, sont identiques, que leurs plans sont similaires, que les futures constructions seront desservies par la même voie d'accès, que le local à ordures ménagères, l'abri pour les boîtes aux lettres et la borne à incendie sont communs aux deux projets et que des permis de construire modificatifs, qui ont le même objet, ont été délivrés le même jour, n’a qu’une cause d'ordre technique, insuffisante à elle seule, pour caractériser l'existence d'un ensemble immobilier unique : c’est à bon droit que la commune a délivré deux permis de construire distincts.

(24 décembre 2020, M. et Mme A., n° 436046)

 

244 - Permis de construire - Projet soumis à étude d’impact (tableau annexé à l’art. R. 122-2 c. envir.) – Contenu du dossier – Mesures et modalités à la charge du pétitionnaire (art. R. 122-14 c. envir.) – Erreur de droit – Annulation.

De cette très longue décision rendue à propos de la contestation d’un permis de construire 226 logements répartis en sept bâtiments où de très nombreux moyens étaient soulevés, on retiendra seulement un aspect, important, qui conduit à l’annulation du jugement attaqué, rendu après cassation, le Conseil d’État étant saisi pour la seconde d’un pourvoi dans ce dossier et statuant donc définitivement.

Il s’agissait d’un permis de construire portant sur un projet qui, selon les termes de l’art. L. 122-1 du code l’environnement, en raison de ses dimensions et d’autres aspects, était susceptible d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine ; il devait donc être précédé d’une étude d’impact car il figure sur les lignes 36° et 37° du tableau annexé à l’art. R. 122-2 du code précité.

Le I de l’art. R. 122-14 de ce code précise que : « La décision d'autorisation, d'approbation ou d'exécution du projet mentionne :

1° Les mesures à la charge du pétitionnaire ou du maître d'ouvrage, destinées à éviter les effets négatifs notables du projet sur l'environnement ou la santé humaine, réduire les effets n'ayant pu être évités et, lorsque cela est possible, compenser les effets négatifs notables du projet sur l'environnement ou la santé humaine qui n'ont pu être ni évités ni suffisamment réduits ;

2° Les modalités du suivi des effets du projet sur l'environnement ou la santé humaine ;

3° Les modalités du suivi de la réalisation des mesures prévues au 1° ainsi que du suivi de leurs effets sur l'environnement (...) ». 

Le tribunal administratif avait jugé que la méconnaissance de l'article R. 122-14 ne pouvait pas être utilement invoquée à l'encontre du contenu d'un permis de construire délivré pour des travaux soumis à étude d'impact. Il a donc commis une erreur de droit entraînant ipso facto son annulation.

(29 décembre 2020, Association Koenigshoffen Demain, n° 432539)

 

245 - Périmètre de secteur sauvegardé – Obligation d’un permis de démolir le cas échéant – Permis de construire devant être accompagné de la justification du dépôt de la demande d’un permis de démolir ou constituer, en même temps, un permis de démolir – Permis de construire valant aussi permis de démolir sous condition d’une demande expresse en ce sens – Annulation.

 Rappel de ce que la réalisation de travaux de démolition portant sur une construction située dans le périmètre d'un secteur sauvegardé, devenu site patrimonial remarquable, est subordonnée à l’obtention d’un permis de démolir.

Le permis de construire autorisant un projet présupposant la démolition totale ou partielle d'une construction soumise au régime du permis de démolir, doit être accompagnée de la justification du dépôt de la demande de permis de démolir ou bien porter à la fois sur la démolition et sur la construction.

Lorsque le permis de construire et le permis de démolir ont été accordés par une même décision et au terme d'une instruction commune, ils n’en demeurent pas moins des actes distincts ayant des effets propres.

Il s’ensuit que la décision accordant un permis de construire ne peut valoir également permis de démolir que si le dossier de demande mentionne explicitement que le pétitionnaire entend solliciter cette autorisation de démolir.

(29 décembre 2020, M. B., n° 434818)

 

246 - Permis de construire – Régularisation des vices l’affectant – Annulation du permis sans examen de la demande de régularisation – Méconnaissance de l’art. L. 600-5-1 c. urb. – Annulation avec renvoi.

Encourt la cassation le jugement qui annule un permis de construire sans répondre au moyen subsidiaire tendant à ce qu’il soit sursis à statuer sur cette demande d’annulation – en application des dispositions de l’art. L. 600-5-1 c. urb. – afin de permettre la régularisation de vices éventuels dont il serait entaché.

(30 décembre 2020, Société Kaufman et Broad, n° 436038)

 

247 - Plan d’urbanisme intercommunal (PLUi) – Modifications demandées par le préfet – Exécution du plan différée jusqu’à la réalisation des modifications – Référé-suspension  – Condition d’urgence satisfaite quand la demande de modifications retarde l’entrée en vigueur du PLUi – Obligation pour le juge des référés d’ordonner la suspension de l’exécution de toute demande préfectorale de modification en présence d’un doute sérieux sur sa légalité – Impossibilité de rejeter le référé sur le fondement des autres motifs fondant légalement la demande de modification - Annulation de l’ordonnance de référé – Suspension partielle de la décision préfectorale.

Le conseil communautaire de la communauté de communes requérante a approuvé le plan local d'urbanisme intercommunal valant programme local de l'habitat alors que son territoire n'est pas couvert par un schéma de cohérence territoriale. L’autorité préfectorale, au visa de  l'art. L. 153-25 du code de l'urbanisme, a demandé que soient apportées trois modifications : la suppression ou la localisation dans des parties déjà anthropisées du territoire trois zones destinées à accueillir des installations photovoltaïques ; le classement en zone UX de l'emprise de la voie d'accès au futur site d’un abattoir ; une définition plus précise des critères permettant le changement de destination des bâtiments isolés en zones agricole et naturelle, afin de limiter le nombre et la dispersion des bâtiments concernés, et la traduction de ces nouveaux critères dans les documents graphiques.

Le juge des référés ayant rejeté sa demande de suspension de l’exécution de cette décision, la communauté de communes se pourvoit en cassation.

Le litige portait pour l’essentiel sur l’office du juge des référés.

De ce que les demandes de modifications ont pour effet de retarder l’entrée en vigueur du PLUi jusqu’à la réalisation effective des modifications, le Conseil d’État juge qu’est ipso facto satisfaite la condition d’urgence nécessaire pour permettre la suspension d’une décision administrative en référé.

Ensuite, il incombe au juge des référés qui constate l’existence d’un moyen, invoqué par le demandeur, de nature à créer un doute sérieux sur l’une des demandes de modification, d’ordonner la suspension de la décision en tant qu’elle porte sur cette modification.

Or, en l’espèce, le juge des référés, après avoir estimé qu'était de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée le moyen dirigé contre l’une des demandes de modification du plan, a rejeté l'ensemble des conclusions dont il était saisi au motif que la même décision aurait été prise si n'avaient été retenus que les deux autres motifs car ils lui paraissaient de nature à fonder légalement sa décision. Son ordonnance est annulée pour méconnaissance de l’office du juge des référés en ce cas.

La décision aborde aussi la question de l’impartialité du juge.

A l’issue de l’enquête publique, lors de la remise du rapport de la commission d’enquête, le président du tribunal avait demandé que soit apporté un complément à ce rapport pour expliquer pourquoi, après avoir émis des réserves sur ce projet, la commission avait cependant donné un avis favorable. La communauté de communes requérante estimait qu’étant ainsi intervenu, le même juge ne pouvait pas se prononcer en qualité de juge des référés sur la demande elle l’avait saisi.

Le Conseil rejette l’argument car l’intervention en cause, fondée sur les dispositions de l’art. R. 123-20 du code de l’urbanisme, se bornait à demander un complément sans porter aucun jugement sur le bien-fondé du rapport ainsi que des réserves émises ; dès lors aucune atteinte n’a été portée à l’exigence d’impartialité du juge.

(30 décembre 2020, Communauté des communes de la Ténarèze, n° 441075)

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Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Novembre 2020

Novembre 2020

 

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Bulletin de salaire d’un agent public – Document administratif communicable – Occultation des mentions relatives à la vie privée ou à la manière de servir – Mentions des heures supplémentaires figurant sur un tel bulletin – Mentions non communicables - Rejet.

Un enseignant ayant demandé que lui soit communiqué le bulletin de salaire de cinq enseignants du lycée dans lequel il était affecté, les premiers juges ont accédé à sa demande après que la CADA a rendu son avis et ont ordonné que soient occultées notamment les mentions relatives aux heures supplémentaires et à la rémunération nette des enseignants.

Il saisit le Conseil d’État d’un recours contre ce jugement ; il est débouté.

Le Conseil d’État rappelle le principe de communicabilité d’un tel document sous réserve que cette communication ne porte pas atteinte à la protection de la vie privée, ou ne révèle pas une appréciation ou un jugement de valeur sur l’intéressé. En ce cas, les éléments en cause doivent être occultés sur le document communiqué ou disjoints de celui-ci lorsque cela est possible (cf. dispositions combinées des art. L. 300-2, L. 311-5 à L. 311-7 du code des relations du public avec l’administration).

Le juge estime, en l’espèce, que le requérant ne pouvait pas demander que lui soient communiquées les mentions relatives aux heures supplémentaires et par suite à la rémunération nette figurant sur les bulletins de salaire car elles sont susceptibles de révéler une appréciation sur la manière de servir des enseignants. C’est à bon droit que les bulletins lui ont été communiqués avec occultation de ces éléments.

(4 novembre 2020, M. B., n° 427401)

 

2 - Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) – Compatibilité entre les activités exercées par un fonctionnaire et un projet d’activité privée lucrative - Avis de la HATVP ayant la nature d’une décision – Avis susceptible d’un recours pour excès de pouvoir – Compétence du Conseil d’État en premier et dernier ressort pour en connaître – Office de la HATVP dans l’exercice de son contrôle – Rejet.

Dans cette importante décision qui, en d’autres temps, se serait vu reconnaître l’honneur d’être rendue en Section du contentieux, le Conseil d’État avait à connaître de plusieurs points de droit relatifs à la nature des actes de la HATVP et à leur régime juridique et contentieux.

Cet organisme a notamment pour missions d’apprécier la compatibilité entre les fonctions antérieurement exercées par un fonctionnaire et son projet actuel d’une activité privée lucrative sans risque pénal et dans le respect des règles déontologiques auxquelles il est soumis.

L’ancien secrétaire général du ministère de l'Europe et des affaires étrangères (de juin 2017 à juillet 2019), M. B., a saisi le ministre de l'Europe et des affaires étrangères d’une demande de compatibilité entre ces dernières fonctions et sa volonté de présider à la fois une société unipersonnelle ayant pour objet le conseil et le salon « World Nuclear Exhibition » (WNE) organisé par le Groupement des entreprises françaises de l’énergie nucléaire (GIFEN) devant se tenir en 2020 à Paris. Le ministre l’ayant saisie, la HATVP a émis un avis de compatibilité sous réserve pour la première fonction et un avis négatif pour la seconde. Le ministre n’a pas admis la compatibilité pour le salon WNE

Il est demandé au Conseil d’État d’annuler la délibération de la Haute autorité et la décision du ministre.

Le Conseil estime tout d’abord, que l’avis rendu par la HATVP est une décision susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir et qu’un tel recours relève en l’espèce de la compétence du Conseil d’État en premier et dernier ressort.

En effet, s’il résulte des dispositions combinées des art. R. 311-1 et R. 312-12 du CJA que le recours dirigé contre la décision du ministre devrait relever de la compétence du tribunal administratif de Paris, il doit, ici, être porté directement devant le Conseil d’État en raison du lien de connexité existant entre l’avis de la HATVP et la décision du ministre dès lors que le litige relatif à l’avis relève lui-même de la compétence directe du Conseil d’État.

Ensuite, pour l’examen du fond du litige, le juge se prononce sur les deux chefs de compétence de la HATVP en cette matière, risque pénal et risque déontologique.

Selon la HATVP, le requérant avait représenté les intérêts de l'État actionnaire au sein du conseil d'administration des sociétés EDF et Orano en sa qualité de secrétaire général du ministère de l'Europe et des affaires étrangères or ces deux sociétés, fondatrices et membres du GIFEN, jouaient un rôle majeur dans le secteur nucléaire français. Elle a donc estimé que la présidence, dans le cadre d'une activité lucrative, du salon WNE organisé par le GIFEN, et dont l'objet est de promouvoir les intérêts des entreprises de ce secteur, présentait un risque de prise illégale d'intérêts au sens des dispositions de l'article 432-13 du code pénal ainsi qu’un risque déontologique important, eu égard aux doutes légitimes qu'elle pourrait faire naître sur les conditions dans lesquelles M. B. a exercé les pouvoirs d'administrateur représentant les intérêts de l'État actionnaire au sein des sociétés EDF et Orano.

Sur le risque pénal, le requérant faisait valoir que le GIFEN qui constitue un syndicat professionnel au sens de l'article L. 2131-1 du code du travail, ne pouvait pas être regardé comme une entreprise privée au sens de l'article 432-13 du code pénal et que lui-même ne peut être considéré comme ayant contrôlé ou surveillé ce syndicat, au sens de ces mêmes dispositions. Le Conseil d’État rejette cependant l’argument en relevant que, dans son avis, la HATVP s'est fondée sur le fait qu'à travers le GIFEN, les sociétés EDF et Orano jouaient un rôle prépondérant dans l'organisation du salon WNE, ce que confirment les pièces du dossier.

Il rejette aussi, sur ce point, tout en le reconnaissant exact, l’argument du requérant selon lequel la Cour de cassation n'aurait jamais fait application de la « théorie de l'interposition de personnes » au délit de prise illégale d'intérêts et ainsi la Haute Autorité a commis une erreur de droit en n'apportant pas la preuve que les conditions en étaient effectivement réunies en l'espèce. Toutefois, il objecte que la Haute Autorité n’a pas à apprécier l’existence réelle des infractions en cause mais seulement, selon le VI de l’art. 25 octies de la loi du 13 juillet 1983, si l’exercice des fonctions dont la compatibilité est vérifiée « risque de placer l’intéressé en situation de commettre (ces) infractions ». La Haute Autorité n’a pas fait en l’espèce une inexacte application de cette disposition.

S’agissant du risque déontologique, le juge est d’accord avec la Haute Autorité pour déduire de l’ensemble des circonstances de cette affaire qu’un doute sérieux rétrospectif pouvait naître sur la façon dont le requérant avait exercé ses fonctions au ministère.

Le recours est rejeté.

(4 novembre 2020, M. B., n° 440963)

 

3 - Haute autorité de santé (HAS) – Règles de bonne pratique recommandées - Édiction par cette dernière d’une « fiche mémo » pour le traitement de la lombalgie commune – Acte faisant grief – Régularité de la procédure d’adoption de la « fiche mémo » litigieuse - Classement, sans erreur, des techniques manuelles de traitement de la lombalgie en seconde intention – Rejet.

Les associations requérantes demandaient l’annulation pour excès de pouvoir de la décision du collège de la HAS du 27 mars 2019 adoptant la fiche mémo intitulée « Prise en charge du patient présentant une lombalgie commune » et les documents associés.

Le recours est rejeté.

Le juge relève d’abord que bien qu’une « fiche mémo » soit moins élaborée et moins complète qu’une recommandation de bonne pratique, elle est un acte entrant dans le champ de compétence de la HAS et fait grief ; elle peut donc être contestée devant le juge de l’excès de pouvoir.

Le premier grief, qui portait sur l’irrégularité de la procédure au terme de laquelle a été adoptée la « fiche mémo » en cause, est rejeté car celle-ci a été conforme au guide méthodologique adopté par la HAS qu’il s’agisse de l’établissement de la rédaction d'une note de cadrage par un chef de projet de l'autorité ou de l’élaboration de la « fiche mémo » elle-même.

Le second grief, qui portait sur le contenu de la fiche litigieuse, est lui aussi rejeté : la HAS n’a commis aucune erreur manifeste d’appréciation en recommandant qu'un diagnostic médical de lombalgie commune soit posé au préalable et en faisant figurer les techniques manuelles en deuxième intention.

(16 novembre 2020, Institut franco-européen de chiropraxie (IFEC), et association française de chiropraxie (AFC), n° 431120)

 

4 - Communication des documents administratifs – Notions de « communication » et de « document administratif » - Absence d’obligation pour l’administration de constituer ou de reconstituer un document n’existant pas – Rejet.

Les art. L. 311-1 et L. 300-2 du CRPA qui font obligation à l’administration de communiquer, à certaines conditions, les documents administratifs qu’elle détient ne lui imposent pas, en revanche, pour satisfaire aux demandes dont elle est saisie, de créer ou de reconstituer un document inexistant à la date de la demande. Ainsi est en principe communicable en cette qualité l’extraction d’une base de données sauf si cela représente une charge de travail par trop déraisonnable : anonymisation, occultation d’éléments relatifs à la vie privée ou à certains secrets ou données sensibles, accomplissement de calcul ou autres.

(13 novembre 2020, M. B., n° 432832)

 

5 - Propos tenus par le président de la république dans un entretien publié par un journal quotidien – Demande que ces propos soient « rapportés » - Absence de caractère décisoire ou de révélation de décision – Simple opinion ne pouvant faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir – Irrecevabilité manifeste – Rejet.

Est manifestement irrecevable – qui pouvait en douter ? – le recours pour excès de pouvoir dirigé contre le refus du président de la république de « rapporter » des propos tenus par lui dans un entretien avec un quotidien régional dès lors que ceux-ci ni ne constituent une décision qui serait susceptible de retrait ou d’abrogation ni ne révèlent l’existence d’une décision.

(13 novembre 2020, M. C., n° 433171)

 

6 - Article d’une loi renvoyant à un décret d’application – Dispositifs d’authentification de la provenance des tabacs – Courriers du ministre des finances fixant la liste des équipements et les modalités d’exécution par les intéressés des obligations mises à leur charge par la loi – Incompétence du ministre et par voie de conséquence du délégataire de sa signature – Annulation.

Le III de l’art. L. 3512-25 du code de la santé publique oblige les fabricants et les importateurs des produits du tabac à fournir gratuitement aux agents des douanes chargés de les contrôler les équipements nécessaires à la détection des éléments authentifiants visés à cet article. Il a renvoyé à un décret en Conseil d’État le soin de fixer ses modalités d’application.

Le Directeur général des douanes et droits indirects, agissant sur délégation à son profit de la signature du ministre a, par deux courriers, confirmés par une décision du ministre des finances, indiqué ces mesures d’application.

Le SEITA conteste la compétence de l’auteur de ces lettres, lesquelles constituent des décisions. Le Conseil d’État donne raison à la société demanderesse.

D’évidence, le ministre ne tenait d’aucune disposition la compétence pour prendre lui-même les mesures d’application que seul un décret en Conseil d’État pouvait comporter et cette incompétence entraîne celle du délégataire, lequel ne saurait détenir une compétence que son délégant ne détient pas lui-même.

(16 novembre 2020, Société nationale d'exploitation des tabacs et allumettes (SEITA), n° 431983, n° 432035 et n° 435970, jonction)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques

 

7 - Création du moyen d’identification électronique dit « authentification en ligne certifiée sur mobile » (Alicem) (décret du 13 mai 2019) – Recours au traitement de données biométriques - Existence d’un autre dispositif ne présupposant pas un consentement à un traitement de reconnaissance faciale – Règles de recueil des données adéquates et proportionnées – Rejet.

Le recours critiquait la légalité du décret du 13 mai 2019 autorisant la création d'un moyen d'identification électronique dénommé « Authentification en ligne certifiée sur mobile » ou Alicem et il en demandait l’annulation au motif qu’il mettait en œuvre une technologie de reconnaissance faciale dans des conditions discutables concernant le recueil du consentement des personnes concernées.

Le recours est rejeté.

Outre des moyens de la légalité externe, le juge procède à l’examen des moyens de légalité interne seuls retenus ici.

Tout d’abord, le juge estime qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que, pour la création d'identifiants électroniques, il existait à la date du décret attaqué d'autres moyens d'authentifier l'identité de l'usager de manière entièrement dématérialisée et présentant le même niveau de garantie que le système de reconnaissance faciale. L’adoption par le décret attaqué de cette technologie était donc impliquée directement par la finalité de ce traitement. 

Ensuite, les usagers ont toujours la possibilité, parallèlement à Alicem, d’utiliser le dispositif FranceConnect qui ne repose pas sur la nécessité d’un consentement à un traitement de reconnaissance faciale.

Enfin, il résulte de l’art. 7 du décret querellé qu’est prévue la collecte de données relatives, 1° à l'identification de l'usager, 2° à l'identification de son titre biométrique, 3° à l'équipement terminal de communications électroniques qu'il utilise et, 4°, à l'historique des transactions associées à son compte, ces dernières données ne pouvant être communiquées aux fournisseurs de téléservices en vertu de l'article 9 de ce texte.

Le juge en conclut qu’eu égard à l’objet et aux finalités du traitement en cause, le recueil de ces données, tel qu’il est organisé par le décret précité, doit être regardé comme adéquat et proportionné à cette finalité. 

(4 novembre 2020, Association « La Quadrature du Net », n° 432656)

 

8 - Site accessible aux candidats à la location d’un bien immobilier – Faille de sécurité du système permettant à des tiers non autorisés d’accéder à leurs données personnelles – Sanctions pécuniaire et par publicité prononcées par la CNIL – Contestation de la procédure suivie et des sanctions infligées – Rejet.

La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a constaté, suite à un signalement, que le site de la société requérante sur lequel peuvent s’inscrire des personnes candidates à une location immobilière, comportait une faille de sécurité permettant à des tiers non autorisés d'accéder aux données personnelles de ces candidats dès lors que ces derniers avaient téléchargé des documents sur ce site.

La CNIL a infligé une double sanction à cette société : une amende pécuniaire et la publicité de cette sanction pendant deux ans, suivie de son anonymisation.

La requérante conteste d’une part la procédure suivie et d’autre part la sanction qui lui a été infligée.

C’est sur la procédure suivie que cette décision est le plus intéressante.

D’une part, le Conseil d’État estime qu’il est loisible aux membres de la CNIL de télécharger des fichiers rendus accessibles par une faille de sécurité et que les constatations ainsi réalisées ne sauraient être frappées d’irrégularité, et d’autre part, - sur ce point le dossier soulevait une question délicate - que le prononcé d'une sanction par la formation restreinte de la CNIL n'est pas subordonné à l'intervention préalable d'une mise en demeure du responsable du traitement ou de son sous-traitant par le président de la CNIL. Cette lecture du III de l’art. 45 (aujourd’hui art. 20) de la loi du 6 janvier 1978 ne nous paraît pas déraisonnable ; elle avait été déjà mise en œuvre sous l’empire de la version de cet article antérieure à la loi du 20 juin 2018 (17 avril 2019, Optical Center, n° 422575 ; du même jour : Association pour le développement des foyers (ADEF), n° 423559). Voir cette Chronique, avril 2019, n° 8.

Sur les sanctions, le Conseil d’État, relevant que la somme de 400 000 euros que la requérante doit verser représente moins de 1% de son chiffre d'affaires pour l'année 2017 et 4% du plafond des sanctions susceptibles d’être infligées, juge qu’elle n’est pas excessive même accompagnée, à titre dissuasif, de la publicité de la sanction.

(4 novembre 2020, Société d'étude et de réalisation de gestion immobilière de construction (SERGIC), n° 433311)

 

9 - Fournisseurs d’accès à internet - Mesures de blocage, de déréférencement ou d'effacement de données ordonnées par le juge judiciaire (art. L. 336-2 code de la propriété intellectuelle) – Coût de la mise en œuvre de ces mesures – Demande d’instauration d’un mécanisme de compensation – Refus du premier ministre – Rejet.

Selon l’art. L. 336-2 du code de la propriété intellectuelle : " En présence d'une atteinte à un droit d'auteur ou à un droit voisin occasionnée par le contenu d'un service de communication au public en ligne, le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond peut ordonner à la demande des titulaires de droits sur les oeuvres et objets protégés, de leurs ayants droit, des organismes de gestion collective régis par le titre II du livre III ou des organismes de défense professionnelle visés à l'article L. 331-1, toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d'auteur ou un droit voisin, à l'encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier. (…) ". 

La société requérante demandait l’annulation du refus du premier ministre d’adopter un mécanisme de compensation des surcoûts supportés par les fournisseurs d'accès à internet au titre de la mise en oeuvre de mesures de blocage, de déréférencement ou d'effacement de données en exécution d'une décision judiciaire prise en application des dispositions de l'art. L. 336-2 préc.

Le Conseil d’État rejette le recours au motif notamment, d’une part, que le principe de la prise en charge par les fournisseurs d'accès à internet du coût des mesures ordonnées par le juge judiciaire sur le fondement de l'art. L. 336-2 ne peut être regardé comme méconnaissant, par lui-même, le principe de la liberté d'entreprise et, d’autre part, qu’il revient, le cas échéant, au juge judiciaire, saisi d'une demande d'injonction, de décider que ces coûts soient, totalement ou partiellement, mis à la charge des titulaires des droits d'auteur afin que le coût des mesures ordonnées n’impose pas aux entreprises concernées des sacrifices insupportables, ni ne mette en péril leur viabilité économique (v. en ce sens, Cass. 1ère civ., 6 juillet 2017, Sociétés SFR, Orange, Free, Bouygues télécom et autres c/ Union des producteurs de cinéma et autres, n° 16-17.217, 16-18.298, 16-18.348, 16-18.595).

(13 novembre 2020, Société Free, n° 425941 et n° 428381)

 

10 - Certification des comptes des établissements hospitaliers – Mission confiée aux commissaires aux comptes – Traitement des données – Accès aux données du dossier médical du patient – Mission dévolue à des prestataires extérieurs – Données devant faire l’objet de protections techniques adéquates – Illégalité partielle du décret d’application de l’art. L. 6113-7 du code de la santé publique (CSP) - Régime transitoire en attente de l’édiction de la réglementation complémentaire.

L’art. L. 6113-7 du CSP prévoit que tous les établissements de santé mettent en oeuvre des systèmes d'information tenant compte notamment des pathologies et des modes de prise en charge en vue d'améliorer la connaissance et l'évaluation de l'activité et des coûts et de favoriser l'optimisation de l'offre de soins. Il incombe aux praticiens exerçant dans les établissements de santé publics et privés de transmettre les données médicales nominatives nécessaires à l'analyse de l'activité et à la facturation de celle-ci au médecin, responsable de l'information médicale pour l'établissement, dans des conditions déterminées par voie réglementaire après consultation du Conseil national de l'ordre des médecins. Un décret fixe en particulier les conditions dans lesquelles des personnels placés sous l'autorité du praticien responsable, tels les prestataires extérieurs, ou des commissaires aux comptes intervenant au titre de la mission légale de certification des comptes (cf. art. L. 6145-16 CSP) peuvent contribuer au traitement de données. C’est l’objet du décret du 26 décembre 2018 relatif aux départements d'information médicale d’autoriser et d’encadrer l'accès aux données médicales des patients pour les besoins de l'analyse de l'activité, de sa facturation et du contrôle de cette facturation, d'une part, par des prestataires extérieurs et, d'autre part, par des commissaires aux comptes.

Le Conseil national de l'ordre des médecins demande au Conseil d’État l'annulation de ce décret pour excès de pouvoir.

Le juge rejette tous les moyens de légalité externe soulevés ainsi que la majorité des moyens de légalité interne sauf sur deux points.

S’agissant du recours aux commissaires aux comptes pour l’accomplissement de leur mission de certification des comptes de ces établissements, est censurée l’absence dans ce décret de mesures propres à garantir la protection du droit de la personne concernée au respect du secret médical (cf. art. L. 1110-4 CSP). En effet, ce texte prévoit que, dans le cadre de leur mission légale, ils peuvent seulement consulter les données utilisées pour le calcul des recettes de l'établissement, depuis l'admission du patient jusqu'à la facturation, sans création ni modification de données, avec une information adaptée des patients, en en limitant la conservation à la durée strictement nécessaire à cette mission et rappelant l'obligation de secret à laquelle ils sont soumis et, limite leur accès aux seules données « nécessaires (...) dans la stricte limite de ce qui est nécessaire à leurs missions », sans exclure par principe leur accès à aucune de ces données.

S’agissant du recours à des prestataires extérieurs pour le traitement des données à caractère personnel (cf. art. R. 6113-1 CSP), placés à ce titre sous la responsabilité du médecin responsable de l'information médicale, le juge censure l’absence dans le décret de garanties suffisantes pour assurer que l'accès aux données n'excède pas celui qui est strictement nécessaire à l'exercice de la mission qui leur est reconnue par la loi. Ce décret se limite, en effet, à leur imposer le secret assorti de sanctions pénales en cas de violation, à limiter leur accès « aux seules données à caractère personnel nécessaires (...) dans la stricte limite de ce qui est nécessaire à leurs missions » et la faculté de conserver les données mises à disposition par l'établissement au-delà de la durée strictement nécessaire aux activités qui leur ont été confiées par contrat.

Pour le reste, rejetant sur ce point le recours, le Conseil d’État considère que les dispositions prises à l’égard de ces deux catégories de personnes ne sont pas critiquables.

(25 novembre 2020, Conseil national de l’ordre des médecins, n° 428451)

 

Biens

 

11 - Œuvre d’art - Fragment du jubé de la cathédrale de Chartres - Demande de certificat d’exportation – Refus – Décrets de l’assemblée constituante du 2 novembre 1789 et des 22 novembre - 1er décembre 1790 - Bien appartenant au domaine public de l’État – « Trésor national » – Exportation impossible - Rejet.

C’est à bon droit que la société requérante s’est vu refuser par le ministre de la culture le certificat d'exportation du « fragment à l’Aigle » détaché du jubé de la cathédrale de Chartres dont la réunion avec le « fragment à l'Ange », représente « l'Agneau divin ». En effet, ce bien, acquis par la demanderesse en 2002 comme datant de la Renaissance italienne, constitue un bien du domaine public de l’État par application des dispositions du décret de l’assemblée constituante du 2 novembre 1789, dès lors que celle-ci ne peut se prévaloir, n’en remplissant pas la condition, de l’exception née des dispositions du décret des 22 novembre – 1er décembre 1790. Aucun décret formel du corps législatif, sanctionné par le roi, n’a autorisé la vente de cette pièce à titre perpétuel et incommutable.

(4 novembre 2020, Société Brimo de Laroussilhe, n° 4295211)

 

12 - Intégration d’une voie dans la voirie communale – Opposition de l’usufruitier et de la nue propriétaire de la voie – Question préjudicielle au juge judiciaire – TGI affirmant l’absence de propriété privée sur cette voie – Juge administratif statuant au vu de la réponse en dépit d’un pourvoi en cassation – Rejet.

Le Conseil d’État, dans un litige portant sur l’éventuelle propriété privée existant sur une voie à intégrer dans la voirie communale donne raison à la cour administrative d’appel qui tire les conséquences de la réponse donnée par le juge judiciaire sur cette question préjudicielle, sans attendre le jugement du pourvoi formé devant la Cour de cassation, un tel pourvoi étant, normalement, sans caractère suspensif.

Solution imparable au regard des textes (cf. art. L. 126-15 du c. proc. civ.) mais qui laisse dubitatif lorsque le jugement administratif ayant appliqué la réponse de la juridiction judiciaire saisie, se trouve confronté à un arrêt de cassation contraire. Cela fait désordre.

(4 novembre 2020, Mme A. (décédée) et M. B., n° 434757)

 

Collectivités territoriales

 

13 - Immeuble implanté sur le territoire de plusieurs communes limitrophes – Décision du directeur général de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) de rattacher tous les habitants de l’immeuble à une seule et même commune – Autorité compétente à cet effet – Existence d’une seule entrée de l’immeuble ou de plusieurs – Conséquences pour le rattachement – Rejet.

La commune requérante demandait l’annulation du décret du premier ministre du 28 décembre 2018 portant authentification des chiffres des populations de métropole, des départements d'outre-mer de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de La Réunion, et des collectivités de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, et de Saint-Pierre-et-Miquelon, en tant qu'il fixe la population de la commune de Compiègne.

Le litige portait précisément sur le fait qu’une décision du directeur général de l’INSEE avait rattaché tous les habitants d’un même immeuble situé sur le territoire de plusieurs communes limitrophes à la population d’une seule d’entre elles ; en l’espèce, les habitants d’un immeuble avaient été décomptés dans la population de la commune mitoyenne de la commune requérante.

Le Conseil d’État rejette le recours.

D’une part, le directeur général de l’INSEE a bien, sous le contrôle du juge, le pouvoir de fixer la méthode de comptage des habitants et, d’autre part, le rattachement doit prendre en considération l’adresse de la voie sur laquelle est située l’entrée de l’immeuble et, en cas de pluralité d’entrées elles-mêmes situées sur les territoires de plusieurs communes, celle de l’entrée principale.

(13 novembre 2020, Commune de Compiègne, n° 428494)

 

14 - Polynésie française – Protection de l’environnement – Lutte contre la pollution des eaux du domaine public maritime - Compétence appartenant à cette collectivité – Compétence concurrente de l’État – Possibilité d’introduire, aux conditions ordinaires posées par l’art. L. 521-3 du CJA, un référé mesures utiles – Existence d’une urgence – Rejet.

La Polynésie française avait demandé, et obtenu, du juge des référés que soient ordonné l’enlèvement de l’épave d’un navire et prises toutes mesures tendant à éviter la pollution des eaux marines en raison du contenu de la cargaison de ce navire.

La société requérante, propriétaire de l’épave, se pourvoit contre l’ordonnance faisant droit aux demandes de cette collectivité territoriale. Le Conseil d’État rejette les divers chefs de l’argumentation de la société.

Tout d’abord, et c’est l’aspect le plus important de la décision, s’il existe une compétence concurrente de la Polynésie française (en vertu de l’art. 47 de la loi organique du 27 février 2004) et de l’État (en vertu de l’art. 14 de cette même loi organique) en matière de lutte contre ou de prévention de la pollution, cela ne prive pas la collectivité du droit de saisir le juge administratif des référés afin qu’il ordonne toutes les mesures utiles que la collectivité n'a pas le pouvoir de prendre et qui ne font obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative.

Ensuite, le premier juge n’a pas dénaturé les pièces du dossier en constatant souverainement qu’à la date à laquelle il a statué aucune mesure n'avait permis de prévenir le risque de pollution que présentait l'épave du navire échoué, qui était notamment chargée d'importantes quantités d'hydrocarbures et de matériels polluants.

Enfin, l’urgence est établie.

(ord. réf. 19 novembre 2020, Société Tuanui, n° 439912)

(15) V. aussi, du même jour et avec solution identique : ord. réf. 19 novembre 2020, Sociétés Shenzhen Shengang Overseas Industrial Co. Ltd. et Lung Soon Ocean Group, n° 440644.

 

16 - Enfants en situation de handicap – Prise en charge par l’État de la rémunération de l’assistant destiné à apporter une aide à l’enfant dans le cadre de sa scolarité - Prise en charge par la collectivité territoriale de cette assistance pendant le temps de restauration scolaire – quand ce service est organisé par la collectivité - et celui des activités complémentaires aux enseignements – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.

Les enfants scolarisés en école maternelle ou élémentaire qui sont porteurs de handicap(s) ont droit à une aide individuelle lorsque son bénéfice leur est attribué par la commission départementale des droits et de l'autonomie des personnes handicapées. Les textes prévoient que l’obligation d’organiser ce service public et la rémunération des personnes aidantes sont à la charge de l’État s’agissant de l’aide apportée durant les temps de scolarité.

Lorsqu’une commune ou un groupement intercommunal organise un service de restauration ainsi que des activités complémentaires des enseignements entendus stricto sensu, deux questions se posent. La première concerne l’extension de l’obligation d’aide à ces moments ou périodes extra-scolaires : la réponse est évidemment positive, la scolarité et ses éléments périphériques formant en réalité un tout. La seconde question, plus délicate, est de déterminer à quelle personne publique incombe la charge financière de ce service d’aide additionnel à celui lié au seul temps scolaire. Le Conseil d’État estime que, ne pouvant être à la charge de l’État, il doit être assumé par la collectivité territoriale dont relève l’enfant concerné.

Les collectivités territoriales apprécieront la confiance qui leur est ainsi faite – à prix fort il est vrai - pour une meilleure insertion sociale des personnes handicapées.

Au reste, la personne aidante peut être liée par deux contrats distincts, l’un avec l’État pour le temps de scolarité, l’autre avec la collectivité territoriale pour le temps extra-scolaire ; une convention peut également être conclu à cette fin entre l’État et la collectivité.

(Section, 20 novembre 2020, Ministre de l’éducation nationale, n° 422248)

 

Contentieux administratif

 

17 - Avis d’audience mentionnant une clôture de l’instruction trois jours francs avant l’audience, sauf ordonnance du président précisant une autre date – Non-communication aux autres parties d’un mémoire parvenu dans ce délai – Opposition d’une clôture de l’instruction à effet immédiat – Irrégularité – Cassation.

Statue irrégulièrement le tribunal administratif qui, après avoir informé les parties que l’audience se tiendrait le 1er avril 2019 et que faute d’une ordonnance présidentielle fixant une autre date, l’instruction serait close trois jours francs avant la date de l’audience, avait estimé, pour refuser de communiquer aux autres parties un mémoire comportant des éléments nouveaux, enregistré le 28 mars, que l’avis d’audience précité emportait clôture immédiate de l’instruction.

Le jugement est cassé avec renvoi.

(4 novembre 2020, Mme C., n° 432416)

 

18 - Contentieux sociaux – Règles particulières de procédure – Possibilité de différer la clôture à une date postérieure à l’audience – Visas d’un jugement mentionnant erronément la clôture de l’instruction lors de l’appel de l’affaire à l’audience – Irrégularité – Annulation.

Pour tenir compte des enjeux humains et d’équité qui y sont en cause, les contentieux sociaux connaissent un régime procédural assez dérogatoire sur un certain nombre d’aspects et confèrent à l’office du juge une configuration spécifique.

Spécialement, il y est possible de poursuivre la procédure contradictoire au cours de l’audience et même, si besoin est, de différer la clôture pour permettre la poursuite et l’achèvement du contradictoire après l’audience.

En l’espèce, un jugement est annulé en raison de son irrégularité car ses visas indiquent que l'instruction a été clôturée après l'appel de l'affaire à l'audience, or l'avocat de la requérante y était présent et y a formulé des observations orales : le jugement attaqué a donc été rendu en méconnaissance des dispositions du deuxième alinéa de l'article R. 772-9 du CJA.

(27 novembre 2020, Mme C. c/ Commune de Bagnolet, n° 430510)

(19) V. aussi, identique : 27 novembre 2020, Mme B. c/ Commune de Bagnolet, n° 430512.

 

20 - Notification d’un jugement – Jugement rendu en certaines matières – Obligation de notification au ministre intéressé ou au préfet demandeur dans les cas prévus au code général des collectivités territoriales – Absence de notification régulière empêchant le délai d’appel de courir – Cassation, avec renvoi, de l’ordonnance attaquée.

Rappel de ce que de la combinaison des art. R. 751-3 et R. 751-4, R. 751-8, R. 811-10-1 et R. 811-2 du CJA il résulte que lorsque la notification des jugements rendus dans une matière autre que celles qui sont mentionnées à l'article R. 811-10-1 de ce code doit être faite à l'État, l'expédition est adressée au ministre dont relève l'administration intéressée au litige ou au préfet lorsque celui-ci présente une demande en application du code général des collectivités territoriales. A défaut de notification régulière, le délai d'appel ne court pas.

(5 novembre 2020, Ministre des solidarités et de la santé, n° 432290)

 

21 - Référé suspension – Demande de suspension d’une décision de nature juridictionnelle – Irrecevabilité – Rejet.

Est irrecevable la requête en référé suspension tendant à voir ordonner la suspension d’une décision de nature juridictionnelle, ici une sanction prise par la chambre disciplinaire du conseil national de l'ordre national des masseurs-kinésithérapeutes.

La voie de droit devant être utilisée en ce cas est celle, différente, du sursis à l’exécution des décisions de nature juridictionnelle.

(27 novembre 2020, M. E., n° 446484)

 

22 – Intégration d’une voie dans la voirie communale – Opposition de l’usufruitier et de la nue propriétaire de la voie – Question préjudicielle au juge judiciaire – TGI affirmant l’absence de propriété privée sur cette voie – Juge administratif statuant au vu de la réponse en dépit d’un pourvoi en cassation – Rejet.

(4 novembre 2020, Mme A. (décédée) et M. B., n° 434757) V. n° 12

 

23 - Référé provision (art. R. 541-4 CJA) – Conclusions reconventionnelles formées en appel – Obligation pour ces conclusions ne pas porter sur un litige distinct – Recevabilité – Annulation avec renvoi.

Rappel de ce que la personne condamnée par le juge du référé provision a la faculté de saisir le juge du fond d'une demande de fixation définitive du montant de sa dette y compris sa diminution ou sa décharge totale. Par suite, le créancier peut saisir le juge du fond de conclusions reconventionnelles, sous l’expresse réserve qu'elles ne soulèvent pas un litige distinct de celui au titre duquel le débiteur a été condamné. En revanche, il ne résulte d’aucune disposition ni d’aucun principe que le juge du fond saisi sur le fondement de l'article R. 541-4 du code de justice administrative soit tenu de ne fixer définitivement le montant de la dette que dans les limites du litige qui a donné lieu à la demande de versement d'une provision.

(6 novembre 2020, Communauté d'agglomération du Muretain, n° 433940)

 

24 - Personne privée exerçant une mission de service public à caractère administratif – Mise en œuvre ou non de prérogatives de puissance publique - Comité départemental des pêches maritimes et des élevages marins (CDPMEM) - Opération de réensemencement de coques en petite mer de Gâvres – Absence de prise d’un acte unilatéral – Incompétence du juge administratif pour connaître de la contestation du réensemencement.

En l’espèce, la commune concernée et une association de protection du littoral ont demandé au tribunal administratif la déclaration d’illégalité du déversement en petite mer des Gâvres de vingt tonnes de coques en vue d’une opération de réensemencement et, par voie de conséquence, le retrait de ces coques.

Le tribunal a estimé l’ordre administratif de juridiction incompétent pour connaître de ce litige. Sur appel de la commune, la cour administrative d’appel a annulé ce jugement ainsi que le déversement des coques.

Le CDPMEM se pourvoit en cassation contre cet arrêt, le ministre de l’agriculture et de l’alimentation se pourvoit également mais son action sera requalifiée en intervention.

Le Conseil d’État rappelle, tout d’abord, une solution bien connue, qu’il formule ainsi : « Les décisions prises par une personne privée chargée de l'exécution d'une mission de service public à caractère administratif présentent le caractère d'actes administratifs si elles procèdent de la mise en oeuvre de prérogatives de puissance publique conférées à cette personne pour l'accomplissement de la mission de service public qui lui a été confiée. »

La cour avait relevé, pour justifier la compétence de la juridiction administrative, que le déversement en vue de réensemencer le rivage en coques avait été mené sous le contrôle et avec le concours des services compétents de l'État, qu’il avait eu lieu dans le domaine public maritime et que le préfet de région avait, par suite, interdit la pêche à pied dans la zone concernée par le déversement. De tout cela elle tirait qu’avaient été mises en œuvre des prérogatives de puissance publique. 

Le Conseil d’État, se ralliant à la position des premiers juges, estime n’apercevoir dans les circonstances de cette affaire aucun exercice de prérogatives de puissance publique de la part du comité départemental. Il relève d’ailleurs que celui-ci ne tire d’aucun texte, pour réaliser l’opération dont s’agit, le pouvoir de prendre un acte unilatéral contraignant.

L’ordre administratif de juridiction n’est donc pas compétent pour statuer sur ce litige.

(27 novembre 2020, Comité départemental des pêches maritimes et des élevages marins (CDPMEM) du Morbihan, n° 431390 ; Ministre de l’agriculture et de l’alimentation, n° 431420)

 

25 - Annulation d’un jugement par le Conseil d’État – Renvoi à la juridiction qui a rendu la décision annulée – Composition de la formation de jugement – Exclusion des juges ayant siégé lors de la reddition du jugement annulé – Présence d’un juge ayant déjà siégé – Annulation.

Application et illustration de la règle énoncée à l’art. L. 821-2 CJA : la formation de jugement devant laquelle, après cassation, est renvoyée une affaire ne doit comporter aucun des juges ayant siégé lors de l’instance annulée.

Ici la circonstance d’un juge présent dans les deux instances entraîne la cassation.

(18 novembre 2020, Mme G., n° 431374)

 

26 - Urbanisme commercial – Extension d’un ensemble commercial – Permis de construire modificatif – Modifications substantielles – Circonstance sans effet sur la compétence dérogatoire de la cour administrative d’appel – Rejet.

(18 novembre 2020, Société MG Patrimoine, Société Bellou Optique et Société aux Fleurs d'Argentan, n° 420857 et n° 420905) V. n° 197

 

27 - Référé liberté – Covid-19 – Demande d’annulation ou d’abrogation d’un décret – Juge du référé, juge du provisoire – Irrecevabilité manifeste d’une demande d’annulation en référé – Rejet.

Il était demandé au juge du référé-liberté d’annuler le décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, en tant qu'il interdit les cérémonies religieuses. La juridiction des référés n’étant qu’une juridiction du provisoire, la demande d’annulation ou d’abrogation d’une décision administrative par voie de référé est manifestement irrecevable, d’où son rejet.

(ord. réf. 12 novembre 2020, M. Jung, n° 445851 ; ord. réf. 12 novembre 2020, M. Jehan Azema de Castet, n° 445901 et n° 445903)

(28) V. également, du même jour, sur le même sujet et dans les mêmes termes : ord. réf. 12 novembre 2020, M. Chaumeton, n°445854.

(29) V. aussi, les solutions identiques retenues envers une demande d’annulation de ce même décret fondée sur l’atteinte qu’il porte soit au régime juridique des célébrations civiles et religieuses des mariages (ord. réf. 12 novembre 2020, M. A., n° 445893), soit à celui de la liberté d’expression et de communication au moyen des libertés de manifester et de se réunir (ord. réf. 21 novembre 2020, Association Force Jaune et autres et Association l’Avenir pour tous et autres, n° 446629).

(30) V. encore, concernant le rejet d’une demande de suspension de l’application :

- tantôt de l’art. 37 de ce même décret soit aux magasins de vente de catégorie M, auquel il fait interdiction d'accueillir du public pour leurs activités autres que celles de livraison et de retrait de commande à l'exception des activités limitativement énumérées (ord. réf. 20 novembre 2020, Société Logirama et société Cera, n° 445897) soit aux salons de tatouage (ord. réf. 20 novembre 2020, M. B., n° 446440),

- tantôt de l’art. 40 de ce texte s’agissant de sociétés de restauration (ord. réf. 20 novembre 2020, Société FetF Restauration, n° 445962).

(31) V. également, refusant la demande de suspension, par une commune, de ce même décret, au motif que l’incidence, à moyen et long terme, de la fermeture des commerces sur les finances communales ne constitue pas une situation d’urgence : ord. réf. 20 novembre 2020, Commune d’Évreux, n° 445908.

(32) V. encore un rejet par le motif, classique, que l’atteinte à une liberté fondamentale n’est pas ipso facto constitutive d’une situation d’urgence (ord. réf. 20 novembre 2020, Mme A., n° 445910) ou, que, dans les circonstances exceptionnelles nées de l’épidémie de Covid, l’atteinte portée par ce décret à la liberté d’aller et de venir en limitant la pratique sportive ne constitue pas, non plus, une situation de particulière urgence au sens et pour l’application de l’art. L. 521-2 du CJA (ord. réf. 20 novembre 2020, M. B., n° 445914). Dans le même sens, on lira aussi : ord. réf. 23 novembre 2020, M. B., n° 446475 ou ord. réf. 23 novembre 2020, M. A., n° 446499.

(33) V., plus pittoresque, le refus de suspendre le I de l’art. 4 du décret du 29 octobre 2020 précité dont la légalité était contestée car il empêche le requérant d’aller en forêt pour compléter son stock de bois de chauffe : ord. réf. 23 novembre 2020, M. A., n° 446387.

 

34 - Référé-liberté – Covid-19 – Fermeture d’un établissement d’enseignement religieux recevant des mineurs – Demande de suspension – Référé sans objet dès la cessation des effets de la décision litigieuse – Rejet.

Le référé-liberté dirigé contre une décision administrative de fermer pendant 30 jours un établissement d’enseignement religieux devient sans objet à l’expiration de ce laps de temps ; ici l’arrêté du 8 octobre 2020 avait fait l’objet d’un recours le 4 novembre, soit au bout de 27 jours de fermeture.

(ord. réf. 12 novembre 2020, Association Apprendre et Comprendre, n° 445964)

 

35 - Référé provision – Sursis à l’exécution d’une ordonnance de référé provision – Combinaison des deux procédures en appel – Irrecevabilité, devant le juge des référés, de la demande d’allocation d’une provision portant sur l’obligation faisant l’objet de l’instance frappée d’un sursis à son exécution – Possibilité de demander à la juridiction d’appel la levée ou la restriction du champ d’application du sursis – Rejet et annulation de l’ordonnance de référé rendue en appel.

C’est une question délicate que résout la présente décision.

Dans le cadre d’un litige l’opposant à la collectivité de Corse, la société demanderesse, à l’occasion du renouvellement d’une délégation de service public, annulée postérieurement par le juge, obtient, notamment, du juge du référé une ordonnance lui allouant une importante provision. Sur appel de la collectivité de Corse, la cour administrative a accordé le sursis à l’exécution de cette ordonnance.

Saisie par la société d’une demande de révocation de ce sursis, la cour l’a rejetée par un arrêt du 2 mars 2020 tandis que, par une ordonnance du 4 juin 2020, le juge des référés de la cour a fait droit à une demande de provision représentant le quart de celle accordée en première instance pour la délégation de service public courant de 2007 à 2013 mais a rejeté la demande de provision au titre de l’éviction de la société pour la délégation devant courir de 2008 à 2013.

Le Conseil d’État est saisi de deux pourvois, celui de la société et celui de la collectivité, dirigés contre l’ordonnance accordant la provision.

Le juge de cassation devait trancher deux difficultés relatives, l’une au prononcé du sursis et à ses suites, l’autre au mécanisme de la provision.

Concernant le sursis à exécution, il est reconnu au requérant le droit d’en demander la révocation ; en ce cas le juge peut soit estimer que cette demande ne comporte pas de moyen sérieux et la rejeter, soit l’estimer fondée et ordonner la révocation, totale ou partielle (sur la possibilité, sur le fondement de l’art. 821-5 du CJA, d’octroyer le sursis partiel à l’exécution d’une décision rendue en dernier ressort : 28 mars 2007, Mme X. et autres, n° 299286), du sursis. Le juge pouvant s’appuyer, pour décider, sur les éléments du dossier relatifs au fond de l’affaire et, le cas échéant, en soulevant d’office des moyens.

En revanche, le juge considère que les dispositions de l’art. R. 541-1 du CJA ne permettent pas au requérant de demander, sur le fondement du référé provision, la révocation du sursis à l’exécution du jugement prononçant une condamnation pécuniaire. Une telle demande est irrecevable.

L’octroi de la provision par le juge d’appel étant irrégulier pour cause d’irrecevabilité de la demande dont il était saisi celui-ci est donc annulé.

Concernant la provision, la cour ne s’est pas méprise en estimant, d’une part, que l’exécution immédiate de la provision (plus de 80 millions d’euros), malgré l’évaluation encore plus élevée faite par l’expert judiciaire commis par la cour, était de nature à emporter des conséquences difficilement réparables pour la collectivité de Corse, et, d’autre part, qu’était sérieux le moyen tiré d’une surestimation par les premiers juges du préjudice subi par la société requérante.

La demande de la société est rejetée.

(6 novembre 2020, Société Corsica Ferries France, devenue la société Corsica Ferries, n° 439598 ; Collectivité de Corse, n° 441324 et n° 441620)

 

36 - Pourvoi en cassation – Délai – Pourvoi contre un jugement rendu par un tribunal administratif d’outre-mer – Pourvoi formé par une personne juridique domiciliée en France – Absence de prolongation du délai de pourvoi – Rejet.

Le pourvoi formé par l’association requérante, le 27 janvier 2020, contre un jugement du tribunal administratif de Guyane rendu le 19 décembre 2019, est rejeté pour forclusion.

Il résulte en effet des dispositions de l’art. R. 523-1 du CJA que le délai de pourvoi est de quinze jours.

Par ailleurs, la requérante ayant son siège en France et saisissant le Conseil d’État, elle ne saurait se prévaloir de la prolongation d’un mois du délai de recours instituée au profit des personnes qui ne demeurent pas dans la collectivité territoriale dans le ressort de laquelle le tribunal administratif d’outre-mer a son siège (dispositions combinées, d’une part, des art. R. 821-2 et R. 811-5 et, d’autre part, de celles de l’art. R. 421-7, al. 2, du CJA).

Enfin, le juge précise qu’il s’agit là d’une interprétation constante de sa part et qu’ainsi « l'association requérante ne saurait utilement soutenir, en tout état de cause, que (son) application au présent litige devrait être regardée comme un revirement de jurisprudence qui méconnaîtrait les exigences issues de l'article 6 de la (CEDH) ».

(25 novembre 2020, Association Section française de l'Observatoire international des prisons, n° 438002)

 

37 - Contestation du montant de la taxe d’habitation - Règle du délai raisonnable – Conditions d’application – Point de départ du délai annal - Connaissance effective de la décision litigieuse – Cas d’un rejet ne faisant pas état d’un rejet précédent – Inapplicabilité de la règle – Annulation.

Il résulte du principe de sécurité juridique que la communication d’une décision administrative dans des conditions irrégulières n’empêche pas l’obligation de saisir le juge d’un recours contentieux dans un délai raisonnable, normalement d’une durée d’un an, à compter du jour où l’intéressé a eu connaissance de la décision.

En l’espèce, commet une erreur de droit le tribunal administratif qui juge expiré le délai de recours au motif que la société, qui avait formé une réclamation le 1er juin 2011 contre le premier acte de poursuite du 20 avril 2011, puis avait reçu le 21 avril 2014 un second acte de poursuite, devait être regardée comme ayant connu au plus tard à cette seconde date le rejet de sa réclamation du 1er juin 2011 alors que l'administration n'avait pas informé la société, lors de la présentation de la réclamation de 2011, des conditions de naissance d'une décision implicite et que la mise en demeure de payer reçue le 21 avril 2014 ne comportait aucune référence à cette réclamation.

(13 décembre 2020, Société des Établissements Salvi, n° 427275)

 

38 - Référé-mesures utiles (art. L. 521-3 CJA) – Pouvoir du juge de ce référé – Demande de prise de mesures réglementaires ou d’organisation du service – Demande excédant les pouvoirs du juge des référés – Rejet.

La requérante a saisi le juge du référé-mesures utiles, compétent pour ordonner que soient prises des mesures provisoires ou conservatoires, afin qu’il enjoigne le premier ministre et divers autres ministres de prendre toutes mesures utiles pour que les élèves soient accueillis dans les établissements scolaires dans le respect des règles d'hygiène et de distanciation physique nécessaires pour lutter contre l’épidémie de Covid-19.

Une telle demande tend à voir ordonner aux ministres en cause de prendre des mesures réglementaires en matière de santé et de sécurité au travail dans les établissements scolaires, ainsi qu’à assurer la continuité du service public de l'éducation.

Il n’entre pas dans les attributions du juge des référés de l’art. L. 521-3 CJA d’ordonner au pouvoir exécutif la prise de décisions réglementaires ni, non plus, de mesures d’organisation du service public.

Comme le suggère le juge dans sa décision, il eût été plus judicieux pour la requérante, sans que le succès soit assuré, d’agir sur le fondement des art. L. 521-1 ou L. 521-2 de ce code.

(ord. réf. 10 novembre 2020, Association Pour réussir On s'unit Fièrement et Solidairement, (P.R.O.F.S.), n° 445957)

(39) V. aussi, comportant la même motivation, le rejet d’une demande, fondée sur l’art. L. 521-4 CJA, tendant à ce qu’il soit fait injonction au ministre de l'intérieur d'autoriser la réouverture des établissements organisant des stages de sensibilisation à la sécurité routière ou, à titre subsidiaire, de ne plus faire procéder à la notification des décisions de retrait de points affectés aux permis de conduire jusqu'à la fin des mesures générales prises pour faire face à l'épidémie de Covid-19. Une telle demande tend, en effet, à la prise de décisions réglementaires et de mesures d’organisation du service public, lesquelles ne sauraient être ordonnées par le juge du référé-mesures utiles : 9 novembre 2020, M. A., n° 445975.

(40) V. également, voisin en substance : l’ordonnance rejetant, au moyen de la procédure expéditive de l’art. L.  522-3 du CJA, la demande d’annulation, par voie de référé liberté, du décret du 14 octobre 2020 déclarant l'état d'urgence sanitaire. Juge du provisoire, le juge des référés ne saurait, sur ce seul fondement, prononcer l’annulation, donc à caractère définitif, d’une décision administrative : ord. réf. 23 novembre 2020, M. B., n° 446328.

 

41 - Procédure juridictionnelle – Réouverture de l’instruction – Faculté ou obligation selon les cas – Application en l’espèce – Cassation avec renvoi.

Un arrêt de cour d’appel est cassé pour n’avoir pas rouvert l’instruction alors que la demanderesse se prévalait d’une circonstance nouvelle dont elle ne pouvait faire état avant la clôture de l'instruction et qui était susceptible d'exercer une influence sur le jugement du litige.

En effet, si la réouverture de l’instruction est en principe, pour le juge administratif, une faculté, elle constitue pour lui une obligation lorsque, comme en l’espèce, la production nouvelle contient l'exposé d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et qui est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire.

(12 novembre 2020, Mme D., n° 426134)

 

42 - Référé-liberté – Patient atteint de lésions cérébrales – Décision médicale d’arrêt des traitements de suppléance des fonctions vitales - Demande de suspension de cette décision – Appréciations contradictoires – Désignation d’un expert – Suspension de l’arrêt des traitements – Cassation de l’ordonnance de rejet.

L’équipe médicale ayant décidé d’arrêter les traitements tendant à suppléer les fonctions vitales d’un patient victime de graves lésions cérébrales et en l’état d’appréciations contradictoires sur son état de conscience, le juge ordonne une expertise afin de déterminer l’état réel du patient et ses perspectives d’évolution ainsi que la suspension de la décision médicale.

(ord. réf. 12 novembre 2020, M. B. et autres, n° 445855)

 

43 - Compétence à l’intérieur de l’ordre administratif de juridiction – Appel d’un jugement rendu sur recours en annulation d’une décision administrative – Demande d’annulation assortie d’une réclamation indemnitaire d’un montant inférieur à 10 000 euros – Réclamation connexe à la demande d’annulation – Compétence d’appel de la cour administrative quel que soit le montant de l’indemnité réclamée – Annulation.

Se posait ici la question de savoir si l’appel d’un jugement devait être porté devant la cour administrative d’appel ou devant le Conseil d’État.

La justiciable avait demandé aux premiers juges l’annulation d’une décision prise par un département et, en conséquence du préjudice en résultant pour elle, son indemnisation pour 7000 euros. Or l’appel des jugements sur des demandes indemnitaires d’un montant inférieur à 10 000 euros relève directement du Conseil d’État. Toutefois, la demande de réparation est liée à la demande d’annulation et l’appel du jugement rendu sur ce point relève de la cour administrative d’appel.

La cour, en l’état de ces conséquences divergentes, a donc saisi le Conseil d’État pour attribution du dossier à la juridiction administrative compétente.

Celui-ci doit être approuvé pour avoir jugé la réclamation pécuniaire constituer une demande connexe de celle tendant à l’annulation de la décision préjudiciable et d’avoir attribué l’entier dossier d’appel à la cour administrative d’appel.

(13 novembre 2020, Département de Loire-Atlantique, n° 429326)

 

44 - Éoliennes terrestres – Refus d’autoriser une implantation d’éoliennes – Annulation par le juge et délivrance par ce dernier de l’autorisation d’exploiter - Tierce opposition – Compétence du tribunal administratif pour en connaître nonobstant le transfert de compétence à la cour administrative d’appel.

Dans un litige en contestation du refus partiel d’autoriser l’implantation d’éoliennes terrestres, le tribunal administratif avait, par un jugement du 23 mai 2019, annulé ce refus et délivré lui-même l’autorisation sollicitée. Par ailleurs, le décret du 29 novembre 2018, entré en vigueur le 1er décembre 2018, dans le souci d’en accélérer le traitement, a transféré aux cours administratives d’appel la connaissance directe en premier et dernier ressort de cette catégorie de litiges.

Les requérants, opposés à l’implantation autorisée par le juge, avaient formé devant une cour administrative d’appel un recours en tierce opposition contre le jugement du tribunal administratif. Sur renvoi de ladite cour (selon la procédure de l’art. R. 351-3 CJA), le Conseil d’État décide que c’est au tribunal administratif de statuer sur la tierce opposition celle-ci relevant de la compétence de la juridiction qui a rendu le jugement dont la rétractation est demandée ; or l’autorisation délivrée par le juge a elle-même la nature d’un jugement.

L’affaire est donc renvoyée au tribunal administratif.

(12 novembre 2020, M. G. et autres, n° 441681)

 

45 - Décision administrative prise en situation de compétence liée – Caractère inopérant des griefs en illégalité développés à son encontre – Rejet.

Rappel, dans le cadre d’un litige né du refus de versement d’une indemnité forfaitaire à un fonctionnaire qui n’y avait pas droit, d’un principe contentieux constant : sont inopérants les griefs d’illégalité articulés à l’encontre d’une décision administrative dont l’auteur était, lorsqu’il l’a prise et dans les conditions où elle l’a été, en situation de compétence liée.

(13 novembre 2020, M. A., n° 427492)

 

46 - Commissaires aux comptes – Procédure disciplinaire – Demande de sursis à statuer dans l’attente des décisions du juge pénal sur le dossier – Rejet implicite – Demande d’annulation irrecevable car dirigée contre des actes non détachables de la procédure disciplinaire – Rejet.

Les demandeurs, poursuivis disciplinairement, ont demandé à la présidente, au rapporteur général et au président de la formation restreinte du Haut conseil du commissariat aux comptes qu'il soit sursis à statuer sur leur instance disciplinaire dans l'attente du jugement pénal relatif aux mêmes faits. Leurs demandes ont été implicitement rejetées du fait du silence gardé par les responsables précités.

Le Conseil d’État rejette leurs recours pour irrecevabilité, ces refus ne sont pas détachables de la procédure disciplinaire : ils ne pourront donc être contestés que lorsqu’auront été rendues les décisions disciplinaires, au travers de la contestation des sanctions éventuellement prononcées.

(19 novembre 2020, MM. B., A. et E., n° 437506)

 

47 - Permis de construire tacite – Déféré préfectoral en annulation et en demande de suspension d’exécution (art. L. 2131-6 CGCT) – Ordonnance de référé susceptible seulement d’appel – Irrégularité de la saisine directe du Conseil d’État – Renvoi à la cour administrative d’appel.

(25 novembre 2020, SCI Mistler, n° 443515) V. n° 202

 

48 - Rapporteur public ayant régulièrement prononcé ses conclusions lors d’une audience – Réouverture de l’instruction – Seconde audience – Rapporteur s’en remettant à ses précédentes conclusions – Régularité – Rejet.

Dans un litige fiscal – mais cette précision est indifférente à la portée de la solution ici retenue – une audience s’était tenue devant la cour administrative d’appel au cours de laquelle le rapporteur public avait prononcé ses conclusions sur l’issue qu’il convenait, selon sa conscience, de donner au litige. Après cette audience, l’instruction a été rouverte et, à son terme, une seconde audience s’est tenue au cours de laquelle le rapporteur public a déclaré s’en remettre à ses précédentes conclusions prononcées lors de la première audience.

Le Conseil d’État, contrairement à la société requérante, estime n’y avoir aucune irrégularité en l’espèce.

La solution, très logique et, en outre, simplificatrice, doit être approuvée.

(27 novembre 2020, Société Le Dôme, n° 421409)

 

Contrats

 

49 - T. C.  2 novembre 2020, Société Eveha c/ Société publique locale d'aménagement (SPLA) Pays d'Aix territoires et Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP), n° 4196

 

Concession d’aménagement - Réalisation d’une zone d’aménagement concerté (ZAC) – Contrat conclu entre une personne publique et une personne privée – Clause conférant des prérogatives particulières au cocontractant privé – Absence de caractère administratif du contrat litigieux de ce fait – Contrat ayant pour objet l’exécution même d’une mission de service public et conférant aux travaux en cause la nature de travaux publics - Compétence de la juridiction administrative.

 

On signale cette intéressante décision du Tribunal des conflits dans laquelle, ayant à déterminer la compétence juridictionnelle pour connaître d’un litige relatif à l’exécution d’un contrat de fouilles archéologiques préventive conclu entre une personne privée, la SPLA, et une personne publique, l’INRAP, le Tribunal tranche de la manière suivante en faveur de la compétence des juridictions administratives.

Tout d’abord, est réitérée et précisée une jurisprudence relativement récente (TC 13 octobre 2014, S.A. AXA France IARD, n° 3963, au Recueil p.471) selon laquelle l’existence d’une clause exorbitante au profit du contractant privé ne confère pas au contrat la nature d’un contrat administratif.

Ensuite, le contrat litigieux est cependant déclaré administratif,  en application de la célèbre jurisprudence du Conseil d’État Consorts Grimouard (Section, 20 avril 1956, Ministre de l’agriculture c/ Consorts Grimouard, au Recueil p. 168), car il porte sur l’exécution même du service public que constituent les fouilles archéologiques préventives, conférant ainsi aux travaux nécessaires à cet effet, la nature de travaux publics.

 

50 - Accord-cadre mono-attributaire – Obligation d’informer les candidats à cet accord sur les conditions d’attribution des marchés subséquents – Absence d’automaticité d’attribution des marchés subséquents à l’unique opérateur avec lequel a été conclu l’accord-cadre – Rejet du recours et annulation de l’ordonnance en référé précontractuel.

C’est une décision importante qu’a rendu le Conseil d’État par les indications précises qu’elle contient en cas d’attribution d’un accord-cadre à un seul opérateur économique, dit accord-cadre mono-attributaire.

La métropole de Lille avait lancé une procédure d’appel d’offres en vue de l’attribution d’un accord-cadre d’une durée de 48 mois pour l’aménagement audiovisuel de ses bâtiments ainsi que d’un marché subséquent n° 1 relatif à l'aménagement audiovisuel de son nouveau siège à Lille.

L’un des concurrents a saisi le juge du référé précontractuel de l’art. L. 551-1 du CJA qui a annulé cette procédure en raison de ce qu’était méconnu en l’espèce le principe de transparence des procédures car le règlement de consultation comprenait, d'une part, des critères de sélection propres à l'appréciation de l'accord-cadre et, d'autre part, des critères d'appréciation propres au marché subséquent n°1.

Le juge des référés a considéré que la société qui l’a saisi était fondée à croire que l'attribution de ce premier marché subséquent donnerait lieu à une confrontation des offres, voire que les éléments techniques et propositions financières déposés à ce titre pourraient être pris en considération par l'acheteur pour l'attribution de l'accord-cadre, ce qui serait illégal. Il a donc annulé la procédure d’appel d’offres.

C’est sur ce point que porte la cassation pour erreur de droit.

Le Conseil d’État juge que c’est à tort que le premier juge a considéré, d’une part, comme irrégulier le fait de prévoir des conditions d'attribution pour les marchés subséquents dans un accord-cadre mono-attributaire et d’autre part, comme contraire au principe de transparence de procéder à l'attribution simultanée d'un accord-cadre mono-attributaire et d'un marché subséquent.

En effet, tout d’abord, il incombe au pouvoir adjudicateur d'informer les candidats sur les conditions d'attribution des marchés subséquents à un accord-cadre mono-attributaire dès l'engagement de la procédure d'attribution de cet accord-cadre.

Ensuite, la conclusion d’un accord-cadre avec un seul opérateur économique n'implique pas que son titulaire bénéficie de l'octroi automatique des marchés subséquents passés dans ce cadre. Il suit de là qu’aucune disposition du code de la commande publique ni aucun principe ne fait obstacle à ce que les offres remises par le titulaire d'un accord-cadre mono-attributaire pour l'attribution des marchés subséquents soient notées et analysées, et que les marchés ne lui soient attribués que sous réserve de remplir certaines conditions.

Enfin, la solution est la même quand la procédure de passation de l'accord-cadre mono-attributaire envisage l'attribution simultanée d'un premier marché subséquent ; en ce cas les candidats à l'attribution de l'accord-cadre sont de ce fait invités à remettre également une offre pour ce premier marché, sous réserve que la comparaison des offres des candidats porte uniquement sur l'accord-cadre et non, de façon concomitante, sur celles remises pour le premier marché. 

La solution n’est pas entièrement nouvelle et réitère, concernant le moment de l’information des candidats, celle déjà retenue en 2013 (5 juillet 2013, Union des groupements d’achats publics (UGAP) n° 368448 ; Société SCC, n° 368461, aux tables du Recueil p. 691). Elle innove davantage pour le reste de la décision.

(6 novembre 2020, Métropole européenne de Lille, n° 437718)

 

51 - Marché public – Principe d’égalité des candidats à l’attribution d’un marché public – Offre anormalement basse – Obligation de vérification s’imposant au pouvoir adjudicateur –Rejet.

Rappel de ce que le principe d’égalité entre les candidats à l'attribution d'un marché public oblige tout pouvoir adjudicateur et quelle que soit la procédure de passation suivie, à solliciter de celui qui a présenté une offre apparaissant anormalement basse les explications et justifications adéquates. Le pouvoir adjudicateur, en cas d’insuffisance des réponses données, a l’obligation de rejeter une offre susceptible, de ce fait, de compromettre la bonne exécution du marché.

(13 novembre 2020, Office public de l'habitat Alès Agglomération - Logis Cévenols, n° 432791)

 

52 - Marché public – Éviction irrégulière d’un tel marché – Étendue du préjudice certain – Marché susceptible de reconduction(s) – Préjudice certain ne pouvant porter que sur la période initiale d’exécution du marché – Annulation de l’arrêt contraire sur ce point.

Le Conseil d’État, dans un litige en annulation d’un marché portant sur la fourniture de tous éléments bruts ou cuisinés et produits consommables et l'exécution d'une mission d'assistance technique aux opérations de restauration, est à nouveau amené à rappeler les conditions d’indemnisation des concurrents irrégulièrement évincés.

Ceux-ci n’ont droit, par application des principes régissant la responsabilité des personnes publiques, qu’à la réparation de leur préjudice certain. Il s’ensuit que lorsqu’un marché prévoit une période initiale d’exécution susceptible d’être suivie d’une ou plusieurs reconduction(s), le préjudice n’est certain qu’en ce qui concerne cette période initiale, non celle(s) soumise(s) à une décision de reconduction laquelle n’a, en principe, pas de caractère certain.

(13 novembre 2020, Société Valeurs culinaires, n° 438220)

 

53 - Contrat de concession – Obligation d’information des candidats - Information sur les investissements à réaliser – Absence d’obligation – Annulation sans renvoi.

La soumission des concessions aux trois principes généraux du droit de la commande publique (liberté d'accès à la commande publique, égalité de traitement des candidats et transparence des procédures) fait obligation à l’autorité concédante de donner aux candidats à l'attribution d'une concession, avant le dépôt de leurs offres, une information suffisante sur la nature et l'étendue des besoins à satisfaire en indiquant les caractéristiques essentielles de la concession, la nature et le type des investissements attendus ainsi que les critères de sélection des offres.

En revanche, ne s’impose à elle aucune obligation de décrire avec précision l'étendue et le détail des investissements. Elle peut choisir d’apporter toutes ces précisions comme elle peut laisser les candidats libres de définir eux-mêmes leur programme d'investissement.

Pour avoir jugé le contraire l’ordonnance du juge du référé précontractuel de première instance est annulée en même temps qu’est admise la demande d’annulation de la procédure pour méconnaissance du principe d’égalité entre les candidats du fait de l’imposition d’un montage contractuel irrégulier.

(6 novembre 2020, Commune de Saint-Amand-les-Eaux, n° 437946 et Société du Casino de Saint-Amand-les-Eaux, n° 437975)

 

54 - Marché public – Réservation de places de crèche dans une structure privée – Action en réparation du préjudice subi pour perte de chance de se voir attribuer le marché – Critères d’attribution du marché autres que le prix – Obligation de les énumérer avec indication, le cas échéant, de leur pondération ou hiérarchisation ainsi que les sous-critères susceptibles d’incidence sur l’attribution du marché – Portée de la liberté du choix de la méthode de notation – Exigence d’un rapport direct entre les éléments d’appréciation des critères et les critères eux-mêmes – Prohibition de critères sans portée ou se neutralisant – Rejet.

La société requérante avait obtenu du tribunal administratif l’annulation du marché conclu entre un centre communal d'action sociale (CCAS) et une société concurrente pour la réservation de vingt places au sein d'une crèche relevant d’une structure à gestion privée, pour une durée de quatre ans au maximum ainsi que la condamnation du CCAS à lui verser une certaine somme en réparation du préjudice résultant de la perte de chance de se voir attribuer le marché en cause. Ce jugement a été annulé par la cour administrative d’appel, d’où le pourvoi formé contre cet arrêt devant le Conseil d’État.

Le litige portait, pour l’essentiel, sur la critérisation retenue par le CCAS, sa méthode de notation et les éléments d’appréciation pris en compte par lui pour noter et classer les offres.

Le Conseil d’État rappelle sa jurisprudence sur l’obligation d’information des candidats par le pouvoir adjudicateur, dès l’avis d’appel public ou dans les cahiers des charges, sur les critères choisis par lui. En particulier lorsque sont pris en compte d’autres critères que celui du prix, ce dernier doit indiquer quels sont ces critères ainsi que leur pondération ou leur hiérarchisation. Cette obligation d’information s’étend à la hiérarchisation ou à la pondération des sous-critères lorsque ces derniers sont de nature à exercer une influence tant sur la présentation des offres que sur leur sélection. Classiquement, il est aussi rappelé que le pouvoir adjudicateur n’est pas tenu de porter à la connaissance des candidats la méthode qu’il retient pour la notation des offres.

Cependant, cette liberté dans la détermination du choix de la méthode de notation des critères de sélection retenus et publiés n’est pas infinie : il est notamment interdit au pouvoir adjudicateur de recourir à des éléments d’appréciation qui, par eux-mêmes ou par combinaison entre eux, fausserait en réalité la valeur et le rôle des critères, par exemple, en les privant de portée réelle, en neutralisant leur hiérarchie, aboutissant ainsi à dénaturer la procédure suivie, laquelle pourrait aboutir à ce que ne soit pas retenue l’offre économiquement la plus avantageuse ou à ce que l’offre la meilleure n’obtienne pas la note la meilleure.

Passant à l’application au cas d’espèce de ce vade-mecum, le juge examine les deux critiques essentielles du pourvoi.

En premier lieu, pour évaluer le projet d'établissement lui-même, élément d'appréciation du sous-critère relatif à la qualité du projet d'établissement, le pouvoir adjudicateur a pris en compte deux éléments d'appréciation, concernant respectivement les conditions d'organisation de la structure, dont le nombre de places totales, les horaires d'ouvertures et les fermetures annuelles, et les « projets complémentaire ». Par ailleurs, s'agissant de ces « projets complémentaires », quatre éléments d'appréciation ont été pris en compte, dont le « budget alimentation annuel ». Or l’auteur du pourvoi estimait que la prise en compte du montant du budget consacré à l'alimentation était sans lien avec l'objet du marché et ne reflétait pas, à lui seul, la qualité diététique et gustative des repas, ce qui était de nature, selon la société requérante, à affecter la régularité de la méthode de notation. Confirmant l’arrêt d’appel, le Conseil d’État rejette de double argument en relevant, tout d’abord, que cet élément d’appréciation n’était pas sans lien avec l’objet du marché et, ensuite, qu’il n’était qu’un élément d’appréciation parmi d’autres, il n’était donc pas irrégulier de le retenir même s’il demeure exact que cela ne suffisait à savoir quelle serait la qualité des repas.

En second lieu, il était soutenu que la prise en compte de la masse salariale brute pour apprécier le sous-critère relatif à la qualité du projet d'établissement qui permettait lui-même d'évaluer le critère relatif à la valeur technique des offres, affectait la régularité de la méthode de notation car cette prise en compte était sans lien avec ce dernier critère.

Rejetant, comme la cour, cet argument, le juge de cassation relève que le CCAS a non seulement tenu compte des effectifs envisagés en équivalent temps plein, mais aussi du niveau de qualification des personnels et de leur expérience, du nombre d'heures de formation qui leur seraient dispensées, des modalités de leur remplacement en cas d'absence ponctuelle afin d’assurer la continuité du service public, de la fréquence des interventions d'un médecin et d'un psychologue, et du budget représentant la masse salariale brute. Par suite, le sous-critère litigieux n’était pas dépourvu de tout lien avec le critère de la valeur technique des offres et c’est sans irrégularité que le CCAS a considéré que l’offre de la société candidate retenue proposait « plus d'heures de formations et d'interventions de spécialistes médicaux que ses concurrents », offrait « un mode de remplacement » plus « efficace » et « un budget de masse salariale supérieur à celui (de la société requérante) », il était donc justifié de lui accorder des points supplémentaires.

(20 novembre 2020, Société Evancia, n° 427761)

 

55 - Contestation d’un contrat administratif ou d’un avenant à un tel contrat –Recours de plein contentieux ouvert aux tiers à un contrat administratif - Jurisprudence Département du Tarn – Application dans le temps – Cas des avenants – Rejet et annulation partiels avec renvoi dans cette mesure.

Les juridictions du fond avaient été saisies – en vain - d’un recours pour excès de pouvoir tendant à l‘annulation de délibérations du conseil de la communauté urbaine de Bordeaux relatives à la délégation du service public de l’eau potable et de l’assainissement et de la décision du président de cette communauté refusant de retirer ces délibérations ainsi qu’à la constatation de l'illégalité des clauses tarifaires résultant de ces délibérations. Le pourvoi est dirigé contre le rejet par la cour de Bordeaux de l’appel dirigé contre le jugement du tribunal administratif rejetant ces demandes.

La communauté urbaine défenderesse a concédé, le 20 décembre 1991, pour trente ans à compter du 1er janvier 1992, à la Société Lyonnaise des Eaux, le service public de l'eau potable et de l'assainissement puis elle a par la suite, par délibérations successives, conclu plusieurs avenants. Certaines de ces délibérations sont contestées dans cette affaire.

Tout d’abord, s’agissant d’un recours pour excès de pouvoir formé par des tiers à un contrat, le juge rappelle qu’en vertu de sa jurisprudence Département du Tarn (Assemblée, 4 avril 2014, n° 258994), les tiers ne peuvent contester la validité d’un contrat administratif qu’au moyen d’un recours de pleine juridiction non d’un recours pour excès de pouvoir. Toutefois, cette jurisprudence ne s’applique que postérieurement au jour où elle a été rendue : sont donc exclus de ce champ d’application les contrats et ceux de leurs avenants conclus antérieurement. Le juge précise cependant que dans le cas des contrats conclus avant cette date, ceux de leurs avenants conclus après cette date relèvent de la jurisprudence Département du Tarn.

En l’espèce, tant le contrat que ceux de ses avenants critiqués sont antérieurs au 4 avril 2014 ; les délibérations en cause étant détachables du contrat, elles peuvent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Le recours est rejeté par le double motif qu’une délibération approuvant un contrat de concession et autorisant le maire à le signer est dépourvue de caractère réglementaire, quand bien même ce contrat comporterait des clauses de nature réglementaire, et que cette délibération a créé des droits au profit de la société concessionnaire. C’est donc sans erreur de droit que la cour a jugé impossible le retrait des délibérations litigieuses après expiration d’un délai de quatre mois.

Ensuite, concernant la délibération du 21 décembre 2012, qui a approuvé un avenant n° 9 consacrant le principe d'une maîtrise d'ouvrage de la communauté urbaine sur certains investissements structurants, encadrant et planifiant la transition vers un nouveau mode d'exploitation du service en précisant les conditions financières de sortie de la concession et de valider une nouvelle grille de tarification du service de l'eau applicable aux usagers, elle est jugée irrégulière en tant qu’elle contrevient aux dispositions de l’art. 40 de la loi du 29 janvier 1993. C’est donc à tort que la cour a jugé inopérant le moyen des demandeurs soutenant que cet avenant avait eu pour objet de prolonger l'exécution du contrat de concession au-delà du délai de vingt ans prévu par la loi de 1993.

C’est dans cette limite qu’est opérée la cassation et qu’est ordonné le renvoi à la cour.

(20 novembre 2020, Association Trans’Cub et autres, n° 428156)

 

56 - Marché public industriel – Pénalités contractuelles – Inclusion de leur montant dans le décompte général et définitif du marché arrêté par les parties – Décompte arrêté par le juge – Obligation pour le juge, sur demande de la personne publique, de prononcer ces pénalités – Erreur de droit – Cassation partielle avec renvoi sur ce seul point.

Contrairement à ce qu’avait jugé la cour administrative d’appel, le Conseil d’État décide que lorsque le décompte général et définitif du marché est arrêté non par les parties mais par le juge, ce dernier a l’obligation, sur demande de la personne publique, d’inclure dans ce décompte le montant des pénalités.

(20 novembre 2020, Régie des transports métropolitains (RTM), n° 428844)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

57 - Régime des plus-values ou moins-values à long terme – Titres exclus de ce régime – Titres des sociétés à prépondérance immobilière non cotées – Portée de l’art. 223 B du CGI – Rejet.

Le Conseil d’État indique que l’art. 223 B du CGI, lu à la lumière des travaux préparatoires de la loi du 25 décembre 2007 de finances rectificative pour 2007 de laquelle il est issu, doit être interprété comme excluant du régime des plus-values ou moins-values à long terme notamment – comme au cas de l’espèce - les titres de sociétés à prépondérance immobilière non cotées alors même qu'étant comptabilisés dans les stocks, ils n'ont jamais pu relever du régime des plus et moins-values à long terme, peu important par ailleurs, qu'ils aient eu ou non le caractère de titres de participation. 

(4 novembre 2020, Société Compagnie financière de Brocéliande, n° 423408)

 

58 - Revenus fonciers – Déduction de ces revenus des frais correspondant à certains travaux – Travaux indissociables des parties communes – Dénaturation des faits – Cassation avec renvoi.

Les requérants, qui ont réalisé et financé d’importants travaux dans un appartement dont ils sont propriétaires, entendaient se prévaloir des dispositions de l’art. 31 (au b/ du 1° du I) du CGI qui permettent de déduire du revenu net : « les dépenses d'amélioration afférentes aux locaux d'habitation, à l'exclusion des frais correspondant à des travaux de construction, de reconstruction ou d'agrandissement ».

Explicitant cette phrase le Conseil d’État l’interprète comme permettant la déduction des travaux qui : 1° emportent création de nouveaux locaux d'habitation, 2° apportent une modification importante au gros œuvre, 3° constituent des travaux d'aménagement interne équivalant, par leur importance, à des travaux de reconstruction, 4° ont pour effet d'accroître le volume ou la surface habitable des locaux existants. 

Pour rejeter la demande d’annulation du refus opposé par l’administration fiscale, la cour administrative d’appel avait estimé que lesdits travaux n’étaient pas dissociables de ceux entrepris sur les parties communes de l’immeuble où est situé l’appartement litigieux.

L’arrêt est cassé pour dénaturation des faits de l’espèce.

(20 décembre 2020, M. et Mme B., n° 427024)

 

59 - Taxe à la valeur ajoutée – Refacturation des coûts effectués par une banque vers ses succursales situées à l’étranger – Succursales membres d’un groupement de TVA – Assujetties distinctes de la société mère – Caractère déductible de la TVA lié à l’opération de refacturation aux groupements d’appartenance de ces succursales – Absence de lien avec les opérations réalisées ultérieurement par ces groupements.

Commet une erreur de droit et encourt cassation l’arrêt d’appel  qui, après avoir relevé que des succursales de la société BNP Paribas Securities Services sont membres de groupements de taxe sur la valeur ajoutée et bénéficient donc de la qualité d'assujetties distinctes de la société BNP Paribas Securities Services, refuse de prononcer la décharge de rappels de TVA liée aux refacturations de coûts effectuées par la société à ses succursales situées à l’étranger au motif que cette dernière « ne fournissait aucune précision sur les opérations réalisées par les groupements respectifs permettant de déterminer le caractère déductible de la taxe grevant les dépenses supportées par elle selon qu'elles sont affectées à des opérations soumises à la taxe sur la valeur ajoutée ou à des opérations exonérées. ». En effet, la déductibilité de la TVA grevant les dépenses de BNP Paribas ne dépendait que de la refacturation aux groupements d’appartenance de ces succursales et point, comme l’a jugé la cour, des opérations ultérieures à ces refacturations réalisées par ces groupements.

(4 novembre 2020, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 435295 ; Société BNP Paribas Securities Services, n° 436082, jonction)

 

60 - Impôt sur les sociétés – Entreprises situées en France sous la dépendance d’entreprises situées hors de France ou exerçant sur elles un contrôle – Bénéfices indirectement transférés à ces dernières – Régime fiscal – Cas de la perception d’une insuffisante rémunération par l’entreprise mère à l’étranger des charges assumées par celle située en France – Cassation avec renvoi.

L’art. 57 du CGI institue une présomption de transfert indirect de bénéfices de la part des entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France, notamment en cas de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen. Cette présomption ne peut être renversée que par la preuve que doit rapporter l’entreprise située en France que les avantages qu’elle a consentis font l’objet de contreparties.

Il est également, mais implicitement, jugé que le juge de cassation contrôle la qualification juridique des faits dont il est prétendu ou nié qu’ils constituent un transfert indirect de bénéfice devant, par suite, être incorporé aux résultats imposables de l’entreprise établie en France. En revanche, toujours pour l’application de l’art. 57 du CGI, c’est au pouvoir souverain des juges du fond que revient d’apprécier l’existence ou non d’un avantage apporté par l’entreprise située en France à une entreprise établie à l’étranger.

(23 novembre 2020, Société Salvatore Ferragamo France, n° 425557)

 

61 - Impôts sur les bénéfices des sociétés – Exonération en cas d’installation dans une zone franche (loi du 4 février 1995) – Conditions d’application de ce régime – Transfert d’une activité déjà existante ailleurs dans une zone franche – Continuation d’une activité déjà existante dans une telle zone – Exigence de dirigeants différents pour l’activité transférée et pour celle installée postérieurement - Cassation avec renvoi.

La loi du 4 février 1995, d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, a institué une exonération de l’impôt sur les bénéfices des sociétés pendant soixante mois (cf.  art. 44 octies et 44 octies A du CGI) pour les activités exercées dans une zone franche urbaine (telle que définie au B du 3 de l’art. 42 de la loi précitée).

Un litige s’est élevé entre la société requérante et l’administration fiscale, celle-ci ayant remis en cause le bénéfice de cette exonération pour les trois années 2011 à 2013 du fait que l’activité en cause était une activité transférée.

La cour administrative d’appel, après avoir annulé le jugement du tribunal administratif, a rejeté la demande de la société tendant à la décharge des impositions supplémentaires mises à sa charge.

Le Conseil d’État annule cet arrêt.

Il résulte de l’économie générale de la loi que la création, entre le 1er janvier 2006 et le 31 décembre 2014, d'activités au sein d'une zone franche urbaine entraîne de plein droit l'application de l'exonération totale qu'elles prévoient pendant les soixante mois qui suivent.

Lorsque l’activité a été transférée vers un autre site que celui où elle était jusque-là exercée, trois cas se présentent.

1°) Si l’activité transférée était jusqu'alors exercée au sein d'une autre zone franche urbaine, il convient de déduire de la période de 60 mois celle pendant laquelle les activités exercées dans cette autre zone ont déjà fait l'objet d'une exonération.

2°) Lorsque l’activité transférée était jusqu'alors exercée en dehors d'une telle zone, l'exonération s'applique pour l'entière durée de soixante mois à compter du transfert en zone franche urbaine.

3°) La reprise d'activités déjà exercées sur le même site n'entraîne l'application de l'exonération totale que pour la durée restant à courir après déduction de la durée d'exonération déjà écoulée.

L’arrêt contesté est annulé pour avoir subordonné le bénéfice de l’exonération légale à la double condition que l’activité ait bénéficié jusque-là de l'exonération applicable dans les zones franches urbaines et que le dirigeant de l'entreprise qui les transfère ou les reprend soit distinct de celui de l'entreprise qui les exerçait jusqu'alors. Ces exigences n’ont pas de fondement légal contrairement à ce que soutenait l’administration fiscale.

(4 novembre 2020, Société Agu et associés Var, n° 436048)

 

62 - Qualité de résident suisse – Qualité régie directement par l’art. 4 la convention fiscale franco-suisse du 9 septembre 1966 – Erreur de droit à opposer l’art. 31 de cette convention – Formulaire d’attestation exigé à tort – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.

Commet une erreur de droit l’arrêt qui, pour refuser à un couple de contribuables la qualité de résidents suisses, se fonde sur les stipulations de l’art. 31 de la convention fiscale franco-suisse du 9 septembre 1966, lequel ne vise que le cas où le contribuable entend se prévaloir du bénéfice de certains avantages fiscaux prévus par cette convention, alors que la résidence est exclusivement déterminée sur la base des dispositions de l’art. 4 de la convention qui ne prévoit la présentation d’aucun formulaire.

(23 novembre 2020, M. et Mme A., n° 427182)

 

63 - Comptabilité publique – Créances sur une personne publique – Régime de la prescription quadriennale – Réparation d’un dommage corporel – Point de départ du délai – Cassation avec renvoi.

Cette décision comporte un double rappel en matière de prescription des créances détenues sur un personne publique.

En premier lieu, le point de départ du délai de prescription quadriennale d’une créance née d’un dommage corporel est le premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les infirmités liées à ce dommage ont été consolidées. Ce mode de calcul s’applique pour tous les postes de préjudice, aussi bien temporaires que permanents, qu'ils soient demeurés à la charge de la victime ou aient été réparés par un tiers, tel qu'un organisme de sécurité sociale, qui se trouve subrogé dans les droits de la victime. 

En second lieu, la règle précitée, si elle fait obstacle à l'indemnisation de tous les préjudices directement liés au fait générateur qui, à la date à laquelle la consolidation s'est trouvée acquise, présentaient un caractère certain permettant de les évaluer et de les réparer, y compris pour l'avenir, n’empêche pas la victime d'obtenir réparation de préjudices nouveaux résultant d'une aggravation directement liée au fait générateur du dommage et postérieure à la date de consolidation. Le délai de prescription de l'action court à compter de la date à laquelle cette aggravation s'est elle-même trouvée consolidée.

(20 novembre 2020, M. B., n° 434018)

 

64 - Impôts sur les sociétés – Détermination du bénéfice net – Charges déductibles – Limite de la déductibilité (1° ter et 3° du 1 de l’art. 39 du CGI) – Cas de primes de non-conversion d’obligations convertibles en actions détenues par les associés – Exclusion du calcul du plafond de déductibilité (3° du 1 de l’art. 39 du CGI) – Rejet.

Une société a émis un emprunt obligataire sous forme nominative d’une durée de sept ans, les obligations étant convertibles à l’échéance en actions d’une valeur d’un euro. Ces obligations devaient faire l’objet d’un remboursement en valeur nominale, d’un intérêt annuel de 4% et d’une prime de non-conversion de 8% l’an. Deux associées ayant souscrit ces obligations, la société a comptabilisé la charge d’intérêts leur étant dus ainsi que les dotations aux amortissements à raison des primes de non-conversion et elle a déduit, durant la période en litige, l’ensemble de ces sommes pour déterminer son bénéfice net imposable à l’impôt sur les sociétés. L’administration fiscale a refusé la déductibilité d’une partie de ces sommes motif pris de ce qu’elle excédait le plafond de déductibilité fixé au 3° de l’art. 39 du CGI et a redressé en conséquence le montant imposable.

Le ministre demandeur se pourvoit contre l’arrêt d’appel qui a déchargé la société des cotisations supplémentaires d’impôt résultant de ce redressement.

Confirmant l’arrêt et rejetant donc le pourvoi, le Conseil d’État juge – pour la première fois semble-t-il avec cette netteté - que c’est sans erreur de droit que la cour n’a pas pris en compte les dotations aux amortissements du chef de la non-convertibilité des obligations pour apprécier le plafond de déductibilité tel que prévu au 3° précité.

(13 novembre 2020, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 423155)

 

65 - Contestation du montant de la taxe d’habitation - Règle du délai raisonnable – Conditions d’application – Point de départ du délai annal - Connaissance effective de la décision litigieuse – Cas d’un rejet ne faisant pas état d’un rejet précédent – Inapplicabilité de la règle – Annulation.

(13 décembre 2020, Société des Établissements Salvi, n° 427275) V. n° 37

 

66 - Revenus de source étrangère – Exonération d’impôts possible (art. 81 A du CGI) – Cas des rémunérations versées par une entité domiciliée en France à une personne domiciliée ou établie hors de France (art. 155 A, I du CGI) – Caractère imposable – Rejet.

Il résulte du I de l’art. 155 A du CGI que « Les sommes perçues par une personne domiciliée ou établie hors de France en rémunération de services rendus par une ou plusieurs personnes domiciliées ou établies en France sont imposables au nom de ces dernières (…) lorsque la personne qui perçoit la rémunération des services est domiciliée ou établie dans un État étranger ou un territoire situé hors de France où elle est soumise à un régime fiscal privilégié au sens mentionné à l'article 238 A. ».

En l’espèce, la veuve d’un pilote d’hélicoptères s’est pourvue en cassation d’un arrêt de cour administrative d’appel ayant rejeté sa demande de décharge d’un supplément d’imposition décidé par l’administration. Celle-ci avait estimé que devaient être réintégrées dans la catégorie des traitements et salaires imposables les sommes perçues par son défunt époux d’une société domiciliée à Jersey elle-même prestataire de services d’une société d’hélicoptères établie en France alors qu’elles avaient été déclarées comme revenus de source étrangère exonérés d’impôt (art. 81 A du CGI).

Le juge de cassation retient que sont susceptibles d’être imposées entre les mains de la personne qui les a effectuées les prestations correspondant à un service rendu pour l'essentiel par elle et pour lequel la facturation par une personne domiciliée ou établie hors de France ne trouve aucune contrepartie réelle dans une intervention propre de cette dernière, permettant de regarder ce service comme ayant été rendu pour son compte.

Toutefois, il incombe à l'administration, d’une part, de faire application des règles de taxation relatives à la catégorie de revenus dont relève cette rémunération, et, d’autre part, de déterminer cette catégorie, détermination qui ne peut reposer que sur l'analyse des relations existant entre la personne domiciliée ou établie en France qui a rendu pour l'essentiel les services facturés et le bénéficiaire de ces services. 

Substituant ce motif de pur droit à celui, erroné, retenu par la cour administrative d’appel, le juge rejette le pourvoi.

(4 novembre 2020, Mme Catherine A., n° 436367)

 

67 - Impôt sur les sociétés – Tenue d’une comptabilité sur supports informatisés – Communication au vérificateur – Attitude du contribuable vérifié – Opposition à contrôle fiscal – Existence en l’espèce - Rejet.

Ne commet pas d’erreur de droit la cour administrative d’appel qui, pour qualifier l’attitude d’un contribuable à l’occasion d’un contrôle fiscal d’opposition à contrôle fiscal (art. L. 74 du livre des procéd. fisc.), ce qui a pour effet le déclenchement d’une procédure d’évaluation d’office (art. préc.), retient : 1° que le logiciel mis par la société à la disposition du vérificateur ne permettait pas de réaliser dans des conditions normales, compte tenu des délais manifestement excessifs que son utilisation aurait impliqués, les traitements informatiques nécessaires au contrôle de la comptabilité ; 2° que la société vérifiée a refusé à l’administration de pouvoir utiliser son propre logiciel y compris sur support externe ; 3° que cette dernière a maintenu son choix en faveur de l’option qu’elle avait indiqué alors qu’elle a été dument avisée du caractère révocable de cette option.

(23 novembre 2020, Société Belart, n° 427689)

 

68 - Impôt sur le revenu – Revenu exceptionnel – Revenu non susceptible d’être recueilli annuellement – Faculté spéciale de calcul de l’impôt selon le système du quotient – Notion de revenu non susceptible d'être recueilli annuellement – Erreur de qualification juridique des faits – Cassation sans renvoi.

L’ article 163-0 A du CGI dispose que : « Lorsqu'au cours d'une année un contribuable a réalisé un revenu qui par sa nature n'est pas susceptible d'être recueilli annuellement et que le montant de ce revenu exceptionnel dépasse la moyenne des revenus nets d'après lesquels ce contribuable a été soumis à l'impôt sur le revenu au titre des trois dernières années, l'intéressé peut demander que l'impôt correspondant soit calculé en ajoutant le quart du revenu exceptionnel net à son revenu net global imposable et en multipliant par quatre la cotisation supplémentaire ainsi obtenue (...) ».

La contribuable requérante a reçu de son père une donation à titre gratuit de 3 740 actions d’une société par actions simplifiée. En 2006 et 2008, cette société a racheté à la requérante respectivement 1 520 et 1 555 de ses actions. La seconde opération, intervenue en 2008, a dégagé une plus-value de 567 575 euros, les parts ayant été rachetées au prix unitaire de 900 euros. Mme D. a considéré ce gain comme constituant un revenu exceptionnel et elle a opté pour son imposition selon le système du quotient prévu par l'article 163-0 A du CGI.

L’administration fiscale ayant rehaussé l’imposition mise à sa charge en contestant sa qualification comme revenu non susceptible d’être recueilli annuellement, la requérante a saisi, en vain, les juridictions du premier et du deuxième degrés. Elle se pourvoit en cassation et obtient gain de cause.

La cour administrative d’appel avait jugé sans caractère exceptionnel le revenu en cause car Mme D. disposait encore, après ces deux cessions, de 665 actions dont rien n’indiquait qu’elles n’étaient pas susceptibles d’être rachetées par la SAS.

Le Conseil d’État casse ce raisonnement au motif, que l’on peut juger discutable, « qu'il ne ressortait pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'opération de rachat des titres aurait eu vocation à se renouveler régulièrement les années suivantes quand bien même la contribuable avait conservé après 2008 une partie de ses actions ».

Comme par ailleurs, l’intéressée remplissait la seconde condition posée par l’art. 163-0 A du CGI, elle avait bien le droit de se prévaloir du bénéfice du mécanisme du quotient qu’il institue.

La cassation a lieu sans renvoi plus rien ne restant à juger dans cette affaire.

(23 novembre 2020, Mme D., n° 427778)

 

69 - Obligations déclaratives d’un contribuable – Omission de déclarer - Activité réputée occulte sauf invocation d’une erreur justifiant l’omission – Accomplissement de ces obligations dans un pays autre que la France – Éléments d’appréciation de la justification de l’erreur commise – Rejet.

Un ressortissant polonais exerce en France une activité dans le secteur du bâtiment. Il a omis d’accomplir l’ensemble de ses obligations déclaratives du 1er janvier 2005 au 31 décembre 2010. L’administration fiscale a donc considéré qu’il avait une activité occulte en France et l’a imposé selon le mécanisme de l’évaluation d’office, aux bénéfices industriels et commerciaux.

Le contribuable fait valoir que ces omissions constituent des erreurs de sa part car il a bien déclaré ses résultats à l’administration fiscale polonaise.

Le Conseil d’État juge que « S'agissant d'un contribuable qui fait valoir qu'il a satisfait à l'ensemble de ses obligations fiscales dans un État autre que la France, la justification de l'erreur commise doit être appréciée en tenant compte de l'ensemble des circonstances de l'espèce et notamment du niveau d'imposition dans cet autre État et des modalités d'échange d'informations entre les administrations fiscales des deux États. » En bref, il convient de s’assurer qu’il n’y a pas eu fraude de la part du contribuable en déclarant ses bénéfices dans un pays au taux d’imposition faible et sans grand esprit coopératif avec l’administration fiscale française.

Le juge de cassation approuve la juridiction d’appel d’avoir estimé que le requérant ne pouvait pas invoquer une prétendue erreur alors qu’il a exercé pendant sept ans au moins une activité d'entrepreneur exclusivement en France, que, du chef de cette activité, il n'a déposé aucune déclaration d'activité auprès d'un centre de formalités des entreprises ou d'un greffe de tribunal de grande instance, qu’il n’a pas davantage effectué de déclaration en matière de bénéfices professionnels ou de taxe sur la valeur ajoutée auprès de l'administration fiscale française et, enfin, qu'il existe une importante différence de niveau d'imposition entre la France et la Pologne. 

(27 novembre 2020, M. B., n° 428898)

 

70 - Contribuable non domicilié fiscalement en France – Contribuable imposable à l’impôt sur le revenu – Désignation spontanée d’un représentant fiscal demeurant en France – Information donnée à l’administration fiscale valant élection de domicile – Rejet.

Lorsqu’une personne, non domiciliée fiscalement en France, y est redevable d’impositions (ici à l’impôt sur le revenu) et qu’elle désigne spontanément à l’administration un représentant fiscal en France, celle-ci est tenu d’adresser ses correspondances et notamment, comme ici, une proposition de rectification, au lieu où le contribuable a fait élection de domicile c’est-à-dire le lieu où réside le représentant fiscal.

Il importe peu que cette notification valant élection de domicile ait été faite spontanément et non sur demande de l’administration fiscale dans les termes de l’art. 164 D du CGI.

(30 novembre 2020, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 438496)

 

71 - Taxe sur la valeur ajoutée – TVA déductible - Omission de déclaration de TVA déductible – Délai de réparation d’omission – Calcul – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.

Le redevable de TVA qui a omis de déclarer la TVA déductible dispose d’un délai expirant le 31 décembre de la deuxième année qui suit celle de l’omission pour, par une déclaration ultérieure, rectifier l’omission.

En l’espèce, la société contribuable avait déposé le 18 novembre 2011 une déclaration de taxe sur la valeur ajoutée au titre du troisième trimestre de l'année 2011 ; elle n’a souscrit ni la déclaration de TVA afférente au quatrième trimestre 2011, ni celles des années 2012 et 2013. Lors de la vérification de sa comptabilité par l’administration fiscale, en 2014, la société a souscrit les déclarations omises en vue de la régularisation de sa situation fiscale.

Confirmant la position de l’administration fiscale, la cour administrative d’appel a jugé expiré le délai qui était ouvert à la société pour régulariser son omission.

Cet arrêt est cassé par le Conseil d’État, lequel rappelle que le délai de péremption de la fraction de TVA déclarée au troisième trimestre de l’année 2011 n’avait commencé à courir qu’à compter de la date limite pour déclarer le quatrième trimestre 2011 soit le 5 février 2012. Il expirait donc le 31 décembre 2014 soit postérieurement à la régularisation effectuée par la société demanderesse le 26 mars 2014.

(23 novembre 2020, SCEA des Vignobles Marengo Père et Fils, n° 428497)

 

72 - Impôt sur les sociétés – Société anonyme coopérative d’intérêt collectif (SACIC) d’habitation à loyer modéré - Produits financiers résultant du placement de sa trésorerie (avances en compte courant à des filiales) – Exonération de l’impôt sur les sociétés – Cas en l’espèce – Erreur de droit de l’arrêt contraire – Cassation avec renvoi.

Le c) du 4° du 1 de l’art. 207 du CGI, visant l’art. L. 411-2 du code de la construction et de l’habitation, exonère de l’impôt sur les sociétés les produits financiers résultant du placement de sa trésorerie par un organisme d’habitations à loyer modéré. Cette exonération suppose que ce placement soit effectué dans le respect des règles et conditions spécifiques à l’emploi des fonds constituant la trésorerie.

La cour administrative d’appel a estimé que les intérêts perçus par la société requérante en rémunération d’avances en compte courant consenties à ses filiales ne pouvaient pas bénéficier de l’exonération susrappelée car ils n’ont pas été réalisés conformément aux dispositions des art. R. 423-74 et R. 423-75 du code de la construction et de l’habitation.

L’arrêt est cassé motif pris de ce que la cour n’a pas vérifié celles des autres dispositions du code de la construction et de l’habitation, notamment l’art. L. 423-15, susceptibles de fonder validement la demande d’exonération de la requérante.

(23 novembre 2020, Société anonyme coopérative d'intérêt collectif (SACIC) d'habitations à loyer modéré (HLM) Gambetta PACA, n° 429069)

 

73 - Taxe d’aménagement – Activité agricole de rééducation de chevaux – Régime de décharge de la taxe (art. L. 331-7 du code de l’urbanisme) – Date d’appréciation du droit à décharge – Annulation avec renvoi.

Rappel de ce que pour apprécier la satisfaction des conditions exigées par l’art. L. 331-7 du code de l’urbanisme pour l’octroi de la décharge de la taxe d’aménagement, il convient de se placer exclusivement à la date de délivrance du permis de construire.

(20 novembre 2020, SCI De Guise, n° 427807)

 

74 - Cotisation foncière des entreprises – Assiette – Exclusion des parties communes d’un immeuble en copropriété (art. 1467 CGI) – Cas d’un immeuble propriété d’un seul contribuable dont différents lots sont loués à diverses sociétés – Inapplicabilité de l’art. 1467 du CGI – Cassation avec renvoi partiel.

Commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui reconnaît à une société contribuable le bénéfice de l’exonération des parties communes d’un immeuble de l’assiette du calcul de la cotisation foncière des entreprises visée à l’art. 1467 du CGI. Cet article ne concerne que les parties communes au sens de la loi sur la copropriété des immeubles bâtis et n’est donc pas applicable en l’espèce où l’immeuble étant, en son entier, la propriété de la société requérante qui en loue des lots à diverses sociétés, il ne saurait comporter de parties communes.

La solution paraît pouvoir être discutée : copropriété ou pas, il existe bien dans l’immeuble en cause des parties dont l’usage n’est pas réservé exclusivement au propriétaire.

(6 novembre 2020, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 439348)

 

75 - Cotisation foncière des entreprises – Régime d’exonération – Création ou extension d’établissements – Notion de création ou d’extension – Exclusion de l’exonération en cas de simple changement d’exploitant –Erreur de qualification juridique – Annulation sans renvoi plus rien ne restant à juger.

L’art. 1466 A du CGI, dans son I sexiès, a prévu que pouvaient être exonérées du paiement de la cotisation foncière des entreprises les créations de nouveaux établissements ou leurs extensions. En revanche, les simples changements d’exploitant n’ouvrent pas droit au bénéfice de l’exonération. La difficulté est bien souvent de déterminer si le contribuable qui demande à être exonéré a réellement procédé à une création ou, surtout, à une extension.

En l’espèce, la cour administrative d’appel, rejetant. Le recours contre le refus d’exonération, avait confirmé la position de l’administration fiscale qui estimait n’y avoir eu lieu qu’à un changement d’exploitant. Selon elle il ne s’était produit qu’un changement d’exploitant dans la mesure où, la société demanderesse avait repris l'activité de supermarché à prédominance alimentaire sur la même zone de chalandise que celle de son prédécesseur, au moyen de l'essentiel des moyens de production que ce dernier exploitait, et ce, onze mois après la fermeture du précédent établissement, et où elle avait pu, dans ces conditions, reprendre la clientèle de cet établissement, sans que puissent faire échec à cette qualification les circonstances que la société n'avait pas repris les anciens salariés et qu'elle avait diversifié la gamme des produits vendus.

Pour annuler cet arrêt pour erreur de qualification juridique, le Conseil d’État relève que la société demanderesse avait rouvert un commerce à la suite d’une interruption d’activité sur site durant une période de onze mois au cours de laquelle la clientèle de proximité avait pu se déplacer sur une autre zone économique, dans des locaux partiellement rééquipés en nouveaux moyens de production et exploités par des salariés nouvellement recrutés. Par suite il s’agissait d’une création d’établissement et non d’un changement d’exploitant continuant à exercer l’activité de son prédécesseur. C’est pourquoi le Conseil d’État est ici à la cassation.

(27 novembre 2020, Société Le Triangle Supermarché, n° 427404)

 

76 - Impôt sur les sociétés – Contrats d’échange des taux d’intérêt (ou swap de taux) – Demande de restitution de la part d’impôt versée en excédent – Notion de charges financières nettes – Intérêts ne rémunérant pas des sommes – Rejet.

L'établissement public régional (EPR) Epinorpa est la tête d'un groupe fiscalement intégré dont certaines entités membres ont conclu des contrats d'échange de taux d'intérêt dits contrats de swap de taux. Cette technique a pour objet de limiter le risque de taux sur les emprunts contractés par ses membres. L’EPR, après s’être acquitté de l’impôt sur les sociétés, a estimé qu’il avait trop payé et en a demandé la restitution partielle, d’un montant de près de deux millions d’euros. Il estimait que c’était à tort qu’avait été appliqué aux charges résultant de l'exécution de ces contrats d'échange de taux le dispositif de plafonnement de la déductibilité des charges financières nettes prévu par les dispositions de l'article 223 B bis du CGI.

Les premiers juges et ceux d’appel lui ont donné raison, considérant que les intérêts versés et reçus dans le cadre de contrats d'échange de taux d'intérêt ne contribuaient pas au calcul des charges financières nettes au sens de l'article 212 bis du même code.

Le ministre de l’action et des comptes publics se pourvoit ; il est débouté.

Le Conseil d’État, comme les juges du fond, juge qu’il résulte des dispositions combinées de l’art. 39, du III de l’art. 212 bis et de l’art. 223 B bis du CGI que : « que les intérêts versés et reçus dans le cadre d'un contrat d'échange de taux d'intérêt, lequel a notamment pour objet de réduire le risque de taux pesant sur un emprunteur à taux variable en lui permettant de substituer des intérêts à taux fixe à des intérêts à taux variable, ne contribuent pas au calcul des charges financières nettes au sens et pour l'application des dispositions de l'article 212 bis (…), dès lors que ces intérêts ne rémunèrent pas des sommes laissées ou mises à disposition de l'entreprise, quand bien même ils seraient calculés sur un montant notionnel identique à celui de l'emprunt pour lequel le contrat d'échange sert d'instrument de couverture, voire sur un montant notionnel variable afin de tenir compte du calendrier de remboursement de cet emprunt. »

L’arrêt déféré à la censure du juge de cassation n’est entaché ni d’erreur de droit ni d’erreur sur la qualification des faits, d’où le rejet du pourvoi.

(4 novembre 2020, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 438629)

 

77 - Hôtellerie – Régime de l’amortissement dégressif – Conditions d’application – Exclusion des établissements de camping – Légalité – Rejet.

Le régime dérogatoire d’amortissement dégressif institué à l’art. 39 A du CGI n’est applicable qu’aux seuls hébergements hôteliers comportant en plus de l’accueil, un service de réception, des prestations de service accessoires, éventuellement optionnels (comme le nettoyage des locaux, la mise à disposition de linge de maison et l'offre d'un petit-déjeuner, voire la demi-pension ou la pension complète) qui ne se retrouvent pas, pour une part significative de leur superficie, dans le cas des terrains de camping.

Les commentaires administratifs, attaqués dans le présent recours, ne méconnaissent pas les dispositions précitées du CGI en indiquant que les investissements réalisés par un exploitant de camping pour l'exercice de sa profession n'étaient pas éligibles au régime fiscal dérogatoire des amortissements, institué par ce texte.

Le recours est rejeté.

(4 novembre 2020, Fédération corse de l'hôtellerie de plein air, n° 440470)

 

78 - TVA – Régime de calcul dérogatoire de la TVA frappant la cession de terrains à bâtir acquis en vue de leur revente – Inapplicabilité à une cession de train comportant un (ou plusieurs) élément(s) bâti(s) à démolir – Annulation avec renvoi.

Rappel, à nouveau, que le calcul dérogatoire de la TVA régissant les cessions de terrain à bâtir (institué par les dispositions combinées du 2 du b de l’art. 266 et du I de l’art. 257 du CGI, transposant l’art. 392 de la directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée) n’est pas applicable lorsque le terrain cédé comporte un élément bâti même voué à la démolition.

L’ordonnance de rejet rendue en appel est annulée.

(6 novembre 2020, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 434022)

(79) V. aussi, identiques : 6 novembre 2020, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 439646 ; 6 novembre 2020, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 439647.

 

80 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Dégrèvement possible en raison des dépenses exposées pour la rénovation d’immeubles affectés à l’habitation – Faculté applicable aux organismes d’HLM - Obligation nécessaire et suffisante de respecter les critères énoncés par le CGI – Indifférence des taux de TVA figurant sur les factures et d’absence d’attestation de livraison à soi-même des travaux -Rejet.

L’article 278 sexies du CGI fixe (au 1° du 1 du IV) les critères que doivent satisfaire les dépenses de travaux de rénovation réalisés dans les immeubles d’habitation par leurs propriétaires, y compris les organismes d’HLM, pour pouvoir bénéficier du dégrèvement de taxe foncière sur les propriétés bâties institué à l’art. 1391 E du CGI.

C’est dans ces conditions qu’une société d’HLM a demandé le bénéfice de ces dispositions à raison des travaux qu’elle a accomplis en vue de réaliser des économies d’énergie. Sa demande ayant été rejetée, elle a saisi le tribunal administratif qui lui a donné raison, d’où le pourvoi du ministre.

Ce dernier reproche aux juges du fond de n’avoir pas tenu compte de la circonstance que les factures produites mentionnaient une taxe sur la valeur ajoutée aux taux de 7% et de 19,6% et n'attestaient pas, par elles-mêmes, d'une livraison des travaux à soi-même. On sait qu’en principe en ce dernier cas la TVA ne s’applique pas.

Le Conseil d’État, s’appuyant sur les travaux parlementaires de la loi de finances rectificative du 29 décembre 2013 qui a institué ce dégrèvement, rejette l’argumentation : le dégrèvement est de droit dès lors que sont remplis les critères énoncés au 1° du 1 du IV de l'article 278 sexies du CGI.

C’était le cas en l’espèce ; le pourvoi du ministre est rejeté.

(9 novembre 2020, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 433418). V. aussi cette Chronique, octobre 2020, n° 54.

 

81 - Question prioritaire de constitutionnalité dirigée contre l’interprétation jurisprudentielle constante du 1 de l’art. 109 du CGI - Compte d’associé – Inscription d’une somme sur ce compte – Somme revêtant la nature d’un revenu distribué imposable dans le chef de cet associé – Inscription résultant d’une erreur comptable involontaire – Circonstance sans effet faute de correction avant la clôture de l’exercice – Rejet.

Le Conseil d’État admet comme un principe évident qu’une question prioritaire de constitutionnalité conteste la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à une disposition législative. Il s’agissait ici du 1 de l’art. 109 du CGI qui dispose : " Sont considérés comme revenus distribués : (...)

2° Toutes les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts et non prélevées sur les bénéfices. (...) " et que le juge administratif interprète comme impliquant que les sommes inscrites au crédit d'un compte courant d'associé d'une société soumise à l'impôt sur les sociétés sont à la disposition de cet associé, alors même que l'inscription résulterait d'une erreur comptable involontaire, et ont donc, même dans une telle hypothèse, le caractère de revenus distribués, imposables entre les mains de cet associé dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers.

Pour échapper aux conséquences drastiques de cette présomption, dans le cas où l’erreur comptable prétendue n’a pas été réparée avant la clôture de l’exercice, il incombe à cet associé de démontrer qu'il n'a pas pu avoir la disposition de ces sommes ou que ces sommes ne correspondent pas à la mise à disposition d'un revenu.

Le requérant soutenait que cette interprétation méconnait le principe d’égalité devant les charges publiques puisqu’elle rend impossible l’invocation de l’erreur comptable après la clôture de l’exercice.

Le Conseil d’État réaffirme que c’est la nécessité de prendre en compte les facultés contributives, laquelle découle du principe constitutionnel invoqué, qui impose l’interprétation donnée par lui de l’article précité du CGI. Il considère que la présomption, irréfragable donc, de revenu distribué de toute somme inscrite au compte courant d’un associé à la clôture d’un exercice, loin de porter atteinte au principe invoqué ne fait, au contraire, que l’appliquer.

La solution n’est pas très convaincante d’abord en raison de l’absurdité de la réserve qu’elle institue en faveur d’une correction de l’erreur comptable antérieure à la clôture de l’exercice : cette réserve est sans aucune utilité puisqu’en ce cas nul problème ne se pose.

Ensuite, en créant une impossibilité absolue de corriger une erreur qu’aucun texte n’institue ici alors qu’existent de nombreux motifs d’erreurs et de corrections de celles-ci post-clôture, le Conseil d’État pose une règle discutable dont il n’est pas sûr qu’elle corresponde à la volonté du législateur fiscal et qu’elle satisfasse la Cour européenne des droits de l’homme éventuellement saisie, notamment sur le fondement de l’art. 1er du premier protocole additionnel à la Convention EDH.

(13 novembre 2020, M. A., n° 436792)

 

82 - Indu de RMI - Émission d’un titre exécutoire – Acte interruptif de prescription – Absence de preuve de sa réception – Annulation.

Commet une erreur de droit la Commission centrale d’aide sociale qui, pour dire non prescrite la créance d’un département relative à un indu de RMI, estime que l’émission par ce dernier d’un titre exécutoire a interrompu le cours de la prescription sans s’assurer s’il a été effectivement notifié à sa destinataire laquelle soutient ne pas l’avoir reçu.

(18 novembre 2020, M. C., n° 431067)

 

83 - Activité de marchands de biens – Achats d’immeubles en vue de leur revente – Immeubles achevés depuis plus de cinq ans - Condition de déductibilité de la TVA acquittée lors de l’achat d’immeubles - Rejet.

C’est sans erreur de droit qu’une cour administrative d’appel juge que la TVA ayant grevé l’acquisition d’immeubles de plus de cinq ans en vue de leur revente ne peut être déduite lors de la revente hormis le choix, par le contribuable, du bénéfice des dispositions du 5° bis de l’art. 260 du CGI. C’est donc à juste titre qu’elle jugé cette TVA non déductible des loyers de ces immeubles eux-mêmes soumis à la TVA.

(27 novembre 2020, Société financière Lord Byron, n° 426091)

 

Droit public économique

 

84 - Décision du Conseil d’État constatant l’incompatibilité de la réglementation française relative aux tarifs réglementés de vente de gaz naturel avec le droit de l'Union européenne – Demande d’abrogation des articles concernés du code de l’énergie – Intervention de la loi du 8 novembre 2019 (art. 63) – Refus implicite du premier ministre d’abroger les dispositions litigieuses – Compétence liée du premier ministre l’obligeant à rejeter la demande d’abrogation – Moyens inopérants – Rejet.

Par une décision du 19 juillet 2017 (req. n° 370321) le Conseil d’État a jugé que les dispositions législatives du code de l'énergie relatives à ces tarifs sont incompatibles avec les objectifs de la directive du 13 juillet 2009 concernant les règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et a annulé le décret du 16 mai 2013 modifiant le décret du 18 décembre 2009 pris pour leur application, dont les dispositions sont aujourd'hui codifiées aux articles R. 445-1 à R. 445-7 du code de l'énergie.

Les requérantes ont, en conséquence, demandé au premier ministre d’abroger ces dispositions du code de l’énergie et, du fait de son silence valant rejet implicite de leur demande, sollicitent la condamnation de l’État à réparer le préjudice subi par suite de la situation ainsi créée.

Le Conseil d’État rejette la requête à fins indemnitaires dont il est saisi.

Il se fonde pour cela sur la circonstance que l’art. 63 de la loi du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat a organisé la suppression progressive de ces tarifs à différentes échéances : 10 novembre 2019 pour les articles L. 445-1 à L. 445-4 du code de l'énergie relatifs aux tarifs réglementés de vente de gaz naturel ; 1er décembre 2020 pour les contrats de fourniture de gaz aux tarifs réglementés en cours d'exécution à la date de publication de la loi pour les consommateurs finals non domestiques consommant moins de 30 000 kilowattheures par an ; 30 juin 2023 pour les consommateurs finals domestiques consommant moins de 30 000 kilowattheures par an ainsi que pour les propriétaires uniques d'un immeuble à usage principal d'habitation consommant moins de 150 000 kilowattheures par an et les syndicats des copropriétaires d'un tel immeuble). Dès lors, le pouvoir réglementaire était tenu de maintenir en vigueur, durant ces périodes transitoires, les art. R. 445-1 à R. 445-7 du code de l’énergie, et se trouvait en situation de compétence liée. Par suite, les moyens d’illégalité soulevés par les requérantes étaient inopérants, d’où leur rejet.

Reste que cette solution, apparemment impeccable en droit, ne convainc pas. Alors qu’à la date de la décision du Conseil d’État constatant l’incompatibilité du mécanisme français avec le droit de l’Union, cette situation durait déjà depuis huit ans, le législateur, intervenant deux ans plus tard, a prorogé d’encore une ou quatre années selon les cas la durée de vie d’un système peccamineux.

De plus, cette solution nous semble en contradiction avec la jurisprudence issue de la décision de Section du 3 décembre 1999, Association ornithologique et mammalogique de Saône-et-Loire, n° 164789, 165122, qui fait obligation au premier ministre de laisser inappliquées – en s’abstenant de prendre les mesures réglementaires nécessaires à leur exécution – celles des dispositions législatives contraires au droit de l’Union. Tel était bien le cas ici.

Enfin, ces palinodies contentieuses ne garantissent même pas, devant les juridictions de l’UE, l’immunité à la loi et au refus implicite querellés ici.

(27 novembre 2020, Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE), n° 415545 ; Société Direct Énergie, n° 416853)

 

85 - Aide publique à une entreprise – Situation de l’entreprise irrémédiablement compromise – Inapplicabilité de l’art. L. 650-1 du code de commerce - Responsabilité de la puissance publique en cas de faute – Conditions de la mise en jeu de la responsabilité – Annulation.

Les mandataires liquidateurs d’une société de droit privé recherchaient la responsabilité de l’État du fait d’aides apportées par lui à cette société et qui auraient contribué à aggraver son passif alors que sa situation était irrémédiablement compromise. Ils sont déboutés en première instance et en appel, l’un d’eux se pourvoit en cassation : le Conseil d’État lui donne raison.

Rejetant l’applicabilité de l’art. L. 650-1 du code de commerce (selon lequel : « Lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci.

Pour le cas où la responsabilité d'un créancier est reconnue, les garanties prises en contrepartie de ses concours peuvent être annulées ou réduites par le juge. ») aux personnes publiques, le juge de cassation, contrairement à ce qui a été jugé en appel, pose le principe que l’octroi d’une aide publique à une entreprise privée dont la situation est irrémédiablement compromise ne constitue pas en lui-même une faute de nature à engager sa responsabilité sauf si cette aide « a été accordée en méconnaissance des textes applicables ou qu'il est manifeste, qu'à la date de son octroi, cette aide était insusceptible de permettre la réalisation d'un objectif d'intérêt général ou que son montant était sans rapport avec la poursuite de cet objectif ». Naturellement, cette responsabilité ne peut être mise en cause qu’aux conditions ordinaires du droit commun de la responsabilité qui exigent un lien direct de causalité entre la faute et le préjudice.

En l’espèce, où l’État avait accordé à une compagnie locale de transport aérien une aide de plus de trente millions d’euros, alors que sa situation ne permettait d’entrevoir aucune amélioration financière, il existait bien une faute et, pour avoir jugé le contraire, l’arrêt d’appel est cassé avec renvoi.

(27 novembre 2020, Maîtres B., agissant en qualité de mandataire liquidateur de la société d'exploitation AOM Air Liberté, n° 417165)

 

86 - Infrastructure ferroviaire – Redevances d’infrastructure – Projet de tarification ferroviaire pour 2020 arrêté par SNCF Réseau – Nécessité d’un avis conforme de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (AREFER) devenue Autorité de régulation des transports (ART) – Avis conforme sous réserve d’une limitation à 1,8% de l’évolution globale maximale des redevances de marché et d’accès entre 2019 et 2020 – Annulation partielle.

L'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (AREFER devenue l’Autorité de régulation des transports, ART) émet chaque année un avis conforme sur la fixation par SNCF Réseau des redevances d'infrastructure liées à l'utilisation du réseau ferré national en tenant compte : 1° des principes et des règles de tarification applicables sur ce réseau, 2° de la soutenabilité de l'évolution de la tarification pour le marché du transport ferroviaire, 3° de la position concurrentielle du transport ferroviaire sur le marché des transports et  4° des dispositions du contrat conclu entre l'État et SNCF Réseau.

C’est dans ces conditions que l’AREFER a émis, le 7 février 2019, un avis conforme sur le tarif des redevances proposé par SNCF Réseau sauf, d’une part, pour la redevance de marché payée par les services conventionnés TER, et d’autre part, pour la redevance de marché et la redevance d'accès payées par les services conventionnés en Ile-de-France. Dans les deux cas, l’AREFER soumet son avis favorable à la réalisation de la condition suspensive suivante : l’évolution globale maximale des redevances entre les horaires 2019 et 2020 doit être plafonnée à 1,8 %.

SNCF Réseau, qui proposait dans son projet une hausse de 2,4 % de chacune des deux redevances (de marché et d’accès), demandait l’annulation de l’avis de l’ARAFER (devenu ART) sur ces deux points.

Tout d’abord, le Conseil d’État indique que l’Autorité n’est pas limitée à la seule alternative approbation/rejet, elle peut aussi indiquer que son avis sera conforme jusqu’à un certain seuil et pas au-delà.

Ensuite, il considère qu’en l’espèce l’Autorité a commis une erreur de droit en faisant du plafond d'augmentation des dépenses de fonctionnement des régions un élément déterminant pour l'appréciation de la soutenabilité de l'augmentation des majorations et en estimant que toute augmentation des majorations à un niveau supérieur à l'évolution de l'indice des prix à la consommation ne pourrait être regardée comme soutenable. En réalité, l’Autorité devait seulement, s'agissant de services de transport conventionnés, pour lesquels la capacité du marché à supporter les majorations ne peut être évaluée comme pour les services librement organisés soumis à concurrence, tenir compte de l'existence d'une contribution financière des autorités organisatrices à l'exploitation de ces services ; s'assurer que les tarifs projetés ne remettent pas en cause l'équilibre économique des contrats de service public du segment de marché considéré, en faisant peser sur les entreprises ferroviaires des majorations qu'elles ne peuvent pas supporter ou, en cas de compensation des redevances par les autorités organisatrices, en prévoyant des majorations à un niveau de nature à conduire celles-ci à prendre des mesures susceptibles d'affecter sensiblement l'utilisation de l'infrastructure sur ce segment. Par suite, l’avis du 7 février 2019 est annulé « en tant qu'il porte sur la redevance de marché pour les services conventionnés TER ainsi que sur la redevance de marché et la redevance d'accès pour les services conventionnés en Ile-de-France ».

Il est donné deux mois à l’ART pour réexaminer le projet de tarification de l’infrastructure ferroviaire pour l’horaire de service 2020

(27 novembre 2020, SNCF Réseau, n° 431748)

(87) V. aussi, complémentaire, le rejet du recours dirigé contre le c) du 2° et le c) du 4° de l’ordonnance du 11 mars 2019 qui modifie le V de l’art. 2133-5 du code des transports en permettant au gestionnaire d'infrastructure – en l’absence d’avis favorable de l’Autorité avant une date précisée par voie réglementaire - de déterminer et de publier la tarification applicable sur la base de la dernière tarification ayant fait l'objet d'un avis favorable de l'autorité sans que cette évolution puisse excéder l'évolution prévue de l'indice des prix à la consommation au cours de l'année suivant l'horaire de service de cette tarification : 27 novembre 2020, Île-de-France Mobilités, n° 434544.

 

Droit social et action sociale

 

88 - Licenciement d’un salarié protégé pour inaptitude physique – Autorisation administrative refusée – Annulation de ce refus – Action en réparation formée par l’employeur du chef du préjudice subi par suite de l’illégalité du refus d’autoriser le licenciement – Obligation pour la juridiction saisie de vérifier si ce refus aurait pu être opposé dans le cadre d’une procédure régulière – Annulation de l’arrêt de rejet.

(4 novembre 2020, Société Lidl, n° 428198 et 4 novembre 2020, Société Financière Mag venant aux droits de la société Novopac, n° 428741, n° 428743 et n° 428744). V. n° 167

 

89 - Aide sociale à l‘enfance – Mineur isolé – Contestation de l’état de minorité – Cessation de l’accueil provisoire par le département – Preuve de l’absence de qualité de mineur non rapportée – Rejet.

Un département, qui avait octroyé à une personne étrangère se disant mineur isolé de 16 ans, sa prise en charge au titre de l’aide sociale à l’enfance, a mis fin à cette aide en raison du doute sérieux quant à son état de minorité.

Le premier juge, saisi par le mineur, avait annulé cette décision et, sur appel du département défendeur, le Conseil d’État confirme cette annulation en retenant que « eu égard au caractère incomplet des conclusions de l'évaluation et en l'absence d'élément au dossier susceptible de remettre en cause la minorité alléguée de M. A., l'appréciation portée par le président du conseil départemental des Pyrénées-Atlantiques sur l'absence de qualité de mineur isolé de l'intéressé apparaît, en l'état de l'instruction et à la date de la présente ordonnance, manifestement erronée. »

A ce niveau de subjectivité dans l’énoncé des appréciations il est légitime de s’interroger sur le point de savoir si celles-ci constituent bien l’exercice d’une fonction juridictionnelle.

(ord. réf. 3 novembre 2020, Département des Pyrénées-Atlantiques, n° 445714)

 

90 - Mineur isolé – Prise en charge par un département au titre de l’aide sociale – Refus – Référé liberté – Compétence exceptionnelle du juge administratif – Rejet.

Rappel d’une solution de bienveillance compassionnelle à propos de la prise en charge d’un mineur isolé.

En principe, il résulte de dispositions du Code civil (art. 375, 375-3 et 375-5) et du code de l’action sociale et des familles (art. L. 221-1, L. 222-5 et L. 223-2) qu’il incombe u département de prendre en charge l'hébergement et de pourvoir aux besoins des mineurs confiés au service de l'aide sociale à l'enfance. L’art. 375, d’une part, permet au président du conseil départemental, passé un délai de cinq jours, de saisir le juge judiciaire mais admettre lui-même le mineur au bénéfice de l’aide sociale en l’absence de décision en ce sens du juge judiciaire, d’autre part, autorise le mineur à saisir le juge judiciaire aux fins de le voir ordonner cette prise en charge. Il suit de là qu’en cas de refus du département de saisir le juge judiciaire, motif pris de ce que l’intéressé ne serait pas un mineur isolé, l’existence d’une voie de recours devant le juge judiciaire a pour effet de rendre irrecevable la saisine du juge administratif.

Toutefois, le Conseil d’État décide que, saisi sur le fondement de l’art. L. 521-2 du CJA (référé liberté), le juge des référés d'enjoindre au département de poursuivre l’accueil provisoire du mineur lorsqu'il lui apparaît que l'appréciation portée par le département sur l'absence de qualité de mineur isolé de l'intéressé est manifestement erronée et que ce dernier est confronté à un risque immédiat de mise en en danger de sa santé ou de sa sécurité.

En l’espèce, n’est pas appliquée cette jurisprudence faute que l’intéressé ait produit des éléments de nature à établir l’état de vulnérabilité et de précarité qu’il invoque au soutien de sa requête.

(ord. réf. 27 novembre 2020, M. A., n° 446449)

 

91 - Organisations professionnelles d’employeurs – Appréciation de leur représentativité – Règles propres aux accords interbranches ou aux accords de fusion de branches professionnelles – Représentativité appréciée dans le cadre de négociations en cours ou à venir – Compétence du ministre chargé du travail – Cassation sans renvoi, règlement de l’affaire au fond.

Par l’article 1er d’un arrêté ministériel du 21 décembre 2017 avait été fixée « la liste des organisations professionnelles d'employeurs reconnues représentatives dans le secteur des entreprises du bâtiment employant jusqu'à dix salariés ». L’art. 2 ajoute que « pour l'opposition à l'extension des accords collectifs prévue au titre de l'article L. 2261-19 », l'audience respective des deux organisations qualifiées de représentatives est fixée à 49,28% pour la Confédération de l'Artisanat et des Petites Entreprises du Bâtiment (CAPEB) et à 50,72% pour la Fédération française du bâtiment (FFB).

La cour administrative d'appel de Paris a, sur la requête de la CAPEB, annulé pour excès de pouvoir l'article 2 de cet arrêté.

Le Conseil d’État était saisi de deux pourvois en cassation qu’il joint pour y être statué par une unique décision, celui de la ministre du travail et celui de la FFB.

La cour avait estimé que la ministre n’était pas compétente pour prendre l’arrêté litigieux car le secteur du bâtiment est couvert par plusieurs conventions collectives nationales qui n’ont pas fait l’objet d’une fusion de leurs champs d’application préalablement à l’édiction de cet arrêté ; ce secteur ne constitue donc pas une « branche professionnelle » au sens et pour l’application de l’art. L. 2152-6 du code du travail. Ce dernier dispose en effet que : « Après avis du Haut Conseil du dialogue social, le ministre chargé du travail arrête la liste des organisations professionnelles d'employeurs reconnues représentatives par branche professionnelle et des organisations professionnelles d'employeurs reconnues représentatives au niveau national et interprofessionnel (...). »

Le Conseil d’État voit dans cette motivation une erreur de droit car il résulte des dispositions combinées, d’une part, de l’art. L. 2121-2 du code du travail et, d’autre part, de celles des art. L. 2151-1, L. 2152-1, L. 2152-4 à L. 2152-6 de ce code, que le ministre chargé du travail est compétent - nonobstant les règles d’appréciation de la représentativité des organisations d’employeurs propres aux accords interbranches ou aux accords de fusion de branches professionnelles – pour fixer la liste de ces organisations et leurs audiences « dans un périmètre utile pour une négociation en cours ou à venir, y compris lorsque celui-ci ne correspond pas à une « branche professionnelle » ».

Cette solution, qui repose sur une construction prétorienne tentant de pallier une vraie lacune des textes, doit être approuvée.

(4 novembre 2020, Ministre du travail, n° 434518 ; Fédération française du bâtiment (FFB), n° 434574 ; du même jour, v. aussi la solution identique retenue à propos de la représentativité d’organisations syndicales : Ministre du travail, n° 434519 ; Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres et autre, n° 434573 et Fédération FO Construction, n° 434577, jonction).

 

92 - Droit au logement opposable – Demandeur reconnu prioritaire par une commission de médiation – Recours spécial en vue d’obtenir l’exécution de cette décision - Seul recours ouvert – Réitération possible de ce recours en cas d’inexécution – Erreur de droit – Cassation avec renvoi au tribunal.

Commet une erreur de droit le juge du tribunal administratif qui, pour rejeter le second recours d’un demandeur reconnu prioritaire dans l’attribution d’un logement mais auquel aucun logement n’est proposé, se fonde sur ce qu’il n’y a pas lieu de statuer une seconde fois sur cette question alors que, par sa précédente ordonnance, il avait déjà enjoint au préfet d’assurer le relogement de l’intéressé en application de la décision positive de la commission de médiation sur sa demande.

En effet, l’art. L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l’habitation crée en cette matière, à la charge de l’État, une obligation de résultat ce qui impose au juge d’intervenir à plusieurs reprises s’il le faut afin d’assurer l’exécution effective de la décision de la commission de médiation.

(5 novembre 2020, M. A., n° 433001)

 

93 - Droit du travail – Licenciement d’une salariée protégée pour inaptitude physique – Autorisation de l’inspection du travail à ce licenciement nonobstant le constat de peu de sérieux de la recherche d’un emploi de reclassement par l’employeur – Office du juge - Obligation pour le juge administratif de vérifier le bien-fondé de l’appréciation portée sur ce dernier point par l’inspecteur du travail – Annulation.

Un inspecteur du travail a autorisé le licenciement, pour inaptitude physique, d’une salariée protégée tout en relevant que l’employeur n’avait pas fait beaucoup d’efforts pour trouver à l’intéressé un emploi de remplacement.

Les juges, de première instance et d’appel, ont, respectivement, annulé l’autorisation administrative puis confirmé l’annulation, en se fondant sur le constat de l’inspecteur du travail s’agissant du reclassement.

Le Conseil d’État relève qu’il était de leur office de rechercher si l’affirmation de l’inspecteur du travail sur le peu d’empressement à reclasser l’intéressée – qui était contestée par l’employeur - était fondée. En s’abstenant d’effectuer ce contrôle, les juges ont manqué à leur office et commis une erreur de droit.

(18 novembre 2020, Société Papillon, n° 427234)

 

94 - Prestation de compensation du handicap – Compétence du juge judiciaire pour connaître des décisions rendues en la matière – Action en responsabilité du chef d’une décision illégale en matière de compensation du handicap – Compétence du juge judiciaire – Annulation de l’ordonnance rejetant la demande pour irrecevabilité et non pour incompétence.

Il résulte des dispositions de l’art. L. 241-9 du code de l’action sociale et des familles que les recours dirigés contre les décisions de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées rendues en matière d'attribution de la prestation de compensation relèvent de la compétence du juge judiciaire depuis le 1er janvier 2020.

En l’espèce, la requérante avait engagé une action en responsabilité du chef du caractère illégal de la décision de refus opposée par cette commission. Dans le silence de la loi, le Conseil d’État décide, de façon logique et constructive, qu’une telle action relève également du juge judiciaire.

(18 novembre 2020, Mme B., n° 440581)

 

95 - Réforme de l’assurance chômage – Décret du 26 juillet 2019 – Conditions de la négociation préalable de la réforme – Légalité du document de cadrage – Durée minimale d’affiliation au régime de l’assurance chômage – Mode de détermination du salaire journalier de référence – Dégressivité du montant de l’allocation journalière versée à certains salariés – Respect du code du travail et des principes d’égalité et de non-discrimination – Modulation de la contribution des employeurs à l’assurance chômage – Annulation très partielle.

De cette très longue décision - portant sur un recours en annulation du décret n° 2019-797 du 26 juillet 2019 relatif au régime d'assurance chômage - qui aborde plusieurs points de droit très intéressants, on retiendra seulement les deux annulations prononcées par le juge.

Tout d’abord, est annulée la disposition relative à la détermination du salaire journalier de référence car du fait de son mode de calcul (tel qu’il figure à l’art. 13 du règlement d’assurance chômage annexé au décret litigieux), son montant, pour un même nombre d’heures de travail, peut varier du simple au quadruple en fonction de la répartition des périodes d'emploi au cours de la période de référence d'affiliation de 24 mois. Il porte ainsi atteinte au principe d’égalité en raison de ses effets disproportionnés. Cette annulation a un effet immédiat, le juge ayant refusé sa modulation dans le temps comme cela était demandé par le ministre du travail. Comme cette disposition n’est pas divisible des dispositions des neuf premiers alinéas du paragraphe 1er, de celles du paragraphe 2 de l'article 9, relatives à la durée d'indemnisation, de celles du paragraphe 1er de l'article 11 et des paragraphes 1er, 3 et 4 de l'article 12 de ce règlement, relatives au salaire de référence, celles-ci doivent être également annulées.

Ensuite, est annulée en ce qu’elle opère une subdélégation illégale à des arrêtés futurs pris pour son exécution, la disposition (du premier alinéa de l'article 50-3 du règlement d'assurance chômage) leur renvoyant le soin de fixer, d’une part, le  taux de séparation moyen au-delà duquel un secteur d'activité est soumis au mécanisme de modulation de la contribution d'assurance chômage et, d’autre part, les secteurs d'activité concernés par la modulation car ce sont là des éléments déterminants de la modulation du taux de contribution de chaque employeur.

Ces dispositions ne sont pas divisibles des autres dispositions de ce règlement relatives à la modulation du taux de contribution en fonction du taux de séparation de l'employeur, figurant à ses articles 50-2 à 51. Cependant, eu égard au motif d'illégalité retenu par la présente décision et à la circonstance que les articles 50-7 à 50-9 et 50-11 du règlement d'assurance chômage, seuls à être en vigueur à la date de la présente décision, ont été rendus applicables pour permettre l'entrée en vigueur de la modulation de la contribution des employeurs au 1er janvier 2021, il y a lieu de prévoir que l'annulation des articles 50-2 à 51 ne prendra effet qu'à cette date.

(25 novembre 2020, Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres, n° 434920 ;  Syndicat Alliance Plasturgie et Composites du futur (Plastalliance), n° 434921 ;  Confédération générale du travail - Force ouvrière, n° 434931 ; Union inter-secteurs papiers cartons pour le dialogue et l'ingénierie sociale et la fédération de la plasturgie et des composites, n° 434943 ;  Union des entreprises de transport et de logistique et autres, n° 434944 ; Confédération générale du travail et Union syndicale Solidaires, n° 434960)

 

96 - Détenus exerçant une activité salariée – Droit aux congés payés – Absence – Critique du décret ne prévoyant pas ce droit – Absence d’atteinte au préambule de la Constitution de 1946 et à la Charte des droits fondamentaux de l’UE – Rejet.

La requérante soutenait que devait être octroyé aux travailleurs détenus le bénéfice des congés payés annuels. Elle demandait donc l’annulation du rejet par le premier ministre : 1°/ de sa demande tendant à ce qu'il adopte des dispositions réglementaires garantissant aux travailleurs détenus le bénéfice de congés payés annuels, 2°/ de sa demande tendant à la communication des motifs de cette décision et à son réexamen.

En bref, il était argué que du moment que des détenus ont la faculté de choisir d’exercer un travail durant le temps de leur incarcération, travail qui est en tout point soumis aux dispositions du code du travail applicable à tous les salariés, ils devraient, comme les autres travailleurs, pouvoir bénéficier de congés payés.

Le Conseil d’État déboute la requérante par le motif que le droit positif incite les détenus à exercer un travail salarié d’abord afin de favoriser leur insertion dans la société lorsque la peine sera accomplie. Pour autant, la législation n’a pas entendu assimiler complètement les détenus qui travaillent à des salariés de droit commun. Si des éléments comme la durée de travail ou celui du temps de repos sont applicables pour les deux catégories de travailleurs, tel n’est pas le cas des jours de congés payés.

Partant, cette situation n’est contraire ni au onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 qui « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence », ni , non plus, à l’art. 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE ainsi qu’à la directive du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail.

Au reste, il résulte tant de ces derniers textes que de l’interprétation qu’en donne la CJUE (26 mars 2015, Gérard Fenol c/ Centre d’aide par le travail « La Jouvene » et Association de parents et d’amis de personnes handicapées mentales (APEI) d’Avignon, aff. C-316/13) que la notion de « travailleur » est, en droit de l’Union, une catégorie juridique autonome caractérisée par le fait que le travailleur est celui qui exerce son activité en faveur d’une autre personne et sous la direction de celle-ci. D’évidence, ce n’est pas la situation de ceux des détenus qui travaillent ; ils n’ont pas, avec l’administration pénitentiaire les relations ordinaires d’un travailleur d’autant plus qu’ils peuvent, par suite d’une convention de concession de la main d’œuvre pénale, être au service d’une entreprise privée.

(30 novembre 2020, Section française de l'Observatoire international des prisons, n° 431775)

 

Élections  - Financement de la vie politique

 

97 - Covid-19 - Délai de protestation contre les élections municipales du mois de mars 2020 – Dispositions du code électoral et régime combiné de la loi du 23 mars 2020 et de l’ordonnance du 25 mars 2020 – Rejet du recours pour tardiveté – Irrégularité – Régime des griefs formulés postérieurement à ces textes – Annulation de l’ordonnance et rejet de l’appel.

Le protestataire avait saisi, le 23 mars 2020, le juge du tribunal administratif aux fins de voir annuler les opérations électorales et communautaires s’étant déroulées dans une commune le 15 mars 2020. Le recours a été rejeté le 24 mars par ordonnance pour cause de tardiveté le rendant irrecevable, le juge estimant que le délai de réclamation était expiré dès lors qu’il résulte des dispositions de l’art. R. 119 du code électoral que les réclamations électorales doivent, à peine d’irrecevabilité, être déposées au plus tard à 18 heures le cinquième jour qui suit l’élection, soit, en l’espèce, le 20 mars au soir.

Toutefois, la loi du 23 mars 2020 (art. 11) a habilité le gouvernement à prendre par ordonnances de l’art. 38 « toute mesure pouvant entrer en vigueur, si nécessaire, à compter du 12 mars 2020, (…) ; (…) b) Adaptant, interrompant, suspendant ou reportant le terme des délais prévus à peine de nullité, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, déchéance d'un droit, fin d'un agrément ou d'une autorisation ou cessation d'une mesure, à l'exception des mesures privatives de liberté et des sanctions. Ces mesures sont rendues applicables à compter du 12 mars 2020 (...) ». C’est sur cette base que le 3° du II de l'article 15 de l'ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif a prévu que : « Les réclamations et les recours mentionnés à l'article R. 119 du code électoral peuvent être formés contre les opérations électorales du premier tour des élections municipales organisé le 15 mars 2020 au plus tard à dix-huit heures le cinquième jour qui suit la date de prise de fonction des conseillers municipaux et communautaires élus dès ce tour, fixée par décret au plus tard au mois de juin 2020 (…) ». L'article 1er du décret du 14 mai 2020 définissant la date d'entrée en fonction des conseillers municipaux et communautaires élus dans les communes dont le conseil municipal a été entièrement renouvelé dès le premier tour des élections municipales et communautaires organisé le 15 mars 2020 a décidé que : « (...) les conseillers municipaux et communautaires élus dans les communes dans lesquelles le conseil municipal a été élu au complet lors du scrutin organisé le 15 mars 2020 entrent en fonction le 18 mai 2020 ». Il suit de là, par application de l’art. 642 du code de procédure civile qui décide que le délai qui expirerait normalement un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé est prorogé jusqu'au premier jour ouvrable suivant, que les réclamations contre les élections tenues le 15 mars 2020 pouvaient être introduites jusqu’au lundi 25 mai 2020 à 18 heures. C’est donc à tort que le premier juge a opposé l’exception d’irrecevabilité pour cause de tardiveté à la protestation que le requérant avait formée le 23 mars 2020.

Il suit de là cette conséquence qu’aucun des griefs soulevés par le protestataire dans son appel au Conseil d’État, enregistré le 30 avril 2020, ne peut être écarté pour irrecevabilité tiré de son caractère nouveau.

Sur le fond, la protestation est rejetée, le Conseil d’État ne retenant aucun des griefs de forme et de fond invoqués par le demandeur.

(4 novembre 2020, M. B., n° 440355)

(98) V. aussi, sur le même sujet, le rejet d’une protestation dirigée contre le fait qu’un taux d’abstention élevé à des élections municipales – attribué à l’épidémie de Covid-19 - doit en entraîner l’annulation, le juge estimant que cette seule circonstance, non assortie de la preuve qu’elle aurait, de ce fait, altéré la sincérité du scrutin est insuffisante à justifier l’annulation demandée : 6 novembre 2020, M. B. (élect. mun. de Saint-Just-de-Claix (Isère)), n° 442054.

(99) V. aussi, semblable : 23 novembre 2020, M. E., n° 442419.

 

100 - Covid-19 – Élections municipales et communautaires – Premier tour organisé le 15 mars 2020 – Fixation de la date d’entrée en fonction des conseillers élus dans les communes où le conseil municipal a été entièrement renouvelé le 15 mars 2020 – Date fixée au vu d’un avis du comité des scientifiques sur l’évolution du Covid – Rejet.

Sont rejetées des requêtes tendant à l’annulation du décret du 14 mai 2020 définissant la date d'entrée en fonction des conseillers municipaux et communautaires élus dans les communes dont le conseil municipal a été entièrement renouvelé dès le premier tour des élections municipales et communautaires organisé le 15 mars 2020. 

D’une part, le décret attaqué n’a pas été pris pour l’exécution de dispositions législatives inconstitutionnelles, le § I de l’art. 19 de la loi du 23 mars 2020, d’urgence sanitaire, ayant été déclaré conforme à la Constitution (C.C. 17 juin 2020, M. Daniel D. et autres, n° 2020-849 QPC).

D’autre part, ce décret n’a pas subordonné l’entrée en fonctions de ces conseillers à l’avis favorable du comité scientifique du Covid mais seulement à sa lecture.

(27 novembre 2020, Association « Cinquante millions d’électeurs », n° 440651 ; M. A., n° 440874)

 

101 - Élections municipales – Commune de moins de mille habitants – Erreur dans le comptage des seuls candidats élus – Dépouillement effectué dans des conditions régulières – Absence de manœuvre – Rejet.

Ne commet pas d’erreur de droit le jugement qui rectifie les résultats d’élections municipales tenues dans une commune de moins de mille habitants à la suite d’erreurs matérielles de comptage, d’une part, en constatant que ces erreurs ne concernent que les candidats élus et sont sans incidence pour les autres candidats et, d’autre part, après vérification de la régularité des conditions de dépouillement ainsi que de l’absence de toute manœuvre ou fraude.

Au reste, le nombre de voix obtenues par les candidats proclamés élus excède à la fois la majorité absolue des suffrages validement exprimés et le quart des électeurs inscrits.

(6 novembre 2020, M. H., n° 442596)

 

102 - Élections municipales et communautaires - Refus de présidents de bureaux de vote d’accepter des bulletins de vote de dimensions non réglementaires – Refus d’accepter la remise de nouveaux bulletins conformes – Annulation de l’ensemble des opérations électorales.

La double circonstance que les présidents des deux bureaux de vote d’une commune aient refusé d’accepter, à raison de leurs dimensions (105x148 mm au lieu de 148x210 mm), les bulletins de vote d’une liste à quelques minutes de l’ouverture du scrutin alors qu’ils avaient été remis au maire deux jours plus tôt sans observations de sa part, et que l’un de ces présidents ait refusé la remise de bulletins conformes, portent une atteinte grave à la liberté et à la sincérité du scrutin justifiant l’annulation de l’ensemble des opérations électorales.

(30 novembre 2020, Election des conseillers municipaux et communautaires de la commune de Donchery, n° 441891)

 

103 - Élections municipales et communautaires – Bulletins de vote utilisant un grammage supérieur au grammage réglementaire – Non-respect par le maire de l’ordre de présentation des candidats tel qu’il figurait sur les bulletins de vote – Rejet.

Est rejetée la protestation d’une élue municipale tendant à l’annulation d’élections municipales et communautaires tenues le 15 mars 2020.

D’une part, la circonstance que le grammage du papier utilisé pour la confection des bulletins de vote ait été de 80g/m2 au lieu des 70g/m2 prévus par le code électoral est sans incidence sur la régularité du scrutin.

D’autre part, n’affecte pas non plus la régularité et la sincérité du scrutin, le fait que lors du conseil municipal tenu le 25 mai 2020 pour procéder à la désignation des représentants au conseil communautaire, le maire n’ait pas suivi l’ordre de présentation des candidats tel qu’il figurait sur les bulletins de vote.

(13 novembre 2020, Mme E., Élections municipales de Solgne, n° 442391)

 

104 - Élections municipales et communautaires – Listes de candidats devant comporter un nombre de candidats correspondant au nombre de sièges plus deux – Nombre de candidats proclamés élus devant être, au plus, égal au nombre de sièges à pourvoir – Annulation de l’élection de candidats au-delà de ce nombre – Réformation partielle du jugement.

Double rappel d’une règle classique du droit électoral : s’il résulte de l'article L. 260 du code électoral, pour les élections municipales, et de l'article L. 273-9 de ce code, pour les élections communautaires, que la liste des candidats, respectivement aux sièges de conseillers municipaux et aux sièges de conseillers communautaires, comporte un nombre de candidats égal au nombre de sièges à pourvoir, augmenté au plus de deux candidats supplémentaires, dans le premier cas et augmenté d'un candidat supplémentaire si ce nombre est inférieur à cinq,  dans le second cas, le nombre de candidats proclamés élus à l'issue du scrutin ne peut être supérieur à à celui fixé en application de l'article L. 2121-2 du code général des collectivités territoriales dans le cas d’élections municipales et à celui fixé par le préfet pour les élections communautaires. Ainsi, dans chacune de ces catégories d’élections, la proclamation de l'élection d'un candidat supplémentaire, désigné en application soit de l'article L. 260  soit de l'article L. 273-9, ne peut qu'être annulée par le juge de l'élection.

(25 novembre 2020, Election des conseillers municipaux et communautaires de la commune de Chatenois-les-Forges, n° 442573)

(105) V. aussi, identiques : 25 novembre 2020, Election des conseillers municipaux et communautaires de la commune de Roppe, n° 442616 ; 25 novembre 2020, Election des conseillers municipaux et communautaires de la commune de Rougemont-le-Château, n° 442634 ; 25 novembre 2020, Election des conseillers municipaux et communautaires de la commune de Meroux-Moval, n° 442669.

 

106 - Covid-19 – Instructions ministérielles de laisser les isoloirs ouverts - Élections municipales et communautaires – Isoloir sans rideau, laissant ainsi visibles les électeurs s’y trouvant – Irrégularité substantielle - Annulation du jugement.

Si, du fait de l’épidémie de Covid-19, des instructions ministérielles ont ordonné de laisser ouverts les isoloirs, les prescriptions de l’art. L. 62 du code électoral imposaient cependant de placer les isoloirs, dépourvus de rideaux, de telle façon que n’y soient pas visibles les électeurs s’y trouvant.

A défaut, les opérations électorales sont, comme en l’espèce, annulées et le jugement contraire également.

(25 novembre 2020, Élections municipales et communautaires de la commune de Carticasi (Haute Corse), n° 443312)

 

107 - Élections du maire et de ses adjoints – Délai de réclamation contre ces élections expirant le 3 juin à 18 heures – Enregistrement de la protestation le 4 juin – Forclusion – Rejet.

Le recours en annulation de l’élection du maire et des adjoints d’une commune doit être formé au plus tard à dix-huit heures le cinquième jour qui suit l’élection soit, en l’espèce, le 3 juin à 18 heures. Les requérants étaient donc forclos lors de l’enregistrement de leur protestation au greffe du tribunal administratif le 4 juin sans que puisse faire échec à cette règle la circonstance, au demeurant non établie par les pièces du dossier, que le conseil municipal se serait réuni à huis-clos et qu'il n'aurait pas été procédé à l'affichage des nominations avant le début du mois de juin.

Au surplus, le juge fait observer que l’envoi postal d’une réclamation le 2 juin était trop tardif pour parvenir en temps utile au greffe de la juridiction compte tenu du délai normal d’acheminement du courrier.

(25 novembre 2020, Élection du maire et des adjoints de la commune de Rouy-le-Grand (Oise), n° 442411

 

108 - Autorités administratives et autorités publiques indépendantes - Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCPFP) – Régime de rémunération et d’indemnité de ses membres – Compétences respectives de la loi et du règlement – Modifications des conditions de rémunération en cours de mandat et avec effet rétroactif – Régularité - Rejet.

La requérante demandait l’annulation, d’une part, du décret du 30 mai 2018 relatif notamment au traitement du président et aux indemnités susceptibles d'être allouées au vice-président, aux membres, aux collaborateurs et aux rapporteurs de la CNCCFP, ainsi que celle de l’arrêté interministériel pris pour son exécution et, d’autre part, des refus d’abroger l’un et l’autre textes opposé, pour le décret, par le premier ministre et pour l’arrêté, par ce dernier et par le ministre de l’intérieur.

Le Conseil d’État, statuant en premier et dernier ressort dès lors que le recours concernait une autorité administrative indépendante, rejette la requête dont il était saisi.

Concernant la compétence, le juge considère que si, en vertu de la loi organique du 20 janvier 2017 qui régit ces autorités indépendantes, la fixation des principes fondamentaux relatifs à leur organisation et à leur fonctionnement relève de la loi, le pouvoir réglementaire était compétent pour établir la composition du secrétariat général assistant la commission ainsi que les modalités de calcul du régime de rémunération des différents membres de cette commission, ces matières ne relevant pas des principes fondamentaux précités.

Concernant les autres griefs, la loi étant d’application immédiate, il est jugé que le décret attaqué, qui intervient en cours du mandat des membres de cette commission et avec effet rétroactif au 1er janvier de l’année 2018, ne porte pas atteinte au principe de non-rétroactivité des décisions administratives.

(12 novembre 2020, Association contre la corruption et pour l'éthique en politique Anticor, n° 425340)

 

109 - Élections des représentants au Parlement européen des 25 et 26 mai 2019 – Fixation par le CSA de la durée et du nombre d’émissions de la campagne officielle – Décision détachable des opérations électorales mais sans caractère permanent – Conditions de contestation de la décision – Rejet pour irrecevabilité.

L’association requérante demandait l’annulation de la décision par laquelle le CSA a fixé la durée et le nombre des émissions de propagande en vue des élections européennes tenues les 25 et 26 mai 2019.

Le Conseil d’État fait observer que la décision contestée est à la fois détachable des opérations électorales et sans caractère permanent. Il en résulte qu’elle ne peut être contestée qu’à l’appui d’un recours dirigé contre les opérations électorales et qu’elle ne peut plus faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir une fois proclamés les résultats des élections.

La requête, présentée après la proclamation, le 29 mai 2019, des résultats des élections en cause était donc irrecevable.

(27 novembre 2020, Association « La France insoumise », n° 432406)

 

Environnement

 

110 - Classement des sites – Paysages du canal du midi - Organisation et déroulement de la concertation préalable puis de l’enquête publique – Contrôle par le juge de l’erreur d’appréciation et du détournement de pouvoir – Contrôle « en tant que ne pas » - Rejet.

La commune requérante contestait le classement, au titre des sites, des paysages du canal du midi en tant qu’il concerne des parcelles situées sur son territoire. Elle invoquait des moyens de légalité externe et des moyens de légalité externe, tous rejetés.

S’agissant de la légalité externe étaient surtout critiquées la concertation préalable et les conditions d’organisation et de déroulement de l’enquête publique.

Le juge rappelle, appliquant une jurisprudence ancienne et constante relative aux consultations spontanément organisées par l’administration, que si aucune disposition législative ou réglementaire n’impose à l’administration d’organiser une concertation préalable avant le classement d’un site, néanmoins, si elle décide d’organiser une telle concertation, elle doit le faire de façon régulière. En l’espèce, celle des deux procédures de concertation qui a été choisie (art. L. 121-16, II, c. env.) n’imposait point que fussent invités à y participer les propriétaires des parcelles incluses dans le périmètre du classement.

Pour ce qui regarde l’enquête publique, le dossier de celle-ci ne souffre pas des insuffisances ou inexactitudes que lui reproche la commune requérante. En particulier, le rapport de présentation comporte bien le résumé des principaux motifs du classement des paysages du canal du midi, l’exposé détaillé des contraintes résultant d’un tel classement et le recueil des avis des élus locaux sur le périmètre adopté, dont plusieurs ont été retenus. Le commissaire enquêteur n’était pas tenu, contrairement à ce que soutenait la commune requérante, d’organiser une réunion d’information et d’échange avec le public (cf. art. L. 123-9 c. env.). Enfin, réitérant une jurisprudence discutable, le juge rappelle que la méconnaissance de certaines dispositions applicables à une enquête publique « n'est toutefois de nature à vicier la procédure et donc à entraîner l'illégalité de la décision prise à l'issue de l'enquête publique que si elle n'a pas permis une bonne information de l'ensemble des personnes intéressées par l'opération ou si elle a été de nature à exercer une influence sur les résultats de l'enquête et, par suite, sur la décision de l'autorité administrative. » Il décide que l’absence d’indication des qualités respectives des membres de la commission d’enquête comme de l’existence d’un dossier comprenant les informations environnementales « n'ont pas nui à une bonne information de l'ensemble des personnes intéressées par l'opération ni été de nature à exercer une influence sur les résultats de l'enquête. » On peut ne pas partager la déduction quelque peu aventurée du juge.

S’agissant de la légalité interne, le juge indique tout d’abord que le classement d’un site peut porter non seulement sur les parcelles présentant par elles-mêmes un intérêt général à leur classement mais encore sur celles qui contribuent à la sauvegarde du site, ce qui justifie ici un classement étendu, d’ailleurs conforté par le classement du canal, de ses abords et de ses paysages, au patrimoine mondial par l’UNESCO. Aucune erreur d’appréciation ne saurait être reprochée de ce fait et pas davantage ne peut être admise la critique tirée du détournement de pouvoir réalisé par un classement qui vise à protéger des zones agricoles et à instaurer une tutelle sur les collectivités en matière d’autorisation d’urbanisme.

Exerçant son désormais classique contrôle « en tant que ne pas » (au moins depuis : Assemblée, 16 décembre 2005, Groupement forestier des ventes de Nonant, n° 261646, au Recueil p. 583, avec les concl. de Y. Aguila), le juge vérifie que n’ont pas été omises dans le périmètre de classement des parcelles qui devaient y figurer et constate que tel n’est pas le cas dans cette affaire.

Enfin, n’est pas non plus retenue la critique de l’inclusion dans le périmètre de classement de certaines parcelles situées sur le territoire de la commune requérante alors même qu’elles présentent une qualité de paysage moindre que celle d'autres parcelles classées, ou qu'elles se situent pour partie à plus de 500 mètres des bords du canal et de ses ouvrages remarquables car le classement de ces parcelles contribue à la cohérence du site, excluant ainsi toute erreur d’appréciation.

(4 novembre 2020, Commune de Vias, n° 416017)

 

111 - Interdiction de certains produits phytopharmaceutiques – Absence d’inconstitutionnalité – Portée du règlement européen du 21 octobre 2009 (mise sur le marché intérieur de l’Union de produits phytopharmaceutiques) – Étendue de la liberté des États-membres au regard des dispositions du règlement du 4 juillet 2012 mettant en œuvre la convention de Rotterdam du 10 septembre 1998 – Rejet.

Les deux requêtes, qui ont été jointes, tendaient à l’annulation de la circulaire interministérielle (écologie, économie et agriculture) du 23 juillet 2019 relative à l'entrée en vigueur de l'interdiction portant sur certains produits phytopharmaceutiques pour des raisons de protection de la santé et de l'environnement, en application de la modification de l'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime.

Les divers griefs articulés à l’encontre de cette circulaire sont rejetés.

Le IV litigieux de l’art. L. 253-8 précité ayant été déclaré conforme à la Constitution par une décision du Conseil constitutionnel, l’affirmation qu’il porterait atteinte à un droit ou une liberté que garantit la Constitution ne peut qu’être rejetée.

Cette disposition n’est pas, non plus, contraire aux art. 28 et 29 du règlement du 21 octobre 2009, selon lesquels seraient autorisés la production, le stockage et la circulation en France de produits phytopharmaceutiques, même s'ils contiennent des substances actives non approuvées, dès lors que ces articles dispensent d'autorisation de mise sur le marché les produits destinés à être utilisés dans un pays tiers. En effet, s’ils prévoient les modalités à respecter en cas d’exportation vers des pays tiers, ils n’ont ni pour objet ni pour effet d’empêcher un État-membre d’interdire l’exportation de ces substances.

Enfin, les dispositions du règlement du 4 juillet 2012 pris pour l’harmonisation au sein de l’Union de la mise en œuvre, d’une part, de la convention de Rotterdam (10 septembre 1998) sur la procédure de consentement préalable en connaissance de cause applicable à certains produits chimiques et pesticides dangereux qui font l'objet d'un commerce international et, d’autre part, de la convention de Stockholm (22 mai 2001) sur les polluants organiques persistants, ne fixent pas une liste limitative des produits dont l’exportation est interdite. Le législateur national dispose de la faculté d’imposer des mesures de protection renforcées dans le domaine de l’environnement (cf. art. 10 de ce règlement) et donc, le cas échéant, d’interdire la production, le stockage et la circulation de produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives non approuvées en vue de leur exportation vers des pays tiers.

(13 novembre 2020, Union des industries de la protection des plantes, n° 433460 ; Union française des semenciers, n° 434501, jonction)

 

112 - Émissions de gaz à effet de serre – Engagements de la France de les réduire selon un certain calendrier – Demande de prise de mesures en vue d’infléchir la courbe de ces émissions – Décision implicite de rejet – Supplément d’instruction pour permettre d’apprécier, sous trois mois, la compatibilité du refus opposé à cette demande avec la trajectoire de réduction d’émissions de ces gaz – Rejet pour le surplus.

Les requérants, se prévalant de divers engagements internationaux (Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) du 9 mai 1992 et son protocole signé à Kyoto le 11 décembre 1997 ; Accord de Paris du 12 décembre 2015) et européen (décisions du Conseil du 15 décembre 1993 concernant la conclusion de la CCNUCC et du 23 avril 2009 relative à l'effort à fournir par les États membres pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre afin de respecter les engagements de la Communauté en matière de réduction de ces émissions jusqu'en 2020 ; Annexe I du règlement du 30 mai 2018) pris par la France ainsi que des dispositions de son droit interne (art. L. 100-4 du code de l’énergie et L. 221-1 A et B du code de l’environnement), ont demandé au président de la république, au premier ministre et au ministre chargé de l’écologie, notamment, de prendre toutes mesures utiles à l’effet d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre sur le territoire national en vue de se conformer aux engagements précités.

Restées sans réponses, ces demandes ont donc été implicitement rejetées.

De ce rejet le Conseil d’État est saisi en premier et dernier ressort.

De l’analyse effectuée par le juge, il ressort un doute concernant la conformité du comportement de la France auxdits engagements.

Bottant en quelque sorte en touche, le juge ordonne un supplément d’instruction tendant à la production d’éléments et de motifs « permettant d'établir la compatibilité du refus opposé avec la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre telle qu'elle résulte du décret du 21 avril 2020 permettant d'atteindre l'objectif de réduction du niveau des émissions de gaz à effet de serre produites par la France fixé par l'article L. 100-4 du code de l'énergie et par l'annexe I du règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 ». Il donne trois mois aux parties pour fournir ces éléments.

Les habitués de la plume du Conseil d’État verront dans cette rédaction une certaine ironie et dans la brièveté du délai imparti, une sérieuse épée de Damoclès.

(19 novembre 2020, Commune de Grande-Synthe et autre, n° 427301)

 

Fonction publique et agents publics

 

113 - Fonction publique territoriale - Agents d’un département en service dans les collèges – Définition d’un cycle annuel de travail (décret du 25 août 2000) – Compétence du département pour arrêter cette définition - Régime d’imputation des congés de maladie sur le temps de travail annuel effectif - Forfaitisation à une durée de sept heures des journées de congé de maladie – Légalité – Rejet.

Un département fixe un cycle de travail annuel pour les fonctionnaires territoriaux travaillant dans les collèges, comprenant un temps de travail quotidien et hebdomadaire supérieur à la durée légale de sept heures par jour et de trente-cinq heures par semaine pendant les périodes de présence des élèves dans ces établissements, et un temps de travail inférieur à cette durée légale pendant les périodes correspondant aux vacances scolaires. Il a, en conséquence, concernant  les modalités de calcul des droits de réduction du temps de travail (RTT) de ces agents, décidé, d’une part, que lorsque la maladie se produit sur des jours de présence des élèves, le temps supérieur à la durée légale de 7 heures, prévu dans l'horaire de travail de l'agent et qui n'aura pas été effectué en raison de la maladie, sera réparti à son planning sur les journées de travail à venir et, d’autre part,  lorsque la maladie se produit sur les jours de congés annuels ou des jours de repos lié au dépassement de la durée légale, que ces jours de repos ou de congés sont suspendus par l'arrêt maladie : ce sont ainsi des journées de 7 heures de travail qui sont créditées au bénéfice de l'agent.

L'annexe 1 à cette délibération explicite le décompte pratique des heures en cause du fait de l’application des règles ci-dessus.

Le syndicat requérant a demandé l’annulation du refus du président du conseil départemental de soumettre à ce dernier un projet d’abrogation de cette annexe 1 ; si le tribunal administratif a annulé la décision refusant l’abrogation, la cour administrative d’appel a annulé ce jugement et rejeté la requête du syndicat. Celui-ci se pourvoit contre cet arrêt.

Le Conseil d’État rejette ce pourvoi.

Tout d’abord, la collectivité territoriale a la faculté, en qualité d’employeur, de définir un cycle annuel de travail pour ses agents, notamment ceux dont le temps de travail est variable selon les époques de l’année.

Ensuite, de cette compétence découle celle de déterminer l’incidence des jours d’arrêt de travail pour congé de maladie sur le calcul du temps de travail effectif.

Enfin, dans le cas où, comme pour les personnels départementaux des collèges, l’année se déroule, selon que les élèves sont ou non en périodes de congés scolaires, sur des jours et des semaines où la durée de travail est supérieure, respectivement, à 7 heures et à 35 heures, et d’autres où la durée est inférieure à ces chiffres, la collectivité territoriale peut légalement décider que les agents en congé de maladie seront considérés comme ayant effectué une journée de 7 heures de travail, que ce congé ait lieu durant une période où la durée réelle de travail est supérieure pu inférieure à 7 heures/jour ou à 35 heures/semaine.

Cette solution, si elle peut être critiquée pour sa brutalité, a le grand mérite de la simplicité d’application et de la clarté. Elle doit être approuvée.

(4 novembre 2020, Syndicat local départemental de la FSU territoriale du département d'Indre-et-Loire, n° 426093)

 

114 - Fonctionnaires et agents publics – Praticiens hospitaliers - Rémunérations d’activités accessoires – Nécessité d’obtenir une autorisation à cet effet – Obligation de reversement des sommes perçus à défaut d’autorisation – Inopposabilité de l’existence d’un « service fait » - Inopposabilité de l’existence d’une convention de permanence des soins – Rejet.

Le requérant, praticien hospitalier, en sus de ses obligations de service dans l’établissement hospitalier au sein duquel il est affecté, avait assuré une activité accessoire de soins dans deux autres établissements liés à l’établissement employeur par une convention de continuité des soins.

Il conteste l’ordre de reversement des rémunérations accessoires perçues qui a été émis par le directeur du centre hospitalier où il est affecté. Celui-ci invoque l’absence d’autorisation donnée au requérant.

Le Conseil d’État estime que c’est à bon droit que le reversement a été exigé dès lors qu’il n’est pas contesté que le praticien n’avait pas sollicité l’autorisation d’exercer dans les autres établissements, autorisation obligatoire en vertu de l’art. 25 de loi de 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires rendu applicable aux personnels hospitaliers par les art. L. 6152-1 et L. 6152-4 du code de la santé publique.

Pas davantage l’intéressé ne peut faire valoir qu’il a droit à la rémunération du « service fait » laquelle ne saurait dispenser de respecter l’exigence d’autorisation préalable d’exercer une activité accessoire.

On ne peut s’empêcher de trouver par trop rigide l’application du principe susénoncé. Reste à explorer, dans la mesure où sa situation est contractuelle avec les deux établissements non employeurs, la piste de l’enrichissement sans cause ou enrichissement injustifié (comme croit devoir le qualifier désormais le Code civil).

 (13 novembre 2020, M. A., n° 429706)

 

115 - Fonction publique territoriale – Élection des représentants syndicaux aux commissions administratives paritaires des collectivités territoriales et de leurs établissements publics – Modalités d’attribution des sièges – Conformité à la loi du 29 janvier 1984 (art. 29) des principes posés par le décret du 17 avril 1989 faisant application de cette loi – Annulation.

Pour la désignation des représentants syndicaux aux commissions paritaires des collectivités territoriales et de leurs établissements publics, le décret du 17 janvier 1989, pris pour l’application de l’art. 29 de la loi du 29 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, permet aux syndicats : 1/ de décider de ne présenter de listes de candidats qu’à certains groupes hiérarchiques et 2/ de présenter des listes incomplètes.

En conséquence du 1/ ci-dessus, il peut arriver qu’une liste ayant recueilli plus de suffrages qu'une autre liste se voit attribuer un nombre de sièges inférieur à ceux attribués à cette dernière.

En conséquence du 2/ ci-dessus, il est également possible qu’une liste ayant obtenu plus de suffrages qu'une autre se voit attribuer des sièges de représentants titulaires et suppléants, pris ensemble, en nombre inférieur à ceux obtenus par cette autre liste.

La cour administrative d’appel a, au vu de ces résultats chaotiques au plan arithmétique, considéré que le décret de 1989 était illégal et en a écarté l’application à l’espèce.

La commune requérante obtient du Conseil d’État l’annulation, qu’elle sollicitait, de cette solution.

Ce dernier considère que le décret litigieux oblige à apprécier la règle de représentation proportionnelle qu’il institue au regard du nombre de sièges de représentants titulaires obtenus par chaque liste au sein de la composition de la commission, prise dans son ensemble, et non au sein de chacun des groupes hiérarchiques de la catégorie d'agents concernés. Ce résultat est en effet atteint par application du régime de la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne.

La cour a commis une erreur de droit – excusable étant donné les règles régissant la composition des listes - et son arrêt est cassé sans renvoi car la cassation ne laisse plus rien à juger du fait de la mise en œuvre de l’art. L. 821-1 du CJA.

(30 novembre 2020, Commune d’Aix-en-Provence, n° 438326)

 

116 - Militaires - Fonctionnaires et agents publics de l’État et des collectivités territoriales – Agent victime de deux accidents de service – Calcul du taux d’invalidité – Agent relevant de l’État puis d’une collectivité locale, respectivement lors du premier puis du second accident.

Dans le cadre d’un litige opposant une fonctionnaire à la Caisse des dépôts et des consignations à l’occasion du refus de cette dernière de lui octroyer une allocation temporaire d’invalidité, le Conseil d’État apporte trois précisions très importantes qui auraient pu figurer dans une décision de Section.

Tout d’abord, dans l'hypothèse où un fonctionnaire territorial a subi successivement deux accidents de service qui, pris isolément, se traduisent chacun par un taux d'incapacité inférieur à 10 %, mais qui, cumulés, atteignent ce seuil, celui-ci peut prétendre à une allocation temporaire d'invalidité tenant compte de l'ensemble de ces infirmités. 

Ensuite, il en va de même dans le cas où le fonctionnaire appartenait à la fonction publique de l'État à la date du premier accident de service et était devenu fonctionnaire territorial à la date du second accident de service, l'article 119 de la loi du 26 janvier 1984 décidant que l'allocation temporaire d'invalidité est allouée dans les mêmes conditions aux fonctionnaires territoriaux et aux fonctionnaires de l'État.

Enfin, les règles ci-dessus reçoivent application également dans le cas où l’agent avait, à la date du premier accident de service, la qualité de militaire, alors même que les conditions d'indemnisation forfaitaire des séquelles des accidents de service dont sont victimes les militaires et les fonctionnaires civils relèvent de régimes différents, dès lors qu'aucune différence de situation ne justifie, au regard du principe d'égalité, compte tenu de la nature et de l'objet de l'allocation temporaire d'invalidité, que l'incapacité résultant d'un premier accident de service subi en qualité de militaire ne soit pas prise en compte pour le bénéfice d'une allocation temporaire d'invalidité alors qu'elle le serait si cet accident avait été subi en tant que fonctionnaire civil.

(20 novembre 2020, Mme A., n° 431508)

 

117 - Fonctionnaire – Qualité de fonctionnaire stagiaire – Exclusion de la qualité d’agent non titulaire – Vocation à devenir fonctionnaire titulaire – Services accomplis comme stagiaire ne pouvant être comptés comme accomplis en qualité d’agent public non titulaire – Cassation avec renvoi.

Le juge de cassation rappelle opportunément que si la qualité de fonctionnaire stagiaire donne vocation à devenir fonctionnaire titulaire, elle ne lui confère pas la qualité d’agent public non titulaire au sens et pour l’application du décret du 5 décembre 1951 portant règlement d'administration publique pour la fixation des règles suivant lesquelles doit être déterminée l'ancienneté du personnel nommé dans l'un des corps de fonctionnaires de l'enseignement relevant du ministère de l'éducation nationale. Il suit de là que les services accomplis en tant que stagiaire ne peuvent être regardés comme des services accomplis comme agent public non titulaire ouvrant droit à la prise en compte d'une fraction de l'ancienneté en cette qualité.

(20 novembre 2020, Ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, n° 438415)

 

118 - Agents contractuels de l’INSERM – Demande de transformation d’un contrat à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée – Délai – Cassation avec renvoi.

Précisant une jurisprudence allant déjà en ce sens, le Conseil d’État juge qu’il résulte des dispositions de l’art. 6 bis de la loi du 11 janvier 1984 modifiée, que l’agent public, recruté comme agent contractuel à durée déterminée qui estime remplies les conditions pour obtenir la transformation de son contrat en contrat à durée indéterminée et faute que l’employeur public lui fasse lui-même une proposition en ce sens, dispose pour solliciter cette transformation, d’un délai s’achevant au plus tard le dernier jour du deuxième mois suivant l’expiration du contrat.

(27 novembre 2020, INSERM, n° 432713)

 

119 - Accès à la magistrature – Intégration dans le corps judiciaire – Demande de nomination directe en qualité d’auditeur de justice – Avis défavorable de la commission d’avancement du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) - Refus du garde des sceaux – Absence d’éléments justificatifs dans le dossier – Annulation de l’avis défavorable – Injonction de réexaminer la candidature.

La requérante, candidate à la nomination directe en qualité d’auditeur de justice, se prévalant de diverses expériences, s’est vu refuser cet accès par le garde des sceaux en suite d’un avis défavorable de la commission d’avancement du CSM.

Elle saisit le Conseil d’État.

Celui-ci constate, d’une part, l’existence dans le dossier d’éléments élogieux et d’avis très favorables à la candidature de l’intéressée, les appréciations étant « excellentes » selon le juge, et d’autre part, l’absence de justifications fournies par la chancellerie en réponse à la mesure d’instruction ordonnée par la chambre chargée de ce recours afin de connaître les motifs de l’avis négatif de la commission susnommée.

Dans la lignée de sa célèbre décision Barel et autres (Assemblée, 28 mai 1954, au Recueil Lebon p. 308), le Conseil d’État en déduit l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation de la part de cette dernière et enjoint le ministre de faire procéder, sous trois mois, à un réexamen de cette candidature par ladite commission.

(18 novembre 2020, Mme D., n° 428531)

(120) V. aussi, très voisin de la précédente affaire : 18 novembre 2020, Mme B., n° 429084.

 

121 - Militaires – Chef d’escadron consommant de l’alcool durant son service – Comportement inapproprié envers des personnes - Faute disciplinaire établie – Sanction du « blâme du ministre » non disproportionnée – Rejet.

N’est pas disproportionnée la sanction de « blâme du ministre » infligé à un chef d’escadron qui, alcoolisé durant son service, y a eu un comportement inapproprié.

(13 novembre 2020, M. B., n° 438509)

 

122 - Sapeurs-pompiers professionnels – Détermination du temps de travail – Utilisation d’un régime horaire d’équivalence (décret du 31 décembre 2001) – Conditions d’octroi d’un complément de rémunération – Conditions d’indemnisation pour dépassement de la durée maximale de travail – Rejet partiel.

Le juge avait une nouvelle fois à connaître de l’interminable feuilleton que constitue le contentieux du paiement aux sapeurs-pompiers professionnels des heures supplémentaires et des heures dépassant les seuils admis.

En premier lieu, pour tenir compte des périodes d’inaction existant au sein des heures de présence des sapeurs-pompiers a été institué un mécanisme dit « d’horaire par équivalence » qui consiste à appliquer au total des heures de présence une pondération régressive. Le paiement d’heures supplémentaires n’est donc possible qu’au-delà de l’accomplissement de la durée statutaire de travail qui ne se confond pas avec les heures de présence, étant, au contraire, comme on vient de l’indiquer, toujours supérieure à elles.

En second lieu, lorsqu’il résulte de l’application de ce mécanisme correctif de calcul que l’agent a travaillé au-delà de la durée maximale de travail telle qu’elle résulte des dispositions du droit de l’Union et du droit interne, celui-ci a droit non à une rémunération mais à la réparation du préjudice subi qui est constitué par une atteinte à la santé et à la sécurité ainsi qu’aux troubles subis dans ses conditions d’existence. C’est sur ce dernier point que porte la cassation partielle.

(13 novembre 2020, M. A., n° 430378)

 

123 - Instruction relative aux agents des ministères sociaux en recherche d’affectation pérenne – Distinction et correspondance entre le grade et l’emploi – Absence de création d’une nouvelle position statutaire – Régime de la RTT applicable à ces agents – Illégalité – Absence – Rejet.

La requérante demandait l’annulation pour excès de pouvoir d’une instruction par laquelle la secrétaire générale des ministères chargée des affaires sociales a précisé les modalités de suivi et de gestion des agents en recherche d'affectation pérenne, relevant de divers ministères pour ce qui regarde leur rémunération, leurs congés, leur affectation sur des missions temporaires et leur accompagnement dans la recherche d'une affectation pérenne sur un emploi correspondant à leur grade.

Sa requête, que le tribunal administratif qu’elle avait saisi, a transmise au Conseil d’État, est rejetée.

En premier lieu, en ce qu’elle explicite la situation des agents en attente d'affectation pérenne, entendant par là ceux des agents qui, à l'issue de leur dernière affectation ou lors d'un retour au ministère après un congé ou une disponibilité ou à l'occasion d'une restructuration de service ou ministérielle, y sont réintégrés ou affectés mais ne disposent pas d'un poste pérenne ou permanent », cette instruction cherche à ce que les agents en question puissent recevoir une affectation pérenne dans un emploi correspondant à leur grade. Elle ne crée donc pas une position statutaire nouvelle contrairement à ce qui est soutenu par la requérante.

En second lieu, c’est sans illégalité et sans ajouter à la réglementation existante que cette instruction rappelle que les agents sans affectation pérenne et qui ne sont pas chargés d'une mission temporaire ne bénéficient pas de jours de réduction du temps de travail. En effet, si les fonctionnaires provisoirement sans affectation pérenne dans un emploi correspondant à leur grade et non affectés à une mission temporaire se trouvent dans une position statutaire d'activité qui leur permet de satisfaire aux obligations relatives à la durée légale du temps de travail, ils ne peuvent en revanche être regardés comme satisfaisant l'ensemble des conditions, qui sont cumulatives, de l'article 2 du décret du 25 août 2000, relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l'État, dès lors que, s'ils se trouvent à la disposition de leur employeur et en situation de devoir se conformer à ses directives, ils peuvent vaquer à des occupations personnelles. 

(4 novembre 2020, Mme B., n° 426650)

 

124 - Commissaire général de police – Poursuites et sanction disciplinaires pour fait réitérés de harcèlement nonobstant les instructions de sa hiérarchie – Sanction justifiée et non disproportionnée - Affectation au service des armes – Absence de caractère de sanction – Rejet.

Le requérant, commissaire général de police exerçant alors les fonctions d’adjoint au sous-directeur de la lutte contre la criminalité organisée et de la délinquance financière du ministère de l'intérieur s’est rendu coupable à plusieurs reprises de harcèlement envers une de ses collaboratrices et a poursuivi son attitude malgré les instructions reçues de sa hiérarchie. Affecté au service des armes, il voit dans cette affectation une sanction déguisée et conteste également la sanction d’exclusion temporaire de ses fonctions pour une durée de six mois dont quatre avec sursis qui lui a été infligée.

Sans surprise, son recours est rejeté.

D’une part, son comportement, qu’aggravent ses responsabilités hiérarchiques et la violation de ses obligations déontologiques, justifie une sanction, et d’autre part, malgré la qualité de ses états de service antérieurs, la sanction infligée n’apparaît pas comme disproportionnée.

Enfin, son affectation au service des armes d'abord en qualité de chargé de mission puis en qualité d'adjoint au chef de service, ayant été prise dans l'intérêt du service ne revêt pas la nature d'une sanction déguisée. Ainsi, il ne saurait être soutenu qu’il a fait l’objet en réalité de deux sanctions disciplinaires à raison des mêmes faits.

(5 novembre 2020, M. A., n° 433377)

 

125 - Fonctionnaire victime d’un accident de service – Imputation du préjudice à la collectivité publique employeur et à une autre collectivité publique – Demande de condamnation solidaire – Principe du forfait de pension - Office du juge – Obligation de ventiler les différents chefs de préjudice et d’en attribuer la charge à chacune des personnes publiques tenues à la réparation – Annulation.

Dans cette importante décision, le juge applique à une espèce un peu particulière dans l’articulation de la cause du préjudice subi par un fonctionnaire, les principes établis par l’arrêt Mme Moya-Caville (Assemblée, 4 juillet 2003, n° 211106, au Recueil Lebon p. 323).

Un enseignant, fonctionnaire de l’État, travaillant dans un lycée professionnel relevant de la Région, a été admis à la retraite pour invalidité et bénéfice d'une rente viagère d'invalidité par suite de l’imputabilité au service d’une silicose.

Il a mis en jeu la responsabilité solidaire de l’État et de la Région afin de voir réparer l’entier préjudice subi. Alors que le tribunal administratif a condamné l’État employeur à verser à l’intéressé une certaine somme à titre d’indemnisation de la partie du préjudice non couverte par l’octroi d’une rente viagère d’invalidité, la cour administrative d’appel a, d’une part, accru la somme allouée en première instance, et, d’autre part, condamné solidairement l’État et la Région au paiement de ce complément d’indemnisation.

Le ministre de l’éducation nationale se pourvoit contre cet arrêt et obtient gain de cause.

Le Conseil d’État juge, et c’est la partie novatrice de la décision, que dans l’hypothèse de l’espèce où deux collectivités publiques voient leurs responsabilités respectives engagées sur le fondement d’une action en responsabilité solidaire, il incombe au juge, au titre de son office :

1°/ de déterminer le montant de la réparation forfaitaire à laquelle a droit la victime du chef de son employeur ;

2°/ de déterminer, lorsque cette première indemnisation ne couvre pas l’entier préjudice subi, le montant de l’indemnisation complémentaire nécessaire à cette couverture intégrale du préjudice, qui sera mis à la charge de l’autre collectivité publique ;

3°/ lorsque la collectivité employeur estime qu’une partie de la réparation forfaitaire ne doit pas rester à sa charge mais incombe à l’autre collectivité, de décider si cette dernière doit être condamnée à garantir l’employeur et jusqu’à quelle hauteur.

Ce dernier point était celui qui faisait le plus difficulté.

(18 novembre 2020, Ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, n° 427325)

 

126 - Fonctionnaire suspecté de souffrir d’une maladie mentale – Fonctionnaire placé en congé de longue durée – Cour administrative d’appel estimant n’y avoir pas de maladie mentale – Qualification inexacte des faits – Annulation avec renvoi.

Qualifie inexactement les faits qui lui sont soumis, la cour administrative d’appel qui refuse la qualification de maladie mentale à la pathologie dont est atteint un agent public alors que l'assistante sociale chargée d'assurer son suivi et le médecin de prévention ont été alertés à plusieurs reprises par l'intéressé sur son état et sur sa détermination à se mettre lui-même en danger, qu’ils ont fait part de leurs inquiétudes à son sujet et que l'avis du comité médical était favorable au placement de l’intéressé en congé de longue maladie pour une durée de six mois comme le préconisait le médecin psychiatre désigné par La Poste.

(27 novembre 2020, M. B., n° 422678)

 

127 - Personnels pénitentiaires – Interdiction du droit de grève – Faute d’une exceptionnelle gravité - Procédure disciplinaire spécifique – Refus de transmission d’une QPC – Rejet.

Pour rejeter la demande de transmission d’une QPC fondée sur l’inconstitutionnalité du  régime juridique d’interdiction de l’exercice du droit de grève par les personnels pénitentiaires, interdiction assortie de lourdes sanctions disciplinaires, le Conseil d’État relève, d’une part, que la cessation concertée du service pénitentiaire constitue une faute d’une exceptionnelle gravité, appréciée au cas par cas sous le contrôle du juge, et d’autre part, qu’elle est de nature, eu égard aux tâches dévolues aux services de l'administration pénitentiaire, à troubler l'ordre public.

Il suit de là que de tels faits justifient le recours à une procédure disciplinaire spécifique, distincte de celle prévue pour les autres catégories de fonctionnaires par la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, notamment en ce qu’elle permet à l'autorité disciplinaire d'être en mesure de sanctionner sans délai de tels actes.

(5 novembre 2020, Syndicat national pénitentiaire Force ouvrière, n° 439211)

 

128 - Fonctionnaire relevant du ministère des affaires étrangères – Agent placé en situation d’« appel spécial » - Inscription sur le fichier des personnes recherchées à la rubrique « S » - Existence d’une menace non établie – Erreur manifeste d’appréciation – Rejet.

Un fonctionnaire, adjoint administratif de chancellerie de 1ère classe, affecté à l'ambassade de France aux États-Unis en qualité de gestionnaire comptable et administratif, fait l’objet d’un « appel spécial » par un arrêté du 18 novembre 2015, pris par le ministre demandeur au pourvoi, lui ordonnant de rejoindre la France. Puis, un arrêté du 23 février 2016 met fin, à compter du 28 février 2016, à sa position d’appel spécial tandis que par un arrêté du 24 février 2016, le même ministre a « rompu l’établissement » de cet agent au sein de cette ambassade à compter du 27 février 2016.

Le recours de l’agent contre les deux arrêtés de février 2016 est rejeté en première instance ; la cour administrative d’appel annule ce jugement, les deux arrêtés attaqués et enjoint au ministre de réexaminer la situation de l’intéressé.

Le ministre se pourvoit et sa demande est rejetée. Le juge indique que « l'inscription d'une personne dans le fichier des personnes recherchées pour prévenir des menaces graves pour la sécurité publique ou la sûreté de l'État ne saurait, par elle-même, suffire à établir que cette personne présente une telle menace, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, lorsqu'il est informé d'une telle inscription, que la fiche soit ou non produite à l'instance par l'administration qui s'en prévaut, de se forger une conviction au vu de l'argumentation des parties sur ce point, sans qu'il soit tenu d'user de ses pouvoirs d'instruction, notamment en appelant le ministre de l'intérieur dans l'instance, s'il s'estime suffisamment informé par le débat contradictoire entre les parties. »

Le juge constate ensuite que le ministre défendeur s’est borné à se fonder sur le contexte particulier qui avait suivi les attentats du 13 novembre 2015 et à faire état de l'inscription de l’agent dans le fichier des personnes recherchées pour prévenir des menaces graves pour la sécurité publique ou la sûreté de l'État, sans toutefois donner aucun élément sur les motifs de cette inscription. De là il s’ensuit que, faute d’avoir établi l’existence et la consistance de cette menace, le ministre a, en prenant les arrêtés annulés en appel commis une erreur manifeste d’appréciation ainsi que l’ont jugé les magistrats de la cour.

(6 novembre 2020, Ministre de l'Europe et des affaires étrangères, n° 436346)

 

129 - Agents publics contractuels – Agent faisant l’objet de plusieurs contrats de travail à durée déterminée – Caractère abusif du renouvellement des contrats - Demande de réparation du préjudice moral – Cassation partielle avec renvoi.

Saisi d’un pourvoi contre l’arrêt d’appel ayant rejeté la demande d’un agent contractuel ayant fait l’objet de plusieurs contrats de travail à durée déterminée, le Conseil d’État annule l’arrêt.

Il se prononce sur ceux aspects distincts.

D’une part, la requérante ayant demandé pour la première fois en appel l’indemnisation du préjudice moral subi du fait de non renouvellement de son contrat après plusieurs renouvellements successifs pendant huit années, le juge rappelle que le justiciable qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d'un fait, est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d'appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont il n'avait pas fait état devant les premiers juges, dès lors que, 1°) ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur et  2°) ses prétentions demeurent dans la limite du montant total de l'indemnité chiffrée en première instance, augmentée le cas échéant des éléments nouveaux apparus postérieurement.

D’autre part, doit être considéré comme abusif le recours à des contrats à durée déterminée pendant plus de huit années. Contrôlant ainsi la qualification juridique des faits, le juge de cassation annule l’arrêt d’appel qui n’avait pas jugé excessive cette succession de contrats.

(13 novembre 2020, Mme B., n° 428737)

 

Hiérarchie des normes

 

130 - Loi du 23 mars 2020 habilitant le gouvernement à prendre des ordonnances – Art. 13 de l'ordonnance du 25 mars 2020 dispensant de toute procédure consultative l’édiction de mesures administratives destinées à lutter contre les conséquences de l’épidémie de Covid-19 – Disposition excédant le champ de l’habilitation – Annulation sans modulation des effets dans le temps.

La loi d’habilitation du 23 mars 2020 a prévu au 2° du I de son art. 11 que le gouvernement pourrait prendre pendant trois mois des mesures « adaptant (…) les délais et modalités de consultation du public ou de toute instance ou autorité, préalables à la prise d'une décision par une autorité administrative et, le cas échéant, les délais dans lesquels cette décision peut ou doit être prise ou peut naître (...) ». 

Or l’art. 13 de l’ordonnance du 25 mars 2020, prise en et pour l’application de cette disposition législative, décide que : « Sous réserve des obligations résultant du droit international et du droit de l'Union européenne, les projets de texte réglementaire ayant directement pour objet de prévenir les conséquences de la propagation du covid-19 ou de répondre à des situations résultant de l'état d'urgence sanitaire sont dispensés de toute consultation préalable obligatoire prévue par une disposition législative ou réglementaire, à l'exception de celles du Conseil d'État et des autorités saisies pour avis conforme ».

Il est jugé, comme le soutenaient les organisations requérantes, que l’habilitation ne portait que sur les délais et les modalités de la consultation non sur la possibilité de supprimer la consultation elle-même. De ce chef et seulement de ce chef, excédant le champ de l’habilitation accordée au gouvernement, l’art. 13 est annulé.

On notera que le juge estime non nécessaire d’user de son pouvoir de modulation dans le temps des effets de l’annulation prononcée

(16 novembre 2020, Confédération générale du travail (CGT) et autres, n° 440418)

 

Libertés fondamentales

 

131 - Taxe d’apprentissage – Conditions de versement à certains établissements d’enseignement (art. L. 6241-2 et L. 6241-4 c. travail) – Règles différentes pour les établissements privés selon qu’ils entrent ou non dans une certaine catégorie (5° de l’art. L. 6241-4 c. trav.) – Rupture de l’égalité devant les charges publiques – QPC – Refus de transmission.

L’art. L. 6241-4 du code de travail détermine en son 5°, parmi les établissements privés de l’enseignement supérieur, ceux éligibles au versement du produit de la taxe d’apprentissage, il s’agit des établissements gérés par des organismes à but non lucratif.

La société requérante, estimant qu’était ainsi introduite une rupture de l’égalité devant les charges publiques contraire à la Constitution, demandait la transmission d’une QPC en ce sens.

Sa requête est, sans surprise, rejetée car les établissements d’enseignement supérieur de nature privée pouvant recevoir le produit de cette taxe sont dans une situation objectivement et clairement différente de celles des autres établissements d’enseignement supérieur privés « soit en raison de leur statut, soit en raison de leur mode de gestion, soit en raison de leurs obligations pédagogiques et des contrôles qui s'y rattachent ».

Non nouvelle ni de caractère sérieux, la QPC n’est pas transmise.

(4 novembre 2020, Société Galileo Global Education France, n° 439011)

 

132 - Réfugiés et apatrides – Retrait du bénéfice de la protection subsidiaire – Commission d’un crime grave – Notion de crime grave – Contrôle du juge de cassation sur la qualification juridique des faits constitutifs d’un crime grave – Rejet.

Le requérant, ressortissant albanais, demandait au Conseil d’État d’annuler l’arrêt de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) rejetant le recours qu’il avait formé contre la décision de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, du 4 janvier 2019, lui retirant le bénéfice de la protection subsidiaire qui lui avait été accordé le 3 mars 2005.

La CNDA a motivé son rejet en se fondant sur ce qu’il existait des raisons sérieuses de penser que le requérant avait commis un « crime grave » au sens et pour l’application des art. IL. 712-2 et L. 712-3 du du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Le Conseil d’État rejette le pourvoi car le requérant – comme l’a relevé la CNDA - a été reconnu coupable de détention, offre ou cession, transport et acquisition non autorisés de stupéfiants et condamné, par un jugement du tribunal correctionnel de Brive-la-Gaillarde, à une peine d'emprisonnement de trois ans dont un an avec sursis, assortie d'une mise à l'épreuve de deux ans. Il approuve la cour d’avoir retenu qu'au nombre des faits constatés par le juge pénal se trouve une organisation très active en relation avec de nombreux groupes d'Albanais, impliquant le transport de stupéfiants dans plusieurs pays européens, la dissimulation d'importantes sommes d'argent et la couverture de ces activités par des contrats de travail de complaisance, les complices de M. A. s'étant en outre livrés à du trafic de munitions et de matériel informatique et téléphonique. Enfin, confirmant le rôle de premier plan tenu par M. A. dans ces affaires, la cour d’appel de Limoges (sur appel d’un des complices) a jugé que les transports de stupéfiants aux Pays-Bas s'effectuaient sous la « haute surveillance » de M. A.

(13 novembre 2020, M. A., n° 428582)

 

133 - Étrangers – Lutte contre l’immigration irrégulière – Traitement des demandes d’asile – Décret du 14 décembre 2018 pris pour l’application de la loi du 10 septembre 2018 – Incompatibilité avec le code frontières Schengen – Illégalité de la forme téléphonique de l’entretien avec le demandeur d’asile – Inconventionnalité de dispositions relatives au refus et/ou au retrait des conditions matérielles d’accueil – Annulations très partielles.

Les requérants demandaient l’annulation du décret du 14 décembre 2018 pris pour l'application de la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie et portant diverses dispositions relatives à la lutte contre l'immigration irrégulière et au traitement de la demande d'asile.

Examinant les nombreux griefs soulevés, le juge est amené à confirmer la légalité ou conventionnalité de la grande majorité des dispositions contestées.

Il procède à trois annulations.

L’art. 2 du décret est annulé en tant qu’il insère dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) un article R. 213-1-1 pris pour l’application de l’art. L. 213-3-1 de ce code et que cette disposition législative est incompatible avec les objectifs poursuivis par la directive du 16 décembre 2008 telles qu’interprétées par la CJUE (Grande chambre, 19 mars 2019, Préfet des Pyrénées-Orientales c/ Abdelaziz Arib et alii, C-444/17) ; en effet, les dispositions Schengen ne sont applicables qu’aux franchissements des frontières extérieures de l’Union non aux franchissements des frontières intérieures terrestres.

L’art. 11 subit le même sort, pour illégalité cette fois :  en permettant que l'entretien personnel d'un demandeur d'asile se présentant à la frontière puisse être mené par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides en recourant seulement à un moyen de communication téléphonique, cet article est contraire aux dispositions de l'article L. 723-6 du CESEDA.

Enfin, le I de l’art. 19 est annulé en tant qu'il introduit dans le CESEDA un second alinéa à l'article R. 744-13-3 et un dernier alinéa à l'article R. 744-13-4, ces nouvelles dispositions étant prises pour l’application de l’art. L. 744-2 du CESEDA qui est lui-même incompatible avec la directive du 26 juin 2013 dans la mesure où, d’une part, il crée des cas de refus et de retrait de plein droit des conditions matérielles d'accueil sans appréciation des circonstances particulières et, d’autre part,  exclut, en cas de retrait, toute possibilité de rétablissement de ces conditions.

(27 novembre 2020, Comité inter-mouvements auprès des évacués (CIMADE) et onze autres requérants, n° 428178)

 

 

 

 

 

 

 

De la messe et du Covid…

Introït ou Ite missa est ?

 

Comme il fallait s’y attendre, les mesures de restriction drastique du nombre des fidèles admis à assister aux messes ont suscité un important et, parfois, spectaculaire, contentieux devant le juge administratif dont on donne ci-après des aperçus représentatifs.

Les positions en présence, les types d’arguments développés, le mode de raisonnement adopté comme les solutions données montrent, d’une part, l’importance et la complexité des enjeux, et, d’autre part, la persistance, dans une France, républicaine depuis un siècle et demi, et laïque depuis plus d’un siècle, du débat sur les places respectives du religieux et du politique dans la sphère publique mettant en jeu l’immense question de la légitimité, toujours mal résolue en France quelque deux cent trente ans après la révolution de 1789.

Il en est ainsi car plus de treize siècles d’une culture politique différente ont façonné la France avant 1789, or seule durée longue (le millénaire) convient en histoire des mentalités selon F. Braudel (Histoire et sciences sociales : la longue durée, Annales ESC, XIII, n° 4, oct.-déc. 1958, p. 735) et G. Duby (par ex. : Le Dimanche de Bouvines, Paris, Gallimard, 1973, rééd. 2005).

 

134 - Liberté religieuse – Célébration du culte – Réunions et célébrations des offices dans les lieux de culte – Déplacement en vue de se rendre dans un lieu de culte - Interdiction (décret du 29 octobre 2020, art. 4, 47) – Rétablissement du libre exercice du culte – Rejet.

La présente ordonnance restera comme l’une des plus emblématiques de celles rendues sous l’empire de l’épidémie de Covid-19 depuis mars 2020.

Les demandes adressées au juge des référés tendaient, sous des aspects variés, à voir rétablie, dans le respect des gestes barrières, la liberté fondamentale que constitue le libre exercice du culte dans les édifices préposés à cette fin.

Celles-ci sont toutes rejetées.

Le juge rappelle que l’état d’évolution sérieusement dégradée de l’épidémie constaté à la mi-octobre 2020 a conduit les pouvoirs publics à décider un resserrement des mesures de prévention et de protection notamment pour ce qui est des célébrations religieuses à l’intérieur des édifices du culte.

Il relève un certain nombre de gestes de la part des pouvoirs publics en direction des fidèles.

Ainsi est-il noté qu’à l'audience l'administration a indiqué avoir donné des instructions pour que les fidèles puissent se déplacer dans le lieu de culte le plus proche de leur domicile ou situé dans un périmètre raisonnable autour de celui-ci en cochant la case « motif familial impérieux », le juge relevant toutefois qu’ « en l'état (le) modèle-type de justificatif (…)  gagnerait à être explicité ».

Également, il est constaté que les ministres du culte peuvent continuer à recevoir individuellement les fidèles dans les établissements précités et à se rendre, au titre de leur activité professionnelle, au domicile de ceux-ci ou dans les établissements dont ils sont aumôniers. 

Pareillement, est observé le fait que les mesures critiquées sont entrées en vigueur le 3 novembre afin de préserver les célébrations de la Toussaint et du jour de la commémoration des fidèles défunts.

Enfin, le juge des référés, d’une part, rappelle que ces mesures « prendront fin, au plus tard, au terme de l'état d'urgence sanitaire qui est fixé, à ce jour, au 16 novembre 2020 » et, d’autre part, qu’il a été déclaré « à l'audience, dans la perspective de la prorogation de l'état d'urgence sanitaire qui est en cours de discussion au Parlement, que ces dispositions vont prochainement faire l'objet d'un réexamen de leur caractère adapté et proportionné, ce qui suppose l'engagement à bref délai d'une concertation avec l'ensemble des représentants des principaux cultes, destinée à préciser les conditions dans lesquelles ces restrictions pourraient évoluer. »

La rédaction de cette ordonnance constitue un curieux mélange d’analyse juridique, de considérations factuelles non juridiques dans leur contenu comme dans leurs effets, de précisions et de « on-dit » (pour les clusters, les risques propres aux lieux de culte dont on dit qu’ils ne sont pas plus dangereux que d’autres mais auxquels on reproche les façons d’y entrer et d’en sortir…). Tout ceci ressemble beaucoup à une tentative de médiation ou de justice de paix sans doute dans l’attente, alors très proche, de la révision des mesures à partir du 16 novembre. Comme l’on sait, la rencontre – il serait osé d’y apercevoir une concertation – du 16 novembre n’a à peu près rien donné…

Reste à savoir si le juge a fait de cette « concertation » un élément conditionnant sa réponse aux demandes de référés ce qui autoriserait en ce cas une nouvelle saisine compte tenu de ce fait nouveau ou s’il ne faut y voir qu’un simple élément enjolivant sa décision.

(ord. réf. 7 novembre 2020, Association CIVITAS, n° 445825 ; M. S., n° 445827 ; M. C-L., n°445852 ; M. X. et Mme CE., n° 445853 ; Mgrs BD. et autre, n°445856 ; M. CQ. et autres, n° 445858 ; Association cultuelle Fraternité sacerdotale Saint-Pierre et autres, n° 445865 ; Fédération départementale des associations familiales catholiques du Bas-Rhin et autres, n° 445878 ; M. BI. et autres, n° 445879 ; Association Fondation service politique, n° 445887 ; Parti « VIA - La voie du peuple » (VIA) et autre, n° 445889 ; Mgrs C. et autres, n° 445890 ; Mme DV. et autre, n° 445895 ; M. DD. et autres, n° 445911 ; Mgrs X. et autres, n° 445933 ; M.DD. et autres requérants figurant sous le n° 445911 ainsi que M. L. et autres, n° 445934 ; Conférence des évêques de France, Mgr GQ. et autre, n° 445938 ; M. AE. et autres, n° 445939 ; Mgr AC., n° 445942 ; Mme DE. et autres, n° 445948 ; Société cléricale Saint Pie X, n° 445955, jonction)

(135) V. aussi, dans le même sens : ord. réf. 12 novembre 2020, M. F., communauté de bénédictins de Notre-Dame de Fontgombault et autres, n° 445949.

(136) V. également, pour un identique rejet des mêmes demandes, avec toutefois, en outre, le refus d’inviter le gouvernement à rappeler qu’il est possible, même pendant l’épidémie de Covid, d'organiser une cérémonie religieuse à l'extérieur dans le cadre d'une manifestation déclarée en préfecture car la position contraire qu’aurait exprimée le ministre de l’intérieur sur un chaîne de radio n’est pas avérée ; d’où il faut déduire qu’en semblable circonstance il serait illégal que le ministre de l’intérieur adresse à ses services des instructions tendant à ce que soit interdite, par principe, toute manifestation sur la voie publique pouvant, par son but ou par sa forme, être regardée comme la manifestation extérieure d'un culte : ord. réf. 19 novembre 2020, Association Civitas, n° 446469 ; M. B. et association « Pour la messe », n° 446591.

(137) V. encore, très largement semblable à la précédent e ordonnance : ord. réf. 19 novembre 2020, M. D., n° 446651 ; M. C., n° 446652.

(138) V. surtout, infléchissant nettement la tendance jurisprudentielle jusque-là dominante :

1°/ jugeant d’abord qu’« il ne résulte pas de l'instruction que l'interdiction absolue et générale de toute cérémonie religieuse de plus de trente personnes, alors qu'aucune autre activité autorisée n'est soumise à une telle limitation fixée indépendamment de la superficie des locaux en cause, serait justifiée par les risques qui sont propres à ces cérémonies et qui ont déjà conduit à l'obligation de port d'un masque de protection pour toute personne de plus de onze ans, imposée par le II de l'article 47 du décret du 29 octobre 2020 à la seule exception des moments précis où l'accomplissement d'un rite le nécessite »,

2°/ constatant ensuite que si « durant la phase actuelle de l'allègement du confinement, les rassemblements et réunions sont interdits, ainsi que le relève le ministre de l'intérieur, au-delà de six personnes, sauf exceptions, sur la voie publique et dans les lieux ouverts au public, et si certains établissements recevant du public autres que les lieux de culte restent fermés, les activités qui y sont exercées ne sont pas de même nature et les libertés fondamentales qui sont en jeu ne sont pas les mêmes. Le ministre ne peut, en outre, utilement se prévaloir de ce que les cérémonies religieuses seraient interdites ou soumises à une limitation en valeur absolue du nombre de participants dans plusieurs pays européens », et 3°/ décidant en conséquence que l’interdiction contestée « présente, en l'état de l'instruction et alors même qu'elle serait susceptible d'être modifiée à partir du 15 décembre prochain, un caractère disproportionné au regard de l'objectif de préservation de la santé publique et constitue ainsi, eu égard au caractère essentiel de la composante en cause de la liberté de culte, une atteinte grave et manifestement illégale à cette dernière. » : 29 novembre 2020, Association Civitas, n°446930 ; Conférence des évêques de France et autres, n° 445938 ; Mgr M., n° 446968 ; Association « Pour la messe », n° 446975, jonction.

 

139 - Liberté d’aller et de venir – Épidémie de Covid-19 – Limitations spatiale et temporelle des déplacements – Absence de caractère excessif de ces limitations en raison de l’aggravation de la situation sanitaire – Rejet.

Par deux requêtes distinctes, jointes par le juge, fondées respectivement sur l’art. L. 521-1 et L. 521-2 du CJA, le requérant demandait la suspension de l'exécution de l'art. 4 du décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire en tant qu'il fixe une durée d'une heure et une distance d'un kilomètre pour les activités physiques individuelles, la promenade et les besoins des animaux de compagnie.

Arguant de l’aggravation de l’épidémie de Covid-19 à une date récente, en tous ses paramètres (nombres de morts, de personnes hospitalisées, de patients en réanimation, de personnes positives au virus, augmentation du taux de positivité aux tests, etc.), le juge, tout en reconnaissant la gravité et l’ampleur de l’atteinte que constitue la double limite d’un droit de sortie limité à une heure quotidienne et à un rayon d’un kilomètre, rejette les requêtes, les restrictions contestées étant proportionnées à la gravité de la situation.

(ord. réf., formation collégiale, 13 novembre 2020, M. E., n° 445859 et n° 445860)

(140) V. aussi, très voisin, rejetant des recours dirigés contre l’art. 37 du décret du 29 octobre 2020 en tant qu’il ne permet pas l’ouverture des magasins de vente de livres neufs et d’occasion, et malgré le coup de chapeau du juge aux libertés qui s’attachent au livre (cf. point 10 de l’ordonnance) : ord. réf., formation collégiale, 13 novembre 2020, Société Le Poirier-au-Loup, n° 445883 et n° 445886 ; M. A. et Société Ring, n° 445899, jonction.

(141) Voir aussi, rejetant une requête contenant un certain nombre de demandes d’injonction (commerces tenus par des personnes de plus de soixante ans, propositions du conseil scientifique concernant les EHPAD, prendre des mesures plus ciblées, ouvrir certains établissements, etc.) : ord. réf. 13 novembre 2020, M. B., n° 445943.

(142) Voir également, assez voisin, le rejet de recours, fondés sur l’art. L. 521-2 du CJA (référé liberté) contestant l'obligation de port du masque pour les enfants de 6 à 10 ans, la fiabilité des indicateurs de suivi de la situation sanitaire, l’évaluation globale de la situation sanitaire générale, etc. : ord. réf. 23 novembre 2020, M. Y. et autres, 445983 ; Mme S. et autres, n° 446310, jonction.

 

143 - Association – Dissolution administrative – Provocation à la haine, discrimination ou violence – Propagation d’idées ou théories en ce sens – Action terroriste ou provocation à des actes terroristes – Prise en compte des messages diffusés par l’association sur ses comptes de réseaux sociaux et des positions publiques de son président – Légalité et constitutionnalité de la dissolution – Rejet.

Saisi par une association dissoute d’un recours en annulation et d’un recours en suspension contre le décret du 28 octobre 2020 prononçant sa dissolution, le juge des référés du Conseil d’État, statuant collégialement, les rejette sans surprise.

Tout d’abord, ne saurait être reprochée l’inconstitutionnalité de l’effet immédiat de la dissolution car cette dernière, en vertu d’une jurisprudence ancienne et constante, ne prive pas l’association dissoute du droit de saisir le juge d’un recours dirigé contre le décret portant dissolution.

Ensuite, informée le 20 octobre du projet de dissolution, ayant présenté ses observations écrites à ce sujet le 23 octobre et ses observations orales le 26 octobre et la dissolution étant intervenue le 28 octobre, l’association requérante ne saurait soutenir sérieusement que les droits de la défense n’ont pas été respectés.

Également, ne sont pas retenus l’argument tiré de ce que l’auteur du décret se serait borné à paraphraser les 6° et 7° de l’art. L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, argument qui manque en fait et en droit ni, non plus, celui fondé sur ce que constitueraient deux séries distinctes de comptes sur les réseaux sociaux celui de l’association et celui de son président, en l’état d’imbrication totale de l’une et de l’autre.

Encore, l’auteur du décret n’a ni commis une erreur de droit ni inexactement apprécié les faits l’ayant conduit à prendre le décret litigieux en apercevant dans les messages de l’association et de son président ainsi que dans leurs commentaires un ensemble de faits constituant des provocations à la discrimination, à la haine ou à la violence ou les justifiant.

Par suite ne sauraient être invoquées à l’encontre de la régularité du décret de dissolution ni la liberté d’association ni le droit à la vie ni le principe de fraternité ni le droit au travail, ni la liberté du commerce et de l'industrie, ni la liberté contractuelle ni le droit au libre exercice d'une profession ni le droit de mener une vie familiale normale non plus que le droit au respect de la dignité humaine. 

(ord. réf. formation collégiale, 25 novembre 2020, Association Barakacity, n° 445774 et n° 445984, jonction)

(144) V. aussi, à propos du rejet de la demande de suspension de l’exécution de l’arrêté préfectoral ordonnant la fermeture pour une durée de six mois du lieu de culte « Grande mosquée de Pantin », la confirmation, en substance et mutatis mutandis, du raisonnement tenu par les juges des référés dans l’affaire précédente mais avec des faits encore plus circonstanciés : ord. réf. formation collégiale, 25 novembre 2020, Fédération musulmane de Pantin, n° 446303.

 

145 - Défenseur des droits – Recommandations en matière pénitentiaire – Refus implicite d’appliquer ces recommandations – Refus non soumis à une obligation de motivation – Liberté des autorités publiques de décider des mesures propres à satisfaire l’accomplissement de leurs obligations – Absence d’inéluctabilité des recommandations préconisées – Rejet.

L’organisation requérante a saisi le Conseil d’État d’un recours en annulation du refus implicite du garde des sceaux de mettre en œuvre des recommandations formulées par le Défenseur des droits en matière pénitentiaire.

Rejetant le recours, le Conseil d’État apporte deux précisions importantes.

La décision administrative refusant de mettre en œuvre de telles recommandations n’entre dans aucune des catégories de décisions qui doivent, en vertu de l’art. L. 211-2 du CRPA, être motivées.

Ensuite, est rappelé le principe que l’administration dispose d’une pleine liberté pour déterminer les mesures qui lui paraissent le plus propres à assurer les obligations dont elle a la charge. C’est même là la part incompressible de pouvoir discrétionnaire dont elle dispose. Il suit de là que, sauf dans le cas où les mesures préconisées seraient les seules permettant l’exécution effective et correcte de ses obligations, la seule circonstance que l’administration ne prenne pas une mesure déterminée mais une autre ne saurait entacher d’illégalité la mesure prise.

(13 novembre 2020, Section française de l'Observatoire international des prisons, n° 433243)

 

146 - Covid-19 – Adaptation de certaines règles de la procédure pénale (ordonnance du 18 novembre 2020) – Recours à la visio-conférence – Suspension de l’article 2.

Les organisations requérantes contestaient les dispositions des articles 2, 4 et 11, alinéa 2, de l’ordonnance du 18 novembre 2020 prévoyant l’adaptation de certaines règles de procédure pénale afin, selon ses propres termes, « de permettre la continuité de l'activité des juridictions pénales essentielle au maintien de l'ordre public ». Elles en demandaient donc l’annulation.

Le Conseil d’État rejette les demandes dirigées contre les articles 2 et 11, alinéa 2.

Sur l’article 2, qui dispose qu’ « il peut être recouru à un moyen de télécommunication audiovisuelle devant l'ensemble des juridictions pénales et pour les présentations devant le procureur de la république ou devant le procureur général, sans qu'il soit nécessaire de recueillir l'accord des parties (…) », le juge opère une distinction.

Devant la chambre de l’instruction statuant sur une décision de détention provisoire en matière criminelle, d’une part, le recours à la visio-conférence évite les difficultés sanitaires d’une extraction carcérale en période d’épidémie ainsi que les reports d’audience, d’autre part, il incombe aux magistrats d’apprécier si la visio-conférence est souhaitable tant au regard de l’état de santé de l’intéressé qu’à celui de l’enjeu présenté par l’audience, et au président de la juridiction de s’assurer si la personne détenue peut comparaître devant sa juridiction avec une périodicité raisonnable. De ce chef, le texte n’est pas critiquable.

Devant la cour d’assises ou la cour criminelle, en revanche, l’utilisation du procédé de la visio-conférence est incompatible avec la gravité des peines encourues et le rôle dévolu à l'intime conviction des magistrats et des jurés. L’oralité des débats y joue un rôle essentiel. Il en va de même durant le réquisitoire et les plaidoiries pour ce qui est de la présence physique des parties civiles et de l'accusé et plus particulièrement encore lorsque l'accusé prend la parole en dernier, avant la clôture des débats. Opérant une délicate balance des intérêts en présence, le juge conclut que « les exigences du bon fonctionnement de la justice ne sont pas suffisantes pour justifier l'atteinte que portent les dispositions contestées aux principes fondateurs du procès criminel et aux droits des personnes physiques parties au procès, qu'elles soient accusées ou victimes ». Cette disposition est suspendue avec injonction au gouvernement de l’abroger.

Sur l’article 4, qui permet seulement une publicité restreinte des débats, le juge considère que cette restriction ne concernant pas les journalistes, il est ainsi satisfait à l’exigence d’information du public et la limitation apportée est exactement proportionnée à la menace sanitaire.

Sur le second alinéa de l’art. 11, qui dispose que les mesures contenues aux articles 2 à 9 de l’ordonnance attaquée sont applicables jusqu’à la fin du mois suivant la cessation de l’état d’urgence sanitaire, le recours est rejeté car la condition d’urgence n’est pas satisfaite, l’état d’urgence proclamé à nouveau le 14 octobre 2020 ayant été prorogé jusqu’au 16 février 2021.

(ord. réf. 27 novembre 2020, Association des avocats pénalistes, n° 446712 ; Fédération nationale des unions des jeunes avocats, n° 44672 ; Ligue des droits de l’homme, n° 446728 ; Syndicat des avocats de France et autres, n° 446736 ; Conseil national des barreaux et autres, n° 446816)

 

 

Police

 

147 - Permis de conduire – Échange d’un permis de conduire délivré par l’URSS avec un permis de conduire français – URSS ayant disparu – Échange possible seulement en cas de reconnaissance de ce permis par la Russie ou par un État ayant avec la France un accord de réciprocité – Cassation avec renvoi.

Encourt la cassation le jugement qui, pour annuler le refus d’autoriser l’échange d’un permis de conduire obtenu en URSS contre un permis de conduire français, se fonde sur l’existence d’un accord de réciprocité entre la France et l’URSS à l’application duquel la disparition de l’URSS ne fait pas obstacle. Il incombait au tribunal de rechercher si ce permis était reconnu soit par la Russie en vertu du principe de la succession d’États soit par un autre État avec lequel la France est lié par un accord de de réciprocité.

(5 novembre 2020, M. B., n° 429359)

 

148 - Police sanitaire – Mesures édictées pour lutter contre l’épidémie de Covid-19 – Contestations du décret du 29 octobre 2020 – Demandes diverses – Rejet.

Dans ce que l’on pourrait qualifier de « référé-balai » le juge statue sur plusieurs demandes, disparates, ayant pour point commun la contestation du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire soit dans version sa d’origine soit dans celle, modifiée, du 2 novembre 2020 (décret n° 2020-1331).

Après avoir rejeté les demandes à caractère général, plus ou moins récurrentes selon les saisines, à savoir la remise en cause de l’ensemble du dispositif de lutte contre l’épidémie et la suppression du comité scientifique Covid-19, cette dernière étant impossible du fait de son maintien par la loi du 9 juillet 2020 (art. 1er, VI) organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire, le juge examine les autres chefs de demandes de suspension ; tous sont rejetés.

Il en va ainsi en particulier, de la demande d’annulation des mesures relatives à la restriction des activités commerciales, de l’extension de l’obligation du port de masques aux enfants de 6 à 10 ans, de la réglementation du droit de visite des personnes détenues, de la demande de dispense pour les avocats de l’obligation de remplir une attestation. Les rejets sont justifiés par le fait que, face à la reprise de l’épidémie, les mesures querellées par les différents recours en référé sont justifiées par les circonstances et exactement proportionnées à celles-ci, ce qui exclut qu’elles puissent être considérées comme portant illégalement une atteinte grave et manifeste aux différents droits et libertés invoqués par les demandeurs.

(ord. réf. 7 novembre 2020, M. J., n° 445821 ; Association Robin des lois, n° 445837 ; Mme B., n° 445839 ; Mme D., n° 445850 ; M. G., n° 445857 ; M. A., n° 445868 ; M.P., n° 445869 ; Société Rol-Mobex France, n° 445888, jonction)

(149) V. aussi, dans la même veine contentieuse : ord. réf. 25 novembre 2020, M. B., n° 446509 ; 25 novembre 2020, Mme B., n° 446615 ou, s’agissant d’une application en Martinique du décret du 29 octobre 2020 : ord. réf. 26 novembre 2020, Société La suite Villa, société Laser West, Mme A., société C2P et société Antillaise d'investissement de la Pointe du Bout (SAIPB), n° 446194

(150) V. encore, rejetant le recours contre le décret du 29 octobre 2020 en tant qu'il n'autorise pas les magasins spécialisés autres que les centres commerciaux, les supermarchés, les magasins multi-commerces, les hypermarchés, les autres magasins de vente d'une surface de plus de 400 m2, les magasins d'alimentation générale et les supérettes à accueillir du public pour la vente de produits de toilette et d'hygiène : ord. réf. formation collégiale, 26 novembre 2020, Société Yves Rocher France, n° 446432.

 

151 - Police sanitaire – Covid-19 - Fermeture des établissements recevant du public du type X – Cas de l’activité de foot en salle – Différence de traitement par rapport aux activités sportives en salle de certains publics – Différence de traitement justifiée – Mesure proportionnée eu égard aux circonstances de fait de l’épidémie et aux objectifs de santé publique – Rejet.

Il était demandé au juge du référé suspension d’ordonner la suspension de l’exécution du I de l'article 42 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 en ce qu'il interdit l'ouverture des établissements recevant du public de type X accueillant exclusivement l'activité de foot en salle.

La requérante faisait notamment valoir, d’une part, positivement, le caractère spacieux des locaux d’exercice de sport en salle et le respect strict des conditions d’hygiène sanitaire, et d’autre part, négativement, que n’étaient, en revanche, pas interdites les activités en salles de sport lorsqu’elles sont le fait de publics scolaires, universitaires, professionnels, de ceux munis de prescription médicale ou en situation de handicap.

Pour rejeter ces arguments, le juge des référés soutient en premier lieu qu’ « en l'état des connaissances scientifiques actuelles, (les salles de sport sont) des lieux de propagation active du virus SARS-CoV-2, compte tenu de leur caractère clos, de la dispense de port du masque lors de la pratique sportive et du risque accentué d'aérosolisation lié à l'effort physique. Il en va de même des établissements de foot en salle, alors même qu'ils présentent des caractéristiques de superficie et de hauteur différentes des autres salles de sport ».

En second lieu, il relève que la dérogation en faveur des publics cités plus haut est « justifiée par la nécessité pour ces publics de continuer prioritairement à exercer une activité physique, ne concerne que des effectifs limités et est par suite moins propice à la propagation de la circulation du virus. Ces publics sont par ailleurs, du fait de leur jeune âge pour les scolaires, moins sujets à la contamination par le virus ou font l'objet, du fait de leur exercice d'une activité sportive à titre professionnel, d'un protocole sanitaire renforcé et d'un suivi médical très régulier ».

Sera-t-on étonné de lire que ces arguments peinent à nous convaincre ?

(ord. réf. 10 novembre 2020, Société Urban Soccer Ouest, n° 44599)

 

152 - Association – Dissolution administrative – Provocation à la haine, discrimination ou violence – Propagation d’idées ou théories en ce sens – Action terroriste ou provocation à des actes terroristes – Prise en compte des messages diffusés par l’association sur ses comptes de réseaux sociaux et des positions publiques de son président – Légalité et constitutionnalité de la dissolution – Rejet.

Fermeture d’un lieu de culte pour des motifs comparables – Rejet.

(ord. réf. formation collégiale, 25 novembre 2020, Association Barakacity, n° 445774 et n° 445984, jonction et ord. réf. formation collégiale, 25 novembre 2020, Fédération musulmane de Pantin, n° 446303). V. n° 143 et n° 144

 

153 - Police sanitaire des dispositifs médicaux – Régime de responsabilité – Défaillance de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) devenue l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) dans sa mission de contrôle de prothèses mammaires – Responsabilité de l’État pour faute simple, du fait du comportement de l’AFSSAPS, en cas de préjudice direct et certain – Absence de faute en l’espèce – Rejet.

(16 novembre 2020, Mme C., n° 431159) V. n° 180

 

154 - Police sanitaire - Véhicules sanitaires – Autorisation de mise en service – Agrément - Conditions d’octroi et de maintien – Régime de l’abrogation de ces deux catégories de décisions – Pouvoirs du directeur général de l’agence régionale de santé (ARS) - Rejet.

La société demanderesse, entreprise de transport sanitaire, poursuit l’annulation de la décision du directeur d’une agence régionale de santé abrogeant l’agrément et l’autorisation de mise en service de deux véhicules sanitaires de catégorie C dont elle était jusque-là titulaire.

Elle se pourvoit en cassation contre l’arrêt confirmatif du rejet de son recours.

Le Conseil d’État indique avec beaucoup de clarté et un grand souci de la pédagogie que les entreprises de transport sanitaire doivent obtenir deux décisions administratives pour pouvoir exercer leur activité.

Tout d’abord, elles doivent être agréées par le directeur général de l’ARS qui vérifie par-là la qualité et la sécurité du transport sanitaire compte tenu, notamment, des moyens dont dispose le transporteur pour remplir sa mission.  Ensuite, celui-ci doit bénéficier d’une autorisation de mise en service de chaque véhicule, cette dernière ayant pour objet de permettre une régulation territoriale de l’offre de soins ; elle a un caractère départemental en ce sens que chaque véhicule ne doit être utilisé que dans le département au titre duquel l’autorisation de mise en service a été sollicitée et obtenue.

Suite à un contrôle de l’ARS il a été constaté que la société requérante utilisait les véhicules autorisés exclusivement dans d’autres départements que celui au titre duquel leur autorisation de mise en circulation avait été demandée.

L’ARS a donc annulé les autorisations de service pour les deux véhicules utilisés par la société et, par suite, abrogé l’agrément permettant à l’entreprise requérante d’exercer son activité.

C’est sans erreur de droit que la cour administrative d’appel, constatant que la société ne disposait plus, dans le département au titre duquel elle avait demandé et obtenu les autorisations et l’agrément, des moyens exigés par les dispositions de l'article R. 6312-13 du CSP, a rejeté le recours de la demanderesse contre ces décisions de l’ARS.

(25 novembre 2020, SAS Ambulances santé assistance, n° 428732)

 

155 - Police du stationnement – Titre exécutoire pour recouvrement du forfait post-stationnement – Titre émis après trois mois d’absence de paiement du forfait – Contestation du titre – Régime – Annulation.

Abracabradantesque est le mot qui convient pour qualifier le régime loufoque inventé par le législateur dans le cas où un automobiliste n’a pas payé la redevance de stationnement.

Normalement, le redevable d'un forfait de post-stationnement ne peut contester le bien-fondé de ce forfait qu’après avoir adressé à l’administration un recours administratif préalable dirigé contre l'avis de paiement. En cas de rejet de ce recours, il peut introduire un recours contre ce rejet devant la commission du contentieux du stationnement payant.

En revanche, si le redevable s’est abstenu pendant trois mois de payer il sera alors destinataire d'un titre exécutoire égal au montant du forfait de post-stationnement augmenté de la majoration due à l'État. Il lui sera possible, en ce cas, de contester le titre exécutoire devant la commission du contentieux du stationnement payant, et cela qu'il ait ou non engagé un recours administratif contre l'avis de paiement, puis contester au contentieux le rejet de son recours.

Les textes prévoient que le redevable qui saisit la commission du contentieux du stationnement payant d'une requête contre un titre exécutoire n'est pas recevable à exciper de l'illégalité de l'avis de paiement du forfait de post-stationnement auquel ce titre exécutoire s'est substitué.

Cependant, le Conseil d’État décide que cette interdiction ne fait pas obstacle à ce que l'intéressé conteste, dans le cadre d'un litige dirigé contre le titre exécutoire, l'obligation de payer la somme réclamée par l'administration.

C’est pourquoi, en l’espèce, est annulée, pour erreur de droit, l’ordonnance rejetant la demande de l’intéressé qui s’était fondée sur le caractère inopérant du moyen tiré de l'absence d'obligation de payer la somme réclamée par l'administration. En effet, cette ordonnance justifiait la solution retenue par son auteur par le fait que l’action du requérant mettait en cause la légalité de l'avis de paiement auquel le titre exécutoire s'était substitué. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que l'ordonnance attaquée est, sur ce point, entachée d'une erreur de droit. Erreur, que l’imbroglio des textes explique et excuse largement.

Le demandeur est ainsi fondé à en demander l'annulation.

(27 novembre 2020, M. B., n° 428998)

(156) V. aussi, identique : 27 novembre 2020, M. B., n° 429860.

 

Professions réglementées

 

157 - Commissaire aux comptes – Condamnation pénale – Radiation de la liste des commissaires aux comptes – Procédure régulière – Sanction non disproportionnée – Rejet.

Le procureur général près une cour d’appel ayant signalé au Haut conseil du commissariat aux comptes la condamnation pénale prononcée contre un commissaire aux comptes pour des faits de soustraction frauduleuse à l'établissement et au paiement de l'impôt, dissimulation de sommes et fraude fiscale, le Haut conseil, en sa formation restreinte, a prononcé à l'encontre du contrevenant la sanction de la radiation de la liste des commissaires aux comptes.

C’est de cette décision que le requérant demande l’annulation en soulevant à la fois un moyen de procédure et un moyen de fond. Ils sont rejetés.

Tout d’abord, le juge relève que la sanction a été prise sur le fondement et pour la mise en œuvre de l’art. L. 824-12 du code de commerce lequel transpose en droit interne l'art. 30 ter de la directive du 16 avril 2014 concernant les contrôles légaux des comptes annuels et des comptes consolidés, tendant à ce que les États membres appliquent des critères identiques lorsqu'ils définissent la sanction à imposer à l'encontre, notamment, d'un commissaire aux comptes. A cet égard, il est constaté que l’intéressé a été sanctionné pour des faits qui ont donné lieu par une condamnation pénale définitive et par la commission restreinte du Haut conseil dans le respect de ceux des critères énumérés par l’art. précité du code de commerce qui sont pertinents au regard des faits de l’espèce.

Ensuite, la sanction de la radiation n’est pas, ici, disproportionnée eu égard à la gravité des infractions commises par une personne experte en cette matière et dont la fonction principale est de certifier la sincérité des comptes qui lui sont soumis, par ailleurs président d’une compagnie régionale des commissaires aux comptes.

(12 novembre 2020, M. A., n° 425701)

 

158 - Architectes – Procédure disciplinaire – Respect des droits de la défense - Distinction, pour l’exercice de ces droits, entre la phase préalable à la saisine de la chambre régionale de discipline de l’ordre des architectes et la procédure de sanction – Délai de dépôt du rapport non prescrit à peine de nullité – Rejet.

Un architecte contestait la sanction disciplinaire prise à son encontre par l’instance disciplinaire ordinale. Son recours est rejeté. C’est sur le régime procédural disciplinaire que cette décision est intéressante.

Le demandeur faisait valoir que, pendant la phase préalable d'enquête administrative, il n’avait pas été informé que les éléments recueillis au cours de son audition par la commission de déontologie étaient susceptibles d'être utilisés dans le cadre d'une procédure disciplinaire, ni, non plus, qu'il pouvait se faire assister par un conseil. En conséquence il estimait qu’il avait été porté une atteinte irrémédiable au principe des droits de la défense garanti par l’art. 6 de la Convention EDH.

Le Conseil d’État, réitérant sa jurisprudence antérieure, rappelle que ce principe ne joue de façon obligatoire que durant la procédure juridictionnelle de sanction qui n’est ouverte qu’à compter de la notification qui lui est faite des griefs.

Par ailleurs, appliquant une jurisprudence constante, le juge rappelle que les obligations (comme ici l’obligation pour le rapporteur de déposer son rapport dans les trois mois de la saisine de la chambre régionale de discipline) enfermées dans un certain délai dont l’irrespect n’est pas sanctionné ne sont pas irrégulières du seul fait que le délai prévu n’a pas été respecté.

(12 novembre 2020, M. D., n° 428931)

 

159 - Chirurgien-dentiste – Procédure disciplinaire – Faits reprochés – Incrimination incompatible avec le droit de l’Union interprété par la CJUE – Sanction néanmoins prononcée – Annulation.

Encourt la cassation la décision de la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des chirurgiens-dentistes qui sanctionne un chirurgien-dentiste sur le fondement du 3° de l’art. R. 4127-215 du code de la santé publique en constatant que cette disposition n’est pas incompatible avec le droit de l’Union alors qu’il résulte de décisions de la CJUE (4 mai 2017, Luc Vanderborght, C. 339/15 ; 23 octobre 2018, Conseil départemental de l’ordre des chirurgiens-dentistes de la Haute-Garonne, C- 296/18) que ce dernier (art. 56 du traité sur le fonctionnement de l’Union et art. 8 § 1 de la directive du 8 juin 2000 dite « sur le commerce électronique ») s’oppose aux dispositions réglementaires qui interdisent de manière générale et absolue toute publicité et toute communication commerciale par voie électronique, telles que celles qui figurent au 5ème alinéa de l'article R. 4127-215 du code de la santé publique sur le fondement duquel la chambre disciplinaire s’est fondée pour infliger une sanction.

(18 novembre 2020, M. B., n° 431554)

(160) V. aussi, identique : 23 novembre 2020, Mme B. et SELARL Agnès B., n° 434354.

 

161 - Professionnels de santé – Syndicat de médecins demandant à figurer sur la liste des organisations syndicales admises à présenter des listes de candidats aux élections pour le renouvellement des unions régionales des professionnels de santé – Refus du ministre – Référé liberté (art. L. 521-2 CJA) – Urgence (existence) – Illégalité manifeste (existence) – Atteinte à une liberté fondamentale (existence) – Injonction au ministre d’inscrire l’organisation requérante sur la liste litigieuse – Annulation de l’ordonnance contraire.

Le syndicat requérant se plaignait du refus du ministre de la santé de l’inscrire sur la liste des organisations syndicales admises à présenter des listes de candidats aux élections organisées pour le prochain renouvellement des unions régionales des professionnels de santé en tant que cet arrêté ne l'inclut pas parmi les organisations en question.

Il interjette appel de l’ordonnance rejetant sa requête.

Le Conseil d’État lui donne raison.

Tout d’abord, existe une urgence certaine dans la mesure où, du fait de son absence de la liste, ce syndicat ne pourra pas avoir de représentants au sein de la commission du vote électronique, dont le rôle est très important, qui doit se réunir pour la première fois le 19 novembre 2020 pour adopter son règlement intérieur.

Ensuite, ce refus est fondé sur l’absence de présence de ce syndicat dans au moins la moitié des départements or cette « règle » a été fixée par le ministre de la santé qui n’était pas compétent à cet effet. Elle est donc manifestement illégale et porte atteinte à la liberté syndicale qui est une liberté fondamentale au sens et pour l’application de l’art. L. 521-2 CJA.

Le juge enjoint le ministre d'inscrire le syndicat requérant sur la liste des organisations syndicales admises à présenter des candidats aux élections organisées en vue du renouvellement des unions régionales des professionnels de santé.

(18 novembre 2020, Syndicat Jeunes Médecins, n° 446300)

 

162 - Vétérinaires – Régime disciplinaires – Liste des sanctions – Infliction d’une sanction non prévue – Illégalité – Cassation avec renvoi.

Est illégale en ce qu’elle méconnaît le principe de légalité des peines, la décision de la chambre nationale de discipline de l’ordre des vétérinaires qui inflige à une société d’exercice libéral une « réprimande » qui n’est prévue par aucun texte.

(23 novembre 2020, Société Sudelvet Conseil, n° 421749)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

163 - Question prioritaire de constitutionnalité dirigée contre l’interprétation jurisprudentielle constante du 1 de l’art. 109 du CGI - Compte d’associé – Inscription d’une somme sur ce compte – Somme revêtant la nature d’un revenu distribué imposable dans le chef de cet associé – Inscription résultant d’une erreur comptable involontaire – Circonstance sans effet faute de correction avant la clôture de l’exercice – Rejet.

(13 novembre 2020, M. A., n° 436792) V. n° 81

 

164 - Défense des intérêts de la défense et de la sécurité nationale de la France – Loi du 1er août 2019 – Régime d’exploitation des réseaux radioélectriques mobiles – Atteinte à la garantie des droits, à la liberté d'entreprendre, et au principe d'égalité devant les charges publiques – Moyens présentant un caractère sérieux – Renvoi d’une QPC.

Les sociétés requérantes, à l’appui de leurs demandes d’annulation du décret du 6 décembre 2019 relatif aux modalités de l'autorisation préalable de l'exploitation des équipements de réseaux radioélectriques prévue à l'article L. 34-11 du code des postes et des communications électroniques et de l'arrêté du 6 décembre 2019 fixant la liste des appareils prévue par l'article L. 34-11 du même code, soulèvent la question de la conformité à la liberté d'entreprendre, au principe d'égalité, à la garantie des droits, au droit à bénéficier d’un recours juridictionnel effectif et aux principes constitutionnels applicables en matière pénale, de la loi du 1er août 2019 visant à préserver les intérêts de la défense et de la sécurité nationale de la France dans le cadre de l'exploitation des réseaux radioélectriques mobiles.

Jugeant cette contestation de caractère sérieux, le Conseil d’État la renvoie au Conseil constitutionnel.

(18 novembre 2020, Société Bouygues Télécom, n° 442120 ; Société SFR, n° 443279)

 

165 - Qualité des eaux destinées à l’alimentation humaine – Instauration d’un périmètre de protection rapprochée autour du lieu de captage – Méconnaissance du droit de propriété – Oui et non – Renvoi d’une QPC.

Les demanderesses critiquaient la constitutionnalité, d’une part, de l’art. L. 1321-2 du code de la santé publique (CSP) et, d’autre part, de cet article combiné avec le IX de de l’art. 61 de la loi du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé, en ce qu’ils méconnaissent le droit de propriété du fait : 1°/ qu’ils imposent l'acquisition en pleine propriété des terrains situés dans le périmètre de protection immédiate autour du point de prélèvement d'eau pour assurer la protection de la qualité des eaux destinées à l'alimentation humaine alors que celle-ci n'est pas indispensable à la protection du captage d'eau en cause ; 2°/ que le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence en s'abstenant de désigner le bénéficiaire de l'expropriation, de fixer des critères pour la détermination des périmètres et de prévoir une procédure contradictoire permettant aux intéressés d'être informés des motifs de l'acquisition et de présenter des observations. 

Le renvoi est refusé en tant que la demande porte sur l’art. L. 1321-12 du CSP dans sa version issue de la loi du 12 juillet 2010 car la déclaration d’utilité publique, dans le silence de la loi sur ce point, est régi par le droit commun (art. L. 121-1 et s. du code de l’expropriation).

En revanche, la QPC est renvoyée en tant qu’elle vise le IX de l’art. 61 de la loi du 24 juillet 2019 car ses dispositions ont pour effet de maintenir l'instauration de périmètres de protection rapprochée dans des situations pour lesquelles le législateur a désormais prévu que celle-ci n'était plus requise dans les cas où un arrêté d'ouverture d'une enquête publique relative à l'instauration d'un périmètre de protection a déjà été publié à la date de publication de la loi introduisant ces dérogations nouvelles. La question présente un caractère sérieux et elle est nouvelle.

(19 novembre 2020, Mme B. et autres, n° 439424)

 

166 - TVA – Assiette pour le calcul de la TVA – Remises conventionnelles – Montant inclus dans l’assiette du calcul de la TVA – Inconstitutionnalité – QPC – Rejet.

La requérante avait soulevé une question prioritaire de constitutionnalité à l’encontre du 1 du I de l’art. 1586 sexies du CGI en ce qu’en incluant les remises conventionnelles prévues à l’art. L. 162-18 du code de la sécurité sociale dans l’assiette du calcul de la TVA due, il méconnaît les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques respectivement garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789.

Le Conseil d’État rejette cette demande par un raisonnement qui peine à convaincre, au motif que le texte querellé ne crée pas une différence de traitement entre sociétés se trouvant, au regard de l'objet de la loi fiscale, dans la même situation. Il est étrange de considérer qu’une loi fiscale ne crée pas de discrimination entre deux catégories différentes de sociétés alors que c’est la loi elle-même non la nature des choses qui répartit ces sociétés entre catégories distinctes. Gageons que la CJUE trouvera à redire à une telle conception de la discrimination fiscale, doublée ici d’une discrimination à rebours.

(20 novembre 2020, Société Novartis Pharma, n° 443200)

 

Responsabilité

 

167 - Licenciement d’un salarié protégé pour inaptitude physique – Autorisation administrative refusée – Annulation de ce refus – Action en réparation formée par l’employeur du chef du préjudice subi par suite de l’illégalité du refus d’autoriser le licenciement – Obligation pour la juridiction saisie de vérifier si ce refus aurait pu être opposé dans le cadre d’une procédure régulière – Annulation de l’arrêt de rejet.

Lorsque l’employeur auquel l’administration a irrégulièrement refusé l’autorisation de licencier un salarié protégé se prévaut d’un préjudice du fait de cette illégalité, il appartient au juge saisi, le cas échéant, en tenant compte du motif pour lequel a été annulée cette décision, de déterminer si la même décision aurait pu légalement être prise dans le cadre d'une procédure régulière.

Pour n’avoir pas opéré cette recherche l’arrêt d’appel est cassé.

(4 novembre 2020, Société Lidl, n° 428198)

(168) V. aussi, décidant que commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui se fonde, pour refuser d’apercevoir un lien direct entre le versement par l’employeur d’une indemnité au salarié protégé licencié et l’illégalité de l’autorisation administrative de licenciement, sur la seule circonstance que le conseil des prud’hommes a jugé ce licenciement comme étant sans cause réelle et sérieuse. Il incombait à la cour de rechercher si le conseil des prud’hommes avait retenu cette qualification du seul fait de l’annulation de l’autorisation de licencier par le juge administratif : 4 novembre 2020, Société Financière Mag venant aux droits de la société Novopac, n° 428741, n° 428743 et n° 428744.

 

169 - Émeute urbaine ayant provoqué l’incendie d’un garage – Responsabilité de l’État (art. L. 2216-3 CGCT) – Compagnie d’assurances subrogée dans les droits de l’exploitant du garage – Demande d’indemnisation des dommages causés aux bâtiments – Propriétaire du garage n’étant pas l’assuré de la compagnie d’assurances – Absence de subrogation légale – Irrecevabilité des moyens nouveaux en cassation fondés sur la subrogation conventionnelle – Rejet du pourvoi et du pourvoi incident.

Une émeute urbaine ayant provoqué l’incendie d’un garage, l’État a été actionné en responsabilité sur le fondement des dispositions de l’art. L. 22216-3 du CGCT et condamné à indemniser l’assureur, subrogé dans les droits de son assuré, au titre des dommages couverts par l’assurance soit ceux causés aux véhicules et au contenu du garage. En revanche la cour administrative d’appel avait refusé que la subrogation soit étendue à l’indemnisation des dommages subis par les bâtiments ceux-ci n’étant pas la propriété de l’assuré mais celle d’une SCI distincte de la société exploitant le garage, SCI non assurée auprès de cette compagnie d’assurances.

L’assureur se pourvoit en cassation notamment en arguant de ce que la société exploitant le garage était elle-même assurée pour le compte de la SCI de sorte que, en vertu des dispositions de l’art. L. 112-1 du code des assurances selon lesquelles la subrogation est légale ou conventionnelle, la subrogation dont il se prévaut était en l’espèce de nature conventionnelle.

Le moyen est rejeté car nouveau en cassation l’assureur ne s’étant jusque-là fondé dans son action que sur les seules dispositions de l’art. L. 112-12 du code précité lesquelles ne concernent que la subrogation légale. De plus, devant la cour, il n’avait pas été soutenu que l’exploitant du garage s’était assuré pour le compte de la SCI et la cour n’avait point à rechercher d’office si un tel lien existait.

Semblablement, est rejeté comme nouveau en cassation le moyen tiré de ce que l’assureur était tenu d'indemniser la SCI, sur le fondement des articles L. 121-13 et L. 124-3 du code des assurances, dans la mesure où son assurée était civilement responsable du dommage. Cette obligation étant de nature conventionnelle ne pouvait être soulevée en cassation alors que n’avait été soulevée qu’une subrogation légale.

(5 novembre 2020, Société Mutuelle du Mans Assurances, n° 427658)

 

170 - Responsabilité hospitalière – Faute commise par l’hôpital - Perte de chance d’obtenir une amélioration de l’état de santé – Indemnisation non du dommage corporel mais de la perte de chance de ne pas le subir – Calcul – Cassation avec renvoi.

Rappel de ce que, en cas de faute commise par un hôpital ayant compromis ses chances d’obtenir une amélioration de son état de santé antérieur ou d’échapper à son aggravation, le préjudice n’est pas constitué par le dommage corporel lui-même mais par la perte de chance que ce dommage corporel ne survienne ; la réparation ne doit donc porter que sur la fraction du dommage corporel liée à l’ampleur de la chance perdue.

En l’espèce, la cour avait estimé que la faute de l’hôpital avait entraîné pour l'intéressé une perte de chance de 50 % d'éviter la survenue du dommage, puis avait ordonné la réparation de l’entier préjudice subi. Cassant ce raisonnement, le Conseil d’État  rappelle la bonne méthodologie de calcul : « il incombait à la cour, pour fixer le taux de la perte de chance subie, d'additionner, d'une part, le taux de sa perte de chance de se soustraire à l'opération, c'est-à-dire la probabilité qu'il ait refusé l'opération s'il avait été informé du risque qu'elle comportait et, d'autre part, le taux de sa perte de chance résultant des fautes médicales commises lors de l'intervention et dans la prise en charge post-opératoire, ce taux étant multiplié par la probabilité qu'il ait accepté l'opération s'il avait été informé du risque qu'elle comportait. Compte tenu des taux de perte de chance (…) que la cour avait souverainement appréciés, il devait en résulter un taux global de 50 % + (50 % x 50 %) = 75 %. » Et non 100% comme retenu par la cour.

(5 novembre 2020, Centre hospitalier Métropole Savoie, n° 428006)

 

171 - Responsabilité hospitalière – Obligation d’information du patient sur les risques que comporte l’acte de diagnostic ou de soin – Étendue de cette obligation – Preuve non rapportée par un centre hospitalier de l’exercice de son devoir d’information – Absence de faute, les circonstances de l’espèce laissant présumer l’existence d’un consentement en cas d’information complète – Rejet.

Le code de la santé publique crée un droit pour toute personne d’être informée sur son état de santé et fait découler de là l’obligation, préalablement à son consentement à un acte médical, de lui délivrer l’information la plus complète sur les risques encourus ainsi que l’existence, ou non, d’autres solutions.

En l’espèce, la requérante n’avait pas été complètement informée des risques et/ou des alternatives thérapeutiques. Si, en première instance, elle avait obtenu réparation de la perte de chance de ne pas subir le dommage qui aurait résulté d’une information correcte, en appel, la cour a estimé que ce nonobstant la requérante devait être regardée comme ayant consenti à l’intervention médicale litigieuse.

Le Conseil d’État juge tout d’abord qu’en principe, le défaut d’information ou l’insuffisance de celle-ci, lorsque l’acte en cause, réalisé dans les règles de l’art, s’est révélé dommageable, engage la responsabilité pour faute de l’établissement hospitalier à raison de la perte de chance de ne pas subir le dommage en se soustrayant audit acte.

Ensuite, appliquant les dispositions de l’art. L. 1111-2 du code de la santé publique, le juge rappelle que cette information concerne deux catégories de risques connus : ceux présentant une fréquence statistique significative et ceux qui ont un caractère grave quelle que soit la fréquence de leur survenue.

Enfin, est réservée l’exception que constitue le cas où l’instruction du dossier révèle que, « compte tenu de ce qu'était l'état de santé du patient et son évolution prévisible en l'absence de réalisation de l'acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées ainsi que de tous autres éléments de nature à révéler le choix qu'il aurait fait, qu'informé de la nature et de l'importance de ce risque, (la victime) aurait consenti à l'acte en question. »

En ce cas, l’indemnisation n’est pas due ainsi que l’a jugé la cour administrative d’appel.

(Section, 20 novembre 2020, Mme A. c/ CHR de la Martinique et autre, n° 419778).

 

172 - Fonctionnaire victime d’un accident de service – Imputation du préjudice à la collectivité publique employeur et à une autre collectivité publique – Demande de condamnation solidaire – Principe du forfait de pension - Office du juge – Obligation de ventiler les différents chefs de préjudice et d’en attribuer la charge à chacune d’elles – Annulation.

(18 novembre 2020, Ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, n° 427325) V. n° 125

 

173 - Responsabilité pour illégalité fautive d’une décision non réglementaire – Possibilité de demander réparation du préjudice en résultant – Possibilité demeurant même après que la décision soit devenue définitive – Erreur de droit – Cassation sans renvoi, le Conseil d’État réglant l’affaire au fond.

Dans un litige opposant l’établissement public administratif Masse des douanes à l’un de ses agents pour des créances locatives non payées, le juge rappelle – et c’est le motif de la cassation de l’arrêt d’appel prononcée ici – que la circonstance qu’une décision non réglementaire dont l’illégalité a causé un préjudice soit devenue définitive ne fait pas obstacle à l’introduction d’une action en réparation du chef de ce préjudice, pour autant, doit-on ajouter, que la créance alléguée ne soit pas atteinte par la prescription quadriennale.

(5 novembre 2020, M. C., n° 429770)

 

174 - Agence régionale de santé (ARS) (ex-agence de l’hospitalisation ou ARH) – Création d’un groupement de coopération sanitaire (GCS) des urgences puis dissolution de cet organisme – Créances d’un médecin pour ses activités d’urgence non rémunérées – Détermination de la personne responsable – Rejet.

Une ARS crée un groupement de coopération sanitaire des urgences entre hôpitaux publics et cliniques privées de la région Basse-Normandie. Un médecin accomplit dans ce cadre des prestations d’urgence pour lesquelles il n’est pas rémunéré. Il saisit le juge, d’une part, d’une demande tendant à ce que l’ARS soit condamnée à réparer son préjudice financier du fait de l’absence de rémunération, et, d’autre part, à ce qu’un hôpital public, le centre hospitalier de la Côte fleurie, ainsi que le groupement de coopération sanitaire des urgences de la Côte fleurie soient également condamnés à la réparation du même préjudice.

La cour administrative d’appel, dans sa décision du 22 septembre 2017, ayant retenu la responsabilité pour faute du groupement sanitaire, elle a nécessairement rejeté la responsabilité de l’ARH/ARS et donc celle de l’État puisque l’ARS agissait au nom de l’État pour la constitution du GCS.

Elle a également jugé que la dissolution de ce groupement, créé deux ans plus tôt à titre expérimental, n’était que la conséquence du comportement de deux établissements hospitaliers membres de celui-ci et non la conséquence directe d’une faute qu’aurait commise l’ARS. L’action du requérant a donc été rejetée en tant que dirigée contre l’ARS.

Enfin, le requérant ayant fait valoir dans la présente espèce qu’il n’avait rien reçu du GCS après sa condamnation par la cour, cette action ne pouvait remettre en cause son précédent arrêt, passé en force de chose jugée et il appartient à celui-ci, se fondant sur cet arrêt, d’en réclamer le paiement à la ou aux personne(s) juridique(s) ayant succédé au groupement dissous.

Le Conseil d’État confirme entièrement l’arrêt.

(6 novembre 2020, M. B., n° 426102)

 

175 - Préjudice consécutif à la faute commise dans un établissement de santé – Préjudice corporel – Distinction entre la faute entraînant la perte d’une chance de ne pas subir le dommage et la faute cause du dommage – Régimes distincts de réparation – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

Rappel qu’il convient de distinguer, pour la réparation d’un dommage corporel consécutif à une faute commise lors de la prise en charge d'un patient dans un établissement de santé, selon que la faute a seulement compromis les chances du patient d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, ou qu’elle a fait naître le dommage qui n’aurait pas existé sans cette faute.

Dans le premier cas, en raison de ce que le dommage corporel avait une certaine probabilité de survenir en l'absence de faute commise par l'établissement, le préjudice résultant de cette faute n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu.

Dans le second cas, dès lors que le dommage corporel ne serait pas survenu en l'absence de la faute commise par l'établissement, le préjudice qui en résulte doit être intégralement réparé.

(27 novembre 2020, Mme I. et autres, n° 426936 ; CPAM d’Ille-et-Vilaine, n° 427032)

 

176 - Accidents médicaux – Prise en charge de la réparation par l’Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) au titre de la solidarité nationale – Condition d’anormalité au regard de l’état de santé du patient (art. D. 1142-1 code de la santé publique) – Survenue de troubles prématurés – Durée de la réparation en cas de méconnaissance du terme du préjudice – Rejet.

Suite aux préjudices causés par une radiothérapie à un patient atteint d'une neurofibromatose de type II, qui est une maladie génétique évolutive, la cour administrative d’appel, confirmant sur ce point le jugement de première instance, a mis une partie de la réparation à la charge de l’ONIAM. Ce dernier se pourvoit.

Rejetant le recours, le Conseil d’État approuve la cour d’avoir jugé qu’étaient réparables au titre de la solidarité nationale, à raison de leur anormalité, les préjudices subis de façon prématurée par la victime alors même qu’à raison de son état de santé celle-ci y était tout de même exposée à long terme.

Par ailleurs, l’ONIAM ne saurait contester avoir été condamné à indemniser des troubles au-delà de la date à laquelle, en l’absence de traitement médical, ceux-ci seraient de toute façon survenus du fait de l’évolution attendue de la pathologie.

Le juge considère en outre qu’en l’absence de certitude sur le moment où ces préjudices seraient survenus en l’absence d’accident, l’art. L. 1142-1 CSP fait obstacle à que la réparation au titre de la solidarité nationale soit limitée à cette échéance.

(13 novembre 2020, ONIAM, n° 427750)

 

177 - Infection nosocomiale – Action en responsabilité de ce chef - Substitution de la responsabilité de l’Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à celle de l’Établissement français du sang – Point de départ de l’effet de substitution – Existence d’un contentieux en cours au 1er juin 2010 – Existence d’une demande préalable d’indemnisation antérieurement à cette date – Circonstance n’emportant pas substitution – Cassation avec renvoi partiel.

Une disposition de la loi du 17 décembre 2008 (le IV de son art. 67), de financement de la sécurité sociale pour 2009 a prévu qu’à compter du 1er juin 2010 l’ONIAM se substituerait à l'Etablissement français du sang dans les contentieux en cours au titre des préjudices nés d’infections nosocomiales n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable.

Une cour administrative d’appel a estimé qu’une victime ayant adressé à l’ONIAM le 3 mai 2010 une demande préalable d’indemnisation en vue que soient réparés ses préjudices résultant d’une infection nosocomiale, l’ONIAM se trouvait, par l’effet de ce texte, substitué à l’Etablissement français du sang dans l’exercice de son obligation de réparer.

L’arrêt est cassé, le Conseil d’État rappelant, à juste titre, que cette disposition de vise que les contentieux en cours à la date fixée or une demande préalable d’indemnisation ne constitue pas un « contentieux » car seul son éventuel rejet aurait pour effet de lier le contentieux.

(13 novembre 2020, ONIAM, n° 424358)

 

178 - Responsabilité contractuelle des titulaires d’un marché public de travaux – Responsabilité quasi-délictuelle des participants non contractuels aux travaux en cause – Appel en garantie de sous-traitants d’un marché public – Compétence de la juridiction administrative – Rejet.

Des malfaçons s’étant révélées, à la suite d’une tempête, sur la partie maritime d'un émissaire en mer de la station de prétraitement des eaux usées de Saint-Pierre, ont été recherchées les responsabilités en cause.

Le Conseil d’État, approuvant l’arrêt d’appel qui était frappé de pourvoi devant lui, rappelle deux points importants.

Tout d’abord, le litige né de l'exécution d'un marché de travaux publics et opposant des participants à l'exécution de ces travaux relève de la compétence de la juridiction administrative, sauf si les parties en cause sont unies par un contrat de droit privé.

Ensuite, dans le cadre d'un tel litige, le titulaire du marché peut rechercher la responsabilité quasi-délictuelle des autres participants à la même opération de construction avec lesquels il n'est lié par aucun contrat, notamment s'ils ont commis des fautes qui ont contribué à l'inexécution de ses obligations contractuelles à l'égard du maître d'ouvrage, sans devoir se limiter à cet égard à la violation des règles de l'art ou à la méconnaissance de dispositions législatives et réglementaires.

(6 novembre 2020, Société IOTA Survey et Maître A., commissaire au plan de redressement de cette société, n° 428457)

 

179 - Essais nucléaires français dans le Pacifique – Indemnisation des victimes de tels essais – Institution d’une présomption légale de causalité – Conditions dans lesquelles peut être combattue cette présomption – Preuve non rapportée en l’espèce – Rejet sans renvoi, le Conseil d’État statuant au fond.

Le législateur a prévu par la loi du 5 janvier 2010 l’indemnisation des personnes démontrant avoir été victimes des essais nucléaires menés par la France à Mururoa. Cette loi a fait l’objet de deux modifications successives, par la loi du 28 février 2017 et par celle du 17 juin 2020.

Par la loi du 28 décembre 2018, déclarée applicable aux instances en cours (cf. art. 57 de la loi du 17 juin 2020), a été, d’une part, au V de son art. 4, fixé le régime de la présomption de causalité entre l’exposition aux rayonnements ionisants produits par ces essais et la survenance de la maladie dont souffrent lesdites victimes et, d’autre part, en son art. 232, élargie la possibilité, pour l’administration, de combattre cette présomption.

Après avoir cassé l’arrêt d’appel pour erreur de droit en ce qu’il a fait application aux faits de l’espèce de la loi précité du 28 décembre 2018 alors qu’étaient encore applicables les dispositions de la loi du 28 février 2017, le Conseil d’État examine dans cette importante décision les conditions de combinaison par le nouveau système législatif de la présomption de causalité et des moyens de la combattre.

Par une interprétation constructive du texte qu’il faut approuver, le juge considère que l’administration, pour rapporter la preuve de l’inapplicabilité de la présomption légale, ne doit pas se limiter à des observation générales fondées sur la circonstance que la dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires a été, à une certaine époque et en un certain lieu, inférieure à la limite de 1 millisievert (mSv), elle doit établir qu’il en est bien ainsi pour la victime compte tenu des conditions concrètes dans lesquelles elle s’est trouvée au moment et au lieu où elle a reçu ces radiations ionisantes.

Sans que la présomption de causalité soit vraiment irréfragable, l’exigence très étendue de la preuve contraire la rend tout de même très difficile à combattre. Ceci est cependant, nous semble-t-il, conforme à l’intention du législateur qui a rendu automatique le droit à l’indemnisation dès que sont réunies dans le chef de la victime les conditions de lieu, de temps et de pathologie énoncées à l’art. 2 de la loi du 5 janvier 2010 modifiée.

(6 novembre 2020, Ministre des armées, n° 439003)

 

180 - Responsabilité au titre de la police sanitaire – Défaillance de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) devenue l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) dans sa mission de contrôle de prothèses mammaires – Responsabilité de l’État pour faute simple, du fait du comportement de l’AFSSAPS, en cas de préjudice direct et certain – Absence de faute en l’espèce – Rejet.

Le Conseil d’État était saisi d’un pourvoi dirigé contre un jugement qui avait rejeté sa demande d’indemnisation du préjudice qu’elle aurait subi du fait de la défaillance de l’organisme de contrôle des produits de santé, ici des prothèses mammaires.

L’action visait l’AFSSAPS (devenu l’ANSM) au titre du mauvais exercice de la police sanitaire relative aux dispositifs médicaux qu’elle exerce au nom de l’État, sur le fondement des dispositions des articles L. 5212-2, L. 5311-1 et L. 5312-1 du code de la santé publique pris pour la transposition en droit interne des dispositions de la directive du 14 juin 1993 relative aux dispositifs médicaux (art. 3, 4, 8, 10, 11, 16 et 17).

Il convient d’indiquer que les textes dont obligation aux fabricants de dispositifs médicaux de s’adresser à un « organisme notifié », chargé d’évaluer la conformité du système de qualité du fabricant aux prescriptions de la directive, au moyen de l’évaluation de la documentation relative à la conception du produits concernés, d’une visite dans les locaux du et d’un examen du dossier de conception relatif au produit. Cet organisme effectue périodiquement aux inspections et aux évaluations appropriées afin de s'assurer que le fabricant applique le système de qualité approuvé.

Il est essentiel de noter deux éléments car ils ont une incidence directe sur la solution retenue par le Conseil d’État. : 1°/ le fabricant peut s'adresser à l'organisme de son choix, dès lors qu'il a été désigné pour effectuer les tâches correspondantes par un État membre et notifié à la Commission et aux autres États membres ; 2°/ il est interdit aux États membres (cf. art. 4 § 1 de la directive) de faire obstacle, sur leur territoire, à la mise sur le marché et à la mise en service de dispositifs médicaux portant le marquage CE, lequel indique qu'ils ont été soumis à une évaluation de leur conformité conformément à l’art. 11 de la directive.

C’est donc dans ce cadre juridique se situe l’action de police sanitaire de l’autorité française de contrôle.

Le Conseil d’État indique d’abord, et c’est l’apport principal de la décision, « eu égard tant à la nature des pouvoirs conférés (…) à l'AFSSAPS, agissant au nom de l'État, en matière de police sanitaire relative aux dispositifs médicaux, qu'aux buts en vue desquels ces pouvoirs lui ont été attribués, la responsabilité de l'État peut être engagée par toute faute commise dans l'exercice de ces attributions, pour autant qu'il en soit résulté un préjudice direct et certain. »

Ensuite, sur la base juridique décrite plus haut, le juge de cassation estime que c’est sans erreur de droit que le tribunal administratif a jugé que l’AFSSAPS n’avait commis aucune faute en l’espèce, la fraude dans le choix d’un gel de remplissage des prothèses autre que celui mentionné dans la documentation destinée aux différents contrôles lui ayant été cachée tandis qu’aucun signalement, doute ou autre de l’organisme notificateur n’a été porté à la connaissance de l’AFSSAPS.

Par suite, le recours de la demanderesse à fins indemnitaires est rejeté.

(16 novembre 2020, Mme C., n° 431159)

(181) V. la solution inverse adoptée dans le cas d’un jugement qui a estimé fautif le comportement de l’AFSSAPS qui, informée en octobre et novembre 2009, du nombre croissant de prothèses mammaires défectueuses, a attendu le 18 décembre 2009 pour convoquer la société fabricante et solliciter des explications de sa part : 16 novembre 2020, Ministre des solidarités et de la santé, n° 437600.

 

182 - Délai de prescription de l’action en responsabilité – Régime nouveau issu de l’art. 2224 du Code civil (loi du 17 juin 2008) – Point de départ du délai de prescription – Connaissance certaine et entière du seul dommage non de son(ses) auteur(s) – Erreur de droit – Cassation et renvoi dans cette mesure.

La loi du 17 juin 2008 a modifié les dispositions du Code civil régissant la prescription des actions en matière de responsabilité civile extracontractuelle. Celle-ci a désormais une durée de dix ans « à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer » (art. 2224 C. civ). De plus, lorsque la prescription de dix ans n’était pas acquise avant l’entrée en vigueur de la loi de 2008 cela ne saurait avoir pour effet de prolonger celle-ci au-delà de dix années.

Dans cette affaire, la cour administrative d’appel avait jugé que l’action dont des requérants avaient saisi la justice le 12 juillet 2016, à propos de désordres constatés en juin 2002 sur leur propriété, n’était pas prescrite car l’identité de tous les responsables n’a été connue par eux qu’à compter du dépôt du rapport d’expertise, soit le 21 juillet 2015.

L’arrêt est cassé motif pris que le Code civil ne prend en considération comme point de départ du délai de prescription que le moment de la connaissance du dommage non celui de la connaissance de(des) l’auteur(s) du dommage.

(20 novembre 2020, Société Suez Eau France, n° 427250 ; v. aussi, même affaire : 20 novembre 2020, Société Suez Eau France, n° 427254)

(183) V. aussi, sur le même sujet et très voisin : 20 novembre 2020, Société Veolia Eau - Compagnie générale des eaux, n° 432678.

 

184 - Comptabilité publique – Créances sur une personne publique – Régime de la prescription quadriennale – Réparation d’un dommage corporel – Point de départ du délai – Cassation avec renvoi.

(20 novembre 2020, M. B., n° 434018) V. n° 63

 

Santé publique

 

185 - Agence régionale de santé (ARS) (ex-agence de l’hospitalisation ou ARH) – Création d’un groupement de coopération sanitaire (GCS) des urgences puis dissolution de cet organisme – Créances d’un médecin pour ses activités d’urgence non rémunérées – Détermination de la personne responsable – Rejet.

(6 novembre 2020, M. B., n° 426102) V. n° 174

 

186 - Haute autorité de santé (HAS) – Règles de bonne pratique recommandées - Édiction par cette dernière d’une « fiche mémo » pour le traitement de la lombalgie commune – Acte faisant grief – Régularité de la procédure d’adoption de la « fiche mémo » litigieuse - Classement, sans erreur, des techniques manuelles de traitement de la lombalgie en seconde intention – Rejet.

(16 novembre 2020, Institut franco-européen de chiropraxie (IFEC), et association française de chiropraxie (AFC), n° 431120) V. n° 3

 

187 - Épidémie de Covid-19 – Question posée par un parlementaire au sujet d’un accord franco-chinois de 2004 en matière de prévention et de lutte contre les maladies infectieuses émergentes.  - Référé liberté en vue qu’il soit ordonné au ministre de la santé de répondre d’urgence à cette question – Rejet.

L’association requérante demandait au juge du référé liberté qu’il prononce injonction au ministre de la santé d’apporter une réponse à la question parlementaire de savoir si les autorités chinoises ont respecté les clauses de l'accord franco-chinois du 9 octobre 2004 relatif à la prévention et à la lutte contre les maladies infectieuses émergentes.

Elle faisait valoir l’absence d’explication cohérente à ce jour de la virulence de l’épidémie, l’existence d’informations publiques contradictoires, l’angoisse de la population et l’incertitude sur le respect par les autorités chinoises de leurs obligations découlant de cet accord.

Toutefois, relevant que la demanderesse n’établit pas l’urgence de la situation ainsi décrite, le juge rejette le référé.

(ord. réf. 16 novembre 2020, Association Union nationale des associations citoyennes de santé (UNACS), n° 445952)

 

188 - Certification des comptes des établissements hospitaliers – Mission confiée aux commissaires aux compte – Traitement des données – Accès aux données du dossier médical du patient – Mission dévolue à des prestataires extérieurs – Données devant faire l’objet de protections techniques adéquates – Illégalité partielle du décret d’application de l’art. L. 6113-7 du code de la santé publique (CSP) - Régime transitoire en attente de l’édiction de la réglementation complémentaire.

(25 novembre 2020, Conseil national de l’ordre des médecins, n° 428451) V. n° 10

 

Service public

 

189 - Conseil économique, social et environnemental (CESE) - Composition – Représentants des salariés – Mode de désignation – Cessation des fonctions - Remplacement d’un représentant à la demande de l’organisation qui l’a choisi pour y siéger – Refus – Légalité – Rejet.

Un syndicat demande au premier ministre de procéder au remplacement de l’un des membres du collège des salariés du CESE qu’il avait désigné pour y siéger au motif qu’il a perdu la qualité en laquelle il avait été désigné, ayant été, depuis, radié du Syndicat national des journalistes. Le premier ministre ayant refusé de procéder à ce remplacement, le syndicat saisit, en vain, le Conseil d’État.

Celui-ci estime que les membres désignés par certaines organisations pour siéger au CESE ne sont pas leurs représentants et que ces dernières n’ont donc pas le pouvoir d’en demander le remplacement lorsque le motif de leur désignation a cessé d’exister, cela lors même que l’art. 9 de l’ordonnance organique du 29 décembre 1958 a prévu une procédure de démission d’office dans l’hypothèse de perte de la qualité ayant motivé la désignation et que l’article 15 du décret du 4 juillet 1984, pris en et pour l’application de l’article 7 de cette ordonnance, institue une procédure de remplacement en cas de vacance par suite de décès, démission ou pour toute autre cause, remplacement s’effectuant « dans les conditions où avait été désigné le représentant à remplacer ».

Cette solution nous semble des plus critiquables et passablement mal venue.

(4 novembre 2020, Union syndicale Solidaires, n° 426526)

 

190 - Organisation du service public – Création d’une académie de Normandie – Régime de consultation préalable à l’occasion du projet – Consultation du comité technique sans consultation du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) – Régularité – Rejet.

La fédération requérante contestait la légalité du décret portant création de l’académie de Normandie au motif qu’il n’avait pas été pris après avis du CHSCT.

Rejetant le recours, le juge est amené à préciser de façon très claire l’étendue et la portée des dispositions de l'article 34 du décret du 15 février 2011 relatif aux comités techniques dans les administrations et les établissements publics de l'État et leur combinaison avec celles de l’art. 47 du décret du 28 mai 1982 pris pour l'application de l'article 16 de la loi du 11 janvier 1984.

D’une part est rappelée une double règle concernant la soumission d’une question ou d’un projet de disposition à la consultation du CHSCT : 1°/ ce dernier ne peut être consulté que si le comité technique ne doit pas l’être lui-même ; 2° / le CHSCT ne peut être consulté que concernant la santé, la sécurité ou les conditions de travail.

D’autre part, dans le cas où l’objet de la consultation préalable porte à la fois sur des matières relevant de la compétence du comité technique et sur des matières relevant de celle du CHSCT, seul le comité technique doit être consulté.

En revanche, le comité technique, comme l’administration, peut toujours décider de consulter le CHSCT. Toutefois, il ne saurait ni subordonner son propre avis à l’existence de celui du CHSCT ni estimer irrégulière sa propre consultation en l’absence de celle du CHSCT.

C’est donc à tort qu’en l’espèce la fédération requérante a excipé de la non consultation du CHSCT pour soutenir l’irrégularité de l’avis donné par le comité technique.

(18 novembre 2020, Fédération syndicale unitaire (FSU), n° 436471)

 

Travaux publics et expropriation

 

191 - Travaux routiers – Contournement de Rouen et liaisons autoroutières – Décret déclarant ces travaux d’utilité publique – Concertation préalable suffisante – Étude d’impact – Existence de quelques insuffisances sans effets sur l’information complète du public et sur la décision de l’autorité administrative – Même solution concernant l’évaluation économique et sociale – Dossier d’enquête ni incomplet ni altéré – Complétude du rapport de la commission d’enquête –Compatibilité du projet avec le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) et le schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) – Utilité publique du projet – Rejet.

Cette décision-fleuve (plus de 75000 caractères…) concerne le contentieux des travaux publics routiers nécessités par le contournement de Rouen et l’établissement consécutive d’un certain nombre de liaisons ou jonctions autoroutières.

Des nombreuses questions de droit soulevées – et dont la longueur de l’incipit témoigne – on retiendra celle relative à la déclaration d’utilité publique dans ses rapports avec la législation sur l’eau et les conséquences à en tirer dans les dossiers comme celui présenté ici.

Le Conseil d’État apporte deux précisions d’importance.

D’une part, en principe, la déclaration d'utilité publique (DUP) de travaux relatifs à un ouvrage routier ne constitue pas, du seul fait de son objet principal, « une décision dans le domaine de l'eau » au sens des dispositions des art. L. 212-1, point XI, L. 212-5-2 et L. 214-2 du code de l’environnement.

D’autre part, il en va autrement lorsque, comme c’est le cas dans la présente affaire, le projet sur lequel porte la DUP concerne des travaux de construction et d’exploitation d’ouvrages relatifs à l’eau, notamment en matière d’inondation et de pollution des nappes aquifères. En ce cas, le décret portant DUP, revêtant le caractère d’une « décision administrative dans le domaine de l'eau », doit être compatible avec le SDAGE et le SAGE ainsi qu’il l’est d’ailleurs effectivement ici.

(19 novembre 2020, Commune de Val-de-Reuil, n° 417362 ; Sociétés Klémurs et Buffalo Grill S.A., n° 417385 ; Association Les Deux Avenues, n°419246 ; Commune d’Alizay, n°420311 ; Commune des Authieux-sur-le-Port-Saint-Ouen, n° 420313 ; Commune de Gouy, n°420316 ; Commune du Manoir-sur-Seine, n° 420317 ; Commune d’Ymare, n° 420318) ; Association des Communes pour un contournement Est soutenable (ACCES), n° 420319 ; Commune de Léry, n° 420392 ; Communes d'Oissel-sur-Seine et de Saint-Etienne-du-Rouvray, n° 430482 ; Association France Nature Environnement Normandie et autres, n° 420503 ; M. B., n° 420557)

 

192 - Opération de rénovation d’une voie urbaine – Réaménagement d’une route départementale – Obligation de prévoir une piste cyclable sur la voie ou en parallèle immédiat (art. L. 228-2 du code de l’environnement) – Création d’une « liaison douce » à plusieurs centaines de mètres de la voie – Irrégularité - Injonction de procéder sous six mois aux aménagements impliqués par l’art. L. 228-2 précité.

Dans le cadre d’une opération de rénovation d’une voie urbaine, le fait d’établir une « liaison douce » à plusieurs centaines de mètres de cette voie, ne respecte pas l’obligation de créer ou aménager une piste cyclable sur une route départementale traversant des agglomérations ou tout au long de celle-ci en parallèle, instituée par l’art. L. 228-2 du code de l’environnement.

Seul l’existence d’un obstacle tiré de la configuration des lieux pourrait justifier la non cohabitation de la circulation des véhicules automobiles et de celle des cyclistes.

(30 novembre 2020, Commune de Batz-sur-Mer, n° 432095)

 

Urbanisme

 

193 - Taxe d’aménagement – Application d’un taux majoré de cette taxe dans certains secteurs urbains – Délibération du conseil municipal ou intercommunal devant justifier de la proportionnalité du taux retenu aux investissements publics nécessités par les constructions nouvelles dans ces secteurs – Annulation avec renvoi.

L’art. L. 331-6 du code de l’urbanisme institue une taxe d’aménagement dont le taux de droit commun (pouvant s’étendre de 1% à 5%) est fixé par l’art. L. 331-14 de ce code et le taux majoré (pouvant atteindre 20%) par son art. L. 331-15.

En l’espèce, le conseil de la communauté urbaine du Grand Toulouse avait fixé, pour deux secteurs de la ville de Toulouse, un taux de 20% ramené ensuite à 16% pour les terrains d’assiette de projets immobiliers qui y sont situés.

La société requérante estimait insuffisante la motivation donnée pour justifier le choix de ce taux. Elle invoquait les dispositions de l’art. L. 331-15 précité selon lesquelles l’institution du taux majoré doit être faite : « par une délibération motivée, si la réalisation de travaux substantiels de voirie ou de réseaux ou la création d'équipements publics généraux est rendue nécessaire en raison de l'importance des constructions nouvelles édifiées dans ces secteurs.

 Il ne peut être mis à la charge des aménageurs ou constructeurs que le coût des équipements publics à réaliser pour répondre aux besoins des futurs habitants ou usagers des constructions à édifier dans ces secteurs ou, lorsque la capacité des équipements excède ces besoins, la fraction du coût proportionnelle à ceux-ci. »

Le tribunal administratif a rejeté le recours qu’elle a formé contre cette délibération aux motifs, d’une part, que la défenderesse avait justifié le choix de ce taux par l'augmentation de la population dans les secteurs en cause, les difficultés de circulation existantes, l'insuffisante capacité des équipements scolaires et l'absence d'équipements dédiés à la petite enfance et, d’autre part, qu’en l'absence de tout élément permettant de considérer que les équipements et aménagements prévus excèderaient les besoins du secteur, la seule circonstance que Toulouse Métropole n'ait produit aucune estimation du coût des travaux envisagés n'était pas, compte tenu de l'importance de ces travaux, de nature à permettre de regarder le taux retenu comme excessif.

Le Conseil d’État, appliquant la logique restrictive du texte législatif appliqué, annule ce jugement faute qu’ait été recherchée par lui la proportionnalité du taux litigieux par rapport aux coûts des travaux de voirie et de réalisation d’équipements publics.

(9 novembre 2020, Société V3J Promotion, n° 438285)

 

194 - Division d’un terrain à bâtir – Division dite « primaire » - Exception à l’application du droit régissant les lotissements – Demande de permis de construire sur une partie de l’unité existante – Division du terrain - Date d’appréciation du respect, par le pétitionnaire, des règles d’urbanisme applicables à ce terrain.

Dans cette importante décision, le juge avait à connaître du régime applicable à la division « primaire » d’une unité foncière notamment en ce qui concerne l’appréciation du respect par le pétitionnaire des règles d’urbanisme.

Alors que, normalement, la division d’un terrain à bâtir constitue un lotissement, il résulte de la combinaison des art. L. 442-1, et R. 442-1, a), ainsi que de l’ancien art. R. 123-10 (aujourd’hui art. R. 151-21) du code de l’urbanisme que la division d'une unité foncière dite « division primaire » (cf. le a) de l'art. R. 442-1 c. urb.), permet à un pétitionnaire de demander et d'obtenir un permis de construire sur une partie de l'unité foncière existante alors que la division du terrain n'est juridiquement pas encore réalisée mais dont sait déjà qu’elle interviendra après l'obtention du permis de construire.  Cette exception concerne la construction d’un groupe de bâtiments ou d’un immeuble autre qu'une maison individuelle devant être réalisée sur une partie de l'unité foncière existante. Elle permet ainsi l'obtention de l'autorisation d'urbanisme nécessaire au projet et la division de l'unité foncière existante.

Se pose alors la question du moment où il convient de se placer pour l’appréciation du respect des règles d'urbanisme.

Dans cette décision, le Conseil d’État indique tout d’abord que ce respect doit être apprécié au regard de l'ensemble de l'unité foncière existant à la date à laquelle l'administration statue sur la demande, bien que cette dernière soit informée de la division à venir. Cela peut surprendre mais se trouve conforme à logique qui sous-tend les dispositions précitées combinées entre elles.

Le juge indique ensuite que si, postérieurement à la division du terrain mais avant l'achèvement des travaux, le pétitionnaire dépose une demande de permis modificatif, il y a lieu d'apprécier la légalité de cette demande sans tenir compte des effets, sur le terrain d'assiette, de la division intervenue. 

(12 novembre 2020, SCI du 3, rue Jules Gautier à Nanterre, n° 421590)

 

195 - Déclaration préalable de travaux – Opposition du maire – Décision antérieure à l’entrée en vigueur de la version de l’art. L. 424-3 du code de l’urbanisme issue de la loi du 6 août 2015 – Maire non tenu alors d’énoncer tous les motifs justifiant son opposition à la déclaration de travaux – Erreur de droit – Cassation dans cette mesure.

Saisie d’une déclaration de travaux, l’autorité compétente en matière d’autorisations d’urbanisme peut s’y opposer pour les motifs qu’elle estime fonder son refus. Jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi du 6 août 2015, cette autorité n’était pas tenue d’exposer dans son opposition l’intégralité des motifs de refus.

Il en résultait qu’en cas d’annulation de l’opposition, son auteur avait l’obligation de réexaminer la déclaration et il pouvait s’y opposer à nouveau en se fondant sur un motif non exprimé dans son(ses) refus antérieur(s).

En l’espèce, où la décision d’opposition a été prise le 26 octobre 2012, s’appliquait donc le régime qui vient d’être décrit et non celui issu de la loi précitée de 2015. Cette dernière fait désormais obligation à l’autorité compétente d’indiquer dans sa décision d’opposition l’intégralité des motifs sur lesquels elle repose.

Commet donc une erreur de droit la cour administrative d’appel qui, appliquant le nouveau système légal alors que compte tenu de la chronologie il n’était pas applicable au litige, a, après avoir annulé son opposition, enjoint le maire de la commune de délivrer un certificat de non-opposition dans un certain délai.

(16 novembre 2020, Commune de Roquefort-les-Pins, n° 433370)

 

196 - Droit de préemption urbain – Obligation pour le juge saisi d’examiner l’ensemble des moyens de la requête – Absence – Annulation et rejet.

Doit être annulée l’ordonnance de référé qui, statuant sur l’exercice du droit de préemption urbain, ne procède pas à l’examen de tous les moyens contenus dans la requête, en violation des dispositions de l’art. L. 600-4-1 du code de l’urbanisme

(25 novembre 2020, Société In Situ Promotion, n° 442155)

 

197 - Urbanisme commercial – Extension d’un ensemble commercial – Permis de construire modificatif – Modifications substantielles – Circonstance sans effet sur la compétence dérogatoire de la cour administrative d’appel – Rejet.

Le Conseil d’État adopte une solution de simplicité, innovante mais qui n’allait pas de soi nous semble-t-il à la lecture de l’art. L. 600-10 du code de l’urbanisme selon lequel : « Les cours administratives d'appel sont compétentes pour connaître en premier et dernier ressort des litiges relatifs au permis de construire tenant lieu d'autorisation d'exploitation commerciale prévu à l'article L. 425-4 (du code de l’urbanisme) ».

En effet, le juge considère que la compétence d’exception des cours pour connaître en premier et dernier ressort des recours pour excès de pouvoir dirigé contre un permis de construire est subordonnée à la condition que ce permis tienne lieu d’exploitation commerciale ; en revanche, dès lors que cette condition est remplie, il est indifférent que ledit permis vaille autorisation de construire ou autorisation d’exploitation commerciale.

Il suit de là que s’agissant d’un recours dirigé contre le refus de délivrer un permis de construire modificatif en vue de permettre l’extension d’un ensemble commercial, la compétence de la cour pour en connaître en premier et dernier ressort est certaine dès lors que ce projet avait été soumis pour avis à une commission départementale d’aménagement commercial.

Également, il résulte de là, s’agissant de savoir si ce permis modificatif comporte, ou non, des modifications substantielles par rapport au permis originaire qui avait obtenu une autorisation d’exploitation commerciale,

1°/ que la cour n’a pas à examiner préalablement cette question,

2°/ que la cour n’a pas non plus à se prononcer préalablement sur cette question lorsque, faute que la requête ait été précédée d’une saisine de la Commission nationale d’aménagement commercial, elle la déclare irrecevable.

(18 novembre 2020, Société MG Patrimoine, Société Bellou Optique et Société aux Fleurs d'Argentan, n° 420857 et n° 420905)

 

198 - Permis de construire initial et permis modificatif – Demande d’annulation partielle – Annulation en leur entier du permis initial et du permis modificatif – Absence de motivation – Ultra petita - Cassation avec renvoi.

Encourt la cassation pour défaut de motivation le jugement qui annule entièrement un permis initial et un permis modificatif de ce dernier alors que ne lui avait été demandée qu’une annulation partielle et que n’est pas motivé le refus de faire droit à cette demande d’annulation partielle.

(18 novembre 2020, Société K et autre, n° 430602)

 

199 - Permis de construire – Avis favorable sous réserve de certains travaux de voirie – Projet ne comportant pas d’indication sur ces travaux – Annulation du permis – Erreur de droit – Obligation pour le juge de s’assurer de la réalisation certaine desdits travaux – Cassation avec renvoi.

Les services d’une métropole avaient donné un avis favorable à un projet de construction, compte tenu de la mise en sens unique de la voie desservant l'immeuble, de l'interdiction d'y stationner et de travaux d'aménagement de cette voie.

Le tribunal administratif, saisi d’un recours contre la décision accordant ce permis, a annulé ce permis au motif que le projet ne comportait pas d’éléments établissant la prise en compte des aménagements prévus.

Le Conseil d’État annule ce jugement car il appartenait seulement au juge de vérifier que la satisfaction de ces conditions était certaine dans son principe et serait effectivement réalisée au moment de l’octroi du permis.

(18 novembre 2020, Société La maison familiale de Provence, n° 429652)

 

200 - Permis de construire – Conditions de délivrance d’un permis modificatif – Cas où la construction achevée n’est pas conforme au permis sur le fondement duquel elle a été réalisée – Délai de trois mois ouvert à l’autorité compétente pour contester la non-conformité – Faculté pour le pétitionnaire de demander un nouveau permis dit de régularisation d’une construction non conforme achevée et menacée de recours contentieux – Annulation avec renvoi.

A l’occasion d’un recours dirigé contre une construction achevée pour non-conformité au permis qui l’a autorisée, le Conseil d’État décrit assez complètement le cadre juridique en résultant.

Tout d’abord, le bénéficiaire du permis en cours de validité et tant que n’est pas achevée la construction qu’il autorise, peut solliciter un permis modificatif pour autant que n’en soit pas remise en cause la conception initiale (réitération de : Section, 26 juillet 1982, Le Roy, n° 23604).

Ensuite, lorsque la construction est achevée, deux événements peuvent survenir.

1°/ Au reçu de la déclaration d’achèvement de la construction et de conformité avec le permis de construire, l’autorité compétente dispose de trois mois pour contester la conformité prétendue des travaux au permis ; passé ce délai et dans le cas où le propriétaire envisage de faire de nouveaux travaux, elle ne peut pas exiger de lui le dépôt d’un permis de construire incluant la construction déjà édifiée et non conforme.

2°/ En cas de recours des tiers ou tout autre circonstance, le propriétaire peut solliciter un nouveau permis afin de régulariser la construction ; ce nouveau permis doit, d’une part, porter sur ceux des éléments construits non conformes au permis initial, et, d’autre part, respecter les règles d’urbanisme en vigueur au jour où il est accordé.

(25 novembre 2020, M. et Mme G., n° 429623)

 

201 - Permis de construire - Préexistence de locaux recevant du public – Obligation incombant à l’autorité délivrant le permis d’aviser le pétitionnaire de la nécessité d’une autorisation complémentaire avant ouverture au public – Insuffisance de la seule connaissance par le pétitionnaire de cette obligation – Calcul du nombre de places de stationnement nécessitées par les diverses destinations d’un immeuble – Annulation avec renvoi.

La contestation, par des voisins, d’un permis de construire fournit au Conseil d’État l’occasion de préciser deux points d’importance.

Tout d’abord, il s’agissait en l’espèce de créer un logement par changement partiel de destination, le reste de l’immeuble demeurant un commerce à usage de restaurant. Il était reproché à la commune d’avoir délivré ce permis sans mentionner expressément l'obligation de demander et d'obtenir une autorisation complémentaire avant l'ouverture au public de ce commerce. La commune invoquait la circonstance, et c’est ce qu’a retenu le tribunal administratif, d’une part, que le contenu du dossier de demande de permis de construire témoignait de la connaissance, par le pétitionnaire, de cette obligation, et, d’autre part, que l'arrêté accordant le permis litigieux mentionnait que son bénéficiaire devrait respecter diverses prescriptions, dont celles qui avaient été formulées par la commission communale d'accessibilité dans son avis du 9 février 2016, lequel faisait état de l'obligation, pour le demandeur, de solliciter l'autorisation prévue par le code de la construction et de l'habitation.

Inexplicablement, le Conseil d’État a estimé que « ce simple renvoi » était insuffisant en l’absence d’une mention expresse de l’obligation de solliciter et d’obtenir l’autorisation complémentaire au titre de l'article L. 111-8 du code de la construction et de l'habitation. Il y a lieu de s’interroger sur les motifs et sur la portée utile d’un tel rigorisme textuel.

Ensuite, l’on sait que la législation impose au pétitionnaire de prévoir un nombre de places de stationnement en rapport, d’une part, avec la surface de plancher à édifier, et, d’autre part, avec la destination de l’immeuble. Lorsque que, comme en l’espèce, l’immeuble reçoit plusieurs destinations et est déjà existant au moment de l’octroi du permis il convient de procéder ainsi. D’abord, doit être calculé le nombre de places nécessitées par chaque destination particulière de l’immeuble et doivent être additionnés les différents chiffres obtenus. Puis, de ce premier chiffre total doit être retranché le nombre de places déjà existantes afin de déterminer le nombre net de places nouvelles à créer.

(25 novembre 2020, M. et Mme A., n° 430754)

 

202 - Permis de construire tacite – Déféré préfectoral en annulation et en demande de suspension d’exécution (art. L. 2131-6 CGCT) – Ordonnance de référé susceptible seulement d’appel – Irrégularité de la saisine directe du Conseil d’État – Renvoi à la cour administrative d’appel.

Le préfet d’Ardèche a demandé et obtenu du tribunal administratif, sur le fondement des dispositions de l’art. L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales, la suspension de l’exécution d’un permis de construire tacitement accordé par le maire de la commune de Saint-Félicien. La SCI bénéficiaire de ce permis a saisi directement le Conseil d’État d’un recours en annulation de cette ordonnance de suspension.

Le recours est rejeté car il résulte du 6ème alinéa de l’article précité que l’ordonnance attaqué, prise sur demande du préfet, relève d’un appel qui doit être porté devant la cour administrative d’appel. Elle ne ressortit pas au régime procédural institué par les dispositions du premier alinéa de l'article L. 523-1 du CJA.

Le Conseil d’État fait en outre remarquer qu’à la différence des dispositions du cinquième alinéa de l'article L. 2131-6 du CGCT, qui attribuent compétence au président de la section du contentieux du Conseil d'État, celles des troisième et quatrième alinéas du même article ne comportent aucune dérogation aux règles de droit commun relatives à la détermination de la compétence d'appel.

(25 novembre 2020, SCI Mistler, n° 443515)

 

203 - Autorité compétente pour délivrer un permis de construire – Commune dotée d’une carte communale – Délibération approuvant la carte communale sans décider que les permis seraient délivrés au nom de l’État – Approbation de la carte communale entraînant transfert définitif à la commune de la compétence de l’État pour délivrer des permis de construire – Recevabilité du déféré préfectoral dirigé contre un permis de construire délivré par cette commune – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

Une commune, dotée d’une carte communale approuvée, délivre un permis de construire qui est contesté par le préfet. Le déféré est rejeté en première instance et ce rejet est confirmé en appel, la cour administrative d’appel estimant que, dans ce cadre, les permis de construire étant délivrés au nom de l’État le préfet n’est pas recevable à les contester au contentieux puisqu’il a le pouvoir de les retirer. Ce qui constitue une application de la célèbre jurisprudence Préfet de l’Eure (30 mai 1913, Recueil Lebon p. 583).

L’arrêt est annulé pour erreur de droit.

En l’espèce, se plaçant sous le régime institué par l’art. L. 421-2-1 du code de l’urbanisme dans sa version antérieure à la rédaction issue de l’art. 68 de la loi du 13 juillet 2003 comme, pour ce qui concerne l’art. L. 422-1 du même code, des art. 15 de l’ordonnance du 8 décembre 2005 et du V de l’art. 134 de la loi du 24 mars 2014, le conseil municipal a approuvé le 27 décembre 2001 la carte communale. Comme il n’a pas décidé, alors qu’il en avait le pouvoir, que les permis de construire seraient délivrés au nom de l'État, il s’ensuit que la compétence de l’État en matière de délivrance des permis de construire a été définitivement transférée à la commune.

Dès lors, s’agissant de contester une décision sur laquelle le préfet ne détient aucun pouvoir de retrait, celui-ci est recevable à saisir le juge, d’où l’annulation de l’arrêt d’appel.

(18 novembre 2020, Ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, n° 433139)

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Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Octobre 2020

Octobre 2020

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Conseil national des universités (CNU) – Décision refusant d’inscrire un candidat sur une liste de qualification – Absence d’obligation d’une procédure contradictoire – Absence d’une obligation de motivation de cette décision individuelle défavorable – Rejet.

Le Conseil d’État rappelle que sont inopérants les moyens dirigés contre une décision du CNU refusant d’inscrire un candidat sur une liste d’aptitude, ici aux fonctions de professeur des universités, en tant qu’elle n’a pas été pris au terme d’une procédure contradictoire et en tant que celle-ci, à la fois individuelle et défavorable, n’était pas motivée, les dispositions des articles L. 122-1 (procédure contradictoire) et L. 211-2 (motivation) du code des relations du public avec l’administration n’étant pas applicables aux décisions du CNU.

(7 octobre 2020, Mme X., n° 430073)

 

2 - Dispositions réglementaires d’un contrat de concession – Demande d’abrogation – Refus – Abrogation expresse ou implicite après introduction d’un recours – Recours sans objet sauf au cas de nouvelles dispositions réglementaires très semblables aux précédentes – Application dans l’hypothèse du remplacement de clauses contractuelles réglementaires remplacées par d’autres – Rejet.

Le Conseil d’État réitère sa jurisprudence selon laquelle lorsque, postérieurement à l'introduction d'une requête dirigée contre un refus d'abroger des dispositions à caractère réglementaire, l'autorité qui a pris le règlement litigieux procède à son abrogation expresse ou implicite, le litige né de ce refus d'abroger perd son objet. Toutefois, il en va différemment lorsque cette même autorité reprend, dans un nouveau règlement, les dispositions qu'elle abroge, sans les modifier ou en ne leur apportant que des modifications de pure forme.

Il étend dans cette affaire la règle qui vient d’être rappelée au cas où le recours est dirigé contre les clauses réglementaires d’un contrat de concession, ici la concession liant L’administration pénitentiaire à un opérateur téléphonique.

Le juge ayant constaté que les modifications apportées en l’espèce aux clauses litigieuses du contrat primitif ne sont pas de pure forme, il n’y a plus lieu de statuer sur la requête.

(7 octobre 2020, M. X., n° 438080)

(3) V. aussi, sur la portée du refus d’abroger, selon les cas : 12 octobre 2020, Association EnVie-Santé, n° 421852.

 

4 - « Droit souple » - Actes de droit souple (circulaires et autres) – « Décision » de l'Autorité de supervision indépendante des redevances aéroportuaires - Recours direct en excès de pouvoir possible notamment contre ceux de ces actes ayant un caractère impératif ou de lignes directrices. – Moyens invocables et pouvoirs du juge – Rejet.

L’union requérante demandait l’annulation pour excès de pouvoir de la décision de l'Autorité de supervision indépendante des redevances aéroportuaires, dont les attributions sont aujourd’hui exercées par l'Autorité de régulation des transports, relative aux éléments nécessaires à l'examen par cette dernière des demandes d'homologation tarifaire ainsi que de la décision implicite de rejet de son recours gracieux.

Son recours est rejeté.

Sans entrer dans le fond de l’affaire, il convient de signaler que, réitérant et amplifiant en la précisant une récente jurisprudence (Section 12 juin 2020, Groupement d’information et de soutien des immigrés (GISTI), n° 418142), Le Conseil d’État rappelle qu’est recevable un recours pour excès de pouvoir formé directement contre les documents de portée générale émanant d'autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif, « lorsqu'ils sont susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en oeuvre. » (V. aussi, en termes identiques, le point 1 de la décision du 23 octobre 2020, Société européenne Schneider Electric et autres, n° 442224, ci-dessous au n° 97). Et le juge de rappeler qu’il en va notamment ainsi – mais pas exclusivement – de ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices. 

Est également précisée la double règle qui gouverne le contrôle du juge sur ces sortes d’actes : d’une part, sont contrôlées l’incompétence pour édicter une règle nouvelle, l’erreur sur le sens et la portée de l’interprétation du droit positif donnée par l’auteur de l’acte et  la mise en œuvre par ce dernier d’une règle contraire à une norme juridique supérieure, et d’autre part, dans l’exercice de ce contrôle le juge saisi a égard, pour rendre sa décision, à la nature et aux caractéristiques de l’acte qui lui est soumis  ainsi qu’à l’étendue du pouvoir d'appréciation dont dispose l'autorité qui en est l’auteur.

(16 octobre 2020, Union des aéroports français et francophones associés, n° 429283)

 

5 - Document de portée générale émané d’une autorité publique – Cas de commentaires publiés au BOFiP-impôts donnant l’interprétation, par l’administration fiscale de dispositions du CGI – Document affectant (ou pouvant affecter) les droits ou la situation de personnes autres que les agents du service public – Prohibition de mesures nouvelles entachées d’incompétence, reposant sur une interprétation erronée ou contraires à une norme juridique supérieure – Annulation pour incompétence de l’auteur du document.

Rappel de ce que : « Un document de portée générale, émanant d'une autorité publique et susceptible d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de le mettre en oeuvre, ne peut légalement ni fixer une règle nouvelle entachée d'incompétence, ni comporter une interprétation du droit positif qui en méconnaît le sens et la portée ni être pris en vue de la mise en oeuvre d'une règle contraire à une norme juridique supérieure. »

Application en l’espèce à des commentaires administratifs fixant les conditions auxquelles sont soumises les exonérations de TVA régissant les activités de location de véhicules, en raison de l’incompétence de leur auteur.

(21 octobre 2020, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 440526)

(6) V. aussi, s’agissant également de commentaires administratifs de la législation fiscale, la décision qui, d’une part, déclare irrecevables des conclusions dirigées contre une pénalité et se fondant sur une interprétation figurant dans des commentaires administratifs retirés depuis lors, et d’autre part, recevables des conclusions dirigées contre l’interprétation de la loi fiscale donnée dans des commentaires administratifs lorsque cette interprétation a été appliquée à la contribuable requérante et qu’elle est demeurée inchangée depuis : 21 octobre 2020, Société Froid Assistance Routier, n° 441126.

(7) Voir également, s’agissant de commentaires administratifs de la loi fiscale, la décision qui juge, d’une part, que certains d’entre eux ne sont pas illégaux dès lors qu’ils n’ajoutent pas aux dispositions législatives qu’ils entendent interpréter, et d’autre part, que d’autres commentaires sont, eux, frappés d’illégalité pour incompétence de leur auteur en ce qu’il y méconnaît les dispositions législatives qu’il interprète : 21 octobre 2020, M. et Mme B., n° 442799.

 

8 - Nomination de la présidente de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) – Autorité administrative indépendante ou autorité publique indépendante - Demande d’abrogation du décret présidentiel de nomination – Compétence liée de son auteur – Inopérance des moyens invoqués – Rejet.

Le requérant demandait au Conseil d’État l’annulation du refus implicite du président de la république d’abroger son décret du 31 janvier 2019 nommant la présidente de la CNIL.

Rejetant le recours, le juge relève que s’agissant d’un membre d'une autorité administrative indépendante ou d'une autorité publique indépendante, il ne peut être mis fin à son mandat que dans les formes et pour les motifs limitativement énumérés à l'article 6 de la loi du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes. Par suite, les moyens assortissant la demande adressée au chef de l’État, lequel se trouve ici en situation de compétence liée, et n’entrant pas dans les prévisions de ce texte, sont inopérants.

(19 octobre 2020, M. B., n° 438620)

 

9 - Attribution par un département du bénéfice du « projet jeune majeur » - Décision créatrice de droits – Abrogation impossible – Cas où le maintien de la décision est subordonné à une condition – Condition cessant d’être remplie – Abrogation régulière – Annulation.

Rappel de ce que si en principe l'administration ne peut abroger une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d'un tiers que si elle est illégale et si l'abrogation intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision, il en va différemment des décisions sous condition suspensive lorsque la condition exigée cesse d’être remplie. L’abrogation est alors possible sans condition de délai.

(19 octobre 2020, Département de l’Isère, n° 445056

 

10 - Circulaires abrogées par depuis le 1er mai 2009 l’effet du décret du 8 décembre 2008 – Publication de ces circulaires sur le site internet du ministère de l’intérieur comme « documents opposables » - Illégalité – Annulation.

Le décret du 8 décembre 2008 relatif aux conditions de publication des instructions et circulaires répute abrogées à compter du 1er mai 2009 les circulaires et instructions déjà signées qui ne sont pas reprises sur un site internet relevant du premier ministre.

L’association requérante demandait l’abrogation de la décision du ministre de l’intérieur de publier le 2 janvier 2019 sur le site internet du ministère, à la rubrique « documents opposables » des circulaires abrogées depuis près de dix ans…

La décision est abrogée sans qu’il y ait lieu de s’arrêter au fait que lesdites circulaires ont été par la suite retirées du site avant que le juge ne statue.

Voilà un mauvais remake d’ « A la recherche du temps perdu »…

(19 octobre 2020, Association « La CIMADE », n° 428700)

 

11 - Actes par lesquels l’administration fait connaître son interprétation retenue ce l’état du droit – Absence d’obligation de donner cette interprétation – Situation identique s’agissant d’actes du droit de l’union directement applicables dans le droit de chacun des États-membres – Rejet.

Réitération d’une jurisprudence bien établie : l’administration n’est jamais tenue de prendre des circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif visant à faire connaître l'interprétation qu'elle retient de l'état du droit. Cette solution s’applique également à ceux des actes de l’Union européenne qui sont directement applicable dans l’ordre interne de l’État.

(14 octobre 2020, Association pour une consommation éthique, n° 434802)

 

12 - Pôle emploi – Organes compétents pour décider des sanctions – Nature juridictionnelle – Absence – Droit à l’erreur lors de la première déclaration – Absence – Rejet.

Était demandée l’annulation pour divers motifs, tous rejetés, du décret n° 2018-1335 du 28 décembre 2018 relatif aux droits et obligations des demandeurs d'emploi et au transfert du suivi de la recherche d'emploi.

Tout d’abord, aucun des organes de Pôle Emploi susceptible d’infliger des sanctions, par suppression d’une aide accordée antérieurement ou par une pénalité financière, n’a la nature d’un tribunal au sens et pour l’application de l’art. 6 § 1 de la Convention EDH. Il ne peut être soutenu la contrariété des dispositions du code du travail régissant ces sanctions aux dispositions précitées de la CEDH et ce d’autant plus que toutes les décisions de ces organes sont susceptibles de faire l’objet d’un recours de plein contentieux devant le juge administratif.

Ensuite, il ne saurait non plus être soutenu qu’en prévoyant une sanction lorsque les demandeurs d’emploi ont commis certains manquements – clairement définis par le texte – serait violé le principe du « droit à l’erreur » fixé à l’art. L. 123-1 du code des relations du public avec l’administration dès lors que serait sanctionné même le « premier » manquement. En effet, les manquements dont s’agit sont : 1° l'absence à un rendez-vous avec les services et organismes relevant du service public de l'emploi ou mandatés par ces services et organismes, 2° le défaut de justification de l'accomplissement d'actes positifs et répétés en vue de retrouver un emploi, de créer, reprendre ou développer une entreprise, 3° de fausses déclarations pour être ou demeurer inscrit sur la liste des demandeurs d'emploi, en cas d'absence de déclaration, ou de déclaration mensongère du demandeur d'emploi, faites en vue de percevoir indûment le revenu de remplacement. De tels manquements ne sont, à l’évidence, pas régularisables et n’entrent donc pas dans les prévisions de l’art. L. 123-1 du CRPA

Également, en prévoyant des sanctions, toutes proportionnées à la gravité et/ou au nombre des manquements, les dispositions attaquées ne contreviennent pas à l’art. 8 de la Déclaration de 1789.

Encore, la procédure applicable lorsqu’est envisagée la radiation de l’intéressé de la liste des demandeurs d'emploi ou la suppression du revenu de remplacement qui lui avait été accordé, n’est ni imprécise ni, s’agissant du choix par l’intéressé, de l’information par voie électronique, illégale ni, non plus, contraire au principe d’égalité comme au principe de loyauté (sic).

Le rejet de la requête s’imposait d’évidence au regard de l’argumentation soulevée.

(14 octobre 2020, Union syndicale Solidaires, n° 428524 ; M. X., n° 429333)

 

13 - Relations du public avec l’administration – Inapplicabilité des art. L. 112-3 et L. 112-6 du code des relations du public avec l’administration (CRPA) aux rapports entre l’administration et ses agents – Grief d’inconstitutionnalité – Distinction non injustifiée entre deux catégories (administrés et agents) – Absence d’atteinte à l’égalité devant la justice – Refus de transmission de la QPC.

Le requérant prétendait inconstitutionnelle la disposition de l’art. L. 112-2 CRPA qui déclare inapplicables aux relations de l’administration avec ses agents les art. L. 112-3 (selon lequel toute demande adressée à l'administration fait l'objet d'un accusé de réception) et L. 112-6 (selon lequel les délais de recours ne sont pas opposables à l'auteur d'une demande lorsque l'accusé de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte pas les indications exigées par la réglementation) de ce code.

Pour rejeter la demande de transmission de la QPC formée par l’intéressé, le Conseil d’État rappelle à nouveau que les exigences qui sont celles gouvernant les relations de l’administration avec le public ne sont pas, dans certains cas, identiques à celles gouvernant les relations entre l’administration et ses agents. Ainsi, l’article critiqué opère une distinction qui n’est pas injustifiée entre deux catégories de relations.

(7 octobre 2020, M. X., n° 441747)

 

14 - Avis du collège de la Haute autorité de santé – Avis ne constituant pas lui-même des recommandations de bonnes pratiques – Avis s’insérant dans une procédure destinée à déboucher sur des recommandations de bonnes pratiques – Refus de l’abroger – Actes ne faisant pas grief – Impossibilité de former à son encontre un recours pour excès de pouvoir – Rejet.

La fondation requérante demandait l’annulation d’une délibération du collège de la Haute Autorité de santé portant adoption de la recommandation en santé publique intitulée « Place des tests ADN libre circulant dans le sang maternel dans le dépistage de la trisomie 21 fœtale », ainsi que cette recommandation et la décision par laquelle le président de la Haute Autorité de santé a rejeté sa demande d'abrogation de ce document.

Rejetant ce recours, le Conseil d’État observe tout d’abord que c’est par erreur que le collège susnommé a qualifié ce qui n’est de sa part qu’un avis, de « recommandation en santé publique » car il ne constitue pas une recommandation de bonnes pratiques destinée aux professionnels de santé, mais seulement un avis destiné au ministre de la santé, celui-ci étant compétent pour préciser les conditions de prescription et de réalisation des examens relevant du diagnostic prénatal et pour déterminer les recommandations de bonnes pratiques relatives aux modalités de prescription, de communication des résultats et de réalisation des examens biologiques concourant au diagnostic biologique prénatal.

L’avis attaqué ne constitue ainsi qu’un élément de la procédure d'élaboration des décisions incombant à cette autorité.

Si le bien-fondé des positions prises par la Haute Autorité peut être discuté à l'occasion d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre ces décisions, en revanche, ni cette recommandation, ni la délibération par laquelle le collège de la Haute Autorité de santé l'a adoptée, ni le refus de l'abroger ne constituent des actes faisant grief, susceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. 

(14 octobre 2020, Fondation Jérôme Lejeune, n° 425725)

(15) V. aussi, le rejet - sur recours de la même requérante – de la demande d’annulation de trois arrêtés du ministre de la santé, par lesquels il a modifié les règles de bonnes pratiques en matière de dépistage et de diagnostic prénatals avec utilisation des marqueurs sériques maternels de trisomie 21, fixé le modèle de formulaire pour les examens portant sur l'ADN foetal libre circulant dans le sang maternel et précisé les conditions de transmission des données prévues à l'article R. 2131-2-3 du code de la santé publique : 14 octobre 2020, Fondation Jérôme Lejeune, n° 428136. 

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques

 

16 - Organisme d’HLM – Utilisation du fichier des locataires de l’office par sa directrice – Manquement – Sanction infligée par la CNIL – Rejet

L’office d’HLM requérant demandait l’annulation de la double sanction (sanction pécuniaire + publicité de la sanction) que lui a infligée la CNIL. Celle-ci est motivée par l’envoi, par la présidente de cet office, d’une lettre adressée à l’ensemble des locataires de l’office, dont le contenu ne justifiait pas l’usage du fichier des locataires.

Le Conseil d’État rejette le recours en distinguant les deux parties du courrier litigieux : celle informant les locataires des conséquences qu'un projet de réforme de l'aide personnalisée au logement était susceptible d'avoir sur la situation financière de l'office et sur sa capacité à entretenir et à réhabiliter son patrimoine immobilier, constituait un motif légitime d’utilisation du fichier des locataires ; en revanche, celle où était évoquée « une attaque contre les locataires d'HLM [qui] doit être stoppée » et où figurait un appel à la mobilisation des locataires contre le projet de réforme ne constituait pas un usage légitime dudit fichier.

Sont donc confirmés la sanction pécuniaire et son montant, la publication de la sanction, sous forme nominative pendant deux ans, anonyme ensuite.

(5 octobre 2020, Office public de l'habitat de Rennes Métropole - Archipel Habitat, n° 424440)

 

17 - Conseil supérieur de l’audiovisuel – Infliction d’une sanction à une chaîne de télévision – Émission d’opinion faisant se confronter deux points de vue opposés sur l’immigration – Devoir de la chaîne organisatrice du débat – Obligation de faire respecter l’interdiction d’incitation à la haine – Absence – Sanction justifié – Rejet.

La requérante a fait l’objet de la part du CSA d’une mise en demeure d’avoir à respecter désormais l’interdiction d’incitation à la haine ou à la violence pour des raisons de race, de sexe, de mœurs, de religion ou de nationalité. Elle conteste la décision prise à son endroit.

Le Conseil d’État, en approuvant la décision critiquée, rejette le recours. Il fait valoir que même s’agissant d’un débat d’idées, dans un cadre polémique, entre deux protagonistes, sur un sujet d’intérêt général, il n’est pas possible, sans tomber sous le coup de la censure susrappelée, de laisser l’un d’eux affirmer, d’une part, qu'il faut cesser d'accueillir en France des étrangers de confession musulmane et, notamment, que le droit d'asile doit leur être refusé, et d’autre part, présenter la présence en France de personnes de religion musulmane comme la source d'un « énorme problème » car elle contribuerait à un « grand remplacement » et à « l'invasion de l'Europe ». Le juge considère que de tels propos justifiaient la mise en demeure litigieuse « du fait du caractère stigmatisant du vocabulaire employé à l'égard d'un groupe de personnes déterminé à raison de leur religion et alors au surplus que la journaliste de la chaîne n'avait pris aucune initiative pour que le débat demeure dans les limites d'un échange, même polémique, d'opinions ».

Bonne illustration de la fragilité et de la subjectivité des conditions de l’équilibre entre liberté d’opinion et transgression des tabous. Ce qui explique que cette décision, à la fois, peut être critiquée ou, au contraire, louée.

(8 octobre 2020, Société Paris Première, n° 428238)

 

18 - Accord entre la Plateforme des données de santé et la société Microsoft Ireland Operations Limited - Hébergement des données de santé relatives aux personnes atteintes du Covid-19 - Concession par Microsoft de licences de logiciels nécessaires au traitement de ces données – Risque d’atteinte au respect du droit à la vie privée – Risque de transfert des données vers les États-Unis – Législation américaine pouvant contrevenir sur certains points au Règlement général sur la protection des données (RGPD) – Rejet dans la limite des pouvoirs du juge du référé liberté.

Dans cette très longue ordonnance, riche et documentée, où sont abordées de difficiles questions transnationales portant sur les libertés et l’informatique, la vie privée, notamment dans le domaine de la santé, et les risques que comportent les flux internationaux de données entre États ne présentant pas des caractéristiques législatives homogènes en la matière, le juge examine une requête contestant les conditions et le régime juridique des relations contractuelles nouées entre la Plateforme des données de santé et la société de droit irlandais Microsoft Ireland Operations Limited, filiale de la société américaine Microsoft Corporation.

La Plateforme des données de santé est chargée de stocker et de mettre à disposition des données de santé ; pour assurer ses missions, elle a conclu avec Microsoft un contrat qui lui permet de bénéficier d’un ensemble de produits « Microsoft Azure », dont l'hébergement des données de santé notamment sur le Covid-19 et la concession de licences de logiciels nécessaires au traitement de ces données pour les finalités légalement autorisées.

Les requérants font valoir les risques que cette situation comporte au regard du droit au respect de la vie privée, compte tenu de possibles transferts de données vers les Etats-Unis, soit en application du contrat conclu avec la société Microsoft Ireland Operations Limited, soit en raison de demandes qui seraient adressées à cette société en dehors même des transferts contractuellement consentis par la Plateforme des données de santé.

Le juge des référés, fixant le cadre juridique de ce recours, admet qu’il résulte de dispositions du droit américain, la possibilité pour les autorités publiques de ce pays, en cas d’accès à des données personnelles ainsi transférées depuis l’Union européenne, de les consulter ou de les utiliser sans que les personnes concernées puissent disposer de droits opposables aux autorités américaines devant les tribunaux et sans qu'il apparaisse, en l'état de l'instruction, que des garanties appropriées puissent être prévues pour y remédier. Dans ces conditions, tout transfert de données personnelles vers les Etats-Unis, par une entreprise pouvant faire l'objet de demandes des autorités américaines, est susceptible de contrevenir par lui-même aux articles 44 et suivants du RGPD, sauf à pouvoir être justifié au regard de son article 49, qui comporte des dérogations pour un certain nombre de situations particulières. Or le droit de l’Union (en particulier la Charte des droits fondamentaux) tel qu’interprété par la jurisprudence de la CJUE (Gr. Chb., 16 juillet 2020, Data Protection Commissioner contre Facebook Ireland Ltd et Maximillian Schrems, aff. C-311/18) s’oppose à ce que des données à caractère personnel soient transférées vers un pays tiers si le contrat concernant ce transfert ou le rendant possible ne repose pas sur des clauses types de protection des données bénéficiant d'un niveau de protection substantiellement équivalent à celui garanti au sein de l'Union européenne par ce règlement, lu à la lumière de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Tel est le cas des États-Unis, selon la décision précitée. Les règles du droit interne français vont brevitatis causa dans le même sens.

Le juge examine ensuite successivement deux questions.

La première question est proprement relative au risque que peuvent comporter les transferts de données personnelles en application du contrat conclu par la Plateforme des données de santé avec Microsoft. Le juge estime ce risque écarté, d’une part, car un avenant conclu le 3 septembre 2020 prévoit que Microsoft ne traitera pas les données de la Plateforme en dehors de la zone géographique spécifiée par celle-ci sans son approbation et que dans l'hypothèse où un accès aux données serait nécessaire pour les besoins des opérations d'exploitation des services en ligne et de résolution d'incident menées par Microsoft depuis un lieu extérieur à cette zone, il serait soumis à l'autorisation préalable de la Plateforme, et d’autre part, parce que la Plateforme s'est engagée à l'égard de la Commission nationale de l'informatique et des libertés à refuser tout transfert.

Factuellement, le juge constate que les seules données dont le transfert en dehors de l'Union européenne présente une utilité sont des données de télémétrie, pour contrôler le bon fonctionnement des services offerts par Microsoft, ainsi que des données de facturation. Ainsi, il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, que la Plateforme des données de santé puisse se trouver contrainte, pour des raisons techniques, de donner son accord à un transfert de données de santé.

Enfin, mettant un point final à ces difficultés, l’arrêté du 9 octobre 2020, qui est postérieur à l’introduction du présent référé, est venu interdire tout transfert de données à caractère personnel en dehors de l’Union européenne.

La seconde question concerne les autres transferts de données personnelles. La requête est également rejetée pour une pluralité de motifs. Tout d’abord est notée la circonstance que l’arrêt de la CJUE du 16 juillet 2020 ne se prononce pas sur le traitement des données personnelles, à l’intérieur de l’UE, par des sociétés de droit américain ou par leurs filiales et, aussi, qu’il permet les transferts nécessaires pour des motifs importants d'intérêt public reconnus par le droit de l'Union ou le droit de l'Etat membre auquel le responsable du traitement est soumis.

Ensuite, les requérants n’invoquent pas la violation directe par les contrats litigieux, du RGPD, d’autant que les données en cause sont rendues anonymes par la Caisse nationale de l’assurance maladie.

Également, ce recueil et ce traitement des données répondent à un intérêt public certain et urgent pour améliorer les connaissances scientifiques et médicales sur le SARS-CoV-2, d’autant que l’instrument technique que constitue la Plateforme est un outil sans équivalent à ce jour.

Enfin, il y a lieu de tenir compte de l’intervention de la CNIL, nécessaire chaque fois qu’est créé un projet de traitement des données sur la Plateforme ainsi que de l’engagement des pouvoirs publics et de Microsoft de rechercher un perfectionnement incessant des garanties.

Juge du provisoire et de l’évidence, le juge du référé liberté ne pouvait aller plus loin dans l’exercice de son office.

(13 octobre 2020, Association le Conseil national du logiciel libre (CNLL) et autres, n° 444937)

 

Biens et culture

 

19 - Cinéma – Création d’un ensemble multi-écrans de cinéma – Autorisation de la Commission nationale d’aménagement cinématographique (CNACi) – Étendue du contrôle du juge de cassation.

Les requérantes demandaient l’annulation de la décision par laquelle la CNACi a autorisé une société à créer un établissement de spectacles cinématographiques de neuf salles et 1 380 places à l'enseigne « Megarama » à Seynod.

Après avoir rejeté les arguments tenant à la forme de la procédure administrative suivie, le Conseil d’État passe à l’examen du fond de la décision de la CNACi à travers l’analyse qu’en a faite la cour administrative d’appel dont l’arrêt était frappé de pourvoi en cassation devant lui. A ce stade il énonce une règle notable : le juge de cassation n’exerce, sur le contrôle opéré par les juges du fond sur l’appréciation portée par la CNACi, qu’un contrôle limité à celui de l’éventuelle dénaturation.

(9 octobre 2020, Société Les Nemours, Société Victoria et Société JFR SAS, n° 421312)

 

Collectivités territoriales

 

20 - Fiscalité locale – Taxe professionnelle – Faute commise par l’administration fiscale dans l’établissement de cette taxe et de celle de la « compensation-relais » – Conditions de mise en jeu de la responsabilité de l’État - Cassation partielle sans renvoi.

La communauté urbaine de Dunkerque a invoqué devant le tribunal administratif de Lille, au soutien d’une demande d’indemnisation, en premier lieu, le préjudice qui lui aurait été causé par  la faute commise par l'administration fiscale lors de l'établissement de la taxe professionnelle des années 2006 à 2009 de la société ArcelorMittal Atlantique Lorraine et lors de l'établissement de la « compensation-relais » due au titre de 2010 et  en second lieu, celui que lui a causé l'abstention de l'administration à assortir les redressements de taxe professionnelle, au titre des années 2006 à 2009, des intérêts de retard prévus par l'article 1727 du CGI.

Après un jugement avant dire droit, le tribunal a condamné l'Etat à verser à la communauté urbaine de Dunkerque la somme de douze millions euros, assortie des intérêts au taux légal. La cour de Douai, sur appel du ministre, a réduit cette somme à 1,7 million d’euros environ car elle a estimé que les surévaluations des bases locatives d'autres sociétés, situées dans le ressort de la communauté urbaine de Dunkerque, résultant, selon l'administration fiscale, de l'application erronée d'une disposition législative ou réglementaire, quelle qu'elle soit, pouvaient être prises en compte pour la détermination du préjudice indemnisable de la communauté urbaine de Dunkerque

La communauté urbaine de Dunkerque se pourvoit.

Le juge de cassation rappelle d’abord le principe d’indemnisation en la matière : la faute commise par l'administration lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement ou de recouvrement de l'impôt est de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard d'une collectivité territoriale ou de toute autre personne publique si elle lui a directement causé un préjudice.

Il indique ensuite que ce préjudice peut être constitué des conséquences matérielles des décisions prises par l'administration et notamment du fait de ne pas avoir versé à cette collectivité ou à cette personne des impôts ou taxes qui auraient dû être mis en recouvrement à son profit.

Également, et cette précision était essentielle dans la présente affaire compte tenu du raisonnement adopté par la cour administrative d’appel, le juge, conformément au droit de commun de la responsabilité, énonce que le montant du préjudice indemnisable doit être calculé en tenant compte, le cas échéant, des impositions qui ont pu être perçues à tort par la même collectivité, à condition que cette perception ait un lien direct avec la faute qui se trouve à l'origine du préjudice dont la réparation est demandée.

C’est sur ce point que porte la cassation de l’arrêt d’appel. La cour ne pouvait admettre en déduction du montant de la réparation des sommes perçues en raison d’erreurs n’ayant aucun lien direct avec la faute dont il était demandé réparation et qui se trouve à l'origine du préjudice, laquelle résultait de l'inexacte imposition à la taxe professionnelle de la société ArcelorMittal Atlantique et Lorraine.

Enfin, ne peuvent être admis en déduction du préjudice indemnisable et donc du montant de la réparation, des dégrèvements accordés par l’administration fiscale car ceux-ci, en vertu de la loi (1 du I de l’art. 1641 et 1 de l’art. 1960 du CGI)), demeurent, comme cela est normal, à la charge de l’État.

Cette solution confirme, précise et renforce la jurisprudence récente sur le sujet (cf. notamment, 24 avril 2012, Commune de Valdoie, n° 337802 et, surtout, 16 novembre 2011, Commune de Cherbourg-Octeville, n° 344621).

(5 octobre 2020, Communauté urbaine de Dunkerque, n° 420040)

(21) V. aussi, largement comparable : 15 octobre 2020, Communauté urbaine de Dunkerque, n° 420092.

 

Contentieux administratif

 

22 - Covid 19 – Référé liberté pour obvier aux difficultés de l’alimentation en eau potable en Guadeloupe – Demande d’activer le plan ORSEC « eau » - Situation structurelle ne pouvant être corrigée à bref délai – Précisions sur l’office du juge du référé de l’art. L. 521-2 CJA – Rejet.

La requérante saisit le Conseil d’État par la voie d’un appel dirigé contre une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif qui a rejeté sa demande tendant à ce qu'il soit ordonné au préfet de Guadeloupe de mettre en application le dispositif ORSEC eau potable, tel que prévu par l'instruction interministérielle du 19 juin 2017, afin de remédier, dans le contexte de crise sanitaire majeure que traverse actuellement ce département, aux difficultés d'approvisionnement en eau que rencontrent ses habitants du fait de l'état des réseaux.

La demande est rejetée en tous ses chefs d’argumentation.

Tout d’abord, la question de l’accès à l’eau potable et de sa distribution en Guadeloupe résulte de problèmes structurels, elle ne saurait relever d’un plan ORSEC « eau », un tel plan ne pouvant être déclenché qu’en cas d’accident, sinistre ou catastrophe (cf. art. L. 742-2 code de la sécurité intérieure).

Ensuite, la requérante n’apporte en appel aucun élément pour étayer la critique de l’ordonnance attaquée en tant qu’elle constate que l'Etat avait, pour remédier à cette situation, pris des mesures d'urgence et n'avait pas fait preuve de carence.

Enfin et surtout la résolution de difficultés d’ordre structurel, qui suppose de longs délais, ne ressortit manifestement pas de l’office du juge du référé liberté, conduit à statuer en urgence en vue de solutions devant elles aussi être effectives, c’est-à-dire réalisables, à bref délai.

(ord. réf. 1er octobre 2020, Mme X., n° 444909)

 

23 - Licenciement d’un salarié protégé – Convocation à l’entretien préalable par lettre recommandée – Document présenté en vain – Absence d’avis de passage – Impossibilité d’apprécier le respect du délai séparant la présentation du pli recommandé contenant la convocation à l’entretien préalable de la date de cet entretien – Rejet.

Dans le cadre d’une procédure de licenciement était en cause le point de savoir si avait été respecté le délai qui, en vertu du code de travail, sépare la présentation du pli contenant la convocation à l’entretien préalable de la date de cet entretien. Si l’employeur affirmait que le pli recommandé avait bien était présenté à l’adresse de l’intéressé mais en vain, celui-ci n’étant pas à son domicile, aucun avis de passage n’avait été laissé. C’est donc sans erreur de droit que la cour administrative d’appel a jugé que la vaine présentation du pli non accompagnée de la remise d'un avis de passage ne pouvait être prise en compte pour apprécier si le délai minimum devant séparer la présentation du pli contenant la convocation à l'entretien préalable au licenciement et cet entretien prévu au troisième alinéa de l'article L. 1232-2 du code du travail avait été respecté

(9 octobre 2020, Société Wanzl, n° 427115)

 

24 - Licenciement pour motif économique - Notion et appréciation du motif économique – Entreprise du secteur tabac – Allégation de déclin d’activité justifiant le licenciement économique – Annulation avec renvoi à la cour administrative d’appel ayant jugé le contraire.

Est entaché de qualification inexacte des faits et annulé l’arrêt d’appel qui refuse d’apercevoir un licenciement pour motif économique dans le licenciement de salariés d’un établissement du secteur tabac alors que le groupe concerné réalise plus de 70 % du chiffre d'affaires net de son secteur tabac en Europe, que la production et la consommation de tabac ont diminué en volume de plus de 30 % en Europe entre 2002 et 2013 et qu'entre 2009 et 2013, le groupe a connu une perte de 1,5 point de part de marché. Si le chiffre d'affaires de l'activité tabac du groupe avait augmenté de 2 % en 2014 et 3 % en 2015, cette inversion de tendance récente n'était pas de nature à remettre en cause ces tendances structurelles, caractérisées par une forte et régulière rétractation du marché européen du tabac et par la réduction constante de la consommation de tabac sur ce marché et notamment sur le marché français, sur lesquels ce secteur d'activité réalise l'essentiel de son chiffre d'affaires. 

(9 octobre 2020, Société nationale d'exploitation industrielle des tabacs et allumettes (SEITA), n° 428431)

(25) V. aussi, identiques en tout point, avec même requérante : 9 octobre 2020, Société nationale d'exploitation industrielle des tabacs et allumettes (SEITA), n° 428433 ; 9 octobre 2020, Société nationale d'exploitation industrielle des tabacs et allumettes (SEITA), n° 428434 ; 9 octobre 2020, Société nationale d'exploitation industrielle des tabacs et allumettes (SEITA), n° 428435.

 

26 - Régime contentieux fiscal – Absence de décision expresse – Décision implicite – Délai de recours – Règle du délai raisonnable – Demande d’avis.

Le Conseil d’État était saisi, sur la base de l’art. L.113-1 du CJA, de la double question suivante qui lui était renvoyée par un tribunal administratif : « Doit-on considérer que l'absence de décision expresse en contentieux fiscal ne fait obstacle qu'au déclenchement du délai de droit commun de deux mois et qu'une décision implicite ne fera, inversement, pas obstacle au déclenchement du délai raisonnable d'un an, sous réserve que le demandeur ait eu connaissance de cette décision implicite ? Ou doit-on au contraire étendre la solution retenue pour le délai de droit commun de deux mois au délai raisonnable et exiger, pour le déclenchement de ce dernier délai, l'intervention d'une décision explicite » ?

Il y est répondu qu’il résulte des dispositions de l'article R. 199-1 du livre des procédures fiscales que seule la notification au contribuable d'une décision expresse de rejet de sa réclamation assortie de la mention des voies et délais de recours a pour effet de faire courir le délai de deux mois qui lui est imparti pour saisir le tribunal administratif du litige qui l'oppose à l'administration fiscale, l'absence d'une telle mention lui permettant de saisir le tribunal dans un délai ne pouvant, sauf circonstance exceptionnelle, excéder un an à compter de la date à laquelle il a eu connaissance de la décision. En revanche si, en cas de silence gardé par l'administration sur la réclamation, le contribuable peut soumettre le litige au tribunal administratif à l'issue d'un délai de six mois, aucun délai de recours contentieux ne peut courir à son encontre, tant qu'une décision expresse de rejet de sa réclamation ne lui a pas été régulièrement notifiée.

(Avis, 21 octobre 2020, Société Marken Trading, n° 443327)

 

27 - Étranger – Transfert ordonné vers l’Italie - Référé liberté (art. L. 521-2 CJA) – Demande d’exécution de l’ordonnance de référé présentée sur le fondement de l’art. L. 521-4 CJA – Conditions – Urgence – Absence quand le comportement de l’intéressé constitue la cause de l’urgence – Rejet.

Le juge rappelle ici une règle constante et commune à tous les référés urgents. Il n’y a pas d’urgence lorsque ce n’est que du fait du comportement du requérant que se trouve constituée une situation d’urgence.

C’était le cas dans la présente affaire où un ressortissant gambien, dûment informé de son transfert vers l’Italie ainsi que de la date et de l’heure de son vol vers ce pays, ne se rend pas à la convocation en préfecture la veille de ce vol, entendant ainsi faire échec à la mesure de transfert.

Sa demande d’exécution, fondée sur les dispositions de l’art. L. 521-4 du CJA, de l’ordonnance de référé rendue sur le fondement de l’art. L. 521-2, a été à bon droit rejetée par le premier juge.

(ord. réf. 2 octobre 2020, M. X., n° 444801)

 

28 - Covid-19 – Mesures de lutte contre l’épidémie dans les territoires sortis de l’état d’urgence – Invocation de diverses atteintes à des règles ou principes – Absence de caractérisation d’une urgence – Rejet.

Est rejetée la demande en référé suspension dirigée contre :

1°) des dispositions et l’annexe 1 du décret n° 2020-860 du 10 juillet 2020 du premier ministre prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans les territoires sortis de l'état d'urgence sanitaire et dans ceux où il a été prorogé,

2°) l’art. 1er décret n° 2020-884 du 17 juillet 2020 portant modification du décret n° 2020-860 précité du 10 juillet 2020,

3°) les articles 1er et 3 de l'arrêté n° 2020-00666 du 27 août 2020 du préfet de police de Paris,

4°) le protocole national du 31 août 2020 pour assurer la santé et la sécurité des salariés en entreprise face à l'épidémie de Covid-19.

En effet, l’affirmation par le demandeur de ce que ces diverses décisions seraient illégales, porteraient atteinte à ses droits et libertés ainsi qu'aux principes constitutionnels et aux engagements européens et internationaux de la France ne caractérise pas, par elle-même, l'existence d'un préjudice suffisamment grave et immédiat pour lui : elle n’est donc pas de nature à établir l’existence d’une situation d'urgence au sens de l'article L. 521-1 du CJA.

(ord. réf. 20 octobre 2020, M. A., n° 444855)

(29) V. aussi, à propos du même décret du 10 juillet 2020, le rejet de la demande de suspension, devenue sans objet depuis l’abrogation de de décret par celui du 16 octobre 2020 : ord. réf. 20 octobre 2020, M. R. et huit autres, n° 445092.

(30) V. également, pour le rejet d’un référé liberté dirigé contre un arrêté préfectoral n’autorisant pas les établissements sportifs couverts à accueillir, sauf exceptions limitées, du public, cet arrêté ayant cessé de produire ses effets à la date où le juge statue : ord. réf. 20 octobre 2020, Société KC Arcueil c/ Préfet du Val-de-Marne, n° 445188 ; Société KC Bordeaux, n° 445189 ; Société KC Euralille, n° 445190 ; Société KC Rouen Centre et société KC Grand Quevilly, n° 445191 ; Syndicat professionnel Franceactive-FNEAPL et autres, n° 445303.

La solution est la même s’agissant de déclarer sans objet l’appel du ministre des solidarités et de la santé dirigé contre une ordonnance suspendant un arrêté préfectoral qui a, depuis lors, cessé de produire ses effets : ord. réf. 21 octobre 2020, Ministre des solidarités et de la santé, n° 445314 ; Ministre des solidarités et de la santé, n° 445317.

(31) V. encore, pour le rejet du référé liberté dirigé contre le décret n° 2020-1098 du 29 août 2020 pris pour l'application de l'article 20 de la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificatives pour 2020 en ce qu’il ne qualifierait pas certaines catégories de personnes comme vulnérables et en ce qu’il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation car il met fin dès le 31 août 2020 au chômage partiel des salariés du secteur privé qui partagent le domicile d'une personne vulnérable : ord. réf. 20 octobre 2020, M. A., n° 445215.

(32) V., voisin, le rejet d’une demande en référé de l’art. L. 521-4 tendant à la suspension de l’exécution de la circulaire du 14 septembre 2020 du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports relative à la gestion des personnels et aux modalités d'application au sein du ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports des dispositions prises pour la fonction publique en raison de l'évolution de l'épidémie de Covid-19, spécialement s’agissant d’enseignants présentant une contre-indication médicale au port du masque et ne pouvant pas, du fait de cette circulaire, se voir prescrire un arrêt maladie pour ce motif. Le syndicat requérant n'établit aucunement, par la seule production des certificats médicaux délivrés à un enseignant, qu'une contre-indication médicale au port du masque ne serait pas de nature à permettre à un agent ne pouvant exercer en télétravail, dont la situation n'est, contrairement à ce qu'il soutient, en rien assimilable à celle des salariés dits " vulnérables " , de se voir délivrer un arrêt de travail au titre du 2° de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 en vertu duquel « Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie (...) en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions (...) » : ord. réf. 20 octobre 2020, Syndicat Action et Démocratie - CFE-CGC - Syndicat national de l'enseignement, n° 445273.

 

33 - Référé suspension (art. L. 521-1 CJA) – Obligation pour le juge saisi de se prononcer sur la condition d’urgence – Absence en l’espèce – Cassation de l’ordonnance de rejet.

La requérante, titulaire d’une autorisation environnementale et d'un permis de construire en vue de l'implantation de trois éoliennes dont la structure du mât était en bois, a rencontré des difficultés techniques provoquées en particulier par le retrait de la société assurant la construction des mâts en bois, et elle a, en conséquence, décidé d'apporter une modification aux ouvrages autorisés en prévoyant l'installation de mâts hybrides en bois et acier.

Elle a donc porté cette modification à la connaissance du préfet qui a estimé qu'une telle modification, de caractère substantiel, nécessitait le dépôt d'une nouvelle autorisation environnementale.

La société, pour justifier l'urgence de sa demande en référé tendant à la suspension de l'exécution de cette décision, « faisait valoir qu'elle lui faisait perdre le bénéfice des conditions d'achat de l'électricité à produire qui lui était alors acquises, dès lors qu'elle faisait obstacle à ce qu'elle puisse respecter la date limite de mise en exploitation fixée au 30 avril 2019. Elle faisait également valoir que la décision préfectorale lui faisait subir un important manque à gagner, du fait des retards prévisibles du chantier et de la mise en service des éoliennes. Enfin, (elle) soutenait que le permis de construire des éoliennes risquait d'être caduc en raison du retard à commencer les travaux ».

Cependant, le juge des référés a rejeté sa requête au motif que la condition d'urgence n'était pas remplie, les retards et les préjudices économiques irréversibles susceptibles, selon la société requérante, de découler de la décision attaquée, n’étant que la conséquence de son propre comportement et de sa « stratégie technologique ».

Le Conseil d’État casse cette ordonnance en relevant, avec juste raison, que le juge des référés s’était borné à se prononcer sur l'origine de la modification refusée par le préfet, ce qui n’était pas la question, au lieu de « rechercher concrètement si les effets de l'acte litigieux étaient de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue ».

Sans surprise l’ordonnance est cassée avec renvoi à la juridiction qui l’a rendue.

(19 octobre 2020, Société FE Sainte-Anne, n° 432575)

 

34 - Requête entachée d’une irrégularité régularisable – Obligation d’inviter son auteur à régulariser – Invitation selon une modalité attestant de sa réalité et de sa date – Communication par lettre simple d’un mémoire en défense soulevant une fin de non-recevoir – Irrégularité – Annulation.

Rappel de ce que le juge administratif a l’obligation d'inviter l'auteur d'une requête entachée d'une irrecevabilité susceptible d'être couverte en cours d'instance à la régulariser et qu'il doit être procédé à cette invitation par lettre remise contre signature ou par tout autre dispositif permettant d'attester la date de réception.

Il suit de là que la communication au requérant par lettre simple d'un mémoire en défense soulevant une fin de non-recevoir ne saurait, en principe, dispenser le juge administratif de respecter l'obligation susrappelée, à moins qu'il ne soit établi par ailleurs que le mémoire en défense a bien été reçu par l'intéressé.

Ce n’était pas le cas en l’espèce où il ne pouvait être réputé avoir reçu ledit mémoire, d’autant que le demandeur n’avait pas répliqué au mémoire en défense qui lui avait été adressé par lettre simple, d’où l’annulation de l’arrêt prononcé à la suite de cette irrégularité procédurale.

(23 octobre 2020, M. B., n° 434882 ; V., du même jour avec même requérant : n° 434882)

 

35 - Appel – Effet dévolutif de l’appel – Obligation s’imposant à la juridiction d’appel en cas d’annulation du jugement – Absence d’examen d’un autre moyen soulevé en première instance – Cassation avec renvoi.

Rappel d’une règle constante du contentieux de l’appel en conséquence de l’effet dévolutif attaché à l’appel.

Lorsque la juridiction d'appel censure un motif retenu par les premiers juges, il lui appartient, en vertu de l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'ensemble des moyens présentés en première instance, alors même qu'ils ne seraient pas repris dans les écritures produites, le cas échéant, devant elle, à l’exception de ceux qui auraient été expressément abandonnés en appel et de ceux qui sont inopérants. 

Pour n’avoir point examiné, après annulation du jugement, les autres moyens présentés en première instance, la cour entache en l’espèce son arrêt d’irrégularité.

(7 octobre 2020, M. X., n° 432842)

 

36 - Application Télé recours - Fichier télétransmis comportant plusieurs pièces – Obligation d’identité entre intitulé de chaque pièce et son énumération dans l’inventaire joint – Condition de recevabilité de la requête – Nécessité de signets pour les fichiers regroupant des pièces ne constituant une série homogène - Irrecevabilité – Dénaturation des pièces du dossier – Cassation avec renvoi.

Dénature le dossier de l’instance et encourt la cassation l’ordonnance d’un magistrat de cour administrative d’appel qui, pour dire irrecevable l’appel, se fonde sur ce que les fichiers joints au mémoire ne regroupaient pas des pièces constituant une série homogène dispensant le requérant de répertorier individuellement, par un signet, tous les documents y figurant. En effet, le juge de cassation relève en premier lieu que la demande devant le tribunal administratif comportait quatorze fichiers contenant, chacun pour une année donnée, de nombreux documents visant à établir sa résidence en France de 2005 à 2018 ; il constate, en second lieu, que le référencement de ces fichiers ainsi que l'ordre de présentation, au sein de chacun d'eux, des pièces qu'ils regroupaient étaient conformes à l'énumération, figurant à l'inventaire, de toutes les pièces jointes à cette demande.

(7 octobre 2020, M. X., n° 436713)

 

37 - Pourvoi en cassation – Notion de partie en cassation – Cas d’un observateur -Personne défenderesse qui s’est abstenue d’interjeter appel – Communication de l’appel à cette personne - Impossibilité pour cette dernière de se pourvoir en cassation – Rejet du pourvoi pour irrecevabilité.

Le Conseil d’État rappelle ici les principes qui gouvernent la capacité pour se pourvoir en cassation. Il réitère les solutions classiques avec un grand souci de pédagogie.

Tout d’abord, ne peuvent agir en cassation que les personnes qui ont eu la qualité de parties dans l'instance ayant donné lieu à la décision attaquée ainsi qu'à celles qui y sont intervenues, que leur intervention ait été admise ou non, ou qui ont fait appel du jugement ayant refusé d'admettre leur intervention.

Les personnes qui n’avaient au cours de l’instance frappée de pourvoi que la qualité d’observateurs pour avoir seulement reçu communication de l’existence de cette procédure ne sauraient valablement se pourvoir.

Lorsqu'un tiers saisit un tribunal administratif d'une demande tendant à l'annulation d'une autorisation administrative individuelle, le tribunal doit, lorsqu'il instruit l'affaire, appeler dans l'instance la personne qui a délivré l'autorisation attaquée ainsi que le bénéficiaire de celle-ci. C’est cette communication qui confère à ces personnes la qualité de parties en défense ce qui les rend recevables à former appel du jugement annulant l'autorisation, alors même qu'elles n'auraient produit aucune défense en première instance.

Lorsque l'une d'elles fait seule régulièrement appel dans le délai, le juge d'appel peut communiquer pour observations cet appel aux autres parties au litige en première instance, au nombre desquelles figure la personne défenderesse en première instance qui s'est abstenue de faire appel. Toutefois, cette communication ne confère pas à celle-ci la qualité de partie à l'instance d'appel et ne la rend, par suite, pas recevable à se pourvoir en cassation contre la décision rendue à l'issue de cette instance.

L’accès à l’instance en cassation ne saurait naître par génération spontanée.

(7 octobre 2020, Société BL Conseils, n° 438889)

 

38 – Covid-19 - Arrêté préfectoral du 31 août 2020 – Arrêté du 2 octobre 2020 abrogeant le précédent – Appel de l’ordonnance de référé liberté – Recours sans objet contre l’arrêté du 31 août et irrecevable en appel en tant que dirigé contre celui du 2 octobre – Rejet.

Dans le cadre d’un appel dirigé contre une ordonnance du juge du référé liberté rejetant le recours de l’intéressé contre un arrêté préfectoral du 31 août 2020 portant diverses mesures pour lutter contre l’épidémie de Covid-19, l’appelant forme également des conclusions en annulation de l’arrêté préfectoral du 2 octobre 2020 abrogeant et remplaçant le précédent.

L’appel est rejeté comme devenu sans objet en tant qu’il est dirigé contre un arrêté abrogé à la date à laquelle le juge d’appel statue et il est déclaré irrecevable contre le second arrêté. Ce dernier, pris après nouvelle instruction, est une décision entièrement nouvelle dont la contestation pour la première fois en appel est irrecevable car il en va ainsi de toute demande nouvelle en appel.

(ord. réf. 8 octobre 2020, M. X., n° 444896)

 

39 - Aide juridictionnelle. – Attribution de l’aide juridictionnelle totale par un TGI – Notification par lettre recommandée – Absence de preuve de deux envois successifs – Absence de vaine présentation – Tardiveté du recours retenue – Erreur de droit – Cassation.

Le demandeur avait obtenu du bureau d'aide juridictionnelle d’un TGI l'aide juridictionnelle totale. Le pli recommandé notifiant cette décision lui a été présenté à son adresse le 26 janvier 2019 puis a été retiré le 29 janvier 2019. Le ministre de l’intérieur soutient que deux plis de notification distincts auraient été en réalité adressés sans que cette affirmation soit établie par les pièces du dossier.

Commet ainsi une erreur de droit le juge de la juridiction d’appel qui estime tardive la requête et, par suite, la juge manifestement irrecevable, au motif que la décision du bureau d'aide juridictionnelle lui avait été notifiée le 26 janvier 2019, date que le juge retient – à tort - comme celle de la vaine présentation du pli contenant cette décision alors que la date de vaine présentation ne peut être regardée comme la date de notification que si le pli a été retourné à son expéditeur à l'expiration du délai de conservation par le service postal, sans avoir été retiré, ce qui n’était pas le cas en l’espèce, d’où la cassation de l’ordonnance attaquée prononcée avec renvoi.

(23 octobre 2020, M. A., n° 435652)

 

40 - Règle du délai raisonnable – Déchéance d’une entreprise des droits attribués par un contrat d’agriculture durable - Application de la jurisprudence Czabaj au cas du rejet implicite d’un recours gracieux – Rejet du pourvoi.

La narration et la chronologie du déroulement de cette affaire sont essentielles à la compréhension des données du litige et du contenu de la solution.

Après un contrôle sur place, une société est invitée, par lettre du préfet du 2 juillet 2012, à rembourser les sommes perçues au titre d’un contrat d’agriculture durable qu’elle avait souscrit et dont il lui était reproché de n’en avoir pas respecté les clauses. La société a formé un recours gracieux que l’administration préfectorale a reçu le 13 juillet 2012, tandis que le 22 octobre 2012 l’Agence de services et de paiement a émis un ordre de reversement qu’elle a suspendu le 22 novembre 2012, après avoir reçu un courrier du 9 novembre 2012 de la société lui indiquant qu’elle avait formé un recours gracieux contre la décision de remboursement litigieuse.

Cependant, l’Agence a confirmé l’ordre de reversement en février 2014 et, en réponse au courrier par lequel la société lui indiquait n’avoir pas reçu de réponse à son recours gracieux, elle a, le 1er avril 2014, confirmé l’ordre de reversement initial.

La société a demandé au préfet, par lettre du 22 avril 2014, dont copie a été également communiquée à l’Agence de services et de paiement, de répondre à son recours gracieux contre sa lettre du 2 juillet 2012. En suite de quoi, la société a d’abord reçu un courrier de l’Agence, le 6 mai 2014, l’informant qu’elle transmettait sa demande au préfet et qu’à défaut de réponse de ce dernier dans un délai de deux mois, elle devrait être regardée comme implicitement rejetée, puis, par un second courrier, une décision de rejet explicite du préfet en date du 7 juillet 2014.

Le recours formé par la société contre les deux décisions du préfet, celle du 2 juillet 2012 et celle du 7 juillet 2014, a été rejeté en première instance. En revanche, la cour administrative d’appel a annulé ce jugement contre lequel le ministre s’est pourvu en cassation.

Il reproche à la cour de n’avoir pas opposé d’office à l’appel de la requérante une irrecevabilité tirée de ce que la saisine du juge ayant eu lieu le 6 septembre 2014, celle-ci, par application du délai raisonnable d’un an, était tardive dès lors que, par son recours gracieux formé le 13 juillet 2012 la société a manifesté sans équivoque sa connaissance, au plus tard à cette date, de la décision du 2 juillet 2012.

Le Conseil d’État rejette le pourvoi au terme d’une analyse très technique dont il faut approuver la conclusion.

Rappelant d’abord qu’un recours gracieux est bien « une demande adressée à l’administration » au sens et pour l’application de l’art. L. 110-1 du code des relations du public avec l’administration et que la réponse à celui-ci devait comporter mention des voies et délais de recours, le juge indique ensuite, d’une part, que, par nature, une décision implicite de rejet – qui est immatérielle - ne comporte pas de telles mentions et qu’en principe elles ne sont pas opposables à leur destinataire y compris lorsqu’il s’agit du rejet implicite d’un recours gracieux, et, d’autre part, que le principe de sécurité juridique s’opposant à l’existence de délais de recours indéfinis, il y a lieu d’appliquer la règle jurisprudentielle du délai raisonnable qui fixe en ce cas à un an, sauf hypothèses ou cas particuliers, le délai de recours contentieux.

Le juge décide alors que ces principes sont applicables également à la contestation d'une décision implicite de rejet née du silence gardé par l'administration sur une demande présentée devant elle – y compris dans le cas du rejet implicite d’un recours gracieux -, lorsqu'il est établi que le demandeur a eu connaissance de la décision.

Et le juge d’expliciter alors en forme de vade-mecum : « La preuve de la connaissance du rejet implicite d'un recours gracieux ne saurait résulter du seul écoulement du temps depuis la présentation du recours. Elle peut en revanche résulter de ce qu'il est établi, soit que l'intéressé a été clairement informé des conditions de naissance d'un refus implicite de son recours gracieux, soit que la décision prise sur ce recours a par la suite été expressément mentionnée au cours de ses échanges avec l'administration. S'il n'a pas été informé des voies et délais dans les conditions prévues par les textes (…), l'auteur du recours gracieux, dispose, pour saisir le juge, d'un délai raisonnable qui court, dans la première hypothèse, de la date de naissance de la décision implicite et, dans la seconde, de la date de l'événement établissant qu'il a eu connaissance de cette décision ».

En l’espèce seule devait être retenue la date du 7 juillet 2014, or il est constant que la saisine du juge a eu lieu le 6 septembre 2014 soit avant que n’expire, le 8 septembre 2014, le délai du recours contentieux.

La cour administrative d’appel, contrairement à ce que soutient l’auteur du pourvoi, n’avait pas à opposer d’office une irrecevabilité qui, à la date où le premier juge a été saisi, n’était pas expirée.

(12 octobre 2020, Ministre de l'agriculture et de l'alimentation, n° 429185)

 

41 - Pôle emploi – Nature non juridictionnelle des organes compétents pour décider des sanctions – Garanties de procédure suffisantes – Mise en œuvre de l’art. R. 611-7-1 CJA (fixation de la date limite pour l’invocation de moyens nouveaux) - Applicabilité de cette procédure aux tiers intervenants – Irrecevabilité.

L’art. R. 611-7-1 du CJA dispose dans son 1er alinéa : « Lorsque l'affaire est en état d'être jugée, le président de la formation de jugement ou le président de la chambre chargée de l'instruction peut, sans clore l'instruction, fixer par ordonnance la date à compter de laquelle les parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux ». Cette disposition est applicable également à un tiers intervenant au procès. Ceci est normal, équilibré et juste : l’intervenant, qui s’est donc abstenu d’intenter le procès, ne saurait, dans le cadre d’un procès introduit par un autre que lui, disposer de plus de pouvoirs que ce dernier n’en a en se voyant autorisé à produire des moyens nouveaux quand la partie principale ne peut plus en produire elle-même.

(14 octobre 2020, Union syndicale Solidaires, n° 428524 ; M. X., n° 429333) V. n° 12

 

42 - Demande d’échange de permis de conduire – Refus – Non communication au requérant du premier mémoire du préfet de police défendeur – Irrégularité – Cassation du jugement avec renvoi.

Encourt la cassation le jugement rendu au terme d’une procédure au cours de laquelle le premier mémoire du préfet de police défendeur n’a pas été communiqué au demandeur alors qu’il influe sur la motivation du jugement attaqué.

(20 octobre 2020, M. A., n° 432605)

 

 43 - Compétence du tribunal administratif statuant en premier et dernier ressort (R. 811-1, 4° CJA) – Litige portant sur la taxe spéciale d’équipement – Perception au bénéfice d’établissements publics de l’État – Absence de caractère d’impôt local – Appel devant être porté devant la cour administrative d’appel – Renvoi à cette dernière.

(21 octobre 2020, Société Paris Nord Invest Hôtels, n° 437497) V. n° 61

 

Contrats

 

44 - Ensemble contractuel – Notion – Contrats de prestations de service marketing et contrats de prestations de services aéroportuaires – Contrats distincts – Erreur de qualification des faits – Cassation avec renvoi à la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF).

Le requérant, président de la chambre de commerce et d’industrie (CCI) de La Rochelle a été condamné à une amende par la CDBF pour avoir conclu des contrats et avenants irréguliers avec des sociétés de transport aérien et avec la filiale de l’une d’elles.

Il faisait valoir devant la Cour que les deux séries de contrats, d’une part, ceux portant sur la prestation de services aéroportuaires de desserte aérienne de l’aéroport géré par la CCI, et d’autre part, ceux relatifs à des prestations de service marketing, constituaient en réalité un ensemble contractuel qu’il y avait lieu d’examiner comme une unique opération contractuelle.

La Cour, pour rejeter cette argumentation, a relevé que ces contrats avaient été signés à des dates différentes, que leur durée n'était pas identique et que l'objet des contrats de marketing en cause était de faire la promotion de la région de La Rochelle sur le site internet d'une entreprise de transport à bas coûts sans la limiter à la promotion de la desserte effectuée par cette entreprise

Sur pourvoi de l’intéressé, le Conseil d’État est à la cassation de la décision querellée car il ressort des pièces du dossier qui lui était soumis que les entreprises de transport concernées avaient subordonné le maintien de leur desserte à la conclusion des contrats de prestations de service marketing en cause et que, dès lors, ces derniers étaient non dissociables des contrats de prestations aéroportuaires et formaient en conséquence avec eux un même ensemble contractuel. C’est le rappel que la qualification comme ensemble contractuel, si elle résulte d’une certaine logique objective, ne saurait pour autant ignorer la volonté des parties, élément essentiel de cet acte subjectif qu’est, fondamentalement, un contrat.

(7 octobre 2020, M. X., n° 433986)

 

45 - Résiliation – Contrat conclu entre un office public et une société de recouvrement de créances locatives – Restitution partielle avec renseignements incomplets – Compétence du juge administratif pour ordonner sous astreinte la restitution des dossiers et informations restants (art. L. 521-3 CJA) – A défaut d’urgence, injonction ne peut être faite à la société de reverser à l’office les sommes perçues des débiteurs locatifs – Rejet partiel. – Cassation sans renvoi.

Un office public de l’habitat, qui avait confié par contrat à une société privée de recouvrement le recouvrement de ses créances locatives, résilie le contrat la liant à cette société et lui réclame, après une remise partielle, la restitution des dossiers encore détenus par elle ainsi que des pièces et informations manquants.

Le Conseil d’État, après cassation de l’ordonnance de première instance pour des motifs de procédure, règle le litige au fond.

Tout d’abord, le juge relève que les dossiers déjà remis à l’office (260 sur 330) étaient incomplets ne comportant pas tous le montant des créances restant à recouvrer ni les actes de poursuite déjà effectués. Il constate également que leur restitution en exécution du contrat résilié, est, parce qu’indispensable à la continuation des procédures de recouvrement des créances de loyers, tout à la fois utile et urgente compte tenu du risque que ces créances ne puissent plus être recouvrées. Au reste, le juge note que la société ne conteste pas sérieusement qu'elle doit restituer ces dossiers.

Dès lors, l'office ne disposant d'aucun moyen lui permettant de contraindre par la voie administrative la société de les lui remettre, il est fondé à demander, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-3 du CJA, qu'il soit enjoint à la société Sud Contentieux de lui remettre, sous astreinte de 300 euros par jour de retard après un délai de 15 jours, l'ensemble des dossiers et des documents de recouvrement encore en sa possession ainsi qu'un état des règlements des créances et un état des procédures de recouvrement en cours, actualisés au jour de la décision ou d'une date postérieure.

Ensuite, le juge estime que les dispositions de l’art. L. 521-3 CJA, si elles permettent au juge des référés d'ordonner la restitution de sommes dues au requérant, notamment celles déjà versées à ses débiteurs, dès lors qu'il ne dispose d'aucun moyen de contraindre par voie administrative la société à lui reverser ces sommes, elles ne lui permettent pas en revanche – en l’absence d’urgence - d’enjoindre à la société Sud Contentieux de verser ces sommes à l’office.

(7 octobre 2020, Société Sud Contentieux, n° 438529)

 

46 - Dispositions réglementaires d’un contrat de concession – Demande d’abrogation – Refus – Abrogation expresse ou implicite après introduction d’un recours – Recours sans objet sauf au cas de nouvelles dispositions réglementaires très semblables aux précédentes – Application dans l’hypothèse du remplacement de clauses contractuelles réglementaires par d’autres – Rejet.

(7 octobre 2020, M. X., n° 438080) V. n° 2

 

47 - Contrat de concession d’exploitation d’une salle communale omnisports – Contrat conclu avec une société mais exécuté par une société créée ad hoc dont l’attributaire initiale demeurait solidaire – Liquidation de la société chargée de l’exécution du contrat – Clause du contrat imposant dans deux cas une conciliation obligatoire avant contentieux – Émission de titres exécutoires  sans application de cette clause – Titres ne portant pas sur les cas soumis à conciliation préalable – Notion de différend sur l’interprétation ou sur l’exécution du contrat -  Possibilité limitée, pour le juge, de moduler les pénalités – Rejet - Cassation sans renvoi, le juge ayant décidé de statuer au fond.

Les 17 pourvois ayant été réunis, le Conseil d’État examine le litige né du chef de neuf titres exécutoires émis par la commune requérante entre 2015 et 2016 à titre de pénalités dans le cadre de l’exécution d’un contrat conclu le 19 octobre 2012, concédant l’exploitation à la société Vert Marine de la salle communale omnisports.

Ces titres exécutoires ont été annulés en première instance et cette annulation a été confirmée en appel. La commune se pourvoit.

Celle-ci se prévaut de ce qu’il n’a pas été répondu au moyen qu’elle avait soulevé dans chacune des 17 procédures, moyen opposant l’irrecevabilité à la demande de la société Vert Marine, du fait du non-respect, par sa saisine directe du juge, de la clause de conciliation préalable obligatoire figurant au contrat de concession.

La cour n’ayant pas répondu à ce moyen qui n’était pas inopérant, son arrêt est cassé et le juge de cassation décide de statuer au fond.

Plusieurs questions se posaient, de difficultés et de natures diverses.

Tout d’abord, le contrat conclu entre la commune et la société Vert Marine devait être exécuté par une société spécialement créée en vue de cette exécution, la société VM 06160, laquelle s'est substituée à la société Vert Marine dans l'ensemble de ses droits et obligations contractuels mais dont cette dernière demeurait solidaire. La société VM 06160 ayant été mise en liquidation, le Conseil d’État estime que c’est à bon droit que la commune s’est retournée vers la société Vert Marine pour avoir paiement des titres exécutoires qu’elle avait émis puisqu’elle demeurait complètement solidaire des engagements pris sans que puisse faire obstacle à cette conséquence la circonstance que le liquidateur de la société VM 06160 ait indiqué résilier le contrat en application de l'article L. 641-11-1 du code de commerce, dès lors que l’obligation d’acquitter les titres exécutoires résultaient d’engagements contractuels propres conclus entre la société Vert Marine et la commune concédante. Le jugement est annulé sur ce point pour avoir jugé le contraire.

Ensuite, se posait la question de l’obligation de conciliation avant tout recours contentieux. Il est certain qu’en saisissant directement le juge administratif la société Vert Marine n’a pas respecté la clause figurant à l’art. 46 du contrat de concession qui imposait une conciliation préalable par un expert désigné d’un commun accord. Toutefois, le juge relève que chacun des titres exécutoires transmis à la société Vert Marine comportait, s'agissant des délais et voies de recours, l’indication que les sommes mentionnées sur les titres pouvaient être contestées « en saisissant directement le tribunal judiciaire ou administratif compétent selon la nature de la créance ». Il en déduit qu’en ne faisant pas référence aux stipulations de l’art. 46 précité la commune doit être considérée comme ayant renoncé à opposer cet article et, par suite, elle n’est pas fondée à l’invoquer à l’encontre de la société Vert Marine. Sa prétention, de ce chef, est rejetée.

Inversement, il ne saurait être reproché à la commune d’avoir émis des titres exécutoires directement sans conciliation préalable car cette procédure de conciliation, selon les termes mêmes du contrat de concession, n’était prévue que pour les différends portant sur l’interprétation ou sur l’exécution du contrat. Tel n’est pas le cas de l’émission d’un titre exécutoire qui ne porte pas sur un différend dans l’interprétation ou l’exécution du contrat.

Enfin, se posait la question de la modulation des pénalités. Si le juge administratif s’est reconnu, tardivement, le pouvoir qu’il s’est longtemps refusé à exercer, de moduler, comme son collègue judiciaire, les pénalités contractuelles c’est de façon exceptionnelle, lorsque les pénalités résultant de l’application des dispositions contractuelles atteignent un montant manifestement excessif ou dérisoire. Ce n’est pas le cas dans cette affaire, selon le juge, le montant total de ces pénalités représentant 6,8% des recettes prévisionnelles de la convention durant son exécution pendant dix ans.

Ce chef de demande est rejeté.

(12 octobre 2020, Commune d’Antibes, n°s 431903 à 431905 inclus, 431907 à 431910 inclus, 431912 à 431918 inclus, 431920 et 431921, 431923)

 

48 - Projet éducatif territorial – Convention conclue entre une commune et une caisse départementale d’allocations familiales en vue de l’organisation et de la réalisation d’activités périscolaires – Recours de tiers – Existence de clauses réglementaires car concernant l’organisation et le fonctionnement d’un service public -  Recours pour excès de pouvoir possible de la part de tiers – Cassation de l’arrêt pour erreur dans l’appréciation de l’étendue des pouvoirs de la cour saisie – Renvoi dans la mesure de la cassation prononcée.

Des parents d’élèves contestent des clauses d’un contrat éducatif territorial conclu entre une commune et une caisse départementale d’allocations familiales en vue de l’organisation d’activités périscolaires pour les enfants fréquentant les écoles de la commune.

Ces requérants étant tiers au contrat litigieux, ils ne peuvent contester que celles des clauses de celui-ci, s’ils en existent, revêtant un caractère réglementaire. Ce recours, qui s’ajoute au recours de plein contentieux dont disposent les tiers pour contester la validité du contrat, est un recours pour excès de pouvoir.

Pour déterminer le caractère réglementaire des clauses en cause le Conseil d’État retient qu’il en va ainsi des clauses qui ont, par elles-mêmes, pour objet l'organisation ou le fonctionnement d'un service public. Tel était le cas en l’espèce.

La cour administrative d’appel avait qualifié cette action de recours de plein contentieux et, par suite, s’était méprise sur l’étendue de ses pouvoirs, d’où la cassation, dans cette mesure, de son arrêt.

Cette décision confirme implicitement mais nécessairement et la nature pleinement contractuelle du projet éducatif territorial et sa nature de contrat administratif ; elle apporte un élément de précision important pour déterminer la nature réglementaire des clauses d’un contrat administratif.

(9 octobre 2020, Commune de Montpellier, n° 422483)

 

49 - Marché public de réalisation de diagnostics techniques réglementaires avant démolition, relocation, vente et travaux – Recours à la procédure concurrentielle avec négociation – Procédure normale lorsqu’en sont réunies les conditions de passation – Absence en l’espèce – Annulation de l’ordonnance de référé de première instance – Annulation de la procédure de passation du marché.

Pour passer un marché de réalisation de diagnostics techniques réglementaires avant démolition, relocation, vente et travaux portant sur de nombreux immeubles d’ancienneté, de localisation, d’état et autres très disparates, Lyon Métropole Habitat (LMH) a fait choix de recourir à la procédure concurrentielle avec négociation. Un candidat évincé a obtenu du juge des référés du tribunal administratif, sur le fondement de l'article L. 551-1 du CJA, l’annulation de la procédure de passation du lot n° 3 de ce marché.

LMH se pourvoit.

Le Conseil d’État relève tout d’abord que la procédure concurrentielle avec négociation a été introduite en droit de l’Union (directive du 26 février 2014 relative à la passation des marchés publics) pour ouvrir plus de souplesse, en certains cas, dans les conditions de passation des marchés, cette procédure constituant l’une des procédures de droit commun en matière de marchés publics. Il rappelle toutefois que parce que dans ces marchés sont très réduites les conditions de la mise en concurrence et de publicité, la réglementation soumet leur utilisation au respect d’exigences qui lui sont propres et qui sont limitativement énumérées.

Pour justifier l’utilisation de cette procédure, LMH invoquait la circonstance que le besoin ne pouvait pas être satisfait sans adapter des solutions immédiatement disponibles, ce qui est l’une des hypothèses retenues par le 1° du II de l’art. 25 du décret du 25 mars 2016 (codifié au n° R. 2124-3 du code de la commande publique). Etaient avancés pour cela le fait que cette opération concernait un parc immobilier nombreux, disparate, comportant des logements tant individuels que collectifs, disséminé sur un grand nombre de communes, dont les dates de construction étaient variables, et alors qu'en outre le règlement de la consultation autorisait les variantes. Sans contester ces éléments le juge estime « que les prestations de service demandées portaient sur les diagnostics exigés par différentes réglementations, devant être faits conformément aux normes applicables auxquelles renvoyait le cahier des clauses techniques particulières, et qu'il s'agissait donc de prestations connues et normalisées ». La circonstance, particulière à l’espèce, que la réalisation de tels diagnostics à une grande échelle et sur un vaste territoire supposait une adaptation des méthodes de l'entreprise, n’imposait nullement que ces prestations ne pouvaient être réalisées qu'au prix d'une adaptation par les candidats des solutions immédiatement disponibles. 

Dès lors, la société demanderesse en première instance, dont l’offre était régulière, était fondée à demander l’annulation de la procédure.

Cette décision, qu’il faut complètement approuver, prend peut-être une certaine liberté par rapport à l’intention du législateur européen lequel a précisé que cette procédure dite concurrentielle avec négociation était au même rang que les autres procédures formalisées. Cette attitude du Conseil d’État est cependant logique dans la mesure où il ne s’agit pas là d’une procédure tout à fait comme les autres en raison du degré d’atteinte qu’elle comporte aux principes de mise en concurrence et de publicité. Ceci impliquait donc que le juge, comme il l’a fait, interprète strictement la réalité des circonstances consacrant l’existence de situations dérogatoires.

(7 octobre 2020, Lyon Métropole Habitat (LMH), n° 440575)

 

50 - Concessions – Interdiction de soumissionner (art. L. 3123-1 c. commande publ.) à raison de la commission de certaines infractions pénales (art. R. 3123-16 à R. 3123-21 du code de la commande publique) – Obligation de prévoir la possibilité d’apporter la preuve qu’ont été prises des mesures correctrices – Absence dans le droit français – Incompatibilité avec le droit de l’Union – Mise à l’écart, à titre provisoire, de la prohibition française – Annulation.

La requérante avait demandé au premier ministre – en vain du fait de son silence - l'abrogation des articles 19 et 23 du décret n° 2016-86 du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession en ce qu’ils font interdiction de soumissionner pendant cinq ans aux opérateurs économiques frappés de certaines sanctions pénales sans possibilité pour eux de démontrer leur fiabilité du fait qu’ils ont pris des mesures correctrices. Elle saisit le Conseil d’État.

Comme l’ordonnance française sur les concessions a été prise en et pour l’application de la directive du 26 février 2014 sur l’attribution de contrats de concession, le Conseil d’État a saisi de questions préjudicielles la Cour de justice de l’Union européenne sur ce point. Celle-ci (arrêt du 19 juin 2020, Vert Marine SAS/Premier ministre, Ministre de l'Économie et des Finances, aff. C-472/19) a dit pour droit qu’est incompatible avec cette directive une réglementation nationale qui n'accorde pas à un opérateur économique condamné de manière définitive pour l'une des infractions visées à l'article 38, paragraphe 4, de cette directive et faisant l'objet, pour cette raison, d'une interdiction de plein droit de participer aux procédures de passation de contrats de concession, la possibilité d'apporter la preuve qu'il a pris des mesures correctrices susceptibles de démontrer le rétablissement de sa fiabilité. 

Dès lors il incombait au premier ministre d’accéder à la demande la requérante et son refus implicite est annulé.

Le Conseil d’État n’en reste pas là : une telle disposition incompatible ne pouvant demeurer dans l’ordre juridique français, il décide que durant le temps nécessaire à son abrogation et à son remplacement «  l'exclusion de la procédure de passation des contrats de concession prévue à l'article L. 3123-1 du code de la commande publique n'est pas applicable à la personne qui, après avoir été mise à même de présenter ses observations, établit dans un délai raisonnable et par tout moyen auprès de l'autorité concédante, qu'elle a pris les mesures nécessaires pour corriger les manquements correspondant aux infractions mentionnées au même article pour lesquelles elle a été définitivement condamnée et, le cas échéant, que sa participation à la procédure de passation du contrat de concession n'est pas susceptible de porter atteinte à l'égalité de traitement. »

Il faut complètement approuver et la solution en son principe et le palliatif provisoire pour concilier ce qui doit l’être.

(12 octobre 2020, Société Vert Marine, n° 419416)

(51) V. aussi, sur ce sujet avec même requérante : 12 octobre 2020, Société Vert Marine, n° 423152.

 

52 - Contrat de louage d’ouvrage – Notion – Absence en l’espèce – Mise à disposition, obligatoire pour l’État, de ses services – Absence d’application possible du régime de la garantie décennale – Rejet.

Le litige ayant donné lieu à cette décision portait sur des désordres survenus sur une digue après réception des travaux de modernisation du canal du Rhône à Sète confiés par l’État à Voies navigables de France (VNF) dans le cadre d’une convention de superposition de gestion, la maîtrise d’œuvre ayant été dévolue au service maritime et de navigation de Languedoc Roussillon, qui est un service extérieur de l’État, et la réalisation des travaux ayant été attribuée par VNF à un groupement solidaire d'entreprises. L’ouvrage ainsi réalisé a été transféré à la région Occitanie qui, par suite de la survenue de désordres, a actionné l’État, VNF et les membres du groupement solidaire d’entreprises en garantie décennale des constructeurs ; le tribunal administratif a condamné ces diverses personnes juridiques à indemniser la région demanderesse et à la prise en charge des frais d’expertise (s’élevant à eux seuls à presque 290 000,00 euros). Sur appels principal du ministre de la transition économique et incident de VNF, la cour administrative d’appel a, d’une part, déchargé l’État et VNF des condamnations prononcées contre eux, et, d’autre part, reporté l’ensemble de celles-ci sur les sociétés défenderesses.

Pour rejeter le pourvoi principal de ces dernières et le pourvoi incident de la région Occitanie contre cet arrêt, le Conseil d’État rappelle que si les conventions conclues à titre onéreux et en dehors de toute obligation entre l'Etat et une personne publique bénéficiaire pour confier aux services déconcentrés de l'Etat des travaux d'études, de direction et de surveillance de projets de cette personne publique sont des contrats de louage d'ouvrage dont l'inexécution ou la mauvaise exécution est susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat dans les conditions de droit commun, il n’en va pas de même, en revanche, des conventions de mise à disposition des services de l'Etat qui sont conclues à titre gratuit et sont de droit lorsque leurs bénéficiaires le demandent. Or tel était le cas en l’espèce où, ne se trouvant pas en présence d’un contrat de louage d’ouvrage, ne pouvait être mise en jeu la garantie décennale des constructeurs alors que la personne qui, en application d'une convention passée avec le maître d'ouvrage, assure la maîtrise d'ouvrage des travaux pour le compte de ce dernier, et, au terme de sa mission, lui remet l'ouvrage, ne saurait être regardée comme une personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu'elle a construit ou fait construire.

C'est donc sans erreur de droit qu'après avoir relevé que l'Etat avait confié la maîtrise d'ouvrage des travaux de réalisation de la digue à Voies navigables de France, la cour a jugé que ce dernier établissement public ne pouvait pas être considéré comme « constructeur » au sens de l’art. 1792-1 du Code civil.

(23 octobre 2020, Sociétés Razel Bec, Vinci Construction Maritime et Fluvial, venue aux droits de la société EMCC, et Bouygues Travaux publics Régions France, n° 437717)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

53 - Nouvelle-Calédonie – Redevance « superficiaire » - Application du mécanisme dit « de stabilité fiscale » - Refus – Illégalité – Annulation avec renvoi.

La société requérante qui exploite d’importants gisements de nickel en Nouvelle-Calédonie, conteste son assujettissement à la redevance « superficiaire », assise sur la superficie totale des terrains exploités et demande en outre le remboursement des sommes déjà versées à ce titre.

Elle se pourvoit en cassation après rejet de sa requête en première instance et en appel.

Le Conseil d’État lui donne raison.

Le code fiscal de Nouvelle-Calédonie dispose notamment en son art. 7 que : « Les entreprises dont les activités relèvent de la métallurgie des minerais (…) qui présentent une importance particulière pour le développement économique de la Nouvelle-Calédonie pourront bénéficier pour l'ensemble de leurs activités, sur justification d'un engagement de programme d'investissements, d'un régime de stabilisation fiscale. Pour bénéficier de ce régime, les entreprises devront être agréées par délibération. Ce régime leur garantira que ni l'assiette ni le taux de l'impôt sur (leurs) activités (…) et des impôts, droits et taxes existants pour lesquels ces entreprises sont ou deviendraient des contribuables prépondérants, ne seront aggravés en ce qui les concernent. (…) »

Appliquant ici une critérisation négative classique, le juge constate que la redevance superficiaire « n'a ni le caractère d'une redevance domaniale, dès lors qu'elle ne constitue pas la contrepartie de l'autorisation d'occuper le domaine public de la Nouvelle-Calédonie à laquelle elle est versée, ni le caractère d'une redevance pour service rendu, dès lors qu'elle ne tend pas à couvrir les charges d'un service public ou les frais d'établissement et d'entretien d'un ouvrage public et ne trouve pas sa contrepartie dans les prestations fournies par ce service ou l'utilisation de cet ouvrage », elle constitue donc un impôt perçu par la collectivité sur le fondement de l’art. 22 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie. 

Cet impôt, à raison de cette nature, entre bien dans le champ d’application de la disposition précitée de l’art. 7 instituant un mécanisme de « stabilité fiscale ». Il en va ainsi sans que puisse y faire obstacle la circonstance que cette redevance a été instituée par le code minier, contrairement à ce qu’a jugé la cour administrative d’appel.

(5 octobre 2020, Société Le Nickel, n° 423928)

 

54 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Dégrèvement possible en raison des dépenses exposées pour la rénovation d’immeubles affectés à l’habitation – Faculté applicable aux organismes d’HLM - Obligation nécessaire et suffisante de respecter les critères énoncés par le CGI – Rejet.

L’article 278 sexies du CGI fixe (au 1° du 1 du IV) les critères que doivent satisfaire les dépenses de travaux de rénovation réalisées dans les immeubles d’habitation par leurs propriétaires, y compris les organismes d’HLM, pour pouvoir bénéficier du dégrèvement de taxe foncière sur les propriétés bâties institué à l’art. 1391 E du CGI.

C’est dans ces conditions qu’une société d’HLM a demandé le bénéfice de ces dispositions à raison des travaux qu’elle a accomplis en vue de réaliser des économies d’énergie. Sa demande ayant été rejetée, elle a saisi le tribunal administratif qui lui a donné raison, d’où le pourvoi du ministre.

Ce dernier reproche aux juges du fond de n’avoir pas tenu compte de la circonstance que les factures produites mentionnaient une taxe sur la valeur ajoutée au taux de 20% et n'attestaient pas, par elles-mêmes, d'une livraison des travaux à soi-même. On sait qu’en ce dernier cas la TVA ne s’applique pas.

Le Conseil d’État, s’appuyant sur les travaux parlementaires de la loi de finances rectificative du 29 décembre 2013 qui a institué ce dégrèvement, rejette l’argumentation : le dégrèvement est de droit dès lors que sont remplis les critères énoncés au 1° du 1 du IV de l'article 278 sexies du CGI.

C’était le cas en l’espèce ; le pourvoi du ministre est rejeté.

(12 octobre 2020, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 431314)

 

55 - Ordonnance de l’article 38 – Expiration du délai d’habilitation – Contestation impossible devant le juge administratif – Refus du gouvernement de présenter un projet de loi au Parlement – Acte de gouvernement – Rejet.

La requérante demandait la suspension de l'exécution de la décision implicite rejetant sa demande tendant : 1° à ce que soient prises sans délai les mesures d'application nécessaires à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 24 avril 2019 relative à l'indépendance des activités de conseil à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et au dispositif de certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques et 2° à ce que soit différée l'entrée en vigueur de l'article 1er de cette ordonnance au-delà du 1er janvier 2021.

Il faut retenir de cette décision deux enseignements qui ne constituent que des rappels de la jurisprudence la plus constante.

En premier lieu, une fois passé le délai durant lequel le gouvernement est habilité à prendre par voie d’ordonnances de l’article 38 de la Constitution des mesures relevant normalement du domaine de la loi, ces ordonnances ne peuvent plus être modifiées ou abrogées que par le législateur ou sur le fondement d'une nouvelle habilitation qui serait donnée au gouvernement.

En second lieu, le refus du gouvernement de déposer un projet de loi devant le Parlement, qui concerne les relations entre deux pouvoirs publics constitutionnels, constitue traditionnellement (au moins depuis : Sect. 18 juillet 1930, Rouché, Lebon 771) un acte de gouvernement et n’est donc susceptible d’aucun recours juridictionnel.

(ord. réf. 22 octobre 2020, Fédération du négoce agricole, n° 445180)

 

56 - Travaux de restauration sur un immeuble classé à l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques – Frais de restauration déduits du montant du revenu imposable à l’impôt sur les revenus – Redressement avec pénalités du fait que l’immeuble a été divisé postérieurement au 1er janvier 2009 – Cassation avec renvoi.

Les requérants, qui avaient réalisé d’importants travaux de restauration dans un immeuble classé à l’Inventaire, ont déduit leur montant, en qualité de déficit foncier, du revenu imposable à l’impôt sur le revenu. L’administration a remis en cause l'imputation de ce déficit foncier au motif que l'immeuble, qui avait fait l'objet d'une division en copropriété en 1924, avait de nouveau été divisé postérieurement au 1er janvier 2009 sans avoir fait l'objet de l'agrément prévu au V de l'article 156 bis du code général des impôts.

Leur action ayant été rejetée tant en première instance qu‘en appel, ils se pourvoient, avec succès, en cassation.

Le Conseil d’État relève tout d’abord qu’il résulte bien des dispositions de l’art. 156 et de celles du V de l’art. 156 bis du CGI, applicables au cours de l’année d’imposition litigieuse, que lorsque des immeubles classés ou inscrits à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques ont fait l'objet d'une division après le 1er janvier 2009, qu'il s'agisse d'une première division ou de divisions ultérieures, le bénéfice du régime fiscal dérogatoire prévu à l'article 156 du code général des impôts est subordonné à l'agrément de cette division par le ministre chargé du budget.

Toutefois, si cet agrément n’avait pas été sollicité en l’espèce, ni, donc, par suite, obtenu, les intéressés sont fondés à se prévaloir des dispositions de l’art. L. 80 A du livre des procédures fiscales permettant aux redevables d’impositions d’opposer à l’administration fiscale ses propres prises de position formelles interprétant un texte fiscal. Or il résulte des points 36, 37 et 42 de l'instruction du 6 octobre 2009 publiée au Bulletin officiel des impôts le 14 octobre 2009 et portant interprétation du V de l’art. 156 bis précité, que les propriétaires de lots d'immeubles historiques et assimilés ayant fait l'objet d'une mise en copropriété avant le 1er janvier 2009 et dont la copropriété n'avait pas disparu à cette date du fait notamment de la réunion de tous les lots entre les mains d'un même propriétaire, bénéficient du régime spécial prévu à l'article 156 du code général des impôts, alors même que de nouvelles divisions seraient intervenues après cette date. L’arrêt d’appel jugeant le contraire est cassé pour erreur de droit et l’affaire renvoyée à la même cour.

(7 octobre 2020, M. et Mme X., n° 425749)

 

57 - Droit de reprise de l’administration fiscale – Durée en matière d’impôt sur le revenu – Omission ou insuffisance déclarative révélée par une instance devant les tribunaux ou par une réclamation contentieuse – Prorogation du délai de reprise - Conditions – Cassation avec renvoi.

Le juge rappelle qu’en principe, selon l’art. L. 169 du LPF, le droit de reprise de l’administration fiscale en matière d’impôt sur le revenu expire le 31 décembre de la troisième année suivant celle au titre de laquelle l’imposition est due. Toutefois, en application des dispositions de l’art. L. 188 C (ex-L. 170) du LPF, même en cas d’écoulement de ce délai de reprise, les omissions ou insuffisances d'imposition révélées par une instance devant les tribunaux ou par une réclamation contentieuse peuvent être réparées par l'administration des impôts jusqu'à la fin de l'année suivant celle de la décision qui a clos l'instance et, au plus tard, jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due.

Il est fait cependant exception à cette exception lorsqu’il est établi que l'administration détenait des éléments suffisants lui permettant, par la mise en oeuvre des procédures d'investigation à sa disposition, d'établir ces insuffisances ou omissions d'imposition dans le délai normal de reprise précité. En ce cas, elle ne peut prétendre que les insuffisances ou omissions déclaratives lui ont été révélées par une instance devant les tribunaux au sens de l’art. 188 C précité.

En l’espèce, commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui, pour dire applicable cette dernière disposition, se fonde sur ce que l’administration fiscale a eu connaissance en 2007 que le contribuable était titulaire d’un compte dans un établissement financier et qu’elle a été informée du solde de ce compte au 1er janvier de chaque année de 2003 à 2006. En effet, l’état du solde ne renseigne pas sur les mouvements, tant en entrée qu’en sortie, affectant le compte au cours de l’année et ne met pas l’administration fiscale en état d’exercer ses pouvoirs de contrôle et d’investigation.

(14 octobre 2020, M. X., n° 425337)

 

58 - Impôt sur les sociétés – Variation de l’actif net – Imposition – Absence (2 de l’art. 38 du CGI) – Cas de l’émission d’obligations à bons de souscription d’actions (ABSA) – Rejet.

La société requérante avait émis des actions à bons de souscription d'actions (ABSA) mais l’administration fiscale, après vérification de sa comptabilité, a estimé que leur prix avait été minoré de 9 363 321 euros : d’une part, elle en a réintégré le montant dans les résultats de la société Elior Group et, d’autre part, y voyant une libéralité consentie aux sociétés ayant acquis des ABSA, a rehaussé le montant du résultat soumis à l'impôt sur les sociétés. Sur recours de la société, le tribunal, confirmé par la cour administrative d’appel, a annulé ce rehaussement de l’assiette et donc de l’impôt.

Le ministre des finances se pourvoit.

Le Conseil d’État rappelle les caractéristiques principales des ABSA : ce sont des actions de la société émettrice qui comportent en outre la faculté d'acquérir des actions supplémentaires de cette même société, pendant une période donnée, dans une proportion et à un prix fixés à l'avance, l’action et le droit d’acquisition futur d’actions ne sont pas cessibles séparément. Ce sont donc des valeurs mobilières qui constitue un unique instrument financier.

Les sommes, normalement en numéraire, provenant de la souscription d’ABSA constituent pour la société émettrice un supplément d'apport au sens du 2 de l'article 38 CGI, selon lequel : « Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés. » Il résulte des termes mêmes de cette disposition que le supplément d'apport résultant de l'émission d'ABSA n'entraîne, sauf exception qui ne se rencontrait pas en l’espèce, aucune variation de l'actif net. Son montant n’est donc pas susceptible de rentrer dans la base d'imposition à l'impôt sur les sociétés de l'émetteur.

C’est donc par une exacte qualification des faits et sans erreur de droit que la cour a jugé « que la circonstance que le montant perçu par la société émettrice d'actions à bons de souscription d'actions aurait été minoré était sans incidence sur le montant de son bénéfice imposable ». 

(21 octobre 2020, Société anonyme Elior Group, venant aux droits de la société par actions simplifiée (SAS) Financière Elior, de la SAS Eurelior, de la SAS Fidelior et de la SAS Sofilior, n° 429626)

(59) V. aussi, également en matière d’impôt sur les sociétés, la décision qui juge insuffisamment motivé l’arrêt d’appel estimant qu’une discordance forte entre la valeur d’apport par chacun des deux co-gérants d’un même nombre de parts d’une société à une autre (500 000 euros pour l’un et 1 937 4400 euros pour l’autre) suffit à démontrer l’existence dans le premier cas d’une intention libérale dont le montant aurait été à bon droit réintégré dans la valeur d’apport et imposé pour cette valeur. Il est reproché à la cour, qui n’a pas examiné les autres moyens présentés par la requérante, de ne pas avoir tenu compte du contexte dans lequel se sont déroulées les deux opérations successives mais distinctes de cession des parts : 21 octobre 2020, Société Nouvelle Cap Management (SNCM), n°434512.

 

60 - Taxe sur la valeur ajoutée – TVA acquittée du chef de l’acquisition de biens ou de services faisant partie de l’activité économique du redevable – Conditions de déductibilité – Interprétation par la CJUE d’une directive de l’Union européenne – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.

La requérante, qui exploite un EHPAD, a été redressée pour avoir déduit la totalité de la TVA qu’elle a acquittée lors de l’acquisition des biens et des services constituant des frais généraux liés à son activité. Contestant cette décision, elle a obtenu de la cour administrative d’appel la réduction des rappels de TVA et des pénalités y afférentes.

Le ministre se pourvoit contre cet arrêt.

Le Conseil d’État, rappelle l’interprétation donnée par la CJUE (18 octobre 2018, Commissioners for Her Majesty's Revenue and Customs c/ Volkswagen Financial Services (UK) Ltd, aff. C-153/17) des dispositions d’une directive européenne (art. 1er, 168 et 173 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée) transposées en droit interne sous la forme des articles 205 et 206, 271 et 273 du CGI sur lesquels l’administration fiscale s’appuie pour motiver sa décision de redressement assorti de pénalités : lorsque les dépenses effectuées pour acquérir des biens ou des services font partie des frais généraux liés à l'ensemble de l'activité économique de l'assujetti, ce dernier bénéficie d'un droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée dont l'étendue varie selon l'usage auquel les biens et les services en cause sont destinés. Lorsque les biens ou services sont utilisés concurremment pour la réalisation d'opérations taxées et pour la réalisation d'opérations exonérées, la déductibilité n'est que partielle, y compris dans l'hypothèse particulière où l'assujetti est tenu de répercuter l'intégralité du coût de ces dépenses dans le prix de ses seules opérations taxées.

Ainsi, l’arrêt de la cour administrative d’appel est cassé pour erreur de droit en ce qu’il a jugé que l'administration fiscale ne pouvait remettre en cause la déduction intégrale de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les frais et charges d'administration générale, de fonctionnement et d'entretien général des bâtiments de la société Résidence de la Forêt au motif qu'ils avaient été intégralement incorporés dans le prix des prestations relatives à l'hébergement et à la dépendance, lesquelles sont imposables à la taxe sur la valeur ajoutée à la différence des prestations de soins.

La solution peut surprendre par sa sévérité et son relatif illogisme aboutissant à ce qu’un redevable, dans le cas de figure de l’espèce, ne peut déduire la TVA déjà acquittée.

(7 octobre 2020, Société Résidence de la Forêt, n° 426661)

 

61 - Compétence du tribunal administratif statuant en premier et dernier ressort (R. 811-1, 4° CJA) – Litige portant sur la taxe spéciale d’équipement – Perception au bénéfice d’établissements publics de l’État – Absence de caractère d’impôt local – Appel devant être porté devant la cour administrative d’appel – Renvoi à cette dernière.

Si aux termes du 4° de l’art. R. 811-1 du CJA, le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort sur les litiges relatifs aux impôts locaux et à la contribution à l'audiovisuel public, à l'exception des litiges relatifs à la contribution économique territoriale, la taxe spéciale d'équipement ici en litige a été perçue au profit d'établissements publics de l'État. Elle ne constitue donc pas en l’espèce une imposition locale au sens de l'article précité.  Dès lors, la requête doit être regardée non comme un pourvoi en cassation devant être porté devant le Conseil d’État mais  comme un appel relevant de la cour administrative d'appel dans le ressort de laquelle se trouve le tribunal administratif qui a rendu le jugement attaqué.

(21 octobre 2020, Société Paris Nord Invest Hôtels, n° 437497)

 

62 - Impôts sur le revenu – Contribuables vivant en France et en Belgique – Détermination du centre de leurs intérêts économiques – Qualité de résidants habituels en France – Erreur de droit et insuffisance de motivation – Cassation et renvoi partiel à la cour.

Des contribuables font l’objet, du fait de leur résidence en France, d’impositions assises sur les dividendes qu’ils ont perçus ; ils contestent cette qualification, sans succès en première instance et en appel, d’où leur pourvoi en cassation.

Le Conseil d’État leur donne raison sur deux points essentiels.

Tout d’abord, est censuré pour erreur de droit l’arrêt qui, pour juger que les demandeurs avaient le centre de leurs intérêts économiques et, par suite, leur domicile fiscal en France, se fonde sur la seule circonstance qu'ils possédaient dans ce pays des sociétés et des biens immobiliers. Cette constatation était insuffisante car il incombait à la cour de rechercher si ce patrimoine était productif de revenus, alors que les intéressés faisaient valoir qu'ils percevaient la majorité de leurs revenus de leurs activités professionnelles en Belgique et que leurs revenus de source française n'étaient qu'exceptionnels en 2007 et inexistants en 2008. 

Ensuite, la cour n’a pas suffisamment motivé pourquoi elle estimait que les requérants possédaient un foyer d’habitation en France alors qu’il lui était affirmé que, par leur nature, les biens immobiliers possédés en France, ne pouvaient constituer des foyers d’habitation.

La cassation conduit au renvoi partiel de l’affaire à la cour.

(7 octobre 2020, M. et Mme X., n° 426124)

 

63 - Activité exercée en France par une société étrangère par l’intermédiaire d’un établissement stable - Bénéfices reconstitués – Bénéfices considérés comme distribués au maître de l’affaire – Interprétation erronée du c. de l’art. 111 du CGI –

Cassation avec renvoi.

Rappel d’une jurisprudence établie selon laquelle le c. de l’art. 111 du CGI ne peut être interprété comme posant une présomption de distribution au maître de l’affaire des bénéfices reconstitués à raison de l'activité qu'une société étrangère exerce en France par l'intermédiaire d'un établissement stable.

Il appartient à l’administration d’établir l’existence effective de cette distribution.

L’arrêt qui s’est borné à entériner cette position de l’administration, est cassé avec renvoi à la même cour pour qu’il soit prononcé à nouveau sur cette affaire.

(7 octobre 2020, M. X., n° 427222)

 

64 - Impôt sur le revenu – Déduction du montant de l’impôt des investissements productifs réalisés outre-mer – Remise en cause pour défaut de justification et prix de revient non cohérent – Rectification fondée sur plusieurs motifs distincts et autonomes – Non communication au contribuable de renseignements obtenus relatifs à un seul des motifs – Irrégularité d’ensemble de la procédure – Erreur de droit – Cassation sans renvoi.

Un contribuable conteste la décision de l’administration fiscale remettant en cause les déductions qu’il avait opérées du montant de l’impôt sur le revenu de sommes pour investissement productifs réalisés outre-mer consistant en l’acquisition et en la mise en location de centrales photovoltaïques. L’administration fondait cette décision de remise en cause des déductions sur deux motifs : les centrales photovoltaïques financées par la société n'avaient pas été raccordées au réseau électrique à la date du 31 décembre 2009, et leur prix de revient n'était ni justifié ni cohérent avec le montant total allégué des investissements.

Devant le juge administratif, le contribuable avait excipé de ce que l’administration n‘avait pas communiqué la facture émise par une société et sur le fondement de laquelle elle avait remis en cause le prix de revient de l'investissement et donc le montant de la réduction d'impôt en litige. Cet argument est retenu par la cour administrative d’appel.

Le juge de cassation, saisi sur pourvoi du ministre, casse cet arrêt car en présence de motifs distincts et autonomes fondant une décision – ici de l’administration fiscale, mais la solution est généralisable -,  la circonstance d’une irrégularité de procédure affectant l’un des motifs ne saurait entraîner l’annulation de l’ensemble de la procédure suivie dès lors qu’existe un autre motif pour lequel tous informations et documents ont été communiqués, fondant ainsi régulièrement la décision contestée.

(15 octobre 2020, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 427313)

 

65 - Divorce – Versement d’une prestation compensatoire – Conditions de sa déduction du revenu imposable à l’impôt sur le revenu – Une des conditions non. remplies – Opposition de la doctrine fiscale – Prise de position formelle – Cassation avec renvoi.

Le demandeur entendait opérer déduction de son revenu imposable des versements effectués, du fait de son divorce, au titre de la prestation compensatoire.

Le Conseil d’État donne raison à la juridiction d’appel d’avoir rejeté cette demande car elle ne remplissait que l’une des deux conditions imposées par la combinaison des art. 274, 275 et 275-1 du Code civil et 156 (II, 2°) du CGI : pour être déductibles, les sommes versées à titre de prestation compensatoire doivent, d’une part, s’étendre sur plus de douze mois, et, d’autre part, être versées selon les modalités fixées par le juge judiciaire. En l’espèce, la cour d’appel judiciaire avait jugé qu’il n’y avait pas lieu à paiement fractionné de la prestation complémentaire. Dès lors, s’agissant d’un versement en capital, la déduction était impossible ainsi que l’a jugé à bon droit la cour administrative d’appel.

Toutefois, la cour avait également rejeté le moyen soulevé par le requérant tiré de l’existence d’une prise de position formelle de l’administration lui permettant d’opérer la déduction qu’il sollicitait au motif que l’instruction fiscale invoquée laissait un pouvoir d'appréciation à l'administration.

Le Conseil d’État censure cette analyse en relevant que cette circonstance est indifférente à la reconnaissance (par le paragraphe 11 de l'instruction n° 5-B-21-06 publiée au Bulletin officiel des impôts du 17 juillet 2006) de l’existence d’une interprétation de la loi fiscale à portée générale et casse sur ce point, avec renvoi, l’arrêt critiqué.

(14 octobre 2020, M. C., n° 421028)

 

66 - Cession de la totalité des titres d’une société par actions pour cause de départ à la retraite de la directrice générale de la société épouse du président de la société – Plus-value de cession imposable - Bénéfice du régime fiscal de faveur applicable en cas de départ à la retraite des dirigeants de petites et moyennes entreprises – Abattement rejeté et rehaussement de l’imposition mise à la charge du chef de l’épouse – Rejet du recours du ministre.

Lors de son départ à la retraite assorti de la cession de la totalité des parts qu’elle détenait dans la société dont elle était directrice générale, Mme B. a bénéficié d’un abattement de la base imposable au titre du départ à la retraite des dirigeants de petites et moyennes entreprises (art. 150-0 A, 150-0 D, 150-0 D bis et 885 O bis du CGI). L’administration fiscale, à la suite d’un contrôle, a remis en cause le bénéfice de ce régime de faveur motif pris de ce que la contribuable n’avait pas réellement exercé les fonctions de directrice générale d’une société par actions du fait que les statuts de la société ne lui conféraient pas le pouvoir de représenter la société à l'égard des tiers.

Si les premiers juges ont rejeté le recours dirigé contre cette décision, la cour administrative d’appel a annulé ce jugement et accueilli le recours ; le ministre compétent se pourvoit.

Son recours en cassation est rejeté car il ne résulte ni du code de commerce (art. L. 227-6) qu’un directeur général doive être obligatoirement investi de la qualité de représentant de la société envers les tiers, ni des dispositions combinées des art. 150-0 D ter et 885 O bis, 1°, du CGI que le bénéfice de l’avantage fiscal litigieux soit soumis à d’autres conditions que celles qui y sont limitativement énoncées, au rang desquelles ne figure pas le pouvoir de représentation extérieure de la société.

(21 octobre 2020, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 437598)

 

67 - Protection des contribuables contre les changements de doctrine administrative (art. L. 80 LPF) – Opposabilité à l’administration de ses interprétations formelles, même irrégulières, de la loi fiscale – Bénéfice de l’application de l’art. L. 80 LPF obtenu par « un montage purement artificiel » - Montage constitutif d’un abus de droit – Impossibilité de se prévaloir de cette disposition – Rejet.

Selon l’article L. 80 du livre des procédures fiscales, fortement inspiré du principe de confiance légitime, le redevable de bonne foi qui se fonde sur une interprétation formelle de la loi fiscale par l’administration, même si cette interprétation est irrégulière, ne saurait faire l’objet – par suite d’un changement de la doctrine administrative - d’un rehaussement de son imposition dès lors que cette interprétation était toujours en vigueur au moment des opérations imposables et qu’elle a été publiée dans les instructions et circulaires de l’administration fiscale.

Un contribuable prétendait au bénéfice de l’application de ce mécanisme à l’occasion d’une opération de cession, de rétrocession et de reprise d’actions de diverses sociétés, en invoquant les dispositions des art. L. 150-0 D bis et L. 150-0 D ter du CGI telles qu’interprétées par une instruction publiée au Bulletin officiel de impôts. A cet effet, avait été organisé ce que le juge appelle, d’une expression venue du droit de l’Union européenne (cf. par ex. Communication de la Commission des Communautés, 10 décembre 2007, note 15), un « montage purement artificiel », c’est-à-dire au moyen de structures ou d’interpositions n’ayant « aucune véritable substance ni aucune activité effective », car seulement destinées à procurer à son auteur le bénéfice maximum de la faveur fiscale.

Parce qu’un tel comportement constitue un abus de droit, il tombe sous le coup des dispositions de l’art. 64 du LPF qui rend inopposables à l’administration fiscale les actes constitutifs d’un abus de droit.

C’est donc sans erreur de droit que les juges du fond ont rejeté le recours formé par le demandeur au pourvoi contre le rehaussement de l’imposition sur ses revenus, l’infliction de pénalités de retard et une pénalité de 80% pour abus de droit.

Ceci n’est au fond que l’application - transposée à la matière fiscale - des deux principes bien connus : Nemo auditur… et Fraus omnia corrumpit.

(Assemblée, 28 octobre 2020, M. A., n° 428048)

 

68 - Société de droit italien – Acquittement de l’impôt sur la plus-value réalisée lors de la cession d’actions détenues dans une société française – Demande de restitution de ce prélèvement car fondé sur une législation discriminatoire et contraire à la liberté d’établissement intra-communautaire – Portée et limite de l’interprétation par les administrations nationales de la législation interne au regard des exigences du droit de l’Union – Incompatibilité de l’art. 244 bis B du CGI avec le droit de l’Union - Impossibilité de substituer à la loi, à titre correctif, des dispositions réglementaires – Erreur de droit – Cassation sans renvoi pour règlement de l’affaire au fond.

Ce litige de droit fiscal dépasse par ses enjeux la seule sphère de ce droit et la solution qui lui est donnée est transposable mutatis mutandis dans les autres branches du droit interne.

Une société de droit italien cède des actions qu’elle détient dans une société française réalisant ainsi une plus-value taxable en France selon les art. 244 bis B et 200 A du CGI. Après s’être acquittée de l’impôt mis à sa charge de ce chef elle en a réclamé le remboursement ; l’administration n’a accordé qu’un dégrèvement partiel. Le contentieux s’est noué pour le surplus. Si le tribunal administratif a fait droit à la demande de la requérante, la cour administrative d’appel, saisie par le ministre de l’action et des comptes publics, a annulé le jugement.

La société contribuable se pourvoit.

La cour a jugé que les dispositions de l’art. 244 bis B du CGI, en tant qu’elles imposent aux sociétés n’ayant pas leur siège en France, une imposition des plus-values de cession d’un montant supérieur à celui acquitté par les sociétés ayant leur siège en France sont contraires aux principes de libre établissement et de libre circulation des capitaux reconnus par les articles 49 et 65 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Toutefois, la cour a également relevé que l’administration fiscale, pour faire droit seulement de façon partielle à la réclamation de la requérante, s’était fondée sur une instruction fiscale publiée au Bulletin officiel des impôts, qui permet à une société ayant son siège dans l'un des Etats membres de la Communauté européenne et qui a été soumise à l'imposition prévue à l'article 244 bis B précité au titre de ses plus-values à long terme, d'obtenir la restitution partielle de cette imposition à hauteur de la part du prélèvement qui excède l'impôt sur les sociétés dont elle aurait été redevable si elle avait été une société résidente en France. La cour en a déduit que l'administration fiscale avait ainsi fondé l'imposition en litige sur des dispositions législatives interprétées au regard des exigences du droit de l'Union.

Ce raisonnement est cassé avec une certaine raideur – et à juste titre - par le Conseil d’État.

Celui-ci considère d’abord qu’il revient aux administrations nationales de donner de la loi, dans tous les cas où elle se trouve dans le champ d'application d'une règle du droit de l'Union européenne, une interprétation qui, dans la mesure où son texte le permet, soit conforme au droit de l'Union.

Ensuite, il admet également que les ministres, dans l'hypothèse où des dispositions législatives se révéleraient incompatibles avec des règles du droit de l'Union, donnent instruction à leurs services de n'en point faire application.

Enfin et surtout, il dénie aux ministres de trouver dans une telle incompatibilité un fondement juridique les habilitant à édicter des dispositions de caractère réglementaire qui se substitueraient aux dispositions législatives incompatibles.

La cour a commis une erreur de droit en jugeant que l’incompatibilité, qu’elle a elle-même relevée, entre l’art. 244 bis B du CGI et le droit de l’Union pouvait être levée (ou être rendue acceptable ?) par le recours à une restitution de l’imposition due à concurrence de la différence entre le taux imposé aux sociétés ayant leur siège en France et celui auquel sont soumises celles ayant leur siège dans un autre État de l’Union, cette solution, d’une part, résultant d’une instruction impuissante à fonder, au regard du droit interne, une imposition, et d’autre part, ne résultant pas d’une interprétation de la législation nationale satisfaisante au regard des exigences du droit de l’Union.

Réglant l’affaire au fond, le juge de cassation confirme le jugement du tribunal administratif qui a ordonné la restitution de la partie du montant de l’impôt laissée à la charge de la société requérante.

(14 octobre 2020, Société AVM International Holding, n° 421524)

 

69 - Fiscalité locale – Taxe professionnelle – Faute commise par l’administration fiscale dans l’établissement de cette taxe et de celle de la « compensation-relais » – Conditions de mise en jeu de la responsabilité de l’État - Cassation partielle sans renvoi.

(5 octobre 2020, Communauté urbaine de Dunkerque, n° 420040)

(70) V. aussi, largement comparable : 15 octobre 2020, Communauté urbaine de Dunkerque, n° 420092. V. n° 21

 

71 - Impôt sur les sociétés – Société d’investissements immobiliers cotée - Minoration du prix de cession d’actifs – Rehaussement possible en cas de gestion anormale ou de bénéfices indirectement transférés - Exception en cas de minorations constituant des libéralités – Cassation avec renvoi.

Si, en principe, les minorations du prix de cession d'un élément de l'actif peuvent conduire, lorsqu'elles ne relèvent pas d'une gestion normale pour l'application des articles 38 et 209 du CGI ou constituent des bénéfices indirectement transférés au sens de l'article 57 du même code, à un rehaussement, à concurrence de l'insuffisance du prix stipulé, du bénéfice de la société cédante, imposable dans les conditions de droit commun prévues par ces dispositions, il n’en va pas de même lorsque ces minorations constituent des libéralités car en ce cas elles ne peuvent être soumises au régime particulier d’imposition des plus-values prévu pour les sociétés d’investissements immobiliers cotées ainsi que cela était le cas en l’espèce.

Pour avoir jugé dans cette affaire que des libéralités étaient imposables au titre de plus-values de cession, l’arrêt d’appel est cassé.

(15 octobre 2020, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 425150)

 

72 - Taxe d’habitation – Assiette – Locaux d’une association sportive – Cas de terrains de tennis couverts – Non assujettissement à la taxe – Prise de position formelle de l’administration – Erreur de droit et insuffisance de motivation – Cassation.

L’association requérante demandait la décharge ou, à défaut, la réduction de la taxe d’habitation à laquelle elle avait été assujettie à raison des installations sportives mises à sa disposition par la commune. Le tribunal puis la cour ont accordé des décharges de taxe pour une partie seulement de ces locaux.

L’association se pourvoit pour obtenir décharge du surplus.

L’art. 1407, I, 2° du CGI soumet à cette taxe « Les locaux meublés conformément à leur destination et occupés à titre privatif par les sociétés, associations et organismes privés et qui ne sont pas retenus pour l'établissement de la cotisation foncière des entreprises ». Sont donc assujettis à la taxe d’habitation les locaux où ont lieu des activités sportives qui remplissent la double condition d’être meublés, c’est-à-dire qu’ils comportent des équipements mobiliers nécessaires, et d’être occupés privativement, c’est-à-dire normalement non accessibles au public.

Toutefois la requérante se prévalait d’une prise de position formelle de l’administration, au sens de l’art. L. 80 A du livre des procédures fiscales (réponse ministérielle Haby, JO AN, 27 juin 1983, n°29477, p. 2873), aux termes de laquelle les salles de compétition, vestiaires et locaux d'hygiène des groupements sportifs ne sont pas imposables à la taxe d'habitation sur le fondement du 2° du I de l'article 1407 du CGI.

Or le tribunal administratif, tout en reconnaissant l’existence de cette prise de position formelle, n'a fait droit à la demande de décharge que pour les seules surfaces correspondant aux vestiaires et aux locaux d'hygiène, sans rechercher si l'association était fondée à se prévaloir de cette interprétation pour les surfaces correspondant aux courts de tennis couverts sur lesquels elle organise des compétitions, et qui sont ouvertes au public.

Le jugement est, partant, insuffisamment motivé et entaché d’erreur de droit, c’est pourquoi le Conseil d’État est à la cassation.

(15 octobre 2020, Association Ill Tennis Club de Strasbourg, n° 426383)

 

73 - Document de portée générale émané d’une autorité publique – Cas de commentaires publiés au BOFiP-impôts donnant l’interprétation, par l’administration fiscale de dispositions du code général des impôts – Document affectant (ou pouvant affecter) les droits ou la situation de personnes autres que les agents du service public – Prohibition de mesures nouvelles entachées d’incompétence, reposant sur une interprétation erronée ou contraires à une norme juridique supérieure – Annulation pour incompétence de l’auteur du document.

(21 octobre 2020, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 440526) V. n° 5

 

Droit public économique

 

74 - Produits pétroliers – Détermination du volume des stock stratégiques de produits pétroliers – Différence de taux imposés entre les départements d’outre-mer et la Nouvelle-Calédonie – Absence de justification – Annulation et obligation de réexaminer sous six mois la demande de la société requérante.

La requérante demandait l’annulation du refus implicite du premier ministre d’abroger l'article 1er du décret du 6 mai 1995 en tant qu'il fixe, pour la Nouvelle-Calédonie, le volume des stocks stratégiques de produits pétroliers que chaque opérateur est tenu de constituer en application de l'article 57 de la loi du 4 janvier 1993 portant dispositions diverses relatives aux départements d'outre-mer, aux territoires d'outre-mer et aux collectivités territoriales de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon. 

Alors que le volume des stocks stratégiques est fixé, par un arrêté du 25 mars 2016 régissant cette question, entre 7 % et 13 % pour la zone constituée par la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane, d'une part, et entre 8 % et 13 % pour La Réunion d’autre part, il est de 20% en Nouvelle-Calédonie, soit une différence pouvant aller jusqu’au triple.

Interrogée par la 10ème chambre de la section du contentieux, la ministre de la transition écologique a justifié cette différence par l'incertitude sur l'avenir institutionnel de ce territoire et du niveau de son taux de dépendance énergétique, qui correspond au rapport entre ses importations nettes d'énergie et sa consommation brute et qui intègre l'ensemble des sources d'énergie.

Constatant qu’il n’avait pas été répondu à la mesure d’instruction qu’il avait ordonnée, le juge n’ayant aperçu à la suite de celle-ci « aucun élément objectif ou rationnel de nature à justifier le taux de 20% retenu en Nouvelle-Calédonie », annule le refus implicite d’abroger le texte litigieux et donne six mois au premier ministre pour réexaminer la demande dont la société requérante l’avait, en vain, saisi.

(5 octobre 2020, Société Mobil International Petroleum Corporation, n° 427552)

 

75 - Conseil en investissements financiers – Non-respect de certaines règles s’imposant à cette profession – Sanction par la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers – Étendue des pouvoirs du juge saisi d’un recours contre cette sanction – Rejet.

Rappel de ce qu’il appartient au juge administratif, saisi d'une requête dirigée contre une sanction pécuniaire prononcée par la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers, de vérifier que son montant était, à la date à laquelle elle a été infligée, proportionné tant aux manquements commis qu'à la situation, notamment financière, de la personne sanctionnée.

(7 octobre 2020, Société Novactifs patrimoine et M. X., n° 429093)

(76) V. aussi, particulièrement illustratif de l’étendue du contrôle du juge sur les sanctions infligées à des conseillers en investissements (fortes réductions des sanctions financières et de la durée d’interdiction d’exercer) : 14 octobre 2020, SAS Axess Finances, devenue la SAS S.U.R.E Finances, et M. X., n° 428279.

 

77 - Subvention d’aide au secteur viti-vinicole – Aide accordée par le Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et versée par FranceAgriMer – Titre exécutoire en vue de la récupération de l’aide accordée – Demande d’aide devant être présentée avant tout commencement des travaux financés par la subvention – Rejet.

Une société viti-vinicole a sollicité et obtenu une subvention du FEAGA au titre de l’aide aux investissements viticoles dans le cadre du plan national d’aide au secteur viti-vinicole. Cette subvention lui a été versée par FranceAgriMer, établissement public habilité à cet effet.

S’apercevant que la demande de subvention avait été faite alors qu’avaient débuté les travaux en vue desquels l’aide avait été sollicitée, FranceAgriMer a émis un titre exécutoire pour valoir remboursement de la subvention litigieuse.

Sur recours de la société bénéficiaire de l’aide, ce titre a été annulé en première instance et cette annulation a été confirmée en appel, d’où le pourvoi en cassation de FranceAgriMer.

Le juge observe, d’une part, qu’il ne résulte de la règlementation européenne aucune obligation de non commencement des travaux antérieurement à la demande de subvention destinée à les financer et d’autre part, que celle-ci n’interdit point aux droits nationaux d’imposer une condition de non-commencement préalable desdits travaux.

Or cette condition figure dans une circulaire du directeur de FranceAgriMer prise sur en exécution des dispositions de l’art. 4 de l’arrêté l'arrêté interministériel du 17 avril 2009 lui-même pris sur ce fondement du décret du 16 février 2009 mettant en œuvre les règlements communautaires de 2008 relatifs aides au secteur viti-vinicole financées par le FEAGA. Cet article dispose : « La liste des investissements éligibles est fixée par la circulaire du directeur » de FranceAgriMer. L'article 6 du même arrêté définit plusieurs conditions et modalités de mise en oeuvre de la mesure d'aide et dispose à son dernier alinéa que « l'ensemble des dispositions du présent article sont précisées par la circulaire du directeur » de FranceAgriMer.

Le titre exécutoire émis par FranceAgrimer n’était donc pas illégal contrairement à ce qu’ont jugé les juges du fond.

Il n’en reste pas moins que l’on peut trouver sibylline une obligation qui aurait dû, nous semble-t-il, a minima être expressément rappelée au bénéficiaire dans l’acte versant la subvention.

(12 octobre 2020, FranceAgriMer, n° 428386)

 

78 - Contrat d’obligation d’achat par EDF de la production d’énergie photovoltaïque – Refus de souscription d’un tel contrat aux conditions tarifaires existantes à une certaine date – Demande de raccordement d’une centrale photovoltaïque au réseau public d’électricité – Invocation du principe de confiance légitime – Opérateur économique prudent et avisé – Maintien des contrats en cours – Régime différencié par nature de contrat et par date – Invocation du principe d’égalité – Rejet.

Dans le but de développer les énergies renouvelables, des dispositions économiques et financières très avantageuses ont été consenties aux personnes et entreprises s’équipant en vue de la production d’énergie photovoltaïque. EDF était tenue de racheter l’énergie ainsi produite (art. 10, loi du 10 février 2000) à un prix très élevé. Le mécanisme était fondé sur deux contrats successifs mais indépendants l’un de l’autre : un contrat d’achat d’électricité par EDF et un contrat de raccordement de l’installation photovoltaïque au réseau public.

La société requérante, venue aux droits de la société Avpro Solar, a demandé à Electricité Réseau Distribution France (ERDF) le raccordement au réseau public de distribution d'électricité de sa centrale photovoltaïque.

Par un courrier du 18 mars 2010, la société ERDF a adressé à la société Avpro Solar une proposition technique et financière de raccordement de son installation au réseau, que la société a accepté le 24 mars 2010. La convention de raccordement de la centrale photovoltaïque a été notifiée par la société ERDF le 29 octobre 2010. Toutefois, ERDF a indiqué le 24 février 2011 qu'elle ne pouvait donner suite à la demande de la société au motif que cette dernière ne lui avait pas retourné la convention de raccordement signée dans le délai de trois mois à compter de sa réception. Après sa saisine, le comité de règlement des différends et des sanctions de la commission de régulation de l'énergie (CoRDIS) a pris acte de l'accord entre ERDF et la société en vue de réintégrer le projet dans la « file d'attente » de raccordement au 21 septembre 2009 et fixé au 1er mars 2014 la date limite de mise en service de la centrale photovoltaïque de la société. Le contrat de raccordement au réseau a été signé le 31 mai 2013 par la société ENR Gardon et le 4 juin 2013 par ERDF. La société a achevé l'installation de sa centrale le 21 mars 2014 et l'a mise en service le 11 avril de la même année.

Cependant, par plusieurs décisions, EDF a refusé de faire droit à la demande de conclusion d'un contrat d'achat de l'électricité produite par la société ENR Gardon selon les conditions tarifaires fixées par l'arrêté du 12 janvier 2010, au motif que son installation était soumise à la suspension de l'obligation d'achat prévue par le décret du 9 décembre 2010 et l'a invitée à présenter une nouvelle demande.

La requérante a saisi la justice administrative - en vain en première instance et en appel – afin de voir annuler les décisions d’EDF lui refusant de souscrire un contrat d'obligation d'achat pour son installation de production photovoltaïque selon les conditions tarifaires fixées par l'arrêté du 12 janvier 2010 et de l'enjoindre de conclure un tel contrat pour une durée de vingt ans. Elle se pourvoit : son recours est rejeté.

La loi du 10 février 2000 (art. 10) et son décret d’application du 6 décembre 2010 (art. 2, 3° et 4-5) ont prévu, la première, que « l'obligation de conclure un contrat d'achat (…) peut être partiellement ou totalement suspendue par décret, pour une durée qui ne peut excéder dix ans, si cette obligation ne répond plus aux objectifs de la programmation pluriannuelle des investissements », le second, que les dispositions de son art. 1er suspendant l'obligation d'achat de l'électricité produite par certaines installations utilisant l'énergie radiative du soleil « ne s'appliquent pas aux installations de production d'électricité issue de l'énergie radiative du soleil dont le producteur a notifié au gestionnaire de réseau, avant le 2 décembre 2010, son acceptation de la proposition technique et financière de raccordement au réseau. »

A l’encontre de cette volte-face du législateur et du pouvoir réglementaire français en matière de relations entre EDF et les producteurs d’électricité photovoltaïque, la société requérante invoque le principe de confiance légitime lequel, principe général du droit propre au droit de l’Union européenne, est applicable ici. Cependant, le Conseil d’État rejette l’argument en se fondant sur l’exception d’« opérateur économique prudent et avisé ».

Selon cette théorie jurisprudentielle, il est fait exception à l’application du principe de la confiance légitime lorsqu’un opérateur économique prudent et avisé est en mesure de prévoir l'adoption d'une mesure de nature à affecter ses intérêts. Or constamment depuis l’origine de ce mécanisme la législation et la réglementation de la cession d’électricité photovoltaïque à EDF ont prévu la possibilité qu’il soit suspendu ; c’est ainsi que l’art. 10 de la loi du 10 février 2000, contrairement aux règles du droit commun civil et administratif régissant cette matière, a prévu que les contrats qu’elle régit ne sont conclus et n’engagent les parties qu’à compter de leur signature et que cette règle a un « caractère interprétatif ». Ces précautions résultent de la crainte, apparue dès l’origine, que le système ne soit victime de son trop grand succès et qu’il ne fasse peser sur le consommateur final une charge trop lourde du fait de la répercussion sur le tarif d’électricité domestique du coût d’achat très avantageux pour les vendeurs de cette forme d’électricité. N’ayant pas été prudent et avisé, l’opérateur économique requérant ne peut invoquer le principe de la confiance légitime.

Ensuite, était invoqué le bénéfice du maintien des contrats en cours (art. 10, loi du 10 février 2000, repris à l’art. L. 314-6 du code de l’énergie).

Ceci soulevait trois difficultés.

En premier lieu, était critiquée la rétroactivité du décret de suspension du 2 décembre 2010. L’argument est rejeté précisément du fait qu’ayant un caractère interprétatif la disposition législative ne donnant valeur contractuelle au document en cause qu’à compter de sa signature par les deux parties a nécessairement une portée rétroactive en vertu d’un principe général du droit.

En deuxième lieu, était également discuté le champ d’application de la suspension. Il résulte des art. 1 et 3 du décret du 9 décembre 2010 que sont exclus du champ d’application du pouvoir de suspension, d’une part, les installations pour lesquelles l'acceptation de la proposition technique et financière a été notifiée au gestionnaire de réseau avant le 2 décembre 2010 et, d’autre part, les cas où une convention de raccordement a été proposée par le gestionnaire de réseau sans formalisation préalable d'une proposition technique et financière et où cette convention a été signée par le producteur et notifiée au gestionnaire de réseau avant le 2 décembre 2010. De la combinaison de la règle de suspension et des cas où elle est écartée, il découle : 1°/ qu’en l'absence de conclusion d'un contrat d'achat d'électricité avant l'entrée en vigueur, le 10 décembre 2010, du décret du 9 décembre 2010, les producteurs ayant signé et notifié au gestionnaire de réseau une proposition technique et financière de raccordement au réseau public de distribution d'électricité avant le 2 décembre 2010 peuvent bénéficier des conditions d'achat résultant de l'arrêté du 12 janvier 2010 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par voie photovoltaïque, sous réserve de la mise en service de leur installation dans un délai de dix-huit mois suivant cet envoi ; 2°/ que les producteurs ayant notifié leur acceptation de la proposition technique et financière de raccordement du gestionnaire de réseau à compter du 2 décembre 2010 ne peuvent pas bénéficier des conditions d'achat prévues par cet arrêté, quand bien même cette notification serait intervenue avant l'entrée en vigueur du décret du 9 décembre 2010.

En troisième lieu, devait être résolu le cas où le gestionnaire de réseau a, en méconnaissance des dispositions de l'article 3 du décret du 9 décembre 2010, décidé de sortir un projet de la « file d'attente » de raccordement alors qu'il entrait dans le champ d'application des dispositions de cet article. Le Conseil d’État juge qu’en cette hypothèse la décision du gestionnaire étant irrégulière, elle « ne saurait ouvrir droit au bénéfice de l'obligation d'achat lorsque la condition d'achèvement de l'installation dans le délai de dix-huit mois n'a pas été satisfaite. Dès lors, la décision du CoRDIS du 19 décembre 2012 prenant acte de l'accord entre ERDF et la société Avpro Solar pour réintégrer son projet dans la « file d'attente » de raccordement au 21 septembre 2009 et fixant au 1er mars 2014 la date limite de mise en service de sa centrale photovoltaïque est sans incidence sur le délai d'achèvement de l'installation photovoltaïque ». Ce délai demeure fixé à dix-huit mois à compter de la notification par le producteur, au gestionnaire de réseau, de son acceptation de la proposition technique et financière de raccordement au réseau. Il s’ensuit que la centrale photovoltaïque de la société ENR Gardon ayant été achevée à la fin du mois de mars 2014, après expiration du délai d'achèvement de dix-huit mois fixé au 24 septembre 2011, sa demande de conclure un contrat d'achat au tarif en vigueur avant la suspension de l'obligation d'achat ne pouvait qu'être rejetée.

(19 octobre 2020, Société ENR Gardon, n° 426385)

 

79 - Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) – Commission des sanctions – Régime des sanctions infligées à une banque – Sanction complémentaire – Absence d’obligation de motiver – Objet des sanctions – Modalité de publication – Rejet pour l’essentiel.

La banque demanderesse veut faire ordonner par le juge l’organisation d’une médiation entre elle-même et la commission des sanctions de l’ACPR dans le cadre du différend les opposant à propos du blâme qui lui a été infligé, de la sanction pécuniaire qui l’assortit et de la décision de publier pendant cinq ans cette décision au registre officiel de l'Autorité sous une forme nominative puis sous forme anonyme.

Le Conseil d’État, qui statue ici en premier et dernier ressort, rejette tout d’abord l’argument tiré de ce que la sanction complémentaire en laquelle consiste la décision de rendre publique la sanction infligée n’est qu’une sanction complémentaire de cette dernière qui est la sanction principale. Par suite, la sanction complémentaire n’a pas à être motivée en sus de la motivation d’ensemble des décisions attaquées.

Ensuite, la circonstance que l’art. 60 de la directive européenne du 20 mai 2015 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme impose la publication sur internet pour une durée de cinq ans des sanctions prononcées par les autorités nationales compétentes en la matière n’a pas pour effet de créer une sanction automatique contraire au principe d'individualisation des peines et donc contraire à l’art. 49 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne d’autant que le même art. 60 prévoit, au cas où cette publication serait jugée disproportionnée par l'autorité nationale, que celle-ci est tenue de retarder la publication ou d'anonymiser la version publiée, voire de renoncer à la publier.

Également, le juge rappelle les fonctions assurées par la publication des sanctions : d’une part, elle a une portée répressive car il s’agit d’une punition, et d’autre part, elle a une portée informative envers les personnes intéressées dans un souci de protection des clients de l’organisme sanctionné, elle satisfait ainsi aux exigences d'intérêt général relatives à la protection des clients des établissements concernés, au bon fonctionnement des marchés financiers et, au cas d'espèce, à l'efficacité de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.

Enfin, le juge reconnaît toutefois que ces modalités de publication sont, comme le soutient la requérante, susceptibles d'avoir une incidence sur la perception qu'aura le public de la décision de la commission des sanctions. C’est pourquoi, afin d’assurer un juste équilibre entre les exigences d'intérêt général et les intérêts de la banque. Le juge décide de faire droit à la demande de celle-ci sur ce point et d'ordonner que la publication de la sanction, d’une part, se fera sans mention des noms de clients ou de sociétés tierces à la procédure, ni du nom des pays concernés par les opérations en cause et, d’autre part, comportera le rétablissement des deux membres de phrase suivants : d’abord l’indication que des opérations « étaient effectuées à l'initiative et sous la surveillance des pouvoirs publics » (considérant 20 de la décision de sanction) et ensuite celle que des entrées en relation d'affaires avec certaines banques ont été effectuées « en lien avec les autorités publiques «  (considérant 30 de la même décision).

Sous ces conditions, le recours est rejeté pour l’essentiel.

(15 octobre 2020, Banque d’escompte, n° 432873)

 

Droit social et action sociale

 

80 - Licenciement d’un salarié protégé – Refus de l’inspecteur du travail – Compétence liée de ce dernier en raison de l’insuffisante motivation du licenciement – Inopérance des autres moyens invoqués – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.

La société requérante avait demandé à l’inspecteur du travail de l’autoriser à licencier une de ses employées, salariée protégée. Cela lui fut refusé. Le tribunal administratif, saisi par la société, a annulé la décision de refus tandis que la cour administrative d’appel a annulé ce jugement.

La société se pourvoit.

La cour avait retenu que dès lors que la demande d’autorisation du licenciement était insuffisamment motivée, l’autorité administrative n’avait pas été en mesure d’identifier le motif de celle-ci et qu’ainsi l’inspecteur du travail se trouvait en situation de compétence liée, obligée qu’elle était de refuser l’autorisation sollicitée. Or l’on sait que les moyens qui seraient dirigés contre une décision prise en situation de compétence liée sont inopérants puisque la décision contestée devait de toute façon être prise telle qu’elle le fut. La cour a donc rejeté comme inopérants les autres moyens soulevés par la société à l’encontre de la décision de l’inspecteur, essentiellement des moyens de légalité externe.

Cassant ce raisonnement, le Conseil d’État relève que, pour constater l’insuffisante motivation de la demande d’autorisation de licenciement l’inspecteur du travail était nécessairement conduit à porter une appréciation sur les faits de l’espèce, il n’était donc point, contrairement à ce qu’a jugé la cour, en situation de compétence liée.

C’est par suite d’une erreur de droit que la cour a refusé de procéder à l’examen des autres moyens soulevés devant elle par la société demanderesse appelante.

L’arrêt est cassé avec renvoi pour que permettre que soit accompli cet examen.

(7 octobre 2020, Société Prevor, n° 423062)

 

81 - Droit au logement – Conditions de reconnaissance du caractère prioritaire et urgent la demande de logement social – Droit au logement dès que les conditions sont remplies - Disposition, par le candidat au logement, d’un logement – Perte du droit au logement sauf si le logement est inadapté – Cas en l’espèce – Annulation.

Par cette importante décision, qu’il faut saluer pour son humanité dans l’application du droit, le Conseil d’État statue sur un cas de figure particulier en matière de droit au logement opposable.

En principe, le candidat à un logement qui remplit les quatre conditions légales ou réglementaires (être de bonne foi ; remplir les conditions réglementaires d'accès au logement social ; justifier qu'il se trouve dans une des situations prévues au II de l'article L. 441-2-3 du code de la construction et de l'habitation ; satisfaire à un des critères définis à l'article R. 441-14-1 de ce code) a droit automatiquement à ce que la commission de médiation le désigne comme prioritaire en vue de l’attribution d’urgence d’un logement.

Toutefois, si le demandeur dispose déjà d’un logement, la commission peut refuser de le déclarer prioritaire en vue d’un logement d’urgence mais elle a l’obligation de vérifier auparavant si le logement dans lequel se trouve le demandeur est adapté à ses besoins. Ce n’est qu’en cas de réponse positive à cette question qu’un refus peut être opposé.

Pour déterminer le caractère adapté ou non du logement aux besoins de l’intéressé le Conseil d’État énumère une batterie de critères sans que la liste soit exhaustive (montant de son loyer, localisation, éléments relatifs aux occupants du logement, comme une éventuelle situation de handicap, qui sont susceptibles de le rendre inadapté aux besoins du demandeur).

En l’espèce est annulé le jugement qui déclare adapté aux besoins de la requérante un logement que sa situation de handicap et celle de son fils rend de facto inadapté.

(8 octobre 2020, Mme X., n° 431100)

(82) V. aussi, sur des questions portant sur la même thématique avec des solutions diverses : 8 octobre 2020, M. X., n° 431618 ; 8 octobre 2020, M. X., n° 432061.

 

83 - Élections et financement de la vie politique - Comptes de campagne – Élections au Congrès et aux assemblées provinciales de Nouvelle-Calédonie – Dépassement du plafond des dépenses électorales – Dépenses devant être retenues - Rejet du compte de campagne par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) - Manquement d’une particulière gravité – Rejet.

Un recours a été formé, par un sénateur, tête d’une liste en vue d’élections au Congrès et à l’assemblée provinciale de la province nord de Nouvelle-Calédonie, contre la décision de la CNCCFP rejetant con compte de campagne, le privant du droit au remboursement forfaitaire des dépenses électorales par l'Etat et le frappant d’inéligibilité pendant douze mois.

Son recours est rejeté.

Les dépenses réintégrées dans le compte de campagne par la Commission l’ont été sans erreur de sa part. Il s’agit  notamment : 1° de la conclusion d’une convention entre les têtes de liste d’un même parti dans chacune des trois provinces du territoire pour répartir les dépenses électorales communes selon trois taux correspondant à la proportion des électeurs inscrits dans chaque circonscription, ce taux étant de 23,53% pour la province Nord ; 2° de la déduction de 11,57% des dépenses d'impression et d'affranchissement de documents électoraux hors programme et de 50% des frais de réception, pour les mettre à la charge du parti, au motif que 11,57% des foyers calédoniens sont des militants ou des sympathisants du parti et que ces derniers représentent la moitié des personnes qui participent aux réceptions données lors de la campagne, à l'occasion de réunions publiques.

Dès lors que des dépenses le sont en vue de l'élection elles doivent figurer au compte de campagne, sans qu'il y ait lieu de distinguer si les électeurs sont des militants ou des sympathisants du parti qui soutient le candidat. Il en va de même des frais liés à la tenue de réunions publiques qui se sont déroulées dans le ressort de la circonscription électorale du candidat, en prévision du scrutin et dans le but de soutenir la liste qu'il conduit.

Par ailleurs, compte tenu de l’expérience du candidat et de sa connaissance des règles, c’est à bon droit que la Commission a aperçu dans ce comportement un manquement d'une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales. L’inéligibilité prononcée est donc justifiée.

(19 octobre 2020, M. B., n° 437711)

(84) V. aussi, du même jour et sur le même sujet : 19 octobre 2020, Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), n° 437712, à propos d’élections tenues dans la province sud et où l’inéligibilité prononcée est de dix-huit mois ; 19 octobre 2020, CNCCFP, n° 437714, solution identique à la précédente ; 19 octobre 2020, CNCCFP, n° 437715, solution identique à la précédente ; 19 octobre 2020, CNCCFP, n° 437716, solution identique à la précédente.

 

85 - Référé-liberté - Protocole d’accord issu du « comité Ségur national » - Questions relatives aux praticiens hospitaliers – Réunions du comité de suivi de ce protocole et du groupe de travail – Absence d’invitations de syndicats représentatifs – Urgence et atteinte grave et manifestement illégale à la liberté syndicale – Annulation et injonction.

Suite au constat des difficultés professionnelles des médecin hospitaliers relevées durant la première vague d’épidémie de Covid-19, un « Comité Ségur National » a été créé par l’accord du 13 juillet 2020, celui-ci comporte des réunions de son comité de suivi et d’un groupe de travail. Du fait que les syndicats requérants n’ont pas signé ce protocole, le ministre de la santé ne les a pas convoqués aux réunions tenues antérieurement à l’introduction de leur appel (soit les 18, 24 et 25 septembre) ni à celles prévues par la suite.

Arguant de leur qualité de syndicats représentatifs les organisations requérantes, qui ont saisi le juge des référés du tribunal administratif, sur le fondement des dispositions de l’art. L. 521-2 CJA, d’une demande tendant à ce que leur soient communiqués les comptes rendus des réunions tenues en leur absence et, pour le futur, à ce qu’ils soient invités à participer aux réunions. Ils interjettent appel devant le Conseil d’État de l’ordonnance rejetant leur demande

Celui-ci constate tout d’abord que ces organisations syndicales sont représentatives de la profession.

Il rejette ensuite l’argument du ministre fondé sur la circonstance que ces syndicats n’ont pas signé l’accord du 13 juillet 2020 car les réunions litigieuses ont un objet plus large que le seul suivi de cet accord et portent sur des points ne figurant pas dans l’accord. Dès lors, il résulte des dispositions des art. L. 6156-1 et 6156-2 du code de la santé publique, que ces syndicats représentatifs doivent têre appelés à participer aux négociations ouvertes par les autorités compétentes au niveau national. L’atteinte à la liberté syndicale, liberté fondamentale, est ainsi établie.

Ensuite, les prochaines réunions devant se tenir les 22 et 23 octobre 2020, l’urgence à statuer est certaine.

Il est fait injonction au ministre d’inviter les requérants aux prochaines réunions. En revanche, compte-tenu de l’urgence est rejetée la demande de communication des comptes rendus des réunions antérieures.

(ord. réf. 19 octobre 2020, Syndicat Jeunes Médecins et lntersyndicale Action Praticiens Hôpital, n° 445099)

 

Environnement

 

86 - Électricité produite par éoliennes – Autorisation préfectorale d’installation - Principes d’impartialité, d’objectivité et de transparence des décisions de l’administration active – Régime de l’évaluation des incidences d’un projet sur l’environnement – Obligation d’autorités distinctes pour évaluer ou pour décider ou d’une séparation fonctionnelle garantissant l’autonomie de l’entité chargée de l’évaluation – Absence – Cassation avec renvoi.

Le Conseil d’État rappelle une nouvelle fois l’exigence posée par l’art. 6 de la directive européenne du 13 décembre 2011, telle qu’interprétée par la CJUE (20 octobre 2011, Department of the Environment for Northern Ireland c/ Seaport (NI) Ltd et autres, affaire C-474/10). Selon ce texte et cette jurisprudence, afin d’assurer la transparence, l’objectivité et l’impartialité des décisions d’autorisation de projets susceptibles d’avoir des incidences sur l’environnement, il importe que, soit l’autorité d’évaluation et l’autorité de décision soient complètement distinctes, soit qu’appartenant à une même division administrative, elles relèvent, au sein de celle-ci, de deux entités autonomes l’une par rapport à l’autre.

C’est par erreur de droit que, dans la présente affaire, la cour administrative d’appel a estimé régulière une procédure d’autorisation d’implantation d’éoliennes à fin de production d’électricité qui ne respectait pas l’un des deux termes de cette alternative.

(16 octobre 2020, M. et Mme U., n° 432865)

(87) V. aussi, voisin, à propos du décret du 9 avril 2019 modifiant la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement ainsi que les rubriques 2521, 2564 et 2565 de cette nomenclature sans modifier les autres rubriques de la nomenclature, permettant ainsi à des installations entrant dans le champ d'application des annexes I et II de la directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011 d'être exonérées d'évaluation environnementale sur le fondement d'éléments étrangers, en tout ou partie, aux critères de l'annexe III de la même directive : 16 octobre 2020, Association France nature environnement, n° 434752.

 

88 - Projet de construction d’un complexe sportif – Autorisation préfectorale accordée avec dispense d’évaluation environnementale (art. L. 214-3 c. env.) – Modification du projet pour une extension – Autorisation accordée – Absence d’étude d’impact – Rejet du référé suspension en raison d’une réserve figurant dans un tableau annexé à une disposition de ce code - Réserve supprimée par la suite – Erreur de droit – Cassation sans renvoi, la suspension étant accordée.

Après avoir autorisé un projet d’édification d’un complexe sportif de 4,4 hectares avec dispense d'évaluation environnementale, un préfet de région, sur demande de modification faite par la commune en vue de porter à 10,2 hectares l’emprise du projet, l’accorde.

Les requérants demandaient en première instance, outre l’annulation de cette autorisation, sa suspension. Cela leur est refusé au motif que ce projet entrait dans l’une des réserves figurant dans un tableau annexé à l’art. R. 122-2 c. env.

Le juge des référés du Conseil d’État casse cette ordonnance pour erreur de droit et rappelle que le moyen ainsi soulevé par l’association requérante n’est pas, contrairement à ce que prétendait la commune défenderesse « nouveau en cassation » car il est né de l’ordonnance attaquée et présente, de surcroît, le caractère d’un moyen d’ordre public.

(ord. réf. 20 octobre 2020, Association pour l'aménagement de la vallée de l'Esches, n° 433404)

 

État-civil et nationalité

 

89 - Opposition au décret autorisant un changement de nom – Motif légitime à changer un nom de famille à consonance étrangère – Demande d’autorisation à porter le nom du père en raison d’une possession d’état – Opposition de membres de la famille portant ce nom – Contestation de paternité devant le juge judiciaire – Opposition fondée et admise.

Les requérants faisaient opposition au décret autorisant un sieur X. à porter leur propre nom, le bénéficiaire invoquant la filiation établie par une possession d’état.

Ils demandaient, d’une part, l’annulation du décret et d’autre part sa suspension jusqu’à ce que l’action en contestation de filiation par possession d’état introduite devant le juge judiciaire soit irrévocablement jugée.

Le Conseil d’État estime, « dans les circonstances particulières de l’espèce », que les requérants justifient d’un préjudice suffisant pour s’opposer au changement de nom autorisé par le décret attaqué et donc pour en demander l’annulation sans qu’il soit besoin de surseoir à statuer jusqu’à ce que l’autorité judiciaire se soit prononcée.

(23 octobre 2020, M. X. et autres, n° 437865)

 

Fonction publique et agents publics

 

90 - Covid-19 - Polynésie française – Fonction publique territoriale et autres agents publics – « Loi de pays » imposant à ces personnels de récupérer les jours de confinement non travaillés – Rejet.

Le Conseil d’État rejette tous les arguments développés par la confédération requérante au soutien de sa demande d’annulation d’une « loi de pays » du 14 mai 2020 en ce qu’elle a prévu que l’ensemble des agents bénéficiaires de congés ou d’autorisations exceptionnelles d'absence pendant la durée du confinement durant l’épidémie de Covid-19, avec maintien de leur traitement, sont tenus de prendre, pendant la période de confinement, les congés acquis du 1er janvier 2020 jusqu'à la date de fin de confinement et que les heures non travaillées pendant l'autorisation exceptionnelle d'absence visée à l'alinéa précédent font l'objet d'un rattrapage dès le lendemain du terme de la fin du confinement à domicile.

Le Conseil d’État rappelle d’abord d’une part, que les « lois de pays » sont des actes administratifs, et d’autre part, qu’il ne peut se prononcer que sur leur conformité à la Constitution, aux lois organiques, aux engagements internationaux de la France et aux principes généraux du droit, non sur les irrégularités qui pourraient entacher la procédure de leur adoption ni non plus la régularité de la procédure d'adoption de la circulaire du 23 mars 2020 relative à la mise en oeuvre du plan de continuité de l'activité de l'administration.

Examinant les différents arguments de la demanderesse, il indique que la « loi » déférée ne porte pas atteinte au principe d’égalité du fait qu’elle comporte des dispositions différentes selon les catégories de personnels qu’elle régit dès lors que ces différences, qui ne sont pas disproportionnées, sont en rapport avec l’objet de cette « loi de pays ».

Semblablement, l’acte déféré ne porte nullement atteinte au droit pour les personnels concernés à percevoir leur traitement et il n’est pas non plus entaché d’une rétroactivité illégale puisque ses dispositions relatives à la prise immédiate de congés annuels ne cherchent qu’à placer les agents dans une situation régulière.

(2 octobre 2020, Confédération syndicale A Tia I Mua, n° 441297)

 

91 - Professeur contractuel du second degré de l’enseignement public – Classement indiciaire – Détermination de la catégorie puis de la rémunération – Éléments à prendre en considération – Contrôle par le juge de l’erreur manifeste d’appréciation – Cassation partielle avec renvoi.

La requérante, recrutée en qualité de professeur contractuel de 2ème catégorie, a contesté le niveau de qualification qui avait été retenu pour fixer sa rémunération. Elle a saisi le juge administratif qui lui a donné d’abord raison en première instance mais, en appel, a rejeté sa demande.

Le Conseil d’État, saisi d’un pourvoi en cassation, précise très clairement la marche à suivre en pareille circonstance. Tout d’abord, la détermination de la rémunération d’un professeur contractuel du second degré s’effectue en combinant son classement dans une des quatre catégories énumérées à l’art. 4 du décret du 12 mai 1981relatif au recrutement des professeurs contractuels avec les indices de rémunération minimum, moyen et maximum prévus par l'arrêté du 29 août 1989.

Le classement dans une catégorie résulte exclusivement de deux éléments combinés, les titres universitaires détenus et la qualification professionnelle antérieure.

L’indice de rémunération est, lui, fonction en particulier, de l'expérience de cet agent dans l'enseignement et des caractéristiques particulières du poste pour lequel il est recruté.

A cet égard, le Conseil d’État, et c’est ce qui fait l’importance de la décision, précise qu’en cas de contestation sur ce point, le juge saisi doit vérifier qu'en déterminant, d'une part, la classe de rattachement de l'agent et, d'autre part, sa rémunération, l'administration n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation. Or, en l’espèce, le classement de la requérante en 2ème catégorie était critiqué.

Pour avoir méconnu l’exigence de vérification susrappelée, l’arrêt est cassé et l’examen de l’affaire est renvoyé à, la cour qui l’a rendu.

(12 octobre 2020, Mme X., n° 428656)

 

92 - Professeur d’université – Recrutement sur un emploi de professeur – Annulation par le juge du refus de l’université de transmettre la liste des candidats retenus – Absence d’obligation de recommencer la procédure en cas d’abandon de celle-ci – Rejet.

La circonstance que le Conseil d’État a annulé la décision d’une université de transmettre au ministre des universités la liste des candidats à un emploi ce professeur des universités ouvert au recrutement, établie par le comité de sélection n’oblige pas l’université à reprendre cette procédure si elle décide de l’abandonner et une telle décision n’a pas à être obligatoirement expresse ni prise par la formation plénière du conseil d’administration.

(14 octobre 2020, M. A., n° 420929)

 

93 - Fonctionnaire départemental - Accident prétendu imputable au service – Refus de reconnaître, dans les circonstances de l’espèce, l’imputabilité au service – Commission d’une faute personnelle détachable du service – Cassation.

Un employé du département, chef de service au sein d’un établissement chargé d'accueillir les mineurs en difficulté ou en danger au titre de l'aide sociale à l'enfance, demande la reconnaissance de l’imputabilité au service d’un accident consécutif à une altercation qu’il a eue avec une personne prise en charge par cet établissement.

Compte tenu des circonstances de l’affaire, le président du conseil départemental a, d’une part, suspendu l’agent de ses fonctions dans l'intérêt du service pour faute grave et décidé d'engager une procédure disciplinaire contre lui, et, d’autre part, refusé de reconnaître l’imputabilité au service de sa maladie.

Le juge des référés, sur recours de l’agent, a suspendu l’exécution de la décision refusant d’accorder le bénéfice de l’imputabilité au service, enjoint au département de prendre diverses mesures dont la reprise du versement de l'intégralité du traitement de son agent avec effet rétroactif.

Le département se pourvoit.

Le Conseil d’État réaffirme en ces termes sa doctrine bien établie sur l’imputabilité : « Un accident survenu sur le lieu et dans le temps du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par un fonctionnaire de ses fonctions ou d'une activité qui en constitue le prolongement normal présente, en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant cet évènement du service, le caractère d'un accident de service. »

Puis, il examine les faits sur lesquels le président du département s’est fondé pour décider qu’en raison de la faute personnelle commise par cet agent il n’y avait pas lieu de reconnaître l’imputabilité au service de son accident. Des pièces du dossier il résulte que la coordinatrice du service, qui accueille les mères et leurs enfants de moins de trois ans, a sollicité l'intervention du chef de service parce qu'elle ne parvenait pas à faire sortir d’une salle une jeune femme mineure, prise en charge depuis la naissance de son enfant. Une altercation a éclaté et l’intéressé a trainé la jeune femme, tombée à terre, par la jambe jusqu'à l'extérieur de la salle. Les médecins ont constaté, à la suite de cet incident, que la jeune femme souffrait d'une entorse cervicale et de plusieurs contusions. Un tel comportement révèle une faute personnelle, ce qui exclut l’existence d’un accident de service.

L’ordonnance du premier juge est annulée.

(ord. réf. 12 octobre 2020, Département de l’Essonne, n° 432115)

 

94 - Fonctionnaires d’État – Assistance d’un syndicat pour la formation et la défense d’un recours administratif contre certaines décisions individuelles défavorables – Modifications apportées par la loi du 6 août 2019 à l’art. 14 bis de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique d'Etat et par le décret d’application du 29 novembre 2019 – Maintien du droit des agents de recourir à l’assistance d’un syndicat – Rejet.

Le syndicat requérant contestait les dispositions des articles 30 et 39 du décret n° 2019-1265 du 29 novembre 2019 relatif aux lignes directrices de gestion et à l'évolution des attributions des commissions administratives paritaires, pris pour l’application de l’art. 14 bis qu’a introduit dans la loi du 11 janvier 1984 celle du 6 août 2019, relative à la fonction publique.

Il était prétendu que désormais les syndicats ne pouvaient plus assister les agents dans l'exercice des recours administratifs contre les décisions individuelles défavorables les concernant en matière d'avancement ou de mutation et qu’ainsi étaient remises en cause les situations acquises du fait que certains syndicats ne sont plus susceptibles, en cours de mandat, de représenter les agents en raison des règles de représentativité syndicale.

Opérant une interprétation « généreuse » des textes comme il l’avait déjà fait dans sa décision du 5 juin 2020 rejetant la demande – formée par le même syndicat - de renvoi au Conseil constitutionnel d’une QPC pour ces motifs, le Conseil d’État rappelle que les dispositions litigieuses de l'article 14 bis de la loi du 11 janvier 1984 ne sauraient avoir pour effet de faire obstacle à ce que des agents se fassent assister dans la préparation de ces recours, s'ils le souhaitent, par le représentant d'un syndicat non représentatif. 

(7 octobre 2020, Syndicat des agrégés de l'enseignement supérieur (SAGES), n° 438230)

 

95 - Professeur des universités – Régime disciplinaire devant le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) – Enseignant s’étant rendu coupable de manquements graves à la déontologie – Aggravation de la sanction en appel – Rejet.

Le requérant, professeur des universités, conteste la décision du CNESER, statuant sur son appel des sanctions prises par la section disciplinaire de son université, le révoquant de l’université.

De cette longue décision où sont examinés les nombreux moyens de forme comme de fond, de droit comme de fait, soulevés par le requérant sera retenu un aspect procédural souvent mal connu.

En principe, en vertu des principes généraux du droit disciplinaire, une sanction infligée en première instance par une juridiction disciplinaire ne peut être aggravée par le juge d'appel quand cet appel est interjeté par la personne frappée par la sanction. Toutefois, lorsque, comme en l’espèce, se greffe sur l’appel principal de la personne sanctionnée un appel incident d’une autre personne, ici celui de l’université d’appartenance de l’individu sanctionné, cette règle ne joue pas et la sanction, comme ici, peut être aggravée en appel.

(9 octobre 2020, M. X., n° 425459)

 

96 - Fonctionnaires d’État – Licenciement pour insuffisance professionnelle – Procédure calquée sur celle applicable en matière disciplinaire – Communication du rapport de l’autorité qui a saisi l’instance discipline – Absence – Régularité – Rejet.

Il résulte des dispositions de l’art. 70 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État que le licenciement pour insuffisance professionnelle d’un fonctionnaire d’État ne peut être prononcé qu’après qu’ait été suivie la procédure applicable en matière disciplinaire, c’est-à-dire qu’il doit être informé des insuffisances qui lui sont reprochées, pouvoir demander la communication de son dossier et disposer d’un délai suffisant pour préparer sa défense. En revanche, il ne résulte d’aucun texte ou principe que doit lui être communiqué le rapport de l’autorité ayant saisi l’organe disciplinaire.

(9 octobre 2020, Mme X., n° 429563)

 

97 - Administrateur civil – Auteur de nombreux messages et autres très critiques sur les pouvoirs publics, l’administration, le chef de l’État – Poursuites disciplinaires pour méconnaissance du devoir de réserve, de l'obligation de discrétion professionnelle et de l'obligation de dignité attachés à ses fonctions - Révocation – État psychiatrique rendant excessive la sanction – Annulation.

Un administrateur civil est poursuivi disciplinairement pour, selon sa hiérarchie,  « avoir publié, d'une part, trois articles, au cours de l'année 2015, sur un site internet, dans lesquels il a fait état de sa qualité d'administrateur civil et émis de vives critiques à l'encontre de l'administration et du Gouvernement et, d'autre part, sous pseudonyme sur un blog hébergé par le site Médiapart et sous son nom propre sur son blog personnel, un même article daté respectivement du 3 décembre 2017 et du 8 janvier 2019, dans lequel il formule de vives critiques à l'encontre du Président de la République. Il est par ailleurs reproché à M. A. d'avoir, à la suite de sa prise de fonctions, en décembre 2017, de chargé de mission auprès du chef de service de la direction des ressources humaines des ministères chargés des affaires sociales, en qualité de référent pour le plan de continuité d'activité ministériel, publiquement dénigré l'action des ministères sociaux sur ce dossier et transmis, le 9 mars 2018, à un service extérieur à son ministère, des éléments confidentiels sur la situation administrative d'un agent. Il est en outre reproché à M. A. d'avoir, le 6 décembre 2018, adressé des courriels à un grand nombre d'agents de son ministère contenant de nombreuses critiques dirigées contre des responsables de la direction des ressources humaines des ministères sociaux, diffusé simultanément des vidéos sur son compte Facebook dans lesquelles il se présentait comme un gilet jaune et faisait état de sa qualité d'administrateur civil et de ses fonctions au sein des ministères sociaux, et d'avoir, le même jour, à l'heure du déjeuner, au restaurant administratif de son ministère, commis un acte d'atteinte à sa personne qu'il aurait ultérieurement qualifié de « signe de protestation », dans un courriel adressé à la direction des ressources humaines des ministères sociaux le 20 février 2019. Enfin, il est reproché à M. A. d'avoir, dans ce même courriel du 20 février 2019, retranscrit un échange avec son médecin traitant contenant des injures à l'encontre du chef de service de la direction des ressources humaines des ministères sociaux et, plus généralement, de la fonction publique et des fonctionnaires. »

Au terme de la procédure disciplinaire, est prononcée contre lui, par décret du chef de l’État, la sanction de la révocation pour méconnaissance du devoir de réserve, de l'obligation de discrétion professionnelle et de l'obligation de dignité attachés à ses fonctions.

Sur recours de l’intéressé, le Conseil d’État annule cette décision.

Tout d’abord, la prescription des faits étant, en matière de discipline des fonctionnaires, de trois ans, il en résulte qu’aucun des faits survenus avant le 22 avril 2016, date d’entrée en vigueur de la loi du 20 avril 2016 modifiant l’art. 13 de la loi du 13 juillet 1983, ne peut être retenu au soutien de la décision attaquée dès lors que la procédure disciplinaire a été engagée le 27 mai 2019.

Ensuite, pour les autres faits, ils sont constitutifs de fautes passibles d’une sanction. Cependant, le juge estime disproportionnée la mesure de révocation infligée à l’intéressé car il ressort des pièces du dossier, notamment d’une décision d'admission en soins psychiatriques du 8 décembre 2018 et du rapport d'expertise établi le 18 septembre 2019 par un médecin psychiatre à l'attention de la commission de réforme ministérielle saisie afin de déterminer l'imputabilité au service de l'accident survenu le 6 décembre 2018, que l'état de détresse psychologique du requérant avait justifié, après son passage à l'acte suicidaire, une hospitalisation sous contrainte en hôpital psychiatrique et la prescription continue d'arrêts de travail du 12 décembre 2018 au 3 septembre 2019. Selon le rapport précité, M. A. serait atteint de troubles psychopathologiques sévères et de gravité confirmée, entraînant une altération importante du fonctionnement social et professionnel et ne permettant pas une reprise immédiate des fonctions.

Eu égard à l’éventail de sanctions de nature et de portée différentes dont disposait l’administration, la mesure de révocation est jugée excessive au regard de l’état de santé de M. A. ; elle est annulée.

(15 octobre 2020, M. A., n° 438488)

 

Hiérarchie des normes

 

98 - Régime fiscal des dividendes distribués par des sociétés françaises – système du précompte – Interdiction de la double imposition à l’intérieur de l’Union européenne – Discrimination entre filiales d’une même société selon qu’elles sont situées dans l’État d’imposition ou dans un autre État de l’Union – Renvoi d’une question préjudicielle à la CJUE – Refus, en l’état du contexte dans lequel elle est posée, de renvoyer une QPC – Sursis à statuer sur un renvoi préjudiciel à la CEDH dans l’attente de la réponse de la CJUE au renvoi préjudiciel.

Selon l'article 158 bis du CGI les personnes qui reçoivent des dividendes distribués par des sociétés françaises disposent à ce titre d'un revenu constitué par les sommes qu'elles reçoivent de la société et par un avoir fiscal représenté par un crédit ouvert sur le Trésor. L'article 216 du même code prévoit par ailleurs que « Les produits nets des participations, ouvrant droit à l'application du régime des sociétés mères et visées à l'article 145, touchés au cours d'un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci (...) ». Aux termes du premier alinéa du 1 de l'article 223 sexies du CGI : « (...) lorsque les produits distribués par une société sont prélevés sur des sommes à raison desquelles elle n'a pas été soumise à l'impôt sur les sociétés au taux normal (...), cette société est tenue d'acquitter un précompte égal au montant du crédit prévu à l'article 158 bis et attaché à ces distributions. Ce précompte est dû quels que soient les bénéficiaires des distributions. » Enfin, aux termes du 2 de l'article 146 du même code : « Lorsque les distributions auxquelles procède une société mère donnent lieu à l'application du précompte prévu à l'article 223 sexies, ce précompte est diminué, le cas échéant, du montant des crédits d'impôts qui sont attachés aux produits des participations (...), encaissés au cours des exercices clos depuis cinq ans au plus ».

Sur ce point, la CJUE a, tout d’abord, jugée contraire au droit de l’Union une législation fiscale nationale ne permettant à une société mère distribuant des dividendes de n'imputer sur le précompte l'avoir fiscal attaché à la distribution de ces dividendes que s'ils proviennent d'une filiale établie dans cet État membre non si ces dividendes proviennent d'une filiale établie dans un autre État membre, dès lors que cette législation n'ouvre pas droit, dans cette dernière hypothèse, à l'octroi d'un avoir fiscal attaché à la distribution de ces dividendes par cette filiale (CJUE, 15 septembre 2011, Ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique contre Accor SA, aff. C-310/09). Ensuite, la CJUE a estimé que si, pour éviter que les bénéfices distribués à une société mère résidente par une filiale non-résidente soient imposés, dans un premier temps, dans le chef de la filiale dans son État de résidence et, dans un second temps, dans celui de la société mère dans son État de résidence, d’une part, les États membres ont le choix entre deux systèmes, le système d'exonération et le système d'imputation (sans possibilité toutefois pour un État d’invoquer les effets ou les limitations qui auraient pu découler de la mise en oeuvre de l'autre système : CJCE 12 février 2009, Belgische Staat contre Cobelfret NV, aff. C-138/07) et si, d’autre part, ils conservent la faculté de prévoir que des charges se rapportant à la participation et des moins-values résultant de la distribution des bénéfices de la société filiale ne sont pas déductibles du bénéfice imposable de la société mère (CJCE 25 septembre 2003, Océ Van der Grinten NV contre Commissioners of Inland Revenue, aff. C-58/01), en revanche, il est interdit aux États membres d'imposer la société mère au titre des bénéfices qui lui sont distribués par sa filiale, sans distinguer selon que l'imposition de la société mère a pour fait générateur la réception de ces bénéfices ou leur redistribution. 

On voit par là que le mécanisme français institué à l’art. 223 sexies précité du CGI est susceptible de relever de cette prohibition dans la mesure où le précompte n’a pas le caractère d’une retenue à la source (CJUE 17 mai 2017, X. c/ Ministerraad, aff. C-68/15 et Association française des entreprises privées (AFEP) et autres c/ Ministre des finances et des comptes publics, aff. C-365/16).

Constatant que cette question soulève ainsi une difficulté sérieuse le Conseil d’État la renvoie à la CJUE.

Dans le même recours avaient été soulevées et une demande de renvoi d’une QPC et une demande de renvoi préjudiciel à la CEDH fondée sur. L’art. 14 de la convention éponyme.

La demande en QPC est rejetée, en l’état, car « Tant que l'interprétation de la directive 90/435/CE du Conseil du 23 janvier 1990, notamment celle de son article 4 et du paragraphe 2 de son article 7, n'aura pas conduit le juge de l'excès de pouvoir à écarter l'application de l'article 223 sexies du code général des impôts aux redistributions par les sociétés mères de dividendes en provenance de filiales qui sont établies dans un autre Etat membre de l'Union européenne, aucune différence dans le traitement fiscal des opérations de distribution n'est susceptible d'en résulter au détriment de sociétés mères redistribuant des dividendes en provenance de filiales qui sont établies en France ou dans un Etat tiers à l'Union européenne ». C’est donc un refus sous condition qui est opposé.

Le juge surseoit à statuer sur la demande de renvoi préjudiciel à la CEDH. En effet, un tel renvoi serait fondé sur l’existence éventuelle d’une discrimination, ceci supposant que la CJUE se soit prononcée sur la question préjudicielle susindiquée.

(23 octobre 2020, Société européenne Schneider Electric et sociétés anonymes Axa, BNP Paribas, Engie et Orange, n° 442224 ; L'Air Liquide société anonyme pour l'étude et l'exploitation des procédés George Claude (société L'Air Liquide), n° 442248)

 

Libertés fondamentales

 

99 - Presse – Régime des aides – Publication d’information politique et générale – Absence de ce caractère – Rejet.

La commission paritaire des publications et agences de presse a refusé à la revue diffusée par l’association requérante la qualification juridique de « publication d'information politique et générale » au motif que, consacrée pour l’essentiel à l’information du consommateur par divers moyens (articles de fond, tests comparatifs, analyses de laboratoire…), elle « n'abordait que marginalement l'actualité politique et générale, laquelle suppose d'apporter, de façon permanente et continue, des analyses et commentaires susceptibles d'éclairer le jugement des citoyens sur des sujets ayant trait à la vie publique ».

Cette qualification est très importante pour les publications à faible revenu car elle leur permet d’obtenir une aide publique qui a pour objet de favoriser le pluralisme de la presse.

Confirmant les décisions des juridictions de première instance et d’appel, le Conseil d’État estime que celles-ci, en refusant la qualification revendiquée, n’ont commis ni erreur de droit ni erreur dans la qualification des faits de l’espèce.

(5 octobre 2020, Union Fédérale des Consommateurs - Que Choisir (UFC - Que Choisir), n° 424049)

 

100 - Liberté du commerce et de l’industrie – Libre concurrence - Création d’une Agence du numérique de la sécurité civile – Atteinte à ces libertés fondamentales – Réponse négative en présence d’un intérêt public justificatif – Rejet.

Les organismes demandeurs poursuivaient l’annulation du décret n° 2018-856 du 8 octobre 2018 portant création de l'Agence du numérique de la sécurité civile notamment motif pris de ce que celle-ci porterait une atteinte illégale au principe de la liberté du commerce et de l'industrie ainsi qu’à celui de la libre concurrence.

Le recours pour excès de pouvoir est rejeté.

Le juge rappelle que les personnes publiques sont chargées d'assurer les activités nécessaires à la réalisation des missions de service public dont elles sont investies et bénéficient à cette fin de prérogatives de puissance publique. Si elles entendent, indépendamment de ces missions, prendre en charge une activité économique, elles ne peuvent légalement le faire que dans le respect tant de la liberté du commerce et de l'industrie que du droit de la concurrence. Ceci implique donc la double exigence du constat d’un intérêt public justificatif et de modalités de fonctionnement ne faussant pas le libre jeu de la concurrence.

S’agissant de l’Agence en cause, l’art. L. 112-2 du code de la sécurité intérieure lui donne pour objet de concevoir et de mettre en oeuvre, au profit notamment des services d'incendie et de secours, des systèmes d'information destinés à leur permettre d'assurer dans les meilleures conditions les tâches de gestion opérationnelle et de gestion de crise qui leur sont assignées ainsi que d’en diminuer les coûts. Il en résulte que la création de cette agence, ainsi justifiée par un intérêt public, ne porte pas une atteinte illégale à la liberté du commerce et de l’industrie et que, par elle-même, elle ne la place pas dans une situation où elle bénéficierait de droits exclusifs ou bien où elle serait placée en position économique dominante ; cette création n’attente pas à la libre concurrence.

(14 octobre 2020, Association Qualisis, Société système et télécommunications, Société d'informatique et de systèmes et Société d'informatique Midi-Pyrénées industrie, n° 426119)

(101) V. aussi, du même jour, avec sensiblement les mêmes requérants, annulant le décret du 9 janvier 2019 relatif au système d'information et de commandement unifié des services d'incendie et de secours et de la sécurité civile " NexSIS 18-112 " en raison de l'absence de consultation de l'Autorité de la concurrence : 14 octobre 2020, Association Qualisis, la Société système et télécommunications et la Société d'informatique Midi-Pyrénées industrie, n° 428691.

 

102 - Réfugié – Annulation de l’octroi de la qualité de réfugié – Décision de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) – Intéressé s’étant rendu coupable de proxénétisme aggravé – Agissements non contraires aux buts et principes des Nations-Unies – Absence de violations graves des droits de l’homme - Annulation de la mesure abrogeant l’octroi de la qualité de réfugié – Rejet.

L’OFPRA avait décidé d’abroger le statut de réfugié accordé à un ressortissant étranger en raison de sa condamnation en France, postérieurement à l’octroi de cette qualité, pour faits de proxénétisme aggravé.

L’intéressé a saisi la Cour nationale du droit d’asile qui a annulé la décision de l’OFPRA motif pris, d’une part, de ce que les infractions commises par ce réfugié ne sont pas contraires aux buts et principes des Nations unies au sens du c) du F de l'article 1er de la convention de Genève car faisaient défaut  la gravité et la dimension internationale requises pour retenir une telle qualification, lesquelles n'étaient pas caractérisées en l'espèce (1) et, d’autre part, les faits délictuels de proxénétisme commis par le réfugié peu délicat ne pouvaient être qualifiés de violations graves des droits de l'homme constitutives d'agissements contraires aux buts et principes des Nations unies (2).

Le Conseil d’État rejette le recours contre cette décision de la CNDA qui n’a pas commis d’erreur de droit (cas 1) ni inexactement qualifié les faits à elle soumis (cas 2).

Le retrait de la qualité de réfugié obéit à des conditions très précises et limitativement énumérées par la Convention de Genève et repris dans la législation nationale.

Summum ius summa injuria devrait-on écrire…

(14 octobre 2020, OFPRA, n° 428361)

 

103 - Nouvelle-Calédonie – Système pénitentiaire – Conditions de détention – Intervention du juge des référés, conditions, office et limite – Jurisprudences plus ou moins concordantes de la CEDH, du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation – Mesures d’ordre structurel ou engageant une politique publique impossibles à ordonner par voie de référé – Régime et portée du pouvoir d’injonction et du pouvoir d’exécution des ordonnances du juge du référé liberté – Admission et rejet partiels avec légère réformation de l’ordonnance rendue par le juge du tribunal administratif.

Le juge administratif était une nouvelle fois saisi de recours sur les conditions de vie des détenus dans certains centres pénitentiaires, spécialement en Nouvelle-Calédonie. D’autres juridictions ont également été saisies de cette question et la présente décision ne manque pas de rappeler celles d’entre-elles qui ont un rapport direct avec l’objet des solutions ici retenues (CEDH, 30 janvier 2020, J.M.B. et 31 autres c/ France, n° 9671/15 ; C.C., 2 octobre 2020, Geoffrey F ; et Ossama H., QPC n° 2020-858/859 ; Cass. crim. 8 juillet 2020, V. c/ Chambre de l’instruction de la cour de Rennes, n° 20-81.739, renversant Cass. crim. 18 septembre 2019, Y. c/ Chambre de l’instruction de la cour de Montpellier, n°19-83.950).

C’est l’occasion d’une très longue décision (près de 60 000 caractères) où transparaît la volonté du juge de prendre à bras-le-corps l’irritante question des conditions de détention déplorables existant dans certaines prisons françaises, compliquées ici par les conditions climatiques et les « renvois de balle » entre l’État et le territoire de Nouvelle-Calédonie à raison du partage de compétences, l’État étant responsable du secteur pénitentiaire et le territoire de la condition sanitaire des détenus (cf. points 29 à 32 inclus de la décision).

La Section française de l’observatoire international des prisons (SFOIP) avait saisi le juge des référés du tribunal administratif d’une liste impressionnante de demandes, dix-sept, dont un nombre non négligeable ont reçu satisfaction.

Le juge des référés du Conseil d’État était saisi de deux pourvois, l’un de la requérante de première instance, l’autre du ministre défendeur.

Brevitatis causa car on ne saurait rendre compte de façon exhaustive de cette importante décision qui aura les honneurs de la publication au Lebon, il était demandé au juge d’appel, d’une part, d’ordonner que soient prises celles des mesures matérielles rejetées en première instance, d’autre part, de mettre en œuvre l’arrêt de la CEDH (préc.) portant condamnation de la France pour défaut d’existence d’un recours préventif des détenus, et enfin, d’ordonner même celles des mesures qui imposeraient des modifications d’ordre structurel ou engageraient des politiques publiques.

 

I.- Le Conseil d’État commence par donner une leçon de droit du contentieux administratif sur les fonctions et l’office du juge du référé-liberté et, en conséquence, sur la portée des pouvoirs qu’il détient à ce titre ; il précise en outre qu’il est un juge et non un législateur.

Sur le premier point, c’est d’abord la reprise d’un thème bien connu : le juge des référés est un juge du provisoire et de l’urgence et il n’est, de fait et de droit, que cela ; en particulier, il ne peut ordonner que des mesures pouvant être mises en œuvre à bref délai ainsi que, le cas échéant et le moment venu, des mesures complémentaires, additionnelles comme de révision de celles antérieurement ordonnées. Cependant, à cette argumentation récurrente, et sans doute à cause des prises de position juridictionnelles susrappelées, le juge ajoute ici d’importantes précisions concernant l’effectivité des mesures prescrites en référé. En effet, celles-ci sont revêtues de l’autorité de chose jugée et il incombe donc aux différentes autorités administratives de prendre les décisions qu'implique le respect des décisions juridictionnelles. S’il est certain que ce juge ne peut proprio motu prononcer des mesures tendant à l'exécution de celles qu'il a déjà ordonnées, il peut, soit d'office (art. L. 911-3 CJA), assortir d'une astreinte les injonctions qu'il prescrit, soit sur demande de l’intéressé, qui peut être fondée notamment sur les dispositions des articles L. 911-4 et L. 911-5 du CJA mais aussi sur celles de l'art. L. 521-4 du CJA, qui permettent d'assurer l'exécution des mesures ordonnées demeurées sans effet par de nouvelles injonctions et une astreinte. 

Sur le second point, le juge ne manque pas de relever que le soin de remédier aux manquements (CEDH) et à l’inconstitutionnalité (C.C.) relevés respectivement par la décision de la CEDH et par celle du Conseil constitutionnel n’appartient qu’au seul législateur, non au juge et a fortiori au juge des référés. Au reste, il est juste de relever, d’une part, qu’en vertu de la jurisprudence offensive précitée de la Cour de cassation, il s’opère un certain partage en ce domaine entre le juge judiciaire, en sa qualité de gardien de la liberté individuelle, et le juge administratif, et, d’autre part, qu’assorti d’astreinte et d’injonction dans les conditions susrappelées le référé-liberté permet déjà, en l’état du droit et de la jurisprudence, de satisfaire à nombre des exigences conventionnelles et/ou constitutionnelles.

 

II.- Examinant le fond des demandes, le juge rejette toutes celles ne pouvant être satisfaites qu’au prix de réformes structurelles ne pouvant déboucher sur des résultats tangibles à bref délai. Semblablement ne sont pas ordonnées les mesures demandées qui figurent désormais au plan d’action arrêté par l’administration pénitentiaire pour rénover le centre pénitentiaire (électricité, plomberie, peinture, installations de réfrigérateurs, lave-linge et sèche-linge, réfection du sol des cours, des réseaux d’assainissement et de distribution d’eau..).

En revanche, il accueille celles des demandes pouvant être rapidement mises en œuvre par exemple l’ installations d’abris contre le soleil et les intempéries dans les cours de promenade, « cours » dont il faut préciser qu’elles sont constituées de conteneurs ; la séparation, partout où elle n’existe pas, entre l’espace sanitaire et le reste de la cellule ; la prise de toutes les mesures utiles de nature à améliorer la luminosité des cellules afin de permettre aux personnes détenues de pouvoir procéder aux actes de la vie courante en particulier en procédant au remplacement des fenêtres défectueuses, etc.

Pareillement, il surseoit à statuer afin qu’il puisse disposer d'informations complémentaires concernant :

-       les contraintes physiques et d’organisation justifiant que les cours de promenade du quartier disciplinaire et d'isolement soient aménagées dans des conteneurs, de la durée moyenne d'occupation de ces cours et de la faisabilité de solutions alternatives, même provisoires, permettant de proposer aux détenus placés à l'isolement un accès à des cours de promenade dans des conditions pleinement respectueuses des exigences découlant de l'article 3 de la convention EDH,

-       les contraintes physiques et sécuritaires mises en avant par l'administration pour justifier l'absence de toilettes dans certaines cours de promenade, ainsi que de la durée moyenne passée par les détenus dans ces cours.

Dès lors, il y a lieu, dans ces conditions et dans la perspective d'une décision ultérieure prise à brève échéance susceptible de déterminer les mesures complémentaires qui s'imposent et qui peuvent être très rapidement mises en oeuvre, de surseoir à statuer sur les conclusions relatives à la fermeture des cours de promenade situées dans des conteneurs et à l'installation de toilettes dans l'ensemble des cours de promenade.

Il est donné dix jours à l’administration pénitentiaire pour fournir au juge tous éléments complémentaires à même de l’éclairer sur ces questions. 

Enfin, le juge règle prestement un aspect procédural particulier : l’organisation requérante avait demandé que le Conseil d'Etat enjoigne à l'administration d'informer la requérante sur le suivi des mesures ordonnées ; il lui est répondu, un rien pincé mais c’est justifié, qu’« il ne relève pas de l'office du juge des référés (…), lorsqu'il a prononcé des injonctions à l'égard de l'administration, de mettre également à sa charge une obligation d'information de la partie requérante. »

(ord. réf. 19 octobre 2020, Garde des sceaux, n° 439372 ; Section française de l’observatoire international des prisons (SFOIP), n° 439444)

 

104 - Décret du 14 octobre 2020 déclarant l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 1er avril 2021 - Référés liberté et suspension - Atteintes alléguées à diverses libertés fondamentales – QPC – Rejets.

Ces trois recours, dirigés pour l’essentiel contre les dispositions du décret du 14 octobre 2020 déclarant l’état d’urgence sanitaire, sont joints, le premier étant une demande en référé suspension, les deux autres en référé liberté. L’essentiel des critiques porte sur l’art. L. 3131-12 du code de la santé publique.

Le juge aborde successivement trois points.

En premier lieu, il rejette la demande de renvoi d’une QPC dirigée contre l’article L. 3131-12 précité, fondée sur ce qu’il serait entaché d’incompétence négative car il donne compétence au pouvoir règlementaire pour déclarer l'état d'urgence sanitaire et n'entoure pas cette déclaration, alors qu’elle emporte une atteinte grave à de nombreuses libertés, de garanties suffisantes, en particulier de précisions quant à sa nécessité ou ne prévoit pas un délai d'intervention du Parlement plus court, d’où sa contrariété à plusieurs articles de la Déclaration de 1789 (art. 2, 4, 11 et 17). Le juge estime que, d’une part, le législateur, en confiant au pouvoir exécutif le soin de déclencher le régime d’état d’urgence sanitaire, qui, en lui-même, n’emporte aucune atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, assorti de l’information immédiate du Parlement, lequel conserve tous ses pouvoirs, n’a pas fait montre d’une incompétence négative, et que d’autre part, il n’est nullement porté atteinte au principe de sécurité juridique, les mesures devant être adoptées et adaptées au fur et à mesure de l’évolution de la situation sanitaire.

En deuxième lieu, est rejetée la requête en référé suspension car le décret litigieux énumère bien les circonstances de fait et de droit ayant conduit à son édiction et répond à une véritable urgence sanitaire en raison de la recrudescence brutale et rapide de l’épidémie.

En troisième lieu, la demande en référé liberté ne prospère pas davantage car les mesures restrictives des libertés fondamentales prises ou susceptibles de l’être sur le fondement de ce décret sont justifiées par la situation sanitaire actuelle du pays et exactement proportionnées à sa gravité.

(ord. réf. 29 octobre 2020, M. H., n° 445367 ; M. I., n° 445559 ; M. Q. et autres, n° 445637)

 

105 - Droit asile – Cas d’un ressortissant de l’Union européenne – Octroi des conditions matérielles d’accueil aux demandeurs d’asile ressortissants de l’Union – Simple faculté pour l’État d’accueil – Ressortissant d’un pays membre de l’Union bénéficiant des droits attachés à la citoyenneté européenne – Régime des conditions matérielles d’accueil inapplicables – Rejet.

Le juge des référés avait à connaître d’une demande d’asile faite en France par un ressortissant d’un pays membre de l’Union européenne et du régime de droit qui lui est applicable. La question était délicate car les textes, internes comme de l’UE, envisagent l’asile comme étant normalement demandé par une personne non ressortissante d’un pays membre de l’Union.

Après avoir indiqué qu’il était loisible qu’un tel ressortissant sollicite l’asile auprès d’un autre pays membre, le juge des référés du Conseil d’État rejette ses deux chefs de demande, confirmant ainsi, l’ordonnance du premier juge.

Tout d’abord, la faculté pour les États de l’Union, selon l’art. 4 de la directive du 26 juin 2013, établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale, d’accorder des conditions matérielles plus favorables aux ressortissants de l’Union demandeurs d’asile, n’est qu’une faculté que le droit français n’a pas retenue.

Ensuite, parce qu’un ressortissant de l’UE possède la citoyenneté de l’Union, dispose du droit de séjourner en France et d'y exercer une activité professionnelle, il ne saurait donc avoir droit au bénéfice de l’octroi des conditions matérielles d’accueil reconnues aux demandeurs d’asile extra-communautaires.

(ord. réf. 29 octobre 2020, M. A., n° 445555 ; Mme B., n° 445573)

 

106 - Décision médicale de limitation des traitements et des soins - Existence d’une obstination déraisonnable – Référé liberté – Pouvoirs du juge des référés en présence d’une décision médicale prise dans un cadre légal prédéfini – Rejet.

Le juge des référés était saisi de la situation dramatique d’une patiente hospitalisée depuis décembre 2017, atteinte d’un cancer colique au stade terminal, à l’égard de laquelle a été prise, à l’issue de la procédure collégiale, une décision de limitation des traitements en raison de son état de santé. Les enfants de la patiente ont saisi le juge du référé liberté d’une requête tendant à la suspension de la décision en cause en attendant que soit ordonnée une expertise médicale. Le juge a estimé ces demandes sans objet et les a rejetées. Saisi par voie d’appel, le Conseil d’État, statuant en formation collégiale, confirme l’ordonnance du premier juge. Il relève d’une part qu’ont été respectées toutes les conditions fixées par les textes pour la prise d’une telle décision, et, d’autre part, que, dans les circonstances de l’espèce, la poursuite d’un traitement alors que sont certaines l'impasse thérapeutique dans laquelle se trouve l’intéressée quant au traitement de l'affection cancéreuse ainsi que sa totale dépendance à la dialyse et au respirateur, traduirait – ainsi que l’ont constaté les médecins traitants - une obstination déraisonnable. Le recours est rejeté.

(ord. réf., formation collégiale, 26 octobre 2020, Mme F. et M. F., n° 445302)

 

Police

 

107 - Déplacements urbains – Trottinette électrique – Décret réglementant son usage – Absence d’illégalité – Rejet.

La requérante demandait l’annulation du décret n° 2019-1082 du 23 octobre 2019 relatif à la réglementation des engins de déplacement personnel. Sa requête est rejetée.

Le décret attaqué ne contrevient pas aux dispositions de l’art. 4 de la directive européenne du 20 décembre 2006 relative au permis de conduire qui subordonne à la détention d'un permis de conduire la conduite des cyclomoteurs, définis notamment comme des engins motorisés ayant une vitesse supérieure par construction de 25 km/h et une vitesse maximale par construction ne dépassant pas 45 km/h, et prévoit que l'âge minimum du conducteur des cyclomoteurs est de 16 ans. Or il résulte de l’art. 3 du décret litigieux que les engins en cause ne dépassent pas la vitesse de 25 km/h, ce qui justifie que ne soit pas exigée une autorisation administrative préalable en vue de leur utilisation.

Enfin, les mesures de sécurité imposées aux conducteurs desdits engins (obligation d'un casque, d'un gilet de haute visibilité ou d'un dispositif rétro-réfléchissant équivalent, feux de position allumés) comme les sanctions qu’ils encourent en cas d’infraction, ne peuvent que conduire à écarter le grief tiré de la violation des articles 2 et 3 de la Convention EDH (droit à la vie et protection contre les traitements inhumains ou dégradants)

(2 octobre 2020, Association philanthropique d'action contre l'anarchie urbaine vecteur d'incivilités (APACAUVI), n° 435815)

 

108 – Covid-19 – Fin du régime d’urgence sanitaire (loi du 9 juillet 2020) – Pouvoirs demeurant dévolus au préfet – Allégations de diverses illégalités du décret d’application de la loi – Rejet.

Les requérants demandaient la suspension du décret du 10 juillet 2020 pris pour l’application de la loi du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l'état d'urgence en invoquant diverses illégalités qu’il comporterait.

La demande est rejetée en tant qu’elle reproche audit décret, d'une part, d’imposer le port du masque et, d'autre part, de confier aux préfets des départements le pouvoir d'interdire les manifestations, de décider du placement en quarantaine ou de l'isolement de certaines personnes et d'interdire toute activité sans limite temporelle.

Le maintien du port du masque est justifié par la persistance de l’épidémie en dépit de la sortie de l’état d’urgence sanitaire ; cette mesure, proportionnée à son objectif, modulable selon les personnes, les lieux et l’évolution de l’épidémie, ne porte pas atteinte aux droits et libertés invoqués par les requérants.

Les pouvoirs dévolus au préfet en matière de réglementation des manifestations, encadrés par les textes et soumis au contrôle du juge ne sont pas excessifs, il en va de même des pouvoirs qui lui sont attribués pour la réglementation et la fermeture provisoire d'établissements recevant du public ou de lieux ouverts au public lorsque n'est pas garantie la mise en oeuvre des mesures de nature à prévenir les risques de propagation du virus ou dans certaines parties du territoire dans lesquelles est constatée une circulation active du virus. En effet, les activités que le préfet peut interdire, sous le contrôle du juge et pour ces seuls motifs, sont – contrairement aux affirmations des requérants - exclusivement celles qui s'exercent au sein d'établissements recevant du public ou dans des lieux publics. 

Enfin, les requérants se trompent en qualifiant d’illimitée la durée des pouvoirs accordés par le décret litigieux aux préfets puisque ceux-ci doivent cesser de produire effet le 31 octobre 2020.

(ord. réf. 2 octobre 2020, Mme X. et autres, n° 443999)

 

109 – Covid-19 – Extension de l’obligation du port du masque dans certaines communes d’un département – Mesure justifiée par l’accroissement du nombre de personnes contaminées, cohérente avec les données de la configuration urbaine et proportionnée – Rejet.

Pour rejeter l’appel d’une ordonnance rejetant le recours en référé liberté que le requérant avait intenté contre un arrêté préfectoral étendant l’obligation de port du masque à Évreux et dans trois communes circumvoisines, le juge des référés du Conseil d’État fait entièrement sienne l’analyse du premier juge qui, constatant que dans ces communes  le nombre de nouveaux cas étant passé de 64,4 à 110,7 pour 100000 habitants entre le 11 et le 18 septembre, a estimé que l’extension du port du masque était, en la circonstance, une mesure cohérente et proportionnée dès lors qu'en l'état actuel des connaissances, le virus peut se transmettre par gouttelettes respiratoires, par contacts et par voie aéroportée et que les personnes peuvent être contagieuses sans le savoir. C’est donc sans illégalité que l’arrêté litigieux a délimité le territoire concerné par l'obligation de port du masque à Evreux et à trois communes ayant avec Evreux soit un continuum urbain très fort, soit un lien utilitaire et commercial, compte tenu de l'implantation d'un centre commercial fréquenté par les habitants d'Evreux. Également, l’arrêté a tenu compte des caractéristiques des communes concernées en excluant les espaces publics de bois et forêts et prévu des dérogations pour les personnes dont l'état de santé n'est pas compatible avec le port du masque ainsi que pour des activités physiques soutenues telles que le vélo ou la course à pied.

C’est sans erreur de droit ni de fait que le juge des référés du tribunal administratif en a déduit que l'arrêté contesté ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et de venir et à la liberté personnelle des résidents des communes concernées. 

L’appelant ne contestant pas les données ci-dessus et n’apportant pas d’éléments nouveaux, son appel est, sans grande surprise, rejeté.

(ord. réf. 5 octobre 2020, M. X., n° 445003)

(110) V. aussi, comparable, à propos de mesures concernant le département des Pyrénées-Atlantiques : ord. réf. 12 octobre 2020, Mme F. et autres, n° 445101)

 

111 - Police sanitaire - Covid-19 – Décret du 16 octobre 2020 prescrivant des mesures générales pour lutter contre l’épidémie - Instauration d’un couvre-feu – Atteinte disproportionnée et de durée indéfinie à la liberté d’aller et de venir – Référé liberté – Rejet.

La requête en référé liberté était dirigée contre l’art. 51 du décret du 16 octobre 2020, portant mesures générales anti-Covid, pris pour l’application du décret du 14 octobre 2020 déclarant l'état d'urgence sanitaire sur l'ensemble du territoire de la République à compter du 17 octobre 2020 à 0 heure, en tant que, par les dispositions de cet article instaurant un couvre-feu de 21heures à 6heures, il serait porté une atteinte excessive à la liberté fondamentale de circulation.

La requête est rejetée car le demandeur n’apporte aucun élément tendant à établir en quoi, face à l’aggravation de la situation sanitaire, ces mesures porteraient une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de circulation, alors même que leur durée ne serait pas définie.

(ord. réf. 28 octobre 2020, M. B., n° 445435)

(112) V. aussi, le rejet d’un référé contestant le décret précité du 6 octobre 2020 en ce qu’il instaure un couvre-feu, une obligation de port d’un masque, interdit de soins de conservation des corps des personnes décédées (ou suspectées de l’être) de Covid-19 et alors que l’efficacité de telles mesures ne serait pas prouvée : ord. réf. 28 octobre 2020, M. B., n° 445449. Également, voisin : ord. réf. 23 octobre 2020, M. D. et Association de défense des libertés constitutionnelles (ADELICO), n° 445430, ou encore : ord. réf. 28 octobre 2020, M. A., n° 445519.

(113) V. également, le rejet d’un référé liberté (req. n° 445487) et d’un référé suspension (req. n° 445674) dirigés, chacun, contre l’art. 51 du décret précité du 16 octobre 2020, en tant que ces dispositions porteraient une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et venir et au droit à une vie personnelle normale, les mesures étant, selon le juge, justifiées par la situation sanitaire, exactement proportionnées à celle-ci et comportant les dérogations nécessaires que la raison et les nécessités de la vie sociale commandent : ord. réf. 28 octobre 2020, Le Cercle droit et liberté et autres, n° 445487 ; Le Cercle droit et liberté et autres, n° 445674.

(114) V. encore, le rejet, par les mêmes motifs que ceux énoncés dans les ordonnances précédentes, de la requête en référé liberté contestant, une nouvelle fois, les dispositions de l’art. 51 précité en tant que, notamment par l’instauration d’un couvre-feu et par l’interdiction de soins de conservation du corps des personnes décédées du Covid-19, il serait porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et venir, à la liberté d'entreprendre, à la liberté de réunion et d'association, à la vie privée et familiale et à la dignité humaine : ord. réf. 28 octobre 2020, Parti chrétien démocrate, n° 445596.

(115) V. pareillement, une requête en référé liberté fondée sur ce que les mesures arrêtées par le décret précité du 16 octobre 2020, outre qu’elles sont attentatoires à des libertés fondamentales, seraient inefficaces, qui est rejetée car le requérant n’apporte pas d’éléments à l’appui de ses affirmations : ord. réf. 28 octobre 2020, M. B., n° 445633.

(116) Voir, pour le rejet d’une requête en référé liberté contestant l’atteinte portée, par l’art. 51, II, 4° du décret du 16 octobre 2020, à la liberté du commerce et de l'industrie, à la liberté d'entreprendre, au libre exercice d'une profession, au principe de libre concurrence et au principe d'égalité, introduite par des entrepreneurs d’activités foraines  en tant que, par cette disposition, sont interdites les fêtes foraines dans les zones dans lesquelles s'applique l'interdiction de déplacement des personnes hors de leur lieu de résidence entre 21 heures et 6 heures du matin. Le juge estime que la requérante, « compte tenu du caractère très général de ses écritures, (n’apporte) aucun élément de nature à établir que, au regard à la nette aggravation de la crise sanitaire en France ces dernières semaines, le décret contesté porterait une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté du commerce et de l'industrie et à la libre concurrence invoquées. » : ord. réf. 28 octobre 2020, Intersyndicale des entrepreneurs et artisans des fêtes foraines, n° 445725.

(117) Voir, à propos du rejet des référés liberté introduits contre les dispositions de l’art. 51 précité qui imposent la fermeture totale des établissements de type P à vocation de salles de jeux dans les zones où le préfet de département a interdit les déplacements de personnes hors de leur lieu de résidence entre 21 heures et 6 heures du matin car le juge estime que les casinos et les clubs de jeux sont des espaces favorisant le brassage d'une population importante, en dépit, d’une part, de la baisse de fréquentation constatée depuis l'apparition de l'épidémie de Covid-19 en France et, d’autre part, d'un protocole sanitaire renforcé mis en place dans ces établissements car leur activité implique une présence prolongée des joueurs, des déplacements au sein des établissements et des opportunités de contacts entre joueurs et avec des surfaces. Les mesures contestées sont manifestement nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif de sauvegarde de la santé publique : ord. réf. 28 octobre 2020, Société Groupe Lucien Barrière et autres, n° 445455 ; Société CLMCE, n° 445460 ; Comité social et économique du Club Montmartre, n° 445471 ; Société Club Circus Paris, n° 445476 ; Société Clubs by Joa et Société Joagroupe Holding, n° 445477 ; Société du Casino de Palavas et autres, n° 445522.

(118) Voir le rejet d’une requête fondé sur ce que la mesure qu'il est demandé au juge des référés de prononcer n’est pas, au jour où il statue, de nature à avoir, par elle-même, un effet utile sur la situation dénoncée par les requérants : ord. réf. 29 octobre 2020, Mme AD., n° 445226 et n° 445227 (requête devenue sans objet).

 

119 - Animaux d’espèces non domestiques - Fichier national d'identification des animaux d'espèces non domestiques – Convention de gestion de ce fichier – Agrément du gestionnaire du fichier – Condition de désignation – Illégalité - Modulation des effets de l’annulation de la convention – Régularité de l’agrément – Annulation partielle.

L’association demanderesse contestait :

- d’une part, la légalité de la convention par laquelle le ministre de l’écologie a désigné pour une durée de cinq ans la Société d'actions et de promotion vétérinaires (SAPV) comme gestionnaire du fichier national d'identification des animaux d'espèces non domestiques et fixé les conditions dans lesquelles doit être assurée l'inscription des animaux identifiés dans ce fichier national, l'édition des documents liés à leur identification et le traitement des données ainsi recueillies ;

- d’autre part, la légalité de l’arrêté interministériel portant agrément du gestionnaire du fichier national d'identification des animaux d'espèces non domestiques et précisant les modalités d'établissement, de contrôle et d'exploitation des données traitées.

Le recours est partiellement admis.

La convention est annulée car elle ne porte que la signature du ministre de l’agriculture, celle du ministre de l’environnement n’y figure pas, contrairement aux dispositions des art. L. 413-6 et L. 413-23-3 du code de l’environnement. Cependant, usant de son pouvoir de modulation en raison des effets excessifs qu’aurait ici la rétroactivité de l’annulation, le juge décide que les effets de cette annulation sont repoussés à compter du 1er janvier 2021.

L’arrêté, lui, est jugé légal car il comporte les deux signatures requises et parce que la consultation préalable a eu lieu.

(14 octobre 2020, Association Agir Espèces, n° 426168 et n° 427360)

(120) V. aussi, s’agissant des règles relatives à la détention d’animaux non domestiques : 14 octobre 2020, Association Agir Espèces et autres, n° 426241 ; Association One Voice et autres, n° 426253, où est annulée l’annexe 2 de l'arrêté du 8 octobre 2018 en tant qu'elle ne prévoit aucune formalité préalable pour la détention des animaux non domestiques n'ayant pas atteint l'âge adulte.

 

121 - Police de l’eau potable – Protection de la santé – Droit à l’eau et à l’assainissement – Référé liberté – Causes structurelles de la défaillance dans la fourniture d’eau en Guadeloupe – Demande de déclenchement du plan ORSEC « eau potable » – Absence de carence de l’État – Rejet.

Les requérants interjettent appel de l’ordonnance du premier juge rejetant leur demande, formée par voie d’un référé liberté, tendant à ce qu’il soit ordonné au préfet de la Guadeloupe de mettre en œuvre le plan ORSEC « eau potable » pour obvier la carence existant en ce domaine dans ce département ultra-marin. Le juge des référés du Conseil d’État confirme l’ordonnance contestée par le double motif que le plan ORSEC ne pouvant être déclenché qu’en cas « d'accident, sinistre ou catastrophe » (cf. art. L. 742-2 du code de la sécurité intérieure), il ne saurait être mis en œuvre pour pallier la dégradation depuis plusieurs décennies des réseaux d’eau et d’assainissement en Guadeloupe, et que cette charge d’entretien incombant aux collectivités locales, aucune carence ne saurait être reprochée à l’État.

(ord. réf. 19 octobre 2020, M. et Mme D., n° 445271)

 

122 – Police des manifestations - Schéma national de maintien de l'ordre – Protection des journalistes au cours des manifestations – Soumission au régime des attroupements – Rejet.

Les deux demandes de référé suspension étaient dirigées contre l’exécution du Schéma national du maintien de l'ordre du 16 septembre 2020 portant fixation d'un nouveau cadre d'exercice du maintien de l'ordre en ce qu’il comportait des dispositions portant atteinte au droit des journalistes d'exercer librement leur profession et au droit à l'information du public, garantis tant par les dispositions de l'article 11 de la Déclaration de 1789 que par les stipulations des articles 10 et 11 de la Convention EDH, notamment par l’application qui y est faite du régime de l’attroupement aux journalistes.

Le Conseil d’État rejette les recours.

Il considère que le texte confère aux journalistes toute légitimité pour « couvrir » une manifestation en y étant présents et, le cas échéant, pour y porter des équipements de protection sans être visés par la prohibition de dissimulation de tout ou partie du visage. L’obligation d’être en mesure d’établir qu’ils ont bien la qualité de journalistes ne porte aucune atteinte grave à leur liberté d’exercer leur métier de journalistes.

L’exigence de devoir posséder une carte de presse, justifiée par la possibilité qui leur est offerte d'obtenir des forces de l'ordre, en temps réel, au moyen d'un canal de communication dédié tel qu'un groupe « Whatsap », des informations relatives au déroulement de cette manifestation, plus précises que celles mise à la disposition du public par la voie de canaux ouverts, tels qu'un compte « Twitter », ne porte pas, non plus, une atteinte grave et immédiate aux conditions d'exercice de la profession de journaliste.

L’application faite aux journalistes par ce texte de l’interdiction, comme à toute autre personne, de se maintenir dans un attroupement, c’est-à-dire de demeurer dans une manifestation après qu’a été donné - par l’autorité légitime à cet effet - l’ordre de dispersion, ne porte pas davantage une atteinte grave à l’exercice du métier de journaliste et à la liberté d’informer.

En l’absence de satisfaction de la condition d’urgence, les requêtes en suspension sont rejetées.

(ord. réf. 27 octobre 2020, Syndicat national des journalistes et Ligue des droits de l'homme, n° 444876 ; CGT et Syndicat des journalistes CGT, n° 445055)

(123) V. aussi, du même jour et en tout point identique : ord. réf. 27 octobre 2020, M. A., n° 445369.

 

Professions réglementées

 

124 - Vétérinaire – Procédure disciplinaire – Office de la présidente de la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires – Annulation d’une ordonnance du président de la chambre régionale de discipline – Incompétence – Annulation avec renvoi.

Il résulte des dispositions de l’art. R. 242-97 du code rural et de la pêche maritime que si le président de la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires est compétent pour rejeter une requête d'appel formée contre une ordonnance du président de la chambre régionale de discipline prise en application de ce texte, elles ne lui donnent pas compétence, en revanche, pour annuler une telle ordonnance car cette annulation ne peut être prononcée que par une décision de la chambre nationale de discipline.

Pour avoir décidé l’infirmation de l'ordonnance du 24 janvier 2019 contre laquelle le président du Conseil national de l'ordre des vétérinaires formait appel devant elle, la présidente de la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires a méconnu son office et entaché son ordonnance d'incompétence et d'erreur de droit. 

(7 octobre 2020, M. X., n° 431764)

 

125 - Médecin – Décision disciplinaire – Cumul de trois actes différents au cours d‘une même séance – Tarification applicable – Exigence que ces actes portent sur des membres différents – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.

La section des assurances sociales de la chambre disciplinaire de première instance de Provence-Alpes-Côte d'Azur et Corse de l'ordre des médecins avait sanctionné un praticien au motif qu’il avait facturé trois actes chirurgicaux accomplis sur un patient au cours d’une même séance sans que ceux-ci concernent des membres différents. Cette décision est confirmée en appel par le conseil national de l’ordre.

Le Conseil d’État, saisi par l’intéressé d’un pourvoi en cassation contre la décision disciplinaire confirmative du conseil national, donne raison au requérant.

Il résulte des dispositions du B de l'article III-3 du livre III de la classification commune des actes médicaux qu’en cas de lésions traumatiques multiples et récentes, l'association de trois actes chirurgicaux au cours d'une même séance autorise la tarification de ces trois actes, le plus élevé étant tarifé à taux plein, le deuxième à 75% de sa valeur et le troisième à la moitié de sa valeur, sans que le droit de tarifier ces trois actes ne soit subordonné à la condition, prévue au a) du B précité, que les lésions en litige portent sur des membres différents.

La section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des médecins a commis une erreur de droit en jugeant que le requérant avait méconnu les dispositions susrappelées en cotant l'association de trois actes chirurgicaux accomplis au cours d'une même séance alors que ces actes ne portaient pas sur des membres différents,

(7 octobre 2020, M. X., n° 432185)

 

126 - Infirmière – Non-respect prétendu des conditions de moralité – Refus d’inscription au tableau de l’ordre des infirmiers – Erreur de droit – Annulation.

Infirmière diplômée d’État exerçant en qualité d’infirmière salariée dans un établissement de santé, la requérante a été radiée des cadres en vue de sa mise à la retraite pour invalidité par suite de l’épuisement de ses droits statutaires à congé de longue durée.

Elle a sollicité son inscription au tableau de l’ordre des infirmiers en qualité d’infirmière libérale. Cela lui a été refusé pour raison d’un état de santé compromettant l’exercice de sa profession auprès des patients dans des conditions normales de sécurité.

Durant vingt mois elle a exercé en qualité de salariée à mi-temps tout en complétant sa formation par l’obtention d’un diplôme d'université en addictologie et d’un diplôme de compétence en sophrologie pratique.

Sa nouvelle demande d’inscription au tableau de l’ordre a été refusée au motif qu’elle ne remplissait pas les conditions de moralité exigées au titre de l’art. L. 4311-16 du code de la santé publique.

Ses recours ordinaux ayant été rejetés, l’intéressée se pourvoit en cassation et le Conseil d’État lui donne raison en observant : « Si elle a exercé sa profession, entre septembre 2014 et mars 2016, en qualité de salariée, cette circonstance, eu égard notamment à la durée limitée de cet exercice et au fait que Mme X. ne travaillait qu'à mi-temps et était employée par une association oeuvrant dans un but d'intérêt général, ne saurait à elle seule, dans les circonstances de l'espèce, révéler une volonté délibérée de mettre en cause l'autorité des instances ordinales et les décisions antérieurement prises par celles-ci à son endroit ni caractériser, au sens des dispositions (de l’art. L. 4311-16 CSP), un défaut de moralité. »

La décision de refus d’inscription au tableau de l’ordre est annulée

(8 octobre 2020, Mme X., n° 430709)

(127) V. aussi, à propos du refus d’inscription d’une infirmière pour défaut de moralité par suite de faits d’agression sexuelle sur sa nièce, la solution de grande mansuétude retenue : 8 octobre 2020, Mme B., n° 432966.

 

128 - Notaires – Liberté d’installation dans certaines zones (loi du 6 août 2015) – Établissement d’une cartographie des zones sur proposition de l’Autorité de la concurrence – Avis de cette autorité sur la liberté d’installation des notaires – Détermination de 247 zones dites « d’installation libre » - Critiques de la méthodologie employée et des résultats obtenus – Rejet.

La loi du 6 août 2015 ayant fortement assoupli les conditions d’installations de nouvelles études notariales du moins dans certaines zones, elle a prévu une procédure de détection de ces zones pour en permettre la délimitation et fixer le quota d’installations nouvelles permises. Pour ce faire, l’Autorité de la concurrence a été chargée de proposer aux ministres concernés une carte desdites zones.

Les requérants critiquaient devant le juge à la fois les défaillances dans la méthodologie adoptée, certains des résultats obtenus et les préconisations finales en résultant. Ils demandaient aussi l’annulation de l’arrêté interministériel pris à la suite de cet avis.

Dans une longue décision, dont l’analyse ne peut être faite dans cette chronique, le Conseil d’État rejette tous les griefs dirigés contre l’avis de l’Autorité de la concurrence et in fine le recours dont il était saisi.

(14 octobre 2020, Conseil supérieur du notariat, n°426489 ; Chambre interdépartementale des notaires de Paris, n° 427726)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

129 - Nouvelle-Calédonie – Lois du pays – Lois pouvant faire l’objet d’une QPC – Dispositions antérieures à la création de ces lois – Nature réglementaire – Formation d’une QPC impossible.

Si, en vertu des dispositions du deuxième alinéa de l'art. 107 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie les dispositions d'une loi du pays peuvent faire l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité, ce n’est pas le cas de dispositions prises avant la date d’entrée en vigueur de cette loi organique car elles ne revêtent en ce cas qu’un caractère réglementaire.

(2 octobre, Société Polyanna, n° 439969)

 

130 - QPC portée devant le Conseil d’État - Récusation de tous les membres de la section du contentieux du Conseil d’État – Demande que la QPC soulevée devant ce dernier soit jugée par la Cour de cassation, à défaut le Tribunal des conflits, à défaut la CEDH – Recours dirigé contre des dispositions législatives inexistantes ou ne concernant pas une demande de récusation – Rejet.

Saisi par le requérant d’une QPC portant sur diverses dispositions législatives du code de justice administrative au motif qu’elles justifient sa demande de récusation de tous les membres de la section du contentieux du Conseil d’État, ce dernier rejette – est-ce vraiment une surprise ? – le recours au double motif qu’une telle récusation (qui constitue, au vrai, une demande de renvoi pour cause de suspicion légitime), n’existe pas devant les juridictions non soumises à une juridiction supérieure et que les dispositions législatives du code de justice administrative visées par le requérant ne sont pas applicables au litige ou à la procédure que celui-ci concerne.

Pour pittoresque que soit une telle initiative contentieuse, il est légitime de s’interroger sur l’absence d’infliction, ici, d’une amende pour recours abusif d’autant que le présent recours est suivi de dix autres tendant aux mêmes fins par des moyens identiques ou très voisins.

(23 octobre 2020, M. E., n° 440880)

(131) V. aussi, dans le même sens, avec, en outre, la critique de la constitutionnalité des dispositions de l’art. L. 952-5 du code de l’éducation : 28 octobre 2020, M. C., n° 423723, n° 423939, n° 429961, n° 430066, n° 430317, n° 434318, n°435693, n° 437251, n° 439219 et n° 440022.

 

Responsabilité

 

132 - Responsabilité du fait de l’exercice de la fonction juridictionnelle par le juge administratif – Violation du droit de l’Union – Régime de la prescription applicable à l’action introduite – Rejet.

Le Conseil d’État rend une importante décision qui aurait pu recevoir la forme d’une décision de la section du contentieux et qui se présente de façon assez complexe.

Simplifiant beaucoup les données de droit et de fait de cette affaire, on retiendra ceci.

La société requérante a fait l’objet de la part du directeur de l'Office national interprofessionnel du lait et des produits laitiers (ONILAIT) d’une demande de reversement à cet organisme des restitutions à l'exportation qu’elle avait perçues, somme qui  a été assortie de pénalités.

La société a demandé au juge l’annulation du titre exécutoire émis pour valoir récupération des sommes litigieuses. Elle soulevait pour sa défense deux objections très délicates : d’une part, la réclamation d’ONILAIT était prescrite car on ne pouvait plus lui opposer la prescription trentenaire alors en vigueur en France en raison de son incompatibilité avec le droit de l’Union et, d’autre part, sa situation en droit résultait de la faute commise par le Conseil d’État dans l’exercice de sa fonction juridictionnelle.

Sur la prescription

Il convient de rappeler que les faits litigieux remontent aux années 1994-1995.

Le Conseil d’État rejette le moyen en se fondant sur la jurisprudence européenne et sur les dispositions du Code civil.

La CJCE a dit pour droit (29 janvier 2009, Hauptzollamt Hamburg-Jonas/Josef Vosding Schlacht und Zerlegebetrieb GmbH & Co (278/07), Vion Trading GmbH (279/07), et Ze Fu Fleischhandel GmbH (280/07), aff. C-278/07 à C-280/07) que si le délai de prescription des actions en vue de protéger les intérêts financiers des Communautés était de quatre ans à compter de la réalisation des irrégularités en vertu du règlement communautaire du 18 décembre 1995 (art. 3 § 1), il était possible aux États membres d’appliquer une prescription plus longue résultant de dispositions nationales de droit commun antérieures à la date de l'adoption de ce règlement. Puis, la CJUE (5 mai 2011, Ze Fu Fleischhandel GmbH (201/10) et Vion Trading GmbH (202/10) contre Hauptzollamt Hamburg-Jonas, aff. C-201/10 et 202/10) a également dit pour droit que ce délai plus long devait être « suffisamment prévisible » et conforme au principe de proportionnalité faute de quoi doit s’appliquer le délai communautaire de quatre ans.

Par ailleurs, jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, l’art. 2262 du Code civil fixait une règle de prescription trentenaire devenue quinquennale après cette date.

La décision du garde des sceaux du 5 mars 2012 rejetant la demande de la société Lactalis n’était donc pas entaché d’irrégularité, la créance dont paiement était réclamée n’étant pas prescrite.

Sur la responsabilité de l’État du fait de l’exercice de la fonction juridictionnelle

Le Conseil d’État rappelle qu’en principe cette responsabilité, s’agissant de la justice administrative, ne peut être engagée qu’en cas de préjudice résultant d’une faute lourde commise dans l’exercice de la fonction juridictionnelle non du fait du contenu d’une décision de justice. Il n’existe qu’une exception à cette impossibilité dans le cas où, par son contenu, la décision litigieuse est entachée d’une violation manifeste du droit de l’Union européenne.

C’est un apport important de la présente décision que de tenter de définir ce qu’il convient d’entendre par cette expression, explicitée notamment par la jurisprudence de la CJUE (30 septembre 2003, Köbler, aff.  C-224/01 ; 28 juillet 2016, Tomáová, aff. C-168/15 ;  29 juillet 2019, Hochtief Solutions Magyarországi Fióktelepe, aff. C-620/17).

D’une part, au plan méthodologique, il convient de tenir compte de tous les éléments caractérisant la situation qui est soumise au juge national, notamment du degré de clarté et de précision de la règle de droit de l'Union en question, de l'étendue de la marge d'appréciation que cette règle laisse aux autorités nationales, du caractère intentionnel ou involontaire du manquement commis ou du préjudice causé, du caractère excusable ou inexcusable de l'éventuelle erreur de droit, de la position prise, le cas échéant, par une institution de l'Union européenne et ayant pu contribuer à l'adoption ou au maintien de mesures ou de pratiques nationales contraires au droit de l'Union ainsi que de la méconnaissance, par la juridiction en cause, de son obligation de renvoi préjudiciel au titre du troisième alinéa de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

D’autre part, il est constant qu’une violation du droit de l'Union est suffisamment caractérisée lorsque la décision juridictionnelle concernée est intervenue en méconnaissance manifeste d'une jurisprudence bien établie de la CJUE.

Appliquant cette méthodologie au cas de l’espèce qui lui était soumise le Conseil d’État, confirmant l’arrêt d’appel dont il était saisi par le pourvoi, conclut – au terme d’une très longue, très complète et convaincante analyse, à l’absence de violation manifeste du droit de l’Union.

Le pourvoi est rejeté.

(9 octobre 2020, Société Lactalis Ingrédients, anciennement société Lactalis Industrie, venant aux droits de la société Besnier Bridel Alimentaire, n° 414423)

 

133 - Marchés publics - Responsabilité quasi-délictuelle – Entente – Compétence juridictionnelle – Établissement des faits par la Commission européenne – Extension de la responsabilité aux entreprises ne participant à l’entente mais ayant conclu des contrats avec des sociétés entrant dans l’entente – Rejet sauf sur un point – Confirmation, pour l’essentiel, de l’arrêt d’appel.

Cette affaire-fleuve qui a donné lieu à plusieurs décisions de justice se présentait ici sous la forme d’une demande de SNCF Mobilités succédant à la SNCF que diverses entreprises soient condamnées solidairement à réparer les préjudices qu’elles lui ont causés du fait de pratiques anti-concurrentielles.

Cette demande est rejetée en première instance, le jugement est annulé par la juridiction d’appel qui ordonne une expertise en vue d’évaluer le préjudice subi.

Plusieurs points importants sont abordés.

En premier lieu, contestée par certaines requérantes, la compétence de la juridiction administrative pour connaître de ce litige était certaine du fait de la référence à un cahier des charges comportant des clauses justifiant dans l'intérêt général que ces marchés relèvent d'un régime exorbitant du droit public, en particulier en autorisant la SNCF à résilier unilatéralement ces marchés pour un motif d'intérêt général. La solution est acceptable malgré la circonstance que l’entente anti-concurrentielle se place chronologiquement avant la conclusion des contrats qui seront l’instrument de l’infraction.

En deuxième lieu, la question était très discutée, le Conseil d’État juge – et il doit en être approuvé – que la SNCF pouvait mettre en cause, par son action quasi-délictuelle non seulement les entreprises contractantes avec elles et directement parties à l’entente mais aussi celles impliquées dans ces pratiques qui ont affecté la validité de la procédure de passation du contrat ; c’est à bon droit qu’elle en a demandé la condamnation solidaire.

En troisième lieu, devait être déterminé le régime de prescription applicable dans cette affaire. En effet, si jusqu’à la loi du 17 juin 2008, l’art. 2270-1 du Code civil établissait une prescription décennale des actions en responsabilité quasi-délictuelle à compter du dommage, cette loi (cf. art. 2224 c. civ.) a réduit cette durée à cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu les faits permettant de l’exercer. Par ailleurs, il résulte du II de l’art. 26 de cette loi que les nouvelles dispositions s’appliquent aux prescriptions à compter du jour de l‘entrée en vigueur de la loi sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

Pour cela il convenait de déterminer le point de départ du délai de prescription c’est-à-dire le moment où la SNCF a eu connaissance certaine et complète de l’existence et de l’étendue des pratiques dont elle a été victime. Le Conseil d’État estime que cette date est celle de la publication de la décision de la Commission sanctionnant l’entente en cause soit le 28 avril 2004. Le Conseil d’État considère, d’une part, que le délai de prescription alors en vigueur était le délai décennal et, d’autre part, que le délai quinquennal qui a commencé à courir le 19 juin 2008, lendemain du jour de publication de la loi, n’était lui-même pas expiré lorsque la SNCF a saisi le tribunal administratif soit le 18 juin 2013. Par suite, à cette date, l’action indemnitaire n’était pas prescrite contrairement à ce que soutiennent les demandeurs à la cassation.

En quatrième lieu, il convenait encore de faire justice d’un argument soulevé en défense selon lequel devait être rapportée par la SNCF la preuve de l’existence, de la nature et de la consistance des manœuvres anti-concurrentielles. Le Conseil d’État estime que dès lors que la Commission a retenu ces faits au soutien de sa décision de sanctionner l’entente anti-concurrentielle et que cette décision n’a pas été annulée par l’une des juridictions européennes, le caractère dolosif des manœuvres en cause doit être considérée comme établi.

S’il peut sembler un peu « leste » pour un juge de faire siennes les appréciations d’une autorité administrative, il faut convenir que s’agissant de la Commission européenne, notamment en raison des garanties que présente son mode de fonctionnement, cette réappropriation par le juge de ses conclusions n’a rien de choquant.

(12 octobre 2020, Sociétés Mersen et Mersen France Amiens, n° 432981 ; Société SGL Carbon SE, n° 433423 ; Sociétés Schunk Kohlenstofftechnik GmbH, Schunk GmbH, Schunk Carbon Technology, venant aux droits de la société Schunk Electrographite, Schunk Hoffmann Carbon Technology AG, venant aux droits de la société Hoffmann et Co. Elektrokohle AG, n° 433477 ; Société Morgan Carbon France, n° 433563 ; Société Morgan Advanced Materials PLC, n° 433564)

 

134 - Naufrage d’une embarcation – Décès d’une personne peu après le sauvetage - Organisation des secours défectueuse – Appréciation du lien de causalité - Affirmation du caractère exclusif reconnu au lien dans la survenance du décès – Erreur de qualification des faits – Annulation avec renvoi.

Une embarcation circulant entre l’une des îles de l’archipel des Comores, Anjouan, et Mayotte ayant fait naufrage suite à une panne de moteur, l’État a organisé le sauvetage des victimes. L’une d’elles étant décédée peu après son arrivée à Mayotte, ses enfants ont recherché devant la juridiction administrative la responsabilité de l’État pour faute dans l’organisation des secours, le tribunal administratif estimant à 50% des conséquences dommageables le rôle joué par les différentes fautes ayant concouru au décès de la mère des demandeurs, tandis que la cour administrative d’appel a jugé que le dommage était exclusivement imputable à l’action fautive de l’État.

Le Conseil d’État casse cette décision pour qualification inexacte des faits dans la mesure où la cour a estimé que la cause déterminante du décès résultait d’une négligence fautive dans le traitement de la déshydratation de l’intéressée alors que dans son arrêt elle a elle-même relevé que la santé de la défunte était fragile et qu’elle avait cependant pris le risque d’une traversée dangereuse sur une embarcation de fortune. Elle n’a pas tiré de ces dernières constatations toutes les conséquences en découlant en estimant exclusif le lien de causalité entre le décès et les négligences fautives de l’État.

(23 octobre 2020, Ministre de l’intérieur, n° 429383)

 

Service public

 

135 - Association de la loi du 1er juillet 1901 – Création à l’initiative de personnes publiques – Exercice d’une mission de service public – Association non placée sous le contrôle de personnes publiques ni financée pour l’essentiel par elles et n’agissant pas au nom et pour le compte de celles-ci – Compétence du juge judiciaire pour connaître du litige né, dans le cadre de l’exécution d’un marché de travaux, de l’action engagée par une entreprise sous-traitante contre l’un des membres du groupement d’entreprises – Rejet.

La requérante avait saisi le juge administratif afin d’être réglée des sommes qu’elle estimait lui être dues par une société membre d’un groupement d’entreprises, du chef de l’exécution de sa part du marché de travaux en vue de la construction d’un équipement musical lancé par une association de la loi de 1901, l’association Philharmonie de Paris.

Le Conseil d’État, apercevant une difficulté sérieuse dans la détermination de l’ordre de juridiction compétent pour connaître de ce litige, avait renvoyé au Tribunal des Conflits le soin de le régler (décision de renvoi du 28 février 2020).

Celui-ci a estimé que si l'association Philharmonie de Paris, créée à l'initiative de l'Etat et de la ville de Paris pour assurer la maîtrise d'ouvrage de la construction d'un équipement culturel et son exploitation, a exercé une mission de service public, elle était une association régie par la loi du 1er juillet 1901 dont aucune de ces personnes publiques ne contrôlait, seule ou conjointement avec l'autre, l'organisation et le fonctionnement ni ne lui procurait l'essentiel de ses ressources, et que par ailleurs, elle n'a pas agi au nom et pour le compte de ces dernières mais en son nom et pour son propre compte. La compétence pour connaître de ce litige revient donc aux juridictions de l’ordre judiciaire.

Le Conseil d’État en tire les conséquences dans cette décision.

Reconnaissons qu’il ne fallait pas grand-chose pour décider l’inverse…

(7 octobre 2020, Société Huet Location, n° 430527)

 

136 - « Grand Paris » - Gestion technique du réseau de transport public du Grand Paris – Gestion confiée à la RATP – Mise à la charge du Syndicat des transports d'Île-de-France (STIF) du coût de cette gestion – Cas des dépenses engagées avant réception des travaux – Intervention d’une décision réglementaire sur les termes d’une convention – Légalité – Rejet.

Le syndicat requérant demandait l’annulation du second alinéa de l'art. 3 du décret du 8 février 2019 relatif à la gestion technique des lignes, ouvrages et installations du réseau de transport public du Grand Paris et des réseaux mentionnés à l'article 20-2 de la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris ainsi que la décision implicite de rejet du recours gracieux contre cette disposition.

Il contestait en particulier le fait que ce texte, qui a prévu que, pour l’accomplissement de ces missions, la RATP serait rémunérée par ce syndicat, impose au syndicat la rémunération, entre autres, des dépenses engagées par la RATP avant la réception des lignes.

Le Conseil d’État estime légal que soient pris en charge ceux des frais occasionnés à la RATP antérieurement à cette réception, tels qu’embauche et formation de personnel, achat de logiciels, travaux préalables, etc.

Pareillement, il juge régulier que, malgré l’existence d’une convention pluriannuelle entre la RATP et le Syndicat, destinée notamment à régler cette question, le pouvoir réglementaire soit intervenu pour préciser les conditions de rémunération de la RATP.

Ce faisant, le décret litigieux n’a opéré ni un transfert ni une extension de compétence qui eussent relevé de la compétence du législateur.

Le recours est rejeté.

(16 octobre 2020, Syndicat des transports d'Île-de-France (STIF) devenu Île-de-France Mobilités, n° 433414)

 

Sport

 

137 - Taxe d’habitation – Assiette – Locaux d’une association sportive – Cas de terrains de tennis couverts – Non assujettissement à la taxe – Prise de position formelle de l’administration – Erreur de droit et insuffisance de motivation – Cassation.

(15 octobre 2020, Association Ill Tennis Club de Strasbourg, n° 426383) V. n° 72

 

138 - Covid-19 - Football professionnel – Décisions de la Ligue de football professionnel – Maintien de la Ligue à vingt clubs – Décisions d’accession en Ligue 1 et de relégation en Ligue 2 – Rejets.

En raison de l’épidémie de Covid-19, le conseil d'administration de la Ligue de football professionnel a décidé de suspendre les compétitions organisées par la Ligue, avec effet immédiat. L’évolution prévisible de la situation a conduit celui-ci, le 30 avril 2020, à arrêter définitivement les championnats de Ligue 1 et de Ligue 2 pour la saison 2019/2020. S’agissant de la Ligue 1, toutes les rencontres de la 28ème journée n'ayant pas pu avoir lieu, le conseil d’administration a établi le classement définitif des équipes sur la base d'un indice de performance défini comme le quotient issu du rapport entre le nombre de points marqués et le nombre de matchs disputés. S’agissant de la Ligue 2, il a arrêté son classement définitif sur la base de celui existant à l'issue de la 28ème journée.
Après avoir enregistré, en conséquence, les classements de la Ligue 1 et de la Ligue 2 tels que déterminés ci-dessus, il a décidé, d’une part, d'attribuer le titre de champion de France de Ligue 1 au Paris-Saint-Germain et celui de champion de France de Ligue 2 au FC Lorient, d’autre part, de ne pas organiser, contrairement aux règles normalement prévues, de matchs de « play-offs » entre les clubs ayant terminé 3ème, 4ème et 5ème de Ligue 2, non plus que le match de barrage devant normalement opposer le vainqueur de ces « play-offs » au 18ème de Ligue 1 et, par suite, de prononcer l'accession en Ligue 1 des clubs classés en première et deuxième positions de Ligue 2 (FC Lorient et RC Lens) et la relégation en Ligue 2 des clubs classés en dix-neuvième et vingtième positions de Ligue 1 (Amiens SC et Toulouse FC). Enfin, il a renvoyé à l'assemblée générale de la Ligue de football professionnel la question du format du championnat de Ligue 2 pour la saison 2020/2021. 

Le juge du référé-liberté du Conseil d'Etat a suspendu l'exécution de la décision du 30 avril 2020 du conseil d'administration de la Ligue de football professionnel en ce qu'elle prononçait la relégation en Ligue 2 des deux clubs arrivés en dix-neuvième et vingtième positions du classement 2019-2020 de Ligue 1, également il a enjoint à la Ligue, en lien avec les instances compétentes de la Fédération française de football, de réexaminer la question du format de la Ligue 1 pour la saison 2020-2021 et d'en tirer les conséquences quant au principe des relégations. Les 19 et 23 juin 2020, le conseil d'administration de la Ligue de football professionnel puis l'assemblée générale de la Ligue ont maintenu le choix d’une Ligue 1 à 20 clubs pour la saison 2020-2021, ce qu’a confirmé, le 26 juin, la nouvelle convention liant la Fédération française de football à la Ligue pour les quatre prochaines saisons.

Le même jour, sur le fondement de cette nouvelle convention, le conseil d'administration de la Ligue a :

1° abrogé sa décision du 30 avril 2020 en tant qu'elle portait sur les relégations en Ligue 2 pour la saison 2020/2021,

2° confirmé sa décision du 30 avril 2020 en ce qu'elle a prononcé l'accession en Ligue 1 pour la saison 2020 2021 des clubs classés premier et deuxième du classement de Ligue 2 (FC Lorient et RC Lens),

3° de reléguer en Ligue 2 pour la saison 2020-2021 les deux clubs classés 19ème et 20ème du classement de Ligue 1 (Amiens SC et Toulouse FC). 

Le juge considère que la SA L'Olympique Lyonnais Groupe et la SASU L'Olympique Lyonnais, sous les n°s 440810 et 44129,  doivent être regardées comme demandant l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision en tant qu'elle concerne la Ligue 1.

Les conclusions de la SASP Amiens Sporting Club, sous les n°s 440825 et 441295, sont dirigées contre cette même décision, plus particulièrement contre les dispositions relatives aux relégations en Ligue 2.

La société Espérance Sportive Troyes Aube Champagne et la SASP Clermont Foot 63, sous le n°441161, ainsi que la société Athletic Club Ajaccien Football, sous le n° 441315, contestent cette décision en tant qu'elle supprime les matchs de « play-offs » devant opposer les clubs ayant terminé 3ème, 4ème et 5ème de Ligue 2 ainsi que le match de barrage devant opposer le vainqueur de ces « play-offs » au 18ème de Ligue 1.

On relèvera que le juge admet l’intervention aux côtés du club d’Amiens SC de la communauté d'agglomération Amiens Métropole car elle justifie, dans les circonstances de l'espèce, d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien des requêtes de ce club.

Tous les recours sont rejetés.

Les moyens de forme et de fond invoqués contre la décision du conseil d'administration de la Ligue de football professionnel du 30 avril 2020 de mettre un terme définitif aux championnats de Ligue 1 et de Ligue 2 n’ont pas convaincu le juge : cette décision appartenait bien à cet organe non à l’assemblée générale de la Ligue et elle n’avait pas à être précédée d’une proposition de la commission de révision des règlements. Pas davantage il ne saurait être excipé contre cette décision de ce que participent à ce conseil d’administration des dirigeants de clubs dont la situation est susceptible d'être affectée par les décisions prises car cette présence est inhérente à la nature même de cette instance, telle qu'organisée par les dispositions règlementaires précitées qui ne sont pas contestées par les organismes requérants. Enfin, en soi, la décision prise n’est entachée ni d’incompétence ni d’erreur de droit ni d’erreur de fait et, au surplus, ne sauraient être invoquées à son encontre ni la réglementation des fédérations sportives internationales ni la méconnaissance des principes fixés par l'UEFA en raison de l’absence d’effet juridique dans l’ordre interne français de cette réglementation et de ces principes.

Les moyens soulevés à l’encontre de la décision du conseil d'administration de la Ligue du 30 avril 2020 de procéder à un classement du championnat de Ligue 1 en se fondant sur un quotient sont rejetés tant en ce qui concerne le choix d'arrêter un classement se fondant sur les rencontres déjà disputées – celui-ci ne remettant pas en cause les résultats antérieurement acquis et ne comportant pas une erreur manifeste d’appréciation - que celui de fixer les modalités de classement du championnat de Ligue 1 même si d’autres solutions eussent été possibles.

Pour ce qui regarde la décision de reléguer en Ligue 2 les clubs classés en dix-neuvième et vingtième positions de la Ligue 1 qui avait été suspendue par l’ordonnance du juge des référés du Conseil d’État du 9 juin 2020 (voir cette Chronique, juin 2020, n° 163), le recours est devenu sans objet du fait que la décision de la Ligue qui, tirant les conséquences de la nouvelle convention liant la Fédération française de football à la Ligue pour les quatre prochaines saisons, l’a formellement abrogée et remplacée par celle du 26 juin 2020.

Le juge rejette semblablement les arguments dirigés contre la renonciation aux matches de « play-off » ainsi qu’au match de barrage entre les Ligue 1 et 2, ces renonciations  ne sont pas entachées d’incompétence, ne repose pas, au vu des éléments figurant au dossier, sur une erreur manifeste d’appréciation dès lors qu’il avait été décidé que l’année 2019-2020 ne serait pas une « saison blanche » ;  au reste, et surtout, aucune équipe ne peut prétendre, au terme de la 28e journée de championnat, être assurée d’accéder à la division supérieure.

Enfin, le juge aborde, pour les rejeter, les recours formés contre les décisions qui, d’une part, maintiennent un format de vingt clubs, et, d’autre part, prononcent les accessions en Ligue 1 ainsi que les relégations en Ligue 2.

Sur le premier point, il est relevé que, dans le climat d’incertitude caractérisant cette période, le maintien d’un tel format décidé après l’ordonnance précitée du juge administratif, en exécution de celle-ci et selon le calendrier qu’il avait fixé n’est ni contraire au principe d’égalité ni entachée d’erreur manifeste d’appréciation.

Sur le second point, c’est pour les mêmes motifs de droit et de fait que la décision est jugée n’être pas irrégulière.

(23 octobre 2020, SA L'Olympique Lyonnais Groupe et SASU L'Olympique Lyonnais, n° 440810 et n° 441291 ; SASP Amiens Sporting Club (Amiens SC), n° 440825, n° 441295, n° 441560 et n° 441586 ; Société Espérance Sportive Troyes Aube Champagne (ESTAC) et société anonyme sportive professionnelle (SASP) Clermont Foot 63, n° 441161 ; Société Athletic Club ajaccien (ACA), n° 441315)

 

139 – Covid-19 – Rugby – Refus d’organiser la discussion de la convention liant la requérante à la Fédération française de rugby – Décision de « World Rugby » - Extension de la période de mise à disposition des joueurs au profit de leur équipe nationale – Modification du calendrier de l'équipe de France – Rejet.

En raison de l'épidémie de Covid-19, « World Rugby », qui est de fait une fédération internationale, a décidé dans son règlement interne d'augmenter la durée durant laquelle les joueurs professionnels de chaque pays sont tenus d'être mis à disposition de leur équipe nationale par les clubs qui les emploient.

La Fédération nationale de rugby, en accord avec d’autres fédérations nationales homologues de certains pays, a décidé de faire jouer à l'automne 2020 six matches à l'équipe de France, contre trois normalement prévus, du fait de l'allongement de la période de mise à disposition prévu par « World Rugby ». Les discussions engagées avec la Ligue nationale de rugby, en vue de modifier l'annexe I de la convention qui la lie à la Fédération et qui fixe les conditions de mise à disposition des joueurs de l'équipe de France, n'ayant pas abouti, la Ligue a demandé l’annulation de trois décisions qu'elle estime avoir été prises par la Fédération et contenues ou révélées par différents courriers et actes : le refus de négocier l’évolution de cette annexe, la décision unilatérale d'allonger la période de mise à disposition prévue par « World Rugby » et l'organisation de six matches d'équipe de France.

La Ligue forme, parallèlement, en référé (art. L. 521-1 CJA), une demande de suspension de ces trois décisions.

Le juge des référés devait trancher préalablement à son examen du fond de la requête en référé, deux importantes questions.

En premier lieu, en dépit de sa dénomination et en raison du cadre juridique dans lequel elle s’insère, cette « convention » ne doit pas être regardée comme de nature purement contractuelle mais présente un caractère réglementaire. Le Conseil d’État est donc compétent pour connaître en premier et dernier ressort du litige né de décisions prises par l’une ou l’autre des parties alors que la modification envisagée requiert leur commun accord.

En second lieu, contrairement à ce que soutenait la Fédération, est constatée l’absence d’effet direct dans l’ordre public interne de l’État des décisions arrêtées par « World Rugby ». Les seules dispositions qui s’imposent avec force juridique sont la convention et son annexe 1 ; c’est donc elles qui régissent les questions qui sont à la base du différend opposant la Ligue à la Fédération. Or il est constant que tant que cette convention n’est pas modifiée d’un commun accord, ne s’applique pas la réglementation interne de « World Rugby » sauf à modifier les actes en cause.

Abordant le fond, le juge considère que contrairement à ce que soutient la Ligue, la Fédération n’a pas refusé de négocier la convention et son annexe : ce sont les deux parties qui ont été dans l’incapacité de s’entendre en vue de cet objectif.

Pas davantage ne saurait être reproché à la Fédération d’avoir pris la « décision » d’allonger la durée de la période de mise à disposition des joueurs car il faudrait pour cela une modification de la convention, laquelle n’a pas eu lieu comme indiqué ci-dessus.

Il en va pareillement de l’affirmation de la Ligue requérante que la Fédération aurait procédé à une modification unilatérale des dispositions de l'annexe 1 de la convention en décidant des dates auxquelles l'équipe de France disputerait des matchs à l'automne 2020 alors qu’en réalité la prise en compte des dates de matches déterminant les conditions de mise à disposition des sportifs ne peut résulter que de l'annexe pertinent de la « convention » et non du calendrier d'engagement de l'équipe de France dans des compétitions internationales, ce dernier étant  insusceptible, par lui-même, de produire les effets que la Ligue ou la Fédération croient pouvoir y attacher et ne constitue donc nullement la décision que la Ligue entend attaquer.

Aucune des décisions dont la suspension d’exécution est demandée n’existant ou n’ayant la portée qui lui est prêtée, cette demande est irrecevable ; elle est rejetée.

On observera d’abord le numéro d’équilibrisme juridique réalisé par l’auteur de l’ordonnance qui tout en apercevant dans la prétendue convention un acte réglementaire – donc, on suppose, unilatéral – y voit un acte conjoint entre ses co-auteurs. Mais si l’on comprend bien que la Fédération dispose du pouvoir réglementaire, on est plus réticent pour apercevoir dans la Ligue le co-auteur d’actes réglementaires…

On relèvera ensuite qu’en réalité le juge, en pratique, donne raison à la Ligue puisque, pour rejeter sa demande, il réduit à néant la position de la Fédération qui se retrouve dépourvue, faute d’accord, de toute possibilité de mener à bien les innovations introduites par « World Rugby ».

(ord. réf. 9 octobre 2020, Ligue nationale de rugby, n° 444798)

 

140 - Référé liberté (art. L. 521-2 CJA) – Non renouvellement d’une convention d’occupation domaniale – Club sportif invoquant l’urgence à pouvoir accéder aux lieux en cause et l’atteinte manifestement illégale à une liberté – Urgence non satisfaite – Rejet.

L’association requérante avait conclu des contrats d’occupation domaniale avec la commune d’Alfortville lui permettant d’utiliser jusqu’au 30 juin 2020 les installations sportives du Parc des sports Val de Seine. La gestion de ce complexe ayant été transférée à l'établissement public territorial Grand Paris Sud Est Avenir (GPSEA), celui-ci a informé l'association qu'aucune nouvelle convention d'occupation domaniale ne pourrait être signée tant qu'un contrat d'objectifs n'aurait pas été conclu entre l'association et la commune d'Alfortville. Ce contrat d’objectifs n’a pas été signé du fait de pièces non fournies par l’association et des interrogations de la commune sur la situation financière de cette dernière.

Le 14 août 2020, l’association était informée par le président du GPSEA qu’aucun rassemblement, match, ou entraînement ne pouvait désormais se tenir sur le site du Parc des Sports et le 4 septembre, le maire a invité le président de l’association à se présenter le 8 septembre pour récupérer le matériel de l’association se trouvant encore sur les lieux.

Cette dernière a saisi, en vain, le juge du référé liberté d’une demande de suspension des deux décisions, du 14 août et du 4 septembre 2020, ainsi que d’une demande d’injonction à la commune de lui permettre d’accéder aux installations sportives et à son siège social, situé au Parc des Sports.

En appel, le Conseil d’État confirme en tout point l’ordonnance attaquée.

Il estime que n’est pas convaincante l’argumentation de l’association appelante selon laquelle l'urgence qui s'attacherait aux mesures qu'elle sollicite tiendrait à ce que les décisions contestées ont un impact très important sur son équilibre financier et sur ses résultats sportifs, sont de nature à mettre en péril sa survie à terme et la pérennité de son rôle social, et provoquent le départ de nombreux licenciés et éducateurs, enfin qu’elles privent l'équipe de la possibilité de disputer des matchs « à domicile » et risquent d'entraîner sa relégation en division inférieure. Ces éléments ne paraissent pas de nature à caractériser une situation d'urgence à très bref délai soit dans les quarante-huit heures, la requérante ayant fait choix de former un référé liberté et non un référé suspension pour lequel le « bref délai » s’impose moins, encore eût-il fallu démontrer l’illégalité des décisions ou au moins de l’une d’entre elles.

(ord. réf. 29 octobre 2020, Union sportive d'Alfortville football (USAF), n° 445569)

 

Urbanisme

 

141 - Document local d’urbanisme – Annulation ou déclaration d’illégalité – Notion d’illégalité « reposant sur un motif étranger aux règles d’urbanisme applicables au projet » - Sens et portée de l’art. L. 600-12-1 du code de l’urbanisme – Divisibilité ou non des dispositions d’un document d’urbanisme - Avis de droit.

Le Conseil d’État était saisi, sur le fondement des dispositions de l’art. L. 113-1 CJA, d’une demande d’avis de droit sur le sens et la portée des art. L. 600-12 et L. 600-12-1 c. urb.

Selon ces textes, d’une part « l'annulation ou la déclaration d'illégalité d'un schéma de cohérence territoriale, d'un plan local d'urbanisme, d'un document d'urbanisme en tenant lieu ou d'une carte communale a pour effet de remettre en vigueur le schéma de cohérence territoriale, le plan local d'urbanisme, le document d'urbanisme en tenant lieu ou la carte communale immédiatement antérieur » (art. L. 600-12), et, d’autre part, lorsque cette annulation ou déclaration d’illégalité repose sur un motif étranger aux règles d'urbanisme applicables au projet, l’annulation qu’elle entraîne est sans incidence sur les décisions relatives à l'utilisation du sol ou à l'occupation des sols régies par le code de l’urbanisme qui ont été délivrées antérieurement au prononcé de l’annulation ou de la déclaration d’illégalité.

Répondant aux questions posées, le Conseil d’État apporte les importantes précisions suivantes.

En premier lieu, il incombe au juge saisi d’un moyen tiré de l’illégalité du document local d'urbanisme à l'appui d'un recours contre une autorisation d'urbanisme, de vérifier d'abord si l'un au moins des motifs d'illégalité du document local d'urbanisme est en rapport direct avec les règles applicables à l'autorisation d'urbanisme en litige.

A cet égard le Conseil d’État fixe une ligne de partage assez claire : En principe, un vice de légalité externe est étranger à ces règles, sauf s'il a été de nature à exercer une influence directe sur des règles d'urbanisme applicables au projet ; un vice de légalité interne n’est pas, normalement, étranger à ces règles, sauf s'il concerne des règles qui ne sont pas applicables au projet,

En deuxième lieu, lorsque le document local d'urbanisme sous l'empire duquel a été délivrée l'autorisation contestée est annulé ou déclaré illégal pour un ou plusieurs motifs non étrangers aux règles applicables au projet en cause, la détermination du document d'urbanisme au regard duquel doit être appréciée la légalité de cette autorisation obéit aux règles suivantes :

- quand ce(s) motif(s) affecte(nt) la légalité de la totalité du document d'urbanisme, la légalité de l'autorisation contestée doit être appréciée au regard de l'ensemble du document immédiatement antérieur ainsi remis en vigueur ;

- quand ce(s) motif(s) affecte(nt) seulement une partie divisible du territoire que couvre le document local d'urbanisme, ce sont les dispositions du document immédiatement antérieur relatives à cette zone géographique qui sont remises en vigueur;
- quand ce(s) motif(s) n'affecte(nt) que certaines règles divisibles du document d'urbanisme, la légalité de l'autorisation contestée n'est appréciée au regard du document immédiatement antérieur que pour les seules règles équivalentes nécessaires pour assurer le caractère complet et cohérent du document. 

Concernant ces deux dernières hypothèses où est en jeu la notion de divisibilité, le juge précise que, notamment dans le cas d'un plan local d'urbanisme, une disposition du règlement ou une partie du document graphique qui lui est associé ne peut être regardée comme étant divisible que si le reste du plan forme avec les éléments du document d'urbanisme immédiatement antérieur le cas échéant remis en vigueur, un ensemble complet et cohérent. 

En troisième lieu, lorsqu'un motif d'illégalité non étranger aux règles d'urbanisme applicables au projet est susceptible de conduire à remettre en vigueur tout ou partie du document local d'urbanisme immédiatement antérieur, le moyen tiré de l'exception d'illégalité du document local d'urbanisme à l'appui d'un recours en annulation d'une autorisation d'urbanisme ne peut être utilement soulevé que si le requérant soutient également que cette autorisation méconnaît les dispositions pertinentes ainsi remises en vigueur.

(Section, 2 octobre 2020, Société civile immobilière (SCI) du Petit Bois, n° 436934)

 

142 - Permis de construire – Permis remplacé en cours d’instance par un autre – Point de départ du délai de recours contentieux contre le nouveau permis –Dans le silence de prescriptions particulières dans un document d’urbanisme, notion d’« emprise au sol » – Rejet.

Cette décision est intéressante principalement sur deux points.

En premier lieu, elle rappelle une règle de procédure applicable au recours pour excès de pouvoir en toute matière et pas seulement dans le droit de l’urbanisme, selon laquelle lorsque le juge de l'excès de pouvoir est saisi par un tiers d'une décision d'autorisation qui est, en cours d'instance, soit remplacée par une décision de portée identique, soit modifiée dans des conditions qui n'en altèrent pas l'économie générale, le délai ouvert au requérant pour contester le nouvel acte ne commence à courir qu'à compter de la notification qui lui est faite de cet acte.

En second lieu, le Conseil d’État résout une question technique, celle du silence du plan local d’urbanisme sur la notion d’« emprise au sol » auquel il fait pourtant référence. Il considère que « celle-ci s’entend, en principe, comme la projection en volume de la construction, tous débords inclus ». Au cas d’espèce, le bassin de rétention des eaux pluviales étant enterré il ne constituait donc pas une emprise au sol.

(16 octobre 2020, M. et Mme C., n° 424775)

 

143 - Vice affectant certaines autorisations d’urbanisme – Régularisation – Conditions – Effets – Régularisation affectant l’économie générale du projet – Possibilité conditionnée – Avis de droit.

Le Conseil d’État était saisi, sur le fondement des dispositions de l’art. L. 113-1 CJA, d’une demande d’avis de droit sur certaines incidences de la procédure de régularisation d’autorisations d’urbanisme entachées d’irrégularité (art. L. 600-5-1 c. urb.).

Il lui était demandé, d’une part, si la procédure de régularisation, régie par l’art. L. 600-5-1 c. urb, peut être mise en oeuvre lorsque la régularisation d'un ou des vices entraînant l'illégalité de l'autorisation d'urbanisme a pour conséquence de porter atteinte à la conception générale du projet, alors que cette hypothèse est exclue dans le cadre d’une régularisation effectuée par l’octroi d’un permis modificatif  et, d’autre part, en cas de réponse affirmative à la question précédente, s’il existe un autre critère relatif aux modifications pouvant être apportées au projet concerné dont le non-respect ferait obstacle à la délivrance d'un permis de régularisation dans le cadre de la procédure prévue par l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme.

S’appuyant sur les travaux préparatoires de la loi du 23 novembre 2018 (portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique), le Conseil d’État livre une interprétation très latitudinaire, bien dans l’air du temps, de la disposition en cause.

Il estime qu’un vice entachant le bien-fondé de l'autorisation d'urbanisme est susceptible d'être régularisé, même si cette régularisation implique de revoir l'économie générale du projet en cause, dès lors que les règles d'urbanisme en vigueur à la date à laquelle le juge statue permettent une mesure de régularisation qui n'implique pas d'apporter à ce projet un bouleversement tel qu'il en changerait la nature même.

Naturellement, le juge n'est pas tenu de surseoir à statuer soit si les conditions de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme sont réunies et qu'il fait le choix d'y recourir, soit si le titulaire de l'autorisation lui a indiqué qu'il ne souhaitait pas bénéficier d'une mesure de régularisation.

(Section, 2 octobre 2020, M. X., n° 438318)

 

144 - Déclaration préalable à la création d’un lotissement comportant deux lots – Opposition du préfet – Invocation du document d’orientation et d’objectifs du schéma de cohérence territoriale (SCoT)– Cas des communes non dotées d’un plan d’urbanisme ou d’un document en tenant lieu – Légalité – Cassation avec renvoi.

Le pourvoi était dirigé contre un arrêt de cour d’appel qui avait annulé l’opposition du préfet à une déclaration préalable à la création d’un lotissement composé de deux lots car une telle opération, eu égard à la surface de plancher en cause, n’était pas au nombre de celles qui, énumérées aux articles L. 142-1 et R. 142-1 du code de l’urbanisme, doivent être compatibles avec le document d'orientation et d'objectifs du schéma de cohérence territoriale (SCoT).

Le Conseil d’État censure ce raisonnement en se fondant sur le second alinéa de l’art. L. 141-18 du même code selon lequel :

« Le document d'orientation et d'objectifs peut préciser les objectifs de qualité paysagère.

Il peut, par secteur, définir des normes de qualité urbaine, architecturale et paysagère applicables en l'absence de plan local d'urbanisme ou de document d'urbanisme en tenant lieu ». 

Peu assuré de la solidité juridique de cette affirmation, le juge tente, pour la renforcer, de s’appuyer sur les travaux parlementaires préalables à l'adoption de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, dont est issue la disposition précitée.

Par suite de cet examen le juge considère que le préfet pouvait légalement - dans les communes relevant du périmètre du SCoT mais non dotées d'un plan local d'urbanisme ou d'un document en tenant lieu - s’opposer à une demande de lotissement car ces normes de qualité urbaine, architecturale et paysagère sont directement opposables aux tiers, bien que ne figurant pas dans l'énumération de l'article L. 142-1.

On peut être quelque peu dubitatif à l’égard de la construction juridique retenue.

(16 octobre 2020, Ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, n° 433792)

 

145 - Aménagement commercial – Permis de construire – Avis de la Commission nationale d'aménagement commercial – Nature d’acte préparatoire – Irrecevabilité d’un recours contentieux dirigé contre cet avis – Rejet.

Une nouvelle fois il est démontré que les mesures simplificatrices génèrent souvent un contentieux supplémentaire…

Le juge rappelle à nouveau que l'avis de la Commission nationale d'aménagement commercial concernant un permis de construire une exploitation commerciale, ayant désormais, depuis la loi du 18 juin 2014 (art. 39), le caractère d'un acte préparatoire à la décision prise par l'autorité administrative sur la demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale, seule cette dernière décision est susceptible de recours contentieux et cela quel que soit le sens de l'avis de la Commission nationale d'aménagement commercial. Les recours contentieux dirigés contre les avis de cette dernière sont irrecevables, comme le sont également ceux formés contre les avis des commissions départementales d'aménagement commercial.

(7 octobre 2020, Société Chalondis, n° 420483)

(146) V. aussi, avec même requérante, mais sur d’autres aspects d’aménagement commercial : 7 octobre 2020, Société Chalondis, n° 420493.

 

147 - Participation pour non-réalisation d’aires de stationnement – Contestation de la mise en demeure de payer la participation – Rejet - Permis modificatif comportant prévision de ces aires – Demande de dégrèvement de la participation – Délai de prescription – Interprétation stricte de l’art. L. 1617-5 CGI - Fait générateur de la participation – Rejet.

A la suite de l’obtention d’un premier permis de construire la société requérante avait été mise en demeure de payer la participation pour non-réalisation d'aires de stationnement, mise en demeure contestée en vain en première instance comme en appel. Puis, suite au dépôt, en 2011, d’un premier permis de construire modificatif comportant un certain nombre de places de stationnement, toutefois en nombre insuffisant, la société devait s’acquitter d’un montant de participation pour non-réalisation d’une partie des aires de stationnement imposées par la réglementation, d’un montant inférieur à celui fixé lors de l’octroi du permis initial. Le conseil municipal ayant modifié par la suite le PLU et réduit le nombre de places de stationnement exigible, un second permis modificatif a été délivré, en 2013, comportant un nombre de places de stationnement désormais conforme au plan ; aucune participation n’était due à ce titre.

La société a demandé au maire de la commune de lui confirmer qu'elle n'était plus redevable de la participation pour non-réalisation d'aires de stationnement. Elle a attaqué, en vain en première instance et en appel, le refus du maire de délivrer cette confirmation.

Le Conseil d’État analyse tout d’abord la demande adressée au maire de la commune et refusée par lui comme constituant « non comme une demande contestant le bien-fondé de la participation financière qui lui avait été réclamée sur la base du permis de construire initial délivré le 11 juillet 2011, mais comme une demande de dégrèvement de cette participation fondée sur des éléments nouveaux. » Par suite, contrairement à ce qu’ont jugé les juges du fond, la demande de la société n’était pas atteinte par la prescription instituée au 2° de l'article L. 1617-5 du CGCT qui ne concerne que les recours des débiteurs d’une créance – d’une collectivité territoriale ou d’un établissement public local - contestant le bien-fondé de cette dernière. C’est donc à tort qu’a été opposée à cette demande une irrecevabilité.

Le Conseil d’État relève ensuite que c’est à tort que la cour administrative d’appel a opposé à la requérante l’autorité relative de la chose jugée par son arrêt précédent (2017) rejetant la contestation du jugement du tribunal administratif statuant sur l’opposition à mise en demeure car cet arrêt reposait sur une erreur de droit en ce qu’il opposait à la société l’irrecevabilité de son recours pour cause de prescription, prescription qui, on l’a vu, ne jouait pas au cas de l’espèce.

Toutefois, l’arrêt n’est pas cassé au final car, d’une part, la société requérante ne pouvait pas fonder sa demande de dégrèvement des sommes mises à sa charge par le permis de construire délivré en 2011 sur des faits nouveaux apparus en 2013 et, d’autre part, le second permis modificatif ne se substituant pas au permis initial, la requérante ne pouvait solliciter le dégrèvement de la participation mise à sa charge par ce permis au motif que le permis de construire modificatif délivré le 29 octobre 2013 comportait le nombre de places de stationnement exigé par les nouvelles prescriptions du plan local d'urbanisme.

Ceci illustre à la fois le degré de complexité que peut parfois atteindre le contentieux de l’urbanisme et la part d’iniquité que peut recéler la combinaison de certaines de ses dispositions.

(7 octobre 2020, Société civile immobilière Berrier-Carnot, n° 426477)

 

148 - Demande d’un permis de construire plusieurs logements – Terrain d’assiette du permis non couvert par une carte communale, un plan local d'urbanisme ou un document d'urbanisme en tenant lieu – Obligation de recueillir l’avis préalable conforme du préfet – Annulation de la décision de refus du permis conformément à l’avis négatif du préfet – Préfet défendeur à l’instance – Préfet ayant qualité pour interjeter appel – Rejet.

Lorsque le terrain où est situé un projet d‘édification d’immeuble pour lequel un permis de construire est sollicité n’est couvert ni par une carte communale, ni par un plan local d'urbanisme ou un document d'urbanisme en tenant lieu, l’autorité communale ou intercommunale compétente doit recueillir l’avis conforme du préfet avant de prendre sa décision. En l’espèce, l’avis préfectoral ayant été négatif, le permis a été refusé.

Les requérants, qui avaient obtenu en première instance l’annulation du rejet de leur demande de permis, invoquaient en appel notamment l’absence de qualité du préfet pour interjeter appel du jugement les ayant déboutés.

Confirmant la solution retenue en appel, le juge de cassation estime qu’en première instance le préfet avait la qualité de défendeur à l’action introduite par les requérants dès lors que son pouvoir d’opposition à permis (ou à déclaration préalable) est destiné à lui permettre de protéger ou de défendre les intérêts publics que le législateur lui a confiés en sa qualité de représentant de l’État dans le département.  Partant, défendeur en première instance, il tenait automatiquement de là la qualité pour interjeter appel du jugement ou pour défendre en appel.

Les requérants sont déboutés.

(16 octobre 2020, M. et Mme C., n° 427620)

 

149 - Permis de construire – Mentions incomplètes ou erronées sur l’affichage du permis sur le terrain – Conséquences – Appréciation au regard de la finalité de l’affichage – Application souple – Rejet.

Le juge aborde à nouveau une question récurrente et agaçante, celle des effets attachés à l’incomplétude ou à l’erreur entachant certaines mentions figurant sur le panneau d’affichage du permis de construire installé sur le terrain d’assiette du permis.

Si, normalement, en droit strict, toute mention erronée doit conduire à l’absence de déclenchement du délai de recours contre le permis (par voie de conséquence des art. R. 424-15, R. 600-2 et A 424-16  c. urb.), la jurisprudence s’est montrée bien plus souple. Pour ce faire, elle a donné (reconstruit ?) une finalité aux informations dont il est exigé qu’elles figurent sur l’affichage du permis : ces informations ont notamment pour objet de mettre les tiers à même de consulter le dossier du permis. Il suit de là qu’une erreur ou omission sur l’affichage du permis ne peut faire obstacle au déclenchement du délai de recours contentieux que si elle est de nature à affecter la capacité des tiers à identifier, à la seule lecture du panneau d'affichage, le permis et l'administration à laquelle il convient de s'adresser pour consulter le dossier.

Le jugement, au cas de l’espèce, est annulé car pour dire que l’affichage n’était pas régulier, les juges du fond avaient retenu que n’y figurait pas l’adresse de la mairie où pouvait être consulté le dossier du permis, alors que mentionnant que le permis était délivré par la mairie d’Ajaccio, il permettait sans difficulté aux intéressés de déterminer où il convenait de s’adresser pour accéder à ce dossier.

Ou « Quand le bon sens triomphe »…

(16 octobre 2020, M. et Mme B., n° 429357)

 

150 - Permis de construire – Référé suspension contre la décision accordant le permis – Présomption d’urgence (art. L. 600-3 c. urb.) – Rejet pour défaut d’urgence – Erreur de droit – Cassation.

Commet une erreur de droit le juge qui, saisi d’un référé suspension contre une décision accordant un permis de construire, le rejette pour défaut d’urgence alors qu’il résulte de l’art. L. 600-3 du code de l’urbanisme qu’en ce cas la condition d’urgence est présumée satisfaite. Il n’en irait autrement que si des circonstances particulières à l’espèce conduisaient à écarter ladite présomption. Cette dernière n’est donc pas irréfragable.

(20 octobre 2020, M. K., n° 430724)

(151) V. aussi, sur cette affaire, du même jour : 20 octobre 2020, M. J. et autres, n° 430729 et n° 431183.

 

152 - Permis de construire – Recours gracieux d’un tiers contre ce permis – Silence constituant une décision implicite rejet – Notification postérieure d’une décision explicite de rejet – Effets sur le cours du délai – Annulation avec renvoi au tribunal administratif.

Rappel d’une solution constante en cas de silence gardé pendant plus de deux mois par l’autorité administrative sur le recours administratif d’un tiers dirigé contre une décision octroyant un permis de construire.

Tout d’abord ce silence vaut rejet implicite du recours administratif et ouvre immédiatement le délai de recours contentieux. Si une décision explicite de rejet intervient deux cas se présentent :  soit cette décision est notifiée à l'auteur du recours administratif avant une décision implicite de rejet, en ce cas le nouveau délai pour se pourvoir court à compter de cette notification, soit elle est notifiée  après la constitution d'une décision implicite de rejet mais avant l'expiration du délai de recours contentieux qui a commencé à courir à compter de cette décision tacite, cette décision explicite fait à nouveau courir le délai de recours. 

En l’espèce un recours administratif a été formé le 27 juillet contre un permis de construire du 20 juin, le silence du maire a fait naître une décision implicite de rejet le 27 septembre. La notification, le 3 octobre, donc avant l’expiration du délai de recours contentieux contre le rejet tacite du permis de construire, d’une décision explicite de rejet du recours administratif, a eu pour effet de proroger le délai du recours contentieux. C’est donc à tort que le tribunal administratif a opposé la prescription et rejeté le recours pour tardiveté.

(20 octobre 2020, M. A. et autres, n° 430747)

 

153 - Permis de construire – Qualité pour présenter une demande de permis (art. R. 423-1 et R. 431-4 à R. 431-33-1 c. urb.) – Présomption - Qualité du pétitionnaire d’un permis assis sur un terrain soumis au régime cde la copropriété – Distinction entre fraude au permis et permis demandé sans qualité ad hoc – Annulation.

Commet une erreur de droit le tribunal qui juge frauduleuse la demande du permis de construire sur un terrain en copropriété formée par le requérant qui atteste de sa qualité pour déposer sa demande de permis de construire alors qu'il ne pouvait ignorer que les travaux, objet de la demande, nécessitaient l'accord préalable de l'assemblée générale des copropriétaires, ni davantage ignorer qu'à la date du dépôt de sa demande de permis de construire, il s'était vu refuser l'assentiment de l'assemblée générale des copropriétaires lors des deux réunions qui s'étaient tenues à cet effet. Or le défaut d'autorisation des travaux par l'assemblée générale d’une copropriété n'est pas susceptible de caractériser une fraude visant à tromper l'administration sur la qualité invoquée à l'appui de la demande de permis car le refus d'autorisation opposé par l'assemblée générale des copropriétaires aux travaux envisagés est sans incidence sur la qualité du copropriétaire à déposer une demande d'autorisation d'urbanisme. Au reste, ce n’est qu’en cas de fraude relevée par elle que l’administration a l’obligation de refuser le permis de construire sollicité (V., par ex., 23 mars 2015, M. et Mme X. c/ commune d’Aspremont, n° 348261).

En effet, le pétitionnaire qui fournit l'attestation selon laquelle il remplit les conditions fixées par l'article R. 423-1 du code de l’urbanisme doit être regardé comme ayant qualité pour présenter sa demande. Il suit de là que lorsque la demande d'autorisation d'urbanisme concerne un terrain soumis au régime juridique de la copropriété, elle peut être régulièrement présentée par son propriétaire, son mandataire ou par une ou plusieurs personnes attestant être autorisées par lui à exécuter les travaux, alors même que la réalisation de ces travaux serait subordonnée à l'autorisation de l'assemblée générale de la copropriété, une contestation sur ce point ne pouvant être portée, le cas échéant, que devant le juge judiciaire. Partant, elle ne peut être utilement invoquée pour contester l'autorisation administrative délivrée.

(23 octobre 2020, Ville de Paris, n° 425457 et, M. A., n° 425486)

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Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Septembre 2020

Septembre 2020

 

 Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Décision du président de la république - Décision de rapatriement "au cas par cas" d'enfants français se trouvant en Syrie - Incompétence du juge administratif pour connaître des recours dirigés contre des décisions non détachables des relations internationales - QPC - Irrecevabilité - Rejet de la QPC et non admission du pourvoi pour le surplus.

(9 septembre 2020, Mmes X. et Y., n° 439520) V. n° 65

 

2 - Circulaire - Circulaire contenant des dispositions impératives ou des lignes directrices - Interprétation inexacte par le juge du fond tombant sous le contrôle du juge de cassation - Annulation.

Dans une affaire relative au contentieux né du refus du CNRS de maintenir un agent en activité au-delà de la limite d'âge, l'auteur de la décision litigieuse s'était appuyé sur une circulaire dont les juges d'appel ont estimé que, contenant des dispositions impératives, elle avait été prise par une autorité incompétente et qu'elle était donc entachée d'illégalité.

Le juge de cassation s'estime compétent pour censurer cette interprétation et décider que cette circulaire ne contenait, en la matière que des lignes directrices dont l'édiction entrait dans la compétence de leur auteur.

(21 septembre 2020, CNRS, n° 425960)

 

3 - Article 37, alinéa 2 de la Constitution - Délégalisation - Refus du premier ministre de délégaliser des dispositions figurant dans une loi - Dispositions incompatibles avec des normes supérieures - Circonstance indifférente à l'exercice par le premier ministre de sa compétence en matière de délégalisation - Rejet.

La société requérante demandait l'annulation de la décision implicite par laquelle le Premier ministre a refusé d'engager la procédure prévue au second alinéa de l'article 37 de la Constitution et de procéder par décret à la modification des dispositions de l'article 5 de la loi du 22 avril 1947 relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques. 

Le Conseil d'État constate que les dispositions de cet article relèvent manifestement, en vertu de l'art. 34 de la Constitution, du domaine de la loi car elles concernent le principe de la liberté commerciale, les règles relatives à la liberté, au pluralisme et à l'indépendance des médias ainsi qu'aux principes fondamentaux du régime des obligations commerciales, elles instaurent un droit des éditeurs à être distribués dans des conditions transparentes et non discriminatoires différencié selon la nature des publications, en préservant un droit absolu d'accès à la distribution pour la presse d'information politique et générale, en prévoyant un droit d'accès dans les limites de règles d'assortiment et de détermination des quantités fixées par un accord interprofessionnel pour la presse autre que d'information politique et générale bénéficiant de tarifs postaux aidés.

Cependant, la requérante invoquait au soutien de sa demande la circonstance que ces dispositions seraient incompatibles avec des normes supérieures. Cet élément, à le supposer établi, ne peut venir étayer ladite demande car le premier ministre n'est compétent, selon l'art. 37 al. 2 de la Constitution, que pour abroger celles des dispositions contenues dans un texte de forme législative qui sont de nature réglementaire, non en raison de leur inconstitutionnalité ou de leur inconventionnalité, cette situation n'ayant pas pour effet de porter atteinte à ou de modifier la nature législative des dispositions en cause.

C'est donc sans illégalité que le premier ministre a refusé d'exercer en l'espèce le pouvoir qu'il tient des dispositions constitutionnelles précitées. 

(28 septembre 2020, Société World Actu Magazines Ltd, n° 441171)

 

4 - Attribution d'un avantage - Conditions d'attribution incomplètement définies - Autorité non détentrice du pouvoir réglementaire - Volonté d'assurer la complétude du régime juridique de l'avantage – Édiction d'une circulaire comportant des lignes directrices - Examen particulier de chaque cas - Annulation.

L'absence de définition par un texte prévoyant l'octroi d'un avantage de l'ensemble des conditions permettant de déterminer à qui l'attribuer parmi ceux qui sont en droit d'y prétendre, ouvre à l'autorité compétente, même non détentrice du pouvoir réglementaire, la possibilité d'encadrer l'action de l'administration, dans le but d'en assurer la cohérence, en déterminant, par la voie de lignes directrices, sans édicter aucune condition nouvelle, des critères permettant de mettre en œuvre le texte en cause, sous réserve de motifs d'intérêt général conduisant à y déroger et de l'appréciation particulière de chaque situation. Dans ce cas, la personne en droit de prétendre à l'avantage en cause peut se prévaloir, devant le juge administratif, de telles lignes directrices si elles ont été publiées. 

(21 septembre 2020, CNRS, n° 425960) V. aussi n° 2

(5) V. aussi, identique sur cet aspect, le point 5 de : 21 septembre 2020, M. X., n° 428683. Sur ce dernier arrêt, V. n° 26

 

6 - Acte réglementaire - Commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques - impôts - Commentaires ajoutant à la loi - Incompétence - Annulation.

Le III de l'art. 244 quater B du CGI dispose que les sommes reçues par les organismes de recherche privés agréés mentionnés au d bis du II du même article pour la réalisation d'opérations de recherche qui leur sont confiées par des entreprises entrant elles-mêmes dans le champ des bénéficiaires du crédit d'impôt recherche constituent, pour ces entreprises donneuses d'ordre, des dépenses éligibles à ce crédit.

En revanche, selon ce texte, les organismes de recherche sous-traitants ne peuvent inclure les dépenses exposées pour réaliser de telles opérations dans la base de calcul de leur crédit d'impôt recherche.

Commentant ces dispositions, l'administration fiscale (commentaires administratifs publiés le 4 avril 2014 au bulletin officiel des finances publiques impôts sous la référence BOI-BIC-RICI-10-10-20-30 et exemple chiffré illustrant cette position) considérait que les organismes privés agréés de recherche étaient tenus de déduire de l'assiette de leur crédit d'impôt la fraction des sommes facturées à des donneurs d'ordre pour la réalisation d'opérations de recherche pour le compte de ces derniers qui excèderait le montant des dépenses de recherche éligibles afférentes à ces mêmes opérations.

Ces commentaires ajoutent donc à la loi et sont, par suite, entachés d'incompétence.

(9 septembre 2020, Société Takima, n° 440523)

 

7 - Décisions suspendant la pratique du parachutisme sportif au-dessus d'un aérodrome ouvert à la circulation aérienne publique - Décisions de caractère réglementaire - Décisions n'ayant ni à être motivées ni à être précédées d'une procédure contradictoire - Rejet.

Les décisions par lesquelles le ministre chargé de l'aviation civile suspend l'activité de parachutisme sur l'aérodrome Amiens-Glisy à titre conservatoire sont des actes à caractère réglementaire alors même qu'ils n'ont d'effet que sur la société requérante. Ces décisions n'ont donc ni à être précédées d'une procédure contradictoire ni à être motivées que ce soit en vertu du CRPA ou d'autres textes ou d'un principe général.

Cette solution n'a pas pour elle la vertu d'évidence.

(25 septembre 2020, Société "Sauter en parachute", n° 433586) V. aussi au n° 78

(8) V. aussi, confirmatif de cet aspect du litige, le point 5 de : 25 septembre 2020, Mme X. et Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA), n° 437524.

 

Collectivités territoriales

 

9 - Dotation forfaitaire de la dotation globale de fonctionnement - Détermination de son montant en cas de division de communes (art. L. 2334-12 CGCT) - Travaux préparatoires de la loi du 31 décembre 1993 - Annulation juridictionnelle d'une fusion de communes - Inapplicabilité des dispositions précitées - Rejet.

Le code général des collectivités territoriales dans ses dispositions codifiant la loi du 31 décembre 1993 (notamment art. L. 2334-7, art. L. 2334-12) portant réforme de la dotation globale de fonctionnement, règle les conditions de détermination des différentes composantes de la dotation globale de fonctionnement dans l'hypothèse d'une décision administrative aboutissant à une division de communes.

En l'espèce, avait été adoptée une fusion de communes qui avait été, ensuite, annulée par le tribunal administratif. La commune requérante prétendait au bénéfice de l'application des dispositions susrappelées du CGCT. Les juges de première instance et d'appel en ont jugé différemment, estimant que l'annulation d'une fusion ne constituait pas une "division de communes" au sens et pour l'application des textes issus de la réforme de 1993. Le Conseil d'État, se fondant notamment sur les travaux préparatoires de la loi, confirme cette analyse. Il précise en outre qu'est "sans incidence à cet égard la circonstance que le juge aurait décidé, tout en prononçant l'annulation de la décision de fusion de communes, de réputer définitifs tout ou partie des effets produits par cette décision de fusion avant son annulation". 

(21 septembre 2020, Commune de Bois-Guillaume, n° 426859)

 

10 - Collectivités locales de Polynésie française, de Nouvelle-Calédonie et de Wallis-et-Futuna – Dotation d’équipement des territoires ruraux – Absence de définition par la loi des modalités de versement et de répartition de cette dotation – Atteinte à la libre administration, à l’autonomie financière de ces collectivités et au principe d’égalité devant la loi – Absence – Rejet de la demande de transmission d’une QPC.

Saisi par les communes requérantes d’une demande de transmission d’une QPC dirigée contre diverses dispositions du code général des collectivités territoriales fondée sur ce que celles-ci, en raison du silence de la loi sur les conditions de versement et de répartition de la dotation d’équipement des territoires ruraux, porteraient atteinte aux principes de libre administration et d'autonomie financière des collectivités territoriales ainsi qu’à celui d'égalité devant la loi, le Conseil d’Etat rejette le recours.

Tout d’abord, il est rappelé que l’incompétence négative du législateur, soit, ici, la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence, ne peut pas être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité sauf si cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit. 

Ensuite, s’il résulte, d’une part, de l’'article 72 de la Constitution que : « Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et disposent d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leurs compétences », et d’autre part, de l’article 72-2, que : «  Les collectivités territoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement dans les conditions fixées par la loi », ces dispositions, positivement,  n’imposent pas au législateur de définir les modalités de versement et de répartition de la dotation d'équipement des territoires ruraux pour les collectivités polynésiennes et, négativement, ne lui interdisent pas de prévoir que l'État versera à des collectivités territoriales des subventions dans un but déterminé.

Par suite, les requérantes ne sauraient soutenir qu’il est ainsi porté atteinte aux principes constitutionnels sus-énoncés du fait que la loi ne précise pas, pour les territoires concernés, si la dotation litigieuse constituera pour eux une subvention ou une dotation libre d’emploi.

On regrettera une lecture très restrictive des principes constitutionnels invoqués au soutien de la demande de transmission de la QPC. Le jacobinisme est encore bien vivant.

(28 septembre 2020, communes de Faa’a et de Punaauia, n° 439964)

 

11 - Établissement public territorial - Régime de l'indemnité mensuelle du président, des vice-présidents, des conseillers supplémentaires membres du bureau et des autres conseillers territoriaux (art. L. 5211-12, L. 5219-2, L. 5219-9 et L. 5219-2-1 CGCT) - Cas des conseillers territoriaux - Régime indemnitaire distinct - Annulation de l'arrêt d'appel.

Commet une erreur de droit l'arrêt d'une cour administrative d'appel qui juge que, de la combinaison des dispositions précitées du CGCT, il résulte que l'enveloppe indemnitaire globale définie par le deuxième alinéa de l'article L. 5211-12 doit être répartie entre l'ensemble des élus, président, vice-présidents mais aussi conseillers de l'établissement public territorial, alors que ces derniers ne relèvent pas de ce régime indemnitaire.

(21 septembre 2020, Établissement public Grand Orly Seine-Bièvre, n° 431880)

 

Contentieux administratif

 

12 - Référé suspension - Fonctionnaires - Enseignants des universités - Recrutement d'un professeur - Procédure déclarée infructueuse - Demande de suspension - Absence d'atteinte grave et immédiate caractérisant une urgence - Rejet.

Un maître de conférences, classé premier à un poste de professeur des universités, parmi les trois candidats auditionnés, demande la suspension de la décision par laquelle le conseil académique de l'université a déclaré cette procédure de recrutement infructueuse.

Si le juge reconnaît la vocation du requérant à être nommé professeur dans le cas où la procédure n'aurait pas été déclarée infructueuse, sa demande est rejetée par le double motif qu'il n'est, en l'espèce, porté une atteinte grave et immédiate ni à la situation personnelle de l'intéressé ni à l'intérêt public qui s'attache au bon fonctionnement de l'université. En l'absence d'une telle atteinte il n'existe donc pas d'urgence à statuer.

On peut discuter cette solution d'autant que, saisi sur le fondement de l'art. L. 521-1 CJA, le juge examine une condition qui n'appartient qu'au référé de l'art. L. 521-2, le référé liberté.

(ord. réf. 1er septembre 2020, M.X., n° 442755)

 

13 - Référé suspension - Arrêté préfectoral instaurant l'obligation de porter un masque dans la ville de Rouen - Rejet en première instance - Requête d'appel avec argumentation inchangée - Rejet de l'appel.

La requête tendant à la suspension de l'arrêté préfectoral instaurant le port obligatoire d'un masque dans la ville de Rouen avait été rejetée par le tribunal administratif en formation collégiale par des motifs jugés pertinents par le Conseil d'État. Le recours en appel se bornant à reprendre l'argumentation de première instance, il est rejeté selon la procédure expédiente de l'art. L. 522-3 CJA.

(ord. réf. 1er septembre 2020, M. X., n° 443381)

 

14 - Référé suspension - Obligation de former une requête au fond - Absence - Irrecevabilité manifeste - Rejet.

Il ne saurait exister de requête en référé suspension sans une requête distincte demandant une annulation au fond. Le défaut de cette dernière rend manifestement irrecevable le référé suspension.

(ord. réf.  4 septembre 2020, M. X., n° 443529)

 

15 - Référé suspension - Interdiction de l’utilisation du cannabidiol obtenu à partir de la plante de chanvre entière (art. R. 5132-86, code de la santé publique) - Confédération de buralistes demandant la suspension de l’exécution de cette disposition - Absence d’atteinte grave au point de rendre urgente la suspension - Rejet.

La confédération requérante demandait l’annulation et, dans l’attente, la suspension du refus implicite du premier ministre opposé à sa demande d’abrogation de l’art. R. 5132-86 CSP et de son arrêté d’application du 22 août 1990 en tant qu'ils interdisent l'importation, l'exportation et l'utilisation industrielle et commerciale du cannabidiol obtenu à partir de la plante de chanvre entière.

Pour rejeter le référé le juge se fonde sur le fait que si des pratiques locales diverses concernant cette interdiction sont de nature à porter atteinte à la concurrence et à l’impératif d’ordre public d'une vente strictement encadrée de ce produit afin d'assurer plus efficacement la protection de la santé publique et celle des mineurs, cette circonstance n’est pas de nature à conférer à elle seule un caractère d’urgence à la situation en résultant.

(29 septembre 2020, Confédération des buralistes, n° 444888)

 

16 - Juge des référés - Recours contre une ordonnance de désistement rendue par le juge du pôle social d'un tribunal judiciaire - Incompétence de la juridiction administrative - Rejet de la requête par voie d'ordonnance.

Est rejetée par voie d'ordonnance en raison de l'incompétence manifeste de la juridiction administrative, selon les dispositions de l'art. R. 522-8-1 du CJA, la demande de suspension dirigée contre une ordonnance de désistement prononcée par le juge du pôle social d'un tribunal judiciaire.

La solution est évidente.

(ord. réf. 14 septembre 2020, M. X., n° 444018)

 

17 - Référé liberté - Conditions d'octroi - Absence de réunion de ces conditions - Rejet.

Est rejetée selon la procédure expédiente de l'art. L. 522-3 CJA, la requête en référé liberté qui ne justifie pas de l'urgence à statuer et qui ne comporte aucun élément sérieux et précis susceptible de caractériser une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. 

(ord. réf. 4 septembre 2020, Mme X., n° 443649)

 

18 - Compétence ratione materiae du Conseil d'État - Recours (référé liberté) dirigé contre un arrêté préfectoral - Incompétence manifeste - Rejet.

Irrecevabilité manifeste d'une requête en référé dirigée contre un arrêté préfectoral (obligation du port du masque) et portée devant le Conseil d'État en première instance.

(ord. réf. 4 septembre 2020, Association Sant-Roumié Hier Saint-Rémy Demain, n° 443686)

 

19 - Désistement d'office pour défaut de réponse dans le délai imparti - Appel de l'ordonnance donnant acte du désistement - Obligations s'imposant au juge d'appel - Annulation.

En première instance la société appelante avait été réputée d'office s'être désistée pour n'avoir pas, dans le délai imparti, confirmé expressément le maintien de ses conclusions (art. R. 612-5-1 CJA).

En appel, alors que la société contestait l'ordonnance de donné acte du désistement, le juge d'appel a estimé que la société ne pouvait pas discuter utilement devant lui les motifs ayant conduit le premier juge à faire application des dispositions de l'article R. 612-5-1 CJA.

Cassant cette analyse, le Conseil d'État  rappelle ainsi l'office du juge d'appel en cette occurrence : « A l'occasion de la contestation en appel de l'ordonnance prenant acte du désistement d'un requérant en l'absence de réponse à l'expiration du délai qui lui a été fixé, il incombe au juge d'appel, saisi de moyens en ce sens, de vérifier que l'intéressé a reçu la demande mentionnée par les dispositions de l'article R. 612-5-1 du code de justice administrative, que cette demande fixait un délai d'au moins un mois au requérant pour répondre et l'informait des conséquences d'un défaut de réponse dans ce délai et que le requérant s'est abstenu de répondre en temps utile et d'apprécier si le premier juge, dans les circonstances de l'affaire, a fait une juste application des dispositions de l'article R. 612-5-1. »

Il convient de s'interroger sur le point de savoir si la solution retenue est bien respectueuse du but poursuivi par l'auteur de l'article litigieux.

(07 septembre 2020, SAS Almerys, n° 427640)

 

20 - Référé liberté - Appel de l'ordonnance - Absence de moyen d'appel - Rejet pour irrecevabilité manifeste (art. L. 522-3 CJA).

La requête en appel qui ne comporte aucun moyen d'appel est manifestement irrecevable et elle est rejetée selon la procédure expédiente de l'art. L. 522-3 du CJA.

En l'espèce, il s'agissait d'un appel sur référé mais la solution est la même pour tout appel non assorti de moyens.

(ord. réf. 7 septembre 2020, M. X., n° 443571)

 

21 - Référé réexamen (art. L. 521-4 CJA) - Absence de mesure ordonnée - Irrecevabilité de l'appel - Ordonnance refusant de prendre une mesure - Appel possible.

Dans un litige portant sur la suspension, par l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), du versement de l'allocation pour demandeur d'asile, le Conseil d'État précise les conditions de l'appel dirigé contre une ordonnance rendue sur le fondement des dispositions de l'art. L. 521-4 CJA (dit référé réexamen).

En principe, lorsque le juge saisi d'une demande de réexamen d'une ordonnance de référé n'a ordonné aucune mesure, l'appel contre cette ordonnance est irrecevable.

Il en va toutefois différemment lorsque le juge du réexamen a expressément refusé de faire droit à une demande de réexamen et que l'appel est dirigé contre le refus de réexamen. En ce cas, en effet, la recevabilité de l'appel ne dépend pas du sens du dispositif de l'ordonnance primitive mais de la décision de refus.

(ord. réf. 17 septembre 2020, M. X., n° 438417) V. aussi n° 67

 

22 - Référé réexamen - Centralisation et traitement des données en lien avec l'épidémie de Covid-19 - Demande de saisine de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) - Demande excédant les pouvoirs du juge des référés - Rejet.

Les requérants avaient, par la voie d'un référé liberté, demandé et obtenu (ordonnance du 19 juin 2020) que la Plateforme des données de santé, d'une part, fournisse à la CNIL, dans un délai de cinq jours, tous éléments relatifs aux procédés de pseudonymisation utilisés, propres à permettre à celle-ci de vérifier que les mesures prises au titre du Covid-19 assurent une protection suffisante des données de santé traitées sur le fondement de l'arrêté du 23 mars 2020 modifié et, d'autre part, complète, dans le même délai, les informations figurant sur son site internet relatives au projet portant sur l'exploitation des données de passages aux urgences pour l'analyse du recours aux soins et le suivi de la crise sanitaire de la Covid-19, conformément aux motifs de sa décision. 

Par une nouvelle demande de référé, fondée cette fois sur l'art. L. 521-4 CJA (dit référé réexamen), les requérants demandent au juge :

- d'une part, à titre principal, d'ordonner la suspension de la centralisation et du traitement des données en lien avec l'épidémie de Covid-19 sur la Plateforme des données de santé, ainsi que toutes mesures utiles pour garantir l'absence d'atteinte grave et manifestement illégale aux droits et libertés fondamentaux du fait de l'utilisation de cette plateforme pour le traitement des données en lien avec le Covid-19,

- et, d'autre part, à titre subsidiaire, de renvoyer à la Commission nationale de l'informatique et des libertés la question de l'appréciation de la protection adéquate des données liées au Covid-19 centralisées et traitées au sein de la Plateforme des données de santé, au regard du transfert de ces données vers les États-Unis. 

Ce recours est rejeté par motif de procédure puisqu'il ne tend ni à voir modifiées les mesures prescrites le 19 juin 2020, ni à ce qu'il y soit mis fin ni, enfin, à ce que leur exécution soit assurée. En réalité, est demandée au juge la prise de nouvelles mesures, à savoir la suspension de la centralisation et du traitement, par le biais de la Plateforme des données de santé, des données de santé utiles à la gestion de l'urgence sanitaire et à l'amélioration des connaissances sur le SARS-CoV-2 prévues par l'arrêté du 23 mars 2020. Or ces mesures figurant désormais à l'art. 30 de l'arrêté du 10 juillet 2020, abrogeant celui du 23 mars, la demande excède donc le champ de ce que le juge du référé de l'art. L. 521-4 CJA peut ordonner.

Enfin, il n'existe dans cette nouvelle requête aucune justification de l'urgence qu'il y aurait à statuer.

(ord. réf. 21 septembre 2020, Conseil national du logiciel libre et autres, n° 444514)

 

23 - Référé liberté (art. L. 521-2 CJA) - Covid-19 - Obligation, par arrêté préfectoral, de port d'un masque dans un périmètre donné - Requête en référé - Modification postérieure substantielle de l'arrêté - Régime procédural applicable en ce cas (art. L. 522-1 et art. L. 522-3 CJA) - Tenue ou non d'une audience publique - Requête devenue sans objet – Non-lieu à statuer.

Un arrêté préfectoral du 4 septembre 2020, pris sur le fondement de la loi du 9 juillet 2020 et du II de l'article 1er du décret du 10 juillet 2020, a imposé le port du masque, jusqu'au 30 septembre 2020 inclus, à toute personne de onze ans ou plus, sur la voie publique et dans les lieux ouverts au public, entre 7 heures et 2 heures, dans 44 des 71 communes de la métropole Rouen Normandie, abritant plus de 7 500 habitants et/ou avec une densité de population supérieure à 200 habitants au km², en excluant de cette obligation certains lieux, certaines activités, certaines personnes et certaines formes de circulation.

La demande de référé liberté du requérant dirigée contre cet arrêté ayant été rejetée le 8 septembre et la saisine du Conseil d'État ayant eu lieu le 10 septembre, le 16 septembre 2020 le préfet, à l'issue d'une instruction nouvelle, a abrogé son précédent arrêté et l'a remplacé par un nouveau substantiellement différent (modifications du périmètre visé, des critères d'exception, de l'amplitude horaire de l'obligation...) créant ainsi une situation de droit et de fait nouvelle. La requête d'appel est jugée sans objet.

Dans cette affaire se posait la question de la procédure à suivre pour prononcer ce non-lieu. Normalement le juge du référé liberté qui estime devoir engager la procédure prévue à l'article L. 522-1 CJA doit la poursuivre, notamment, en tenant une audience publique. Toutefois, lorsqu'après engagement de cette dernière procédure, intervient un désistement ou un évènement rendant sans objet la requête, le juge des référés peut, en vertu de son office, donner acte du désistement ou constater un non-lieu sans tenir d'audience. Au Conseil d'État, cette faculté appartient au président de la section du contentieux, ainsi qu'aux conseillers d'État qu'il a désignés à cet effet (art. R. 123-23 CJA) ; elle est exercée sur le fondement du 1° ou du 3° de l'art. R. 122-12 du CJA.

(ord. réf. 21 septembre 2020, M. X., n° 443996)

 

24 - Covid-19 - Référé liberté - Obligation de port du masque par les personnes de plus de onze ans - Atteinte avérée à une liberté fondamentale - Absence d’effet sur l’urgence à statuer - Obligation de satisfaire distinctement à chacune des deux conditions d’octroi de ce référé - Rejet.

Saisi d’un référé liberté contre deux arrêtés préfectoraux imposant l’obligation de port du masque pour les personnes plus de onze ans, sauf cas dérogatoires, le premier dans les 24 communes de la Métropole de Montpellier Méditerranée, le second sur le territoire de 23 communes du département de l’Hérault, le Conseil d’État rejette l’appel contre l’ordonnance de rejet du premier juge. C’est l’occasion pour lui de rappeler qu’il ne suffit pas qu’une atteinte avérée soit portée à une liberté fondamentale pour qu’en résulte une situation d’urgence, d’autant que dans le cadre de ce référé c’est d’une double urgence qu’il s’agit car, d’une part, il faut aller vite et, d’autre part, une solution doit pouvoir être apportée très vite.

Il y a bien deux conditions distinctes qui doivent l’une et l’autre, distinctement, être satisfaites pour qu’une demande en référé liberté puisse avoir quelque chance de prospérer. Le recours en appel est rejeté selon la procédure expédiente de l’art. L. 522-3 du CJA (sans contradictoire et sans conclusions du rapporteur public).

(29 septembre 2020, M. X. et autres, n° 444802)

 

25 - Demande d'inscription scolaire dérogatoire - Décisions de rejet - Introduction d'un recours contentieux - Retrait rétroactif des décisions durant l'instance - Décisions non contestées, revêtant ainsi un caractère rétroactif - Possibilité de condamner la partie perdante, même bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, au paiement des frais exposés non compris dans les dépens.

Le requérant avait sollicité une dérogation à la carte scolaire en vue de l'inscription de quatre de ses enfants à l'école primaire. L'annulation prononcée en première instance a été annulée en appel car le jugement s'était prononcé sur des décisions qui avaient été rétroactivement retirées en cours d'instance ; le requérant se pourvoit et sa demande est rejetée sur deux points qui méritent l'attention.

En premier lieu, il est rappelé qu’« un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un acte administratif n'a d'autre objet que d'en faire prononcer l'annulation avec effet rétroactif. Si, avant que le juge n'ait statué, l'acte attaqué est rapporté par l'autorité compétente et si le retrait ainsi opéré acquiert un caractère définitif faute d'être critiqué dans le délai du recours contentieux, il emporte alors disparition rétroactive de l'ordonnancement juridique de l'acte contesté, ce qui conduit à ce qu'il n'y ait lieu, pour le juge de la légalité, de statuer sur le mérite du pourvoi dont il était saisi. Il en va ainsi, quand bien même l'acte rapporté aurait reçu exécution. »

En second lieu, se posait la question de savoir si le requérant pouvait être condamné au paiement des frais non compris dans les dépens alors qu'il était bénéficiaire de l'aide juridictionnelle. La réponse est positive ainsi que cela avait été jugé en appel.

(9 septembre 2020, M. X., n° 425377)

 

26 - Principe de bonne administration de la justice - Demande de report d'audience - Liberté du juge - Absence d'obligation de motiver le refus du report - Rejet.

Rappel de ce que :

- d'une part, s'il incombe au juge saisi d'un recours de veiller à la bonne administration de la justice, celui-ci, sur demande de l'une des parties en ce sens, n'a aucune obligation, hormis le cas où des motifs exceptionnels tirés des exigences du débat contradictoire l'imposeraient, de faire droit à une demande de report de l'audience formulée par une partie

- et, d'autre part, le juge n'a pas davantage à motiver le refus qu'il oppose à une telle demande.

(21 septembre 2020, M. X., n° 428683) V. aussi n° 63

 

27 - Impartialité des juridictions - Tribunal administratif - Moyen énoncé pour la première fois en cassation - Moyen recevable - Formation de jugement comprenant un magistrat intervenu dans le cadre d'un précédent jugement - Second jugement opposant la chose jugée par le précédent jugement - Absence d'irrégularité - Rejet.

Le litige portait sur le licenciement, jugé irrégulier, d'une agente publique communale contractuelle. Estimant dommageables les conditions de sa réintégration, l'intéressée a formé un second recours qui sera rejeté, en première instance, en appel et en cassation.

Elle soulève pour la première fois, en cassation, le grief de défaut d'impartialité de la formation de jugement. Le Conseil d'État admet recevable ce moyen alors qu'il est présenté pour la première fois en cassation, ce qui est plus généreux que logique.

Ce moyen était fondé sur la circonstance que la formation qui a prononcé le second jugement comprenait un magistrat qui, en qualité de rapporteur, avait participé au jugement relatif à sa première demande indemnitaire. Pour rejeter l'argument, le juge de cassation retient que le second jugement, pour rejeter la demande dont il était saisi, a opposé l'autorité de chose jugée par le précédent jugement. Ce faisant, il n'a porté aucune appréciation sur les faits de nature à engager la responsabilité de la commune non plus que sur leur éventuel lien de causalité avec les préjudices dont la réparation leur était demandée. Sa composition n'était donc pas irrégulière et ce grief est rejeté. La solution doit être approuvée.

(25 septembre 2020, Mme X., n° 427050)

 

28 - Compétence juridictionnelle - Instauration d'espaces dédiés à l'accueil des détenus au sein des palais de justice - Recours pour excès de pouvoir soulevant une difficulté sérieuse - Renvoi au Tribunal des conflits.

Un syndicat d'avocats demande l'annulation, ainsi que le refus implicite de l'abroger, de l'une des dispositions d'un arrêté du garde des sceaux instaurant dans chaque palais de justice, une répartition des espaces en différentes zones afin notamment d'en assurer la sécurité, certaines zones étant ainsi dédiées à l'accueil des détenus, avant leur comparution ainsi que lors de celle-ci dans les salles d'audience.

Jugeant sérieuse la difficulté de la détermination de l'ordre juridictionnel compétent pour connaître de ce recours, le juge, selon la procédure prévue à l'art. 35 du décret du 27 février 2015, renvoie au Tribunal des conflits le soin de la résoudre.

(28 septembre 2020, Syndicat des avocats de France, n° 418694)

 

 

29 - Intérêt donnant qualité pour agir - Entreprise gestionnaire de microcentrales électriques utilisant l'énergie hydraulique sur la rive droite de la Mayenne - Autorisation administrative renouvelée pour 40 ans à une filiale d'EDF d'exploiter des microcentrales sur la rive gauche de la Mayenne - Existence en l'espèce d'un tel intérêt - Cassation.

Une entreprise privée, la société Socardel, qui exploite deux microcentrales électriques utilisant l'énergie hydraulique de la rive droite de la Mayenne, d'une part, conteste en justice l'arrêté préfectoral renouvelant, pour une durée de quarante ans, le règlement d'eau applicable aux ouvrages hydroélectriques exploités par la Société hydraulique d'études et de missions d'assistance (SHEMA) sur la Mayenne, filiale d'EDF, et reconduit, pour la même durée, l'autorisation d'exploiter ces installations dont bénéficiait cette société et, d'autre part, demande à être rétablie dans sa priorité de débit pour les ouvrages hydroélectriques qu'elle exploite.

Son recours est rejeté en première instance et en appel, il est accueilli en cassation.

Le juge observe d'abord qu'en principe un établissement industriel ou commercial ne peut se voir reconnaître la qualité de tiers recevable à contester devant le juge une autorisation délivrée en application de l'article L. 214-1 du code de l'environnement à une entreprise, fût-elle concurrente, que dans les cas où les effets que les installations, ouvrages, travaux et activités autorisés comportent sur les objectifs protégés par la police de l'eau sont de nature à affecter par eux-mêmes les conditions d'exploitation de cet établissement industriel ou commercial.

La recevabilité de son éventuelle action est donc subordonnée à l'existence d'un intérêt suffisamment direct lui donnant qualité pour demander l'annulation de l'autorisation en cause, compte tenu des conséquences directes que présentent pour lui les installations, ouvrages, travaux et activités autorisés, appréciés notamment en fonction de leurs conditions de fonctionnement, de la configuration des lieux ainsi que de l'état de la ressource en eau.

La cour avait dénié à la requérante tout intérêt qui lui aurait donné qualité pour agir en l'espèce. Son arrêt est cassé pour erreur dans la qualification juridique de la situation de fait de celle-ci.

En effet, la société Socardel exploite deux microcentrales hydroélectriques en rive droite de la rivière Mayenne, au droit des microcentrales hydroélectriques implantées en rive gauche et exploitées par la Société hydraulique d'études et de missions d'assistance. Chacune des installations hydroélectriques se trouve à l'extrémité d'un barrage commun nécessaire à l'utilisation de l'énergie hydraulique, de telle façon que leur utilisation de la force du cours d'eau pour la production d'électricité d'origine renouvelable affecte nécessairement les conditions de leurs exploitations respectives. A quoi il faut encore ajouter, ce qui "renforce" davantage encore l'intérêt à agir de l'intéressée, que l'arrêté litigieux a autorisé l'entreprise concurrente à augmenter son débit autorisé en le faisant passer de 9 à 13 mètres cubes par seconde.

(28 septembre 2020, Société Socardel, n° 424192)

 

30 - Caractère contradictoire de la procédure administrative - Notification d'un mémoire à une adresse autre que celle du logement occupé - Irrégularité - Annulation.

Le principe du contradictoire impose au juge, même des référés, de communiquer à chaque partie le mémoire adverse. Il doit le faire à l'adresse du logement occupé par chacune d'elles. A défaut d'une telle communication ou d'envoi à une autre adresse et en l'absence de production d'un mémoire par la partie concernée, la procédure est viciée pour non-respect du principe du caractère contradictoire de la procédure administrative contentieuse.

Il n'en irait autrement que si, nonobstant l'envoi à une adresse inexacte, l'intéressé a eu connaissance du mémoire irrégulièrement communiqué et, a fortiori, s'il y a répondu dans le cadre de l'instance.

(25 septembre 2020, Mme X., n° 440634 et n° 441647)

 

31 - Délai de recours contentieux - Demande d'expertise formulée durant le délai de recours contentieux - Absence d'interruption du cours de ce délai - Recours tardif - Rejet.

Rappel de ce que l'ordonnance de référé prescrivant une expertise sur demande d'une partie n'a pas pour effet d'interrompre le cours du délai de recours contentieux et cela même dans le cas où la demande d'expertise aurait été elle-même formée dans le délai du recours contentieux.

(28 septembre 2020, Mme X., n° 425630)

 

32 - Dénaturation des pièces du dossier - Interprétations erronées des conclusions d'un rapport d'expertise - Annulation.

Dénature doublement les pièces du dossier la cour d'appel qui :

- d'une part, affirme qu'un expert qui écrit que « la biopsie a été pratiquée (...) après repérage préalable par échographie mais sans contrôle par la sonde d'échographie au moment de la ponction » a regardé cette dernière comme " réalisée dans les règles de l'art "

- et d'autre part, affirme également que le rapport d'expertise ne se prononce pas sur la fréquence du risque hémorragique imputable à une biopsie rénale alors qu'il se fonde « sur des publications qui font état d'un risque hémorragique compris entre 13 et 56 % ».

L'annulation de cet arrêt s'imposait d'évidence.

(28 septembre 2020, Mme X., n° 426125)

 

Contrats

 

33 - Contrat de fourniture des services téléphoniques et internet à des services municipaux - Action contentieuse tendant au rétablissement du service interrompu par l'arrachage d'un poteau - Litige portant sur l'exécution d'un contrat ayant la nature d'un marché public - Compétence du juge administratif - Non-lieu à statuer.

Suite à l'arrachage d'un poteau supportant une ligne aérienne de télécommunications, le fonctionnement du téléphone et d'internet a été interrompu sur le territoire de la commune de Belvezet. Celle-ci a obtenu du juge des référés administratifs statuant sur le fondement des dispositions de l'art. L. 521-3 CJA, qu'il soit enjoint sous astreinte à Orange de prendre « toute mesure nécessaire pour rétablir les télécommunications sur la commune de Belvezet ».

Sur pourvoi d'Orange, qui sera rejeté pour non-lieu à statuer, la ligne ayant été rétablie entre-temps, le Conseil d'État voit dans ce litige qui porte sur l'exécution d'un contrat passé à titre onéreux par la commune avec un opérateur économique, en vue de répondre à ses besoins en matière de services de télécommunications, un litige en matière de marché public, donc relatif à un contrat administratif par détermination légale. Un tel litige relève, comme l'a jugé sans erreur de droit le premier juge, de la compétence de la juridiction administrative.

(ord. réf. 25 septembre 2020, Société Orange, n° 432727)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

34 - Détermination du bénéfice net en matière de BIC - Régime de la déductibilité pour pertes - Notion d'opérations suffisamment homogènes - Rejet.

Une société, appartenant à un groupe dont la société mère est la société requérante, exerce une activité de concession de véhicules automobiles. A ce titre, elle conclut avec certains de ses clients des contrats de vente aux termes desquels elle s'engage à reprendre à l'acheteur le véhicule qu'elle lui cède pour un prix fixé à l'avance, à une date ou à l'issue d'une période déterminée ou après que ce véhicule aura parcouru un certain nombre de kilomètres défini dans les contrats. Elle a donc déduit de son bénéfice imposable les sommes correspondant à l'agrégation des moins-values anticipées lors de la revente de véhicules cédés à des clients en application de ces contrats. L'administration fiscale a redressé la société, après vérification, et l'a assujettie à un supplément d'imposition. Ses recours, de première instance et d'appel ayant été rejetés, la société se pourvoit en cassation.

Selon l'art. 39 CGI le bénéfice net est déterminé après déduction de toutes les charges au nombre desquelles le 5° de ce texte fait figurer " Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice. (...) ".

Une jurisprudence constante (au moins depuis : Assemblée, 28 juin 1991, ministre du budget c/ Société générale, n° 77921) a posé deux règles importantes en matière de déductibilité des charges.

En premier lieu, une entreprise ne peut valablement porter en provision et déduire des bénéfices imposables d'un exercice des sommes correspondant à des pertes ou charges qui ne seront supportées qu'ultérieurement par elle, que si sont remplies les quatre conditions suivantes : 1°Les pertes ou les charges en cause doivent être nettement précisées quant à leur nature, 2° Elles doivent pouvoir être évaluées avec une approximation suffisante, 3° Elles doivent apparaître comme probables eu égard aux circonstances constatées à la date de clôture de l'exercice, 4°/ Enfin,  elles doivent se rattacher par un lien direct aux opérations de toute nature déjà effectuées à cette date par l'entreprise.

En second lieu, la jurisprudence n'admet la déductibilité des provisions pour charges au titre d'un exercice que si se trouvent comptabilisés, au titre du même exercice, les produits correspondant à ces charges et, en ce qui concerne les provisions pour pertes, elle subordonne leur déductibilité à la condition que la perspective de cette perte se trouve établie par la comparaison, pour une opération ou un ensemble d'opérations suffisamment homogènes, entre les coûts à supporter et les recettes escomptées.

En l'espèce, la contribuable avait déduit de ses résultats imposables au titre des exercices clos en 2009 et 2010 des sommes correspondant à l'agrégation des moins-values anticipées lors de la revente de véhicules cédés à des clients en application de contrats de vente par lesquels elle s'engageait à reprendre à l'acheteur le véhicule qu'elle lui cédait pour un prix fixé à l'avance, à une date ou à l'issue d'une période déterminée ou après que ce véhicule aura parcouru un nombre de kilomètres défini dans le contrat de cession. 

Par suite, le Conseil d'État, rejetant le pourvoi, approuve la démarche de l'arrêt contesté et son contenu.

Tout d'abord, la cour administrative d'appel a exactement qualifié les provisions en cause comme "provisions pour pertes". En effet, après avoir relevé que le montant des provisions constituées par la société, rattachées à l'exercice au cours duquel les véhicules ont fait l'objet de leur première cession, avait été déterminé par les écarts, lorsqu'ils sont négatifs, entre le prix de rachat des véhicules et leur valeur probable de revente au jour de leur rachat et que, ce faisant, la société avait entendu anticiper un événement de nature à diminuer son bénéfice au cours d'un exercice futur, lié, non pas à la charge que représenterait le rachat de véhicules en exécution d'une clause d'engagement de reprise, mais à la perte qui serait générée par leur revente à un prix inférieur au prix de rachat.

Ensuite, c'est sans erreur de droit que la cour a jugé, d'une part,  que l'ensemble des contrats concernés reposant sur un modèle économique et juridique unique, quels que soient la catégorie de véhicules et les clients concernés, devaient être analysés comme formant un ensemble d'opérations suffisamment homogènes au sein duquel gains et pertes devaient être calculés de manière agrégée pour la détermination du montant de la provision correspondante et, d'autre part, que l'administration avait à bon droit remis en cause la déductibilité des provisions en cause à concurrence du montant des opérations bénéficiaires.

(9 septembre 2020, Société ZF Holding, n° 429100)

 

35 - Comptable public - Comptable d'une personne publique soumise aux principes généraux de la comptabilité publique - Faculté pour ce comptable d'effectuer tous actes interruptifs du cours de la prescription quadriennale - Cassation avec renvoi.

Le litige portait sur la récupération par la communauté requérante auprès du département de Saône-et-Loire d'une somme au titre de la participation de ce dernier au financement de travaux d'amélioration de la voirie de l'agglomération chalonnaise.

L'intérêt de cette décision réside dans la reconnaissance au bénéfice du comptable public d'une personne morale soumise aux principes généraux de la comptabilité publique, dès lors qu'il est chargé du recouvrement d'une créance dont cette dernière est titulaire sur une personne publique bénéficiaire de la prescription quadriennale (loi du 31 décembre 1968), de la qualité pour effectuer tous actes interruptifs du cours de cette prescription.

Le juge ajoute qu'est sans incidence à cet égard la circonstance que l'action en recouvrement du comptable public se trouverait, par ailleurs, soumise au délai de prescription prévu au 3° de l'article L. 1617-5 du CGCT.

(21 septembre 2020, Communauté d'agglomération Chalon-Val-de-Bourgogne, n° 430915)

 

36 - Impôts sur le bénéfice des sociétés - Détermination du bénéfice net d'une société mère - Absence de déductibilité des titres financiers pris en pension par elle - QPC - Rejet.

La requérante contestait la constitutionnalité du cinquième alinéa du c. du 1. de l'article 145 du CGI, dans sa rédaction issue de l'article 83 de la loi de finances rectificative pour 2006, en tant qu'elles font obstacle à ce qu'une société mère retranche de son bénéfice net total, sur le fondement du I de l'article 216 du même code, les produits nets de titres financiers pris en pension.

Le Conseil d'État rejette la demande de renvoi de cette QPC.

Tout d'abord, il estime que faute pour le législateur d'avoir transposé dans l'ordre interne, en laissant inchangés les articles 145 et 216 du CGI, les dispositions de la directive du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents, lequel est applicable aux impositions en litige, ces dispositions législatives doivent être interprétées à la lumière des seuls objectifs de la directive, dès lors qu'une telle interprétation n'est pas contraire à leur lettre. L'objectif de la directive est, selon son troisième considérant, d'éliminer par l'instauration d'un régime fiscal commun toute pénalisation de la coopération entre sociétés d'États membres différents par rapport à la coopération entre sociétés d'un même État membre et à faciliter ainsi la coopération transfrontalière. 

Ensuite, la requérante faisait valoir que les dispositions critiquées par elle entraînent, pour les sociétés mères, une différence de traitement fiscal des produits de titres pris en pension selon la localisation des filiales émettrices de ces titres, ainsi, selon elle, d'une part, ces dispositions, méconnaissant les objectifs de la directive dont elles assurent la transposition, ne peuvent être légalement appliquées qu'aux situations qui sont hors du champ de cette directive, et, d'autre part, le juge, saisi de moyens en ce sens, devrait en écarter l'application lorsque sont en cause des sociétés d'États membres différents.

Pour rejeter cette argumentation le Conseil d'État, se fondant notamment sur la définition de la pension, telle qu'elle résulte des articles L. 211-27, L. 211-31, L. 211-32, L. 211-33 et L. 211-34 du code monétaire et financier dans sa version applicable lors du fait générateur des opérations litigieuses, relève que le cessionnaire de titres financiers remis en pension n'est pas imposé sur les éventuels revenus attachés à ces titres, qu'il lui appartient de reverser au cédant. Il en va notamment ainsi lorsque, à raison de sa détention d'autres titres de la société émettrice que ceux qu'il a pris en pension, le régime des sociétés mères lui est applicable. Dès lors, il se déduit invinciblement de là que, en tant qu'elles font obstacle à ce qu'une société mère retranche de son bénéfice net total, sur le fondement du I de l'article 216 du code général des impôts, les produits nets de titres financiers pris en pension, les dispositions attaquées (i.e. cinquième alinéa du c. du 1. de l'article 145 du CGI) ne sauraient être incompatibles avec les objectifs de la directive du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents, tels qu'ils sont mis en œuvre, notamment, par son article 4. 

Enfin, répondant à un autre argument de la requérante, le Conseil d'État rappelle que si le législateur doit, pour se conformer au principe d'égalité devant les charges publiques, fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose et si ce principe n'interdit pas de faire supporter des charges particulières à certaines catégories de personnes pour un motif d'intérêt général, il ne doit pas en résulter de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. Tel est le cas en l'espèce, contrairement à ce qui est soutenu par la société européenne Dassault Systèmes.

Ne remplissant pas les conditions requises, la question posée qui n'est pas nouvelle et ne présente pas un caractère sérieux n'est pas renvoyée au Conseil constitutionnel.

Il n'est pas du tout certain que la CJUE, éventuellement saisie, partage ce point de vue surtout en l'état d'une directive non transposée dont les termes certains sont réduits à de simples objectifs.

(9 septembre 2020, Société européenne Dassault Systèmes, n° 431283)

 

37 - Droit de l’Union européenne - Lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme – Obligations de formation et d’information s’imposant à certains employeurs – Secteur des jeux d’argent et de hasard – Sanction de leur omission ayant le caractère d’une punition – Invocation du principe de légalité des délits et des peines – Rejet de la demande de transmission d’une QPC.

La législation française, prise pour l’application du droit de l’Union européenne en matière de lutte contre blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme, oblige certaines catégories d’employeurs, dont ceux d’entreprises où s’effectuent des jeux d’argent et de hasard, à organiser pour leur personnel, sous réserve de sanctions punitives, des formations et des informations régulières en fonction du niveau de responsabilité propre à chacun d’eux.

Le requérant demande la transmission d’une QPC contre des dispositions législatives du code monétaire et financier (L. 561-33, et L. 561-40) dont il estime que faute de déterminer avec suffisamment de précision le champ de l'obligation de formation et d'information régulières de leurs personnels qu'elles mettent à la charge des personnes concernées (art. L. 561-2 code préc.) et du fait des sanctions assortissant les manquements (art. L. art. L. 561-37 et L. 561-40 eod. loc.), elles méconnaissent le principe de légalité des délits et des peines.

Rejetant la demande, le Conseil d’État rappelle que s’agissant ici non de la matière pénale mais du droit administratif répressif, l'exigence d'une définition des infractions sanctionnées se trouve satisfaite dès lors que les textes applicables font référence aux obligations auxquelles les intéressés sont soumis en raison de l'activité qu'ils exercent, de la profession à laquelle ils appartiennent, de l'institution dont ils relèvent ou de la qualité qu'ils revêtent.

Il est donc jugé qu’il résulte des textes précités que, d’une part, au cas de l’espèce, les obligations sont clairement définies tant pour ce qui regarde leur contenu matériel que pour ce qui concerne ceux qui en ont la charge, et que, d’autre part, les sanctions encourues sont elles aussi très clairement définies.

(30 septembre 2020, M. X., n° 440228)

 

38 - Droit de l'Union européenne - Libre circulation des travailleurs - Droit de la sécurité sociale - Principe d'interdiction de versement, par un travailleur, de contributions à fonds perdus au financement d'un régime national de sécurité sociale - Application à des cotisations qualifiées "impôts" - Champ d'application de l'art. 45 du TFUE - Rejet.

(9 septembre 2020, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 432985) V. n° 49

 

39 - Procédure fiscale non contentieuse - Interprétation administrative de la loi fiscale (art. L. 80 LPF) - Conditions d'opposabilité à l'administration fiscale de sa propre doctrine - Plus-value de cession de biens incorporels - Résolution de la vente - Application postérieure de l'art. L. 80 LPF - Annulation de l'arrêt d'appel pour erreur de droit avec renvoi.

Dans cette affaire, un contribuable avait cédé des titres d'une société mais la cession avait été résolue en vertu des stipulations du contrat de cession car la quatrième tranche du prix de cession des titres n'avait pas été versée, contrairement à l'échéancier de paiement prévu au contrat.

Il a demandé le dégrèvement de la totalité de l'imposition mise à sa charge du fait de la plus-value retirée de cette cession mais l'administration fiscale ne lui a accordé qu'un dégrèvement limité à la fraction du prix de vente non acquittée par l'acquéreur des titres. Par ailleurs, il fondait également sa revendication sur une prise de position formelle de l'administration.

Le demandeur se pourvoit en cassation contre l'arrêt d'appel confirmatif du jugement rejetant sa requête. La cour administrative d'appel a rejeté les deux chefs d'argumentation. Le Conseil d'État confirme le premier rejet et annule le second.

Tout d'abord, c'est sans erreur de droit que le juge d'appel a estimé la résolution du contrat de vente survenue le 13 avril 2016 sans effet sur le bien-fondé de l'imposition de la plus-value puisqu'elle est intervenue postérieurement à l'année d'imposition de la plus-value. Le juge écarte explicitement ici la règle issue de l'ancien art. 1183 du code civil selon laquelle la résolution tend à l'anéantissement du contrat au jour de sa conclusion (Cass. civ. 3e, 24 nov. 1999, Mlle X. c/ société Domofrance, n° 97-17.026). Cela est discutable car n'est pas justifié par le particularisme ou la nature des intérêts en cause.

Ensuite, la cour ayant jugé que le demandeur ne pouvait se prévaloir des dispositions de l'art. L. 80 du LPF (selon lesquelles : « Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente ».), dès lors qu'il avait été imposé conformément à sa déclaration sans faire l'objet d'un redressement et que ces énonciations ne comportaient aucune interprétation formelle d'un texte fiscal, le juge casse cet aspect de l'arrêt. En effet, d'une part, le contribuable ne pouvait faire application de la doctrine fiscale que par voie de réclamation présentée postérieurement à la résolution de la vente, ce qu'il a fait dans sa réclamation contentieuse, et d'autre part, ces énonciations comportaient une interprétation formelle de l'article 150-0 A du code général des impôts en prévoyant, selon les modalités particulières qu'ils explicitent, la possibilité, pour le contribuable imposé à raison d'une plus-value de cession de biens incorporels de bénéficier d'une restitution de l'imposition initialement établie en cas de résolution de la vente.

(9 septembre 2020, M. X., n° 433821)

(40) V. aussi, sur les conditions d'application de l'art. L. 80 LPF : 9 septembre 2020, SAS Damolin Etrechy, n° 434364

 

41 - Taxe d'habitation - Délibération locale fixant ce taux ne pouvant plus servir de base au recouvrement de la taxe une année donnée - Possibilité de demander au juge de l'impôt le retour au taux fixé l'année précédente.

Interrogé sur ce point par un tribunal administratif (cf. art. L. 113-1 CJA), le Conseil d'État répond, s'inspirant d'une jurisprudence voisine (1er juillet 2019,  Ministre de l'action et des comptes publics, n° 427067), qu'il résulte de la combinaison des dispositions des art. 1639 A et  1640 E du CGI, qu'au cas où la délibération d'une collectivité territoriale ou d'un établissement public de coopération intercommunale ne peut plus servir de fondement légal à l'imposition mise en recouvrement pour une année donnée, l'administration dispose de la faculté de demander au juge de l'impôt, à tout moment de la procédure, que soit substitué, dans la limite du taux appliqué à cette imposition, le taux retenu lors du vote de l'année précédente.

Il s'ensuit que s'agissant d'une commune située sur le territoire de la métropole du Grand Paris, qui était membre au 1er janvier 2015 d'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre, dont la délibération ne peut plus servir de fondement légal à la taxe d'habitation mise en recouvrement au titre de l'année 2016, les décisions de l'année précédente au sens du III de l'article 1639 A du CGI s'entendent des décisions afférentes à cette taxe prises, au titre de l'année 2015, par cette commune et par l'établissement dont elle était membre au 1er janvier 2015.

(Avis de droit, 28 septembre 2020, M. X., n° 441190)

 

 

42 - Litige fiscal - Fraude à la TVA - Avoirs en Suisse non déclarés - Procédure fiscale - Principes du droit de l'Union - Application en l'espèce - Rejet.

La SCI demanderesse, dont le gérant est pénalement poursuivi pour détention à l'étranger (Suisse) d'avoirs non déclarés, contestait les rappels de TVA mis à sa charge de ce chef ainsi que les pénalités y rattachées. Elle invoquait en particulier des irrégularités procédurales. C'est l'aspect de la décision qui est présenté ici.

En bref, la SCI soutenait que ne lui avait pas été communiqué l'entier dossier détenu dans cette affaire par l'administration fiscale.

Le juge confronte les exigences, d'une part, de l'art. 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne relatif au principe de protection juridictionnelle effective tel que cet article est interprété par la jurisprudence de la cour de Luxembourg, et d'autre part, celles tirées de l'art. 76 B du Livre des procédures fiscales.

Le Conseil d'État tire trois observations de la jurisprudence européenne édifiée sur la base de l'art. 47 précité :

1°/ En toute matière, le principe de protection juridictionnelle effective comprend le respect des droits de la défense, de l'égalité des armes, du droit d'accès aux tribunaux ainsi que du droit de se faire conseiller, défendre et représenter (CJUE, 6 novembre 2012, Europese Gemeenschap c/ Otis et alii, aff. C-199/11).

2°/ En matière fiscale, ce principe a pour corollaire le droit d'accès au dossier au cours de la procédure administrative et implique qu'une violation du droit d'accès au dossier commise lors de la procédure administrative n'est pas, en principe, régularisée du simple fait que l'accès au dossier a été rendu possible au cours de la procédure juridictionnelle concernant un éventuel recours visant à l'annulation de la décision contestée (CJUE 16 octobre 2019, Glencore Agriculture Hungary/ Nemzeti Adó- és Vámhivatal Fellebbviteli Igazgatósága, aff. C-189/18).

3°/ Toujours en matière fiscale et s'agissant spécifiquement d'un litige en matière de TVA, la CJUE a précisé (décision C-189/18 précitée) que le respect des droits de la défense n'impose pas à l'administration fiscale une obligation générale de fournir un accès intégral au dossier dont elle dispose, mais exige que l'assujetti ait la possibilité de se voir communiquer, à sa demande, les informations et les documents se trouvant dans le dossier administratif et pris en considération par cette administration en vue d'adopter sa décision, c'est-à-dire non seulement l'ensemble des éléments du dossier sur lesquels l'administration fiscale entend fonder sa décision mais aussi ceux qui, sans fonder directement sa décision, peuvent être utiles à l'exercice des droits de la défense. Il en va ainsi en particulier des éléments que cette administration a pu rassembler et qui seraient susceptibles de faire douter de la participation du contribuable, en connaissance de cause, à des opérations impliquées dans une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée mais qu'elle a regardés comme non probants. 

L'art. L. 76 B, plus sobrement, impose à l'administration fiscale de tenir informé le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition.

Appliquant ces éléments au cas de l'espèce, le Conseil d'État constate que l'administration fiscale a indiqué, dans sa proposition de rectification adressée à la SCI, qu'elle avait exercé son droit de communication auprès de l'autorité judiciaire et obtenu dans ce cadre de consulter et de prendre copie de pièces du dossier relatif au gérant en reproduisant, en annexe à cette proposition de rectification, un certain nombre d'extraits de procès-verbaux de constatations et d'auditions issus de la procédure judiciaire.

Par ailleurs, le juge relève, positivement, que la société a exercé le droit d'accès aux documents prévu à l'article L. 76 B LPF en demandant la communication de certaines des factures mentionnées dans la proposition de rectification, qu'elle a obtenue avant la mise en recouvrement des rappels de taxe sur la valeur ajoutée litigieux, tout en s'abstenant de demander aucun autre document issu du dossier de la procédure judiciaire.

Il relève aussi, négativement, que la SCI n'a soutenu à aucun moment devant les juges du fond que l'administration fiscale aurait recueilli d'autres documents que ceux mentionnés dans la proposition de rectification et qui auraient été de nature à lui permettre de se défendre utilement en faisant douter du caractère fictif des factures pour lesquelles l'administration a remis en cause son droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée qui y était mentionnée.

En conséquence, il est jugé que la SCI ne saurait prétendre irrégulière la procédure suivie au motif qu'en violation des dispositions de l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, elle n'aurait pas eu accès, à ce stade, aux mêmes éléments que ceux pris en considération par l'administration fiscale et que celle-ci se serait abstenue de dresser une liste exhaustive des pièces consultées lors de l'exercice de son droit de communication auprès de l'autorité judiciaire.

Sur le fond, sont rejetées les prétentions de la demanderesse tant en ce qui concerne le bien-fondé des rappels de TVA que pour ce qui regarde les pénalités infligées.

(21 septembre 2020, M. X., n° 429487)

 

43 - Impôts sur les revenus et bénéfices - Régime des plus-values immobilières - Vente sur licitation - Calcul de la durée de détention du bien en vue de l'abattement (art. 150 VC du CGI) - Annulation partielle.

L'héritier d'un bien immobilier en indivision, reçu pour l'essentiel d'une vente sur licitation (laquelle met fin à l'indivision en vertu des dispositions de l'art. 883 C. civ.), conteste les conditions de calcul de la plus-value imposable qu'il a réalisée lors de la vente de ce bien.

Il convient d'indiquer la chronologie des actes pour la bonne compréhension de cette affaire.

Le bien dont la plus-value de cession est l’objet du litige appartenait initialement à M. B. décédé le 23 août 1998 et a été alors inclus dans l'indivision successorale dont était membre, pour 1/8ème, la tante de cette personne. A la suite du décès de cette dernière, en 2003, puis de son époux, en 2007, M. X., leur fils, est devenu titulaire par voie de succession, de même que chacun de ses sept frères et sœurs, d'1/64ème des parts de l'indivision successorale de M. B. Aux termes d'un acte authentique reçu le 29 avril 2010, l'ensemble des autres titulaires de droits indivis sur l'immeuble en litige a cédé à M. X., à titre de licitation faisant cesser l'indivision, les 63/64èmes qu'ils possédaient. Enfin, ce dernier a cédé ce bien le 28 juin 2012.

Se posait la question de la détermination du montant imposable de la plus-value réalisée lors de cette cession.

Selon le juge, il convient de distinguer deux fractions.

S'agissant des 63/64èmes de l'immeuble, leur acquisition par l'un des héritiers indivisaires ayant eu lieu par licitation, celle-ci a mis fin à l'indivision successorale. La licitation ayant un effet déclaratif (art. 883 C. civ.), la date d'acquisition à prendre en compte est celle du 23 août 1998, date du décès de M. B., cette date constituant donc le point de départ de la durée de détention à prendre en compte pour déterminer l'abattement à lui appliquer ainsi que la valeur de l'immeuble pour le calcul de la plus-value en litige. Sur ce point la cour administrative d'appel n'a commis aucune erreur de droit.

S'agissant du 1/64ème restant de l'immeuble, l'effet déclaratif de la licitation ne joue pas puisque cette part a été acquise par M. X., d'abord en nue-propriété à titre gratuit par voie successorale du fait du décès de sa mère en 2003, puis en pleine propriété lors du décès de son père en 2007. Il s'ensuit que le point de départ du délai de calcul de la plus-value dégagée lors de la vente de cette part ne peut être, contrairement à ce qu'a jugé la cour, la même date que celle à retenir pour les 63/64èmes autres parts.

(9 septembre 2020, ministre de l'action et des comptes publics, n° 436712)

 

44 - Location ou affermage de biens immeubles - Régime de TVA applicable - Art. 135 et 137 de la directive du 28 novembre 2006 - Marge de manœuvre des États - Exclusion de cette marge des exonérations prévues au 1 de l'art. 135 - Choix de soumettre à la TVA certains seulement des locaux loués dans un immeuble - Faculté d'option du propriétaire - Rejet.

Le litige portait sur la possibilité, pour une société propriétaire d'un immeuble dont elle loue les divers locaux, de n'opter pour une soumission des loyers à la TVA que pour certains de ces locaux seulement. L'administration soutenait que tous les loyers procurés par tous les locaux d'un même immeuble appartenant à un propriétaire donné devaient être assujettis à la TVA même si l'option en faveur de cette soumission n'avait été expressément exercée que pour certains d'entre eux.

Le Conseil d'État entérine l'arrêt de la cour administrative d'appel en se fondant sur la jurisprudence communautaire (CJCE 12 janvier 2006, Turn- und Sportunion Waldburg contre Finanzlandesdirektion für Oberösterreich, n° C-246/04) qui, si elle autorise les États membres à préciser, dans leur droit interne, la portée et les conditions du droit d'option institué à l'art. 137 de la directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, leur interdit de subordonner à des conditions ou de restreindre de quelque manière que ce soit les exonérations prévues par le 1 de l'article 135, leur réservant seulement la faculté d'ouvrir aux bénéficiaires de ces exonérations, la possibilité d'opter eux-mêmes pour la taxation, s'ils estiment que tel est leur intérêt. 

Il s'ensuit donc qu'en l'espèce la société, qui louait plusieurs locaux d'un même immeuble et qui avait très précisément identifié dans sa déclaration d'option ceux de ces locaux dont elle voulait voir les loyers assujettis à la TVA, ne pouvait être contrainte d'assujettir tous ses locaux à cet impôt contrairement à ce que soutenait l'administration fiscale.

Le pourvoi du ministre est rejeté.

(9 septembre 2020, ministre de l'action et des comptes publics, n° 439143)

 

45 - Droit fiscal - Évaluation d'office - Régime de contestation de cette évaluation - Principe de la responsabilité personnelle - Principe de l'individualisation des peines - Absence d'atteinte - Rejet de la demande de renvoi d'une QPC.

La société requérante entendait voir déclarées inconstitutionnelles les dispositions de l'article 1732 du code général des impôts et de l'article L. 74 du livre des procédures fiscales en ce que ces dispositions, d'une part, en prévoyant l'infliction d'une amende fiscale dans le cas où l'opposition à contrôle fiscal ayant permis l'établissement de l'impôt selon la procédure d'évaluation d'office est le fait d'un tiers, elles méconnaissent le principe de responsabilité personnelle en matière pénale et, d'autre part,  faute de toute possibilité de moduler la sanction en fonction du comportement du contribuable ou de la gravité du manquement, elles méconnaissent le principe d'individualisation des peines.

Pour refuser le renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité et éviter ainsi la censure des dispositions contestées, le Conseil d'État en donne une interprétation très constructive.

En premier lieu, il est jugé que ces dispositions ne peuvent pas être interprétées comme autorisant l'administration à mettre la pénalité prévue par l'article 1732 CGI, qui vise à sanctionner l'opposition à contrôle fiscal, à la charge du contribuable lorsque celui-ci n'a pas pris personnellement part à l'opposition au contrôle. En effet, en cas d'opposition à contrôle fiscal qui serait exclusivement le fait d'un tiers, la pénalité précitée ne peut pas être mise à la charge du contribuable dont les bases ont été évaluées d'office.

En second lieu, il est jugé que pour chaque sanction prononcée, la juridiction saisie, qui a l'obligation d'exercer son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, peut décider soit de maintenir la pénalité, soit d'en dispenser le contribuable notamment si ce dernier n'a pas pris personnellement part à l'opposition au contrôle.

L'interprétation ainsi donnée des textes litigieux permet de considérer qu'ils ne portent pas atteinte aux principes de responsabilité personnelle et d'individualisation des peines, ce qui entraîne le rejet de la demande de renvoi de la QPC.

(28 septembre 2020, Société Artelim, n° 438028)

 

46 - Fait générateur de l'élément imposable - Fait générateur de l'impôt - Distinction - Absence de rétroactivité inconstitutionnelle de la loi - Refus de transmission d'une QPC.

Le demandeur en QPC soutenait l'inconstitutionnalité des dispositions du 3° du V-A de l'article 8 de la loi du 30 décembre 2017 en ce qu'elles rendent applicable à des cessions réalisées au cours de l'année 2017, antérieurement à leur entrée en vigueur, la hausse de contribution sociale généralisée de 1,7 point prévue par le b du 6° du I de l'article 8 de cette loi.

Cette requête était vouée immanquablement au rejet en raison d'une distinction classique du droit fiscal entre le fait générateur de l'élément taxable et le fait générateur de l'impôt.

En l'espèce, la cause de l'imposition était la plus-value dégagée par la cession de droits sociaux réalisée au cours de l'année 2017, donc antérieurement à loi du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018. Le requérant demandait que lui soit appliqué le taux en vigueur à la date de cession et non celui arrêté à la fin de cette même année. Rejetant la demande, le Conseil d'État rappelle que « si le transfert de propriété constitue le fait générateur de la plus-value, le fait générateur de l'imposition de la plus-value intervient le 31 décembre de l'année de réalisation du revenu. » D'où le rejet opposé au redevable.

Pour constant que soit ce principe, il n'en est pas moins hautement critiquable et facteur, à la fois, d'insécurité juridique et de trouble dans l'usage de la liberté puisque des décisions sont prises sous l'empire d'une législation dont rien ne garantit qu'elle sera appliquée au cas de l'espèce.

On peut craindre de voir ce principe déraisonnable tomber sous la critique de la Cour EDH.

(28 septembre 2020, M. X., n° 440954)

 

Droit public économique

 

47 - Aménagement commercial - Autorisation administrative de création d'un ensemble commercial - Absence d'intérêt direct et personnel à agir - Absence d'atteinte à la concurrence - Rejet.

Les requérantes demandaient la cassation de l'arrêt d'appel ayant rejeté leur recours contre la décision par laquelle la Commission nationale d'aménagement commercial a rejeté leur recours contre la décision de la commission départementale d'aménagement commercial des Pyrénées-Orientales refusant de retirer sa décision autorisant des sociétés à créer un ensemble commercial d'une surface de vente de 12 798 m² à Perpignan.

Rejetant le pourvoi, le Conseil d'État confirme, tout d'abord, l'arrêt contesté en ce qu'il a estimé que ni la qualité de propriétaire bailleur de locaux commerciaux, ni la qualité de propriétaires de terrains situés à proximité immédiate du projet ne suffisent, à elles seules, à conférer un intérêt personnel, direct et certain à contester une autorisation d'exploitation commerciale.

Ensuite, sur le fond, il a estimé que la cour avait suffisamment motivé son arrêt en jugeant souverainement et sans dénaturation, d'une part, que le commerce d'équipement mobilier devant être créé n'était pas susceptible de concurrencer un commerce d'articles de sport exercé par la société locataire de l'une des requérantes, et, d'autre part, que les difficultés de desserte routière alléguées n'étaient pas de nature à affecter l'activité de bailleur des sociétés requérantes.

(21 septembre 2020, Société L'avenir en Europe-Lotissement, société RG Investissements et société SCI Les roses, n° 427941)

 

48 - Agriculture - Autorisation préfectorale d'exploiter des terres - Annulation contentieuse après commencement de leur exploitation - Obligations s'imposant au préfet lors de l'examen de la seconde demande d'autorisation d'exploitation - Annulation de l'arrêt d'appel.

Dans une formulation de principe, le Conseil d'État décide que  : « Lorsqu'une autorisation d'exploiter des terres a fait l'objet d'une annulation par le juge administratif après que l'exploitant a pu les exploiter en vertu de cette autorisation, il appartient à l'autorité préfectorale, à nouveau saisie de la demande présentée par le candidat et des modifications que ce dernier est susceptible d'y apporter, de statuer en considération des éléments de droit et de fait prévalant à la date à laquelle intervient sa nouvelle décision, sans pouvoir tenir compte, quel que soit le motif de l'annulation contentieuse, de l'exploitation effectuée sur la base de l'autorisation annulée. Il en va notamment ainsi dans le cas particulier où la décision préfectorale n'est annulée que pour une partie des terres dont elle autorisait l'exploitation, l'autorité préfectorale, à nouveau saisie de la demande en tant qu'elle porte sur ces terres, n'ayant pas à tenir compte de ce que, le cas échéant, une exploitation a pu légalement débuter sur le reste des terres dont l'exploitation était autorisée. »

En conséquence est annulé pour erreur de droit l'arrêt qui se place à des dates différentes pour apprécier la légalité de la décision litigieuse d'autorisation d'exploitation, en estimant que la légalité de l'autorisation devait être appréciée au vu des circonstances de droit en vigueur à la date de cette décision et celle des circonstances de fait en vigueur à la date du dépôt initial de la demande d'autorisation.

(28 septembre 2020, M. X., n° 422400)

 

Droit social et action sociale

 

49 - Droit de l'Union européenne - Libre circulation des travailleurs - Droit de la sécurité sociale - Principe d'interdiction de versement, par un travailleur, de contributions à fonds perdus au financement d'un régime national de sécurité sociale - Application à des cotisations qualifiées "impôts" - Champ d'application de l'art. 45 du TFUE - Rejet.

Un couple franco-italien de retraités du CERN (Organisation européenne pour la recherche nucléaire qui est une organisation internationale) - dont le siège est à Meyrin dans le canton de Genève (Suisse) et dont les installations chevauchent la frontière franco-suisse -  résidant en France, conteste son assujettissement à la contribution sociale généralisée, à la contribution au remboursement de la dette sociale, au prélèvement social, à la contribution additionnelle à ce prélèvement et au prélèvement de solidarité sur les revenus de leur patrimoine, correspondant à des rentes viagères à titre onéreux et des revenus de capitaux mobiliers perçus par l’époux. Leur recours, rejeté en première instance, est accueilli en appel à la seule exception du prélèvement de solidarité.

Le ministre de l'économie se pourvoit contre cet arrêt et les défendeurs forment un pourvoi incident s'agissant du prélèvement de solidarité. L'ensemble est rejeté.

Dans cette longue et importante décision le juge rappelle que le principe de libre circulation des travailleurs entre les États de l'Union a, notamment, pour corollaire, aux termes du 1. de l'art. 45 du TFUE, « l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail ». Cet article est jugé, conformément à la jurisprudence de la CJUE, applicable tout à la fois, d'une part, à un ressortissant de l'Union européenne travaillant dans un État membre autre que son État membre d'origine et ayant accepté un emploi dans une organisation internationale et, d'autre part, à des personnes à la retraite, cette dernière situation résultant de relations de travail relevant de la protection de l'art. 45 précité.

Semblablement la circonstance que le litige porte sur des "impositions" qualifiées telles par la législation française, n’empêche pas que leur soit opposé le droit européen dérivé régissant le domaine de la sécurité sociale. A cet égard la qualification des cotisations litigieuses comme impôt et non comme cotisation sociale est sans effets.

Également, le juge donne une large extension au principe selon lequel une réglementation nationale en matière de sécurité sociale n'est conforme au droit de l'Union, dans le cas où son application est moins favorable, que pour autant que, notamment, cette réglementation nationale ne désavantage pas le travailleur concerné par rapport à ceux qui exercent la totalité de leurs activités dans l'État membre où elle s'applique et qu'elle ne le conduit pas purement et simplement à verser des cotisations sociales à fonds perdus. C'est donc à bon droit que la cour administrative d'appel a jugé que l'assujettissement des intéressés aux diverses cotisations susrappelées - sauf au prélèvement de solidarité - constituait bien une contribution à fonds perdus au financement d'un régime national de sécurité sociale dont ils ne relèvent pas en raison de leur affiliation au régime de retraite du CERN.

Enfin, c'est à bon droit que la cour a estimé que l'assujettissement des intéressés au prélèvement de solidarité n'était, lui, pas irrégulier car l'affectation de ce prélèvement, fixée par le IV de l'article 1600-0 S du CGI, donnait à cette contribution vocation à financer le fonds national d'aide au logement, le fonds national des solidarités actives et le fonds de solidarité. Or ces prestations, eu égard aux risques qu'elles avaient vocation à couvrir et aux modalités de leur attribution, soit correspondaient à des prestations d'assistance et non à des prestations de sécurité sociale soit ne pouvaient être regardées comme relevant d'une branche de sécurité sociale. Par suite, son paiement ne se heurte pas à la prohibition découlant de l'art. 45 du TFUE.

(9 septembre 2020, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 432985)

(50) V. aussi, voisin quoique portant sur une question différente (régime de la retenue à la source des sommes payées par un débiteur, qui exerce une activité en France, à des personnes ou des sociétés relevant de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés, qui n'ont pas dans ce pays d'installation professionnelle permanente : art. 182 B CGI) : 9 septembre 2020, SAS Damolin Etrechy, n° 434464.

 

51 - Exercice d'un travail dissimulé - Sanction du donneur d'ordre - Sanction prétendue disproportionnée - Invocation impossible de la Convention EDH - Rejet.

L'art. L. 133-4-5 du code de la sécurité sociale sanctionne le manquement par un donneur d'ordre aux obligations de vigilance ou de diligence mises à sa charge en matière de recours au travail dissimulé en le privant des réductions ou exonérations des cotisations ou contributions dont il a pu bénéficier au titre des rémunérations versées à ses salariés, cette sanction ne pouvant excéder 15 000 euros pour une personne physique et 75 000 euros pour une personne morale.

Sanctionnée dans ces conditions, la société requérante soutenait que ce texte institue une sanction disproportionnée et méconnaît pour ce motif les stipulations de l'art. 6 § 1 de la Convention EDH.

Le Conseil d'État rejette ce moyen car il est inopérant en ce qu'il porte, non sur le contrôle juridictionnel auquel est soumise cette sanction administrative, mais sur l'existence de la sanction elle-même.

(28 septembre 2020, Société Autolille, n° 428206)

 

52 - Salariée protégée - Transfert du contrat de travail d'un salarié protégé d'une entreprise à une autre - Décision de l'inspection du travail - Recours hiérarchique au ministre - Salariée prenant acte de la rupture de son contrat de travail - Effets en fonction du sens de la décision du ministre - Rejet.

Cette décision est intéressante à un double titre.

En premier lieu, elle rappelle que les dispositions de l'art. L. 122-1 du CRPA qui énumèrent les décisions ne pouvant intervenir « qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales » est applicable dans la procédure d'autorisation de licenciement ou de transfert d'un salarié protégé.

En second lieu, lorsque le salarié protégé auquel a été proposé un transfert de son emploi d'une société à une autre, a "pris acte" de la rupture de son contrat de travail entre le jour où une autorisation favorable à son transfert a été donnée par l'inspection du travail et celui où le ministre, saisi d'un recours hiérarchique, doit se prononcer, ce dernier ne peut que confirmer la décision de l'inspecteur ou, s'il l'estime illégale, l'annuler. Dans le cas d'espèce, la prise d'acte de la rupture par la salariée prive d'objet la demande de son transfert et donc le recours hiérarchique.

(21 septembre 2020, Société BM Environnement, n° 425216)

 

53 - Contentieux sociaux - Aide individuelle à la formation - Nature du contentieux - Contentieux de la pleine juridiction et non de l'excès de pouvoir - Cassation sans renvoi, le juge statuant au fond.

Méconnaît l'office de la juridiction saisie et commet une erreur de droit le jugement qui estime que le recours dirigé contre le refus de Pôle emploi d'accorder une aide individuelle à la formation relève du contentieux de l'excès de pouvoir. En effet, lorsqu'il statue sur un recours dirigé contre une décision par laquelle l'administration détermine les droits d'une personne en matière d'aide ou d'action sociale, de logement ou au titre des dispositions en faveur des travailleurs privés d'emploi, le juge administratif statue en qualité de juge de plein contentieux.

(28 septembre 2020, Mme X., n°429026)

 

Élections

 

54 - Référendum sur l'accession de la Nouvelle-Calédonie à l'indépendance - Réglementation des graphismes et symboles utilisés sur les affiches et les circulaires - Absence de l'interdiction traditionnelle d'utiliser l'emblème national ainsi que les trois couleurs de celui-ci - Rejet de la demande de suspension.

Le juge des référés du Conseil d'État, qui statue en l'espèce en formation collégiale, était saisi d'une demande de suspension de certaines dispositions du décret du 24 juin 2020 relatif à la seconde consultation sur l'accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie en ce qu'elles ne confient pas à la commission de contrôle du scrutin  le contrôle du respect de l'interdiction sur les affiches et circulaires ayant un but ou un caractère électoral, de l'utilisation de l'emblème national ainsi que de la juxtaposition des trois couleurs : bleu, blanc et rouge dès lors qu'elle est de nature à entretenir la confusion avec l'emblème national, à l'exception de la reproduction de l'emblème d'un parti ou groupement politique (art. R. 27 du code électoral). Les requérants y voient un risque d'inéquité du fait que les adversaires de l'indépendance ne manqueront pas de s'approprier ces couleurs et symboles.

Le juge rejette l'argumentation pour deux motifs.

D'abord, selon ses propres termes, il estime que si le décret attaqué ne rend pas applicable ces dispositions, ne prohibant ainsi pas de manière générale l'utilisation de l'emblème national ou la juxtaposition des trois couleurs, il prévoit néanmoins que les graphismes ou symboles utilisés ne doivent pas leur conférer un caractère officiel et confie à la commission de contrôle le soin de s'assurer que l'éventuelle utilisation des couleurs de l'emblème national ou de celui-ci, leur place dans les documents, le graphisme ou les symboles qui les accompagnent ne sont pas susceptibles de créer une confusion, dans l'esprit des électeurs, entre les utilisateurs de cet emblème et les institutions de l'État, chargées d'organiser de manière neutre et loyale le processus électoral. 

Ensuite, et d'une façon originale qui sera diversement appréciée, il considère  que le reproche fait au décret litigieux de comporter une erreur de droit et une erreur de fait en ce qu'il estime que sera de nature à favoriser l'inéquité du débat électoral en raison de la possibilité d'utiliser les couleurs de l'emblème national n'est pas fondé car il sera tout aussi possible aux partisans de l'accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté d'utiliser les couleurs des signes identitaires de Kanaky-Nouvelle-Calédonie.

(ord. réf., format. coll., 1er septembre 2020, M. X. et autres, n° 443429)

 

Environnement

 

55 - Référé suspension - Chasse à la tourterelle des bois - Arrêté ministériel autorisant un certain quota de prélèvement - Urgence - Principe de précaution et doute sérieux - Annulation.

Le juge ordonne la suspension de l'exécution de l'arrêté du ministre de la transition écologique et solidaire du 27 août 2020 relatif à la chasse de la tourterelle des bois en France métropolitaine pour la saison 2020-2021.

D'une part, il lui apparaît qu'existe une urgence, l'arrêté étant applicable du 29 août 2020 au 20 février 2021.

D'autre part, le juge déduit l'existence d'un doute sérieux du fait de la réunion de plusieurs circonstances conduisant à appliquer ici le principe de précaution : la tourterelle des bois est une espèce en déclin, le nombre ayant diminué de 80% entre 1980 et 2015; engagement pris par la France dans le cadre du « plan d'action international pour la conservation de la tourterelle des bois » adopté en 2018 par les États signataires de l'accord sur la conservation des oiseaux d'eau migrateurs d'Afrique-Eurasie (AEWA), auquel l'Union européenne est partie et qu'elle met en œuvre par la directive du 30 novembre 2009 ; préconisation du comité d'experts sur la gestion adaptative (CEGA) (art. D. 421-51 code env.) ; absence de données actuelles de la part des pouvoirs publics ; mise en demeure adressée à la France, le 25 juillet 2019, par la commission européenne ; exigence d'un quota de capture égal à zéro.

(ord. réf. 11 septembre 2020, Ligue pour la protection des oiseaux, n° 443482 Association One Voice, n° 443567)

 

Fonction publique et agents publics

 

56 - Agent public contractuel - Radiation des cadres de 1989 à 1995 prétendue illégale - Demande de prise en compte de cette période pour le calcul de la pension civile de retraite - Refus - Rejet.

Un agent, recruté par contrat par le ministère de la coopération pour exercer les fonctions d'économiste de la production agricole au sein de l'association inter-gouvernementale pour le développement de la riziculture en Afrique de l'Ouest, a été radié des effectifs de ce ministère en 1989 en raison de la cessation de l'assistance technique française au sein de cette association inter-gouvernementale. Estimant cette décision irrégulière au motif qu'il remplissait les conditions lui donnant vocation à être titularisé sur le fondement de l'article 74 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État, il a saisi le tribunal administratif aux fins d'obtenir l'indemnisation des préjudices résultant pour lui de cette radiation. Par suite de la conclusion avec le ministère concerné, en juillet 1995, d'un protocole d'accord à cet effet, il a été indemnisé des préjudices invoqués et s'est désisté de l'action introduite devant le tribunal administratif.

Estimant que la période 1989-1995 devait être incluse dans le calcul de ses droits à pension civile de retraite, il a contesté le refus opposé à cette dernière demande.

Le tribunal administratif a rejeté sa demande en relevant qu'il ne justifiait pas durant cette période de services effectifs au sens des dispositions du 1°/ de l'art. L. 5 du code des pensions civiles et militaires de retraite, qu'il s'agisse de services accomplis en qualité de fonctionnaire ou de stagiaire ou de services d'auxiliaire, de temporaire, d'aide ou de contractuel.

Cette solution est approuvée par le Conseil d'État qui, en conséquence, rejette le pourvoi.

(9 septembre 2020, M. X., n° 418925)

 

57 - Fonctionnaire territorial - Sanction disciplinaire - Pouvoir de contrôle du juge - Étendue du contrôle du juge de cassation sur la décision juridictionnelle rendue en matière disciplinaire.

Le requérant, qui exerçait les fonctions de gardien d'un parc municipal, est révoqué de ses fonctions suite à sa condamnation à un an de prison avec sursis pour détention non autorisée d'une arme et de munitions de première catégorie. Sur recours de l'intéressé le tribunal administratif annule la sanction mais sur appel de la commune le jugement est annulé et la sanction validée.

Le Conseil d'État confirme en tous points l'arrêt d'appel, qui nous semble bien sévère et de motivation incertaine. C'est l'occasion pour lui de rappeler l'étendue du contrôle exercé par le juge de cassation sur les jugements et arrêts rendus en matière disciplinaire.

D'une part, le juge de cassation exerce un contrôle de qualification juridique sur le caractère fautif des faits reprochés, d'autre part, l'appréciation du caractère proportionné de la sanction au regard de la gravité des fautes commises relève, pour sa part, de l'appréciation des juges du fond et n'est susceptible d'être remise en cause par le juge de cassation que dans le cas où la solution qu'ils ont retenue quant au choix, par l'administration, de la sanction, est hors de proportion avec les fautes commises.

(9 septembre 2020, M. X., n° 422493)

 

58 - Présomption d’imputabilité au service de maladies figurant sur un des tableaux de maladies professionnelles – Présomption applicable aux fonctionnaires à partir de l’ordonnance du 19 janvier 2017 – Inapplicabilité antérieurement à cette date – Invocation d’un principe fondamental reconnu par les lois de la république (PFRLR) – Rejet – Invocation d’un droit constitutionnel à la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles – Refus de transmission d’une QPC.

La veuve d’un fonctionnaire, infirmier dans un établissement de santé et décédé d’un adénocarcinome pulmonaire, conteste le refus des juges du fond de reconnaître l’imputabilité au service de la cause de ce décès au motif que, à l’époque des faits, les dispositions de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale, qui instituent une présomption d'origine professionnelle pour toute maladie figurant dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau, n'étaient pas applicables aux fonctionnaires de la fonction publique hospitalière.

Elle demande au juge de cassation de transmettre une QPC fondée sur ce que cette position méconnaît les droits et libertés que la Constitution garantit car, selon elle, le régime de présomption aurait une valeur constitutionnelle, d'une part en ce qu'il résulterait d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République et, d'autre part, en ce qu'il découlerait du droit constitutionnel à la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles. 

Pour rejeter cette argumentation le Conseil d’Etat relève, d’une part, que le droit des fonctionnaires hospitaliers à bénéficier de la présomption tirée de tableaux professionnels ne se rencontre en réalité « dans aucun texte de la législation républicaine intervenue avant l'entrée en vigueur du Préambule de la Constitution de 1946 » et, d’autre part, que cette absence n’a pas pour effet de priver tout fonctionnaire de son droit à réparation, par l’administration qui l’emploie,  des conséquences dommageables résultant de ceux des accidents ou de celles des maladies imputables au service.

(30 septembre 2020, Mme X., n° 439868)

 

59 - Fonction publique - Fonctionnaire exerçant dans l'entreprise Orange - Agent titulaire d’un mandat syndical bénéficiaire d'une décharge totale de service - Régime de déroulement de carrière - Règles d'avancement - Application du droit commun - Cassation avec renvoi.

Pour garantir aux fonctionnaires exerçant à temps plein une activité de délégué syndical, un déroulement de carrière équivalent à celui des autres fonctionnaires relevant du même statut particulier et pour les prémunir contre des appréciations défavorables qui pourraient être liées à l'exercice de leur mandat syndical, l'art. 59 de la loi du 11 janvier 1984 a prévu la prise en compte de l'avancement moyen constaté pour l'ensemble des autres fonctionnaires relevant du même statut particulier que l'agent exerçant les fonctions syndicales.

En l'espèce, un cadre supérieur d'Orange (dont l'emploi relève du décret du 26 mars 1993), qui a conservé sa qualité de fonctionnaire, antérieure à la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et à France Télécom, a sollicité une promotion « à titre syndical » sur un emploi supérieur de premier niveau et l'accès à ce titre au premier échelon fonctionnel de son grade. Cette demande lui a été refusée et son recours en annulation a été d'abord rejeté par le tribunal administratif, puis, sur son appel, la cour administrative d'appel, se fondant sur les dispositions susrappelées de l'art. 59 de la loi du 11 janvier 1984, a annulé ledit jugement ainsi que la décision refusant l'avancement demandé et enjoint à la société Orange de procéder au réexamen de la demande de l'intéressé tendant à accéder aux échelons fonctionnels de son grade.

Sur pourvoi d'Orange, le Conseil d'État casse cet arrêt pour erreur de droit car, contrairement à ce qui a été jugé en appel, les dispositions précitées de l'art. 59 « n'ont ni pour objet ni pour effet de soustraire les fonctionnaires concernés aux procédures d'avancement qui s'appliquent à tous les fonctionnaires, ni de leur reconnaître un droit automatique à l'avancement. Elles ne sauraient davantage leur ouvrir un droit à nomination sur un emploi fonctionnel, catégorie dont relèvent les emplois supérieurs régis par le décret du 26 mars 1993, ni un droit d'accès « sur la base de l'avancement moyen » aux échelons fonctionnels qui y sont directement rattachés ».

(25 septembre 2020, Société Orange, n° 431200)

 

60 - Fonction publique territoriale - Exercice du droit syndical - Autorisations d'absence - Régimes distincts selon le niveau de l'organisme concerné (art. 14 et 16 combinés du décret du 3 avril 1985) - Rejet.

Le décret du 3 avril 1985 fixe le régime applicable aux autorisations spéciales d'absence pour l'exercice du droit syndical dans la fonction publique territoriale. Pour contester le refus opposé à ses membres du bénéfice d'une telle autorisation le syndicat requérant se fonde sur les dispositions de l'art. 16 du décret du 3 avril 1985.

Le juge commence par rappeler que les organisations syndicales peuvent désigner comme bénéficiaires des autorisations d'absence des membres des sections locales de ces organisations, dotées d'organes directeurs, pour participer aux réunions des organismes directeurs déterminés par leurs statuts, dans la limite du contingent d'autorisations d'absence sans que puisse y faire obstacle le fait que ces sections sont dépourvues de personnalité juridique.

Cependant, si, en vertu de l'article 16 du décret précité, les syndicats locaux disposent des mêmes droits pour leurs congrès et pour les réunions de leurs organismes directeurs, que ceux prévus pour les réunions d'organes directeurs d'un niveau supérieur, seuls les congrès et réunions des comités directeurs de ces syndicats, et non ceux des sections syndicales qui ont pu être créées au sein des collectivités ou établissements où ces organisations syndicales sont représentées, peuvent donner lieu aux autorisations d'absence hors contingent prévues par l'article 16. 

(ord. réf. 4 septembre 2020, Syndicat autonome de la fonction publique territoriale de la Réunion (SAFPTR), n° 443570)

 

61 - Inspecteur général en service extraordinaire à l'inspection générale de l'administration - Conditions de nomination - Absence d'occupation effective d'un emploi déterminé par les textes - Occupation d'emplois équivalents - Emplois non énumérés limitativement - Rejet.

Le requérant contestait le refus de retenir sa candidature en vue d'une nomination comme inspecteur général en service extraordinaire auprès de l'inspection générale de l'administration et, corrélativement, demandait l'annulation de la nomination d'un autre candidat.

Il était soutenu qu'ayant occupé pendant six ans la fonction de directeur de l'École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers puis, durant cinq ans, celle de chargé de mission auprès de l'inspection générale de l'administration, emplois équivalents à celui de directeur départemental de service d'incendie et de secours de la catégorie la plus élevée, sa candidature aurait du être retenue en vue de sa nomination dans l'emploi pour lequel il s'est porté candidat.

Cependant, le juge relève que le 10° de l'art. 3 du décret du 27 juillet 1995 sur lequel se fonde l'argumentation du requérant exige la nomination effective dans la fonction de directeur départemental de service d'incendie et de secours de la catégorie la plus élevée et ne prévoit nullement qu'il puisse lui être substitué l'exercice de fonctions simplement "équivalentes". Au reste, les règles d'équivalence instituées au III de l'art. 61-1 de la loi du 26 janvier 1984 se limitent à permettre la prise en compte, pour le seul avancement au sein du cadre d'emplois de conception et de direction des sapeurs-pompiers professionnels, des expériences professionnelles acquises par des sapeurs-pompiers professionnels dans le cadre de mises à disposition auprès de l'État ou de ses établissements publics en matière de défense et de sécurité civile. Elles ne sauraient donc être applicables, par analogie, transposition ou extrapolation, à la nomination aux fonctions d'inspecteur général en service extraordinaire à l'inspection générale de l'administration.

(21 septembre 2020, M. X., n° 429471)

 

62 - Fonction publique - CNRS - Attribution d'un avantage - Conditions d'attribution incomplètement définies - Refus d'autoriser un agent à continuer à exercer ses fonctions après avoir atteint la limite d'âge - Étendue du contrôle du juge sur une telle décision - Contrôle de la seule erreur manifeste d'appréciation - Annulation.

En raison de la large marge d'appréciation laissée par la loi n° 84-834 du 13 septembre 1984 (art. 1-1) à l'autorité administrative compétente, la décision par laquelle celle-ci refuse de maintenir un fonctionnaire en activité au-delà de la limite d'âge n'est soumise de la part du juge qu'à un contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation, ce qui caractérise l'existence d'un pouvoir discrétionnaire.

(21 septembre 2020, CNRS, n° 425960) V. aussi n° 2

 

63 - Maître de l'enseignement privé - Indemnité pour démission volontaire en vue de la création d'une entreprise - Régime de calcul et d'attribution de cette indemnité - Rejet.

Le requérant, maître de l'enseignement privé sous contrat, donc agent public, a sollicité le bénéfice d'une indemnité pour démission volontaire en vue de créer une entreprise. Estimant erroné le montant arrêté par le rectorat de son académie et qui lui a été versé, il a saisi le juge administratif d'un recours en se fondant sur les dispositions de circulaires venues combler certaines lacunes relatives à la détermination de cette indemnité existant dans le décret du 17 avril 2008 qui l'institue et qui n'avait fixé qu'un plafond et indiqué sa modulation possible en fonction de l'ancienneté de l'agent.

L'administration avait appliqué un taux de 30% au plafond. La cour administrative d'appel avait rejeté le recours de l'intéressé au motif qu'il s'agissait là d'un taux non entaché d'erreur manifeste d'appréciation.

Le Conseil d'État estime qu'en se bornant à appliquer mécaniquement le décret sans tenir compte des circulaires le complétant dans ses lacunes, la cour a commis une erreur de droit.

Cependant, alors que le requérant avait interrogé l'administration et reçu une information sur ce taux, par une décision du 17 novembre 2014 rendue sous l'empire de la circulaire du 19 mai 2009, il n'a présenté sa démission qu'en janvier 2015 et celle-ci n'a été acceptée qu'en mars 2015, postérieurement à la circulaire du 27 novembre 2014 : c'est donc à bon droit que l'indemnité litigieuse a été liquidée sur le fondement de cette dernière.

(21 septembre 2020, M. X., n° 428683)

 

Hiérarchie des normes

 

64 - Covid-19 - Pouvoirs accordés au premier ministre en matière d'urgence sanitaire en Nouvelle-Calédonie - Compétence sanitaire appartenant, dans ce territoire, en vertu de la loi organique, aux autorités de celui-ci - Renvoi de la QPC alors même qu'elle est dirigée contre une ordonnance non encore ratifiée.

(28 septembre 2020, M. X. et autres, n° 441059). V. sur ce point le n° 93

 

Libertés fondamentales

 

65 - Décision du président de la république - Décision de rapatriement "au cas par cas" d'enfants français se trouvant en Syrie - Incompétence du juge administratif pour connaître des recours dirigés contre des décisions non détachables des relations internationales - QPC - Irrecevabilité – Refus de transmission de la QPC et non admission du pourvoi pour le surplus.

La grand-mère et la mère de deux enfants français se trouvant dans les camps du nord-est de la Syrie ont demandé, en vain, l'annulation de la décision du président de la république, rapportée par la presse le 13 mars 2019, d'organiser " au cas par cas " le rapatriement d'enfants à partir de cette région. Elles saisissent le Conseil d'État d'un pourvoi en vue, à la fois, que soit posée une question prioritaire de constitutionnalité et de contester au fond les rejets qui leur ont été opposés.

Parce que le refus qu'elles ont essuyé était fondé sur l'incompétence manifeste du juge administratif français pour connaître d'un recours dirigé contre des décisions non détachables des relations internationales, elles soulèvent l'inconstitutionnalité des articles  L. 211-1 et L. 211-2 du CJA en tant  qu'ils n'étendent pas la compétence de ces juridictions au contentieux de l'annulation des actes non détachables de la conduite des relations extérieures de la France portant ainsi atteinte au droit constitutionnel à un recours juridictionnel effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Sans surprise, la demande est rejetée car l'exception tirée de la non détachabilité des relations internationales ne résulte pas, à l'évidence, des deux dispositions critiquées.

S'agissant des autres moyens, le pourvoi n'est pas admis au terme de la procédure préalable d'admission prévue à l'art. L. 822-1 du CJA.

Implicitement mais nécessairement, le Conseil d'État a donc vu dans l'annonce présidentielle un acte de gouvernement. Ceci peut être discuté dans la mesure où il ne s'agit que d'une décision unilatérale de la France à l'égard de ses propres ressortissants sans interposition d'une puissance étrangère.

On peut se demander quelle eût été la réponse du Conseil d'État dans le cas où, plus pertinemment, les requérantes auraient soulevé une QPC à l'encontre de la jurisprudence constante du Conseil d'État en matière d'exception de non détachabilité des relations internationales.

(9 septembre 2020, Mmes X. et Y., n° 439520)

 

66 - Étrangers - Demande d'asile - Transfert du demandeur vers l'État responsable de cet examen - Délai - Effets - Rejet.

Le juge du référé liberté du Conseil d'État juge qu'il résulte de la combinaison, d'une part, des dispositions de l'art. 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (refonte), et d'autre part, de celles des art. L. 742-1, L. 742-3 et L. 741-4 du CESEDA, que :

1°/ l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert d'un demandeur d'asile vers un autre État de l'Union a pour effet d'interrompre le délai de six mois, fixé à l'article 29 du règlement précité, au terme duquel l'État requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale,

2°/ que ce délai court à compter de l'acceptation du transfert par l'État requis,

3°/ que ce délai recommence à courir intégralement à compter de la date de notification à l'autorité administrative du jugement du tribunal administratif statuant au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision.

En cette hypothèse, ni un appel ni le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du CJA n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement précité, l'État requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale. 

(ord. réf. 08 septembre 2020, M. X., n° 443654)

 

67 - Étrangers - Demande d'asile - Suspension du versement de l'allocation de demandeur d'asile - Comportement de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) - Succession d'irrégularités - Engagement - pris dans un mémoire en défense - entaché de doute - Condamnation sous astreinte.

Dans cette affaire qui confine le cas d'école, le juge du Conseil d'État relève que : "(qu')il n'est pas contesté par l'OFII, qui l'a expressément confirmé durant l'audience d'appel, que (son) mémoire (en défense) n'a jamais été communiqué (au demandeur). L'OFII a également expressément confirmé durant l'audience d'appel n'avoir, en réalité, produit aucun mémoire en première instance. L'OFII a enfin expressément confirmé lors de l'audience d'appel que les versements d'allocation en janvier avaient été opérés le 5 janvier au plus tard, rendant impossible que, comme l'énonçait l'ordonnance attaquée, un versement intervienne en janvier 2020. Rendue en méconnaissance des droits de la défense et du caractère contradictoire de la procédure, sur le fondement d'un mémoire qui n'a pas été produit et reposant au surplus sur une erreur de fait, l'ordonnance attaquée est entachée de vices de procédure (dont le demandeur) est donc fondé à en demander l'annulation."

Visiblement ulcéré par le comportement de l'OFII, le Conseil d'État, en termes peu amènes, assortit une ordonnance antérieure non exécutée, d'une astreinte à compter du jour où n'aurait pas été versée l'intégralité des sommes dues au titre de l'allocation de demandeur d'asile et avec reprise ensuite du versement régulier mensuel de cette allocation.

(ord. réf. 17 septembre 2020, M. X., n° 438417) V. aussi n° 21

 

68 - Étranger - Mineur isolé - Demande d'admission à l'aide sociale à l'enfance - Obligations s'imposant au président du conseil départemental saisi - Intervention de l'autorité judiciaire (art. 375 c. civ.) - Doutes sur l'état de minorité du demandeur et sur les documents présentés par lui - Office du juge administratif des référés saisi - Rejet.

Une personne se disant mineur isolé et de nationalité bangladaise - qui a également saisi à deux reprises de sa situation le tribunal pour enfants sur le fondement de l'article 375 du Code civil et dont la seconde instance est encore pendante - saisit le juge administratif du référé liberté (L. 521-2 CJA) du refus d'une commune de le prendre en charge, motif pris de ce que sa minorité et son isolement n'étaient pas caractérisés. Ce juge a rejeté sa demande tendant à ce qu'il soit enjoint à la commune de procéder à son hébergement dans une structure agréée au titre de la protection de l'enfance, adaptée à son âge et à la prévention des risques de propagation du Covid-19 et de prendre en charge ses besoins alimentaires, sanitaires et médicaux quotidiens, jusqu'à ce qu'à ce que l'autorité judiciaire ait définitivement statué sur son recours fondé sur les articles 375 et suivants du Code civil. Le Conseil d'État est saisi par voie d'un appel dirigé contre cette ordonnance.

Le Conseil d'État rappelle tout d'abord fermement et complètement les obligations s'imposant en pareille occurrence au département au titre de la protection des mineurs isolés (dispositions combinées des art. 375, 375-3, 4 et 5 du code civil, et L. 221-1, L. 222-5 et L. 223-2 du code de l'action sociale et des familles).

Il indique aussi, au plan procédural, que lorsque le département refuse de saisir l'autorité judiciaire à l'issue de l'évaluation de l'existence éventuelle d'un danger pour la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé ou de ce que seraient gravement compromises les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social, au motif que l'intéressé n'aurait pas la qualité de mineur isolé, l'existence d'une voie de recours devant le juge des enfants par laquelle le mineur peut obtenir son admission à l'aide sociale (art. 375 c. civ.) rend irrecevable le recours formé devant le juge administratif contre la décision du département. Toutefois, il incombe au juge administratif du référé liberté « lorsqu'il lui apparaît que l'appréciation portée par le département sur l'absence de qualité de mineur isolé de l'intéressé est manifestement erronée et que ce dernier est confronté à un risque immédiat de mise en en danger de sa santé ou de sa sécurité, d'enjoindre au département de poursuivre son accueil provisoire ».

En l'espèce, le juge des enfants a ordonné au service compétent du ministère de l'intérieur de procéder à une analyse de la véracité du document produit par l'intéressé, qui a donné lieu, en l'état, à un avis défavorable. Ce même juge, qui ne s'est pas encore prononcé sur la demande du requérant, n'a pas davantage, à ce jour, ordonné l'une des mesures prévues à l'article 375-3 du code civil, notamment en le confiant provisoirement à un service d'aide sociale à l'enfance ainsi que l'article 375-5 du même code le lui permet et que cela lui a été demandé par le conseil de l'intéressé. Il suit de là que le juge des référés du tribunal administratif a, sans erreur de droit ni de fait, pu juger, en l'état de l'instruction et à la date de l'ordonnance du juge du Conseil d'État, que n'existait aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. 

(ord. réf. 22 septembre 2020, M. X., n° 444634)

 

69 - Covid-19 - Obligation de port du masque - Atteinte à la liberté d'aller et de venir - Droit au respect de la liberté personnelle de chacun - Liberté du commerce et de l'industrie - Prix d'acquisition des masques - Rejet de la demande d'annulation d'une ordonnance en référé liberté.

Le juge des référés rejette la requête en référé dirigé contre un arrêté préfectoral rendant le port du masque obligatoire entre 7 heures et 3 heures du matin pour toutes les personnes de 11 ans et plus, pour leurs déplacements sur la voie publique ou dans un lieu ouvert au public sur le territoire de la commune de Toulouse, ainsi que sur les marchés de plein vent, les brocantes, les vides greniers situés dans le département de la Haute-Garonne.

Les libertés invoquées au soutien de sa requête par la demanderesse (liberté d'aller et de venir, droit de chacun au respect de sa liberté personnelle, respect des droits d'autrui et droit au respect de sa vie privée) sont bien des libertés fondamentales.

La mesure prise par le préfet de la Haute-Garonne au vu d'une réactivation de l'épidémie est bien de la nature de celles qui pouvaient l'être ainsi que l'a jugé le tribunal administratif. En effet, cette mesure est, au regard des circonstances de temps et de lieu, nécessaire, proportionnée et adaptée à la lutte contre le Covid-19. En outre, s'il est exact que la nocivité du virus est moindre en plein air que dans des lieux clos, toutes les recommandations des instances sanitaires nationale et internationale rappellent l'exigence impérative du port du masque en plein air lors de la présence d'une forte densité de personnes ou lorsque le respect de la distance physique ne peut être garantie, par exemple en cas de rassemblement, regroupement, file d'attente, ou dans les lieux de forte circulation.

Est, en particulier, rejeté l'argument selon lequel le coût d'acquisition de masques serait dissuasif et, compte tenu du montant des amendes encourues, pousserait les personnes concernées à ne pas sortir de chez elles en violation de leur liberté, les personnes démunies pouvant obtenir à très bref délai une distribution gratuite d'au moins 28 masques.

Enfin, s'agissant des atteintes invoquées pour la première fois en appel (à la pratique sportive, aux sans domicile fixe, aux personnes sourdes ou malentendantes, situations particulières inopinées ou contingentes), leur rejet est fondé soit sur ce que la requérante n'indique pas en quoi elle serait concernée soit sur ce que l'arrêté préfectoral n'avait pas à prévoir toutes les situations y compris les plus singulières car il revient aux agents verbalisateurs d'apprécier dans chaque cas si l'absence de port d'un masque est, dans les circonstances concrètes de l'espèce,  infractive ou pas.

(ord. réf. 14 septembre 2020, Mme X., n° 443904)

 

70 - Retrait d'agrément d'une assistante maternelle (art. L. 2324-1 code de la santé publique) - Absence d'atteinte à une liberté fondamentale - Mesure prévue par la loi et n'étant pas contraire à un engagement international de la France - Irrecevabilité d'une demande en référé liberté (art. L. 521-2 CJA) - Rejet.

L'art. L. 2324-1 du code de la santé publique a institué une procédure d'agrément administratif pour l'exercice de l'activité d'assistant maternel. Les restrictions ainsi apportées en ce domaine à la liberté d'entreprendre, à la liberté du commerce et de l'industrie ou au libre exercice d'une activité professionnelle résultent de la loi elle-même. La mise en œuvre de celle-ci par l'autorité administrative, dans les conditions et pour les motifs prévus par les textes législatifs et réglementaires applicables, y compris en cas de suspension ou de retrait de cet agrément, ne peut être regardée comme portant atteinte à une liberté fondamentale au sens des dispositions de l'article L. 521-2 CJA.

Il n'en irait autrement que s'il était soutenu - ce qui n'est pas le cas en l'espèce - qu'elles seraient manifestement incompatibles avec les engagements européens ou internationaux de la France, ou que leur mise en œuvre entraînerait des conséquences manifestement contraires aux exigences nées de ces engagements.

(ord. réf. 18 septembre 2020, Mme X., n° 443993)

 

Police

 

71 - Covid-19 - Arrêté préfectoral imposant le port du masque dans les lieux publics des communes du département de plus de 10 000 habitants - Injonction de modifier ou de réécrire cet arrêté jugé disproportionné - Confirmation partielle par le juge d'appel.

Le juge des référés de première instance a estimé que l'arrêté préfectoral imposant le port du masque toute la journée dans toutes les communes du département ayant plus de 10 000 habitants était disproportionné dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'il existerait en permanence et sur la totalité du territoire de ces communes une forte concentration de population ou des circonstances particulières susceptibles de contribuer à la propagation du Covid-19. Par suite il a jugé que l’arrêté attaqué portait une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et de venir et au droit de chacun au respect de sa liberté personnelle. Il a, en conséquence, enjoint le préfet de prendre un nouvel arrêté avant le lundi 7 septembre à midi en excluant de l'obligation de port du masque les lieux et les tranches horaires qui ne sont pas caractérisés par une forte densité de population ou par des circonstances locales susceptibles de favoriser la propagation du Covid-19.

Le juge des référés du Conseil d'État réforme partiellement cette ordonnance en en supprimant l'aspect horaire mais la confirme pour le reste, reportant au mardi 8 septembre à midi le terme du délai imparti à l'autorité préfectorale.

(ord. réf. 6 septembre 2020, Ministre des solidarités et de la santé, n° 443750) V. aussi le n° 72

 

72 - Covid-19 - Arrêtés préfectoraux imposant le port du masque dans les lieux publics - Injonction de modifier ou réécrire ces arrêtés jugés disproportionnés - Annulation sauf pour la pratique d'activités physiques ou sportives.

C'est à tort que le premier juge a estimé excessive l'obligation préfectorale du port du masque sur la voie publique et dans les lieux ouverts au public de Lyon et de Villeurbanne en tant qu'elle s'applique toute la journée et sur l'ensemble du territoire de ces communes, sans qu'il résulte de l'instruction qu'il serait nécessaire d'imposer le port du masque d'une façon aussi générale.

En revanche, cette obligation ne saurait être imposée aux personnes pratiquant des activités physiques ou sportives. Le préfet est invité, par cette ordonnance rendue un dimanche en fin d'après-midi (situation banale désormais), à exclure du champ d'application de cette obligation la pratique des activités physiques ou sportives, ses arrêtés modificatifs devant avoir été pris au plus tard le mardi 8 septembre 2020 à midi.

(ord. réf. 6 septembre 2020, Ministre des solidarités et de la santé, n° 443751) V. aussi le n° 71

(73) V. aussi, très voisin et en prolongement chronologique de la décision précédente : ord. réf. 8 septembre 2020, Ministre des solidarités et de la santé, n° 443752.

 

74 - Covid-19 - Obligation, par arrêté préfectoral, de port d'un masque dans un périmètre donné - Requête en référé - Modification postérieure substantielle de l'arrêté - Régime procédural applicable en ce cas (art. L. 522-1 et art. L. 522-3 CJA) - Requête devenue sans objet – Non-lieu à statuer.

(ord. réf. 21 septembre 2020, M. X., n° 443996) V. n° 23

 

75 - Chasse - Autorisation de capture de l'alouette des champs, des vanneaux et pluviers dorés, grives et merles noirs - Importance des populations d'oiseaux concernées - Précautions imposées aux chasseurs - Rejet.

Les demandes de l'association requérante, tendant à la suspension d'arrêtés de la ministre de la transition écologique autorisant la chasse des oiseaux mentionnés dans l'incipit sont rejetées pour défaut d'urgence tant en raison de ce que les éléments avancés par la ministre apparaissent plus convaincants que ceux fournis par la requérante qu'en raison de l'importance des populations d'oiseaux concernées en France au regard du nombre de prélèvements autorisés, du caractère sélectif des méthodes de capture en cause et des précautions imposées aux chasseurs.

(ord. réf. 22 septembre 2020, Association One Voice, n° 443778, 443779, 443781, 443782, 443784 et 443788)

(76) V. aussi, comparable sur le fond mais rejetant le recours dont le juge était saisi s'agissant du refus de la ministre de la transition écologique d'autoriser l'emploi des gluaux pour la capture des grives et des merles destinés à servir d'appelants dans les départements des Alpes-de-Haute-Provence, des Alpes-Maritimes, des Bouches-du-Rhône, du Var et du Vaucluse : ord. réf. 22 septembre 2020, Fédération nationale des chasseurs et Fédération régionale des chasseurs de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, n° 443851.

(77) V. aussi à propos de l'alouette des champs : ord. réf. 22 septembre 2020, Ligue pour la protection des oiseaux, n° 444599.

 

78 - Police de la circulation aérienne - Décisions suspendant la pratique du parachutisme sportif au-dessus d'un aérodrome ouvert à la circulation aérienne publique - Pouvoir de police spéciale du ministre chargé de l'aviation civile - Rejet.

Les décisions par lesquelles le ministre chargé de l'aviation civile suspend l'activité de parachutisme sur l'aérodrome Amiens-Glisy à titre conservatoire relèvent, pour l'aviation civile, d'un pouvoir de police spéciale appartenant au seul ministre chargé de l'aviation civile alors même que la réglementation du parachutisme sportif relève du ministre chargé des sports.

La décision peut surprendre, elle est logique au regard des motifs de la suspension qui tiennent à la protection de la sécurité dans l'utilisation d'un aérodrome et de l'espace qui l'environne.

(25 septembre 2020, Société "Sauter en parachute", n° 433586) V. aussi le n° 7

 

79 - Police des immeubles menaçant ruine - Charge des travaux de démolition - Cas d'une vente d'immeuble en l'état futur d'achèvement - Inapplicabilité de l'art. L. 511-2 du code de la construction et de l'habitation - Cassation avec renvoi.

En principe, les frais de démolition d'édifices menaçant ruine sont à la charge des propriétaires de ces édifices, soit qu'ils procèdent eux-mêmes ou font procéder à cette démolition, soit que, par suite de leur carence, cette démolition est effectuée par la commune. En ce second cas, il faut, préalablement, qu'ait été émis un titre mentionnant les sommes à payer et que les propriétaires aient été mis en demeure.

En l'espèce, les juges du fond avaient approuvé la commune d'avoir fait application de ces dispositions aux propriétaires d'un immeuble vendu en l'état futur d'achèvement mais devenu un danger du fait de son inachèvement par suite de la mise en liquidation judiciaire du promoteur.

Le Conseil d'État censure ce raisonnement car il résulte des dispositions de l'art. 1601-3 du Code civil que si l'acquéreur d'un bien vendu en vertu d'un contrat de vente en l'état futur d'achèvement devient immédiatement propriétaire du terrain et des constructions existantes et propriétaire des ouvrages à venir au fur et à mesure de leur construction, ces mêmes dispositions ne peuvent avoir pour effet de lui transférer, avant la date de réception des travaux, les obligations de réparation ou de démolition incombant à la personne propriétaire d'un édifice menaçant ruine, au sens de l'article L. 511-2 précité, dès lors que, jusqu'à cette date, il ne dispose pas des pouvoirs de maître de l'ouvrage. 

(28 septembre 2020, M. X. et autres, n° 426290)

(80) V. aussi, à propos de la date de détermination de la qualité de propriétaire ou de copropriétaire, débiteur à ce titre du paiement de la créance détenue sur lui par la collectivité publique qui a exécuté d'office des travaux sur son immeuble : 28 septembre 2020, ville de Paris, n° 429980.

 

81 - Police de la circulation - Forfait post-stationnement - Contestation devant être obligatoirement précédée d'un recours administratif préalable - Limites à cette exigence de recours préalable - Annulation.

Il arrive à la réglementation du forfait post-stationnement, censée rendre plus simple et plus rapide la perception et la contestation dudit forfait, la même mésaventure qu'à la loi de 1957 censée améliorer et simplifier le contentieux de la réparation des dommages causés par des véhicules quelconques : la "simplification" tourne au cauchemar en étant la cause d'un développement exponentiel du contentieux suscité par ce malheureux forfait et son tout aussi malheureux régime juridique et contentieux.

Tout d'abord, et c'est le cas général, l'art. L. 2333-87 du CGCT impose au redevable d'un forfait de post-stationnement qui entend contester le bien-fondé de la somme mise à sa charge, de saisir l'autorité administrative d'un recours administratif préalable dirigé contre l'avis de paiement et, en cas de rejet de ce recours, d'introduire une requête contre cette décision de rejet devant la commission du contentieux du stationnement payant. 

Ensuite, lorsqu'aucun paiement n'a eu lieu dans les trois mois et qu'a été émis, en conséquence, un titre exécutoire portant sur le montant du forfait de post-stationnement augmenté de la majoration due à l'État, il est loisible au débiteur de contester ce titre exécutoire devant la commission du contentieux du stationnement payant, qu'il ait ou non engagé un recours administratif contre l'avis de paiement.

Enfin, dans le cadre du litige ainsi introduit, aucune disposition ne fait, par principe, obstacle à ce qu'il conteste, s'il s'y croit fondé, l'obligation de payer la somme réclamée par l'administration.

L'ordonnance du magistrat désigné par le président de la commission du contentieux du stationnement payant, qui a rejeté la requête de l'intéressé, est donc entachée d'erreur de droit en tant qu'elle se fonde sur ce que celui-ci ne pouvait utilement contester l'obligation de payer la somme réclamée par l'administration car une telle contestation met forcément en cause la légalité de l'avis de paiement auquel le titre exécutoire s'est substitué.

(28 septembre 2020, M. X., n° 431565)

(82) V. aussi, largement identiques : 28 septembre 2020, M. X., n° 432434 ; 28 septembre 2020, M. X., n° 432669.

 

Professions réglementées

 

83 - Chirurgien-dentiste - Chirurgien diplômé d'une université portugaise - Inscription au tableau de l'ordre en France - Application du droit de l'Union - Rejet.

Le Conseil d'État rejette le recours formé par la fédération syndicale requérante contre la décision du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes estimant qu'un diplôme obtenu au Portugal permettait l'inscription de son titulaire au tableau de l'ordre en application de la directive du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles, transposées notamment à l'article L. 4141-3 du code de la santé publique, obligeant les États membres à admettre l'équivalence de tels titres de formation.

En outre, en estimant que la circonstance que l'intéressé avait commencé ses études en France et les avait achevées au Portugal ne pouvait faire obstacle, au regard des dispositions précitées, à son inscription au tableau de l'ordre, le Conseil national n'a pas davantage commis d'erreur de droit.

(9 septembre 2020, Fédération des syndicats dentaires libéraux, n° 421772)

 

83 - Vétérinaires - Régime disciplinaire - Demande d'abrogation des dispositions de l'article R. 242-93, des II et IV de l'article R. 242-95 et de l'article R. 242-102 du code rural et de la pêche maritime - Rejet.

Les requérants demandaient l'annulation du refus du ministre compétent d'abroger plusieurs dispositions du décret du 10 avril 2017 portant réforme de l'ordre des vétérinaires et concernant plus spécialement le régime de la procédure disciplinaire. Tous leurs arguments sauf un sont rejetés.

La circonstance qu'il ne soit pas prévu que le président du conseil national de l'ordre des vétérinaires ou le président du conseil régional de l'ordre dans le ressort duquel le vétérinaire a son domicile professionnel administratif doivent être mandatés à cet effet par leurs conseils respectifs est par elle-même dépourvue d'incidence sur le respect du principe des droits de la défense ou du droit à un procès équitable.

Pareillement, la seule circonstance que le président du conseil régional de l'ordre des vétérinaires puisse, en tant que garant des règles déontologiques de l'ordre des vétérinaires, à la fois déclencher une procédure disciplinaire en qualité de plaignant et demander à la juridiction disciplinaire, au cours de l'audience, le prononcé d'une sanction n'est pas, par elle-même, de nature à porter atteinte au principe du respects des droits de la défense et au droit à un procès équitable, dès lors que le président du conseil régional de l'ordre ne siège pas au sein de la chambre régionale de discipline et que le vétérinaire poursuivi bénéficie des garanties rappelées par le décret attaqué.

De la même manière, le principe de la présomption d'innocence n'est pas affecté, d'une part,  par  le fait que les dispositions contestées écartent la procédure de conciliation si le plaignant est un président du conseil de l'ordre, eu égard à l'objet même de cette procédure qui a vocation à favoriser le règlement amiable de litiges entre confrères ou entre un client et un vétérinaire, et, d'autre part,  par les dispositions de l'article R. 242-102 du code rural et de la pêche maritime qui prévoient que le président du conseil de l'ordre est entendu par la chambre régionale de discipline en ses demandes de peines disciplinaires.

Pas davantage ne peuvent être considérées comme méconnaissant les principes d'indépendance et d'impartialité de la juridiction ordinale, ni les dispositions de l'article L. 242-5 du code précité en tant qu'elles décident que la chambre régionale de discipline est présidée par un magistrat de l'ordre judiciaire, désigné par le premier président de la cour d'appel et qu'elle est composée de conseillers ordinaux tirés au sort, qui ne peuvent être du ressort du même conseil régional de l'ordre que le vétérinaire poursuivi., ni le fait que le président du conseil régional ou national de l'ordre des vétérinaires disposerait d'une autorité morale de nature à influencer les membres de la chambre régionale de discipline.

Toutefois, les requérants sont fondés à soutenir que les dispositions de l'article R. 242-95 du code précité, en ce qu'elles prévoient la transmission du rapport au président du conseil régional de l'ordre, alors que les autres parties n'en disposent pas encore, méconnaissent le principe de l'égalité des armes et le droit à un procès équitable.

La décision attaquée, en tant qu'elle refuse de faire droit à l'abrogation de ces dispositions, être annulée dans cette mesure.

(21 septembre 2020, M. X., et SELARL de vétérinaires Les Essarteaux, n° 424360)

 

84 - Médecins - Respect du secret médical - Refus du défunt de voir communiquer son dossier médical à ses enfants - Volonté formelle - Refus du médecin traitant de communiquer ces informations - Violation de règles déontologiques - Absence - Rejet.

Le médecin traitant, après la mort de son patient, avait refusé de communiquer des informations concernant le dossier médical de son père, à sa fille désireuse de connaître les motifs d'une modification de dispositions testamentaires. La plainte déposée par cette dernière contre le médecin traitant ayant été rejetée par les instances ordinales disciplinaires de première instance et d'appel, elle se pourvoit en cassation.

Le pourvoi est rejeté car, d'une part, les obligations déontologiques du médecin envers ses patients ne cessent pas après la mort (réitération de : Assemblée, 2 juillet 1993, A. Milhaud, RFDA 1993, p. 1002 et s., concl. D. Kessler), et, d'autre part, le défunt avait expressément, à deux reprises, oralement, fait défense à son médecin de communiquer des éléments de son dossier médical à ses enfants. Il suit de là qu'en agissant conformément aux dispositions du dernier alinéa de l'art. L. 1110-4 du code la santé publique, le médecin traitant n'a pas commis de faute déontologique et que le conseil de l'ordre statuant en matière disciplinaire n'a pas commis d'erreur de droit en rejetant la plainte dont la requérante l'avait saisi.

(21 septembre 2020, Mme X., n° 427435)

 

85 - Pédicures-podologues - Faculté de renouvellement des prescriptions médicales initiales d'orthèses plantaires (art. L. 4322-1 code santé pub.) - Orthopédistes - Orthésistes - Absence de droit à renouvellement de telles prothèses (art. L. 4364-1 code santé pub.) - Différence de traitement justifiée - Rejet de la QPC.

Est rejetée la demande de transmission d'une QPC tirée de l'inégalité inconstitutionnelle résultant de ce que les dispositions du code de la santé publique autorisent les pédicures-podologues à renouveler les prescriptions médicales initiales d'orthèses plantaires datant de moins de trois ans (art. L. 4322-1 code santé pub.) sans accorder le même droit aux orthopédistes-orthésistes (art. L. 4364-1 code santé pub.), ce qui porterait atteinte tant au principe d'égalité devant la loi qu'à la liberté d'entreprendre et au libre choix du professionnel de santé par le patient.

Le Conseil d'État considère tout d'abord que si les orthopédistes-orthésistes peuvent, comme les pédicures-podologues, délivrer des orthèses plantaires sur mesure ou de série, les seconds sont en outre compétents pour établir un diagnostic de pédicurie-podologie et analyser et évaluer les troubles morphostatiques et dynamiques du pied. Cette différence objective dans la formation et la compétence justifie la différence de traitement par le code précité, d'autant que, d'une part, elle est en rapport direct avec l'objet de la mesure attaquée, et d'autre part, ne revêt point un caractère disproportionné.

Ensuite, le juge note que les dispositions contestées sont sans incidence sur la possibilité pour les patients de s'adresser à l'orthopédiste-orthésiste de leur choix pour la réalisation d'une d'orthèse plantaire.

(23 septembre 2020, Syndicat national de l'orthopédie française, n° 438690)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

86 - Pédicures-podologues - Faculté de renouvellement des prescriptions médicales initiales d'orthèses plantaires (art. L. 4322-1 code santé pub.) - Orthopédistes - orthésistes - Absence de droit à renouvellement de telles prothèses (art. L. 4364-1 code santé pub.) - Différence de traitement justifiée - Rejet de la QPC.

 (23 septembre 2020, Syndicat national de l'orthopédie française, n° 438690) V. n° 85

 

87 - Décision du président de la république - Décision de rapatriement "au cas par cas" d'enfants français se trouvant en Syrie - Incompétence du juge administratif pour connaître des recours dirigés contre des décisions non détachables des relations internationales - QPC - Irrecevabilité - Rejet de la demande de transmission d’une QPC et non admission du pourvoi pour le surplus.

(9 septembre 2020, Mmes X. et Y., n° 439520) V. n° 65

 

88 - Impôts sur plus-values - Plus-value de cession à titre onéreux d'actions, parts ou droits - Report d'imposition - Obligation de remploi de 80 % de la plus-value dans les trois ans - Obligation légale instituée après la cession - Invocation, au soutien d'une QPC, de la violation du principe d'égalité sans justification d'intérêt général - Rejet.

La loi du 28 décembre 2011 a ouvert une option en cas de plus-value de cession à titre onéreux, d'actions, de parts de société ou de droits, permettant d'en solliciter le report d'imposition à condition d'en avoir remployé au moins 80 %, dans les trois ans suivants, dans la souscription en numéraire au capital initial ou dans l'augmentation de capital en numéraire d'une société.

La requérante avait réalisé une plus-value de valeurs mobilières du fait de la cession de titres de société le 21 juillet 2011. Elle invoquait la rupture d'égalité entre redevables d'un même impôt sur le fondement d'une même disposition au soutien de la QPC dont elle demandait au Conseil d'État la transmission au Conseil constitutionnel.

Le Conseil d'État rejette la demande motifs pris, d'une part, de ce que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que des redevables placés dans des conditions différentes soient traités de façon différente, et d'autre part, de ce que la différence n'est pas telle qu'elle constitue une inégalité : alors que les bénéficiaires de plus-values réalisées à partir du 1er janvier 2012 disposent de trois années pour choisir l'option, l'intéressée dispose, elle, de deux années.

Ceci est la conséquence du principe, propre au droit français, selon lequel le fait générateur de l'impôt est apprécié au 1er janvier de l'année du vote de la loi de finances et non de l'année de son entrée en vigueur sauf disposition légale contraire expresse.

(21 septembre 2020, Mme X., n° 441177)

(89) V. identique : 21 septembre 2020, Mme X., n° 440422.

(90) V. aussi, comparable mutatis mutandis, à propos de l'invocation de la violation des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques du chef de l'exonération, au profit de celui-ci, des plus-values réalisées lors de la cessation d'activité d'un exploitant ou d'un associé partant à la retraite : 21 septembre 2020, M. X., n° 440612.

 

91 - Présomption d’imputabilité au service de maladies figurant sur un des tableaux de maladies professionnelles – Présomption applicable aux fonctionnaires seulement à partir de l’ordonnance du 19 janvier 2017 – Inapplicabilité antérieurement à cette date – Invocation d’un principe fondamental reconnu par les lois de la république (PFRLR) – Rejet – Invocation d’un droit constitutionnel à la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles – Rejet d’une QPC.

(30 septembre 2020, Mme X., n° 439868) V. n° 58

 

92 - Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (ACNUSA) - Pouvoir d'infliger des amendes - Amende pour non-respect de procédures de décollage par un aéronef - Amende mise à la charge de la compagnie ayant donné cet aéronef en location à un pilote - Principe selon lequel nul ne peut être puni que de son propre fait – Transmission de la QPC.

Le Conseil d'État juge nouvelle et sérieuse la QPC tirée de ce que les dispositions de l'article L. 6361-12 du code des transports seraient contraires aux art. 8 et 9 de la Déclaration de 1789 car elles permettent à l'ACNUSA d'infliger à une compagnie aérienne une amende pour des nuisances causés par un aéronef loué à un pilote alors que cette compagnie n'est pas l'auteur de l'infraction reprochée et sanctionnée.

La question est donc transmise au Conseil constitutionnel.

(25 septembre 2020, M. X., n° 440014)

 

93 - Covid-19 - Pouvoirs accordés au premier ministre en matière d'urgence sanitaire en Nouvelle-Calédonie - Compétence sanitaire appartenant, dans ce territoire, en vertu de la loi organique, aux autorités de celui-ci - Transmission de la QPC alors même qu'elle est dirigée contre une ordonnance non encore ratifiée.

Cette décision, malgré son caractère subreptice sur ce point, pourrait marquer un tournant - regrettable - de la jurisprudence administrative qui n'admettait pas jusque-là que puisse être soulevée une QPC dirigée contre une ordonnance de l'art. 38 non ratifiée (V. par ex. 3 juillet 2016, Syndicat national des entreprises de loisirs marchands (SNELM) et autres, n° 396170) puisque cette jurisprudence se trouve, ici, abandonnée du moins lorsque cette ordonnance a fait l'objet d'un décret d'application et que c'est dans le cadre d'un recours dirigé contre celui-ci (sic) que la question est soulevée. En l'espèce, il s'agissait de l'ordonnance du 22 avril 2020 adaptant l'état d'urgence à la Nouvelle-Calédonie en insérant au code de la santé publique l'article L. 3841-2. Un projet de loi de ratification de cette ordonnance a été déposé au Sénat le 13 mai 2020. Or le Conseil d'État décide : " Le délai d'habilitation ayant expiré et les dispositions de l'article L. 3841-2 étant intervenues dans des matières qui sont du domaine législatif, la circonstance que l'ordonnance du 22 avril 2020 n'ait pas encore été ratifiée ne fait pas obstacle à ce que, dans le cadre d'un recours dirigé contre un décret pris pour son application, la question de la conformité des dispositions en cause aux droits et libertés garantis par la Constitution soit transmise au Conseil constitutionnel."

Il faut redire, comme dans nos précédentes chroniques, l'illogisme et la nocivité d'une semblable solution.

Sur le contenu de la QPC, il est jugé qu'est nouvelle et sérieuse et donc doit être transmise au Conseil constitutionnel, la question de savoir si, d'une part, en décidant que le chapitre relatif à l'état d'urgence sanitaire et le dispositif de sortie de ce régime s'appliquent en Nouvelle-Calédonie, et d'autre part, en y déclarant l'état d'urgence sanitaire, le législateur a méconnu le caractère irréversible du partage des compétences entre l'État et la Nouvelle-Calédonie prévu par les articles 76 et 77 de la Constitution et organisé par loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle Calédonie. 

(28 septembre 2020, M. X. et autres, n° 441059)

 

94 - Droit fiscal - Évaluation d'office - Régime de contestation de cette évaluation - Principe de la responsabilité personnelle - Principe de l'individualisation des peines - Absence d'atteinte - Rejet de la demande de transmission d'une QPC.

(28 septembre 2020, Société Artelim, n° 438028) V.  n° 45

 

95 - Caractère accessoire de l'action en QPC - Intervention sur QPC impossible sauf si l'intervenant s'est joint à l'action principale - Rejet sur ce point.

Le Conseil d'État applique à l'action en QPC le régime de droit commun de l'intervention : celle-ci n'est possible sur un litige accessoire que si elle porte également sur le litige principal. L'intervention sur une QPC, laquelle n'est qu'un litige accessoire se greffant sur un litige principal, est donc irrecevable si elle ne porte pas en même temps sur le litige principal.

La solution est logique.

(25 septembre 2020, M. X., n° 441546)

 

96 - Taxe forfaitaire sur les objets précieux (art. 150 UA et 150 VI CGI) - Contribuables domiciliés en France - Régime fiscal différent selon que lesdits objets se trouvent en France ou dans un pays de l'Union ou dans un pays situé hors de l'Union – Transmission d'une QPC.

Le Conseil d'État estime nouvelle et sérieuse la question de la conformité à la Constitution des dispositions combinées des articles 150 UA et 150 VI du CGI en tant qu'elles prévoient que, cédant dans le cadre de la gestion de son patrimoine privé un objet précieux (bijoux, objets d'art, de collection ou d'antiquité) physiquement situé, au jour de la cession, sur le territoire d'un État tiers à l'Union européenne, un particulier domicilié en France est imposé de plein droit à l'impôt sur le revenu par application du régime des plus-values sur biens meubles, sans qu'il puisse demander à supporter, en lieu et place, la taxe forfaitaire sur les objets précieux, option qui est, en revanche, ouverte lorsque les biens sont situés en France ou dans un des États de l'UE.

(25 septembre 2020, M. X., n° 441908)

 

97 - Principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales - Transmission des actes au préfet - Transmission au préfet d’un schéma de cohérence territoriale (SCoT) - Régime (cf. art. L.122-11 c. urb.) - Absence d’atteinte au principe susrappelé – Refus de transmettre la QPC.

Dans le cadre d’un litige relatif à l’annulation par les juges du fond de la délibération municipale approuvant un plan local d’urbanisme en tant qu'il avait créé deux emplacements réservés destinés à accueillir des aires de stationnement, la commune défenderesse soulève en cassation une QPC.

Elle soutient que l’art. L. 122-11 du code de l’urbanisme porterait atteinte au principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales. Selon ce texte, la délibération municipale approuvant le schéma de cohérence territoriale ne devient exécutoire que deux mois après sa transmission au préfet et, lorsque le préfet a demandé d'y apporter des modifications, elle ne devient exécutoire qu’à la date de publication et de transmission au préfet de la délibération apportant les modifications demandées. La commune requérante soutient que ces dispositions méconnaissent le principe de libre administration des collectivités territoriales garanti par l'article 72 de la Constitution. C’est l’objet de la QPC qu’elle demande au Conseil d’État de transmettre.

Pour refuser cette transmission, les juges du Palais-Royal développent un raisonnement qui n’est guère convaincant. Selon eux, l’article litigieux poursuivrait un objectif d'intérêt général, consistant à assurer la compatibilité du schéma de cohérence territoriale avec les principes et documents d'urbanisme qu'il mentionne, les plans locaux d'urbanisme devant ensuite être compatibles avec le schéma. Or le pouvoir reconnu au préfet, sous le contrôle éventuel du juge, ne porte pas à la libre administration des collectivités territoriales une atteinte qui excèderait la réalisation de l'objectif d'intérêt général poursuivi.

L’objet même de la réforme de 1982 a précisément été d’empêcher toute subordination de la mise en œuvre des actes locaux transmis au préfet à un quelconque délai laissé à ce fonctionnaire pour apprécier la légalité des actes transmis.

Cette jurisprudence prend l’exact contrepied de l’intention formelle du législateur.

(30 septembre 2020, Commune de Belz, n° 428319)

 

98 - Forfait post-stationnement (art. L. 2333-87, L. 2321-3, L. 2321-3-1 et L. 2321-7-1 du CGCT) – Mise à la charge des personnes morales du paiement du forfait – Cas d’une société de louage de véhicules – QPC soulevée pour atteinte à divers principes garantis par la Déclaration de 1789 – Refus de transmettre.

La requérante demandait la transmission d’une QPC au Conseil constitutionnel car les dispositions susénoncées  porteraient atteinte à plusieurs des droits garantis par la Déclaration du 26 août 1789 en ce qu'elles prévoient que le débiteur du forfait de post-stationnement et de sa majoration éventuelle est le titulaire du certificat d'immatriculation du véhicule, c'est-à-dire son propriétaire lorsque ce dernier est une personne morale, sans permettre aux sociétés qui ont une activité de location de courte durée des véhicules dont elles sont propriétaires de s'exonérer du paiement de la somme réclamée en communiquant à l'administration les coordonnées du locataire du véhicule.

Pour rejeter cette requête le Conseil d’État réfute les divers arguments avancés au soutien de la demande de transmission.

Tout d’abord, ce forfait est une redevance d'occupation du domaine public qui doit être acquitté lorsque celle-ci n'a pas été payée dès le début du stationnement. Il n’a donc pas le caractère d'une indemnité qui viserait à réparer un dommage causé par une faute de celui qui doit l'acquitter. Par suite, il ne porte pas atteinte au principe constitutionnel selon lequel nul ne peut s'exonérer de sa responsabilité personnelle, garanti par l'article 4 de la Déclaration de 1789.

Ensuite, il n’est pas non plus porté atteinte à ce même principe de responsabilité par le fait que la personne morale propriétaire du véhicule est, en sa qualité de titulaire du certificat d'immatriculation, débitrice du forfait de post-stationnement y compris de sa majoration en l'absence de paiement de ce forfait dans les délais légaux. Au reste, il est loisible au propriétaire du véhicule de répercuter contractuellement sur le locataire les sommes dont il s'est acquitté.

Également, ne sauraient invoqués ni le principe d'égalité devant la loi ni celui de l'égalité devant les charges publiques (art. 6 et 13 de la Déclaration de 1789) car les propriétaires de véhicules qui exercent une activité de location se trouvent dans une situation différente de celle des autres propriétaires titulaires de certificat d'immatriculation.

Encore, il n’est pas davantage porté atteinte au droit à recours effectif des propriétaires de véhicules servant à leur location, d’une part car ils ont la possibilité de contester le forfait de post-stationnement et sa majoration en saisissant la commission du contentieux du stationnement payant, et d’autre part, car ils peuvent prévoir, le cas échéant, de recueillir tous éléments justificatifs auprès du locataire.

Enfin, le forfait litigieux ne constitue point une sanction et son institution ne porte, par suite, par elle-même, pas atteinte aux principes des droits de la défense et de personnalité des peines garantis par l'article 8 de la Déclaration de 1789 tout comme le fait que la majoration n’est mise à la charge du redevable du forfait qu’après une abstention de payer durant trois mois, exclut que l’établissement de ce forfait puisse porter atteinte aux droits de la défense et au principe de personnalité des peines.

(30 septembre 21020, Société Sixt AF, n° 438253 ; Société Sixt asset et management, n° 441750).

 

99 - Droit de l’Union européenne - Lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme – Secteur des jeux d’argent et de hasard - Obligations de formation et d’information s’imposant à certains employeurs – Sanction de leur omission ayant le caractère d’une punition – Invocation du principe de légalité des délits et des peines – Rejet de la demande de transmission d’une QPC.

(30 septembre 2020, M. X., n° 440228) V. n° 37

 

100 - Pharmaciens d’officine – Organisations syndicales représentatives des pharmaciens d’officine – Droit d’opposition aux conventions et avenants les liant à l’assurance-maladie – Absence – Différence de traitement par rapport aux autres professions de santé – Atteinte au principe d’égalité devant la loi - Refus de transmettre une QPC.

(30 septembre 2020, Fédération des syndicats pharmaceutiques de France, n° 441716) V. n° 104

 

Responsabilité

 

101 - Institution d'une commission d'indemnisation des spoliations par mesures antisémites (décret du 10 septembre 1999) - Demande d'abrogation pour défaut d'application à d'autres catégories de personnes ou groupes persécutés - Refus - Absence d'illégalité - Rejet.

Les requérantes demandaient l'annulation du refus du premier ministre d'abroger le décret du 10 septembre 1999 instituant une commission d'indemnisation des spoliations par mesures antisémites en tant qu'il exclut du champ d'application du dispositif qu'il prévoit les victimes de spoliations intervenues pendant l'Occupation autres que celles résultant des législations antisémites, notamment les tsiganes, forains et membres de la communauté des gens du voyage.

Pour rejeter ce recours, qui soulevait de délicates questions de principe, le Conseil d'État  invoque deux arguments.

En premier lieu, les personnes concernées ont toujours la possibilité d'engager, du chef de spoliations subies par leurs familles, des actions en responsabilité contre l'État.

En second lieu, il existe une différence entre les persécutions antisémites et les autres car « les personnes victimes de ces mesures dans le cadre de persécutions antisémites ont fait l'objet d'une politique d'extermination systématique ». Cette caractéristique unique justifie que le décret attaqué ait spécifiquement entendu viser les spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l'Occupation.

(25 septembre 2020, Mme X. et Ligue Internationale Contre le Racisme et l'Antisémitisme (LICRA), n° 437524)

 

102 - Responsabilité hospitalière - Condamnation d'un CHU - Indemnisation fondée sur la responsabilité du CHU envers une patiente - Absence de vérification de l'existence de préjudices professionnels déductibles du préjudice général - Cassation.

Commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui condamne un CHU à rembourser à une caisse d'assurance maladie, subrogée dans les droits de la victime, la totalité des versements effectués par la caisse au titre de la pension d'invalidité de cette dernière sans rechercher si elle avait subi, directement en raison de la faute commise par le CHU, des préjudices au titre de la perte de revenus professionnels ou de l'incidence professionnelle de son incapacité, afin de déterminer, après déduction de la pension d'invalidité versée à l'intéressée, la limite dans laquelle la CPAM pouvait exercer son recours subrogatoire relatif au versement de cette pension d'invalidité.

(28 septembre 2020, CHU d'Amiens, n° 431541)

 

Santé publique

 

103 - Autorisation de mise en œuvre d'un protocole d'étude sur la conception d'embryons humains - Étude en vue de l'amélioration de l'efficacité de la conception d'embryons humains par fécondation in vitro - Spermatozoïdes incubés dans une molécule synthétique avant transfert dans l'utérus de la mère - Obligation de recueil préalable du consentement des deux membres du couple -  Obligations incombant à l'Agence de biomédecine - Non-respect - Action introduite par une fondation - Qualité, au regard de ses statuts, lui donnant intérêt à agir - Rejet.

Le litige portait sur les conditions dans lesquelles la directrice générale de l'Agence de la biomédecine a autorisé un centre hospitalier à mettre en œuvre un protocole d'étude sur la conception d'embryons humains.

En bref, il était reproché à cette décision de n'avoir pas respecté les dispositions législative et réglementaires du code de la santé publique qui font obligation à l'Agence de biomédecine, lors de la mise en œuvre du protocole, de veiller au respect effectif de la condition de consentement préalable des deux membres du couple ou de s'en assurer directement par elle-même.

Tout d'abord, le Conseil d'État juge que la Fondation Jérôme Lejeune - qui avait en première instance et en appel contesté la régularité de l'autorisation ainsi accordée - avait qualité lui donnant intérêt à agir car ses statuts lui attribuent, entre autres, pour but « l'accueil et les soins des personnes, notamment celles atteintes de la trisomie 21 ou d'autres d'anomalies génétiques, dont la vie et la dignité doivent être respectées de la conception à la mort » En effet, dès lors qu'il ne résulte pas des pièces du dossier que l'usage de la tripeptide FEE cyclique pour réaliser le protocole n'était pas susceptible de porter atteinte aux embryons issus de cette recherche, l'autorisation litigieuse était de nature à léser les intérêts que les statuts de la fondation Jérôme Lejeune lui donnent vocation à défendre. 

Ensuite, le Conseil d'État approuve la cour d'avoir, sans dénaturation des faits et des pièces et sans erreur de droit, jugé que la refonte des formulaires de recueil des consentements, exigée comme condition de son avis favorable par le conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine, n'avait pas été effectuée. Ainsi, l'autorisation attaquée est annulée car elle a été délivrée sans que l'agence ait pu s'assurer des conditions dans lesquelles le consentement serait obtenu, méconnaissant par-là les dispositions des articles L. 2151-5, R. 2141-17, R. 2141-18 et R. 2141-21 du code de la santé publique.

(25 septembre 2020, Agence de la biomédecine, n° 419303)

 

104 - Pharmaciens d’officine – Organisations syndicales représentatives des pharmaciens d’officine – Droit d’opposition aux conventions et avenants les liant à l’assurance-maladie – Absence – Différence de traitement par rapport aux autres professions de santé – Atteinte au principe d’égalité devant la loi - Refus de transmettre une QPC.

La requérante contestait la différence de traitement existant, s’agissant des rapports avec les caisses d’assurance maladie entre les pharmaciens d’officine et les autres professions de santé. Dans ces dernières, est reconnu aux organisations syndicales majoritaires un droit d'opposition à l'encontre des conventions et avenants régissant les rapports de leur profession avec les organismes d'assurance maladie. Ce n’est pas le cas pour les pharmaciens et la requérante demandait au Conseil d’État de transmettre une QPC fondée sur la violation en l’espèce du principe d’égalité devant la loi.

Le Conseil d’État se borne, pour rejeter la requête, à observer « que le législateur a entendu, eu égard aux différences de situation qui caractérisent les professions de santé réglementées, que les rapports avec les organismes d'assurance maladie de chacune des professions concernées fassent l'objet d'une convention distincte ». Dès lors, la fédération requérante ne saurait utilement contester que ses membres ne soient pas traités comme ceux des autres professions de santé.

Le raisonnement, aussi laconique que possible, peine grandement à convaincre d’autant que l’invocation – traditionnelle jusqu’à la nausée – d’un principe de liberté qui n’interdit pas les traitements différenciés joue une fois de plus le rôle, élégamment habillé, du célèbre « circulez, il n’y a rien à voir ».

(30 septembre 2020, Fédération des syndicats pharmaceutiques de France, n° 441716)

 

Sport

 

105 - Jet ski - "Karujet" - Sanctions suite à un contrôle antidopage positif - Demande de suspension - Défaut d'urgence et défaut d'atteinte grave à la situation de l'intéressé - Rejet.

Un sportif, sanctionné pour dopage à la prednisone et à la prednisolone, glucocorticoïdes interdits en compétition, voit sa demande de suspension de diverses sanctions dont il a fait l'objet à cette occasion, rejetée. Il saisit le Conseil d’État.

D'une part, il est jugé que la circonstance que la perte de titres sportifs récents et emblématiques ainsi que la baisse de rang de classement afférente entraîneront une dégradation inéluctable de son image, la perte des sponsors et l'impossibilité, par suite, eu égard au coût du matériel et à son statut de sportif amateur, de participer dans de bonnes conditions aux plus grandes compétitions, n'établissent pas l'existence d'une situation d'urgence. Le juge relève, en effet, que si le règlement des compétitions organisées par « P1 AquaX », organisation qui proscrit l'usage dans ses compétitions des substances interdites par le code mondial antidopage, il ne résulte pas de l'instruction que « P1 AquaX » serait tenue d'exécuter la décision de sanction rendue par l'Agence française de lutte contre le dopage, décision qui ne lui a d'ailleurs pas été notifiée. Par suite, en l'état de l'instruction, aucun de ces éléments ne peut être retenu au titre des éléments d'appréciation de l'urgence.

D'autre part, la circonstance, au demeurant établie, que seront retirés au demandeur des titres obtenus entre le 1er novembre 2017 et le 1er mai 2019 lors de compétitions organisées par la Fédération française motonautique ou l'Union internationale motonautique et que l'atteinte ainsi portée à son image est de nature à entraîner le retrait de ses sponsors, mettant ainsi sans délai fin à son activité sportive car le financement de la participation du requérant à ces compétitions repose pour l'essentiel sur des sponsors publics et privés, ne permet cependant pas de caractériser une atteinte suffisamment grave et immédiate à sa situation, notamment au regard de l'intérêt général qui s'attache au respect des règles antidopage.

(ord. réf. 09 septembre 2020, M. X., n° 443033)

 

Urbanisme

 

106 - Participation des riverains pour réalisation de travaux de voirie et de réseau - Travaux nécessaires aux besoins de nouvelles constructions - Travaux n'entrant pas dans cette catégorie - Implantations d'arbres constituant des travaux de voirie - Cassation partielle.

Était contestée la mise à la charge des riverains de 100% du coût de la réalisation de travaux de voirie et de réseaux à l’occasion de la création d'une voie nouvelle.

La cour administrative d'appel a estimé que ne pouvaient être mis à la charge des riverains, d’une part, le coût des travaux ayant porté sur les réseaux publics d'électricité, des eaux potable et pluviales et de téléphonie ainsi que le coût des travaux liés à l'implantation d'un poteau incendie et, d’autre part, ceux relatifs à l'implantation sur cette voie d'arbres d'alignement.

Elle est approuvée par le Conseil d'État sur le premier point et désavouée sur le second.

(25 septembre 2020, Commune de Villelaure, n° 434398)

 

107 - Dispositions d'urbanismes particulières au littoral - Plan local d'urbanisme (PLU) - Contrôle de conformité et contrôle de compatibilité - Existence d'un schéma de cohérence territorial (SCoT) - Conséquences - Contrôle du juge administratif sur la régularité de la décision d'une association d'ester en justice - Obligation s'imposant à l'appelant réitérant en appel un moyen présenté en première instance - Cassation partielle.

D'une longue et riche décision relative à un plan d'urbanisme situé pour l'essentiel dans une zone littorale couverte par un SCoT, on retiendra, parmi d'autres, d'une part deux questions de procédure, d'autre part, d'importantes précisions relatives au degré de contrôle du juge sur un PLU situé en zone littorale.

Tout d'abord, s'agissant de la procédure, cette affaire conduit à rappeler deux choses parfois négligées ou mal connues.

En premier lieu, lorsqu'un recours est formé par une association, il appartient à la juridiction administrative saisie, qui en a toujours la faculté, de s'assurer que le représentant d'une personne morale justifie de sa qualité pour agir au nom de cette partie lorsque cette qualité est contestée sérieusement par l'autre partie ou, que, en l'état de l'instruction, l'absence de qualité du représentant de la personne morale semble ressortir des pièces du dossier. En revanche, il ne lui appartient pas de vérifier la régularité des conditions dans lesquelles l’organe compétent de l’association a accordé une telle habilitation. 

En second lieu, en vertu de la règle de bon sens qu'il incombe au requérant, tant en première instance qu'en appel, d'assortir ses moyens des précisions nécessaires à l'appréciation de leur bien-fondé, le juge d'appel n'est pas tenu d'examiner un moyen que l'appelant se borne à déclarer reprendre en appel, sans l'assortir des précisions nécessaires

Ensuite, et c'est là l'apport principal de la décision, si le contrôle exercé par l'autorité administrative sur une demande d'autorisation d'occupation ou d'utilisation du sol est un contrôle de conformité du projet au regard des dispositions d'urbanisme spécifiques au littoral, en revanche, lorsque ce contrôle porte sur un PLU au regard de ces mêmes dispositions particulières, il n'est qu'un contrôle de compatibilité.

Par ailleurs, si le territoire concerné est couvert par un SCoT, ce contrôle de compatibilité s'effectue également par rapport aux dispositions particulières au littoral sans que puissent être exclues de ce contrôle les dispositions du SCoT qui seraient insuffisamment précises sauf si elles sont elles-mêmes incompatibles avec lesdites dispositions particulières au littoral.

Il y a là, sans doute, trop de subtilité pour les collectivités comme pour les administrés. Une simplification radicale serait bienvenue.

(28 septembre 2020, Commune du Lavandou, n° 423087 ; Association de défense de l'environnement de Bormes et du Lavandou (ADEBL), n° 423156)

(108) V. aussi, à propos de ce même PLU sur des aspects tantôt identiques tantôt spécifiques : 28 septembre 2020, M. X., n° 423120 ; 28 septembre 2020, M. X. et autres, n° 423129 ; 28 septembre 2020, M. et Mme X., n° 423133 ; 28 septembre 2020, M. et Mme X., n° 423135 ; 28 septembre 2020, SCI du Vallon, n° 423137 ; 28 septembre 2020, Mme X., n° 423138

 

109 - Permis de construire - Invitation par le juge à régulariser - Motif constituant le soutien nécessaire au dispositif - Jugement clôturant l'instance - Annulation, en appel ou en cassation, du premier jugement, annulation du second par voie de conséquence - Annulation avec renvoi.

Le juge apporte deux indications importantes dans l'hypothèse où le juge a ordonné la régularisation d'un permis de construire attaqué puis constaté la bonne fin de cette régularisation.

Tout d'abord,  lorsqu'un premier jugement, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, décide qu'un vice entraînant l'illégalité de l'acte attaqué est susceptible d'être régularisé, les motifs de ce premier jugement qui écartent les autres moyens sont au nombre des motifs qui constituent le soutien nécessaire du dispositif du jugement qui clôt finalement l'instance dans le cas où ce second jugement rejette les conclusions à fin d'annulation en retenant que le vice relevé dans le premier jugement a été régularisé, dans le délai imparti, par la délivrance d'une mesure de régularisation.

Ensuite, il en résulte que le juge d'appel ou de cassation, saisi de conclusions dirigées contre ces deux jugements, doit, s'il annule le premier jugement, annuler en conséquence, le cas échéant d'office, le second jugement. 

(25 septembre 2020, M. X., n° 432511; M. X. et Mme Y., n° 436284)

 

110 - Permis de construire - Délivrance d'un certificat d'urbanisme négatif - Cas dans lesquels est possible une telle délivrance - Motif tiré de l'incertitude du respect, par le pétitionnaire, de ses obligations - Illégalité - Annulation.

Un certificat d'urbanisme négatif, qui empêche donc l’octroi d'un permis de construire, peut être délivré lorsque le terrain ne peut permettre l'opération envisagée compte tenu de la localisation et de la destination du ou des bâtiments projetés et des modalités de desserte par les équipements publics existants ou prévus.

En revanche, la seule circonstance que le dossier de la demande ne permet pas de s'assurer du respect de la proportion de logements sociaux prévue par une orientation d'aménagement et de programmation, alors qu'aucune disposition n'impose de préciser ce point dans la demande de certificat, n'est pas de nature à justifier la délivrance d'un tel certificat. 

Le certificat négatif était donc irrégulier en l’espèce.

(28 septembre 2020, M. X., n° 426961)

 

111 - Travaux soumis à autorisation d'urbanisme - Travaux d'aménagement d'une aire de « grand passage » - Aires d'accueil temporaire - Travaux non soumis à déclaration préalable ou à permis d'aménager - Inopposabilité des dispositions d'un PLU - Rejet.

La Commune requérante contestait en cassation un arrêt de cour administrative d'appel annulant le jugement qui avait annulé un arrêté préfectoral retirant la mise en demeure adressé par le maire de la commune - agissant au nom de l'État - à une communauté d'agglomération, de cesser les travaux d'aménagement d'une aire de grand passage sur des parcelles, situées sur le territoire de cette commune mais dont une autre commune est propriétaire.

Le pourvoi est rejeté au prix d'une substitution de motif.

Le Conseil d'État juge que les aires de grand passage, si elles sont au nombre des emplacements, susceptibles d'être occupés temporairement à l'occasion de rassemblements traditionnels ou occasionnels, que les schémas départementaux d'accueil des gens du voyage prévoient, elles ne sont destinées qu'à l'accueil temporaire et non à l'installation de résidences mobiles au sens de l'article 1er de la loi du 5 juillet 2000. Par suite, leur aménagement n'entre pas dans le champ des travaux soumis à permis d'aménager ou à déclaration préalable par l'article L. 444-1 du code de l'urbanisme. 

La mise en demeure était donc illégale de ce chef.

En outre, le juge relève que ne fait pas obstacle à cette solution la circonstance que l'article NT1 du règlement du plan local d'urbanisme de la commune de Ruffey-sur-Seille interdit certaines occupations ou utilisations du sol, telles que « les terrains de camping et de caravanage », « les terrains d'accueil d'habitations légères de loisir », « les affouillements et exhaussements du sol à l'exception de ceux nécessaires à la réalisation d'une occupation du sol autorisée », dès lors qu'une aire de grand passage ne leur est pas assimilable.

(28 septembre 2020, Commune de Ruffey-sur-Seille, n° 430521)

 

112 - Droit de préemption - Droit appartenant au département dans certains espaces protégés - Régime juridique portant atteinte au droit à recours juridictionnel effectif - Absence - Annulation d'une décision de préemption - Pouvoirs et devoirs du juge de l'exécution (art. L. 911-1 CJA) - Rejet.

Le requérant conteste la préemption dont ont fait l'objet des parcelles dont il était propriétaire sur l'île aux Moines dans le golfe du Morbihan. En particulier il a soulevé une QPC à l'encontre des dispositions du code de l'urbanisme régissant l'exercice du droit départemental de préemption. En outre, il demandait à bénéficier du droit de rétrocession. Les réponses à ces deux arguments sont très importantes et d'ailleurs fortement motivées sans doute car plane la menace d'un recours ultérieur devant la Cour EDH. Elles sont présentées ici.

Pour le reste, le recours est rejeté fondamentalement car c'est à bon droit que, se fondant, à la fois, sur l'intérêt public attaché aux parcelles en cause et à leurs caractéristiques naturelles d'espaces sensibles, le département en a décidé l'acquisition au moyen de l'exercice du droit de préemption.

Le juge estime en premier lieu que les dispositions critiquées ne portent pas atteinte au droit à recours effectif car le juge administratif de l'exécution (art. L. 911-1 et s. CJA), saisi de conclusions en ce sens par l'ancien propriétaire ou l'acquéreur évincé, peut ordonner, le cas échéant sous astreinte, les mesures qu'implique l'annulation, par le juge de l'excès de pouvoir, d'une décision de préemption au titre des espaces naturels sensibles (art. L. 113-4 et L. 215-1 et s. c. urb.). Notamment, il peut enjoindre au titulaire du droit de préemption de proposer l'acquisition du bien à l'ancien propriétaire et à l'acquéreur évincé, en leur évitant ainsi d'intenter une action en nullité de la vente. Semblablement, l'acquéreur évincé peut obtenir du juge, par l'exercice d'une action en responsabilité, la réparation sous forme indemnitaire du préjudice qu'il a subi du fait de l'illégalité de la préemption dont a fait l'objet le bien qu'il se proposait d'acquérir. Ainsi, les dispositions en cause ne méconnaissent pas le droit à un recours juridictionnel effectif.

Le Conseil d'État estime en second lieu, s'agissant du droit de rétrocession, que le juge administratif, après avoir vérifié, au regard de l'ensemble des intérêts en présence, que le rétablissement de la situation initiale ne porte pas une atteinte excessive à l'intérêt général s'attachant à la préservation et à la mise en valeur de sites remarquables, peut prescrire au titulaire du droit de préemption qui a acquis le bien illégalement préempté, s'il ne l'a pas entre temps cédé à un tiers, de prendre toute mesure afin de mettre fin aux effets de la décision annulée et, en particulier, de proposer à l'ancien propriétaire puis, le cas échéant, à l'acquéreur évincé d'acquérir le bien, à un prix visant à rétablir, sans enrichissement injustifié de l'une des parties, les conditions de la transaction à laquelle l'exercice du droit de préemption a fait obstacle.

(28 septembre 2020, M. X., n° 430951)

(113) V. aussi, sur divers aspects de l'exercice du droit de préemption : 28 septembre 2020, Commune de Montagny-lès-Beaune, n° 432063.

(114) V. également, très important, dans le cas de l'exercice du droit de préemption urbain afin de créer des logements sociaux sous l'empire de la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové : 28 septembre 2020, Ville de Paris, n° 436978.

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Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d'État

Juillet - Août 2020

Juillet - Août 2020

 

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Documents administratifs - Domaine de la communication des documents administratifs - Avis d’un confrère sur la candidature d’une notaire salariée - Nature de document administratif communicable (loi du 17 juillet 1978) - Annulation de la décision refusant sa communication.

La lettre adressée par un confrère au conseil régional de l’ordre des notaires s’opposant à la candidature d’une notaire salariée, versée à la procédure d’avis sur le projet de nomination de cette dernière, a la nature d’un document administratif au sens de la loi de 1978. Cette lettre est donc communicable à l’intéressée contrairement à ce qu’avait estimé le conseil régional de l’ordre.

(10 juillet 2020, Conseil régional des notaires de la cour d’appel de Dijon, n° 429690)

  

2 - Décision créatrice de droits irrégulière devenue définitive - Paiement à un taux indu de l’indemnité de résidence attribuée à une fonctionnaire - Décision ne pouvant plus être ni abrogée ni retirée - Illégalité de la décision ordonnant un paiement - Régularité d’une décision ordonnant la cessation de ce paiement - Cassation sans renvoi.

Une fonctionnaire conteste la réduction de 3% à 1% du taux de l’indemnité de résidence qui lui était jusque-là alloué. Elle obtient du juge du tribunal administratif le rétablissement du taux initial de 3% et du paiement des sommes non versées, celui-ci se fondant sur les dispositions de l'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, selon lesquelles : « Les créances résultant de paiements indus effectués par les personnes publiques en matière de rémunération de leurs agents peuvent être répétées dans un délai de deux années à compter du premier jour du mois suivant celui de la date de mise en paiement du versement erroné, y compris lorsque ces créances ont pour origine une décision créatrice de droits irrégulière devenue définitive ».

Le Conseil d’État annule cette ordonnance en retenant le raisonnement du ministre de l'intérieur pour qui il est possible de cesser de verser à l'un de ses agents des sommes dues en application d'une décision attribuant illégalement un avantage financier, alors même que, ayant le caractère d'une décision créatrice de droits, elle ne pourrait plus être ni retirée ni abrogée. Cette décision de cessation de paiement au taux de 3% ne constituerait donc pas une abrogation de la décision accordant ce même taux… La chose n’a pas pour elle les vertus de l’évidence…Elle est cependant classiquement appliquée, par exemple en cas de répétition d’un indu (v. par ex., avis, 28 mai 2014, M. X., n° 376501 et 376573).

Au passage, sera relevée la circonstance que le Conseil d’État admet la recevabilité de ce moyen même s’il n'a pas été discuté devant le juge du fond dès lors qu’il n'est pas nouveau en cassation.

(ord. réf. 22 juillet 2020, Ministre de l'intérieur, n°s 434697, 434702, 434704, 434705, 434707, 434709, 434711, 434713, 434714, 434717, 434719, 434721, 434722, 434724, quatorze  espèces)

 

3 - Référé suspension - Acte préparatoire - Suspension impossible - Rejet.

(ord. réf. 21 juillet 2020, Société Bouygues Télécom, n° 441924) V. n° 57

 

4 - Conservateurs des hypothèques - Rémunération - Bulletin de paie - Absence de caractère de décision - Rejet.

(10 juillet 2020, M. X., n° 430769) V. n° 149

 

5 - Cession de biens d’une collectivité territoriale - Accord sur la chose et sur le prix - Caractère parfait de la cession en l’absence de toute autre condition -   Acte unilatéral approuvant cette cession ou ce transfert - Acte créateur de droits - Annulation avec renvoi.

(29 juillet 2020, Syndicat intercommunal à vocation multiple (SIVOM) de la région de Chevreuse, n° 427738) V. n° 19

 

6 - Forme des décisions administratives - Titre exécutoire - Obligation de signature et de détermination précise de son auteur (art. L. 212-1 CRPA) - Relations entre personnes morales de droit public - Exclusion de principe de cette obligation (art. L. 100-1 et L. 100-3 CRPA).

Dans un litige opposant l’assistance-publique - Hôpitaux de Paris à propos de la forme d’un titre exécutoire, le Conseil d’État était saisi d’une demande d’avis. 

Il s’agissait de savoir si un titre exécutoire émis par un établissement public administratif (ici l’ONIAM) envers un autre établissement public administratif (Assistance publique - Hôpitaux de Paris) était irrégulier faute de comporter la signature de son auteur, contrairement aux exigences posées à l’art. L. 212-1 du CRPA selon lequel « Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur, ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci ».

La réponse est négative car ce code - comme son nom l’indique au reste - ne s’applique pas aux relations entre personnes morales de droit public (art. L. 100-1 et L. 100-3 CRPA) sauf exceptions.

(avis, 10 juillet 2020, Assistance publique - Hôpitaux de Paris, n° 439367)

 

7 - Circulaire et note de service - Circulaire instituant un système facultatif de suivi de compétence et pouvant déboucher sur un plan de formation - Circulaire devant être soumise à la consultation préalable d’un comité technique de réseau - Absence - Irrégularité - Annulation.

Encourt annulation la circulaire mettant en place, au sein de la direction générale des finances publiques (DGFIP), un suivi de compétences pour les cadres supérieurs pouvant déboucher sur un plan de formation voire sur la mobilité de l’agent car, traitant une question relative à la formation et au développement des compétences et des qualifications professionnelles au sens et pour l'application de l’art. 34 du décret du 15 février 2011, elle devait être soumise non, comme ce fut le cas en l’espèce, à une simple information du seul comité technique de service central de réseau de la DGFIP, mais à l’avis du comité technique de réseau, dont le périmètre couvre les services centraux, les services déconcentrés et les autres services à compétence nationale relevant de la DGFIP ou rattachés à elle et qui, partant, était compétent pour en connaître.

(15 juillet 2020, Syndicat national Solidaires Finances publiques, n° 423333)

 

8 - Covid-19 - Référé suspension - Communiqué de presse - Nouveau régime de prescription de l’hyroxychloroquine - Absence de caractère décisoire - Rejet.

Un communiqué de presse qui se borne à informer les praticiens et le public des nouvelles mesures réglementaires prises en matière de prescription de l’hydroxychloroquine et de leurs conséquences, sans en dénaturer la portée, et qui ne révèle par lui-même aucune décision, n’est pas susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. 

Les conclusions tendant à son annulation comme à sa suspension sont ainsi manifestement irrecevables.

(31 juillet 2020, M. X. et autres, n° 442187 ; M. et Mme Y. et autres, n° 442251) V. aussi au n° 68

 

9 - Enseignement supérieur - Inscription des étudiants - Utilisation d’algorithmes - Demande de communication des traitements algorithmiques et de leurs codes sources correspondants - Non-lieu partiel et rejet du pourvoi pour le surplus.

L’organisation requérante avait sollicité du tribunal administratif de La Réunion l’annulation du rejet implicite résultant du silence gardé par le président de l’université de La Réunion sur sa demande de communication des procédés algorithmiques utilisés localement dans le cadre du traitement des candidatures d'entrée en licence par l'intermédiaire de la plateforme Parcoursup ainsi que les codes sources correspondants. Elle se pourvoit contre l’ordonnance rejetant sa demande.

Ce rejet est confirmé par le juge de cassation.

On retiendra de cette décision l’aspect le plus important sans doute pour l’avenir et pour le droit des actes administratifs. Le juge y affirme que les dispositions du I de l'article L. 612-3 du code de l'éducation doivent être interprétées, conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 3 avril 2020 (n° 2020-834 QPC, Union nationale des étudiants de France), comme n'imposant pas la publication ou la communication aux tiers des traitements algorithmiques eux-mêmes et des codes sources correspondants.

Compte tenu de l’évolution des techniques, du recours sans doute croissant aux algorithmes et de l’apparition d’autres difficultés contentieuses, il faut s’attendre sans doute à des réexamens de ces solutions jurisprudentielles.

(15 juillet 2020, Union nationale des étudiants de France (UNEF), n° 433296)

(10) V. aussi, identique, dans le cadre de l’université de Corse : 15 juillet 2020, Union nationale des étudiants de France (UNEF), n° 433297.

 

11 - Décision de classement des aérodromes - Classement de l’aérodrome Nantes-Atlantique en catégorie A - Absence de motivation du classement - Légalité - Rejet.

Les dispositions des art. R. 222-1, R. 222-3, R. 222-4 et R. 222-5 du code de l’aviation civile n'imposent pas la motivation des décrets du premier ministre, pris en application de celles-ci, portant classement d'un aérodrome.

(22 juillet 2020, Commune de Saint-Aignan-de-Grand-Lieu, n° 429508)

 

12 - Contentieux de l’urbanisme - Règles de procédure spéciales - Décret du 17 juillet 2018 portant modifications de la partie réglementaire du code de l’urbanisme - Incompétences alléguées du pouvoir réglementaire - Absence - Rejet.

(3 juillet 2020, Conseil national des barreaux et autres, n° 424293 ; Syndicat des avocats de France, n° 427249, jonction) V. n° 36

 

13 - Validation ou modification rétroactive d’actes - Réserve du respect de l’autorité de chose jugée - Application du principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions - Motif impérieux d’intérêt général - Délimitation stricte du champ et des effets de la validation - Rejet.

Les collectivités publiques, demanderesses à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du préfet de l'Essonne du 4 avril 2018 approuvant le plan de prévention des risques technologiques autour du dépôt d'hydrocarbures de la compagnie industrielle maritime à Grigny et du dépôt de gaz liquéfié de la société Antargaz à Ris-Orangis, soulevaient une question prioritaire de constitutionnalité à l’encontre du II de l'article 31 de la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat. 

Il était fait reproche à cette disposition législative de porter atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution  en ce qu’elle valide, sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, « les arrêtés portant prescription ou approbation des plans de prévention des risques technologiques mentionnés à l'article L. 515-15 du code de l'environnement en tant qu'ils sont ou seraient contestés par un moyen tiré de ce que le service de l'État qui a pris, en application du décret n° 2012-616 du 2 mai 2012 relatif à l'évaluation de certains plans et documents ayant une incidence sur l'environnement, la décision de ne pas soumettre le plan à une évaluation environnementale ne disposait pas d'une autonomie suffisante par rapport à l'autorité compétente de l'État pour approuver ce plan ».

C’est l’occasion pour le juge de rappeler les exigences découlant de l’art. 16 de la Déclaration de 1789 pour que soient jugées constitutionnelles les opérations de validation ou de modification rétroactive d’actes juridiques, de droit privé comme de droit public.

1°/ Elles doivent respecter les décisions de justice ayant force de chose jugée et le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions.

2°/ L'atteinte aux droits des personnes résultant de cette modification ou de cette validation doit être justifiée par un motif impérieux d'intérêt général. 

3°/ La portée de la modification ou de la validation doit être strictement définie.

4°/ L'acte modifié ou validé ne doit méconnaître aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le motif impérieux d'intérêt général soit lui-même de valeur constitutionnelle. 

Le Conseil d’État vérifie que ces conditions ont bien été respectées dans la présente affaire avant de rejeter le recours dont il était saisi.

(22 juillet 2020, Commune de Ris-Orangis, commune de Grigny et communauté d'agglomération Grand Paris Sud Seine Essonne Sénart, n° 439213)

  

Biens, culture et patrimoine

 

14 - Droit de propriété - Exercice par une commune du droit de préemption urbain - Action en annulation par les acquéreurs évincés - Analyse de l’existence réelle et certaine, à la date de l’exercice du droit de préemption, de l’un des motifs pouvant justifier celui-ci - Étendue du contrôle du juge - Seconde cassation et décision au fond.

Voilà une affaire exemplaire aux faits fort simples. Des particuliers, acquéreurs évincés d’une parcelle appartenant à EDF par suite de l’exercice par la commune de son droit de préemption urbain, ont saisi le juge administratif de première instance, d’appel et de cassation, puis, après cassation, ont saisi à nouveau la juridiction d’appel dont l’arrêt est cassé une seconde fois par la présente décision.

En bref, pour les juges du fond la décision de préemption serait régulière car intervenue pour un des motifs pour lesquels la loi prévoit son utilisation, à savoir ici la construction de logements sur la parcelle préemptée, en vue de répondre à l'objectif du programme local de l'habitat qui est de proposer une offre de logement suffisante et aux objectifs de livraison de logements fixés par ce programme pour la période allant de 2010 à 2015. Ces juges, sans pousser plus loin l’analyse, ont de ce fait rejeté le recours des demandeurs.

Devenu juge du fond par l’effet de la seconde cassation, le Conseil d’État n’a pas du tout la même opinion ainsi qu’il résulte de la description très complète qu’il fait des éléments de ce dossier. Les juges écrivent : « Si elle fait ainsi apparaître la nature du projet d'action ou d'opération d'aménagement poursuivi, il ne ressort pas du programme local de l'habitat pour la période considérée qu'il envisagerait, dans le secteur de la parcelle préemptée, la construction de logements pour en accroître l'offre dans l'agglomération. Il ressort en outre des pièces du dossier que le « schéma de faisabilité » établi en août 2011 en vue de la construction de deux lots de logements sur la parcelle et sur la parcelle voisine appartenant toujours à Electricité de France était particulièrement succinct et que de fortes contraintes s'opposent à la réalisation d'un tel projet sur cette parcelle, qui est enclavée sur trois côtés, située dans la zone de dangers d'une centrale hydroélectrique et à proximité d'une plateforme chimique et classée par le plan local d'urbanisme en zone UA indice "ru" ne permettant la construction d'habitations que sous réserve de mesures de confinement vis-à-vis de ces aléas technologiques. Dans ces conditions, la réalité, à la date de la décision de préemption, du projet d'action ou d'opération d'aménagement l'ayant justifiée ne peut être regardée comme établie pour cette parcelle qui, au surplus, a été revendue par la commune à l'établissement public foncier local de la région grenobloise dans un but de réserve foncière en vertu d'un acte authentique du 20 janvier 2012 pris, après une délibération en ce sens du conseil municipal intervenue dès le 25 octobre 2011. »

La cause est entendue et il serait superflu d’y ajouter quoi que ce soit.

(15 juillet 2020, M. et Mme X., n° 432235)

 

15 - Occupation du domaine public - Occupation sans titre - Régime d’expulsion propre aux gens du voyage (art. 9, loi du 5 juillet 2000) - Référé mesures utiles (art. L. 521-3 CJA) en vue d’obtenir cette expulsion - Combinaison des textes - Absence de caractère exclusif de la procédure propre à l’expulsion des gens du voyage - Annulation.

Le département demandeur se pourvoit contre un jugement qui a refusé d’accueillir son recours en demande d'expulsion d’occupants sans titre de son domaine public à raison de son irrecevabilité car ce recours était fondé sur les dispositions de l’art. L. 521-3 CJA (référé mesures utiles) alors que le département devait utiliser la procédure propre à l’expulsion des gens du voyage instituée à l’art. 9 de la loi du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage.

Le Conseil d’État casse pour erreur de droit l’ordonnance attaquée : la procédure spéciale, contrairement à ce qui a été jugé en première instance, n’est pas exclusive du droit ouvert à tout justiciable de saisir le juge du référé mesures utiles lorsque les conditions de sa mise en oeuvre sont, comme en l’espèce, réunies.

Le Conseil d’État ordonne donc l’expulsion sans délai de ces occupants et l’évacuation de leurs biens.

(ord. réf. 16 juillet 2020, Département de l’Essonne, n° 437113)

 

16 - Cours d’eaux non domaniaux ou parties non domaniales d’un cours d’eau - Charge de l’entretien incombant aux riverains - Police du libre cours des eaux non domaniales appartenant au préfet et, sous son autorité, aux maires - Survenance de dommages en cas de crue - Régime de responsabilité et de réparation - Annulation avec renvoi.

La société requérante recherchait la responsabilité de la puissance publique du chef de dommages subis par ses biens par suite d’une crue de la Seine et alléguait la commission de plusieurs fautes administratives.

La cour administrative, avait estimé que les pouvoirs du préfet en matière de cours d’eau totalement ou partiellement non domaniaux n’étaient que des pouvoirs de substitution en cas de carence des collectivités locales et qu’ainsi sa responsabilité à raison d’une carence dans l’exercice du pouvoir de tutelle supposait l'existence d'une faute lourde. D’où le rejet de l’appel de la société et la formation, par cette dernière, d’un pourvoi.

Le Conseil d’État juge dans cette décision qu’il résulte de diverses dispositions combinées du code de l’environnement qu’il n’incombe ni à l'État ni aux collectivités territoriales ou à leurs groupements d'assurer la protection des propriétés voisines des cours d'eau non domaniaux  ou de la partie non domaniale d’un cours d’eau (cas ici de la Seine) contre l'action naturelle des eaux.

C’est aux propriétaires riverains de ces cours d’eau ou portions de cours d’eau que revient la charge de cette protection en raison de l’obligation d’entretien régulier de ces eaux qui leur est imposée par l'article L. 215-16 du code de l’environnement.

Toutefois, d’une part, les communes et leurs groupements doivent pourvoir d'office à cette obligation d'entretien régulier, en cas de défaillance du propriétaire et à ses frais et, d’autre part, il appartient au préfet - en vertu des pouvoirs de police spéciale dont il dispose à cet effet pour assurer la conservation et la police des cours d’eau non domaniaux (cf. art. L. 215-7 c. env.) - de prendre toutes dispositions nécessaires au libre cours des eaux, le maire pouvant, sous l'autorité de celui-ci, prendre également les mesures nécessaires pour la police des cours d'eau (cf. art. L. 215-12 du même code).

Il suit de là qu’en cas de dommages causés aux propriétés voisines des cours d'eau non domaniaux du fait de l'action naturelle des eaux la responsabilité de l'État peut être engagée par une faute commise par le préfet dans l'exercice de la mission de police des cours d'eau non domaniaux et de garantie du libre cours des eaux.

En exigeant une faute lourde, sur le fondement d'obligations tutélaires, la cour a commis une erreur de droit d’où l’annulation de son arrêt et le renvoi de l’affaire à cette dernière.

(22 juillet 2020, SCI Les Vigneux, n° 425969)

 

17 - Langue française - Dénomination d’une marque - Utilisation dans les supports de communication d’une commune - Emploi de l’expression anglaise « Let’s » - Absence d’équivalent en français arrêté par la commission d’enrichissement de la langue française - Rejet.

La loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française dispose en son art. 14 que « L'emploi d'une marque de fabrique, de commerce ou de service constituée d'une expression ou d'un terme étrangers est interdit aux personnes morales de droit public dès lors qu'il existe une expression ou un terme français de même sens approuvés dans les conditions prévues par les dispositions réglementaires relatives à l'enrichissement de la langue française (…) ».

L’association requérante avait demandé, en vain, au maire de la commune du Grau-du-Roi de cesser d’utiliser la marque « Let’s Grau » et d’en supprimer la mention sur tous les supports où elle figurait. Le tribunal administratif, saisi par l’association, fit droit à sa demande mais ce jugement fut annulé, sur appel de la commune, par la cour administrative d’appel. L’association se pourvoit contre l’arrêt d’appel.

Pour rejeter ce pourvoi, confirmant ainsi l’arrêt querellé, le Conseil d’État relève que l’interdiction édictée par cette disposition ne peut jouer que s'il existe une expression française de même sens approuvée par la commission d'enrichissement de la langue française et publiée au Journal officiel de la République française. Tel n’est pas le cas de l’expression « Let’s » : ainsi la marque « Let’s Grau » ne contrevient pas à l’obligation pour les personnes morales de droit public d’employer la langue française.

(22 juillet 2020, Association Francophonie Avenir, n° 435372)

 

18 - Appartenance d’un bien au domaine public - Passage sous le porche d’une habitation - Question préjudicielle sur renvoi de l’autorité judiciaire - Critères de la domanialité publique - Condition de propriété - Cassation.

Dans le cadre d’un litige portant sur la nature juridique du sol situé sous le porche supportant une habitation, le juge judiciaire a posé une question préjudicielle en ce sens. 

Le Conseil d’État relève plusieurs éléments de fait  en faveur de la domanialité publique de ce bien : le passage situé sous le porche est ouvert au public au moins depuis la Libération et permet d'assurer la continuité du cheminement des piétons depuis le trottoir bordant la Grand'rue, et notamment des élèves qui se rendent au collège Louis Pasteur ou des visiteurs du musée situé au sein du château Pécauld ; la commune a fait procéder à ses frais, en 1993, à des travaux de réfection du revêtement du sol de ce passage, lequel fait l'objet d'un entretien régulier par les services municipaux et est pourvu de dispositifs d'éclairage public dont le coût est supporté par la commune, ainsi que d'une signalisation réservant son accès aux seuls piétons. 

Il est jugé que la fraction en litige du passage sous porche, ainsi affectée à l'usage direct du public, présente les caractéristiques d'une dépendance du domaine public communal. Toutefois, il appartient à la commune d’établir qu’elle en est bien propriétaire.

(22 juillet 2020, Commune d’Arbois, n° 435660)

 

19 - Cession de biens d’une collectivité territoriale - Accord sur la chose et sur le prix - Caractère parfait de la cession en l’absence de toute autre condition -   Acte unilatéral approuvant cette cession ou ce transfert - Acte créateur de droits - Annulation avec renvoi.

Rappel de ce que l’accord d’un conseil municipal sur la cession d’un bien communal à une autre personne publique, opère ipso facto le transfert de propriété, l’accord existant sur la chose et sur son transfert (solution identique lorsque le bien fait partie du domaine privé communal : 15 mars 2017, Sarl Bowling du Hainaut et Sarl Bowling de Saint-Amand-les-Eaux, n° 393407). Il n’y a donc pas lieu d’exiger, en sus, un acte en la forme administrative ou un acte notarié.

L’acte unilatéral de cession, telle une délibération du conseil municipal, est donc un acte créateur de droits.

(29 juillet 2020, Syndicat intercommunal à vocation multiple (SIVOM) de la région de Chevreuse, n° 427738)

 

Collectivités territoriales

 

20 - Subventions accordées à des associations - Conditions de légalité - Existence d’un intérêt public local - Prises de position dans les débats publics sur la procréation médicalement assistée et sur la possibilité de recourir à la gestation pour autrui - Circonstance indifférente - Rejet.

Une collectivité locale - en l'absence de dispositions législatives spéciales l'autorisant expressément à accorder des concours financiers ou le lui interdisant - peut accorder une subvention à une association à la condition expresse qu’elle soit justifiée par un intérêt public local. 

Lorsqu’une association présentant un tel intérêt public local prend position dans des débats publics, y compris de nature politique, cela ne fait normalement pas obstacle à l’octroi de la subvention. Il n’en va autrement que dans le cas où, parallèlement, elle mène une action, qui peut être à caractère politique ou non, ne pouvant pas être regardée comme se rattachant à la poursuite de cet intérêt local. D’une part, la collectivité doit s’assurer ou faire prendre l’engagement que les sommes ainsi attribuées ne servent qu’au fonctionnement de l’association en tant que son action est tournée vers la satisfaction dudit intérêt local, et d’autre part, il est toujours loisible à la collectivité locale de retirer en tout ou en partie une subvention utilisée, totalement ou partiellement, dans un autre but.

En l’espèce la cour administrative d’appel est approuvée d’avoir jugé régulière une subvention à une association dénommée « Centre lesbien, gay, bi et transidentitaire » devenue ensuite l’association « Nos orientations sexuelles et identités de genre » (NOSIG),  dont l’activité consiste en des actions locales d'accueil, d'information, de prévention et de soutien en faveur des personnes gays, lesbiennes, bi ou trans et d’avoir jugé qu'une telle activité revêtait un intérêt public local alors même que l'association a pris position dans des débats publics en cours sur l'accès à la procréation médicalement assistée et sur la possibilité de recourir à la gestation pour autrui, dès lors  que la subvention de fonctionnement accordée par la ville a pour seul objet de permettre à l'association de mener ses actions d'information, de prévention et de soutien auprès de la population locale.

Le pourvoi contre cet arrêt est en conséquence rejeté au prix d’une motivation qui peine à convaincre et qui révèle la grande difficulté pratique pour les personnes publiques à exercer un contrôle véritable et adéquat de l'usage, par leurs bénéficiaires, des fonds alloués à titre de subventions.

(8 juillet 2020, Mme X., n° 425926)

 

21 - Délibération créant le blason d’une commune - Conditions de légalité des composantes du blason - Respect du principe de laïcité - Absence de violation en l’espèce - Rejet.

La commune de Moëslains ayant adopté, pour être utilisé dans les différents supports de communication, un blason qui, selon la description de la cour administrative d’appel, représente deux volutes opposées, surmontées de deux cônes eux-mêmes placés sous un léopard d'or, les deux volutes évoquant les crosses épiscopales de Saint-Nicolas et Saint-Aubin et se réfèrant ainsi aux deux édifices notables du patrimoine communal, l'église Saint-Nicolas et la chapelle Saint-Aubin, et le léopard rappelant le blason d’une famille qui a marqué l'histoire de la commune, un habitant a contesté devant le juge administratif la délibération en cause au motif qu’elle porterait atteinte au principe de laïcité. 

Le Conseil d’État rappelle ici qu'un blason communal, « qui a pour objet de présenter sous forme emblématique des éléments caractéristiques, notamment historiques, géographiques, patrimoniaux, économiques ou sociaux d'une commune, ne peut légalement comporter d'éléments à caractère cultuel que si ceux-ci sont directement en rapport avec ces caractéristiques de la commune, sans exprimer la reconnaissance d'un culte ou marquer une préférence religieuse. »

En l’espèce, rejetant le recours, il relève que, exerçant le pouvoir souverain qui est le sien en ce domaine, la cour a suffisamment marqué le lien entre les éléments constitutifs du blason litigieux et les caractéristiques de la commune.

(15 juillet 2020, M. X., n° 423702)

 

22 - Service départemental d’incendie et de secours (SDIS) - Régime indemnitaire des sapeurs-pompiers - Autorité compétente - Logement des sapeurs-pompiers - Indemnité substitutive - Conditions d’octroi - Cassation avec renvoi.

Le litige portait sur le régime indemnitaire applicable aux sapeurs-pompiers n’étant pas logés en caserne par le département.

Trois questions devaient être résolues.

1°/  Il résulte de diverses dispositions du décret du 25 septembre 1990 portant dispositions communes à l'ensemble des sapeurs-pompiers professionnels  qu’un partage de compétences s’opère entre, d’une part, le conseil d’administration du SDIS, compétent pour fixer le régime indemnitaire des sapeurs-pompiers professionnels, et notamment pour instaurer, dans les limites fixées à l'article 6-6 du décret, une indemnité de logement au bénéfice des sapeurs-pompiers professionnels qui ne sont pas logés, et, d’autre part, le président de ce conseil d’administration, seul compétent pour fixer le taux individuel de ce régime indemnitaire applicable à chaque sapeur-pompier.

2°/ Lorsque le sapeur-pompier ne bénéficie pas d’un logement attribué par le service, il a droit à une indemnité compensatrice.

3°/ Cette indemnité lui est due aussi bien lorsque cette absence d’attribution de logement résulte d’une décision de service que lorsqu’elle résulte de ce que le sapeur-pompier a refusé cette attribution.

(29 juillet 2020, Mme X., n° 423420)

 

23 - Communes associées - Procédure de séparation - Séparation impossible dans l’année précédant les élections municipales - Arrêt jugeant le contraire - Cassation sans renvoi, le Conseil d’État statuant au fond.

Le préfet de l’Ariège ayant refusé la séparation de deux communes jusque-là associées au motif que cette séparation ne pouvait pas intervenir dans l’année précédant les élections municipales, les intéressés ont saisi le juge administratif qui leur a donné gain de cause tant en première instance qu’en appel.

Sur pourvoi ministériel, le Conseil d’État donne raison au préfet au prix d’une interprétation singulièrement large des dispositions de l’art. 7 de la loi du 11 décembre 1990. Alors que celles-ci n’évoquent expressis verbis que les seules modifications de circonscriptions précédant les élections cantonales ou régionales, point celles municipales, le Conseil d’État, se fondant sur les travaux parlementaires ayant conduit à l’adoption de la loi de 1990, considère qu’elles s’appliquent aux élections municipales et cela malgré le fait que les dispositions de l’art. L. 2112-12 du CGCT sont en sens contraire ; le juge lève ce dernier obstacle en appliquant le principe lex posterior derogat priori.

On a fait parfois plus convaincant comme raisonnement.

Le pourvoi est admis.

(29 juillet 2020, Ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, n° 427610)

 

24 - Communauté de communes - Extension de son périmètre de compétence - Eau et assainissement - Opposition de certaines communes membres - Régime spécial de la loi du 3 août 2018 - Conséquences.

Le Conseil d’État était saisi de la délicate question de la combinaison de dispositions législatives de circonstance avec le droit commun régissant les intercommunalités en matière d’élargissement (obligatoire ou facultatif) du périmètre des compétences dévolues à l’ensemble intercommunal. Il ressort ceci de l’interprétation, constructive mais logique, qu’il donne des textes.

Selon l’art. 1er de la loi n° 2018-702 du 3 août 2018, lorsque au moins 25 % des communes membres d'une communauté de communes représentant au moins 20 % de la population s'opposent, avant le 1er juillet 2019, au transfert obligatoire des compétences eau et assainissement à la communauté de communes au 1er janvier 2020, ce transfert obligatoire est reporté au 1er janvier 2026.

Ces dispositions spéciales doivent être combinées avec les dispositions générales, ou de droit commun, de l’art. L. 5211-17 du CGCT qui régissent les transferts facultatifs de compétences. Ces dernières dispositions, qui renvoient notamment aux conditions de majorité requise pour la création de l'établissement public de coopération intercommunale, ne peuvent donc recevoir application entre le 1er juillet 2019 et le 1er janvier 2020. 

Après cette date, elles ne peuvent recevoir application qu'à la condition que ne s'y opposent pas, dans les trois mois, au moins 25 % des communes représentant au moins 20 % de la population.

(29 juillet 2020, Commune de Salses-le-Château et commune de Duilhac-sous-Peyrepertuse, n° 437283)

 

Contentieux administratif

 

25 - Demande d’aide juridique - Effet sur le délai de recours - Cas d’un étranger faisant l’objet d’une OQTF par suite du refus d’un titre de séjour - Effet, en ce cas, de la demande d’aide juridique - Cas des cours administratives d’appel et des juridictions administratives spécialisées - Rejet du pourvoi contre l’ordonnance d’appel.

La demande d’aide juridique (régime issu de la loi du 10 juillet 1991 et du décret d’application du 19 décembre 1991) a pour effet de suspendre le délai du recours contentieux jusqu’ à la décision sur l’octroi ou le refus de cette aide.

Dans cette affaire le Conseil d’État, car la question n’était pas tranchée jusque-là avec netteté, indique que les dispositions des art. 38 et 39 du décret précité s’appliquent également aux cours administratives d’appel et aux juridictions administratives spécialisées statuant en premier degré et dont jugements sont susceptibles de recours devant une juridiction d'appel statuant elle-même à charge de recours devant le Conseil d'État.

Il indique aussi que le délai de recours contentieux contre le jugement rendu en première instance interrompu par la demande d’aide juridique, recommence à courir à compter du jour de la réception par l'intéressé de la notification de la décision du bureau d'aide juridictionnelle ou, si elle est plus tardive, de la date à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné et, précise-t-il, « non de la date à laquelle le demandeur à l'aide juridictionnelle ne peut plus contester la décision d'admission ou de rejet de sa demande en application du premier alinéa de l'article 56 du décret (du 19 décembre 1991) ».

(1er juillet 2020, M. X., n° 426203)

 

26 - Recours pour excès de pouvoir contre un arrêté - Recours dirigé contre une disposition non réglementaire de cet arrêté - Recours ne relevant pas de la compétence directe en premier et dernier ressort du Conseil d’État - Renvoi au tribunal administratif.

La fédération requérante demandait directement au Conseil d’État l’annulation pour excès de pouvoir d’un arrêté ministériel précisant les conditions d'exercice de la pêche de loisir réalisant des captures de thon rouge (Thunnus thynnus) dans le cadre du plan pluriannuel de reconstitution des stocks de thon rouge dans l'Atlantique Est et la Méditerranée pour l'année 2019.

Par la disposition contestée le ministre chargé de la pêche maritime se borne à procéder à la répartition d'un quota de pêche. Une telle mesure ne revêt aucun caractère réglementaire, elle ne relève donc pas de la compétence en premier ressort du Conseil d'État en vertu du 1° de l'article R. 311-1 du CJA, cela, alors même que cet arrêté comporte des dispositions réglementaires mais non attaquées dans le cadre du présent recours.

Il faut supposer, naturellement, que les dispositions, celle non réglementaire et celles réglementaires, de cet arrêté ne sont pas indivisibles.

(8 juillet 2020, Fédération nationale de la plaisance et des pêches en mer (FNPP), n° 429469)

 

27 - Ordonnance de l’art. 38 du 6 février 2019 - Ordonnance en vue d’organiser la sortie sans accord du Royaume-Uni de l’Union européenne - Signature postérieure d’un accord sur cette sortie entre le Royaume-Uni et l’Union européenne - Recours contre l’ordonnance devenue caduque - Recours sans objet - Rejet.

Est rejeté car devenu sans objet, un recours dirigé contre une ordonnance de l’art. 38 (et son décret d’application) prise sur habilitation du parlement en vue d’organiser les relations futures de la France en cas de sortie sans accord du Royaume-Uni de l’Union européenne dès lors qu’est devenu définitif par la suite un accord sur les conditions de cette sortie. L’ordonnance étant devenue caduque, le recours dirigé contre elle a perdu son objet et cela alors même que subsisterait le litige relatif à la contestation de cet accord.

(1er juillet 2020, M. X. et autres, n° 428134 et n° 449442, jonction)

(28) V. aussi, contestant cette même ordonnance en tant qu’elle porte diverses adaptations et dérogations temporaires nécessaires à la réalisation en urgence des travaux requis par le rétablissement des contrôles à la frontière avec le Royaume-Uni en raison du retrait de cet État de l'Union européenne : 1er juillet 2020, Conseil national de l'Ordre des architectes, n° 429132. 

Sur cette décision v. également le n° suivant

 

29 - Ordonnance de l’art. 38 - Ordonnance du 6 février 2019 prise en vue d’organiser les conséquences d’une sortie sans accord du Royaume-Uni de l’Union européenne - Nature juridique d’une ordonnance non ratifiée même après expiration de la durée de l’habilitation - Nature de décision administrative dont le contentieux relève de la compétence du juge administratif - Rejet.

Par-delà son objet direct - le régime juridique de certains travaux urgents à entreprendre du fait de la sortie sans accord du Royaume-Uni de l’Union européenne - la présente décision vaut surtout par la solution, implicite mais certaine, qu’elle contient.

Le Conseil constitutionnel a jugé récemment (28 mai 2020, n° 2020-843 QPC) qu’une ordonnance de l’art. 38 non ratifiée pouvait, à l’expiration du délai d’habilitation et alors même qu’elle n’aurait pas été ratifiée, faire l’objet d’une QPC car elle contient des « dispositions législatives » (solution réitérée par : 3 juillet 2020, M. Sofiane A. et autre, QPC n° 2020-851/852).

Cette solution surprenante et qui n’a pour elle aucune vertu ni logique ni pratique, a été généralement critiquée. Était donc attendue la réaction du Conseil d’État. Ce dernier s’est prononcé à deux reprises déjà. Dans sa décision du 11 juin 2020 (X., n°s 437851, 438129, 438195, 438266), saisi de recours contre le régime juridique des commissions administratives paritaires de la fonction publique, il avait tenu à préciser, à propos de l’art. 1er de l’ordonnance du 13 avril 2017 portant diverses mesures relatives à la mobilité dans la fonction publique, que « ces dispositions, qui ne sont au demeurant pas applicables au présent litige, n'ont pas été ratifiées. Les requérants ne peuvent par suite exciper de leur inconstitutionnalité dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité. » La réponse était d’autant plus claire qu’elle ne s’imposait pas pour la résolution du litige qui était soumis au juge. La solution de la présente décision est, elle aussi, contraire à la solution inédite et étrange retenue par le C.C. le 28 mai 2020. Elle concerne une ordonnance non ratifiée, contestée devant le juge administratif après l’expiration de la durée d’habilitation. Elle confirme la compétence du juge administratif pour en connaitre et donc sa seule nature de décision administrative.

(1er juillet 2020, Conseil national de l'Ordre des architectes, n° 429132)

 

30 - Autorité de chose jugée par une juridiction répressive - Portée sur les décisions du juge administratif - Distinction entre constatations de fait et appréciation juridique - Caractère absolu de cette autorité - Application en cas de décision pénale survenue après la décision du juge administratif frappée de cassation.

Rappel du régime des relations entre juge répressif et juge administratif.

En premier lieu, l’autorité de la chose définitivement jugée par le juge répressif s'impose aux juridictions administratives en ce qui concerne la constatation matérielle des faits mentionnés dans le jugement et qui sont le support nécessaire de son dispositif. 

En second lieu, le moyen tiré de la méconnaissance de cette autorité, laquelle présente un caractère absolu, est d'ordre public et peut être invoqué pour la première fois devant le Conseil d'État, juge de cassation. Il en va ainsi même si le jugement pénal est intervenu postérieurement à la décision de la juridiction administrative frappée de pourvoi devant le Conseil d'État. 

(10 juillet 2020, M. X., n° 431890) 

 

31 - Commentaires administratifs de l’administration fiscale - Fixation de son interprétation des dispositions du 1° du 4 de l’art. 261 CGI - Demande d’annulation partielle - Dispositions indivisibles - Irrecevabilité.

Rappel d’un grand classique du contentieux administratif : sont irrecevables les demandes d’annulation partielle d’actes dont les dispositions sont indivisibles.

(29 juillet 2020, Syndicat national de chirurgie plastique reconstructrice et esthétique, n° 440591)

 

32 - Délai de recours contentieux contre une décision administrative individuelle -Notification irrégulière ne déclenchant pas le délai de recours - Inapplication de la règle du délai raisonnable quand la décision est relative à la mise en jeu de la responsabilité d’une personne publique - Erreur de droit de l’arrêt contraire - Cassation avec renvoi.

La communauté requérante avait réclamé en vain à l’une de ses communes membres le reversement de la taxe locale d'équipement et de la taxe d'aménagement qu'elle avait prélevées auprès de titulaires de permis de construire au sein de sa zone d'aménagement économique. Elle a saisi les juges administratifs de première instance et d’appel qui ont, chacun, rejeté son recours motif pris de ce que la communauté avait réclamé le paiement de sa créance en saisissant le juge plus d’un an après le rejet de la réclamation qu'elle avait formée auprès de cette commune, donc au-delà de la durée normale du délai raisonnable.

Cette solution est cassée pour erreur de droit car cette règle est sans application aux recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d'une personne publique, lesquels ne tendent pas à l'annulation ou à la réformation de la décision rejetant tout ou partie de cette réclamation mais à la condamnation de la personne publique à réparer les préjudices qui lui sont imputés. 

En ce cas, c’est donc au mécanisme de la prescription quadriennale que la loi du 31 décembre 1968 a confié la prise en compte de la sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause indéfiniment des situations consolidées par l'effet du temps. Cette sécurité juridique est, ici, assurée par les règles de prescription prévues par la loi du 31 décembre 1968 ou, en ce qui concerne la réparation des dommages corporels, par celles de l'article L. 1142-28 du code de la santé publique.

C’est donc à tort que les premiers juges ont opposé la forclusion en l’espèce.

(29 juillet 2020, Communauté de communes de la Plaine dijonnaise, n° 423631)

 

33 - Juridiction des référés - Juridiction du provisoire - Nature et régime juridiques des décisions rendues en référé - Décisions dépourvues de l’autorité de chose jugée - Décisions de nature juridictionnelle donc de caractère exécutoire - Conséquences - Rejet.

Dans un contentieux portant sur une provision allouée par le juge du référé provision, le Conseil d’État rappelle une règle constante et importante, parfois perdue de vue, et en tire, au cas d’espèce, une conséquence un peu inattendue.

Tout d’abord est rappelée la règle selon laquelle si les décisions de la juridiction du référé, parce elle n’est qu’une juridiction du provisoire, n’ont pas l’autorité de chose jugée, elles sont néanmoins des décisions juridictionnelles et revêtent de ce fait un caractère exécutoire.

Ensuite, le juge en tire cette conséquence que l’émission par la collectivité publique bénéficiaire d’une provision allouée en référé d’un titre de recettes ou exécutoire destiné à en assurer le recouvrement n’a aucune portée juridique propre et, par exemple, cesserait de produire tout effet, en cas d’annulation de l’ordonnance de référé allouant la provision.

(22 juillet 2020, Société immobilière Massimi, n° 426210)

 

34 - Aménagement commercial - Personne ayant saisi d’un recours administratif préalable obligatoire (RAPO) la commission nationale d’aménagement commercial (CNAC) - Notion de partie à l’instance - Qualité, ici, de défendeur de la personne contestant l’autorisation accordée par une commission départementale d’aménagement commercial (CDAC) - Éligibilité au bénéfice de l’art. L. 761-1 du CJA.

Le litige portait sur le refus de délivrer un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale en vue de la réalisation d'un ensemble commercial.

Alors que la requérante avait obtenu un avis favorable de la CDAC à son projet, le permis lui a été refusé par le maire de la commune d’implantation et deux personnes morales ont saisi d’un RAPO la CNAC qui a rendu un avis défavorable.

Le recours de l'une d'elles ayant été rejeté par la cour administrative d’appel, la requérante s’est pourvue en cassation.

S’agissant de régler la question de l’attribution du bénéfice de l’art. L. 761-1 du CJA (frais irrépétibles), le Conseil d’État juge que la société qui a saisi la CNAC avait, tant devant la cour que devant le Conseil d’État, la qualité de partie en défense, d’où son droit au bénéfice de cette disposition.

(3 juillet 2020, Société Rodrigue, n° 420346)

 

35 - Étranger - Demande de titre de séjour - Nature de la convocation de l’étranger en préfecture - Absence de caractère décisoire - Régime du refus d’avancer la date de rendez-vous en cas d’urgence.

(avis de droit, 1er juillet 2020, M. et Mme X., n° 436288) V. n° 155

 

36 - Contentieux de l’urbanisme - Règles de procédure spéciales - Décret du 17 juillet 2018 portant modifications de la partie réglementaire du code de l’urbanisme - Incompétences alléguées du pouvoir réglementaire - Absence - Rejet.

Les organisations requérantes estimaient entachées d’incompétence diverses dispositions du décret du 17 juillet 2018 portant modification du code de justice administrative et du code de l'urbanisme dans leurs parties réglementaires motif pris de ce que ces dispositions relèveraient de la compétence du législateur.

Tous les griefs, concernant à titre principal cinq dispositions, sont rejetées par le Conseil d’État.

La première figure dans le code de justice administrative, il s’agit de l’art. R. 612-5-2.

Selon ce texte, la notification de l'ordonnance du juge des référés rejetant des conclusions à fin de suspension en raison de l'absence de moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur la légalité de la décision litigieuse, doit mentionner - à peine d'irrégularité de la décision constatant le désistement - l'obligation pour l'intéressé de confirmer dans le délai d'un mois le maintien de sa requête au fond, ainsi que les conséquences d'une abstention de sa part. Prises dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, elles ne portent atteinte ni au droit constitutionnel et conventionnel à un recours juridictionnel effectif ni au caractère provisoire des décisions du juge du référé suspension. Elles ne sont donc ni illégales ni entachées d’incompétence.

Les quatre autres dispositions contestées figurent dans le code de l’urbanisme, ce sont les art. R. 600-3, R. 600-4, R. 600-5 et R. 600-6.

L’art. R. 600-3, en ce qu’il dispose qu’ « aucune action en vue de l'annulation d'un permis de construire ou d'aménager ou d'une décision de non-opposition à une déclaration préalable n'est recevable à l'expiration d'un délai de six mois à compter de l'achèvement de la construction ou de l'aménagement », se borne à poser une règle inspirée du souci de sécurité juridique sans porter atteinte au droit à recours effectif et n’est donc pas entaché d’incompétence.

L’art. R. 600-4, en ce qu’il dispose que les requêtes dirigées contre une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol sont irrecevables lorsqu’elles ne sont pas accompagnées des pièces justificatives nécessaires pour apprécier si les conditions de recevabilité fixées par les articles L. 600-1-1 et L. 600-1-2 du code de l'urbanisme sont remplies, et en ce qu’il précise que cette irrecevabilité ne peut être opposée sans que l'auteur de la requête soit invité à la régulariser en produisant les pièces requises, ne méconnaît pas non plus le droit à recours effectif et n’est pas entaché d’incompétence.

L’art. R. 600-5 institue une règle de cristallisation des moyens en limitant le délai ouvert aux parties pour invoquer des moyens nouveaux à deux mois suivant la communication du premier mémoire en défense (cf. art.  R. 611-3 CJA). Le juge a cependant le pouvoir de reporter ce délai et de fixer une nouvelle date de cristallisation des moyens lorsque l'affaire le justifie. Recherchant la sécurité juridique et un délai raisonnable de jugement des affaires, cette disposition, qui ne porte pas atteinte au droit à recours effectif, n’est pas davantage entachée d’incompétence.

L’art. R. 600-6, qui décide que le juge de première instance, puis, à son tour, la cour administrative d’appel doivent statuer chacun respectivement dans un délai de dix mois sur les recours contre les permis de construire un bâtiment comportant plus de deux logements ou contre les permis d'aménager un lotissement, poursuit le souci d’une bonne administration de la justice, notamment en respectant un délai raisonnable de jugement, sans méconnaître ni le principe de la séparation des pouvoirs ni celui de l'indépendance de la juridiction administrative et sans porter atteinte au droit à recours juridictionnel effectif ou à l’égalité entre justiciables. Il n’est donc pas entaché d’incompétence.

La démonstration est ainsi faite de la difficulté à obtenir la censure de dispositions prises sur l’instigation ou avec l’accord plein et entier du Conseil d’État.

(3 juillet 2020, Conseil national des barreaux et autres, n° 424293 ; Syndicat des avocats de France, n° 427249, jonction)

 

37 - Office national des infections nosocomiales, des infections iatrogènes et des accidents médicaux (ONIAM) - Offre partielle d’indemnisation - Refus partiel d’indemnisation - Liaison du contentieux en cas de recours juridictionnel subséquent - Point de départ des délais de recours contentieux - Cassation partielle et renvoi dans cette mesure.

Le Conseil d’État tranche dans cette affaire trois importantes questions procédurales.

A la suite d’une thyroïdectomie, la requérante a éprouvé divers troubles dont elle a demandé réparation. L’ONIAM a, le 2 mars 2015, au titre de la solidarité nationale, fait part à la demanderesse d’une proposition d'indemnisation couvrant cinq postes de préjudices non patrimoniaux et a réservé l'indemnisation des autres postes dans l'attente de la production par l'intéressée de pièces justificatives complémentaires. 

Sans répondre à cette offre, celle-ci a saisi le tribunal administratif, le 29 août 2016, d'une demande tendant à la condamnation de l'ONIAM à réparer l'ensemble de ses préjudices. Le tribunal a, d‘une part, condamné l'ONIAM à lui verser une somme au titre de l'ensemble des préjudices nés de l'opération chirurgicale et, d’autre part, rejeté comme tardives les conclusions tendant à l'indemnisation des cinq chefs de préjudice ayant fait l'objet de l'offre de l'ONIAM du 2 mars 2015.

La cour administrative d’appel ayant, dans son principe, confirmé ce jugement, la demanderesse se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État tranche une première question, celle de l’effet contentieux des offres partielles et des refus partiels d’indemnisation de certains chefs de préjudices : ceux-ci lient le contentieux indemnitaire devant la juridiction administrative.

De là découle inéluctablement la réponse à la seconde question : Le délai de recours contentieux à fins indemnitaires ne court qu'à compter de la notification de l'ultime proposition de l'ONIAM ou de sa décision de rejet d'indemnisation pour les postes de préjudices restants.

Enfin, est apportée une réponse à une troisième question, assez disputée et délicate, qui est de savoir si la règle dite du délai raisonnable - applicable en cas de notification défectueuse d’une décision administrative - joue également pour les recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d'une personne publique.

La réponse est négative car - et cela alors même que ces recours doivent être précédés d'une réclamation auprès de l'administration - de tels recours ne tendent pas à l'annulation ou à la réformation de la décision rejetant tout ou partie de cette réclamation mais à la condamnation de la personne publique à réparer les préjudices qui lui sont imputés. 

Le Conseil d’État estime ces principes applicables aux recours indemnitaires engagés par les victimes d'un dommage imputable à une activité de prévention, de diagnostic ou de soins, ou à leurs ayants droit, auxquels l'ONIAM a adressé ou refusé une offre d'indemnisation, que ce soit à titre partiel ou à titre global et définitif.

En conséquence de ce qui précède est prononcée la cassation de l’arrêt litigieux mais seulement en tant qu'il rejette les conclusions de la requérante tendant à la réparation des souffrances endurées, du préjudice esthétique temporaire, du préjudice esthétique permanent, du préjudice sexuel et des frais d'acquisition d'un véhicule adapté.

(8 juillet 2020, Mme X., n° 426049)

 

38 - Référé suspension - Soumission à la réunion concomitante de deux conditions - Exigence d’une urgence et d’un moyen susceptible de créer un doute sérieux - Rejet.

Reprise d’une antienne traditionnelle : l’octroi du référé suspension est subordonné à la réunion concomitante de deux conditions, l’urgence et l’existence d’un moyen susceptible de créer un doute sérieux sur la légalité de la décision dont la suspension est demandée. Le défaut de l’une de ces deux conditions ne peut aucunement être suppléé par la présence, même « massive » et certaine, de l’autre condition.

D’où ce rappel, un tantinet agacé, que : « Toutefois, la condition d'urgence posée par l'article L. 521-1 du code de justice administrative est distincte du point de savoir si les moyens invoqués sont propres à faire naître, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée. »

(3 juillet 2020, Syndicat unité magistrat SNM FO, n° 441256)

 

39 - Covid-19 - Référés des art. L. 521-1 et L. 521-2 CJA - Procédures organisées par les art. L. 522-1 et L. 522-3 du CJA - Intervention exceptionnelle des art. 1 et 9 de l’ordonnance modifiée du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif - Portée - Cassation sur ce point mais rejet du recours sur le fond.

Le litige portait sur le refus des autorités françaises d’autoriser une ressortissante centrafricaine et son enfant, venant d’Italie et demandeuse d’asile, d’accéder au territoire français.

Se posait en particulier une question de combinaison des textes relatifs aux deux référés, suspension et liberté, et à leur procédure avec celles des dispositions de l’ordonnance du 25 mars 2020 modifiée aménageant la procédure de référé.

Comme l’on sait, le juge des référés statuant sur une demande de suspension (L. 521-1 CJA) ou sur une demande en cessation d’atteinte à une liberté fondamentale (L. 521-2 CJA) dispose de deux voies procédurales. Soit celle de l’art. L. 522-1 CJA qui organise une procédure contradictoire et publique, soit celle de l’art. L. 522-3 CJA qui permet de rejeter sans audience publique et sans contradictoire les requêtes sans caractère d'urgence ou celles qui, manifestement, ne relèvent pas de la compétence de la juridiction administrative, ou sont irrecevables ou mal fondées.

Par ailleurs, il résulte des dispositions de l’art. R. 611-1 du CJA que la requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes.

L’ordonnance du 25 mars 2020 a précisé que : « Outre les cas prévus à l'article L. 522-3 du code de justice administrative, il peut être statué sans audience, par ordonnance motivée, sur les requêtes présentées en référé. Le juge des référés informe les parties de l'absence d'audience et fixe la date à partir de laquelle l'instruction sera close. 

Ainsi qu'il est dit à l'article L. 523-1, les décisions prises sans audience, en application du premier alinéa, par le juge des référés saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative peuvent faire l'objet d'un appel lorsqu'elles n'ont pas été rendues en application de l'article L. 522-3 du même code ».

Le Conseil d’État rappelle que si ces dispositions autorisent, par exception, le juge des référés à ne pas tenir d'audience publique, « elles ne sauraient être interprétées comme le dispensant également du respect du caractère contradictoire de la procédure, notamment du respect des dispositions de l'article R. 611-1 du code de justice administrative. »

(ord. réf. 8 juillet 2020, Mme X., n° 440756)

 

40 - Opposition ou non-opposition à une déclaration de travaux - Contestation de cette décision devant le tribunal administratif statuant selon le droit commun - Appel relevant de la cour administrative d’appel - Renvoi du pourvoi à la cour sous forme d’appel.

(9 juillet 2020, Syndicat des copropriétaires de la résidence de l'Agrianthe, n° 440384) V. n° 218

 

41 - Clôture de l’instruction - Mesure d’instruction postérieure ordonnant une communication de pièce - Réouverture de l’instruction nécessaire seulement à l’égard de la communication ordonnée - Obligation pour le juge de tenir compte de cet élément - Cassation avec renvoi.

Un permis de construire ayant été annulé au motif qu'il avait été signé par une adjointe au maire ne disposant pas, à la date où l'acte a été pris, d'une délégation de signature régulièrement publiée, sa bénéficiaire se pourvoit en cassation.

Pour prononcer la cassation demandée le Conseil d’État relève tout d’abord qu’après la clôture de l’instruction du dossier le tribunal a ordonné, près de quatre mois après celle-ci, une mesure d'instruction invitant la commune à rapporter la preuve de la publication de l'arrêté par lequel le maire de la commune avait délégué sa signature à l’adjointe au maire qui avait signé le permis de construire litigieux. Il indique ensuite que cette décision a eu pour effet de rouvrir l’instruction mais seulement sur l’objet de la communication demandée. De ce fait l’instruction a donc été close, à nouveau, soit trois jours francs avant la date de l'audience, si l'avis d'audience en a fait mention, soit, au plus tard, et conformément à une règle générale de la procédure administrative contentieuse, après que les parties ou leurs mandataires ont formulé leurs observations orales à l'audience du 19 février 2018 où l'affaire a été appelée.

Enfin, il juge que si les éléments relatifs à la publication de l'acte réglementaire portant délégation de signature, qui ont été adressés au tribunal par la commune le 26 février 2018 et par la SCI CV Le 118 Résidence le 1er mars 2018, ont ainsi été produits après la clôture de l'instruction, le tribunal administratif ne pouvait régulièrement s'abstenir de tenir compte de ces éléments, pour juger que le permis de construire litigieux avait été délivré par une autorité incompétente et cela alors même que la commune et la SCI étaient en mesure de les verser aux débats avant cette clôture. 

La requérante est donc fondée à demander, pour ce motif, l'annulation du jugement attaqué.

(8 juillet 2020, SCI CV Le 118 Résidence, n° 420570)

 

42 - Désistement - Effets - Effet sur l’application de l’art. L. 761-1 CJA - Effet total sauf précision expresse contraire - Cassation partielle de l’ordonnance.

Rappel de ce que : « Lorsqu'un requérant se désiste, il est réputé se désister également de sa demande tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sauf s'il a formellement maintenu cette demande lors de son désistement. »

(ord. réf. 9 juillet 2020, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 429794)

 

43 - État n’étant ni partie ni représenté dans une instance - État appelé à produire des observations dans celle-ci - Circonstance ne conférant pas à l’État la qualité de partie à l’instance - Cassation sans renvoi.

Dès lors que l’’État n’est ni partie ni représenté à l’instance se déroulant devant une cour administrative d’appel, la seule circonstance qu’il y ait été invité à formuler ses observations sur le litige ne pouvait pas lui conférer la qualité de partie à l’instance.

(8 juillet 2020, Ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, n° 425023)

 

44 - Appel principal - Obligation de production d’une motivation de la requête d’appel - Prohibition de la seule reprise intégrale du mémoire de première instance - Régularisation possible jusqu’à l’expiration du délai d’appel - Solution différente pour le mémoire produit au soutien d’un appel incident lequel est sans limite de délai - Rejet.

Il est de principe qu’une requête d'appel est irrecevable si elle se borne à reproduire intégralement et exclusivement le texte du mémoire de première instance.

Cette solution, bien établie depuis une vingtaine d’années, est heureusement abandonnée par la présente décision, s’agissant des requêtes formées au soutien d’un appel incident, dont on sait que la recevabilité n'est pas subordonnée à une condition de délai et qui, dès lors, peuvent être régularisées à tout moment (abandon de : 17 novembre 1999, Ministre de l'équipement, des transports et du logement, n° 180678).

(10 juillet 2020, Commune d'Aubusson, n° 427884)

 

45 - Tribunal administratif - Absence, sur les jugements rendus, de mention de l’audition du rapporteur public ou de la dispense de ses conclusions - Irrégularité - Annulation avec renvoi.

L’absence, en violation des dispositions de l’art. R. 741-2 CJA, sur la minute d'un jugement de la mention indiquant soit que le rapporteur public a été entendu en ses conclusions soit que l’affaire en cause était dispensée de telles conclusions affecte irrémissiblement sa régularité et entraîne sa cassation.

(13 juillet 2020, Société Oger Nuanciers, n° 428287)

 

46 - Covid-19 - Référé liberté - Annulation, à Roubaix, de festivités prévues le 13 juillet 2020 à partir de 21 heures - Saisine du Conseil d’État le 13 juillet à 18h44 - Requête trop tardive pour être jugée en temps et avec effet utiles - Non-lieu à statuer.

Contestant les motifs et conditions de l’annulation, pour cause de Covid-19, de festivités devant se dérouler à Roubaix le 13 juillet 2020 à partir de 21 heures, le requérant a saisi le tribunal administratif qui a rejeté sa requête par une ordonnance du 13 juillet 2020 dont il a relevé appel devant le Conseil d’État, par une requête enregistrée à 18h44. Le juge ne peut que constater que « La manifestation dont M. X. demande l'interdiction s'étant déjà tenue au moment où, compte tenu des conditions de sa saisine (…), le juge des référés du Conseil d'État statue par la présente ordonnance, la requête d'appel (…) a perdu son objet. Il n'y a donc pas lieu d'y statuer. »

(ord. réf. 14 juillet 2020, M. X., n° 441823)

 

47 - Compétence du tribunal administratif en premier et dernier ressort - Cas des litiges en matière d’aide et d’action sociale (art. R. 811-1 CJA) - Décision du conseil régional de la Réunion de rembourser les billets d’avions de ses agents se rendant de l’île à la métropole ou inversement - Exception inapplicable - Rejet.

La région de la Réunion a décidé, au titre de la continuité territoriale, de rembourser le prix des billets d’avion acquitté par ses agents pour se rendre en métropole ou en revenir.

Un tel mécanisme ne constitue pas une mesure prise en matière d’aide ou d’action sociale et les litiges qu’il peut susciter ne relèvent pas de l’exception procédurale instituée à l’art. R. 811-1 CJA qui fait du tribunal administratif, en cette matière, une juridiction statuant en premier et dernier ressort. 

De tels litiges relèvent des règles et du régime d’appel de droit commun.

(15 juillet 2020, Région de la Réunion, n° 436276)

 

48 - Covid-19 - Clubs de football rétrogradés en National 2 - Aide financière instituée par la Ligue de football professionnel - Refus d’accorder cette aide - Décision sans caractère réglementaire - Incompétence du Conseil d’État pour y statuer en premier et dernier ressort - Rejet.

(ord. réf. 3 août 2020, Société AS Béziers, n° 442310) V. n° 212

 

49 - Délai de recours contentieux - Expiration - Alerte cyclonique les trois jours précédant l’expiration du délai - Dépôt de la requête le lendemain de cette expiration - Absence de forclusion - Cassation avec renvoi.

Doit être cassé l’arrêt d’appel qui rejette pour forclusion un recours introduit le 10 mai alors que le délai de recours expirait le 9 mai sans retenir qu’une alerte cyclonique a provoqué l’interdiction de tout déplacement du 6 mai à 23 heures au 10 mai à 6 heures.

Le bon sens triomphe parfois.

(22 juillet 2020, Mme X., n° 427399)

 

50 - Association - Notion d’intérêt donnant qualité pour agir - Termes très généraux définissant son objet statutaire - Absence d’intérêt - Rejet.

Une association dont l’objet statutaire est « de mener des actions en vue de réhabiliter la démocratie représentative, de promouvoir l'éthique en politique et de lutter contre la corruption en privilégiant les actions d'information, d'éducation et de prévention à l'égard des citoyens », n’a pas, en raison de la généralité des termes définissant cet objet,  d’intérêt lui donnant qualité pour demander au juge des référés la suspension de la lettre de la garde des sceaux, du 1er juillet 2020,  saisissant le chef de l'inspection générale de la justice pour lui demander « dans le respect de l'indépendance des décisions juridictionnelles rendues » de bien vouloir, « conduire une inspection de fonctionnement » du parquet national financier portant sur le déroulement d'une enquête préliminaire engagée par ce parquet.

(ord. réf. 17 août 2020, Association Anticor, n° 442773)

 

51 - Recours pour excès de pouvoir - Non-lieu à statuer - Autorité de chose jugée - Absence - Rejet.

Dans le cadre d’un recours contre le rejet d’une demande d’asile, le juge rappelle qu’une « décision de non-lieu à statuer rendue sur un recours pour excès de pouvoir n’(est) ni revêtue de l'autorité de la chose jugée, ni créatrice de droits, ni susceptible de mesures d’exécution ». Il s’ensuit qu’un requérant ne saurait utilement se prévaloir de ce qu'elle aurait été rendue à la suite d'une instruction entachée d'irrégularité.

(ord. réf. 12 août 2020, M. X., n° 442595)

 

52 - Référé suspension - Arrêté préfectoral approuvant une concession d’utilisation de dépendances subaquatiques du domaine public maritime - Recours de tiers - Invocation exclusivement de vices propres à l’acte d’approbation du contrat - Absence - Annulation sans renvoi.

Une association a demandé au juge des référés et obtenu de lui la suspension de l'exécution de l'arrêté par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a approuvé la convention conclue en vue de la concession à l'association Les amis du musée subaquatique de Marseille de l'utilisation de dépendances du domaine public maritime pour une durée de 15 ans afin de créer « un musée subaquatique ». L’association bénéficiaire de la convention se pourvoit contre cette ordonnance.

Le Conseil d’État rappelle que les tiers à un contrat disposent, à la fois, d’un recours de pleine juridiction contre les clauses du contrat ou ses conditions d’exécution et du recours pour excès de pouvoir contre l’acte administratif d’approbation du contrat, chacun de ces recours devant satisfaire à des exigences propres.

Il relève que pour ordonner la suspension de l’arrêté litigieux le juge des référés a retenu deux moyens (méconnaissance de l’exigence de publicité et méconnaissance des règles de composition du dossier d’enquête) qui ne mettaient en cause que la régularité de la procédure conduisant à la conclusion de la convention domaniale et non des vices propres à l'acte d’approbation, seuls susceptibles d’être soulevés dans le cadre du recours pour excès de pouvoir dirigé contre l’acte d’approbation.

L’ordonnance de suspension est annulée et aucun des autres moyens soulevés n’étant propre à convaincre de l’illégalité de l’arrêté querellé, le pourvoi est rejeté sans qu’il soit besoin d’examiner la condition d’urgence.

(ord. réf. 16 juillet 2020, Association "Les amis du musée subaquatique de Marseille", n° 430518)

 

53 - Référé - Saisine directe du Conseil d’État en premier et dernier ressort - Matière ne relevant pas de cette compétence dérogatoire - Rejet du référé.

Rappel, une nouvelle fois, de ce que le juge des référés du Conseil d'État ne peut être régulièrement saisi, en premier et dernier ressort, d'une requête tendant à la mise en oeuvre de l'une des procédures régies par le livre V du code de justice administrative que pour autant que le litige principal auquel se rattache ou est susceptible de se rattacher la mesure d'urgence qu'il lui est demandé de prendre, ressortit lui-même à la compétence directe du Conseil d'État.

Tel n’est pas le cas en l’espèce où le requérant demandait la prise de toutes mesures de nature à mettre fin aux agissements du centre audiovisuel d'études juridiques des universités de Paris qui refuse d'entériner les examens de master 1 qu'il a passés au cours de l'année 2019-2020.

(ord. réf. 17 août 2020, M. X., n° 442807)

 

54 - Référé liberté - Requête n’exposant aucun fait, dépourvue de moyens et de conclusions - Irrecevabilité manifeste - Rejet.

Est manifestement irrecevable, la requête en référé liberté (mais il en irait de même de toute autre espèce de requête) qui, n’exposant aucun fait, est dépourvue de moyen et ne contient pas de conclusions.

Pourquoi ne pas infliger en ce cas une amende pour recours abusif ?

(ord. réf. 16 juillet 2020, Mme X., n° 441821)

 

55 - Recours en interprétation - Tribunaux de commerce - Interprétation de l’article L. 723-7 du code de commerce (loi n° 2019-486 du 22 mai 2019) - Guide pratique pour l'organisation des élections des tribunaux de commerce pour l'année 2019 -- Renvoi préjudiciel par le juge judiciaire par voie d’exception d’illégalité - Interprétation erronée et donc illégale.

Le Conseil d’État interprète l’article L. 723-7 du code de commerce (loi n° 2019-486 du 22 mai 2019), prévoyant que les juges des tribunaux de commerce élus pour cinq mandats successifs dans un même tribunal de commerce ne sont plus éligibles dans ce tribunal comme n'interdisant à un juge consulaire d'être à nouveau élu dans le même tribunal de commerce que s'il y a exercé continûment cinq mandats. C’est donc illégalement que le « Guide pratique pour l'organisation des élections des tribunaux de commerce pour l'année 2019 » dit qu'un juge consulaire ne peut exercer, au sein d'un même tribunal de commerce, plus de cinq mandats même accomplis de façon discontinue.

(10 juillet 2020, Mme X., n° 436954)

 

56 - Référé liberté - Demande indemnitaire - Exclusion de l’office du juge de ce référé - Rejet.

Il n'entre pas dans l'office du juge des référés, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de se prononcer sur des conclusions indemnitaires. De telles conclusions sont, par suite, irrecevables.

(ord. réf. 19 août 2020, M. X., n° 442750)

 

57 - Référé suspension - Acte préparatoire - Suspension impossible - Rejet.

La société requérante poursuivait l’annulation de l'arrêté ministériel du 30 décembre 2019 relatif aux modalités et aux conditions d'attribution d'autorisations d'utilisation de fréquences dans la bande 3.5 GHz en France métropolitaine pour établir et exploiter un réseau radioélectrique mobile ouvert au public et, corrélativement, en demandait la suspension.

Toutefois, le juge relève que l’arrêté attaqué présente le caractère d'une mesure préparatoire. Il n'est donc pas susceptible d'être déféré au juge de l'excès de pouvoir et ne peut être contesté qu'à l'appui de recours dirigés contre les actes désignant les opérateurs choisis à l'issue de cette procédure.

La procédure de référé suspension étant liée à une demande d’annulation, il s’ensuit que l’impossibilité de saisir le juge de cette dernière rend pareillement impossible la formation d’un tel référé, lequel est, en ce cas, irrecevable.

(ord. réf. 21 juillet 2020, Société Bouygues Télécom, n° 441924)

 

58 - Affichage du sens des décisions de justice - Affichage d’une décision de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) (art. R. 733-31 CESEDA) — Affichage comportant une erreur - Erreur sans incidence sur la régularité de la décision - Rejet.

L’erreur que comporte le texte d’une décision de la CNDA ayant fait l’objet de l’affichage prévu par l’art. R. 733-31 du CESEDA n’a pas pour effet d’affecter sa régularité dès lors que ce texte est conforme à la minute signée de la décision rendue par la Cour.

(22 juillet 2020, M. X. et Mme Y., n° 430601)

 

59 - Intérêt pour agir - Personne morale - Syndicat de magistrats - Décision de saisine de l’inspection générale de la justice en vue d’évaluer le fonctionnement d’un parquet spécialisé - Absence d’intérêt pour agir - Inspection sans effet sur les intérêts et le statut des personnes que ce syndicat représente - Rejet.

Par deux référés, un référé liberté et un référé suspension, un syndicat de magistrats demande la suspension d’exécution de la décision de la garde des sceaux ordonnant à l'inspection générale de la justice une inspection sur une enquête réalisée par le parquet national financier.

Observant tout d’abord que, selon une jurisprudence absolument constante, l’intérêt pour agir s’apprécie non au regard des moyens invoqués mais des conclusions présentées, le Conseil d’État juge ensuite qu’un syndicat de magistrats n’a d’intérêt pour agir en l’espèce, l’inspection critiquée dont s’agit n’étant pas de nature à affecter les conditions d'emploi et de travail des magistrats judiciaires dont ce syndicat défend les intérêts collectifs, et ne porte par elle-même aucune atteinte à leurs droits et prérogatives statutaires. 

Les deux demandes de référés jointes sont, sans surprise, rejetées.

(27 juillet 2020, Syndicat de la magistrature, n° 442127 et n° 442129, jonction)

 

60 - Compétence à l’intérieur de l’ordre administratif de juridiction - Renvoi pour incompétence de la juridiction saisie à une autre juridiction administrative - Doute sur la compétence de cette dernière - Délai maximum de trois mois pour saisir le président de la Section du contentieux du Conseil d’État - Non-respect de ce délai - Obligation pour la juridiction de juger elle-même l’affaire.

Selon l’art. R. 351-3, al. 1 du CJA, « Lorsqu'une cour administrative d'appel ou un tribunal administratif est saisi de conclusions qu'il estime relever de la compétence d'une juridiction administrative autre que le Conseil d'État, son président, ou le magistrat qu'il délègue, transmet sans délai le dossier à la juridiction qu'il estime compétente ». 

En vertu de l’art. R. 351-6 CJA, le président de la juridiction à laquelle une affaire a été transmise sur le fondement des dispositions précitées de l’art. R. 351-3, al. 1, s'il estime que cette juridiction n'est pas compétente, peut transmettre le dossier de celle-ci au président de la section du contentieux du Conseil d'État dans le délai de trois mois à compter de l'enregistrement de l'ordonnance. 

Lorsque, comme c’était le cas en l’espèce, le délai de trois mois est expiré sans qu’il ait été renvoyé à ce dernier, le jugement de cette affaire ne peut en principe plus être attribué à une autre juridiction (par application de l'art. R. 351-9 CJA).

(29 juillet 2020, M. X., n° 435998)

 

61 - Référé conservatoire (art. L. 521-3 CJA) - Caractère subsidiaire - Régime et conditions de mise en oeuvre - Existence certaine d’un péril grave - Absence - Annulation.

Statuant sur un litige opposant la région requérante et un particulier à propos de la protection contre des roches surplombant la propriété de ce dernier, le Conseil rappelle ce qu’est la fonction du référé conservatoire de l’art. L. 521-3 CJA.

Tout d’abord, ce référé a un caractère subsidiaire par rapport aux référés des art. L. 521-1 et L. 521-2 ; c’est pourquoi, toutes les fois où c’est possible doit être préférée l’utilisation de ces derniers plutôt que celle de l’art. L. 521-3.

Ensuite, les mesures, provisoires ou conservatoires, sollicitées par ce moyen doivent être commandées par l’urgence, laquelle doit être expressément constatée par le juge des référés.

Egalement, les mesures qu’il est demandé au juge d’ordonner doivent, à la fois, être utiles (cf.  par ex., 24 juillet 2020, M. X., n° 441879), ne se heurter à aucune constatation sérieuse et ne pas faire obstacle à l'exécution d'une décision administrative, y compris celle refusant la mesure demandée.

Enfin, ce n’est que dans le cas où serait constatée l’existence d’un péril grave qu’il pourrait être passé outre au respect de cette dernière condition.

Faute, ici, que le premier juge ait vérifié l’existence d’un péril grave justifiant la dérogation aux conditions légales de mise en oeuvre de ce référé, son ordonnance est annulée.

(ord. réf. 22 juillet 2020, Région Réunion, n° 437494)

(62) V. aussi, sur le caractère subsidiaire du référé conservatoire de l’art. L. 521-3 CJA : ord. réf. 29 juillet 2020, Société Ecolife, n° 423815 ; 29 juillet 2020, Société Alpha Europe Energy, n° 434592

 

63 - Prestation de compensation du handicap - Demande en urgence au président du conseil départemental de modifier, à titre provisoire, son montant - Refus - Juridiction compétente pour en connaître - Incompétence du juge administratif - Rejet.

Le juge administratif n’est pas compétent pour connaître d’un recours dirigé contre le refus du président du conseil départemental, statuant en urgence, de modifier à titre provisoire le montant de la prestation de compensation du handicap ainsi qu'à la réparation des préjudices pouvant en être résultés.

(29 juillet 2020, Mme X., n° 428603)

 

64 - Géomètre-expert - Atteinte aux règles déontologiques - Réalisation d’un bornage par un géomètre au profit de sa fille majeure - Conditions du bornage présentées comme discutables - Plainte d’un tiers devant les instances ordinales - Absence d’intérêt suffisant lui donnant qualité pour agir - Cassation avec renvoi.

 (10 juillet 2020, M. X., n° 428837) V. n° 184

 

65 - Achat ou location d’un véhicule moins polluant - Prime à la conversion de véhicule - Refus de l’Agence de services et de paiement (ASP) d’accorder cette prime - Compétence juridictionnelle pour connaître du contentieux né de ce refus - Nature de ce contentieux - Renvoi à un tribunal administratif.

Il a été institué, à certaines conditions, une prime en vue de permettre le remplacement d’un véhicule par un autre lorsque ce dernier est moins polluant. La requérante, dont la demande adressée à l’ASP a été rejetée, a saisi le juge administratif. S’est alors posée une question de détermination de la juridiction territorialement compétente. Le Conseil d’État, dont on doit supposer qu’il estime que ce contentieux appartient à celui de l’excès de pouvoir et non de la pleine juridiction, décide que de tels litiges relèvent du tribunal administratif dans le ressort duquel a son siège le service régional de l’ASP auteur de la décision attaquée sans qu’il y ait lieu de s’arrêter au fait qu’en réalité cette dernière figure sur un formulaire-type établi par l’ASP pour l’ensemble du territoire national.

(29 juillet 2020, Mme X., n° 435238)

(66) V. aussi, pour une solution identique concernant le refus de l’ASP de délivrer un chèque énergie : 29 juillet 2020, M. X., n° 435998

 

67 - Juridictions administratives - Cour nationale du droit d’asile (CNDA) - Demande de report d’audience - Pouvoir du juge - Absence d’obligation de motiver - Rejet.

Rappel d’une règle constante selon laquelle le juge administratif n’est jamais tenu d’accorder le report d’audience qu’il lui est demandé de décider, sauf dans l’hypothèse, assez exceptionnelle, où les exigences du contradictoire l’imposeraient. 

Il s’ensuit que le rejet d’une demande de report d’audience n’a pas à être motivé.

(29 juillet 2020, M. X., n° 435733)

 

68 - Référé suspension - Demande d’annulation de la décision au fond - Durée des effets d’une suspension - Hypothèse où le juge des référés statue au fond - Non-lieu à statuer - Rejet.

Rappel opportun de ce que lorsque le juge des référés prononce la suspension de l'exécution d'une décision administrative, cette suspension prend fin au plus tard lorsqu'il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision.  Il suit de là que lorsque, comme en l’espèce, l’ordonnance de référé se prononce sur les conclusions à fin d’annulation de l’acte dont la suspension est demandée, cette demande de suspension devient sans objet.

(ord. réf. 31 juillet 2020, M. X. et autres, n° 442187 ; M. et Mme Y. et autres, n° 442251) V. aussi au n° 8

 

Contrats

 

69 - Marchés de fourniture et d’installation de panneaux de signalisation routière verticale - Pratiques anticoncurrentielles ayant donné lieu à condamnation définitive - Action indemnitaire d’une collectivité locale s’estimant victime de manœuvres dolosives - Étendue et conditions du droit à réparation du chef des préjudices subis - Cassation partielle avec renvoi.

Le département de la Seine-Maritime a conclu avec la société requérante des marchés portant sur la fourniture et l'installation de panneaux de signalisation routière verticale. Par une décision du 22 décembre 2010, l'Autorité de la concurrence a condamné huit entreprises, dont la société Lacroix Signalisation, pour s'être entendues sur la répartition et le prix des marchés ayant un tel objet. La société a été condamnée à une sanction pécuniaire confirmée par un arrêt de la cour d'appel de Paris contre lequel a été rejeté un pourvoi en cassation. 

Par trois jugements, le tribunal administratif de Rouen a annulé à la demande du département les marchés conclus avec la société Lacroix Signalisation et condamné cette société à restituer au département l'intégralité des sommes versées dans le cadre de ces marchés.

La cour administrative d'appel de Douai, sur appel de la société Lacroix Signalisation, n’a, réformant ces jugements, fait droit qu'aux conclusions subsidiaires du département de la Seine-Maritime tendant à obtenir une indemnité pour réparer le surcoût lié aux pratiques anticoncurrentielles de la société Lacroix Signalisation, et elle a donc condamné cette dernière à verser au département les sommes dues de ce chef, tout en rejetant le surplus des conclusions des parties. 

La requérante se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu'il a fait droit aux conclusions subsidiaires du département et l’a condamnée à l'indemniser de ses préjudices. 

Par un pourvoi incident, le département de la Seine-Maritime conclut à l'annulation de l'arrêt en tant qu'il a rejeté ses conclusions principales tendant à obtenir la restitution de l'intégralité des sommes versées à l'occasion des marchés conclus avec la société Lacroix Signalisation.

Le Conseil d’État adopte une importante position de principe articulée en trois points.

Tout d’abord, la personne publique victime, de la part de son cocontractant, de pratiques anticoncurrentielles constitutives d'un dol ayant vicié son consentement, dispose d’une faculté d’option. Elle peut saisir le juge administratif, soit alternativement soit cumulativement, d'une part, de conclusions tendant à l'annulation du marché litigieux et à ce que soient tirées les conséquences financières de sa disparition rétroactive, et, d'autre part, de conclusions tendant à la condamnation du cocontractant, au titre de sa responsabilité quasi-délictuelle, à réparer les préjudices subis en raison de son comportement fautif.

Ensuite, en cas d'annulation du contrat en raison d'une pratique anticoncurrentielle imputable au cocontractant, s’ensuivent deux conséquences.

La première concerne directement le cocontractant fautif : celui-ci doit restituer les sommes que lui a versées la personne publique mais il peut prétendre en contrepartie, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement des dépenses qu'il a engagées et qui ont été utiles à celle-ci, ces dépenses doivent être nettes de toute marge bénéficiaire. 

La seconde concerne directement la personne publique contractante : celle-ci n’a pas droit, sur le terrain quasi-délictuel, à la réparation du préjudice lié au surcoût qu'ont impliqué les pratiques anticoncurrentielles dont elle a été victime, dès lors que cette annulation entraîne par elle-même l'obligation pour le cocontractant de restituer à la personne publique toutes les dépenses qui ne lui ont pas été utiles, en revanche, elle peut demander la réparation des autres préjudices que lui aurait causés le comportement du cocontractant.

Faisant application de cette jurisprudence innovante au présent litige, le Conseil d’État annule l’arrêt d’appel en tant qu’il a commis une erreur de droit en rejetant les conclusions principales du département tendant à la restitution des sommes versées, au motif que l’annulation des marchés entachés de dol impliquait seulement que soient réparés, sur le terrain quasi-délictuel, les préjudices subis par le département du fait des agissements dolosifs de la société. 

(10 juillet 2020, Société Lacroix Signalisation, n° 420045)

 

70 - Marché public de fourniture de points lumineux, supports et pièces détachées - Marché à bons de commande sans minimum contractuel - Marché ayant reçu un début d’exécution - Marché résilié - Action en reprise des relations contractuelles - Demandes indemnitaires - Arrêt annulant partiellement le jugement et rejetant les conclusions incidentes d’appel - Cassation partielle avec renvoi.

Une société conclut un marché avec une communauté d’agglomération pour la réalisation de trois lots d’un marché de fourniture de points lumineux, supports et pièces détachées. L’exécution de ce marché ayant débuté le 1er janvier 2015 la résiliation des trois lots est prononcée le 5 février suivant,   avec effet à partir du 1er avril, pour irrégularité affectant sa conclusion. 

La société requérante a demandé au tribunal administratif d’ordonner la reprise des relations contractuelles et de lui allouer l’indemnisation du préjudice subi. Ce dernier a d’abord constaté qu’il n’y avait plus lieu d’ordonner la reprise des relations contractuelles et alloué une certaine somme en réparation du préjudice causé par cette résiliation.

La cour administrative d’appel, saisie à la fois d’un appel principal de la communauté urbaine ayant succédé à la communauté d’agglomération et d’un appel incident de la demanderesse, a annulé le jugement en tant qu’il avait alloué une indemnité et rejeté le surplus des deux appels.

La société se pourvoit en cassation.

Dans cette importante décision le Conseil d’État commence par rappeler une règle bien connue selon laquelle : «  En vertu des règles générales applicables aux contrats administratifs, la personne publique cocontractante peut toujours, pour un motif d'intérêt général, résilier unilatéralement un tel contrat, sous réserve des droits à indemnité de son cocontractant. »

Il explicite ensuite, et c’est l’apport de la décision, les conséquences à tirer de cette affirmation de principe lorsque le contrat est résilié en raison de la grave irrégularité l’entachant :

1°/ Si la gravité de l’irrégularité est telle que le juge du contrat éventuellement saisi pourrait en prononcer l'annulation ou la résiliation, la personne publique peut, respectant l'exigence de loyauté des relations contractuelles, résilier unilatéralement le contrat sans qu'il soit besoin qu'elle saisisse au préalable le juge. 

2°/ En cette occurrence et pour ce motif le cocontractant peut prétendre dans tous les cas, sur un terrain quasi-contractuel, pour la période postérieure à la date d'effet de la résiliation, au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s'était engagé. 

3°/ Lorsque l’irrégularité cause de la résiliation résulte d'une faute de l'administration, le cocontractant peut, en outre, prétendre à la réparation du dommage imputable à la faute de l'administration. Saisi d'une demande d'indemnité sur ce second fondement, il appartient au juge d'apprécier si le préjudice allégué présente un caractère certain et s'il existe un lien de causalité direct entre la faute de l'administration et le préjudice. Semblablement, il devra aussi en cas de fautes commises également par le cocontractant, procéder à un partage des responsabilités.

En l’espèce, le juge de cassation relève la commission d’une erreur de droit par l’arrêt d’appel en ce qu’il a déduit la légalité de la résiliation de l’existence d’une irrégularité conformément à l’une  des stipulations contractuelles sans rechercher, d’une part, si cette irrégularité pouvait être invoquée par la personne publique au regard de l'exigence de loyauté des relations contractuelles et si, d’autre part, elle était d'une gravité telle que, s'il avait été saisi, le juge du contrat aurait pu prononcer l'annulation ou la résiliation du marché en litige, et, dans l'affirmative, sans définir le montant de l'indemnité due à la société requérante.

Enfin, répondant à un argument de la personne publique défenderesse, le juge estime que celle-ci ne peut invoquer la circonstance que le contrat en litige est un marché à bons de commande sans minimum contractuel pour refuser toute indemnisation à la requérante. En effet, il ne résulte d’aucune règle générale applicable aux contrats administratifs que le titulaire d'un tel marché n'aurait, par principe, aucun droit à indemnité dans ce cas particulier de résiliation du contrat.

(10 juillet 2020, Société Comptoir Négoce Equipements, n° 430864)

 

71 - Contrat - Responsabilité contractuelle - Stockage défectueux de farines animales - Stockage sur une dépendance du domaine public sans disposer d’un titre d’occupation de ce domaine - Port autonome du Havre - Intervention de l’établissement public FranceAgriMer - Cassation avec renvoi.

La société SMEG, demanderesse, sollicitait notamment la condamnation de l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) à lui réparer le préjudice financier résultant de la mauvaise exécution de l'avenant au marché d'entreposage de farines animales sur un site.

Le tribunal administratif, confirmé en appel, a rejeté ses demandes.

Les juges du fond estimaient que le contrat conclu entre la société SMEG et l'État, qui avait pour objet l'entreposage et la manutention de farines animales dans un silo exploité par la société SMEG sur le domaine portuaire du port autonome du Havre, reposait sur une cause illicite faute pour la société SMEG de disposer d'un titre l'autorisant à occuper le domaine public portuaire. Par suite, le contenu du contrat a été lui-même jugé comme illicite ce qui en justifiait la mise à l’écart dans le cadre du litige.

Le Conseil d’État, cassant cette étrange argumentation, énonce avec grand bon sens que : « La circonstance que le titulaire d'un contrat n'ayant pas pour objet l'occupation du domaine public mais dont le lieu de réalisation se situe sur une dépendance du domaine public ne dispose pas d'un titre l'autorisant à occuper cette dépendance n'a pas pour effet de rendre illicite le contenu du contrat et d'entacher ce dernier d'une irrégularité de nature à justifier que soit écartée, dans le cadre d'un litige entre les parties, l'application des stipulations contractuelles qui les lient. »

Au reste, il aurait tout aussi bien pu être soutenu que compte-tenu des éléments de fait connus des deux parties, existait nécessairement une autorisation d’occupation du domaine public au moins implicite.

(10 juillet 2020, Société de manutention et d'entreposage de grains (société SMEG), n° 427216)

 

72 - Contrat administratif - Clause régissant le règlement des différends - Clause instituant une procédure préalable de règlement amiable - Contrat illégal - Application de la clause - Irrégularité de l’arrêt contraire - Absence d’annulation par substitution de motif.

Importante décision où il est jugé, très pertinemment, que le caractère irrégulier d’un contrat au point d’être susceptible de conduire le juge à en prononcer l'annulation ne rend pas inapplicables celles de ses clauses relatives au mode de règlement des différends entre les parties, notamment celles organisant une procédure de règlement amiable préalable à toute action contentieuse. 

De telles stipulations doivent être observées pour toutes les actions qui entrent dans le champ de leurs prévisions, sans qu'y échappent par principe les actions tendant à ce que le juge prononce l'annulation du contrat, quand bien même le juge serait effectivement conduit à y faire droit et prononcerait une telle annulation.

C’est donc par suite d’une erreur de droit que la cour administrative d’appel a jugé le contraire en l’espèce. Toutefois son arrêt n’est pas annulé au bénéfice d’une substitution de motif : la cour a souverainement relevé que les stipulations de la convention contestée, qui organisent une procédure de règlement amiable des différends entre les parties avant toute saisine du juge administratif et déterminent le tribunal administratif compétent en premier ressort, concernent les litiges nés de l'exécution de la convention. Il en résulte qu'elles ne sont en l'espèce, eu égard à leur portée ainsi interprétée, pas applicables dans le cas d'une action contestant la validité de la convention et tendant à son annulation. Ce motif, qui n'appelle l'appréciation d'aucune circonstance de fait supplémentaire, doit être substitué au motif erroné retenu par la cour dans l'arrêt attaqué, dont il justifie le dispositif. 

(10 juillet 2020, Société Exelcia, n° 433643)

 

73 - Contrat de délégation de la gestion d’un service public - Camping communal - Non-respect de l’art. L. 1411-2 CGCT - Absence de justification, dans la convention, du montant et du mode de calcul des droits d’entrée et des redevances - Illégalité ne justifiant pas la mise à l’écart d’un contrat - Cassation avec renvoi.

Le délégataire d’un service public de camping municipal, par suite de la résiliation unilatérale à ses torts et griefs de la convention le liant à la commune, demande au juge d’annuler cette convention à raison de son illégalité et de lui allouer une indemnisation sur le terrain extra-contractuel du chef de cette résiliation.

En première instance et en appel les juges ont estimé gravement irrégulière la convention litigieuse au motif que, en violation des dispositions de l’art. L. 1411-2 du CGCT, elle ne contenait aucune justification du montant et du mode de calcul des droits d’entrée et de redevance. Par suite, ils avaient fixé le montant de l’indemnisation allouée à la demanderesse sur un terrain extra-contractuel.

Appliquant de manière très large la jurisprudence Béziers I (Assemblée 28 décembre 2009, n° 304802), le Conseil d’État censure ce raisonnement car l’omission relevée par les premiers juges, « ne donne pas un caractère illicite au contrat ni n'affecte les conditions dans lesquelles les deux parties ont donné leur consentement et peut, au demeurant, être régularisée, n'est pas de nature à justifier, en l'absence de toute autre circonstance particulière, que dans le cadre d'un litige entre les parties, l'application de ce contrat soit écartée. » Par suite de cette erreur de qualification juridique, les juges ont commis une erreur de droit en ne se plaçant pas sur le terrain contractuel pour calculer l’indemnisation due à la société demanderesse.

(10 juillet 2020, Société « Les Moulins », n° 434353 et n° 434355, jonction)

 

74 - Contrat d’occupation domaniale - Contrat conclu par le Sénat avec la Ligue de Paris de tennis - Compétence du juge administratif nonobstant le silence de la loi - Contrat conclu antérieurement à la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance du 19 avril 2017 - Contrat soumis à l’article 12 de la directive du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur - Cassation avec renvoi.

La requérante contestait les conditions de conclusion d’une convention d'autorisation d'occupation temporaire du domaine public pour une durée de quinze ans en vue de l'exploitation des six courts de tennis situés dans le jardin du Luxembourg par la Ligue de Paris de tennis avec le Sénat.

Se posait préalablement une importante question de compétence matérielle du juge administratif pour connaître de ce litige. L’article 60 de la loi du 1er août 2003 d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine, qui a complété l'article 8 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, n'a explicitement mentionné, au titre des litiges en matière de contrats sur lesquels la juridiction administrative est compétente pour se prononcer, que les litiges relatifs aux marchés publics, les autres contrats de commande publique n’y sont pas mentionnés. 

S’appuyant sur les travaux parlementaires le Conseil d’État estime cependant « que l'intention du législateur a été de rendre compatibles les dispositions de l'ordonnance avec les exigences de publicité et de mise en concurrence découlant notamment du droit de l'Union européenne. Elles ne sauraient donc être interprétées comme excluant que le juge administratif puisse connaître de recours en contestation de la validité de contrats susceptibles d'être soumis à des obligations de publicité et de mise en concurrence. » Si la position du Conseil d’État est loin d’emporter la conviction en ce qui concerne les intentions prêtées au législateur, elle a pour elle, à tout le moins, la logique, le souci de cohérence et le bon sens : il convient donc de l’approuver.

Ensuite, concernant le fond, le juge de cassation approuve la cour d’avoir, tout d’abord, défini le contrat litigieux comme une convention d’occupation du domaine public et non comme une concession de service public, ensuite, d’avoir jugé inapplicable à ce contrat, conclu le 12 janvier 2016, les dispositions d’une ordonnance du 17 avril 2017 dont les dispositions ne sont entrées en vigueur que le 1er juillet 2017.

Toutefois, l’arrêt est cassé au motif que la cour a commis, en l’état de la jurisprudence de la CJUE sur cette disposition (14 juillet 2016, Promoimpresa Srl, aff. C-458/14 et C-67/15 et, surtout, vu l’espèce en cause : 30 janvier 2018, College van Burgemeester en Wethouders van de gemeente Amersfoort contre X BV et Visser Vastgoed Beleggingen BV contre Raad van de gemeente Appingedam, aff. C-360/15 et C-31/16), une erreur de droit en estimant inapplicable en l’espèce l’art. 12 de la directive du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur.

(10 juillet 2020, Société Paris tennis, n° 434582)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

75 - Impôt sur les sociétés - Apport de titres - Contrepartie non équivalente - Obligation de déclaration de l’avantage fiscal en résultant - Cas de l’apport de titres fait par une société à une filiale avec contrepartie inéquivalente - Amende de 5% sur la valeur de l’écart positif - Rejet.

Lorsqu’une société fait apport à une filiale de titres constituant un élément de son actif immobilisé et inscrit comme tel à son bilan, et que cette cession - comme en l’espèce - est génératrice d'une plus-value à due concurrence de la différence entre : 1° la valeur réelle, à la date de l'apport, des titres remis à la société cédante en contrepartie de l'apport fait à sa filiale et 2° la valeur nette du bien apporté telle qu’elle figurait au bilan de clôture de l'exercice précédant l'apport, cette différence doit s’analyser comme une renonciation à la réalisation de la plus-value correspondante et, par suite, comme un avantage consenti par l'apporteur à la société bénéficiaire de l'apport. Les dispositions des art. 223, 223 B et 223 Q du CGI font alors obligation, nonobstant le choix du régime de « l’intégration fiscale », de constater, distinctement pour chaque société, conformément au droit commun, l’abandon de créance ou la subvention directe ou indirecte qu'elle a consenti ou dont elle a bénéficié.

L’omission de fournir cette information est sanctionnée par une amende égale à 5% de l'avantage résultant de l'écart entre la valeur réelle des titres apportés et celle des titres reçus en contrepartie (art. 1763, I, c du CGI).

En l’espèce, où cette déclaration avait été omise, c’est donc sans erreur de droit que les premiers juges ont rejeté la demande de l’intéressée tendant à la décharge du montant de l’amende de 5 107 210 euros.

(1er juillet 2020, Société Lafarge SA, n° 418378)

 

76 - Régime fiscal optionnel - Régime fiscal de déduction dit « de Robien » - Délai d’option - Non-respect du délai d’option - Régularisation postérieure possible sauf disposition législative expresse contraire - Cas de l’espèce - Annulation pour erreur de droit.

Utile rappel de ce que les dispositions qui instituent un régime fiscal optionnel et prévoient que le bénéfice de ce régime doit être demandé dans un délai déterminé n'ont, en principe, pas pour effet d'interdire au contribuable qui a omis d'opter dans ce délai de régulariser sa situation dans le délai de réclamation, y compris celui prévu à l'article R. 196-3 du livre des procédures fiscales. 

Il n’en irait autrement que dans le cas où la loi aurait prévu que 1'absence d'option dans le délai qu'elle prévoit entraîne la déchéance de la faculté d'exercer l'option ou lorsque la mise en œuvre de cette option implique nécessairement qu'elle soit exercée dans un délai déterminé.

L’arrêt de la cour est cassé pour erreur de droit pour s’être borné à juger que  le législateur a expressément subordonné le bénéfice du dispositif « de Robien » à la condition que le contribuable ait opté en sa faveur lors du dépôt de la déclaration des revenus de l'année d'achèvement de l'immeuble ou de son acquisition si elle est postérieure, alors, d’une part, que le texte ne prévoit pas, à défaut du respect de ce délai, la déchéance de la faculté d'exercer l'option, et d’autre part, qu’elle n’a pas recherché si les contribuables avaient pris puis respecté, au titre de leur option en faveur de la réduction d'impôt dite « Scellier », un engagement au moins équivalent à celui qui est imposé par les dispositions la régissant  ainsi qu'ils le soutenaient.

(3 juillet 2020, M. et Mme X., n° 423931)

 

77 - Entreprises reprises ou créées dans les zones de revitalisation rurale (art. 44 quindecies CGI) - Exonérations de certains impôts - Conditions d’octroi de l’exonération - Notion de « reprise d’ entreprises » - Interprétation illégale de ces conditions par une instruction fiscale - Incompétence de son auteur - Annulation.

La loi (art. 44 quindecies du CGI)) a prévu que les entreprises reprises ou créées, au cours d’une certaine période, dans certains périmètres fixés au sein de zones de revitalisation rurale bénéficieraient d’exonérations fiscales temporaires.

Les requérants demandaient l’annulation des paragraphes d’une instruction fiscale commentant ces dispositions en ce qu’ils exigent, pour l’obtention de ces exonérations, que les entreprises reprises le soient sous forme de structures juridiques nouvelles ou résultent du rachat de plus de cinquante pour cent des titres de la société reprise.

Cette exigence ne figurant pas à l’article précité du CGI, son auteur a ajouté à la loi, fixant ainsi une règle nouvelle entachée d’incompétence. Les commentaires litigieux sont annulés.

(16 juillet 2020, M. X. et autres, n° 440269)

 

78 - Taxe professionnelle/compensation relais - Faute de l’administration fiscale dans l’établissement ou le recouvrement de l’impôt - Préjudice de nature à engager la responsabilité de l’État - Conditions d’engagement de la responsabilité - Annulation avec renvoi.

En raison de la réforme de la fiscalité locale, la taxe professionnelle s’est vu substituer une compensation relais : pour l’année 2010 et en 2011 a été établie une dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (DCRTP) et créé un fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR). Dans ce cadre, la commune défenderesse réclamait la réparation du préjudice causé par des fautes commises par l'administration fiscale, d’une part dans l'établissement de la cotisation de taxe professionnelle due par une société au titre de l'année 2009 et d’autre part, à raison de la tardiveté de sa rectification.

Le juge de cassation énonce, avec une certaine solennité car assez nouveau en soi, le double principe que, d’une part, une faute commise par l'administration lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement ou de recouvrement de l'impôt est de nature à engager la responsabilité de l'État à l'égard d'une collectivité territoriale ou de toute autre personne publique si elle lui a directement causé un préjudice et que, d’autre part, ce préjudice, qui peut être constitué des conséquences matérielles des décisions prises par l'administration et notamment du fait de ne pas avoir perçu des impôts ou taxes qui auraient dû être mis en recouvrement, peut se trouver atténué ou anéanti par le fait du contribuable ou, s'il n'est pas le contribuable, par celui du demandeur d'indemnité.

Le Conseil d’État annule pour erreur de droit dans l’interprétation de la portée des écritures de la demanderesse le rejet par une CAA des conclusions indemnitaires de la commune au motif que celles-ci n’avaient pas d'autre fondement que la prétendue illégalité des arrêtés de versement des sommes dues au titre de la compensation relais, de la DCRTP et du FNGIR. En réalité, la demande indemnitaire de la commune était fondée, non sur l'illégalité de ces arrêtés, mais sur les fautes commises lors de l'établissement de la taxe professionnelle et de sa rectification.

(1er juillet 2020, Commune d'Ombrée d'Anjou, venant aux droits de la communauté de communes de la région de Pouancé-Combrée, n° 419081)

 

79 - Impôts locaux - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM) - Obligation d’être en rapport avec les dépenses effectivement exposées pour cet enlèvement - Prohibition d’un taux et d’un produit manifestement excessifs par rapport à ces dernière - Office du juge en vue de vérifier cette éventuelle disproportion - Cassation avec renvoi.

Rappel, tout d’abord, d’un principe constant : le produit de la TEOM et donc son taux, ne doivent pas être manifestement disproportionnés par rapport au montant des dépenses exposées par la commune ou l'établissement de coopération intercommunale compétent pour assurer l'enlèvement et le traitement des ordures ménagères et non couvertes par des recettes non fiscales,

Affirmation très ferme ensuite, et c’est l’aspect le plus important de cette décision, que le juge saisi d’un recours fondé sur l’existence d’une telle disproportion doit se prononcer au vu des résultats de l'instruction, au besoin après avoir demandé à la collectivité ou à l'établissement public compétent de produire ses observations ainsi que les éléments tirés de sa comptabilité permettant de déterminer le montant de ces dépenses. C’est un office du juge entendu très largement qui doit ainsi être exercé.

(1er juillet 2020, Société L’Immobilière Casino, n° 424288 ; Société Mercialys, n° 424291, jonction)

 

80 - Impôts et taxes - Mesures gracieuses - Litiges d’assiette - Compétences distinctes pour se prononcer sur les litiges d’assiette et pour prendre les mesures gracieuses de dégrèvement - Cas de la taxe locale d’équipement (TLE) - Annulations sans renvoi.

Confirmant une tendance jurisprudentielle antérieure en ce sens, le Conseil d’État juge ici que si le responsable du service départemental de l'État chargé de l'urbanisme est compétent pour statuer sur les réclamations relatives à l'assiette de la taxe locale d'équipement, il ne l'est pas pour en prononcer le dégrèvement d'office (cf. art.  R.*211-1 du LPF).

En effet, ce texte n’ouvre le pouvoir gracieux de prononcer d'office le dégrèvement d'impositions recouvrées qui n'étaient pas dues qu'à l'administration fiscale ou à celle des douanes et droits indirects selon la nature des impositions en cause.

Naturellement, cette solution est applicable, en dehors de la TLE, à toutes autres impositions et taxes.

(22 juillet 2020, Commune de Louveciennes, n° 425979)

 

81 - Taxe à la valeur ajoutée - Régime dérogatoire de TVA sur les cessions de terrains à bâtir en vue de leur revente - Acquisition de terrains déjà bâtis - Exclusion du régime dérogatoire - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

Commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui juge que la cession d’un terrain qui comporte déjà des éléments bâtis doit bénéficier du régime dérogatoire de TVA sur les cessions de terrain à bâtir (art. 257, I du CGI) alors qu’il résulte de ce texte éclairé par les autres dispositions de la directive du 28 novembre 2006 dont il assure la transposition que les règles de calcul dérogatoires de la TVA qu'ils prévoient ne s'appliquent qu’aux opérations de cession de terrains à bâtir qui ont été acquis en vue de leur revente et non à celles de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d'un terrain bâti.

(1er juillet 2020, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 431641)

(82) V. aussi, dans le même sens : 1er juillet 2020, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 435463.

 

83 - Taxe foncière sur les propriétés bâties - Taxe d’habitation - Cas des immeubles présentant un caractère exceptionnel (art. 1497 du CGI) - Évaluation dans les conditions prévues à l’art. 1498 du CGI - Erreur de droit à se fonder sur les dispositions du I de l’art. 1496 - Annulation avec renvoi.

Commet une erreur de droit conduisant à la cassation de son jugement le tribunal administratif qui, après avoir constaté le caractère exceptionnel d’un immeuble, décide que les montants de la taxe foncière sur les propriétés bâties et de la taxe d’habitation y afférents doivent être fixés sur le fondement de l’art. 1496, I du CGI alors que l’art. 1497 du CGI en écarte l’application au profit de celles de l’art. 1498 du CGI.

(1er juillet 2020, M. X. et société Isis, n° 432741)

 

84 - Créance contractuelle - Recouvrement - Option - Utilisation préalable d’un titre exécutoire - Effet sur la saisine postérieure du juge - Action en responsabilité contractuelle - Annulation du titre exécutoire pour un motif de forme - Cassation avec renvoi.

Le juge apporte ici plusieurs confirmations ou innovations.

Tout d’abord est rappelé le principe selon lequel l’annulation en la forme d’un titre exécutoire, qui ne concerne donc pas le bien-fondé de la créance sur laquelle porte ce titre, n’a pas pour effet automatique la décharge de l’obligation de payer que ce titre comporte à l’endroit du débiteur.

Ensuite, s’agissant d’une créance de nature contractuelle, la personne publique contractante peut, pour sa récupération, soit émettre elle-même un titre exécutoire soit s’adresser au juge pour avoir paiement de celle-ci. Toutefois, si la collectivité publique a choisi d’émettre un titre exécutoire elle ne peut pas, ensuite, saisir le juge d’une action qui aurait les mêmes effets que le titre déjà émis, en application du principe posé par la jurisprudence Préfet de l’Eure (30 mai 1913) et confirmée encore un siècle plus tard (24 février 2016, Département de l’Eure, n° 395194). 

Enfin, en revanche, ce principe ne fait pas obstacle à ce qu’après l’émission d’un titre exécutoire en recouvrement d’une créance contractuelle la personne publique saisisse le juge en vue du recouvrement de créances extra-contractuelles qu’elle détient sur ses co-contractants.

(10 juillet 2020, Commune de la Remaudière, n° 429522) 

 

85 - Référé suspension - Ordonnance n° 2020-115 du 12 février 2020 renforçant le dispositif national de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme - Application à diverses professions juridiques dont les avocats y compris en cas d’exercice d’une activité de conseil fiscal - Contrariété au droit de l’Union - Absence - Rejet.

Étaient contestées les dispositions du b) du 3° de l'article 2 de l'ordonnance n° 2020-115 du 12 février 2020 renforçant le dispositif national de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme en tant qu'elles ajoutent l'activité de conseil en matière fiscale à la liste des opérations à raison desquelles les avocats sont soumis aux obligations de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. En particulier elles étaient prétendues, d’une part, contraires à la directive (UE) 2015/849 du 20 mai 2015, et, d’autre part, comme plaçant la France en situation de manquement au regard de ses obligations de transposition de la directive (UE) 2018/843 du 30 mai 2018. En conséquence était demandée la suspension d’exécution de cette décision pour éviter toute exposition des intéressés à des sanctions et pour assurer le respect du droit de l'Union européenne.

La requête est rejetée, le juge des référés estimant que n’existe aucun doute sérieux quant à la légalité de de texte que ce soit par rapport à la directive précitée de 2018 ou du fait que l'activité de fourniture d'assistance ou de conseil en matière fiscale ne figure pas dans la liste prévue par le b) du 3) du 1. de l'article 2 de la directive du 20 mai 2015. 

Au surplus, les professions concernées (avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation, avocats, notaires, huissiers de justice, administrateurs judiciaires, mandataires judiciaires et commissaires-priseurs judiciaires) peuvent bénéficier de la dispense d'obligation de transmission à la cellule de renseignements financiers (CRF) prévue par l'article 34 de cette même directive pour ce qui concerne les informations obtenues avant, pendant ou après une procédure judiciaire ou lors de l'évaluation de la situation juridique d'un client, ce y compris en matière fiscale, dont le II de l'article L. 561-3 du code monétaire et financier assure la transposition en droit interne.

(ord. réf. 8 juillet 2020, M. X., n° 441051)

(86) V. aussi, semblable en tous points à la décision précédente :  ord. réf. 8 juillet 2020, Association des avocats conseils d'entreprises, n° 441228)

 

87 - Cotisations sur la valeur ajoutée des entreprises - Taxe additionnelle à ces cotisations - Sous-concession de brevets - Activité au sens des art. 1447 et 1447bis du CGI - Absence - Cassation avec renvoi.

Commet une erreur de qualification juridique des faits l’arrêt qui voit dans la sous-concession par la société Bio-Rad Innovations de brevets acquis par la requérante auprès de l’Institut Pasteur, moyennant paiement de redevances à ce dernier, une « activité » au sens des art. 1447 et 1447bis du CGI, alors que les stipulations des contrats de sous-concession n’étaient pas, par elles-mêmes, de nature à caractériser une participation de la société à l'exploitation de ses sous-concessionnaires.

En effet, ces contrats - la société étant rémunérée par des redevances versées par les sous-concessionnaires dont le montant était pour partie indexé sur le volume des produits vendus - prévoyaient que le sous-concessionnaire ne pouvait confier la production des biens nés de l'exploitation des brevets à des sociétés tierces sans l'accord exprès de la société Bio-Rad Innovations et que cette dernière disposait d'un droit d'accès à la comptabilité de ses sous-concessionnaires.

Aucun de ces éléments ne peut être regardé comme constituant une « activité » au sens fiscal du mot.

(16 juillet 2020, SAS Bio-Rad Innovations, n° 430152) 

 

88 - Convention fiscale franco-brésilienne - Lutte contre les doubles-impositions et contre l’évasion fiscale - Notion de séjour habituel - Durée - Elément non significatif - Annulation avec renvoi.

Le requérant a été assujetti, après un contrôle fiscal, au titre de l’année 2013, au cours de laquelle il était domicilié fiscalement en France, à l'impôt sur le revenu et aux contributions sociales à raison de profits sur instruments financiers à terme, de dividendes et de gains de cession de valeurs mobilières réalisés durant cette période.

Sa demande de décharge des impositions ainsi mises à sa charge ayant été rejetée en première instance et en appel, il se pourvoit, invoquant à nouveau les dispositions de la convention fiscale franco-brésilienne du 10 septembre 1971.

Pour déterminer la loi fiscale applicable à l’intéressé les juges du fond ont estimé que le requérant ne pouvant pas être regardé comme disposant d'un foyer d'habitation permanent dans aucun des deux États parties, ni comme séjournant de façon habituelle dans l’un de ces deux États, il convenait de se fonder sur sa nationalité française, en application des stipulations du c du 2 de l'article 4 de la convention franco-brésilienne, les pièces du dossier ne permettant pas de reconstituer la durée de sa présence au Brésil en 2013. 

Ce raisonnement est cassé car le Conseil d’État, retenant que le requérant avait produit devant le tribunal la copie de pages de son passeport comportant les tampons des autorités douanières brésiliennes et établissant qu'il avait effectué en 2013 au moins trois séjours dans cet État, d'une durée d'au moins vingt jours chacun, pour une durée totale d'environ 245 jours, considère que l'auteur de l'ordonnance attaquée a dénaturé les pièces du dossier. 

Cette dénaturation a provoqué une erreur de droit : la fréquence, la durée et la régularité des séjours au Brésil du requérant en 2013 caractérisaient un séjour habituel dans cet État, pour l'application des stipulations du b du 2 de l’article. 4 de la convention précitée, d’où l’annulation de l’ordonnance attaquée.

L’importance de cette décision vient de ce qu’elle rompt très nettement avec l’obligation, d’ailleurs prévue par les textes, que le contribuable établisse dans quel pays il séjourne au moins 183 jours par an pour pouvoir se prévaloir de l’application de la législation de cet État. il convient seulement d’apprécier « la fréquence, (…) la durée et (…) la régularité des séjours dans cet État qui font partie du rythme de vie normal de la personne et ont un caractère plus que transitoire, sans qu'il y ait lieu de rechercher si la durée totale des séjours qu'elle y a effectués excède la moitié de l’année. » 

(16 juillet 2020, M. X., n° 436570)

 

89 - Comptabilité publique - Titres de recettes - Émission par un centre hospitalier à l’encontre d’une association - Délai de contestation de deux mois - Expiration - Existence d’une nouvelle décision - Réouverture du délai - Cassation avec renvoi.

L’association requérante a contesté des titres de recettes émis à son encontre par un centre hospitalier devenu ensuite un groupe hospitalier.

L’art. L. 1617-5, 2° du CGCT fixe à deux mois le délai dans lequel le débiteur d’une créance assise et liquidée par une collectivité territoriale ou un établissement public local doit saisir le juge administratif en cas de contestation de celle-ci. Constatant que l’association était forclose lorsqu’elle a introduit son action (par application de la règle du délai raisonnable puisque le titre litigieux ne comportait pas l’indication des délais de forclusion), la cour administrative d’appel l’a rejetée.

Le Conseil d’État annule ce raisonnement car il constate que, alerté par la direction départementale des affaires sanitaires et sociales, le centre hospitalier a, en 2009, accepté l’étalement du remboursement de la dette de l’association, demandé la suspension du recouvrement du titre litigieux et conclu une nouvelle convention avec l’association le 6 novembre 2009. Dans ces conditions, il juge que la mise en demeure du 27 décembre 2012 d’avoir à payer la somme mentionnée dans le titre de recette du 22 janvier 2009 constituait en réalité une nouvelle décision ayant eu pour effet de rouvrir le délai dont disposait l’association pour le contester devant le juge administratif.

Entaché d’erreur de droit l’arrêt est annulé et l’affaire renvoyée à la cour.

(22 juillet 2020, Association « Service d’aide aux toxicomanes, n° 423413)

 

90 - Conservateurs des hypothèques - Rémunération - Litige relatif aux rémunérations impayées - Délai de saisine du juge - Application de la prescription quadriennale et non de la règle du délai raisonnable - Rejet.

(10 juillet 2020, M. X., n° 430769) V. n° 149

 

91 - Impôts sur les sociétés - TVA - Contribution annuelle sur les ventes de produits alimentaires - Activité de bar-brasserie - Comptabilité non probante - Reconstitution du chiffre d’affaires - Comparaison avec des années antérieures ou postérieures à celle faisant l’objet du litige - Comparaison possible - Annulation avec renvoi.

Estimant non probante la comptabilité tenue par l’entreprise de bar-brasserie qu’elle vérifiait l’administration fiscale a reconstitué les recettes de la société selon une certaine méthodologie pour aboutir à la détermination d’un prix moyen par repas hors boisson. Celle-ci était critiquée par la société qui proposait de se référer aux données de l'activité d'exercices antérieurs ou postérieurs. Pour rejeter cet argument, la cour administrative d’appel a jugé que les résultats d'un exercice donné ne pouvaient être extrapolés à partir d'un exercice postérieur non vérifié.

Cette solution était évidemment intenable faisant fi, d’une part, de la présomption de véracité des énonciations des contribuables, d’autre part, de la logique comptable et pratique. 

Le Conseil d’État annule donc l’arrêt en relevant avec grand bon sens qu’ « il est loisible tant à l'administration fiscale dans le cadre des opérations de reconstitution de chiffre d'affaires qu'au contribuable pour critiquer la reconstitution ainsi opérée, de se référer aux données de l'activité d'exercices antérieurs ou postérieurs, pourvu que les conditions d'exploitation, établies par tout moyen, de ces exercices n'aient pas varié ou qu'elles puissent être ajustées pour tenir compte de leur évolution (…) ».

(22 juillet 2020, Société JB3C, n° 424052 ; M. et Mme X., n° 424062, jonction)

 

 92 - Forme des décisions administratives - Titre exécutoire - Obligation de signature et de détermination précise de son auteur (art. L. 212-1 CRPA) - Relations entre personnes morales de droit public - Exclusion de principe de cette obligation (art. L. 100-1 et L. 100-3 CRPA).

(avis, 10 juillet 2020, Assistance publique - Hôpitaux de Paris, n° 439367) V. n° 6

 

93 - Bénéfices industriels et commerciaux - Crédit impôt recherche - Dépenses susceptibles d’être prises en considération - Sommes versées à des tiers pour la réalisation de travaux ne constituant pas en eux-mêmes des opérations de recherche - Éligibilité - Cassation sans renvoi.

L’art. 244 quater B du CGI institue un crédit d’impôt au profit des entreprises industrielles, commerciales ou agricoles imposées d’après le bénéfice réel à raison des dépenses de recherche qu’elles engagent.

Dans la présente décision, il est jugé que peuvent être prises en compte pour la détermination du montant du crédit d’impôt recherche les dépenses effectuées par une entreprise auprès d’un sous-traitant en vue de l’accomplissement d’opérations qui, sans constituer elles-mêmes une activité de recherche, sont nécessaires à l’activité de recherche de cette entreprise.

(22 juillet 2020, Fédération nationale des agriculteurs multiplicateurs de semences (FNAMS), n° 428127)

 

94 - Vérification de comptabilité - Traitement informatique du vérificateur sur la comptabilité - Nature des investigations et précisions sur celles-ci - Options ouvertes au contribuable - Liberté de choix - Annulation pour omission de réponse à moyens.

Rappel de ce que les dispositions de l’art. L. 47 A du livre des procédures fiscales imposent au « vérificateur qui envisage un traitement informatique sur une comptabilité tenue au moyen de systèmes informatisés d’indiquer au contribuable, au plus tard au moment où il décide de procéder au traitement, par écrit et de manière suffisamment précise, la nature des investigations qu'il souhaite effectuer, c'est-à-dire les données sur lesquelles il entend faire porter ses recherches ainsi que l'objet de ces investigations, afin de permettre au contribuable de choisir en toute connaissance de cause entre les trois options offertes par ces dispositions ».

Cassation pour omission de réponse, d'une part, au moyen tiré de l’insuffisante information sur les investigations auxquelles il allait être procédé et d'autre part, au moyen d’insuffisance du temps alloué pour choisir entre les trois options offertes au contribuable par l’art. 47 A précité.

 (29 juillet 2020, Mme X., n° 427709 ; Société en nom collectif (SNC) Veuve X., n° 427713 ; M. et Mme X., n° 427715 ; M. et Mme X., n° 427719)

 

95 - Pôle emploi - Versements indus - Recouvrement par voie de contrainte - Octroi d’un délai supplémentaire de paiement - Effets d’une mise en demeure - Annulation sans renvoi.

Si Pôle emploi peut émettre, lorsqu’une mise en demeure est demeurée dans effet pendant un mois suivant sa notification, une contrainte en vue du recouvrement d’une créance d’indus, en revanche, cette contrainte ne peut être émise, lorsqu’un délai supplémentaire de paiement a été accordé, qu’après expiration dudit délai.

(29 juillet 2020, M. X., n° 429260)

 

Droit public économique

 

96 - Droit public de l’agriculture - Schéma directeur départemental des structures agricoles - Autorisation d’exploiter des terres agricoles - Détermination de l’ordre de priorité entre candidats à l’exploitation de mêmes terres - Cassation sans renvoi et rejet.

Rappel de ce que les dispositions des art. L. 312-1, L. 312-5 et L. 314-3 du code rural et de la pêche maritime imposent au préfet, saisi de demandes concurrentes d'autorisation d'exploiter portant sur les mêmes terres, de statuer sur ces demandes en observant l'ordre des priorités établi par le schéma directeur départemental des structures agricoles. 

S’il est conduit à délivrer plusieurs autorisations lorsque plusieurs candidats à la reprise relèvent du même rang de priorité, la législation sur le contrôle des structures des exploitations agricoles est sans influence sur la liberté du propriétaire des terres de choisir la personne avec laquelle il conclura un bail. 

Cependant, lorsque le schéma directeur prévoit des critères de départage des demandes relevant d'un même rang de priorité, il incombe au préfet de mettre en œuvre les critères de départage ainsi prévus.

(2 juillet 2020, EARL du Marais de Beaumont, n° 424444)

(97) V. aussi, voisin, dans un cas où est invoquée une exception d'illégalité du schéma directeur départemental des structures agricoles et où le schéma contient les critères de départage des demandes concurrentes : 2 juillet 2020, M. X., n° 427120.

 

98 - Projet de règle technique (art. 5 directive du 9 septembre 2015) - Mise en relation des conducteurs ou des entreprises de transports avec des passagers - Obligation de communication préalable à la Commission européenne - Service de la société de l’information - Modalités matérielles d’une obligation de contrôle - Exclusion du champ de la directive - Rejet.

Les requérantes contestaient, notamment, l’obligation faite par le décret du 26 novembre 2018, pris pour l’application de la loi du 29 décembre 2016, aux opérateurs de mise en relation avec des passagers, de demander aux conducteurs, préalablement à la première mise en relation avec des passagers par leur intermédiaire, de se présenter munis des originaux de leur permis de conduire et, le cas échéant, de leur carte professionnelle. Elles estimaient cette exigence contraire à l’art. 5 de la directive du 9 septembre 2015 en ce que celle-ci prévoit une procédure d'information préalable de la Commission européenne dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l'information par tout État membre qui souhaite adopter une nouvelle règle technique au sens de cette directive ou modifier une règle technique existant. Tel n’aurait pas été le cas au moment de l’adoption de la loi et du décret précités, respectivement de 2016 et de 2018. 

Par suite, le décret aurait été pris selon une procédure irrégulière lui faisant encourir l’annulation.

Pour rejeter cette argumentation le Conseil d’État relève que la mesure en question ne constitue pas un « service de la société de l’information » au sens et pour l’application de la directive de 2015 mais seulement une modalité matérielle d’exercice d’une obligation de contrôle.

Le recours est rejeté en premier lieu de ce chef.

Nous renvoyons au texte de la décision concernant les autres arguments, de moindre portée, également rejetés.

(8 juillet 2020, Fédération française du transport de personnes sur réservation (FFTPR) et les sociétés Uber BV et Heetch, n° 431063)

 

99 - Distribution et fourniture d’énergie électrique - Dispositions du code de l’énergie - Compatibilité avec le droit de l’Union européenne - Service économique d’intérêt général - Existence et conséquence - Rejet.

Le Conseil d’État approuve la cour administrative d’appel, dans un litige relatif à l’approbation par le conseil municipal de Lyon de l'avenant n° 4 au contrat de concession conclu le 18 février 1993 pour le service de distribution d'énergie électrique et la fourniture de celle-ci au tarif réglementé de vente, d’avoir jugé :

1° qu'en raison des missions qui leur sont confiées et des sujétions qui leur sont imposées par les dispositions des articles L. 111-52 et L. 121-5 du code de l'énergie, les sociétés Enedis et EDF doivent être regardées comme chargées de la gestion de services d'intérêt économique général au sens du paragraphe 2 de l'article 106 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. 

2° que les droits exclusifs conférés à ces sociétés par les mêmes dispositions trouvent leur justification dans les sujétions qui leur sont imposées au titre de leurs missions respectives et que l'application des règles fondamentales du traité ainsi que de l'obligation de transparence, serait de nature à faire échec à l'accomplissement de ces missions conférées à Enedis et EDF. 

3° que le principe de non-discrimination en raison de la nationalité, lequel implique notamment une obligation de transparence pour garantir, à tout soumissionnaire potentiel, un degré de publicité adéquat permettant une ouverture du marché et des services à la concurrence, ainsi que le contrôle de l'impartialité des procédures d'adjudication, ne trouve à s'appliquer, s'agissant des entreprises chargées d'un service d'intérêt économique général, que sous réserve qu'il ne fasse pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie.

On peut craindre que le juge européen se montre plus exigeant dans l'appréciation des conditions et motifs dérogatoires.

(10 juillet 2020, Mme X., n° 423901)

 

100 - Référé suspension - Droit de la concurrence - Autorisation donnée par l’Autorité de la concurrence relative à la prise du contrôle exclusif d’une société - Autorisation de cession - Autorisation subordonnée à la prise d’engagements - Rejet.

La requérante demandait la suspension de l’exécution de l’autorisation donnée à une prise de contrôle exclusif d’une société par une autre à Mayotte au double motif d’une atteinte excessive qui en résulterait au principe de libre concurrence en matière de commerce de distribution, une position dominante étant ainsi acquise par l’enseigne Carrefour et de l’absence de garantie du respect des engagements auquel est subordonnée l’autorisation de prise de contrôle.

Constatant l’exécution complète, le 30 juin 2020, de la prise de contrôle autorisée dont la suspension est demandée, le juge décide qu’il n’y a plus lieu, en conséquence, d’y statuer.

Concernant le risque de non respect des engagements structurels et comportementaux pris envers l’Autorité de la concurrence comme condition de l’autorisation qu’elle a donnée, le juge des référés rejette l’argument en se fondant, d’une part, sur la circonstance que la société contrôleuse  n'était pas, à la date de la décision contestée, présente sur le marché de la distribution à Mayotte de sorte que l'opération autorisée par l'Autorité de la concurrence aboutit, pour ce qui concerne le territoire mahorais, à la substitution d'un opérateur à un autre et non à une opération de concentration et, d’autre part, que la réalisation de l'opération contestée permet seulement à la société contrôleuse, qui n'était pas présente sur le marché de la distribution en amont à Mayotte, d'exercer une activité de grossiste-importateur similaire à celle qu'exerçait la société prise sous son contrôle.

(ord. réf. 9 juillet 2020, Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) Mayotte, n° 441201)

 

101 - Aide d’État - Aide déclarée illégale par la Commission européenne - Récupération des sommes indument versées - Obligation d’y joindre les intérêts - Rejet.

Il résulte de la décision de la Commission européenne du 28 janvier 2009, qui s'impose aux autorités comme aux juridictions nationales dès lors que les recours exercés contre elle ont été définitivement rejetés, d’une part, que le mécanisme des « plans de campagne », en cause dans la présente affaire, constituait une aide nouvelle soumise à l'obligation de notification (art. 88 § 3 du traité instituant la Communauté européenne, devenues les dispositions actuelles du paragraphe 3 de l'article 108 § 3 du TFUE) et, d’autre part, qu’en ce cas les autorités nationales sont tenues de procéder à leur récupération auprès des bénéficiaires et ont l'obligation de leur faire supporter les intérêts communautaires afférents.

Par ailleurs, selon une jurisprudence constante du Conseil d’État, le paiement de ces intérêts communautaires ne saurait engager la responsabilité de la puissance publique, dès lors qu'il a pour seul objet de garantir l'effet utile du régime des aides d'État en compensant l'avantage financier et concurrentiel procuré par l'aide illégale entre l'octroi de celle-ci et sa récupération, y compris en cas de retard des autorités nationales à la récupérer.

(10 juillet 2020, M. X., n° 429335)

(102) V. Aussi, très voisin en la forme et en substance : 10 juillet 2020, EARL Valette, n° 429336

 

103 - Covid-19 - Référé suspension - Protection des consommateurs - Conditions et délais de remboursement des voyages et séjours annulés pour cause d’épidémie de coronavirus - Délai de 18 mois justifié par la gravité de la situation financière des organismes de tourisme et de voyages concernés - Rejet.

Les requérantes demandaient la suspension :

1° de l’exécution de l'ordonnance n° 2020-315 du 25 mars 2020 relative aux conditions financières de résolution de certains contrats de voyages touristiques et de séjours en cas de circonstances exceptionnelles et inévitables ou de force majeure,

2° de la publication du 31 mars 2020 de la direction de l'information légale et administrative intitulée « Coronavirus : quels droits en cas d'annulation de vos vacances », de la « Foire aux questions » du 7 avril 2020 de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes intitulée « Nouvelles règles de remboursement dans le secteur du tourisme »,

 3° de la lettre du 9 avril 2020 de la direction des affaires juridiques du ministère de l'économie et des finances et du ministère de l'action et des comptes publics en ce qu’en fixant à dix-huit mois le délai maximum de remboursements par les opérateurs de voyages et de tourisme aux consommateurs ayant acquis et payé des billets et/ou des prestations, il serait porté une atteinte excessive aux droits des consommateurs.

Le Conseil d’État réfute cette analyse en faisant valoir le nombre d’entreprises concernées, le nombre de demandes de remboursement et, conséquemment, l’effet financier cumulé de celles-ci sur la trésorerie du secteur du voyage et du tourisme.

De plus, les demanderesses ne justifient pas de la gravité des conséquences pour les consommateurs de cet étalement dans le temps.

Enfin, l’éventuelle atteinte ainsi portée au droit de l’Union (art. 12 de la directive du 25 novembre 2015 relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées), à la supposer existante, n’établirait pas qu’il y ait une urgence à statuer.

(ord. réf. 17 juillet 2020, Association Union fédérale des consommateurs - Que choisir (UFC - Que choisir) et autre, n° 441661)

 

104 - Droit de la concurrence - Aide d’État illégale - Vente de livres français à l’exportation - Indemnisation du préjudice subi - Conditions de détermination de ce préjudice et régime de prescription - Rejet.

Deux sociétés se partagent le marché du livre français à l’exportation, la SIDE (société internationale de diffusion et d'édition) et le CELF (coopérative d'exportation du livre français), cette dernière seule recevant des subventions de l’État.

Ces subventions ayant été qualifiées d’aides d’État puis déclarées irrégulières par la Commission européenne, la SIDE a recherché la responsabilité de l’État et l'indemnisation du préjudice subi du fait de l'octroi de cette aide illégale.

La cour administrative d’appel, après un arrêt avant-dire droit, a condamné l'État à verser à la SIDE une indemnité de dix millions d’euros et rejeté le surplus des conclusions de la requête de cette société.

Le ministre de la culture se pourvoit en vain contre cet arrêt.

Le Conseil d’État rejette deux principales exceptions procédurales soulevées par le ministre, l’exception de chose qui aurait été jugée et la prescription de la créance de la SIDE, et, au bénéfice du pouvoir souverain des juges du fond, confirme le montant de l’indemnité allouée en appel, rejetant ainsi entièrement le pourvoi du ministre.

(22 juillet 2020, Ministre de la culture, n° 434446)

 

Droit social et action sociale

 

105 - Aide sociale - Assistant familial - Licenciement - Motifs - Intérêt général - Cassation partielle avec renvoi dans cette mesure.

Statuant sur le licenciement d’une assistante familiale par le département qui l’emploie, le Conseil d’État apporte trois précisions d’importance par la clarification qu’elles apportent.

Tout d’abord, lorsque le licenciement de l'assistant familial est motivé par le fait qu’il ne remplit plus les conditions de l'agrément, il ne peut être régi que par les seules dispositions, spécifiques, des art. L. 421-3 et L. 421-6 du code de l’action sociale et des familles (CASF). 

Ensuite, les autres licenciements relèvent des dispositions des art. L. 423-32 et L. 423-35 du CASF qui permettent à l’employeur de droit public de licencier un assistant familial s'il n'a pas d'enfant à lui confier pendant une durée d'au moins quatre mois consécutifs du fait soit de l'absence de tout enfant à confier à l'assistant familial, soit de ce que le département a été conduit, par une appréciation soumise au contrôle du juge, pour assurer la meilleure prise en charge des enfants, au regard notamment, de leur âge, de leur situation familiale et de leur santé, des conditions définies par l'agrément de l'assistant familial concerné et des disponibilités d'autres assistants familiaux, à ne pas confier d'enfant pendant cette période à l'assistant familial dont le licenciement est envisagé.

Enfin, ni ces dispositions ni aucun principe n’exige(nt) que, pour qu'un tel licenciement soit légalement motivé, l'employeur public soit contraint de ne plus confier d'enfant à l'assistant maternel concerné par des raisons d'intérêt général dont il devrait justifier.

(1er juillet 2020, Département de la Drôme, n° 423600 et n° 423603)

 

106 - Aide sociale - Revenu minimum d’insertion (RMI/RSA) - Convention conclue à cet effet entre le département et les organismes payeurs - Nature administrative de cette convention (sol. implicite) - Impossibilité pour elle de limiter l’utilisation du recours administratif préalable - Rejet.

Dans un litige en récupération d’indu de RSA, le Conseil d’État est conduit à analyser la convention conclue à cet effet entre le département et les organismes payeurs. C’est pour lui l’occasion de rappeler implicitement la nature administrative de cette convention.

Surtout, alors qu’en l’espèce cette convention contenait une clause excluant pour tout recours administratif préalable dirigé contre une décision relative au revenu de solidarité active (RSA,) sa soumission pour avis à la commission de recours amiable, une telle clause est jugée irrégulière et donc inopposable à la demanderesse. 

(1er juillet 2020, Mme X., n° 424289)

 

107 - Personnes handicapées - Personnes en réinsertion sociale - Femmes enceintes et mères isolées - Prise en charge financière incombant au département - Possibilité pour l’État d’intervenir en cas d’urgence et à titre supplétif pour faire face à la carence du département - Réparation du préjudice résultant du refus du département d’intervenir financièrement incombant à ce dernier - Conditions d’engagement de cette responsabilité pour faute - Rejet.

L’association pour le développement des actions en faveur des personnes handicapées et inadaptées (AIDAPHI) a demandé la réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi - au titre des années 2009 à 2011 - du fait de l'illégalité du refus d’un département de prendre en charge financièrement l'accueil des femmes enceintes et des mères isolées accompagnées d'enfants de moins de trois ans au sein des quatre centres d'hébergement et de réinsertion sociale qu’elle gère.

Le département se pourvoit en cassation contre l’arrêt d’appel confirmatif du jugement l’ayant condamné à indemniser l’association requérante.

Tout d’abord, répondant à une critique du département sur ce point, le juge de cassation confirme la compétence des juridictions administratives de droit commun pour connaitre de ce litige et non celle des juridictions de la tarification sanitaire et sociale puisque le litige indemnitaire opposant l'association au département n'a pas pour objet la révision des recettes arrêtées au titre des exercices litigieux par le préfet du et ne se rattache pas à la détermination des tarifs des établissements et services sociaux et médico-sociaux au sens de l'art. L. 351-1 du code de l'action sociale et des familles.

Ensuite, la prise en charge financière des personnes en cause incombant au département, celui-ci ne saurait, pour prétendre n’avoir pas commis de faute, exciper ni de ce qu’il n’a pas décidé de le faire, ni de ce qu’il n’a pas agréé l’association demanderesse, ni de ce que l’État est intervenu pour opérer cette prise en charge.

Enfin, parce que cette faute est la cause directe et certaine du préjudice subi par l’association, sa réparation incombe exclusivement au département.

C’est donc sans erreur de droit que les premiers juges ont condamné le département à ce faire, d’où le rejet du pourvoi.

(1er juillet 2020, Département du Loiret, n° 425528)

 

108 - Allocation d’aide au retour à l’emploi - « Allocation en faveur des travailleurs privés d’emploi » - Compétence juridictionnelle pour connaître de son contentieux - Compétence du tribunal administratif en premier et dernier ressort - Exclusion de la compétence de la cour administrative d’appel - Cassation sans renvoi.

Incompétence d’une cour administrative d’appel pour statuer sur des conclusions tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle le maire d’une commune a rejeté une demande de versement d'allocation d'aide au retour à l'emploi car cette allocation constitue, au sens et pour l’application du 1° de l'article R. 811-1 du CJA, une « allocation en faveur des travailleurs privés d’emploi » dont le contentieux ressortit à la compétence de premier et dernier ressort du tribunal administratif.

(3 juillet 2020, Mme X., n° 425463)

(109) V. aussi, dans le même sens à propos de l'aide à la reprise et à la création d'entreprise : 3 juillet 2020, M. X., n° 429001.

 

110 - Licenciement des salariés protégés - Cas du licenciement des maires ou adjoints (dans les communes d’au moins dix mille habitants) en cours de mandat - Compétence exclusive de l’inspecteur du travail et/ou du ministre - Régime applicable - Rejet.

Le régime applicable au licenciement des salariés protégés exerçant des fonctions de représentation des salariés est bien connu, celui des salariés exerçant parallèlement les fonctions de maire ou d’adjoint (pour ces derniers dans les communes d’au moins dix mille habitants) est moins connu étant d’application très peu fréquente.

Procédant à une construction largement prétorienne, le Conseil d’État assimile complètement, quant au régime de leur licenciement, les maires ou adjoints salariés aux représentants du personnels et leur mandat politique à celui détenu par les délégués ou représentants du personnel. Il y a, à la base de ce raisonnement, une certaine audace car les élus politiques, à raison de la détention d’un mandat politique, n’ont pas mandat ni d’ailleurs vocation, à défendre les salariés dans l’entreprise. Par souci de simplification, le juge opère un alignement aussi complet que possible de cette dernière situation sur celle des élus du personnel. Cette solution expédiente est d’ailleurs, en pratique, assez bien venue.

Il suit de là que s’appliquent aux maires et adjoints (dans les communes d’au moins dix mille habitants) les trois principes essentiels dégagés par la jurisprudence pour le licenciement des salariés protégés : l’autorisation exclusive de l’inspecteur du travail (ou, sur recours hiérarchique, du ministre ), la constatation de l’absence de tout rapport entre les fonctions électives politiques et le licenciement, enfin, une gravité suffisante de la faute (ou des fautes) reprochée(s) justifiant à due proportion de la décision de licenciement.

Demeure cependant l'interrogation sur le point de savoir si la caractérisation de la faute doit s'opérer de la même façon dans les deux hypothèses ou si elle est susceptible d'appréciations distinctes.

(3 juillet 2020, M. X., n° 426381)

 

111 - Droit au logement opposable - Personne reconnue prioritaire - Absence de relogement - Office du juge - Comportement de l’intéressé à l’origine du non-relogement - Appréciation - Conditions d’exécution par l’État de son obligation de résultat de reloger - Cassation avec renvoi au tribunal administratif.

Statuant sur un litige au titre du droit au logement opposable, le juge y aborde un aspect inédit.

Tout d’abord, il rappelle que la personne reconnue prioritaire au logement ou relogement par une commission de médiation a droit à celui-ci et qu’il incombe au juge, en cas de non-logement ou relogement, d’ordonner à l’administration d’y procéder. Pour le juge, une fois reconnue par la commission de médiation, la priorité du demandeur au logement entraine pour l’État une obligation de résultat sauf s’il est établi que l’urgence a complètement disparu ou que la commission de médiation a elle-même pris une décision radiant l’intéressé de la liste des bénéficiaires ou encore si les faits à l’origine de cette dernière révèlent de la part de l'intéressé une renonciation au bénéfice de cette décision ou un comportement faisant obstacle à son exécution par le préfet. 

Toutefois, par exception, si est invoquée, pour justifier cette abstention de loger ou reloger, un comportement du bénéficiaire de nature à faire obstacle à l'exécution de cette décision, l’administration peut se trouver déliée de son obligation. 

Comme toute exception celle-ci est de droit étroit : c’est ainsi que la seule circonstance que, postérieurement à la décision de la commission de médiation, le bénéficiaire de cette décision soit radié du fichier des demandeurs de logement social, n'a pas, par elle-même, pour effet de délier l'État de l'obligation qui pèse sur lui d'en assurer l'exécution. 

(8 juillet 2020, M. X., n° 420472)

 

112 - Institutions représentatives du personnel - Ordonnance du 22 septembre 2017 et décret du 29 décembre 2017 - Fusion de trois instances d’information et de consultation - Allégation de violation de l’art. 151 du TFUE et de l’art. 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne - Rejet.

Le syndicat demandeur, estimant contraire à la fois au Traité sur le fonctionnement de l’UE (art. 151) et à la Charte des droits fondamentaux de l’UE, l’ordonnance du 22 septembre 2017 relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l'entreprise et favorisant l'exercice et la valorisation des responsabilités syndicales, sur la base de laquelle a été pris le décret du 29 décembre 2017 relatif au comité social et économique, demandait au juge l’annulation de ce dernier texte.

Son recours est rejeté car la fusion en un seul organisme, le comité économique et social, de trois existants antérieurement (délégués du personnel, comité d'entreprise et comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail), ne contrevient à aucune des dispositions invoquées que ce soit en raison des seuils choisis, de la répartition des matières entre organismes, ou encore des conditions de suppléance et de formation des membres du comité économique et social.

(15 juillet 2020, Confédération générale du travail - Force ouvrière (CGT-FO), n° 417706)

(113) V. aussi, concernant le comité économique et social dont il est jugé que les textes lui donnent le délai et les informations nécessaires à un exercice correct de ses missions et de ses compétences : 15 juillet 2020, Fédération nationale des mines et de l'énergie CGT (FNME CGT) et autres, n° 418543 ; Association des experts agréés et des intervenants auprès des CHSCT (ADEAIC) et autres, n° 418604, jonction.

(114) V. également, très voisin : 15 juillet 2020, Confédération générale du travail (CGT), n° 418620

 

115 - Aide sociale à l’enfance - Prise en charge d’un jeune majeur - Personne éprouvant certaines difficultés d’ordre social ou familial - Demande d’aide en vue d’achever l’année d’étude engagée - Pouvoir très large d’appréciation et de décision du président du conseil départemental - Contrôle du juge - Existence éventuelle d’un doute sérieux - Rejet.

L’aide sociale s’interrompt normalement lorsque son bénéficiaire parvient à l’âge de la majorité. Toutefois, il peut solliciter le maintien de cette aide ou le bénéfice de tout autre dispositif jusqu’à son vingt-et-unième anniversaire s’il invoque l’existence de difficultés d’insertion sociale faute de ressources suffisantes ou du fait de sa situation familiale.

Les textes reconnaissent au président du conseil départemental un très large pouvoir d’appréciation et de décision. Si le juge réaffirme cette marge de manoeuvre, il a tendance à exercer sur celle-ci un pouvoir de contrôle plus étendu notamment par l’utilisation de la technique du « doute sérieux » (au moins depuis la décision qui semble de principe : Section, 3 juin 2019, Département de l’Oise, n° 419903 ; V. cette Chronique, juin 2019 n° 34). Ce doute pouvant résulter de l’examen de la situation de l’intéressé, de son comportement et de l’étude de son dossier : en ce cas, et en dépit du pouvoir d’appréciation du président du conseil général, le juge des référés peut renvoyer l’intéressé devant ce dernier afin qu’il réexamine son cas.

En l’espèce, la requête, après application des critères susrappelés, est rejetée.

(ord. réf. 22 juillet 2020, Ville de Paris, n° 435974)

(116) V. aussi, à propos du refus de renouveler un « contrat de jeune majeur » : 29 juillet 2020, M. X., n° 430986 ; 29 juillet 2020, M. X., n° 436710.

 

117 - Revenu de solidarité active (RSA) - Ressources devant être prises en considération - Cas d’un couple séparé de fait sans communauté de vie matérielle et active - Partie des ressources du conjoint devant être retenues - Rejet.

Le versement du RSA est subordonné à l’état de l’ensemble des ressources du foyer. Toutefois, lorsque l’un des conjoints est séparé de l’autre du fait qu’a cessé entre les deux membres du couple une communauté de vie matérielle et affective, seuls doivent être retenus pour déterminer les ressources du foyer, outre les revenus du candidat au bénéfice du RSA, les sommes que le conjoint lui verse au titre d’une obligation alimentaire ou les prestations en nature qu’il lui fournit.

(29 juillet 2020, Mme X., n° 430917)

 

118 - Santé des travailleurs - Seuils des concentrations moyennes en poussières totales ou alvéolaires de l'atmosphère inhalées par les travailleurs dans les locaux à pollution spécifique - Travaux d’expertise en vue du relèvement de ces seuils achevés - Illégalité du refus de modifier les textes - Annulation avec injonction à six mois.

Le syndicat demandeur poursuivait l’annulation du refus de l’administration de modifier l’art. R. 4222-10 du code du travail - dont les dispositions sont demeurées inchangées depuis 1984 -   fixant le seuil des concentrations moyennes en poussières totales et alvéolaires de l'atmosphère inhalée par un travailleur, évaluées sur une période de huit heures.

Alors que le gouvernement a demandé à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) d’effectuer les expertises nécessaires à l’effet de réviser ces seuils, que celle-ci a remis ses conclusions le 19 novembre 2019 et que le ministre du travail, dans ses écritures sur la présente affaire, ne conteste pas que les seuils actuellement fixés par l'article R. 4222-10 du code du travail, tant pour les poussières totales que pour les poussières alvéolaires, ne sont plus adaptés pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs, l’administration est désormais en état d’effectuer cette révision : son refus de modifier l’article litigieux est donc annulé sous injonction que sa nouvelle version soit publiée au plus tard dans six mois.

(29 juillet 2020, Fédération générale des transports et de l'environnement - Confédération française démocratique du travail (FGTE-CFDT), n° 429517)

 

119 - Temps de travail - Régime résultant de la directive européenne du 4 novembre 2003 - Durée hebdomadaire maximum de 48 heures fixée par cette directive - Décompte de cette durée en moyenne et non sur sept jours consécutifs - Annulation et règlement de l’affaire au fond.

Réitération d’une règle qui a bien du mal à être comprise et/ou admise, spécialement chez les sapeurs-pompiers :

« Lorsque le régime du temps de travail d'agents, tels que les sapeurs-pompiers professionnels, est déterminé en fonction d'une période de référence en application des articles 16, 17 et 19 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, la durée hebdomadaire maximale de travail de 48 heures prévue par l'article 6 de cette directive ne s'apprécie pas pour chacune des périodes de sept jours comprises dans cette période de référence mais uniquement, en moyenne, sur l'ensemble de celle-ci. »

(29 juillet 2020, Syndicat SUD-Solidaires des sapeurs-pompiers professionnels et des personnels administratifs, techniques et sociaux du service départemental et métropolitain d'incendie et de secours du Rhône, n° 430871)

 

Élections

 

120 - Covid-19 - Élections municipales et communautaires du 15 mars 2020 - Délai de recours contentieux - Combinaison des dispositions du code électoral et de l’art. 11 de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à une épidémie - Bénéfice de la prorogation légale du délai - Niveau de l’abstention - Atteinte à la sincérité du scrutin - Absence - Rejet.

La protestation du requérant, dirigée contre les résultats du premier tour des élections municipales s’étant déroulées le 15 mars 2020 à Saint Sulpice-sur-Risle, conduit le juge à trancher deux questions.

La première résulte du rejet de cette protestation par le tribunal administratif en raison de sa tardiveté. 

L’ordonnance frappée d’appel devant le Conseil d’État estimait que la protestation du demandeur, ayant été enregistrée le 22 mars au greffe de cette juridiction, était tardive au regard des dispositions de l’art. R. 119 du code électoral qui fixent à dix-huit heures le cinquième jour qui suit l’élection la date limite de dépôt des recours en cette matière : l’élection s’étant déroulée le 15 mars, ce délai expirait donc le 20 mars à dix-huit heures. 

Ce raisonnement est erroné en l’espèce en raison de l’épidémie du coronavirus qui a motivé la rédaction de l’art. 11 de la loi du 22 mars 2020 d’urgence pour faire face à cette épidémie, lequel permet d’instituer des prorogations de délai. 

Ainsi, le 3° du II de l’art. 15 de l’ordonnance du 25 mars 2020 a-t-il prévu que le délai de cinq jours fixé à l’art. R. 119 précité du code électoral se calculerait non à compter du jour du scrutin mais du jour de l’entrée en fonctions des personnes élues le 15 mars 2020, date devant être fixée par décret au plus tard au mois de juin 2020. Le décret du 14 mai 2020 (art. 4) ayant décidé que, dans les communes dans lesquelles le conseil municipal a été élu au complet lors du scrutin organisé le 15 mars 2020, les élus entrent en fonction le 18 mai 2020, il s’ensuit, par application du report de délai pour jour férié ou non ouvrable prévu à l’art. 642 du code de procédure civile, qu’en l’espèce le délai expirait le lundi 25 mai 2020 à dix-huit heures. 

Il y a une certaine audace à faire bénéficier d'une disposition instituant une prorogation de délai sans portée rétroactive un délai entièrement expiré avant l'entrée en vigueur de cette disposition.

La seconde question est l’objet même de la requête : les résultats de cette élection auraient été faussés par une abstention considérable liée aux circonstances de fait résultant de l’épidémie, il conviendrait donc de les annuler. Cet argument est rejeté par le juge selon qui ni le code électoral ni les dispositions de la loi précitée du 23 mars 2020 n’ont subordonné à un taux de participation minimal la répartition des sièges au conseil municipal à l'issue du premier tour de scrutin dans les communes de mille habitants et plus, lorsqu'une liste a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés. Le niveau de l'abstention (56,07% en l’espèce) n’est ainsi, par lui-même, pas de nature à remettre en cause les résultats du scrutin. 

Il ne pourrait en aller autrement que si ce niveau avait, dans les circonstances de l'espèce, altéré la sincérité du scrutin.

Ce n’était pas le cas : l’appel est rejeté.

(15 juillet 2020, M. X., n° 440055)

(121) V. également, sur le calcul du délai de protestation contre les élections municipales et communautaires de mars 2020 : 29 juillet 2020, M. X., n° 440623.

 

122 - Élections municipales et communautaires des 15 et 22 mars 2020 - Circulaires ministérielles fixant les nuances politiques des candidats à ces élections - Absence d’illégalité - Rejet.

Les divers recours, dont certains ont fait l’objet de désistements, contestaient la légalité de deux circulaires du ministre de l’intérieur du 10 décembre 2019 et du 03 février 2020 relatives à l’attribution de nuances politiques aux candidats aux élections municipales et communautaires devant primitivement se tenir les 15 et 22 mars 2020, ainsi que l’agrégation de ces nuances leurs de la synthèse des résultats.

Tous les arguments, à la différence de ce qui s’était produit dans un précédent recours (31 janvier 2020, Mme Laroche et autres, n°s 437675, 437795, 437805, 437824, 437910, 437933 ; v. cette Chronique janvier 2020 n° 36), sont rejetés, le ministre ayant en partie tenu compte de la décision du Conseil d’État.

Celui-ci déclare sans objet le recours contre la première d’entre elles car elle a été abrogée et remplacée par celle du 03 février 2020 et n’a fait l’objet d’aucune application.

Les quatre griefs allégués contre cette dernière circulaire sont rejetés : 

1° Le ministre était compétent pour établir une grille des nuances politiques destinée à permettre l'agrégation des résultats des élections nécessaire à l'information des pouvoirs publics et des citoyens. 

2° Le décret du 9 décembre 2014 n’a pas imposé au ministre de retenir le seuil de 1000 habitants ou plus pour l'attribution de nuances politiques, celui-ci pouvait donc retenir celui de 3500 habitants ou plus ainsi que les communes chefs-lieux d'arrondissement quelle que soit leur population.

3°  C’est sans illégalité que le ministre, pour l'attribution de nuances politiques, n’a pas pris en compte les communes dont la population est inférieure au seuil retenu par la décision litigieuse, alors même que ce seuil a été utilisé pour l'attribution des nuances des candidats au scrutin de liste pour l'ensemble des élections municipales qui se sont déroulées entre 1982 et 2008 car cela aurait conduit à une surreprésentation de la nuance " Divers ", eu égard notamment au caractère principalement local des enjeux des scrutins. Ainsi, ce seuil n'est pas manifestement de nature à altérer le sens politique du scrutin en sous-estimant les principaux courants politiques, il n'a pas non plus pour effet de dénaturer les finalités de ce traitement et ne méconnaît pas le principe d'égalité entre les communes et les candidats, dès lors que ceux-ci sont placés dans une situation différente selon que la population des communes est au-dessous ou au-dessus de ce seuil. Il en va de même pour l'attribution d'une nuance politique dans l'ensemble des chefs-lieux, indépendamment de leur nombre d'habitants, compte tenu de la nature particulière de ces communes et de l'intérêt qui s'attache à ce que les résultats électoraux puissent y faire l'objet d'un suivi national.

4° Enfin, en rattachant la nuance politique « Rassemblement national » au bloc de clivages « extrême droite », la circulaire attaquée ne méconnaît pas les principes de liberté des partis politiques et de sincérité du scrutin, que l'attribution d'une nuance politique différente de l'étiquette politique n'affecte pas, et n'est entachée d'aucune erreur manifeste d'appréciation ; elle ne méconnaît pas davantage, en tout état de cause, le principe d'égalité en retenant pour cette formation un bloc de clivage différent de celui de la formation politique « Debout la France », classé dans la catégorie « droite », dont le programme diffère du sien.

(8 juillet 2020, Mme X. et autre, n° 437673 ; Parti « Les Républicains », n° 437804 ; M. X. et autre, n° 437822 ; Parti « Le Rassemblement national », n° 437833 ; Parti socialiste, n° 437905 ; Parti « Debout la France », n° 437931 ; Parti « Le Rassemblement national », n° 439074, jonction)

 

Environnement

 

123 - Éoliennes - Autorisation d’implantation ainsi que d’un poste de livraison - Effet de la constatation par le juge du défaut de transposition d’une disposition d’une directive - Mise en œuvre de l’art. L. 181-18 du code de l’environnement - Office du juge saisi - Cassation avec renvoi.

Dans un litige consécutif à l’annulation par une cour administrative d’appel d’autorisations d’implantation d’éoliennes et d’un poste de livraison, le Conseil d’État rappelle que la faculté ouverte par le 2° du I de l'art. L. 181-18 du code de l'environnement - selon lesquelles « Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre une autorisation environnementale, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés : (…)

2° Qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé par une autorisation modificative peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation. Si une telle autorisation modificative est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations (…) » -, relève de l'exercice d'un pouvoir propre du juge, qui n'est pas subordonné à la présentation de conclusions en ce sens.

Deux cas sont susceptibles de se présenter : S’il n’est pas saisi de conclusions en sens, le juge du fond peut toujours mettre en œuvre cette faculté, sans y être tenu, son choix relevant d'une appréciation qui échappe au contrôle du juge de cassation. Si le juge du fond est saisi de conclusions en ce sens, il est alors tenu de mettre en œuvre les pouvoirs qu'il tient du 2° du I de l'article L. 181-18 du code de l'environnement si les vices qu'il retient apparaissent, au vu de l'instruction, régularisables.

(8 juillet 2020, Société Ferme éolienne de Marcilly-Ogny, n° 422027 ; ministre de la transition écologique et solidaire, n° 422300)

 

124 - Barrages et digues - Cas d’un barrage supportant une route départementale - Charge de l’entretien - Obligation conjointe - Rejet.

Étaient contestées diverses prescriptions mises par un préfet à la charge d’un département et d’une personne privée du chef de l’existence d’un barrage formant un lac, propriété privée, et d’une route départementale franchissant le sommet du barrage.

Est posé, pour la première fois semble-t-il, comme résultant des dispositions de l'art. R. 214-123 du code de l'environnement (selon lesquelles « Le propriétaire ou l'exploitant de tout barrage ou le gestionnaire des digues organisées en système d'endiguement surveille et entretient ce ou ces ouvrages et ses dépendances »), le principe que « le propriétaire et l'exploitant peuvent être considérés comme débiteurs conjoints d'une obligation de surveillance et d'entretien de tout barrage ou digue, chacun étant responsable des obligations attachées respectivement à la qualité de propriétaire ou à celle d'exploitant du barrage. »

Il suit de là le rejet du recours du département car le préfet peut légalement mettre des prescriptions de surveillance et d'entretien à la charge conjointe du propriétaire et de l'exploitant, chacun devant prendre les mesures nécessaires relevant de sa responsabilité et en informer le préfet.

(10 juillet 2020, Département d’Ille-et-Vilaine, n° 427165)

 

125 - Ressources halieutiques - Pêche au maigre - Taille minimale des poissons susceptibles d’être pêchés - Application du principe de précaution - Annulation partielle et fixation d’une obligation de réexamen du problème à échéance d’une année.

L’association requérante contestait la taille minimale, fixée par arrêté ministériel, qu’elle jugeait insuffisante, des poissons de l’espèce « maigre » susceptibles d’être pêchés dans le golfe de Gascogne en raison du risque de disparition de la ressource.

Le Conseil d’État juge que le ministre a l’obligation, notamment en application de diverses dispositions combinées des règlements (CE) n° 1380/2013 du 11 décembre 2013 et n° 2019/1241 du 20 juin 2019, ainsi que du code rural et de la pêche maritime (CRPM), de prévoir une taille minimum de pêche pour ces poissons même si elle doit être limitée aux seuls navires français circulant dans le golfe de Gascogne.

Cependant, s’il appartient en principe au ministre, dans la mise en œuvre de cette compétence, qui n'implique pas des prescriptions inconditionnelles résultant du droit de l'Union européenne, d’exercer son pouvoir d'appréciation, celui-ci doit néanmoins veiller au respect du principe de précaution garanti par l'article 5 de la Charte de l'environnement. Or, sur ce point, s’il n'est pas établi avec certitude, au regard des études scientifiques et des données disponibles, que l'état du stock de maigre dans le golfe de Gascogne imposerait l'adoption d'une taille minimale plus élevée, il résulte toutefois de nombreux avis scientifiques qu’est plausible un risque d'effondrement brutal de la ressource pour une longue durée.

Ce risque de dommage, par son caractère grave et irréversible pour l'environnement, est de nature à justifier l'application du principe de précaution, en dépit des incertitudes subsistant sur sa réalité et sa portée en l'état des connaissances scientifiques.

C’est pourquoi le Conseil d’État juge qu’en refusant de reconsidérer le niveau de la taille minimale des poissons pouvant être pêchés à la lumière de ces éléments alors qu'aucune autre mesure adaptée n'était prise, le ministre a méconnu les obligations découlant du principe de précaution.

Outre l’annulation ainsi prononcée le juge fait injonction au ministre de procéder dans un délai d'un an à compter de la notification de la présente décision à un réexamen de la demande de l'association requérante de fixer la taille minimale de capture du maigre compte tenu le cas échéant des résultats d'études complémentaires et d'éventuelles autres mesures de protection qui seraient décidées.

(8 juillet 2020, Association de défense des ressources marines (ADRM), n° 428271 et n° 428276, jonction)

(126) V. aussi, très largement comparable, à propos de la pêche du bar européen : 8 juillet 2020, Association de défense des ressources marines (ADRM), n° 429018.

 

127 - Pollution de l’air - Condamnation de l’État par une décision du juge administratif le 12 juillet 2017 - Constatation, en juillet 2020, de l’absence, de l’insuffisance, de l’imprécision ou de l’indétermination des mesures prises, de leurs effets notamment temporels - Condamnation sous astreinte de l’État.

Par une décision du 12 juillet 2017 le Conseil d’État  a, d'une part, annulé les décisions implicites du Président de la République, du Premier ministre et des ministres chargés de l'environnement et de la santé, refusant de prendre toutes mesures utiles et d'élaborer des plans conformes à l'article 23 de la directive 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 concernant la qualité de l'air ambiant et un air pur pour l'Europe, permettant de ramener, sur l'ensemble du territoire national, les concentrations en particules fines et en dioxyde d'azote en-deçà des valeurs limites fixées à l'annexe XI de cette directive, d'autre part, enjoint au Premier ministre et au ministre chargé de l'environnement de prendre toutes les mesures nécessaires pour que soit élaboré et mis en œuvre, pour chacune des zones énumérées au point 9 des motifs de cette décision, un plan relatif à la qualité de l'air permettant de ramener les concentrations en dioxyde d'azote et en particules fines PM10 sous les valeurs limites fixées par l'article R. 221-1 du code de l'environnement dans le délai le plus court possible et de le transmettre à la Commission européenne avant le 31 mars 2018.

Saisi par 69 associations, 8 personnes physiques et une commune, le Conseil d’État dresse, presque trois ans après jour pour jour, un constat de carence assez accablant malgré l’adoption par l’État de quatorze « feuilles de route ». 

Tantôt des mesures n’ont pas été prises, tantôt elles sont manifestement insuffisantes, tantôt est ignoré leur effet possible ou probable voire leur adéquation et souvent demeure une grande incertitude sur la réalité du respect de la date butoir de 2025 pour la réalisation plénière du retour en deçà des valeurs limites de concentration en NO2 et en particules fines PM10.

Les requérants sollicitaient le prononcé d’une astreinte pour inciter les pouvoirs publics centraux de l’État à se montrer plus respectueux qu’ils ne l’ont été jusqu’ici du souci d’exécuter la chose jugée, déjà assortie en 2017 d’une injonction.

D’ailleurs, le choix de la formation de l’assemblée plénière pour rendre la présente décision a sa part dans la démonstration de la volonté du juge de voir cesser l’impéritie du pouvoir exécutif dont on peut se demander si elle n’est pas susceptible d’une sanction pénale d’autant qu’en l’espèce l’infraction est commise en état de flagrance.

Constatant qu’il ressort des pièces du dossier que, pour chacune des zones administratives de surveillance relevées en 2017, sauf une, les valeurs limites de concentration en NO2 et PM10 fixées par l'article R. 221-1 du code de l'environnement demeurent dépassées et que les différents éléments produits au cours de la procédure juridictionnelle ne permettent pas d'établir que les effets cumulés des différentes mesures adoptées à la suite de la décision du 12 juillet 2017 permettront de ramener les niveaux de concentration en ces deux polluants en deçà de ces valeurs limites dans le délai le plus court possible, le Conseil d’État juge  que l'État ne peut être regardé comme ayant pris des mesures suffisantes propres à assurer l'exécution complète de cette décision.

Il décide donc, « eu égard au délai écoulé depuis l'intervention de la décision dont l'exécution est demandée, à l'importance qui s'attache au respect effectif des exigences découlant du droit de l'Union européenne, à la gravité des conséquences du défaut partiel d'exécution en termes de santé publique et à l'urgence particulière qui en découle » de prononcer contre l'État, sauf exécution complète de la présente décision  dans un délai de six mois, une astreinte de 10 millions d'euros par semestre jusqu'à la date à laquelle la décision du 12 juillet 2017 aura reçu exécution, étant rappelé que ce montant est susceptible d'être révisé à chaque échéance semestrielle à l'occasion de la liquidation de l'astreinte.

(Assemblée, 10 juillet 2020, Association Les amis de la Terre - France et autres, n° 428409)

 

128 - Interdiction de construction sur certains espaces littoraux (art. L. 121-23 c. environnement) - Dérogation en faveur des certains aménagements légers (art. L. 12124 c. environnement) — Conditions devant être strictement respectées - Dérogation ne constituant pas une atteinte au principe de non-régression (art. L. 110-1 c. env. ) - Rejet.

(10 juillet 2020, Association France Nature Environnement, n° 432944) V. n° 219

 

129 - Police des eaux - Autorisations données au titre de cette police - Législation antérieure au 1er janvier 2017 - Interdiction de destruction d’espèces protégées et de leurs habitats - Dérogation à cette interdiction - Nécessité d’incorporation de la dérogation à l’autorisation - Autorisation donnée avant le 1er janvier 2017 mais juge statuant après cette date - Régime - Divisibilité de l’autorisation et de la dérogation - Annulations partielles sans renvoi.

Avait été contestée en première instance et en appel l’autorisation préfectorale de réaliser des travaux de reprofilage d’un ruisseau au motif que le milieu naturel concerné par les travaux était habité par des espèces protégées au titre de l'arrêté du 19 novembre 2007 fixant les listes des amphibiens et reptiles protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection, à savoir deux espèces d'amphibiens, le crapaud calamite et la rainette méridionale, et une espèce de reptile, le lézard vert, et que les travaux autorisés par l'arrêté en litige, de par leur nature et leur importance, étaient susceptibles d'entraîner, notamment pendant la phase du chantier, la destruction ou la mutilation de ces spécimens, ainsi que la destruction, l'altération ou la dégradation de leurs sites de reproduction et aires de repos. 

Les juges de première instance et d’appel ont fait droit à cette demande.

Le Conseil d’État, statuant comme juge de cassation sur ce point, commence par relever que l’ordonnance du 26 janvier 2017, entrée en vigueur le 1er mars 2017, a institué une autorisation environnementale qui, le cas échéant, doit comporter les dérogations nécessaires à la réalisation de l’opération pour laquelle est sollicitée l’autorisation. En l’espèce, l’arrêté préfectoral, pris en octobre 2011, ne comportait pas cette dérogation. Pour le Conseil d’État, confirmant sur ce point la position des juges du fond, les autorisations délivrées au titre de la police de l'eau en application de l'article L. 214-3 du code de l'environnement, antérieurement au 1er mars 2017, doivent être considérées, à compter de cette date, comme des autorisations environnementales. 

Ensuite, il juge que dès lors que l'autorisation environnementale instituée par cette ordonnance tient désormais lieu des diverses autorisations, enregistrements, déclarations, absences d'opposition, approbations et agréments - dont la dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces animales non domestiques et de leurs habitats -, c'est sans erreur de droit que la cour a jugé que l'autorisation environnementale issue de l'autorisation délivrée par le préfet le 17 octobre 2011 au titre de la police de l'eau pouvait être utilement contestée devant elle au motif qu'elle n'incorporait pas, à la date à laquelle elle a statué, la dérogation dont il était soutenu qu'elle était requise pour le projet de travaux en cause. 

Enfin, et c’est là le motif de la cassation prononcée, le Conseil d’État se sépare du raisonnement de la cour. En effet, alors que cette dernière a annulé l'autorisation attaquée dans son ensemble au seul motif que cette décision ne comporte pas la dérogation requise en vertu des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement, le Conseil d’État juge que ce motif ne vicie l'autorisation environnementale en litige qu'en tant qu'elle n'incorpore pas cette dérogation, car il estime que la dérogation est divisible du reste de l’autorisation.

Statuant comme juge du fond du fait de la seconde cassation intervenue dans cette affaire, le Conseil d’État décide que l’application de l’arrêté préfectoral est suspendue jusqu’à la délivrance de la dérogation prévue à l’art. L. 411-2 précité.

(22 juillet 2020, Ministre de la transition écologique et solidaire, n° 429610)

 

130 - Jeux olympiques et paralympiques de 2024 - Projet de la Tour Triangle (art. 20, loi du 23 novembre 2018 ajoutant un article 12 à la loi du 26 mars 2018) - Rejet de la QPC - Projet non susceptible d’avoir une incidence sur l’environnement ou de constituer un projet d’aménagement - Moyens dirigés contre le projet immobilier de la Tour Triangle - rejet.

Les organisations requérantes demandaient l’annulation du décret n° 2019-95 du 12 février 2019 pris pour l'application de l'article 20 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique en tant qu'il mentionne le « projet immobilier situé 4 à 30, rue Ernest-Renan - parcelles cadastrales BC 22 et BC 23 - sur le territoire de la ville de Paris dans le 15e arrondissement », dit projet de la Tour Triangle, projet qui a été autorisé par un arrêté du maire de Paris portant permis de construire en date du 28 avril 2017.

Les diverses requêtes sont rejetées à commencer par celles soulevant une QPC à l’encontre de l’art. 20 précité de la loi du 23 novembre 2018.

Les critiques portant sur la légalité externe du décret sont rejetées soit parce que ce texte n’est pas une mesure individuelle (défaut de motivation) soit parce qu’il ne constitue ni un projet susceptible d’avoir une incidence sur l’environnement, ni un projet d’aménagement ou d’équipement.

Pas davantage ne sont retenues les critiques concernant la légalité interne de l’acte : n’étant pas régi par le droit de l’UE, ne saurait lui être opposé le principe de confiance légitime ;  il ne remet pas en cause la sécurité juridique (cf. points 6 et 16) ; l’appel, impossible en l’espèce, ne contrevient pas à un principe ou à une règle - l’un et l’autre inexistants - dite du double degré de juridiction ; enfin, les nécessités du bon déroulement des jeux olympiques et paralympiques comme de la cohérence des mesures répondent suffisamment aux autres objections.

(29 juillet 2020, Association de sauvegarde du Patrimoine Monts 14, n° 429235 ;  Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France, n° 429787  et n° 429811 ; Association SOS Paris et autres, n° 429813, jonction)

  

Fonction publique et agents publics

 

131 - Fonctionnaire - Fonctionnaire détaché dans une organisation internationale - Cotisation en vue de la pension de retraite - Régime - Règle de l’écrêtement - Effet d’une modification législative - Cassation partielle et renvoi pour partie au tribunal administratif et pour partie à la CAA.

Les fonctionnaires français, lorsqu’ils sont détachés auprès d'un organisme international, ont la possibilité de continuer à cotiser au régime prévu par le code des pensions civiles et militaires de retraite (art. L. 87 de ce code). Cependant, en ce cas, la pension servie au titre de ce régime ne pourra compléter la pension acquise au titre du régime propre à l'organisme international que dans la limite de la pension que le fonctionnaire aurait acquise en l'absence de détachement. C’est pourquoi, le cas échéant, la pension française est réduite à hauteur du montant de la pension servie par l'organisme international.

Mais la loi du 17 janvier 2002 (art. 20, VI), telle qu’éclairée par ses travaux préparatoires décide que, pour les agents en cours de détachement au 1er janvier 2002 qui n'ont pas demandé le remboursement des cotisations versées avant cette date au régime français, leur pension française ne fait l'objet d'aucun abattement au titre des droits acquis avant le 1er janvier 2002. 

Il s’ensuit que seule la fraction de la pension correspondant aux droits acquis après cette date, déterminée à proportion de la durée de services correspondante, est susceptible d'être réduite en application de l'article L. 87 précité.

(1er juillet 2020, M. X., n° 426263)

 

132 - Attribution de l'indemnité de résidence à un taux indu - Décision créatrice de droits irrégulière devenue définitive - Décision ne pouvant plus être ni abrogée ni retirée - Illégalité de la décision ordonnant un paiement - Régularité d’une décision ordonnant la cessation de ce paiement - Cassation sans renvoi.

(22 juillet 2020, Ministre de l'intérieur, n°s 434697, 434702, 434704, 434705, 434707, 434709, 434711, 434713, 434714, 434717, 434719, 434721, 434722, 434724, quatorze espèces) V. n° 2

 

133 - Observatoire de Paris - Décision relative à une prime - Obligation de communication préalable du dossier (loi de 1905) - Caractère de mesure prise en considération de la personne sans effet ici - Rejet.

L’organisme requérant contestait l’annulation par la cour administrative d’appel de la décision de son président notifiant le montant de sa prime de recherche scientifique à l’un des agents de l’Observatoire au motif que celle-ci, prise en considération de sa personne et au vu de sa manière de servir, n’avait pas été précédée de la communication de son dossier à l’intéressé en violation de l’art. 65 de la célèbre loi de 1905.

Le Conseil d’État annule cet arrêt dans les termes suivants : « Il ne résulte d'aucun des textes cités ci-dessus (loi du 2 avril 1905, décret du 15 janvier 2002 fixant le régime de la prime de participation à la recherche scientifique dans certains établissements publics à caractère scientifique et technologique), ni d'aucun principe, que l'agent susceptible de bénéficier d'une prime qui tient compte de sa manière de servir, comme c'est le cas pour la prime de participation à la recherche scientifique, doive être mis à même de présenter ses observations préalablement à la décision de l'administration d'en fixer le taux ou d'en refuser l'attribution. L'agent n'ayant aucun droit à bénéficier de l'attribution ou d'un certain taux d'une telle prime, cette décision, alors même qu'elle est prise en considération de la personne de l'intéressé, n'est pas au nombre des mesures qui ne peuvent légalement intervenir sans que celui-ci ait été mis à même de prendre connaissance de son dossier. »

Cette solution peut surprendre en ce qu’elle brouille la catégorie juridique de nature jurisprudentielle des « mesures prises en considération de la personne », apparue avec : Sect. 24 juin 1949, Nègre, Rec. Leb. 404.

(1er juillet 2020, Observatoire de Paris, n° 427231)

 

134 - Service départemental d’incendie et de secours (SDIS) - Régime indemnitaire des sapeurs-pompiers - Autorité compétente - Logement des sapeurs-pompiers - Indemnité substitutive - Conditions d’octroi - Cassation avec renvoi.

(29 juillet 2020, Mme X., n° 423420) V. n° 22

 

135 - Covid-19 - Enseignants du second degré - Recrutement - Concours interne de l’agrégation - Modifications du régime des épreuves du concours au titre de l’année 2020 - Absence de doute sérieux sur la légalité des mesures d’allègement des épreuves - Rejet.

Les requérants contestaient l’arrêté ministériel du 10 juin 2020 modifiant le régime des deux ou trois épreuves d'admission en les remplaçant par les résultats d'épreuves d’admissibilité, supprimant ainsi les oraux d'admission dans seize des sections de l'agrégation interne.

La demande de suspension d’exécution de cet arrêté est rejetée, le juge n’éprouvant aucun doute sérieux sur sa légalité, en l’état des informations disponibles et du peu de visibilité de l’évolution future concernant l’épidémie de Covid-19, cela alors même que, comme le suggèrent les requérants et comme cela a été un moment envisagé, étaient possibles la tenue des oraux aux moyen de visioconférences  ou encore le report des épreuves d’admission en septembre-octobre, la solution retenue n’étant pas entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.

La solution semble par trop « laxiste » en faveur de l’administration au vu du sacrifice d’un certain nombre de caractéristiques essentielles du concours d’agrégation.

(ord. réf.  5 août 2020, Mme X. et autres, n° 442300 ; on lira aussi, identiques : ord. réf. 12 août 2020, Mme X. et autre, n° 442554 ; ord. réf. 12 août 2020, Mme X. et autres, n° 442658)

(136) V.  aussi, deux décisions très semblables s'agissant, d’une part, du concours interne du certificat d'aptitude au professorat du second degré (CAPES) (ord. réf. 12 août 2020, M. X. et autres, n° 442549) et d’autre part, du concours interne du certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement technique (CAPET) (ord. réf. 12 août 2020, M. X. et autres, n° 442550). Ces deux dernières décisions appellent les mêmes réserves que les premières citées.

(137) V. encore, semblables et appelant d’identiques réserves s'agissant, d’une part, du concours interne du certificat d'aptitude au professorat de lycée professionnel (CAPLP) (ord. réf. 12 août 2020, M. X. et autre, n° 442555) et, d’autre part, du concours interne de recrutement des psychologues de l'éducation nationale (PSYEN) (ord. réf. 12 août 2020, Mme X. et autre, n° 442561).

(138) V. également, pareillement critiquables, à propos du concours interne du certificat d'aptitude au professorat d'éducation physique et sportive (CAPEPS) (ord. réf. 12 août 2020, M. X. et autres, n° 442558), du concours interne de recrutement des conseillers principaux d'éducation (ord. réf. 12 août 2020, Mme X. et autre, n° 442559) et du concours de recrutement des personnels de direction d'établissement d'enseignement ou de formation relevant du ministre de l'éducation nationale (PERDIR) (ord. réf. 12 août 2020, M. X. et autre, n° 442563).

 

139 - Fonctionnaires - Litiges en matière de pensions (art. R. 811-1, 7° CJA) - Compétence du tribunal administratif statuant en dernier ressort - Cas d’une demande d’octroi d’une rente viagère d’invalidité - Annulation partielle.

Un litige portant sur le refus d’octroyer à un fonctionnaire une rente viagère d’invalidité constitue un litige « en matière de pensions » au sens du 7° de l’art. R. 811-1 du CJA, lequel relève de la compétence du tribunal administratif statuant en dernier ressort.

(3 juillet 2020, M. X., n° 424647)

 

140 - Covid-19 - Concours d’entrée 2020 à l’Ecole polytechnique - Modifications apportées aux épreuves d’admissibilité et d’admission - Épreuves achevées à la date d’introduction de la demande de suspension - Rejet.

Irrecevabilité de conclusions à fin de suspension d’exécution d’épreuves de concours alors que le déroulement de celles-ci était achevé à la date d’introduction du référé suspension.

(ord. réf. 12 août 2020, Mme X., n° 442672)

 

141 - Ouvriers de l’État - Exposition à l’amiante - Droit à l'allocation spécifique de cessation anticipée d'activité - Droit à la liquidation anticipée de sa retraite - Cumul possible sous condition - Rejet du pourvoi contre le jugement et annulation de l’arrêt d’appel.

Dans cette décision, rejetant le pourvoi dont l’avait saisi la ministre des armées, le Conseil d’État déduit d’un ensemble de textes combinés entre eux (art. 1er du décret du 21 décembre 2001 relatif à l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à certains ouvriers de l'État relevant du régime des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'État ; art. 21 du décret du 5 octobre 2004 relatif au régime des pensions des ouvriers des établissements industriels de l’État et point XVI du I « travaux » de l'annexe du décret du 18 août 1967 fixant les conditions d'application du régime des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'État) deux séries de conséquences importantes pour les ouvriers de l’État dont il convient de rappeler qu'ils constituent une catégorie juridique autonome.

En premier lieu, il leur est possible - sous réserve de réunir les conditions prévues par le décret du 5 octobre 2004 - d’obtenir le versement de l'allocation spécifique de cessation anticipée d'activité dès lors qu’est atteint au moins l'âge de cinquante ans, et, au terme du versement de cette allocation, la liquidation anticipée de la pension de retraite, à partir de l'âge de cinquante-sept ans, en raison d’une exposition à l'accomplissement de travaux insalubres. 

En second lieu, il suit de là qu'une même période peut être prise en compte pour la détermination des droits à l'allocation spécifique et ensuite pour la détermination des droits à la liquidation anticipée de la pension, dès lors que sont satisfaites les conditions fixées respectivement par les décrets précités du 21 décembre 2001 et du 5 octobre 2004.

(10 juillet 2020, Ministre des armées, n° 427962)

 

142 - Emploi de professeur des universités-praticien hospitalier - Emploi ouvert à la mutation - Procédure suivie gravement irrégulière - Obligation, si l’emploi est toujours vacant, de recommencer l’ensemble de cette procédure - Annulations partielles et rejet pour le surplus.

La requérante était candidate par voie de mutation sur un emploi, ouvert par arrêté interministériel du 23 janvier 2019, de professeur des universités-praticien hospitalier en pédopsychiatrie, addictologie, option pédopsychiatrie, au centre hospitalier et universitaire de Paris (UFR Paris V), Pôle pédiatrie générale et pluridisciplinaire, service pédopsychiatrie, hôpital Necker Enfants malades. Elle a été informée par les services ministériels qu'en conséquence des avis défavorables émis par le conseil de gestion de l'unité de formation et de recherche (UFR) de médecine de l'université Paris V et par la commission médicale d'établissement (CME) de l'assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP), sa demande de mutation ne pouvait aboutir. Elle forme un recours pour excès de pouvoir, partiellement rejeté en tant qu’il porte sur un document ne faisant pas grief.

S’agissant de la procédure suivie, le juge relève un grand nombre d’irrégularités en forme de florilège. 

Les avis émis en 2018, à l’occasion d’une précédente candidature, ont été portés à la connaissance des rapporteurs des dossiers des candidats dans le cadre de la mise en œuvre de la procédure résultant de la publication de l'arrêté du 23 janvier 2019. Ils étaient défavorables à la requérante et favorables à l’autre candidat.

Les rapporteurs au sein de la CME de l'AP-HP ont été destinataires d'un courriel d'un agent de la direction de l'organisation médicale et des relations avec les universités de l'AP-HP, chargé de suivre la procédure de recueil de l'avis de la CME, comportant l'indication suivante : « Je me permets d'attirer votre attention sur cette candidature, comme vous le savez, le Pr. Y. est le candidat attendu sur ce poste. Il fait actuellement l'objet d'une mise à disposition dans nos services en attendant une nomination officielle au 1/09/19 ». Au reste, M. Y. a commencé à exercer dans le service de pédopsychiatrie de l'hôpital Necker dès le 7 février 2019, alors que l'arrêté du 23 janvier 2019 ouvrant la procédure de recrutement a été publié au Journal officiel du 3 février 2019 et que, durant la procédure de recrutement, l'organigramme de l'hôpital et les ordonnances du pôle le présentaient comme chef de service.

Le juge ne peut que constater que : « Ces circonstances, comme ce qu'elles révèlent, n'ont pu demeurer sans influence sur les positions prises par les membres de la formation du conseil restreint de l'UFR de médecine de l'université Paris V et de la CME de l'AP-HP lorsqu'ils ont délibéré sur les candidatures présentées pour pourvoir le poste en cause et sur le déroulement de la procédure dans son ensemble. » Et de conclure avec un légitime agacement : « Alors que l'objet de la procédure organisée pour nommer dans les emplois offerts aux professeurs des universités-praticiens hospitaliers est de pourvoir ces emplois, conformément à l'intérêt du service, dans le respect du principe d'égalité entre les candidats, la procédure qui a été suivie en l'espèce a été irrémédiablement viciée et ne saurait, en conséquence, conduire à pourvoir l'emploi en cause ».

Cette annulation prononcée, elle   implique seulement, si l'emploi est toujours vacant, que la procédure soit reprise à son début. 

(3 juillet 2020, Mme X., n° 434812)

 

143 - Médecin contractuel des services déconcentrés du ministère des finances - Licenciement - Délai de consultation de son dossier - Temps disponible pour organiser sa défense - Caractère insuffisant - Dénaturation - Cassation avec renvoi.

Est entaché de dénaturation et encourt cassation de ce chef l’arrêt d’une cour administrative d’appel qui juge régulière la procédure de licenciement d’une médecin, agent contractuel de l’État, alors que, par un courriel du 30 mars 2015, l'administration l’a invité à consulter son dossier le 9 avril 2015 entre 11h30 et 12h30, soit quelques heures avant l'entretien préalable à son licenciement fixé le même jour à 14h30 et que, par ailleurs, après avoir consulté son dossier, l’intéressée n'a disposé que de la seule journée du vendredi 10 avril 2015 pour préparer sa défense avant l'intervention de la décision prononçant son licenciement le lundi 13 avril 2015. 

(10 juillet 2020, Mme X., n° 428272)

 

144 - Règles de mutation et d’affectation des agents publics - Mouvement national de mutation géographique - Emplois occupés par des agents contractuels à temps indéterminé (CDI) - Absence d’obligation d’ouvrir ces derniers à la mobilité géographique - Rejet.

Le syndicat requérant demandait l’annulation de la note de service du 16 janvier 2020 du ministre de l'agriculture et de l'alimentation relative aux règles et à la procédure applicables aux demandes de mutation pour la campagne annuelle de mobilité des personnels enseignants et d'éducation de l'enseignement technique agricole public (personnels stagiaires, titulaires et contractuels à durée indéterminée) et sous statut " agriculture " de l'enseignement maritime, en vue de la rentrée scolaire de 2020, en ce que les dispositions pertinentes à cet effet ne font pas figurer sur les listes des postes accessibles à la mobilité la totalité des postes correspondant aux emplois permanents et à temps complet auxquels sont affectés des agents contractuels d'enseignement et d'éducation bénéficiant d'un contrat à durée indéterminée.

En somme, pour le syndicat l’administration avait l’obligation d’offrir à la mobilité tous les postes d’emplois permanents y compris ceux occupés par des agents en CDI.

Ce raisonnement est rejeté par le Conseil d’État qui estime, au contraire, au vu des dispositions combinées des lois du 13 juillet 1983 et du 11 janvier 1984 ainsi que du décret d’application de cette dernière du 17 janvier 1986, qu’« il appartient à l'administration, lorsqu'elle organise, comme en l'espèce, un mouvement collectif tendant à répondre aux voeux de certains agents de changement d'affectation géographique, de décider, en fonction de l'intérêt du service, si elle entend ou non ouvrir à la mobilité des emplois qui sont occupés par des agents contractuels recrutés en vertu d'un contrat à durée indéterminée ». C’est donc là une faculté non une obligation.

(29 juillet 2020, Syndicat national de l'enseignement technique agricole public - Fédération syndicale unitaire (SNETAP-FSU), n° 437891)

 

145 - Fonctionnaire territorial - Détachement sur un emploi fonctionnel - Mise en œuvre de l’obligation de réintégration - Distinction selon que l’emploi fonctionnel de détachement relève, ou non, de la collectivité d’origine de l’agent - Régime applicable - Cassation avec renvoi.

Lorsqu’un fonctionnaire territorial fait l’objet d’un détachement sur un emploi fonctionnel, il a droit à réintégration à l’expiration de son détachement. Il convient toutefois de distinguer.

1°/ Si le détachement a été fait sur un emploi fonctionnel relevant de la collectivité ou de l’établissement d'origine de l’agent, il appartient à celle-là ou à celui-ci de prendre en compte, sous réserve des nécessités du service, les emplois vacants à la date à laquelle cette collectivité ou cet établissement informe son organe délibérant, de la fin du détachement, ainsi que ceux qui deviennent vacants ultérieurement (la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, art. 53).

2°/ Si le détachement concernait un emploi fonctionnel ne relevant pas de sa collectivité ou de son établissement d'origine, il appartient à celle-là ou à celui-ci de prendre en compte, sous réserve des nécessités du service, les postes vacants à la date où cette collectivité ou cet établissement est informé de la fin du détachement, ainsi que ceux qui deviennent vacants ultérieurement.

Commet donc une erreur de droit la cour administrative d’appel qui juge que la commune n'était pas tenue de proposer au requérant le poste d'ingénieur en urbanisme, déclaré vacant en mai 2010, ni le poste d'ingénieur en risques professionnels, déclaré vacant en juin 2010, au motif qu'ils avaient été pourvus respectivement le 12 juillet 2010 et le 29 juillet 2010 et qu'ils n'étaient plus vacants le 31 août 2010, date de la fin de sa période de détachement, alors qu'il lui appartenait de rechercher si ces postes correspondaient à des emplois vacants à la date à laquelle le conseil municipal avait été informé de la fin du détachement de M. X. ou s'ils étaient devenus vacants ultérieurement.

(8 juillet 2020, M. X., n° 423759 et n° 424861)

 

146 - Circulaire et note de service - Circulaire instituant un système facultatif de suivi de compétence et pouvant déboucher sur un plan de formation - Circulaire devant être soumise à la consultation préalable d’un comité technique de réseau - Absence - Irrégularité - Annulation.

(15 juillet 2020, Syndicat national Solidaires Finances publiques, n° 423333) V. n° 7

 

147 - Fonctionnaire et agents publics - Mise en cause par un tiers à raison de l’exercice de ses fonctions - Obligation de lui assurer une protection fonctionnelle - Nature juridique de cette obligation - Conditions d’octroi - Rejet.

Était contestée la délibération d’un conseil municipal d’accorder à l’ancien maire de la commune la protection fonctionnelle, à l’occasion d’un litige l’opposant à un tiers, en prenant en charge les honoraires de son avocat.

Le Conseil d’État rappelle que l’octroi de cette protection fonctionnelle est une obligation pour la collectivité et qu’elle constitue un principe général du droit (vraisemblablement issu de : Section, 26 avril 1963, Centre hospitalier de Besançon, n° 42763, p. 243 ; v. aussi, dans la jurisprudence récente : 8 juin 2011, M. X., n° 312700 ; 29 juin 2020, M. X. c/ centre hospitalier Louis Constant Fleming de Saint-Martin, n° 423996), au reste confirmé par le législateur pour certaines catégories d’agents.

Négativement, cette protection est subordonnée à l’absence, d’une part, de faute personnelle de l’intéressé détachable de ses fonctions, à l’origine des attaques subies et, d’autre part, d’un motif d’intérêt général s’opposant à cette prise en charge. Positivement, cette protection couvre à la fois l’ensemble des frais de l’instance et les condamnations civiles éventuellement prononcées ainsi qu’en cas de poursuites pénales.

(8 juillet 2020, M. X., n° 427002)

(148) V. aussi, sur cette affaire, totalement identique : 8 juillet 2020, M. X., n° 427003.

 

149 - Conservateurs des hypothèques - Rémunération - Litige relatif aux rémunérations impayées - Délai de saisine du juge - Application de la prescription quadriennale et non de la règle du délai raisonnable - Rejet.

Un conservateur des hypothèques conteste le calcul opéré par le trésor public pour déterminer le montant de ses salaires demi-nets.

Ce contentieux met en jeu le mode détermination du délai de recours contentieux en ce cas.

Tout d’abord, le point de départ de ce délai ne saurait résulter de la date du bulletin de paie de cet agent public car ce bulletin ne revêt pas, en lui-même, le caractère d'une décision. Il en va ainsi alors même qu'il comporterait une simple erreur, qu'il s'agisse d'une erreur de liquidation ou de versement.

Ensuite, une demande tendant au versement de sommes impayées constitue la réclamation d'une créance de rémunération détenue par un agent public sur une personne publique, soumise comme telle à la règle de la prescription quadriennale fixée par la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968.

Enfin et par suite, ne saurait être opposée en ce cas la forclusion de l’action en justice à l’expiration d’une année (dite règle du délai raisonnable) à compter du jour où l’intéressé a pris connaissance de la décision.

(10 juillet 2020, M. X., n° 430769)

 

Hiérarchie des normes

 

150 - Polynésie française - Habilitation du gouvernement à prendre des ordonnances - Ordonnances de l’art. 38 et ordonnances de l’art. 74-1 de la Constitution - Distinction - Rejet.

La collectivité territoriale de Polynésie française demandait l’annulation des 4° et 5° de l'article 6 de l'ordonnance n° 2019-861 du 21 août 2019 visant à assurer la cohérence de diverses dispositions législatives avec la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Par ces dispositions, est rendue applicable en Polynésie française l’obligation que les organismes qui dispensent la formation conduisant à l'obtention ou au renouvellement des titres de la formation professionnelle maritime délivrés par l’État soient agréés par l'autorité administrative, ce qui a pour effet d’exclure les organismes de formation conduisant à l'obtention ou au renouvellement de titres de la formation professionnelle maritime qui seraient délivrés par la Polynésie française.

La collectivité requérante invoque divers moyens dont les principaux tiennent à la hiérarchie des normes, conduisant ainsi le Conseil d’État à rendre une riche décision qui aurait pu prendre la forme d’une décision de Section.

Il existe en Polynésie française deux sortes d’habilitations législatives susceptibles d’être conférées au gouvernement : d’une part, la classique habilitation fondée sur les dispositions de l’art. 38 de la Constitution, d’autre part, l’habilitation spécifique aux collectivités ultra-marines énumérées à l’art. 74 de la Constitution ainsi qu’à la Nouvelle-Calédonie, celle de l’art. 74-1. Cette dernière permet au gouvernement, dans les matières qui demeurent de la compétence de l'État, d'étendre, avec les adaptations nécessaires, les dispositions de nature législative en vigueur en métropole ou d'adapter les dispositions de nature législative en vigueur à l'organisation particulière de la collectivité concernée, sous réserve que la loi n'ait pas expressément exclu, pour les dispositions en cause, le recours à cette procédure.

De ces diverses dispositions constitutionnelles le Conseil d’État tire plusieurs conséquences.

1°/ Une loi d'habilitation prise sur le fondement de l'article 38 de la Constitution, alors même qu'elle ne mentionnerait pas l'extension et l'adaptation des dispositions adoptées sur son fondement aux collectivités de l'article 74 de la Constitution et à la Nouvelle-Calédonie, autorise le Gouvernement non seulement à adopter les mesures entrant dans le champ de l'habilitation, mais aussi à les rendre applicables, au besoin en les adaptant, dans ces collectivités. Il n’en irait autrement que dans le cas où soit la loi d’habilitation en disposerait autrement soit il résulterait de l’économie générale de la loi d’habilitation que telle n'était pas manifestement l'intention de son auteur.

2°/ Une loi d'habilitation de l’art. 38 ne saurait par elle-même, sans disposition expresse en ce sens, autoriser le Gouvernement à étendre dans les collectivités de l'article 74 de la Constitution ou en Nouvelle-Calédonie des dispositions de nature législative déjà en vigueur en métropole.

3°/ Bien que les ordonnances de l’art. 38 et celles de l’art. 74-1 soient soumises à des régimes juridiques différents (notamment, pour celles relevant de ce dernier article : champ territorial d’application, matières en relevant, portée d’extension ou d’adaptation de la législation existante, conditions de ratification et de caducité),  une même ordonnance peut comporter des dispositions prises en vertu d'une loi d'habilitation adoptée sur le fondement de l'article 38 et des dispositions prises, après avis des assemblées délibérantes intéressées, en vertu de l'habilitation donnée au Gouvernement par l'article 74-1.

4°/ Il suit de là que les dispositions des 4° et 5° de l'article 6 de l'ordonnance du 21 août 2019 étendent, avec les adaptations nécessaires, des dispositions de nature législative en vigueur en métropole, sans que la loi du 5 septembre 2018 dont elles sont issues ait exclu le recours à cette procédure pour ces dispositions.

Elles trouvent ainsi leur base légale dans l'article 74-1 de la Constitution.  

Le recours de la Polynésie française est donc rejeté de ce chef.

(15 juillet 2020, Polynésie française, n° 436155)

 

Libertés fondamentales

 

151 - Étrangers - Étranger résidant habituellement en France durant sa minorité - Étranger devenu majeur - Obligation de solliciter un titre de séjour dans un certain délai - Illégalité de l’obligation de quitter le territoire français (OQTF) avant l’expiration de ce délai - Rejet du pourvoi.

Lorsqu’un étranger résidait habituellement en France au temps de sa minorité, il doit, une fois devenu majeur, dans les deux mois, solliciter l’octroi d’un titre de séjour. C’est illégalement qu’un préfet prend un arrêté portant OQTF à l’encontre de cet étranger alors que n’est pas encore expiré le délai légal de deux mois pour demander un titre de séjour.

(1er juillet 2020, Ministre de l’intérieur, n° 425972)

 

152 - Étrangers - Procédure devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) - Changement d’adresse dument notifié - Envoi à l’ancienne adresse - Document de réception signé de l’intéressé - Convocation régulière à l’audience - Rejet.

N’est pas irrégulière la décision de la CNDA rendue à la suite, d’une part, d’une convocation envoyée à l’ancienne adresse de l’intéressé mais dont l’accusé de réception a été signé par lui, et d’autre part, d’une convocation régulière à l’audience.

(29 juillet 2020, M. X., n° 433511)

 

153 - Étrangers - Étranger auteur de multiples infractions - Objet de soins psychiatriques -Étranger ayant purgé sa peine - Personne ne représentant plus une menace grave pour la sûreté de l'État - Erreur de qualification - Annulation avec renvoi.

Pour juger, contrairement à l’OFPRA, qu’un étranger, auteur de plusieurs délits, ayant purgé sa peine, ne constitue plus une menace pour la sûreté de l’État, la CNDA  s’est fondée sur ce qu’il avait indemnisé les victimes de ses actes, et n'avait pas fait l'objet de poursuites ultérieures, qu’il avait bénéficié d'un suivi médical régulier dans le cadre de son obligation de soins et qu'il ne consommait plus de stupéfiants, et enfin qu'il bénéficiait d'un contrat de travail intérimaire à durée indéterminée depuis le 28 mars 2018 et menait une vie de famille.

Sur pourvoi de l’OFPRA, le Conseil d’État annule cette décision pour qualification juridique erronée des faits en raison de ce que l’intéressé avait été condamné pénalement, en 2011 et 2016, pour des faits d'outrage et de rébellion, d'usage illicite de stupéfiants, de menaces de mort réitérées, de menaces de mort et outrage à personne dépositaire de l'autorité publique, qu’il avait été contraint à une obligation de soins psychiatriques entre juillet 2016 et août 2018, qu’il avait fait l'objet d'une mesure administrative d'assignation à résidence assortie d'une obligation de se présenter au commissariat trois fois par jour du 8 août 2016 au 15 juillet 2017, et, enfin, qu’il avait aussi tenu à plusieurs reprises, notamment en janvier 2016, le 13 juin 2016 et le 27 juillet 2016, tant dans les locaux de la police d'Angoulême que lors des consultations psychiatriques dans le cadre de son obligation de soins, des propos faisant état de sa volonté de partir en Syrie et proféré des menaces de mort par voie d'égorgement et d'usage d’explosifs.

L’affaire est renvoyée à la CNDA.

(29 juillet 2020, Office français de protection des réfugiés et apatrides, n° 433645)

 

154 - Réfugiés - Effets sur la qualité de réfugié du changement de nationalité de ce dernier - Effets sur celui-ci du changement de nationalité de son conjoint - Acquisition de la nationalité française ou d’une autre nationalité - Régimes distincts - Annulation de la décision de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) et renvoi devant elle.

Dans cette importante décision, le juge est amené à se prononcer sur les conséquences à tirer et sur le régime applicable à une personne ayant la qualité de réfugié soit lorsqu’elle change de nationalité (I) soit lorsque ce changement concerne son conjoint (II).

I. Dans le premier cas, l'acquisition d'une nouvelle nationalité par une personne ayant la qualité de réfugié constitue un motif légitime de cessation du statut dont il bénéficie. 

Si le pays de la protection duquel l'intéressé pourrait se réclamer à la suite de sa naturalisation n'est pas la France, l'OFPRA, s'il s'y croit fondé, peut mettre fin au statut de l'intéressé dans le respect des dispositions applicables à cette procédure.

Si le réfugié est devenu français, sa naturalisation met fin ipso facto à son statut de réfugié, sans qu'il soit besoin pour l'OFPRA de prendre une quelconque décision à cet égard.

II. Dans le second cas, l'acquisition d'une nouvelle nationalité par le conjoint d’un réfugié à qui cette qualité a été reconnue au titre de l'unité de la famille constitue un changement des circonstances imposant à l'OFPRA d'apprécier si l'intéressé, doit continuer à bénéficier de la protection qui lui avait été accordée. 

Si la nouvelle nationalité du conjoint est la nationalité française, la personne ayant obtenu la qualité de réfugié au titre de l'unité de la famille est susceptible de se voir délivrer de plein droit un titre de séjour en cette qualité (cf. art. L. 314-9, 3° du CESEDA). 

(1er juillet 2020, Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA), n° 423272)

 

155 - Étrangers - Demande de titre de séjour - Nature de la décision convoquant l’étranger en préfecture - Absence de caractère décisoire - Régime du refus d’avancer la date de rendez-vous en cas d’urgence.

Répondant à plusieurs questions posées dans le cadre d’une procédure d’avis de droit (art. L. 113-1 du CJA), le Conseil d’État précise le cadre juridique des demandes de titres de séjour formulées par les étrangers.

Tout d’abord, il résulte des dispositions combinées des articles R. 311-12 et R. 311-12-1 du CESEDA que le silence gardé par l'administration sur les demandes de titre de séjour vaut décision implicite de rejet.

Ensuite, si aucune disposition législative ou réglementaire, notamment pas les articles R. 311-12 et R. 311-12-1 précités, ni aucun principe ne fixe de délai déterminé dans lequel l'autorité administrative serait tenue de recevoir un étranger ayant demandé à se présenter en préfecture pour y déposer sa demande de titre de séjour, il incombe néanmoins à celle-ci, après lui avoir fixé un rendez-vous, de le recevoir en préfecture et, si son dossier est complet, de procéder à l'enregistrement de sa demande dans un délai raisonnable.

Également, la convocation de l'étranger par l'autorité administrative à la préfecture afin qu'il y dépose sa demande de titre de séjour, qui n'a pas d'autre objet que de fixer la date à laquelle il sera, en principe, procédé à l'enregistrement de sa demande dans le cadre de la procédure devant conduire à une décision sur son droit au séjour, ne constitue pas une décision faisant grief, susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.

Enfin, lorsque l’étranger souhaite que cette date soit avancée, il lui appartient d’en faire la demande et le refus éventuel fait grief, il est donc déférable au juge y compris au moyen du référé régi par l'article L. 521-3 du CESEDA bien que celui-ci ait un caractère subsidiaire. Le Conseil d’État précise à cet égard quel est l'office du juge de l'excès de pouvoir en cas d'annulation et quels sont ses pouvoirs d’injonction.

(avis, 1er juillet 2020, M. et Mme X., n° 436288)

 

156 - Réfugiés - Décision de transfert d’un réfugié - Délai de recours contentieux - Absence de caractère franc du délai - Application de l’art. 642 du code de procédure civile.

En réponse à une demande d’avis de droit le Conseil d’État indique que si, en principe, les délais de recours devant les juridictions administratives sont des délais francs, leur premier jour étant le lendemain du jour de leur déclenchement et leur dernier jour étant le lendemain du jour de leur échéance, il résulte des I et II de l'article L. 742-4 du CESEDA et du deuxième alinéa de l'article L. 742-5 du même code que les délais de contestation d'une décision de transfert d'un demandeur d'asile à destination de l'État responsable de sa demande, en particulier le délai de quinze jours, doivent être regardés comme des délais non-francs. 

Le Conseil d’État estime qu’en ce cas il convient de faire application des dispositions de l’art. 642 du code de procédure civile : Lorsque le délai expire un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé, il y a lieu d'admettre la recevabilité d'une demande présentée le premier jour ouvrable suivant.

(avis, 1er juillet 2020, M. X., n° 438152)

 

157 - Loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique - Demande d’aide juridictionnelle - Libre choix de l’avocat - Désignation éventuelle de l’avocat par le bâtonnier - Refus de désignation - Exigences liées au droit à un recours effectif - Pouvoirs et devoirs du juge administratif - Annulation.

Dans un litige en récupération d’indus de RSA, le demandeur avait sollicité et obtenu l’aide juridictionnelle ce qui conduit le juge à préciser le régime juridique applicable en ce cas à la désignation d’avocat, en particulier lorsque le bâtonnier refuse de désigner un avocat pour défendre le bénéficiaire de l’aide juridictionnelle.

Le Conseil d’État rappelle que la philosophie du mécanisme institué par la loi de 1991 consiste à permettre une défense effective aux personnes ne disposant à cet égard que de ressources insuffisantes. Pour autant, il ne s’agit pas d’une défense au rabais comme le prouve la présente affaire.

Tout d’abord, et c’est là un principe important, le bénéficiaire de l’aide dispose du droit de choisir son avocat.

Ensuite, si l’intéressé ne désire pas exercer de choix ou s’il n’a pas trouvé un avocat acceptant de plaider son dossier, il doit s’adresser au bâtonnier afin qu’il désigne l’un de ses confrères ou lui-même pour l’assister.

Enfin, en cas de refus du bâtonnier d’effectuer cette désignation, le juge administratif se reconnaît dans cette décision, pour la première fois semble-t-il, le pouvoir de surseoir à statuer en portant le cas échéant ce refus de désignation à la connaissance de l'intéressé et en lui impartissant un délai raisonnable à l'issue duquel il pourra statuer, sauf pour le requérant à avoir justifié de l'obtention du concours d'un avocat ou de sa contestation devant le juge judiciaire du refus de désignation du bâtonnier. 

Cette « contribution » à un processus procédural qui ne relève normalement que de la seule compétence du juge judiciaire se justifie pleinement « afin de garantir au requérant admis à l'aide juridictionnelle le bénéfice effectif du droit à l'assistance d'un avocat qu'il tire de la loi du 10 juillet 1991 ».

(22 juillet 2020, M. X., n° 425348)

 

158 - Covid-19 - Liberté du commerce et de l’industrie - Liberté d’entreprendre - Possibilité dérogatoire accordée à certains établissements de bouche d’installer des terrasses ou des places sur le domaine public - Dérogation subordonnée à la présentation d’un extrait Kbis ou d’un extrait d’immatriculation au Répertoire des métiers justifiant une vente pour consommer sur place -Exigence discriminatoire envers les associations - Absence dans les circonstances de l’espèce - Rejet.

En raison des mesures de distanciation s’imposant du fait de l’épidémie liée au coronavirus, les communes décident généralement d’apporter des dérogations aux règles habituelles d’occupation du domaine (public ou privé) pour y permettre l’installation de tables, terrasses et autres, ceci afin d’aider économiquement les entreprises concernées.

Le maire de Toulouse a subordonné l’octroi des autorisations dérogatoires à la la présentation, par les intéressés, d’un extrait Kbis ou d’un extrait d’immatriculation au Répertoire des métiers justifiant une vente pour consommer sur place. L’association requérante ne peut satisfaire à l’une ou l’autre de ces deux modalités en raison de sa nature associative. Elle demande donc l’annulation de cette réglementation motif pris de ce qu’elle serait discriminatoire envers toutes les associations. En effet, cette exigence revient à réserver la délivrance d'autorisations temporaires d'occupation du domaine public aux seules personnes inscrites au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers, c'est-à-dire à des personnes physiques ou morales exerçant une activité commerciale ou artisanale, ce qui conduit à priver les associations ayant une activité de restauration du droit d'installer une terrasse devant leur établissement. 

Sa demande, déjà rejetée en première instance, est également rejetée par le juge d’appel au terme d’un raisonnement qui manque de convaincre. Selon lui le maire de Toulouse aurait seulement voulu, par là, obtenir un document attestant de l'existence juridique de l'entreprise sollicitant une autorisation d'occupation du domaine public et n’aurait pas été inspiré par la volonté de discriminer les associations régies par la loi du 1er juillet 1901. 

Ainsi, en l’absence d’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de la requérante.

Reste qu’au total les associations, comme la requérante, se retrouvent Gros-Jean comme devant du fait de cette insatisfaisante décision ; sans terrasse la potion est amère.

(ord. réf. 20 juillet 2020, Association Itinéraire Bis, n° 441656)

 

159 - Covid-19 - Liberté d’expression et de communication - Liberté de manifester et de se réunir - Droit d'expression collective des idées et des opinions - Libertés fondamentales - Régime des rassemblements fixé aux I et II bis de l’art. 3 du décret du 31 mai 2020 - Interdiction sauf exception, constituant une mesure ni nécessaire ni adaptée ni proportionnée - Suspension ordonnée.

Les organisations requérantes demandaient la suspension de diverses dispositions réglementant la tenue de rassemblements et de manifestations, notamment le I, le II bis et le V de l'article 3 du décret du 31 mai 2020. Les premières requérantes fondaient leurs demandes sur l’art. L. 521-1 du CJA (référé suspension) et la dernière sur de l’art. L.521-2 du CJA (référé liberté).

Elles estimaient qu’il était ainsi porté une atteinte excessive à diverses libertés fondamentales (liberté d’expression et de communication, liberté de manifester et de se réunir, droit d'expression collective des idées et des opinions).

Après avoir rappelé les contraintes de fait et le cadre juridique résultant de l’épidémie de Covid-19, le Conseil d’État énonce que les libertés invoquées ont le caractère de libertés fondamentales et que leur réglementation dans la situation présente est suffisamment organisée par les dispositions du code de la sécurité intérieure (particulièrement les art. L. 211-1 et L. 211-4) sans qu’il soit besoin d’y ajouter les prescriptions particulières contenues dans les dispositions attaquées qui ne constituent pas une mesure nécessaire et adaptée, et, de ce fait, proportionnée à l'objectif de préservation de la santé publique qu'elles poursuivent en ce qu'elles s'appliquent aux rassemblements soumis par ailleurs à l'obligation d'une déclaration préalable en vertu de l'article L. 211-1 du code de la sécurité intérieure. Ce moyen est propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à leur légalité.

Comme par ailleurs il y a urgence à décider en raison du nombre des manifestations prévues et susceptibles d’être empêchées, se trouvent réunies les deux conditions nécessaires à la suspension demandée sans qu’il soit besoin de se prononcer, en outre, sur le fondement de l’art. L. 521-2 du CJA.

(ord. réf. 6 juillet 2020, Confédération générale du travail et autres, n° 441257 et n° 441263 ; Association SOS Racisme - Touche pas à mon pote, n° 441384)

 

160 - Covid-19 - Loi du 23 mars 2020 - Restrictions à la liberté de déplacement des individus - Pouvoir reconnu au premier ministre - Décision à caractère réglementaire - Incompétence du juge judiciaire - Absence d’atteinte au droit à recours effectif - QPC - Rejet.

Au soutien d’une demande de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité dirigée contre la disposition introduite par la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19, permettant au premier ministre d’instituer des limitations aux déplacements des personnes hors de leur domicile, les requérants évoquaient, d’une part l’exclusion de la compétence du juge judiciaire, pourtant garant des libertés, pour en connaître  et l’atteinte portée à la règle du recours effectif en l’absence de possibilité de saisir le juge judiciaire.

Ces deux griefs sont rejetés par le double motif lié que, d’une part, les mesures d’interdiction éventuellement prises par le premier ministre sont des mesures réglementaires dont le contentieux de légalité relève du juge administratif, non du juge judiciaire, et que, d’autre part, la nature administrative de ces décisions permet l’exercice à leur encontre du recours pour excès de pouvoir qui est une voie d’accès effective au juge.

Toutefois, est éludée la question de la constitutionnalité sur ce point de la loi du 23 mars 2020 en ce que soit elle a nécessairement exclu la compétence du juge judiciaire à l’égard de décisions rendues en matière de libertés individuelles, soit elle a fait silence sur ce point. En cette seconde hypothèse, ne saurait d’ailleurs être déduite l’incompétence du juge judiciaire.

(22 juillet 2020, M. X. et association de défense des libertés constitutionnelles, n° 440149)

 

161 - Réfugiés - Réfugié auteur de plusieurs infractions - Condamnations pénales assorties de décisions d’interdiction du territoire français (ITF) - Libération conditionnelle décidée par le juge de l’application des peines - Effets sur une assignation à résidence - Rejet.

Le ministre de l’intérieur demande la cassation d’un arrêt de cour administrative d’appel annulant ses arrêtés d’assignation à résidence d’un ressortissant turc. Son pourvoi est rejeté.

Le Conseil d’État déduit de la combinaison, d’une part, des art. 131-30 du code pénal et 729-2 du code de procédure pénale, et d’autre part de l’art. L. 561-1, 5°, du CESEDA,  que si l'autorité administrative peut décider l'assignation à résidence d'un étranger faisant l'objet d'une interdiction du territoire à titre de peine complémentaire lorsqu'il justifie être dans l'impossibilité de quitter le territoire français, ne pas pouvoir regagner son pays d'origine ni se rendre dans un autre pays, toutefois le prononcé, à l'encontre d'un ressortissant étranger condamné à une peine privative de liberté, d'une peine complémentaire d'interdiction du territoire ne fait pas obstacle à ce que le juge ou le tribunal de l'application des peines accorde à celui-ci le bénéfice d'une mesure de libération conditionnelle, l'interdiction du territoire français faisant alors l'objet d'une suspension puis, en cas d'absence de révocation de la décision de mise en liberté conditionnelle, d'un relèvement de plein droit. 

Par suite, même dans l'hypothèse où - comme en l’espèce -, un étranger a été condamné à plusieurs reprises à des peines assorties de mesures complémentaires d'interdiction du territoire, la suspension de l'interdiction du territoire français prononcée par le juge ou le tribunal de l'application des peines à la suite d'une mesure de libération conditionnelle fait obstacle à ce que soit prise une mesure d'assignation à résidence sur le fondement du 5° de l'article L. 561-1 du CESEDA.

En conséquence, la cour administrative d’appel, en estimant que le jugement du 2 juin 2015 du juge de l'application des peines suspendant l'exécution de l'interdiction du territoire prononcée le 21 septembre 2010 par la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel avait eu pour effet de priver de base légale les arrêtés du ministre de l'intérieur et du préfet du Bas-Rhin et en prononçant leur annulation, n'a pas commis d'erreur de droit.

(8 juillet 2020, Ministre de l’intérieur, n° 421570)

 

162 - Demandeur d’asile - Obligation d’assurer son logement et autres charges vitales de l’existence - Obligation incombant à l’État - Carence - Détermination du montant de la réparation - Cassation sans renvoi.

La requérante a demandé que l'État soit condamné à lui verser, en son nom et au nom de ses enfants mineurs, la somme de 4500 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison de la carence des services de l'État à lui offrir un hébergement entre les 15 mai et 25 juin 2014 et entre les 8 et 10 juillet 2014. 

Sa requête ayant été rejetée, elle se pourvoit en Conseil d’État.

Tout d’abord, ce dernier juge avec raison que le tribunal a dénaturé les pièces du dossier en jugeant que l’État n'avait pas méconnu les obligations qui lui incombaient à l'égard de la demanderesse et de ses enfants mineurs, alors qu'il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis qu’enceinte de huit mois, elle avait été contrainte de s'abriter avec son enfant, entre le 15 mai et le 25 juin 2014, dans le hall d'un établissement de santé puis dans une église et que, après son accouchement, les services sociaux du CHU de Nantes avaient, à de nombreuses reprises, attiré l'attention des services préfectoraux sur sa situation.

Ensuite, le Conseil d’État affirme, avec une grande netteté ici, qu’il résulte du code de l’action sociale et des familles (art. L. 348-1) le droit pour les demandeurs d’asile munis des documents nécessaires à cet effet, d’être accueillis, sur leur demande, dans les centres d'accueil prévus à cet effet. 

Il tire de là que « l'autorité compétente de l'État doit, aussi longtemps que l'étranger est admis à se maintenir sur le territoire en qualité de demandeur d'asile, lui assurer, selon ses besoins et ses ressources, des conditions d'accueil comprenant l'hébergement, la nourriture et l'habillement, fournies en nature ou sous forme d'allocations financières ». 

En cas de carence estimée fautive dans l’exécution de ses obligations l’État engage sa responsabilité à l'égard du demandeur d'asile. Il lui doit réparation au titre des troubles dans ses conditions d'existence, troubles qui doivent être appréciés et évalués  « en tenant compte, non seulement du montant de la prise en charge dont le demandeur d'asile a été privé du fait de cette carence, mais aussi, notamment, des conditions d'hébergement, de nourriture et d'habillement qui ont perduré du fait de la carence de l'État et du nombre de personnes dont le demandeur d'asile a la charge pendant la période de responsabilité de l'État. »

(8 juillet 2020, Mme X., n° 425310)

 

163 - Demandeur d’asile - Notion de « fuite » - Articles 29 du règlement européen du 26 juin 2013 et 7 du règlement de la Commission du 2 septembre 2003 - Application à l’espèce - Rejet.

La notion de fuite doit s'entendre comme visant le cas où un ressortissant étranger se serait soustrait de façon intentionnelle et systématique au contrôle de l'autorité administrative en vue de faire obstacle à une mesure d'éloignement le concernant. 

Dans l'hypothèse où le transfert du demandeur d'asile s'effectue sous la forme d'un départ contrôlé, il appartient, dans tous les cas, à l'État responsable de ce transfert d'en assurer effectivement l'organisation matérielle et d'accompagner le demandeur d'asile jusqu'à l'embarquement vers son lieu de destination. Une telle obligation recouvre la prise en charge du titre de transport permettant de rejoindre, depuis le territoire français, l'État responsable de l'examen de la demande d'asile ainsi que, le cas échéant et si nécessaire, celle du pré-acheminement du lieu de résidence du demandeur au lieu d'embarquement. Enfin, dans l'hypothèse où le demandeur d'asile se soustrait intentionnellement à l'exécution de son transfert ainsi organisé, il doit être regardé comme en fuite au sens des dispositions de l'article 29 du règlement du 26 juin 2013.

C’est donc par une exacte application des textes que le juge des référés du tribunal administratif a estimé que le requérant devait être regardé comme ayant pris la fuite, dès lors que, interpellé le 14 janvier 2020 et placé en rétention pour permettre l'exécution de l'arrêté de transfert, il a refusé d'embarquer le lendemain sur un vol prévu à destination de Vienne, alors que son départ avait été organisé et sans que ce refus d’embarquer puisse être justifié par le fait que l’appel formé par l'intéressé était alors pendant, un tel appel ne revêtant pas de caractère suspensif.

(ord. réf. 14 août 2020, M. X., n° 442738)

 

164 - Étrangers - Regroupement familial - Décision administrative de refus - Annulation juridictionnelle d’un précédent jugement annulant ce refus administratif - Conséquence pour le délai de retrait ouvert à l’autorité administrative - Rejet.

Importante décision dans laquelle le juge pose le principe qu’en « cas d'annulation, par une nouvelle décision juridictionnelle, du jugement ou de l'arrêt ayant prononcé l'annulation de la décision de rejet opposée à une demande d'autorisation de regroupement familial et l'injonction de délivrer l'autorisation sollicitée, et sous réserve que les motifs de cette décision juridictionnelle ne fassent pas par eux-mêmes obstacle à un nouveau rejet, l'autorité compétente peut, eu égard à la nature de l'autorisation ainsi délivrée, la retirer dans un délai raisonnable qui ne saurait excéder quatre mois à compter de la notification à l'administration de la décision juridictionnelle. Elle doit, avant de procéder à ce retrait, inviter le demandeur à présenter ses observations. »

Cette solution, déjà retenue en droit de l’urbanisme ou en droit de la fonction publique, est nouvelle en tant qu’elle s’applique au droit des étrangers.

(10 juillet 2020, Mme X., n° 430609)

 

165 - Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) - Impossibilité en cas d’attribution de plein droit d’un titre de séjour - Inapplication en cas de demande fondée sur un motif humanitaire ou de caractère exceptionnel (art. L. 313-14 CESEDA) - Moyen inopérant en ce cas - Cassation avec renvoi.

Commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui juge qu’un étranger demandeur d’un titre de séjour temporaire par motif d’humanité ou à caractère exceptionnel (art. L. 313-14 CESEDA) ne peut pas faire l’objet d’une OQTF. Ce n’est que dans le cas où le titre de séjour doit être délivré de plein droit qu’une OQTF est impossible. En revanche, dans l’hypothèse visée à l’article précité l’administration dispose d’un large pouvoir d’appréciation et le moyen tiré de cette disposition à l’encontre d’une OQTF est inopérant.

(29 juillet 2020, Mme X., n° 428231)

 

166 - Droit de manifester sur la voie publique - Participation à une manifestation interdite - Institution d’une amende - Décret se bornant à exécuter une loi - Légalité - Rejet.

Était demandée l’annulation du décret n° 2019-208 du 20 mars 2019 instituant une contravention pour participation à une manifestation interdite sur la voie publique en raison de ce que cette contravention porterait atteinte à une liberté fondamentale et serait infligée à des individus sans tenir compte de leur comportement individuel.

Le recours est rejeté au triple motif que la création de cette infraction pour participation à une manifestation sur la voie publique interdite résulte de la loi (art. L. 211-4 du code de la sécurité intérieure), que le décret attaqué, en choisissant de réprimer cette infraction au moyen d’une amende de la quatrième classe des contraventions, ne tend qu’à assurer un meilleur respect des interdictions décidées sur le fondement de l'article L. 211-4 du code de la sécurité intérieure et, enfin, que l’infraction étant constituée du seul fait matériel de la participation à une manifestation interdite, il n’y avait pas lieu pour le décret litigieux de fixer l’amende en fonction du comportement individuel de chacun des participants concernés.

Ainsi, le décret ne faisant que sanctionner le non-respect de l'interdiction prévue par la loi, laquelle doit être justifiée par la nécessité de prendre une telle mesure pour préserver l'ordre public, ses dispositions ne portent pas, par elles-mêmes, atteinte à la liberté de manifester ni à la liberté d'expression garanties par l'article 11 de la Déclaration de 1789 et par les articles 10 et 11 de la CEDH. 

Le recours est rejeté.

(22 juillet 2020, Ligue des droits de l’homme, n° 429034)

 

167 - Immeubles menacés de péril - Atteintes alléguées au droit de propriété, à mener une vie familiale normale, au respect de la vie et au droit de n’être pas soumis à des traitements déradants - Carence prétendue d’une commune en matière d’habitat faisant l’objet d’un signalement ou d’un arrêté de péril - Demandes d’adoption de diverses mesures - Rejet.

La requérante reprochait au tribunal administratif d’avoir rejeté ses diverses demandes, formées en référé liberté, en matière d’habitat insalubre, dégradé ou menacé de péril, elle saisit le Conseil d’État.

Celui-ci rejette son appel entérinant en tous ses chefs l’ordonnance de première instance. 

En premier lieu, les demandes de la requérante tendant à ce qu'il soit enjoint à la ville de Marseille de se doter de moyens matériels et humains propres à lui permettre de résorber le stock de signalements de suspicion de péril non traités et d'immeubles en péril non suivis, de passer des marchés publics afin de se mettre en situation de pouvoir réaliser sans délai, sur l'ensemble de la ville, des travaux sur les immeubles faisant l'objet d'arrêtés de péril en lieu et place des propriétaires défaillants et d'assurer la formation juridique des agents du service de la sécurité des immeubles, ne sont pas, à l’évidence, de la nature de celles que peut ordonner le juge des référés statuant à bref délai.  Elles constituent en réalité un programme de politique publique que le juge ne saurait ordonner à une collectivité publique de définir.

En deuxième lieu,  est également rejeté, faute d’éléments précis et d’identification certaine des lieux concernés, l’argument de la requérante selon lequel subsisterait à ce jour un grand nombre de signalements d'immeubles suspectés de péril non traités, l'édiction des arrêtés de périls prendrait un temps anormalement long, l'interdiction d'occuper et d'utiliser les lieux ainsi que les périmètres de sécurité prescrits ne seraient pas respectés et seraient à l'origine d'occupations illégales et d'actes de vandalismes ou de cambriolages et la ville n'aurait jamais exécuté d'office des travaux en substitution des propriétaires défaillants, de sorte que le juge des référés aurait estimé à tort, compte tenu du grand nombre d'immeubles à traiter, des moyens nécessaires pour ce faire et de la durée inhérente à une telle action, que la ville de Marseille n'avait pas fait preuve, en la matière, d'une carence de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie, au droit de propriété, au droit au respect de la dignité humaine, au droit à une vie familiale normale et à l'intérêt supérieur de l’enfant.

Enfin, ne sont pas retenues non plus les demandes tendant à ce qu'il soit enjoint à la ville de Marseille de communiquer divers documents, car il n’est ni établi ni même soutenu que celle-ci aurait été saisie de demandes de communication de documents administratifs précisément identifiés auxquelles elle aurait refusé de faire droit.

(ord. réf. 22 juillet 2020, Association juridique du collectif du 5 novembre (AJC5N), n° 441902)

 

168 - Covid-19 - Droit d’accès au territoire français - Ressortissant français - Liberté fondamentale - Français en provenance de certains pays - Obligation d’examen biologique préalable de dépistage virologique - Non-lieu à statuer.

Un Français, en provenance des États-Unis, conteste la légalité de l'article 11 du décret modifié n° 2020-860 du 10 juillet 2020 faisant obligation aux personnes venant d’États figurant sur une liste, de présenter un test au Covid-19 négatif réalisé moins de soixante-douze heures avant l’embarquement. Il estime que cette mesure porte une atteinte illégale à sa liberté de circuler sur le territoire français.

Le juge des référés, qui était saisi sur le fondement de l’art. L. 521-2 CJA, constate que le droit d'entrer sur le territoire français constitue, pour un ressortissant français, une liberté fondamentale au sens de cette disposition (point 2 de l’ordonnance).

Toutefois, le consulat de France ayant délivré au requérant un « laissez-passer sanitaire », sa demande est devenue sans objet.

Il semble cependant pouvoir être déduit de l’affirmation contenue au point 2 de l’ordonnance que pour assurer la compatibilité entre la liberté fondamentale ainsi proclamée et les exigences sanitaires, l’État, s’il peut imposer un tel test, ne saurait rendre obligatoire sa réalisation préalablement à l’entrée sur le territoire français, ce que traduit en l’espèce le mécanisme palliatif du « laissez-passer sanitaire ».

(ord. réf. 18 août 2020, M. X., n° 442628)

(169) V. aussi, sur le même sujet, semblable en substance, l’ordonnance de rejet du même jour en raison du défaut d’urgence de la requête : ord. réf. 18 août 2020, M. X. et autres, n° 442581.

 

Police

 

170 - Autorisation du stationnement des véhicules sur des passages piétonniers - Pouvoirs et obligations du maire - Condition de légalité de l’atteinte au libre passage des piétons - Rejet.

Cette décision est l’occasion du retour d’un grand classique du droit de la police municipale, l’arrêt Association Les droits du piéton (Assemblée, 23 mars 1973, Rec. p. 245). 

L’association requérante conteste l’autorisation municipale permettant le stationnement des véhicules sur les lieux de circulation des piétons.

Le Conseil d’État réitère sa jurisprudence qui tente de concilier le principe du droit des piétons à circuler librement et la nécessité que les véhicules puissent s’arrêter quelque part. Il le fait dans une formulation des plus classiques : « Si le maire ne saurait légalement, dans l'exercice des pouvoirs de police (…) prendre des mesures contraires au code de la route, les dispositions de l'article R. 417-10 de ce code, (…) ne font pas obstacle à ce que, lorsque les besoins du stationnement et la configuration de la voie publique le rendent nécessaire, le maire autorise le stationnement de véhicules sur une partie des trottoirs, à condition qu'un passage suffisant soit réservé au cheminement des piétons, notamment de ceux qui sont à mobilité réduite, ainsi qu'à leur accès aux habitations et aux commerces riverains et qu'une signalisation adéquate précise les emplacements autorisés. »

Constatant que ces conditions, comme l’avaient estimé les juges de première instance et d’appel, sont satisfaites en l’espèce, le juge rejette le pourvoi.

(8 juillet 2020, Association Les droits du piéton en Vendée, n° 425556)

 

171 - Police des jeux et des casinos - Lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme - Étendue de la compétence du pouvoir réglementaire -Subdélégation régulière - Portée de l’obligation de vigilance des entreprises concernées - Contrôle des procédures internes - Exigence d’un rapport annuel - Irrégularité - Rejet pour l’essentiel.

Le syndicat requérant demandait au juge l’annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 25 février 2019 du ministre de l'intérieur relatif aux procédures internes et au contrôle interne mis en place par les opérateurs de jeux ou de paris visés au 9° de l'article L. 561-2 du code monétaire et financier pour lutter contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.

Le recours est rejeté pour l’essentiel sauf sur un point.

Est tout d’abord rejetée l’exception d’illégalité tirée de ce que les dispositions du c) de l'article R. 561-38-9 du code monétaire et financier renvoyant, pour les personnes mentionnées au 9° de l'article L. 561-2, à un arrêté du ministre chargé de l'intérieur le soin de déterminer les modalités d'application des articles R. 561-38 à R. 561-38-8 du même code, notamment en ce qui concerne la nature et la portée des procédures internes devant être mises en place, il ne saurait être soutenu que l'article R. 561-38-9, sur le fondement duquel ont notamment été adoptés les articles 3 à 8 de l'arrêté attaqué, aurait procédé à une subdélégation illégale. En effet, les dispositions des articles R. 561-38 et R. 561-38-1 permettent d'encadrer avec une précision suffisante l'objet et l'étendue de la délégation ainsi attribuée par le pouvoir réglementaire.

Ensuite, sont rejetées trois autres critiques. 

En premier lieu, l’art. 7 de l’arrêté attaqué, en prévoyant que les personnes assujetties en vertu du 9° de l'article L. 561-2 du code monétaire et financier établissent « les procédures internes applicables pour répondre à leurs obligations de déclaration et d’information » et en se référant aux dispositions réglementaires prises pour l'application des articles L. 561-15 et suivants du même code, n'a pas excédé le champ de la délégation de compétence opérée par le c) de son article R. 561-38-9.

En deuxième lieu, le syndicat requérant ne saurait soutenir que l’art. 9 dudit arrêté méconnaîtrait les dispositions de l'article L. 561-32 du code monétaire et financier ou excéderait le champ de la délégation de compétence opérée par le c) de l'article R. 561-38-9 du code monétaire et financier en ce qu’il prévoit que l'entreprise mère d'un groupe auquel appartiennent les personnes assujetties visées au 9° de l'article L. 561-2 du code monétaire et financier « met également en place, pour ce qui la concerne, un dispositif de contrôle interne adapté ». Cette disposition, d'une part, doit être regardée comme visant les entreprises mères mentionnées au deuxième alinéa de l'article L. 561-32 du même code, soit les entreprises mères des groupes auxquels appartiennent les personnes assujetties ayant leur siège social en France, d'autre part, se borne à expliciter les conditions dans lesquelles ces entreprises mères veillent au respect de l'organisation et des procédures internes qu'elles définissent.

En troisième lieu, il ne saurait être soutenu que les dispositions de l’arrêté querellé porteraient atteinte au principe de légalité des délits dans la mesure où, précisément, les articles 3, 5, 6, 7 et 12, qui précisent la nature et la portée des procédures internes devant être établies par les personnes assujetties et qui explicitent le contenu des activités de contrôle interne qu'elles doivent mettre en place, définissent un contenu minimal pour ces procédures et pour leur contrôle. Au reste, ces dispositions ne sauraient conduire à un constat de manquement et au prononcé d'une sanction que dans l'hypothèse où une obligation suffisamment claire a été préalablement définie dans ce cadre de sorte qu'il apparaisse, de façon raisonnablement prévisible par les personnes assujetties, que le comportement litigieux constitue un manquement à ces obligations. 

Enfin, est prononcée l’annulation de l’art. 13 de l’arrêté litigieux en tant que celui-ci impose aux personnes mentionnées au 9° de l’art. L. 561-2 du code monétaire et financier, ainsi que, le cas échéant, à la société mère du groupe auquel elles appartiennent, l'élaboration et la transmission d'un rapport annuel « sur l'organisation du dispositif de contrôle interne ainsi que sur les incidents survenus, les insuffisances constatées et les mesures correctrices qui y ont été apportées » alors que le décret en Conseil d'État prévu par le III de l'article L. 561-32 du même code a fait le choix, aux articles R. 561-38-6 et R. 561-38-7 de ce code, de n'imposer l'élaboration et la transmission d'un tel document qu'aux personnes assujetties au dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme mentionnées aux 1° à 2° sexies, 6° et 6° bis de l'article L. 561-2 du même code.

(10 juillet 2020, Syndicat des casinos modernes de France (SCMF), n° 430172)

 

172 - Police des jeux et paris - Monopole de La Française des jeux - Loi du 22 mai 2019 - Interdiction de la liberté constitutionnelle d’entreprendre pour 25 ans - Motifs légitimes d’octroi de ce monopole - Rejet d’une QPC.

La loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises ayant, dans son art. 137,  décidé que l'exploitation des jeux de loterie commercialisés en réseau physique de distribution et en ligne ainsi que des jeux de pronostics sportifs commercialisés en réseau physique de distribution est confiée pour 25 années à la seule société La Française des jeux, la société requérante soulève à son encontre une question prioritaire de constitutionnalité fondée sur l’interdiction de la liberté d’entreprendre qui en résulte.

Rejetant le recours, le Conseil d’État juge que l’interdiction « limitée » (sic) de cette liberté est justifiée ici par la poursuite d’objectifs à valeur constitutionnelle « de préservation de l'ordre public et du droit à la protection de la santé ainsi que par les objectifs d'intérêt général fixés par l'article 3 de la loi du 22 mai 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne, désormais codifiés à l'article L. 320-3 du code de la sécurité intérieure ».

Le juge estime qu’il n’a pas à s’arrêter, d’une part, à la circonstance que les objectifs poursuivis par le législateur pouvaient être atteints par d'autres moyens, et d’autre part, au fait que le législateur a ouvert à la concurrence les jeux de pronostics sportifs en ligne ou de ce qu'il a autorisé le transfert au secteur privé de la majorité du capital de la société La Française des jeux.

On sera réservé sur la légitimité de cette solution tant au regard de la durée du monopole que des objections prestement balayées par le juge.

(19 août 2020, Société The betting and gaming council, n° 436439, n° 436441 et n° 436449)

 

173 - Permis de conduire étranger - Demande d’échange avec un permis français - Cas où le demandeur a le statut de réfugié - Authenticité du permis présenté ou droit à conduire du demandeur - Régime de vérification - Champ d’application de la procédure contradictoire - Rejet.

Le juge était saisi par une personne de nationalité afghane ayant le statut de réfugié, d’une demande d’annulation du jugement ayant rejeté son recours contre la décision préfectorale lui refusant l’échange de son permis de conduire afghan avec un permis français.

Dans une importante décision le Conseil d’État donne aux administrations préfectorales et au juge administratif un vade-mecum complet de la conduite à tenir lorsqu’un doute pèse sur l’authenticité du permis étranger ou sur la réalité du droit à conduire du pétitionnaire et après qu’a été, le cas échéant, saisi le service spécialisé dans la détection de la fraude documentaire placé auprès du ministre de l'intérieur aux fins qu'il se prononce sur l'authenticité du titre de conduite étranger.

1°/ Si l'autorité compétente estime que cette authenticité est établie sans que subsiste, par ailleurs, de doute sur la validité des droits à conduire de son titulaire, l'échange ne peut être légalement refusé, dès lors que ses autres conditions sont satisfaites.

2°/ Si l’autorité compétente estime que le caractère falsifié du titre de conduite est établi, elle rejette la demande d'échange de permis de conduire, sans être tenue de mettre préalablement en mesure l'intéressé, alors même qu'il a le statut de réfugié, de lui soumettre des éléments de nature à établir l'authenticité de son titre ou la validité de ses droits à conduire. C’était le cas en l’espèce, d’où le rejet du recours.

3°/ Si l’autorité compétente conserve un doute sur l'authenticité du titre de conduite ou si elle conserve un doute sur la validité des droits à conduire du demandeur, il lui appartient, faute de pouvoir se fonder sur une consultation des autorités du pays à l'égard duquel le demandeur a obtenu le statut de réfugié, de mettre ce dernier en mesure de lui soumettre tous éléments de nature à faire regarder l'authenticité de son titre ou la validité de ses droits à conduire comme suffisamment établies et d'apprécier ces éléments en tenant compte de sa situation particulière. L'administration ne peut en ce cas légalement refuser l'échange sans avoir invité le demandeur à fournir de tels éléments. Si, à l'issue de cette procédure, le doute persiste, l'échange ne peut légalement avoir lieu.

Qui contestera que « juger l’administration c’est encore administrer » (selon le célèbre aphorisme de N. Henrion de Pansey) ?

(22 juillet 2020, M. X., n° 431299)

 

174 - Covid-19 - Discothèques, boites de nuit et autres - Interdiction de réouverture - Atteintes portées à diverses libertés fondamentales - Atteintes justifiées en l’état du risque sanitaire et des caractéristiques de ces établissements - Rejet.

Les requérants contestaient le maintien - malgré l’autorisation d’ouverture des restaurants et débits de boissons - de l’interdiction de réouverture des établissements en cause, d’abord prise sur le fondement des dispositions du décret du 21 juin 2020 puis sur celles du décret du 10 juillet 2020 qui reprend les dispositions antérieures.

Rejetant les requêtes dont il était saisi, le juge du référé liberté du Conseil d’État, après rappel des circonstances de fait relatives à l’épidémie de coronavirus et de leur encadrement juridique, indique, d’abord, que cette interdiction est conforme aux préconisations du Haut conseil de santé publique. Il relève ensuite que les règles imposées aux restaurants, bars et cafés (obligation de rester assis, masques, distance d’un mètre, nombre très limité de personnes) ne sont guère applicables aux établissements de nuit. Il rappelle encore leur caractère invariablement clos ainsi que la nature inévitablement physique de la danse, incompatible avec l’exigence d’une certaine fixité. Enfin, est rejetée la demande que les requérants puissent au moins bénéficier de ce qui a été accordé aux cafés et restaurants car le contrôle du respect des gestes barrières y est incomparablement plus difficile.

(ord. réf. 13 juillet 2020, Société Plaza Mad et autres, n° 441449 ; Syndicat national des discothèques et lieux de loisirs, n° 441552 et n° 441771, jonction)

(175) V. aussi, très semblable : ord. réf. 20 juillet 2020, Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH), n° 441801.

(176) V. également, à peu près identiques : ord. réf. 28 juillet 2020, Société Nénuphar, n° 442039 ; Société Chanel, n° 442073 ; Société Jadoulau, n° 442074 ; Société Angego, n° 442076 ; Société JetA, n° 442078 ; Société Discothèque 555, n° 442080 ; Société Del’événement, n° 442082 ; Société Le Bugatti, n° 442124 ; Société Night, n° 442131)

 

177 - Police de la circulation - Permis de conduire - Retrait de points. - Obligation d’information (art. L. 223-3 et R. 223-3 code de la route) - Existence d’une information non établie - Annulation.

Le contentieux du retrait de points sur le permis de conduire suscite un contentieux qui ne tarit pas.

Lorsqu’il n’est pas établi que l’information du conducteur auquel des points ont été retirés de son permis de conduire, prévue aux art. L. 223-3 et R. 223-3 du code de la route, ait été donnée, les points retirés à la suite de cette procédure irrégulière doivent être rétablis. Si le solde des points était nul du fait de ces retraits intempestifs, l’administration a l’obligation de rétablir les points induments retirés et de restituer le permis de conduire à son titulaire.

(19 août 2020, M. X., n° 420675)

(178) V. aussi, dans une hypothèse où l’un des retraits de points est jugé régulier, la preuve d’une information ayant été fournie, et l’autre est jugé illégal en raison du caractère incomplet de l’information (art. L. 223-3 et R. 223-3 c. route) : 19 août 2020, M. X., n° 437705.

(179) V. également, admettant comme établie l’existence de l’information requise par les textes précités, soit du fait de la production par l’administration des réclamations présentées par l'intéressé devant l'officier du ministère public, auxquelles étaient joints les avis d'amendes forfaitaires majorées qui lui avaient été adressés par l'administration et qui comportaient ces informations (19 août 2020, M. X., n° 434652) soit du fait que le contrevenant s’est acquitté du montant de l'amende forfaitaire relevée à son encontre (19 août 2020, M. X., n° 437703).

 

Professions réglementées

 

180 - Médecin spécialisé en ORL - Changement de département - Expertise ordonnée - Inscription au tableau de l’ordre refusée dans le département d’accueil- Obligation de suivre préalablement une formation ORL - Étendue du contrôle du juge - Portée des résultats de l’expertise - Rejet.

A l’occasion d’un changement de département, en 2017, un médecin spécialiste ORL, qui avait pris sa retraite en 2005, demande son inscription au tableau de l’ordre des médecins du nouveau département de résidence. Après avoir ordonné une expertise, le conseil départemental de l’ordre, confirmé ensuite par une décision du conseil national, subordonne cette inscription à l’accomplissement de trois semestres de formation pratique et théorique.

L’intéressé saisit le Conseil d’État.

Une double question se posait au juge en raison de ce que si l'expertise n'a pas conclu à l'insuffisance professionnelle du requérant, deux des experts étant favorables à ce qu'il poursuive une activité médicale en oto-rhino-laryngologie en cabinet, en cessant toutefois son activité chirurgicale « en tant qu'opérateur » et le troisième expert étant favorable à la poursuite de la totalité de son activité, les conseils (départemental et national) de l’ordre ont, eux, estimé nécessaire une suspension d’exercice jusqu’au terme de la formation qu’ils ont imposée au demandeur.

D’où la double question : Les instances ordinales pouvaient-elles aller très au-delà des préconisations expertales ? Le juge peut-il, pour répondre à cette question exercer un contrôle sur l’analyse même opérée par l’ordre ?

Le juge répond positivement à chacune de ces questions. Tout d’abord, il exerce désormais un contrôle plein et entier sur l'appréciation portée par les instances ordinales des professions médicales sur la compétence professionnelle du praticien qui sollicite son inscription au tableau de l'ordre. Cette fonction ordinale est essentielle puisqu’elle est la garantie que les patients peuvent s’adresser à ce praticien (cf. art. L. 4112-1 et suivants du code de la santé publique), celui-ci ne pouvant pas exercer sans inscription au tableau de l’ordre.

Ensuite, au cas d’espèce, faisant application de ce principe, il examine tous les éléments du dossier et, in fine, constate que c’est sans erreur de droit ni de fait que l’ordre a pu avoir des doutes sur l’aptitude professionnelle d'un praticien qui, lors de sa demande en 2017, était à la retraite depuis douze ans et n’avait suivi aucune formation professionnelle depuis 1998 soit près de vingt années.

(3 juillet 2020, M. X., n° 425335)

(181) V. aussi, comparable : 3 juillet 2020, M. X., n° 434506.

(182) V. également, où s’opposent un conseil départemental et le conseil national de l’ordre des médecins sur la compétence d’un praticien : 3 juillet 2020, Conseil départemental des Bouches-du-Rhône de l'ordre des médecins, n° 433466.

 

183 - Conseil de l’ordre - Réception d’une plainte contre un de ses membres - Association de ce conseil à cette plainte et transmission des deux plaintes à la juridiction disciplinaire - Irrégularité éventuelle de la délibération ordinale joignant sa propre plainte à celle dont il était saisi - Absence d’effet sur la recevabilité de la première plainte - Rejet.

La plainte formée par une instance ordinale contre l’un de ses membres, qu’elle soit spontanée ou jointe à une autre plainte dont cette dernière est saisie, constitue toujours une plainte autonome dont le traitement juridique est indépendant de celui appliqué à l’autre plainte. Il suit de là que lorsque, comme en l’espèce, un conseil de l’ordre est saisi d’une plainte à laquelle il se joint, l’éventuelle irrégularité de sa délibération quant à la décision de joindre sa plainte est sans effet sur la recevabilité de la plainte dont il a été saisi.

La solution semble évidente, encore fallait-il le dire…

(3 juillet 2020, M. X., n° 428469)

 

184 - Géomètre-expert - Atteinte aux règles déontologiques - Réalisation d’un bornage par un géomètre au profit de sa fille majeure - Conditions du bornage présentées comme discutables - Plainte d’un tiers devant les instances ordinales - Absence d’intérêt suffisant lui donnant qualité pour agir - Cassation avec renvoi.

Est jugée irrecevable pour absence d’intérêt donnant qualité à agir, la plainte d’un tiers devant la juridiction disciplinaire de l’ordre des géomètres-experts dirigée contre un géomètre ayant réalisé un bornage pour le compte de sa fille majeure dans des conditions présentées comme déontologiquement discutables.

(10 juillet 2020, M. X., n° 428837)

 

185 - Pharmacien d'officine - Concurrence déloyale - Articles de presse et émissions de radio relatifs à une officine - Obligation d’établir les préjudices subis - Sanction disciplinaire irrégulière - Cassation.

Un pharmacien d’officine est sanctionné par la juridiction disciplinaire de l’ordre des pharmaciens au motif que du fait d’articles de presse et d’émissions de radio consacrés à son officine il aurait fait une concurrence déloyale à ses confrères.

Sur pourvoi de l’intéressé le Conseil d’État annule la décision de sanction car le prononcé de celle-ci ne peut intervenir sans qu’ait été rapportée la preuve des préjudices subis par les « victimes » de cette concurrence prétendue déloyale.

(22 juillet 2020, M. X., n° 431963)

 

186 - Notaire - Candidature d'une notaire salariée - Avis d’un confrère sur cette candidature - Domaine de la communication d'un tel document - Nature de document administratif communicable (loi du 17 juillet 1978) - Annulation de la décision refusant sa communication.

(10 juillet 2020, Conseil régional des notaires de la cour d’appel de Dijon, n° 429690) V. n° 1

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

187 - Loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique - Rupture conventionnelle (art.  72, I al. 10 et 11) - Conditions d’assistance du salarié Atteintes au principe d’égalité et aux droits proclamés au sixième alinéa du Préambule de la Constitution de 946 - Question présentant un caractère sérieux - Renvoi au Conseil constitutionnel.

Deux organisations syndicales dont les recours sont joints par le juge contestent la constitutionnalité de deux dispositions du I de l’art. 72 de la loi du 6 août 2019 dite de transformation de la fonction publique, en ce que, relatives aux conditions d’assistance des agents en cas de rupture conventionnelle, elles portent atteinte tant au principe d’égalité qu’aux droits reconnus par le sixième alinéa du Préambule de 1946 (droit du travailleur à la défense de ses intérêts par l’action syndicale et droit d’adhérer au syndicat de son choix). 

Cette question, estimée nouvelle et pouvant être regardée comme présentant un caractère sérieux, est renvoyée au Conseil constitutionnel.

(15 juillet 2020, Syndicat des agrégés de l'enseignement supérieur (SAGES), n° 439031 ; Syndicat national des collèges et des lycées (SNCL) ,  n° 439216)

 

188 - Ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires - Limitations des actions en justice susceptibles d’être dirigées contre les assemblées parlementaires (al. 4 de l’art. 8 de l’ordonnance de 1958) - Création d’une plate-forme de dépôt en ligne sur le site internet du Sénat des pétitions adressées au Sénat - QPC - Conditions non réunies - Rejet.

Le Conseil d’État refuse de transmettre au Conseil constitutionnel une QPC fondée sur l’atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution que porterait l’art. 8 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées en méconnaissant le droit à recours effectif.

Cette disposition a déjà été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel (décision n° 2011-129 QPC du 13 mai 2011, Syndicat des fonctionnaires du Sénat) et la création d’une plate-forme de dépôt en ligne sur le site internet du Sénat des pétitions adressées au Sénat ne constitue pas un changement dans les circonstances de fait qui justifierait un nouvel examen de cette question par le Conseil constitutionnel.

(16 juillet 2020, M. X., n° 440659)

 

189 - Réduction d’impôts pour acquisition, sous certaines conditions, d’un logement neuf ou en l’état futur d’achèvement - Détermination du coût d’acquisition du bien (X bis de l’art.  199 novovicies du CGI) - Inclusion des frais et commissions facturés par les intermédiaires - Distinction selon que ces frais et commissions excèdent ou non un certain seuil - Infliction possible d’une amende - Caractère sérieux de la question - Renvoi.

Le X bis de l’art. 199 novovicies du CGI institue une réduction d'impôt sur le revenu au profit des contribuables qui acquièrent, sous certaines conditions, un logement neuf ou en l'état futur d'achèvement qu'ils s'engagent à louer nu à usage d'habitation principale pendant une durée minimale. Selon ce texte cette réduction est calculée sur la base du prix de revient du bien immeuble, lequel comprend le montant des frais et commissions facturés par les professionnels de l'intermédiation commerciale qui sont intervenus lors de la vente, dans la limite d'un plafond fixé par décret. 

Dans le cas où le montant des frais et commissions correspondant au coût des prestations d'intermédiation commerciale est facturé à un montant supérieur à ce plafond, le vendeur est assujetti à une amende administrative.

Les organisations requérantes soulèvent chacune la même question prioritaire de constitutionnalité, leurs demandes sont jointes.

Le Conseil d’État considère que la question posée présente un caractère sérieux et ordonne son renvoi - tant en raison du moyen tiré de ce qu'elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment le principe constitutionnel d'égalité devant la loi en ce qu'elles ne soumettent pas à la règle du plafonnement du montant des frais et commissions le coût des prestations commerciales accomplies sans que le vendeur ait recours à un intermédiaire extérieur, qu’en raison de l’atteinte portée à la liberté d'entreprendre en ce qu'elles conduisent à entraver de manière disproportionnée la libre fixation des tarifs des professionnels -, et qu'elle soulève une question présentant un caractère sérieux.

(22 juillet 2020, Fédération nationale de l'immobilier (FNAIM), n° 438805 ; Association française de l'immobilier locatif (AFIL), n° 438996)

 

190 - QPC - Fin de non-recevoir invoquée à l’encontre d’une QPC devant le Conseil d’État lorsque celui-ci n’est pas compétent - Compte-tenu du délai de trois mois pour statuer, obligation pour le juge saisi de se prononcer sur le renvoi de la QPC au Conseil constitutionnel - Rejet de la fin de non-recevoir.

Dans cette affaire le ministre défendeur avait opposé une fin de non-recevoir à la demande de renvoi d’une QPC au Conseil constitutionnel en raison de ce que le Conseil d’État, qui avait été saisi en premier et dernier ressort, n’était pas saisi d’un litige portant sur l’une des matières où joue la compétence dérogatoire du Conseil d’État.

Rappelant une jurisprudence constante, celui-ci rejette la fin de non-recevoir car, devant statuer dans le délai de trois mois sur la demande de renvoi de la QPC, il doit statuer sans se prononcer sur sa compétence pourtant discutée.

(29 juillet 2020, Communauté de communes Chinon Vienne et Loire, n° 436586)

 

191 - Articles L. 711-1 et L. 711-2 CESEDA - Dispositions rappelant l’applicabilité de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés - Absence de nature de disposition législative - Dispositions se bornant à mettre en oeuvre les dispositions inconditionnelles et précises d’une directive de l’Union européenne - Refus de renvoyer une QPC.

Pour refuser de renvoyer au Conseil constitutionnel la QPC dont il était saisi, le Conseil d’État invoque, ici, deux arguments. En premier lieu, la QPC ne peut être dirigée que contre une disposition législative, tel n’est pas le cas des art. L. 711-1 et L. 711-2 CESEDA en tant qu’ils se bornent à rappeler l’applicabilité des dispositions de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ce « rappel » ne constituant pas, à proprement parler, une « disposition législative ». En second lieu, ces articles se bornent à mettre en oeuvre les dispositions inconditionnelles et précises de la directive européenne du 13 décembre 2011 sans mettre en cause une règle ou un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, ils n'entrent donc pas dans le champ d'application des exceptions permettant leur renvoi au Conseil constitutionnel.

(29 juillet 2020, Mme X., n° 435812)

(192) V. aussi, identique : 29 juillet 2020, Mme X., n° 435813.

 

193 - Permis de construire - Sursis à statuer sur une demande d’urbanisme susceptible d’impacter un futur plan local d’urbanisme (art. L. 15311 c. urb.) — Absence d’atteinte au droit de propriété en raison des limitations imposées par la loi - Absence d’atteinte au droit à recours - Rejet de la demande de renvoi d’une QPC.

La requérante entendait faire juger l’inconstitutionnalité des dispositions de l’art. L. 153-11 du code de l’urbanisme en ce qu’il permettrait à l'autorité compétente de surseoir à statuer sur une demande d'autorisation d'urbanisme au motif que le projet serait de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l'exécution du plan local d'urbanisme en cours d'élaboration, sans permettre au pétitionnaire de contester la légalité des dispositions du plan qui justifient cette décision. Par là ces dispositions porteraient atteinte tant au droit de propriété qu’au droit à recours.

Pour rejeter ces deux arguments d’inconstitutionnalité, le Conseil d’État relève :

1°/ que si la finalité du sursis à statuer est de permettre à l'autorité administrative de surseoir à statuer sur une demande d'autorisation d'urbanisme lorsque celle-ci est susceptible de compromettre ou de rendre plus onéreuse l'exécution du futur plan local d’urbanisme, ce pouvoir n’est pas sans garde-fous. La décision de sursis doit procéder de l’intérêt général, être motivée, ne peut excéder deux ans. Surtout, s’imposent à la décision de sursis, d’une part, l’existence d'orientations ou de règles que le futur plan local d'urbanisme pourrait légalement prévoir et dont la réalisation ou le respect pourrait être compromis en l’absence du pouvoir de surseoir à statuer, et, d’autre part, ce sursis ne peut être opposé qu'après qu'a eu lieu le débat sur les orientations générales du plan d'aménagement et de développement durable. De ce fait, l’atteinte portée au droit de propriété, ainsi encadrée, n’est pas disproportionnée au point de rendre inconstitutionnelle la disposition litigieuse.

2°/ Dès lors que le pétitionnaire peut, lorsqu’un sursis lui est opposé, contester par voie d’exception d’illégalité la légalité du futur plan d’urbanisme (cf. sur ce point le n° 224) ; il ne saurait donc être prétendu que la disposition litigieuse porterait une atteinte substantielle au droit à recours effectif.

(5 août 2020, SCI du Domaine de la Tour, n° 436940)

 

194 - Police des jeux et paris - Monopole de La Française des jeux - Loi du 22 mai 2019 - Interdiction de la liberté constitutionnelle d’entreprendre pour 25 ans - Motifs légitimes d’octroi de ce monopole - Rejet d’une QPC.

(19 août 2020, Société The betting and gaming council, n° 436439, n° 436441 et n° 436449) V. n° 172

 

Responsabilité

 

195 - Intervention chirurgicale - Responsabilité pour faute - Défaut d’information sur les risques d’une intervention chirurgicale - Faute médicale ayant entrainé une perte de chance d’éviter la réalisation du risque - Calcul de l’indemnité de réparation - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

Souffrant de la main droite (maladie de Dupuytren), le patient requérant s’est vu proposer une intervention chirurgicale sans que soient indiqués les risques d'algodystrophie qu’elle comportait. A la suite de cette intervention, il demeure atteint de grandes difficultés d’utilisation de sa main et en sollicite réparation.

La cour administrative d’appel, estimant que le défaut d'information sur les risques consécutifs à l'opération avait fait perdre au demandeur une chance de 25 % de se soustraire à celle-ci et que les fautes commises lors de cette intervention lui avaient fait perdre une chance de 25% d'éviter l'algodystrophie, a jugé que le taux de perte de chance d'éviter le dommage devait être fixé à 25 %.

Le Conseil d’État, au bénéfice du pouvoir souverain d’appréciation de la cour, retient les mêmes pourcentages mais, constatant une erreur de droit dans le calcul du taux de perte de chance, casse l’arrêt sur ce point.

En effet, pour déterminer ce taux, la cour devait additionner : 1° le taux de la perte de chance de l’intéressé de se soustraire à l'opération, c'est-à-dire la probabilité qu'il ait refusé l'opération s'il avait été informé du risque d'algodystrophie qu'elle comportait, soit 25% et 2° le taux de sa perte de chance résultant de la faute médicale commise lors de l'opération, ce taux étant multiplié par la probabilité qu'il ait accepté l'opération s'il avait été informé du risque d'algodystrophie qu'elle comportait. Le Conseil d’État en conclut donc qu’il devait résulter un taux global de 25 % + (25 % x 75 %) = 43,75 % et non de 25%.

(8 juillet 2020, M. X., n° 425229)

 

196 - Élections législatives - Propagande électorale - Dysfonctionnement de la commission de propagande électorale - Responsabilité de l’État susceptible d’être recherchée - Nature et étendue des chefs de préjudice - Annulation partielle du jugement du tribunal administratif.

Dans cette importante décision qui eût pu avoir l’honneur d’être rendue en Section, le Conseil d’État pose le principe de la responsabilité de l’État à raison de dysfonctionnements dans le comportement de la commission de propagande.

Le ministre défendeur demandait la cassation du jugement ayant retenu cette solution, son pourvoi est, logiquement rejeté.

En l’espèce, un candidat et le parti auquel il appartient avaient constaté que les circulaires et bulletins de vote de ce candidat prévus aux articles R. 29 et R. 34 du code électoral n'avaient pas tous été distribués : ils avaient demandé l’indemnisation du préjudice financier lié aux frais d'impression exposés en vain ainsi que la réparation du préjudice moral.

Alors que les premiers juges avaient estimé indemnisable le préjudice résultant de l’impression de bulletins et circulaires non distribués, le Conseil d’État considère qu’il eût fallu pour cela que le candidat et son parti invoquassent la perte de chance d'obtenir au moins 5% de suffrages exprimés et donc, en conséquence, le remboursement de ces dépenses. Or tel n’était pas le cas dans la présente affaire.

En revanche, le tribunal est approuvé pour avoir indemnisé le préjudice moral subi de ce fait.

Demeure donc cette affirmation de principe qui fait tout l’intérêt de cette décision : « Le candidat à une élection législative a la possibilité, s'il s'y croit fondé, de demander réparation à l'État du préjudice financier que les éventuelles fautes commises par la commission de propagande ont pu lui causer en le privant d'une chance sérieuse d'obtenir, en recueillant 5 % des suffrages exprimés, le remboursement des frais de propagande qu'il a exposés. »

(8 juillet 2020, Ministre de l’Intérieur, n° 438228)

 

197 - Office national des infections nosocomiales, des infections iatrogènes et des accidents médicaux (ONIAM) - Offre partielle d’indemnisation - Refus partiel d’indemnisation - Liaison du contentieux en cas de recours juridictionnel subséquent - Point de départ des délais de recours contentieux - Cassation partielle et renvoi dans cette mesure.

(8 juillet 2020, Mme X., n° 426049) V. n° 37

 

198 - Délai de recours contentieux contre une décision administrative individuelle -Notification irrégulière ne déclenchant pas le délai de recours - Inapplication de la règle du délai raisonnable quand la décision est relative à la mise en jeu de la responsabilité d’une personne publique - Erreur de droit de l’arrêt contraire - Cassation avec renvoi.

(29 juillet 2020, Communauté de communes de la Plaine dijonnaise, n° 423631) V. n° 32

 

Santé publique

 

199 - Covid-19 - Prescription du clonazépam injectable - Compétence du premier ministre concernant la prescription d’un médicament non conforme à son autorisation de mise sur le marché - Administration de cette substance à des personnes non hospitalisées - Rejet.

La requête était fondée sur le double motif d’illégalité relevée par elle à l’encontre de l'article 20 du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire. D’une part le premier ministre n’aurait pas disposé de la compétence nécessaire pour permettre la prescription du clonazépam injectable en vue de la prise en charge des patients atteints ou susceptibles d'être atteints par le virus SARS-CoV-2 dont l'état clinique le justifie dans la mesure où cette prescription n’est pas conforme à l’autorisation de mise sur le marché de ce médicament et, d’autre part, une telle substance ne pouvait être administré à des personnes non hospitalisées.

Compte tenu de l’état de catastrophe sanitaire né de l’épidémie de Covid-19 et de l’état de détresse respiratoire de certains patients, le juge du référé suspension du Conseil d’État rejette la requête.

(ord. réf. 9 juillet 2020, M. X. et Mme Y., n° 441521)

 

200 - Référé liberté - Décision d’arrêt des traitements d’un patient - Décision prise le 29 juin 2020 connue seulement de la famille le 29 juillet 2020 - Décision ni motivée ni inscrite dans le dossier du patient - Suspension ordonnée - Désignation d’une expertise en complément d’une médiation - Définition de la mission expertale - Annulation partielle de l’ordonnance du premier juge.

Un patient se trouvant dans un état de coma durable et d’une évolution prévisible vers un état végétatif persistant, l’équipe médicale décide le 29 juin 2020 la limitation puis l’arrêt des thérapeutiques actives. En réalité si des éléments de l’état de santé du patient ont été communiqués à la famille, cette décision du 29 juin ne lui a pas été formellement communiquée (il convient ici d’indiquer que les membres de cette famille ne sont pas ou peu francophones), elle n’est d’ailleurs pas inscrite au dossier du patient et donc pas motivée.

Le juge des référés considère, à juste titre, que la famille n’a réellement pris connaissance de la décision d’abandon des soins que le 29 juillet. 

Constatant l’illégalité des conditions d’adoption de la décision, notamment en sa forme, laquelle constitue ici une garantie de plusieurs libertés fondamentales, le juge en ordonne la suspension ainsi que, en sus de la médiation déjà en cours, la désignation d’experts aux fins qu’ils répondent aux diverses questions qu'il pose et effectuent les investigations qu’il indique.

L’ordonnance de première instance est annulée en tant qu'elle dit n'y avoir pas lieu de statuer sur les conclusions de la demande tendant à la suspension de la décision contestée, en ce qu'elle concerne la limitation de traitement, statue sur les conclusions tendant à ce qu'une expertise soit ordonnée et omet de statuer sur les conclusions aux fins d'injonction.

(ord. réf.  6 août 2020, Mme X. et autres, n° 442268)

 

Service public

 

201 - Enseignement supérieur - Frais d’inscription - Principe constitutionnel de gratuité de l’enseignement - Application en l’espèce - Respect du principe d’égalité - Principe de non-discrimination - Distinction entre diplômes nationaux et autres diplômes - Modalités d’appréciation du caractère éventuellement excessif des droits d’inscription - Rejet.

Les requérants demandaient l’annulation du décret du 19 avril 2019 fixant le régime d'exonération des droits d'inscription applicables aux étudiants étrangers inscrits dans les établissements publics d'enseignement supérieur relevant du ministre chargé de l'enseignement supérieur et celle de l'arrêté interministériel du 19 avril 2019 relatif aux droits d'inscription dans les établissements publics d'enseignement supérieur relevant du ministre chargé de l'enseignement supérieur qui a fixé les montants annuels des droits d'inscription devant être acquittés à compter de l'année universitaire 2019-2020 par les étudiants inscrits dans les établissements publics d'enseignement supérieur relevant exclusivement du ministre chargé de l'enseignement supérieur en vue de la préparation d'un diplôme national ou d'un titre d'ingénieur diplômé.

Les recours sont rejetés au terme d’une très longue analyse des différents griefs articulés à l’encontre de ces deux textes. Trois d’entre eux retiennent l’attention.

Tout d’abord n’est pas retenu le moyen tiré de l'inconstitutionnalité de la loi et de l'incompétence du pouvoir réglementaire car le Conseil constitutionnel a jugé (11 octobre 2019, Union Nationale des Etudiants en Droit, Gestion, AES, Sciences Economiques, Politique et Sociales (U.N.E.D.E.S.E.P.), n° 2019-809 QPC) que le troisième alinéa de l'article 48 de la loi du 24 mai 1951, qui prévoit que sont fixés par arrêté du ministre intéressé et du ministre du budget " (...) Les taux et modalités de perception des droits d'inscription, de scolarité, d'examen, de concours et de diplôme dans les établissements de l'État ", ne méconnaît aucun droit ou liberté que la Constitution garantit. Dès lors les dispositions législatives en cause ne sont pas inconstitutionnelles ni non plus, par voie de conséquence, les décret et arrêté attaqués qui ont été pris sur leur fondement. Pas davantage les ministres qui en sont les auteurs n’étaient incompétents pour édicter une telle réglementation.

Ensuite, ne saurait être retenu le moyen tiré de la méconnaissance du treizième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, selon lequel « La Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'État ». Il résulte, d’une part, de l’ensemble des possibilités d’aides et/ou de dispense de paiement des droits d’inscription, d’autre part, de la proportion que ces droits ainsi diminués ou supprimés, représentent par rapport au coût annuel moyen de chaque étudiant pour la nation, que les montants des droits d'inscription susceptibles d'être effectivement à la charge des étudiants, ne font pas, par eux-mêmes, obstacle à un égal accès à l'instruction et, par suite, ne méconnaissent pas les exigences constitutionnelles énoncées dans l’alinéa sus-rappelé.

Enfin, le juge n’aperçoit en l’espèce nulle méconnaissance du principe d'égalité entre les usagers du service public du fait qu’aient été fixés des frais d'inscription différents selon qu’ils s’appliquent à des étudiants ayant, quelle que soit leur origine géographique, vocation à être durablement établis sur le territoire national ou à des étudiants venus en France spécialement pour s'y former. La différence de traitement est justifiée par la différence des situations et ne se traduit pas, au demeurant, par des montants de frais d'inscription manifestement disproportionnés au regard de l'objectif poursuivi de formation de la population appelée à contribuer à la vie économique, sociale, scientifique et culturelle de la Nation et à son développement. Pas davantage ne traduit une inégalité inconstitutionnelle la circonstance que les frais d’inscription « de faveur » sont aussi applicables, d'une part, en vertu du droit de l'Union, de l'accord sur l'Espace économique européen et de l'Accord du 21 juin 1999 entre la Communauté européenne, ses États-membres et la Suisse sur la libre circulation des personnes, aux ressortissants de ces États, aux membres de leur famille autorisés à y séjourner et aux personnes titulaires d'un titre de résident délivré par l'un de ces États, et d'autre part, aux ressortissants des États ayant conclu avec la France des accords internationaux, comportant des stipulations sur l'acquittement des droits d'inscription ou sur l'obligation de détenir un titre de séjour.

(1er juillet 2020, Union nationale des étudiants en droit, gestion, AES, sciences économiques, politiques et sociales (U.N.E.D.E.S.E.P.), n° 430121 ; M. X. et autre, n° 430266 ; Mme X. et autre, n° 431133 ; Ligue des droits de l'Homme, n° 431510 ; Union nationale des étudiants de France (UNEF), n° 431688)

 

202 - Covid-19 - Enseignements secondaire et supérieur - Organisation des épreuves du baccalauréat - Substitution du contrôle continu aux épreuves ter finales normalement prévues - Établissements d’enseignement français à l’étranger hors contrat - Absence de bénéfice du contrôle continu - Principe d’égalité - Inexistence d’un système de surveillance et de contrôle  sur les établissements non homologués - Situation différente de celles des établissements homologués - Absence d’atteinte à la légalité - Rejet.

Les demanderesses voulaient obtenir la suspension d’exécution de l'article 2 du décret n° 2020-641 du 27 mai 2020 relatif aux modalités de délivrance du baccalauréat général et technologique pour la session 2020 en tant qu'elles écartent les élèves des établissements des lycées français à l'étranger non homologués du bénéfice de l'obtention de l'examen du baccalauréat par le contrôle continu, ce qui violerait le principe d’égalité.

Le recours est rejeté parce que le principe d’égalité ne s’oppose pas, à certaines conditions, à ce que des personnes placées dans des situations différentes reçoivent un traitement juridique différent.

Les établissements français à l'étranger hors contrat, pour être homologués, doivent justifier d'un enseignement et d'une évaluation conformes à l'appréciation des connaissances, des compétences et de la culture déterminée par les programmes, aux objectifs pédagogiques et aux règles d'organisation applicables en France tels que définis par le ministre chargé de l'éducation. 

Or les candidats au baccalauréat pour la session 2020 issus des établissements français à l'étranger non homologués, ou n'ayant pas été en mesure de présenter, avant les mesures de confinement prises dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, une demande d'homologation, n’ont, par suite, été soumis à aucun contrôle visant à apprécier leur conformité aux exigences applicables aux autres établissements.

Ainsi, placés dans une situation différente de celle des candidats issus des établissements homologués, ils ne sauraient prétendre que le décret contesté instaurerait une rupture d'égalité et un traitement discriminatoire entre les élèves issus d'établissements homologués ou ayant déposé une demande d'homologation et les élèves issus d'établissements non homologués.

(ord. réf. 28 juillet 2020, Mme X. et autre, n° 441645)

 

203 - Hôpital public - Conventions autorisant des radiologues privés à accéder aux équipements, espaces et personnels de manutention, de l’établissement - Versement par l'établissement d'une quote-part du forfait technique perçu par lui pour chaque acte réalisé - Engagement des radiologues à assurer la continuité de l'offre de soins durant leurs vacations et à mettre à disposition du centre hospitalier leur personnel de secrétariat - Résiliation unilatérale des conventions en raison du caractère disproportionné de leurs stipulations  les rendant sans contrepartie réelle - Obligation de tenir compte de l’équilibre général de chaque convention - Cassation de l’arrêt d’appel avec renvoi.

Est cassé l’arrêt d’appel qui pour dire justifiée la résiliation de conventions conclues entre un centre hospitalier et des radiologues privés, se borne à constater que les frais de personnel de secrétariat, seuls pris en charge par les médecins radiologues, ne sont qu'une faible partie de ceux que le forfait technique rémunère, pour en déduire que le montant du reversement d'une partie du forfait technique perçu par le centre hospitalier prévu par les stipulations précitées était manifestement disproportionné. En effet, les conventions en cause prévoyaient l’autorisation pour les radiologues d’accéder aux équipements, espaces et personnels de manutention, de l’établissement, le versement par l'établissement d'une quote-part du forfait technique perçu par lui pour chaque acte réalisé, l’engagement des radiologues à assurer la continuité de l'offre de soins durant leurs vacations et la mise à disposition du centre hospitalier du personnel de secrétariat de ces médecins

La cour devait donc tenir compte de l'équilibre général de chaque contrat conclu entre le centre hospitalier et lesdits praticiens.

Il faut approuver une solution qui respecte pleinement la commune intention des parties en procédant à une analyse globale de l'économie générale du contrat en tant qu'ensemble de droits et d’obligations réciproques.

(10 juillet 2020, Mme A., n° 432336 ; M. B, n° 432341 ; M. C., n° 432342 ; M. D., n° 432343 ; Mme  E., n° 432344 ; Mme F., n° 43235)

 

204 - Distribution et fourniture d’énergie électrique - Dispositions du code de l’énergie - Compatibilité avec le droit de l’Union européenne - Service économique d’intérêt général - Existence et conséquence - Rejet.

(10 juillet 2020, Mme X., n° 423901) V. n° 99

 

Sport

 

205 - Résultats d’une rencontre sportive - Contestation par un club tiers par voie de référé suspension - Suspension ordonnée - Contestation par la fédération sportive nationale - Non-lieu à statuer en dépit de la suspension - Recours sans objet - Rejet.

En l’espèce, l’association Union Sportive des Clubs du Cortenais (USCC) avait formé un recours pour excès de pouvoir contre la décision par laquelle la commission fédérale des règlements et contentieux de la Fédération française de football a infligé à l'AS Furiani-Agliani la perte par pénalité de la rencontre du championnat de Régional 1 de la Ligue corse de football du 24 mars 2019 l'ayant opposée au FC Balagne et donnant la victoire au FC Balagne, cette décision ayant entrainé, par voie de conséquence, le reclassement de ce club à la première place du championnat et donc de priver le club requérant de la promotion en division supérieure.

Le juge rappelle tout d’abord le principe selon lequel les clubs tiers ne sont pas recevables à contester directement les résultats d'une rencontre sportive.

Ici, le juge des référés a suspendu la décision de la commission fédérale des règlements et contentieux de la Fédération française de football.

Cette dernière se pourvoi en cassation contre cette ordonnance de suspension. Le Conseil d’État, estime qu’il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions du pourvoi dirigées contre cette suspension car eu égard à la nature et à l'effet utile de la procédure de référé suspension, le litige, qui porte sur la détermination des clubs appelés à participer à un championnat, doit être regardé comme privé d'objet dès la date à laquelle ce championnat a commencé, alors même que la décision contestée a été suspendue par le juge des référés.

(1er juillet 2020, Fédération française de football, n° 433079)

(206) V. aussi, très semblable dans son principe : 1er juillet 2020, EUSRL Gazélec FC Ajaccio, n° 433747.

 

207 - Covid- 19 - Football - Matches de « play-offs » - Suppression par décision de la Ligue de football professionnel - Fédérations sportives, délégataires d’un service public administratif - Décisions de nature administrative - Choix entre « saison blanche » ou arrêt de la compétition selon des modalités à fixer - Absence de doute sérieux sur l’option pour ce second terme de l’alternative - Rejet.

Par sa requête fondée sur l’art. L. 521-1 CJA, le club demandeur sollicitait :

- d’une part, que soit ordonnée la suspension de l'exécution de la décision du 30 avril 2020 par laquelle le conseil d'administration de la Ligue de football professionnel a supprimé les matchs de " play-offs " devant opposer les clubs ayant terminé 3ème, 4ème et 5ème de Ligue 2 ainsi que le match de barrage devant opposer le vainqueur de ces play-offs au 18ème de Ligue 1, en tant qu'elle a pour effet le maintien en Ligue 2 du club arrivé en dix-huitième position ;

- d’autre part, qu’il soit enjoint à la Ligue de football professionnel de prendre ou de faire prendre par toute instance compétente toutes dispositions permettant l'accès en Ligue 1 du club classé en troisième position de la Ligue 2.

Sans surprise, eu égard à l’abondant contentieux déjà tranché par la juridiction des référés et aux solutions retenues antérieurement, le recours est rejeté.

Le juge constate l’existence d’un vide juridique lorsque des circonstances imprévues conduisent à interrompre les compétitions de façon définitive avant leur terme et juge qu’il appartenait au conseil d'administration de la Ligue, soit, s'il estimait que l'équité sportive ne devait pas conduire à procéder à un classement, de retenir le principe d'une " saison blanche ", soit, dans le cas contraire, de décider selon quelles modalités le classement serait arrêté et, le cas échéant, des relégations et accessions auraient lieu.

Le moyen tiré de ce que le choix retenu en ce qui concerne le classement, consistant à avoir arrêté un classement définitif sur la base de celui existant à l'issue de la 28ème journée, méconnaîtrait les principes éthiques du sport, au motif que certains clubs avaient rencontré davantage de clubs mieux ou moins bien classés que d'autres, n'est pas de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée. Il considère qu’il en va de même du moyen tiré de ce qu'à défaut de pouvoir organiser des « plays-offs » et un match de barrage, le conseil d'administration de la Ligue aurait dû faire application du règlement des compétitions dans sa rédaction antérieure à la saison 2017-2018 et permettre ainsi l'accès automatique en Ligue 1 du 3ème de Ligue 2, quitte à modifier le format de la Ligue 1.

L’absence de doute sérieux sur la légalité de la mesure dispense d’examiner l’éventuelle existence de la condition d’urgence.

(6 juillet 2020, Société Athletic Club Ajaccien (ACA) Football, n° 441314).

(208) V. aussi, largement comparables : 7 juillet 2020, Société US Orléans Loiret Football, n° 441443 ; Société anonyme sportive professionnelle (SASP) Le Mans Football Club, n° 441450.

(209) V. également, très semblables : ord. réf. 9 juillet 2020, Société anonyme sportive professionnelle (SASP) Amiens Sporting Club Football, n° 441559 et n° 441585.

(210) V. encore, largement identique : 16 juillet 2020, Association Le Puy foot 43 Auvergne, n° 441776

 

211 - Fédération française de football (FFF) - Compétences et pouvoirs de ses différents organes - Comité exécutif saisi d’un recours préalable obligatoire - Procédure d’évocation, procédure distincte de la précédente - Inapplicabilité à ce comité de l’art. 5 de l'annexe à la convention conclue entre la FFF et la Ligue de football professionnel (LFP) portant règlement de la direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) - Rejet.

La société sportive requérante avait demandé au tribunal administratif de condamner la Fédération française de football à lui verser une somme avec intérêts en réparation du préjudice résultant pour elle de l'illégalité de la décision du 25 juillet 2012 par laquelle son comité exécutif a décidé, pour la saison sportive 2012-2013, de maintenir en championnat Ligue 2 l'équipe première, soit la SASP Le Mans FC. Elle se pourvoit contre l’arrêt d’appel confirmatif du jugement rejetant sa demande indemnitaire.

Le litige mettait en jeu le régime juridique applicable aux procédures se déroulant devant certains organes de la FFF.

Le Conseil d’État apporte un certain nombre de précisions et quelque clarté dans un ensemble normatif qui en manque singulièrement.

Tout d’abord, la direction nationale du contrôle de gestion n’ayant pas une personnalité morale distincte de celle de la Fédération, a, en conséquence, le caractère d'un organe de la Fédération, au nom de laquelle elle prend les décisions relevant des compétences qui lui sont attribuées. 

Ensuite, le code du sport institue un recours préalable obligatoire avant tout recours contentieux contre une décision prise par une fédération dans l'exercice de prérogatives de puissance publique ou en application de ses statuts en vue de résoudre le conflit né de cette décision. Il appartient donc, au sein de chaque fédération intéressée, à l’autorité compétente à cet effet, qui est partie à la conciliation, de se prononcer sur les mesures proposées par le ou les conciliateurs. 

Cette autorité prend ainsi une décision qui se substitue à la décision initiale, objet du litige, et qui, en cas d'acceptation des mesures proposées, ne consiste pas en une simple approbation du dispositif et des motifs de la proposition de conciliation mais constitue une décision propre de cette autorité.

Egalement, le comité exécutif de la FFF, lorsqu'il prend sa décision à la suite de ce recours préalable obligatoire à une conciliation, exerce ses pouvoirs sur le fondement des dispositions de l'article 18 des statuts de la Fédération et non dans le cadre de la procédure d'évocation prévue par les dispositions de l'article 199 des règlements généraux de la FFF, auquel renvoie l'article 13 de son règlement intérieur. La précision est très importante. En effet, si dans le cadre de ce pouvoir d'évocation, le comité ne peut réformer la décision prise qu'en cas de violation des statuts et règlements de la Fédération ou d'atteinte aux intérêts généraux dont la Fédération a la charge, le comité n'est pas tenu par ces conditions dans le cadre des décisions prises, comme en l'espèce, sur le fondement des dispositions de l'article 18 des statuts. 

Enfin, aux termes de l'article 5 de l'annexe à la convention conclue entre la FFF et la Ligue de football professionnel portant règlement de la direction nationale du contrôle de gestion, lorsque la décision d'une des commissions de contrôle de cette direction est contestée devant sa commission d'appel: « (…) tout document et/ou engagement nouveau que le club voudrait présenter devra être impérativement produit au plus tard lors de son audition devant la Commission d'appel et être, à cette date, dûment concrétisé ». Toutefois ces dispositions ne sont pas applicables au comité exécutif de la FFF qui, lorsqu'il statue dans le cadre de la procédure de conciliation, y compris lorsque celle-ci porte sur une décision de la commission d'appel de la DNCG, peut tenir compte d'éléments produits postérieurement à une telle décision. Il lui est également loisible, préalablement à sa décision, de procéder à toute consultation qu'il juge utile.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que la cour administrative d'appel n'a - contrairement à ce qui est soutenu par la demanderesse - pas commis d'erreur de droit en l'espèce. Le pourvoi est rejeté.

(29 juillet 2020, Société anonyme sportive professionnelle (SASP) Football Club de Metz, n° 426357)

 

212 - Covid-19 - Clubs de football rétrogradés en National 2 - Aide financière instituée par  la Ligue de football professionnel - Refus d’accorder cette aide - Décision sans caractère réglementaire - Incompétence du Conseil d’État pour y statuer en premier et dernier ressort - Rejet.

La décision par laquelle la Ligue de football professionnel refuse d’accorder à un club l’aide qu’elle a instituée au profit des clubs rétrogradés en National 2 ne revêtant pas un caractère réglementaire, ne relève pas de la compétence directe du Conseil d’État en premier et dernier ressort.

(ord. réf. 3 août 2020, Société AS Béziers, n° 442310)

 

Travaux publics et expropriation

 

213 - Emprise irrégulière sur une parcelle privée - Édification d’un ouvrage public (voie communale) sur la parcelle - Demande de démolition et d’indemnisation - Régularisation prétendue possible par voie d’expropriation - Contestation de l’utilité publique de la procédure d’expropriation en cours - Erreur de droit - Annulation partielle et renvoi.

Les requérants avaient obtenu du tribunal administratif l’annulation du refus implicite né du silence du maire sur leur demande tendant à ce qu'il soit mis fin à l'emprise irrégulière sur une parcelle cadastrée dont ils sont propriétaires et sur laquelle a été implantée une voie communale, une injonction sous astreinte de libérer cette parcelle et la condamnation de la commune au paiement d’une indemnité de réparation. 

Sur appel de la commune, la cour administrative d’appel a, pour l’essentiel, pris l’exact contrepied de ce qu’avait jugé le tribunal en annulant l’annulation et l’injonction et en réduisant le montant de l’allocation de réparation.

Notamment, la cour s’est fondée sur ce que cette emprise était en voie de régularisation puisqu’était en cours une procédure devant déboucher sur l’expropriation de la parcelle litigieuse après fixation et versement de l’indemnité d’expropriation. 

Le Conseil d’État rejette ce raisonnement pour erreur de droit car, précisément, les requérants faisaient valoir devant la cour qu’il était douteux que le projet de la commune puisse revêtir un caractère d'utilité publique suffisant à justifier qu'il soit porté atteinte à leur droit de propriété.

(22 juillet 2020, M. et Mme X., n° 433938)

 

Urbanisme

 

214 - Permis de construire un ensemble commercial comportant des places de stationnement - Exigence d’une évaluation environnementale obligatoire seulement pour ces dernières - Absence d’indivisibilité de l’ensemble - Obligation devant être respectée en l’espèce - Annulation et renvoi à la cour d’appel dans cette mesure.

Un permis de construire est accordé pour l’édification d’un ensemble commercial comportant des places de parking. De l’art. R. 431-16 du code de l’urbanisme et du tableau annexé à l’art. R. 122-2 du code de l’environnement, il se déduit, d’une part, qu’une évaluation environnementale est obligatoire à l’appui d’une demande de permis de réalisation d’au moins cent places de parking dans une commune non dotée, lors de la demande, d’un PLU ou d’un POS ou autre et d’autre part, que celle-ci n’est pas exigée pour le permis d’un ensemble commercial comme en l’espèce. La cour administrative d’appel avait estimé cette évaluation non nécessaire pour le parking qui ne devait pas être envisagé en soi comme une opération isolée mais comme faisant partie d’un ensemble et qui n’était pas ouvert au public. 

Le Conseil d‘État, sans s’arrêter à ces considérations assez pertinentes, juge le contraire en exigeant qu’il soit procédé à l’évaluation litigieuse pour les seules places de stationnement dont la réalisation est estimée divisible du reste de l'opération.

(1er juillet 2020, Association Athéna, n° 423076)

 

215 - Permis de construire - Panneau d’affichage du permis sur le terrain d’assiette - Affichage incomplet - Degré d’incomplétude - Effet sur le cours du délai de recours contentieux - Rejet du pourvoi

Les art. R. 424-15 et A. 424-16 du code de l’urbanisme n’imposent l’indication sur le panneau d'affichage du permis de construire que des informations sur les caractéristiques de la construction projetée qu’afin que les tiers, à la seule lecture de ce panneau, puissent apprécier l'importance et la consistance du projet.

Si, normalement, le délai de recours contentieux ne commence à courir qu'à la date d'un affichage complet et régulier de ces diverses informations, une erreur affectant l'une d'entre elles ne conduit à faire obstacle au déclenchement du délai de recours que dans le cas où elle est de nature à empêcher les tiers d'apprécier l'importance et la consistance du projet car l'objet de l'affichage n'est pas de permettre par lui-même d'apprécier la légalité de l'autorisation de construire.

(2 juillet 2020, M. X., n° 427712)

 

216 - Aménagement commercial - Personne ayant saisi d’un recours administratif préalable obligatoire (RAPO) la commission nationale d’aménagement commercial (CNAC) - Notion de partie à l’instance - Qualité, ici, de défendeur de la personne contestant l’autorisation accordée par une commission départemental d’aménagement commercial (CDAC) - Éligibilité au bénéfice de l’art. L. 761-1 du CJA.

(3 juillet 2020, Société Rodrigue, n° 420346) V. n° 34

 

217 - Permis de construire - Permis modificatif - Décision distincte - Retrait rétroactif du premier permis - Décision n’entraînant pas le retrait du permis modificatif - Conclusions tardives - Rejet.

Après qu’un permis de construire a été accordé par un arrêté municipal du 16 octobre 2013, il a fait l’objet, par un second arrêté, du 24 février 2014, d’un permis modificatif pour le même projet. La société requérante ayant formé un recours contentieux contre le premier permis de construire, le maire a, le 5 juillet 2016, retiré ce premier permis. La société Chlolin, qui a également demandé au tribunal administratif l'annulation du second permis, du 24 février 2014, se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 22 mars 2018 par lequel la cour administrative d'appel a rejeté son appel dirigé contre le jugement du 28 février 2017 par lequel le tribunal administratif a rejeté comme tardives ses conclusions tendant à l'annulation de ce second permis.

Le pourvoi est rejeté car si le retrait rétroactif d'un permis de construire entraîne, par voie de conséquence, l'illégalité des permis modificatifs ultérieurement délivrés pour la même construction, ces permis modificatifs constituent toutefois des actes distincts du permis de construire initial. 

Par suite, dès lors que le retrait, par le maire, du permis de construire du 16 octobre 2013 n'entraînait pas, par lui-même, le retrait du permis délivré le 24 février 2014, si ce dernier devait être regardé comme un permis modificatif du précédent, la cour était fondée à estimer qu'elle n'était pas tenue de juger que les conclusions tendant à l'annulation du permis du 24 février 2014 étaient devenues sans objet.

En second lieu, ne pouvait jouer en l’espèce l’exception selon laquelle lorsque le juge de l'excès de pouvoir est saisi par un tiers d'un recours contre une décision d'autorisation qui est remplacée, en cours d'instance, soit par une décision de portée identique, soit par une décision qui la modifie sans en altérer l'économie générale, le nouvel acte doit être notifié au tiers requérant, le délai pour le contester ne pouvant commencer à courir pour lui en l'absence d'une telle notification. En effet, la requérante avait formulé sa demande d'annulation du permis de construire du 16 octobre 2013 devant le tribunal administratif le 15 avril 2014, soit postérieurement à la date de délivrance du permis de construire modificatif du 24 février 2014. La requérante ne pouvait donc pas se prévaloir de la règle de procédure sus-rappelée ni d'aucune autre : le permis de construire du 24 février 2014, s'il devait être regardé comme se substituant au permis du 16 octobre 2013, n’avait pas, dans les circonstances de l’espèce, à lui être communiqué.

Entachées de tardiveté ses conclusions étaient donc irrecevables comme l’a jugé la cour.

(8 juillet 2020, Société Chlolin, n° 422574)

 

218 - Opposition ou non-opposition à une déclaration de travaux - Contestation de cette décision devant le tribunal administratif statuant selon le droit commun - Appel relevant de la cour administrative d’appel - Renvoi du pourvoi à la cour sous forme d’appel.

Les recours dirigés contre la décision administrative d’opposition ou de non-opposition à une déclaration de travaux n’entrent dans aucune des exceptions où le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort sous réserve d’un pourvoi en cassation. Il suit de là qu’un tel pourvoi, erronément formé devant le Conseil d’État, est requalifié en appel et renvoyé à la cour administrative d’appel.

(9 juillet 2020, Syndicat des copropriétaires de la résidence de l'Agrianthe, n° 440384)

 

219 - Interdiction de construction sur certains espaces littoraux (art. L. 121-23 c. environnement) - Dérogation en faveur d'aménagements légers (art. L. 12124 c. environnement) — Conditions devant être strictement respectées - Dérogation ne constituant pas une atteinte au principe de non-régression (art. L. 110-1 c. env.) - Rejet.

La requérante critiquait les dispositions du décret n° 2019-482 du 21 mai 2019 relatif aux aménagements légers autorisés dans les espaces remarquables ou caractéristiques du littoral et des milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques. Elle estimait cette autorisation illégale, d’une part, en ce qu’elle porterait atteinte au principe d’énumération limitative posé à l’art. L. 121-24 du code de l’environnement, et d’autre part, en ce qu’elle porterait atteinte au principe de non-régression que définit l’art. L. 110-1 c. env. dans le 9° de son II.

Ces critiques sont rejetées.

Tout d’abord, de ce que le code exige une liste limitative des aménagements légers possibles par dérogation il ne s’ensuit pas que cette liste est figée car fixée ne varietur mais seulement que les dérogations susceptibles d’être accordées ne sont possibles que si elles figurent expressis verbis sur cette liste.

Ensuite, d’une part, en prévoyant que ces aménagements dérogatoires ne doivent pas porter atteinte au caractère remarquable du site, qu'ils ne pourront être réalisés qu'après enquête publique et avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites et qu'ils doivent être conçus de manière à permettre un retour du site à l'état naturel et, d’autre part, en renvoyant à un décret en Conseil d'État la fixation de la liste limitative de ces aménagements et de leurs caractéristiques, le législateur a autorisé l’existence d’une réglementation spécifique permettant la réalisation d'aménagements légers dans les espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral, et les milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques. Il s’en déduit que le décret attaqué, pris dans ces conditions, ne porte pas atteinte au principe de non-régression de la protection de l'environnement.

(10 juillet 2020, Association France Nature Environnement, n° 432944)

 

220 - Aménagement commercial - Revitalisation des centres-villes - Objectif d’intérêt général en vue d’améliorer l’aménagement du territoire national - Critère ajouté en ce sens seulement - Cas des friches en centre-ville ou en périphérie - Absence de critère supplémentaire à caractère économique - Rejet.

Les requérants soutenaient que les dispositions ajoutées au I de l’art. L. 752-6 du code de commerce par la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 méconnaissent les stipulations de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et celles du point 6) de l'article 14 de la directive 2006/123/CE et que, dès lors, les articles 1er à 3 du décret attaqué sont entachés d’illégalité.

Sur ce point, le Conseil d’État interroge la CJUE pour savoir si le paragraphe 6) de l'article 14 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 doit être interprété en ce sens qu'il permet la présence, au sein d'une instance collégiale compétente pour émettre un avis relatif à la délivrance d'une autorisation d'exploitation commerciale, de personnalités qualifiées représentant le tissu économique, dont le rôle se borne à présenter la situation du tissu économique dans la zone de chalandise pertinente et l'impact du projet sur ce tissu économique, sans prendre part au vote sur la demande d'autorisation. 

Sur les autres points de l’argumentation, le juge rappelle que la finalité des dispositions ainsi ajoutées en 2018 au I de l’art. 752-6 du code de commerce, telles au reste qu'interprétées par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2019-830 QPC du 12 mars 2020, poursuivent un objectif d'intérêt général d'amélioration de l’aménagement des centres-villes dont un grand nombre sont aujourd’hui en déclin.

C’est donc uniquement dans cette optique qu’a été prévu un critère supplémentaire pour l'appréciation globale par les commissions départementales d'aménagement commercial (CDAC) des effets du projet sur l'aménagement du territoire.

En particulier, cet ajout ne subordonne pas la délivrance de l'autorisation à l'absence de toute incidence négative sur le tissu commercial des centres-villes. 

L'analyse d'impact prévue par le III de l’art. L. 752-6 précité cherche seulement à rendre plus aisée la mesure ou la prévision des effets du projet sur l'animation et le développement économique des centres-villes et de l’emploi.

En aucun cas cependant il ne saurait être soutenu que, par là, serait institué un critère d'évaluation supplémentaire d'ordre économique. 

Enfin, le même raisonnement doit être retenu à propos du IV du même article s’agissant de l'existence d'une friche en centre-ville ou en périphérie, : ce IV n’a pas pour effet d'interdire toute délivrance d'une autorisation au seul motif qu'une telle friche existerait.

De ces chefs, hormis l’aspect exposé plus haut, les diverses dispositions critiquées ne contreviennent ni aux stipulations de l'article 49 du TFUE ni à elles du point 5) de l'article 14 de la directive « Services » du 12 décembre 2006.

(15 juillet 2020, Société BEMH, n° 431703 ; Conseil national des centres commerciaux, n° 431724 et n° 433921, jonction)

 

221 - Urbanisme - Permis de construire après démolition d’une maison existante - Permis délivré à des co-indivisaires - Notification des recours gracieux et contentieux aux deux co-indivisaires sous pli unique à une adresse unique - Recevabilité de l’action contentieuse - Refus - Cassation avec renvoi.

Des personnes demandent l’annulation d’un permis de construire délivré à deux co-indivisaires sur un terrain où se trouve une maison à démolir. Ils notifient leurs recours gracieux et contentieux aux deux pétitionnaires sous un unique pli et à une unique adresse, celle mentionnée sur le permis de construire. Leur recours est jugé irrecevable faute d’une notification distincte à chacune des bénéficiaires du permis litigieux.

Ce jugement est cassé.

La solution doit être approuvée.

(15 juillet 2020, M. et Mme X. n° 433332)

 

222 - Permis de construire - Existence d'un plan de prévention des risques naturels (PPRN) prévisibles - Obligation pour le permis de respecter les prescriptions de ce plan - Vérification du caractère suffisant des prescriptions du PPRN au regard des caractéristiques des constructions à édifier et de la configuration des lieux - Possibilité d’ajouter des prescriptions supplémentaires au permis, le cas échéant, mais sans modification substantielle de celui-ci - Refus du permis en cas d’impossibilité pour le permis de satisfaire à ce plan même complété - Annulation avec renvoi.

Un préfet a contesté devant le juge administratif le permis de construire 758 logements, des commerces, une crèche et autres délivré par une commune sur un terrain classé en risque inondable moyen par le PPRN.

Le juge a annulé le permis pour le double motif d’insuffisance d’aires de stationnement et d’implantation sur une zone inondable couverte par un PPRN.

Annulant ce jugement, le Conseil d’État constate que le premier motif d’annulation est régularisable. 

Concernant le second motif, le Conseil d’État rappelle et innove.

Il rappelle que les prescriptions d’un PPRN n’ont pas à être reprises dans le permis de construire puisqu’elles s’imposent directement aux autorisations d’urbanisme. Surtout, il innove en exigeant de l’autorité administrative comme de la juridiction administrative saisie d’une demande d’annulation tirée de l’existence d’un PPRN, que : 1°/ qu'elle vérifie si les prescriptions du plan  - et donc le permis qui les intègre nécessairement - suffisent à permettre d’obvier à la menace que le plan a pour objet de combattre ou de circonscrire ou de limiter ; 2°/ qu'en cas de réponse négative à cette première exigence, il soit vérifié si des mesures complémentaires imposées dans le cadre du permis de construire seraient suffisantes face au risque sans que ces mesures ne constituent une ou des modifications substantielles du permis de construire ; 3°/ En cas de réponses négatives aux deux points précédents et seulement en ce cas, au vu d'une appréciation concrète de l'ensemble des caractéristiques de la situation qui lui est soumise et du projet pour lequel l'autorisation de construire est sollicitée, le permis peut être refusé.

En l’espèce, le tribunal administratif s’est borné à constater ce que contenaient les prévisions du PPRN pour en tirer l’illégalité du permis alors qu’il lui incombait d’établir si les mesures que comportait le plan pour prévenir le risque étaient suffisantes, susceptibles de compléments ou impuissantes, compte-tenu des constructions projetées et des éléments concrets de fait et de lieu, à obvier la menace.

La cassation est prononcée avec renvoi.

(22 juillet 2020, Société Altarea Cogedim IDF, n° 426139)

 

223 - Contentieux de l’urbanisme - Règles de procédure spéciales - Décret du 17 juillet 2018 portant modifications de la partie réglementaire du code de l’urbanisme - Incompétences alléguées du pouvoir réglementaire - Absence - Rejet.

(3 juillet 2020, Conseil national des barreaux et autres, n° 424293 ; Syndicat des avocats de France, n° 427249, jonction) V. n° 36

 

224 - Permis de construire - Sursis à statuer - Sursis opposé pour contrariété de la construction projetée avec le futur plan d’urbanisme- Examen par le juge de l’exception d’illégalité dudit plan - Rejet.

Le Conseil d’État approuve une cour administrative d’appel, appelée à se prononcer sur la régularité du sursis à statuer sur un permis de construire opposé par une commune en prévision de son futur plan d’urbanisme, d’avoir pour ce faire apprécié la légalité de ce futur plan.

La solution est audacieuse mais a ses vertus et sa cohérence avec la logique du droit de l’urbanisme.

(22 juillet 2020, Commune de la Queue-les-Yvelines, n° 427163)

 

225 - Permis de construire un ensemble immobilier - Caducité des requêtes en cas de non-production dans les délais des pièces nécessaires au jugement de l’affaire (art. L. 600-13 c. urb.) - Disposition déclarée contraire à la Constitution sur QPC - Erreur de droit à appliquer en l’espèce cet article - Cassation avec renvoi.

Le requérant avait demandé au juge d’annuler l'arrêté municipal accordant un permis de construire en vue de l'implantation d'un ensemble immobilier de 69 logements ainsi que la décision du maire rejetant son recours gracieux.

Le tribunal administratif a rejeté ce recours en se fondant sur les dispositions de l’art. L. 600-13 du code de l’urbanisme qui frappait de caducité toute requête introductive d'instance lorsque, sans motif légitime, le demandeur ne produisait pas les pièces nécessaires au jugement de l'affaire dans un délai de trois mois à compter du dépôt de la requête ou dans le délai qui lui a été imparti par le juge. Toutefois, la déclaration de caducité pouvait être rapportée si le demandeur faisait connaître au greffe, dans un délai de quinze jours, le motif légitime qu'il n'avait pas été en mesure d'invoquer en temps utile.

Cette disposition a été jugée inconstitutionnelle par décision du Conseil constitutionnel (19 avril 2019, M. Bouchaïd S., QPC n° 2019-777) et cette décision a été déclarée applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à la date de sa publication. Tel était le cas de la présente affaire.

Par suite le requérant est fondé à s’en prévaloir à l’encontre du jugement querellé qui est fondé sur cette disposition.

La cassation est prononcée pour erreur de droit et l’affaire renvoyée à ce tribunal.

(29 juillet 2020, M. X., n° 424146 et n° 439749, fusion des requêtes par radiation de la seconde des registres)

 

226 - Document d’urbanisme - Plan d’urbanisme - Vice l’entachant - Possibilité pour le juge de surseoir à statuer pour en permettre la régularisation - Droit applicable à la régularisation - Détermination de la compétence pour régulariser - Rejet.

Lorsque le vice entachant un document d’urbanisme, ici le plan d’urbanisme, est régularisable, le juge peut surseoir à statuer sur la requête dont il est saisi pour permettre la régularisation du document d'urbanisme.

Le Conseil d’État apporte deux précisions importantes sur la distinction à opérer, s’agissant de la date à laquelle il convient de se placer, entre le droit applicable à la régularisation et l’autorité compétente pour approuver cette régularisation. 

Le droit applicable est celui en vigueur au moment où s’est déroulée la procédure ou a été prise la décision entachée du vice régularisable. La compétence pour approuver cette régularisation se détermine au regard des dispositions en vigueur au jour de la décision d’approbation.

(29 juillet 2020, SCI L’Harmas, n° 428158)

 

227 - Permis de construire - Annulation partielle par le juge (art. L. 600-5 c. urb.) — Illégalité viciant l’entier permis - Méconnaissance de son office - Annulation.

Méconnaît son office le tribunal administratif qui, se fondant sur les dispositions de l’art. L. 600-5 du code de l’urbanisme, ne prononce qu’une annulation partielle d’un permis de construire alors que l’illégalité qu’il retient affecte entièrement le permis.

(5 août 2020, M. X. et autres, n° 427553)

 

228 - Permis de construire - Sursis à statuer sur une demande d’urbanisme susceptible d’impacter un futur plan local d’urbanisme (art. L. 15311 c. urb.) — Absence d’atteinte au droit de propriété en raison des limitations imposées par la loi - Absence d’atteinte au droit à recours - Rejet de la demande de renvoi d’une QPC.

(5 août 2020, SCI du Domaine de la Tour, n° 436940) V. n° 193

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Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Juin 2020

Juin 2020

 

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Communication de documents administratifs - Communication de la liste des entreprises franciliennes sanctionnées pour non-respect de l'égalité salariale entre femmes et hommes - Indication des sanctions infligées - Refus - Absence de violation de l’art. 10 de la Convention EDH - Rejet.

Les associations requérantes ont demandé au tribunal administratif d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle la ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes a refusé de leur communiquer la liste des entreprises franciliennes sanctionnées, sur le fondement de l’art. L. 2242-9 du code du travail, pour non-respect de l'égalité salariale entre femmes et hommes, avec l’indication des sanctions infligées.

Leur demande de première instance ayant été rejetée, elles se pourvoient, en vain.

Le Conseil d’État s’appuie dans sa décision de rejet sur les dispositions du code des relations entre le public et l’administration (art. L.311-6 : « Ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs : (...) 3° Faisant apparaître le comportement d'une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice (...) ».) et sur celles de l’art. 10 de la Convention EDH relatives à la liberté d’expression

Il juge que ces dernières, si elles n'accordent pas un droit d'accès à toutes les informations détenues par une autorité publique et n'obligent pas l'État à les communiquer, fondent cependant un droit d'accès à des informations détenues par une autorité publique « lorsque l'accès à ces informations est déterminant pour l'exercice du droit à la liberté d'expression et, en particulier, à la liberté de recevoir et de communiquer des informations, selon la nature des informations demandées, de leur disponibilité, du but poursuivi par le demandeur et de son rôle dans la réception et la communication au public d'informations ».

C’est pourquoi, en ce cas, le refus de fournir les informations demandées constitue une ingérence dans l'exercice du droit à la liberté d'expression qui, selon une jurisprudence traditionnelle de la Cour de Strasbourg, doit, pour être justifiée, avoir été prévue par la loi, poursuivre un des buts légitimes mentionnés à l'article 10 et être strictement nécessaire et proportionnée. Cette solution est importante et l’interprétation sur laquelle elle repose n’allait pas de soi.

Il convenait donc de vérifier si le refus opposé en l’espèce répondait à ces justifications d’autant que les requérantes se prévalaient de ce qu’elles contribuent au débat public en prenant position en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes, ce qui ressortit bien évidemment de la liberté d’expression.

C’est donc sans illégalité que la ministre défenderesse n’a pas accueilli leur demande de communication et que les premiers juges ont refusé d’annuler ce refus.

(3 juin 2020, Association « Pouvoir citoyen » et Association « Les Effronté-e-s », n° 421615)

 

2 - Décret d’application d’une disposition législative (art. L. 1311-1 du code de la santé publique) - Obligation de prendre un « règlement sanitaire national » - Obligation découlant des travaux parlementaires - Abstention irrégulière - Injonction, sans astreinte, de prendre ce décret sous neuf mois.

Les requérants, des particuliers et plusieurs personnes morales, demandaient l’annulation de la décision du ministre des solidarités et de la santé rejetant leur demande tendant à l'adoption d'un règlement sanitaire national par décret en Conseil d'État, en application de l'article L. 1311-1 du code de la santé publique, spécialement en tant que ce refus porte sur l'édiction de mesures nationales relatives à la salubrité des habitations.

Le Conseil d’État juge que si, en principe, l'article L. 1311-1 CSP n'implique la fixation, dans les matières qui relèvent de son champ d'application, de règles générales par décret en Conseil d'État que lorsque la situation l'exige, néanmoins, il résulte des travaux parlementaires préparatoires à la loi de 1986 dont est issu l’art. L. 1311-1, que le pouvoir exécutif devait prendre les décrets d’application dans les matières qu’il énumère, au rang desquelles figure « la salubrité des habitations ».

Constatant la défaillance du premier ministre à prendre dans un délai raisonnable le décret idoine, puisque plus de 34 ans ont passé (!!), injonction lui est faite d’agir sous neuf mois.

(10 juin 2020, M. X. et autres, n° 429957)

 

3 - Enseignement supérieur - Classe préparatoire de lettres - Attribution d'enseignement à un professeur de chaire supérieure - Mesure d'ordre intérieur - Absence - Mesure faisant grief - Rejet.

Une enseignante, titulaire de chaire supérieure de lettres, a demandé au juge des référés la suspension de l'exécution de la décision par laquelle le proviseur du lycée Louis-le-Grand a fixé son service pour l'année scolaire 2019-2020 et de lui enjoindre de la rétablir dans son enseignement de philosophie dans la classe de Khâgne 1, avec un demi-service dans l'enseignement de spécialité. Le juge des référés ayant suspendu l'exécution de cette décision et enjoint le réexamen de la situation de l'intéressée dans un délai de quinze jours suivant la date de notification de l'ordonnance, le ministre se pourvoit, en vain. 

Il contestait que la décision litigieuse fît grief car elle constituait, selon lui, une mesure d'ordre intérieur, contrairement à ce qu'avait jugé le premier juge.

Réfutant cette argumentation, le Conseil d'État, comme le premier juge, estime que dès lors qu'un professeur de chaire supérieure tient des dispositions du décret du 30 mai 1968 le droit d'enseigner sa discipline dans une classe préparatoire de deuxième année de la filière correspondante, la circonstance que les enseignements confiés à l'intéressée par cette décision n'étaient pas des enseignements de philosophie, alors qu'elle est professeur de chaire supérieure en philosophie, faisait grief.

(ord. réf. 29 juin 2020, Ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, n° 434089)

 

4 - Ministre de l'intérieur - Détention de la compétence réglementaire pour fixer les dispositions générales du règlement de sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public - Absence de texte permettant la délégation de cette compétence à la commission centrale de sécurité (cf. art. R.123-29 du code de la construction et de l'habitation) - Délégation irrégulière - Obligation d'abroger les décisions prises sur ce fondement par cette commission - Annulation avec injonction d'abrogation sous un mois.

Le ministre de l'intérieur détient le pouvoir réglementaire pour prendre les dispositions générales du règlement de sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public. En l'espèce, c'est la commission centrale de sécurité (cf. art. R.123-29 du code de la construction et de l'habitation), non le ministre de l'intérieur, qui avait édicté l'instauration du principe d'un contrôle de certaines installations par des organismes agréés. La société requérante demandait au juge d'annuler le refus du ministre d'abroger une réglementation que la commission n'avait pas compétence pour prendre car aucune disposition n'a conféré au ministre de l'intérieur la faculté de déléguer à cette commission le pouvoir réglementaire qui lui est dévolu en cette matière. Le juge fait sien ce raisonnement, annulant le refus d'abroger et faisant injonction au ministre de l'intérieur d'y procéder sous un mois.

(29 juin 2020, Société Inspection Contrôle Événementiel (ICE), n° 430128)

 

5 - Actes susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir - Documents de portée générale - Actes susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou les individus - Cas d’une note de service émanée d’un service du ministère de l’intérieur - Vices pouvant être retenus - Conditions d’accueil au fond des demandes d’annulation - Rejet.

La décision ici rapportée est très importante à la fois par l’extension qu’elle réalise du nombre d’actes administratifs susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir et par la dégradation dans un sens toujours plus subjectif du statut de ce recours à laquelle elle aboutit.

L’association requérante demandait l’annulation pour excès de pouvoir de la note d'actualité de la division de l'expertise en fraude documentaire et à l'identité de la direction centrale de la police aux frontières du 1er décembre 2017 relative aux « fraudes documentaires organisées en Guinée (Conakry) sur les actes d'état civil ».

Se posait la question de la recevabilité d’un tel recours contre un acte de cette nature.

Le Conseil d’État apporte deux séries de « précisions », terme qu’on hésite pourtant à retenir en raison des incertitudes nées du fait de la solution adoptée.

Tout d’abord, est opéré un élargissement de la catégorie des actes relevant de l’excès de pouvoir. Désormais, entrent dans cette catégorie « Les documents de portée générale émanant d'autorités publiques, matérialisés ou non, (…) lorsqu'ils sont susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre. » C'est, au fond, l'achèvement, probablement ultime, d'une évolution inaugurée depuis l'arrêt Crédit foncier de France (1970), poursuivie par la solution Duvignères (2002) et amplifiée par la suite notamment jusqu'aux décisisions Fairvesta et Numericable (2016).

Ceci appelle deux remarques.

La première concerne les actes visés, il faut entendre par là, sans que cette énumération soit limitative, « les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif »

La seconde concerne le sens de l’expression « susceptibles d'avoir des effets notables ». En font partie notamment « ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices ». Donc sont concernées toutes espèces de mesures générales à effet notable dont celles à caractère impératif ou de lignes directrices ainsi que d’autres… à découvrir dans le prochain numéro.

Naturellement ne sont visés dans cette décision et par la solution qu’elle contient car ce n’était pas l’objet de l’espèce, ni les actes réglementaires ni les actes individuels ou à portée individuelle qui continuent à relever, le cas échéant pour les seconds, du régime de l’excès de pouvoir.

Ensuite, est exposé le régime contentieux du recours dirigé contre lesdites mesures générales, à l’exclusion de celles à caractère réglementaire ou à caractère individuel.

La formulation retenue est la suivante « Il appartient au juge d'examiner les vices susceptibles d'affecter la légalité du document en tenant compte de la nature et des caractéristiques de celui-ci ainsi que du pouvoir d'appréciation dont dispose l'autorité dont il émane. Le recours formé à son encontre doit être accueilli notamment s'il fixe une règle nouvelle entachée d'incompétence, si l'interprétation du droit positif qu'il comporte en méconnaît le sens et la portée ou s'il est pris en vue de la mise en œuvre d'une règle contraire à une norme juridique supérieure. »

Ici encore des précisions s’imposent.

1°) On peut penser que rien n’est changé quant au régime contentieux gouvernant jusqu’ici la juridicité des actes réglementaires et de ceux à caractère individuel.

2°) Seuls trois motifs d’annulation de ces « mesures générales » sont énumérés : incompétence de l’auteur de la mesure générale, interprétation erronée du droit positif dont la mesure fait application ou sur lequel elle est fondée, mise en œuvre par cette mesure d’une règle illégale.

Pour le reste, l’utilisation de l’adverbe « notamment » conduit à s’interroger sur le point de savoir, d’une part, quels sont les autres motifs possibles d’annulation et, d’autre part, si les motifs énumérés doivent être considérés comme étant de droit commun - en ce cas d'autres motifs ne seraient invocables qu'exceptionnellement - ou bien comme étant le minimum minimorum du contrôle - et en ce second cas, avec possible utilisation, ad libitum, d'autres motifs -.

Dans cette affaire, la requérante reprochait à la « note d'actualité » contestée d’avoir, sur la base d’une simple présomption d’existence en Guinée d'une fraude sur des actes d'état civil et des jugements supplétifs, préconisé aux agents concernés de formuler un avis défavorable pour toute analyse d'un acte de naissance guinéen. Le Conseil d’État juge recevable, en fonction de sa nouvelle jurisprudence, le recours dirigé contre cette note.

Sur le fond le recours est rejeté, d’une part, car la note litigieuse n’est pas entachée d’incompétence et, d’autre part, car si elle préconise l'émission d'un avis défavorable pour toute analyse d'acte de naissance guinéen, elle n’interdit pas l'examen au cas par cas des demandes et d'y faire droit, le cas échéant, au regard des différentes pièces produites à leur soutien.

(Section, 12 juin 2020, Groupe d'information et de soutien des immigré.e.s (GISTI), n° 418142)

 

6 - Acte faisant grief - Notion - Cas du projet stratégique et opérationnel d'un établissement public d'aménagement - Acte à caractère « exécutoire » - Acte ne faisant pas grief - Rejet.

Le projet stratégique et opérationnel d'un établissement public d'aménagement a pour objet d'établir une programmation des actions, opérations et projets que l'établissement entend mener en fonction des orientations stratégiques définies par l'État, des priorités énoncées dans les documents d'urbanisme et des objectifs de réalisation de logements précisés par les programmes locaux de l'habitat, en précisant les moyens qu'il entend y consacrer.

Selon le juge, il résulte des dispositions alors applicables des art. L. 321-18 à L. 321-28 et R. 321-14 et 321-15 du code de l’urbanisme que l'approbation de ce projet stratégique et opérationnel, d’une part, ne présente aucun caractère règlementaire et d’autre part, n'a ni pour objet, ni pour effet d'autoriser les opérations d'aménagement qu'il prend en compte, ni d'en valider les modalités de réalisation tant d'un point de vue technique que financier. Par suite, un tel projet n'emporte aucun effet pour les tiers à l'établissement public.

Si la transmission de ce document au préfet, en sa double qualité de représentant de l’État et d’autorité de tutelle, lui permet de devenir « exécutoire » (cf. art. L. 321-20 et R. 321-15 c. urb.), cette seule circonstance ne suffit pas à lui conférer le caractère d'un acte faisant grief.

Le recours est donc rejeté pour irrecevabilité.

(3 juin 2020, Association Collectif associatif 06 pour des réalisations écologiques (CAPRE 06), n° 423502)

 

7 - Acte insusceptible de recours - Refus du Défenseur des droits de faire usage de ses pouvoirs - Recours dirigé contre ce refus - Rejet du recours comme étant manifestement irrecevable sans communication préalable du mémoire opposant cette irrecevabilité - Irrégularité - Cassation mais reprise de la solution au fond.

Rappel de ce que le refus du Défenseur des droits de faire usage des pouvoirs qu'il tient de la loi organique du 29 mars 2011 ne constitue pas une décision faisant grief susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.

(10 juin 2020, M. X., n° 427806) V. également sur cette décision le n° 41

 

8 - Motivation des décisions - Motivation du refus d’une autorisation - Absence de motivation de l’abrogation d’une décision unilatérale délivrée à titre précaire et révocable - Autorisation d’occupation d’un emplacement dans un port de plaisance - Annulation et rejet.

Était contesté par la commune requérante le jugement rejetant sa demande, fondée sur l’art. L. 521-3 CJA, d’expulsion du propriétaire d’un bateau occupant dans des conditions irrégulières un emplacement du domaine public portuaire de la commune. Ce rejet était fondé sur l’existence d’une contestation sérieuse résultant de l’absence de motivation de la décision de la commune.

L’obligation de motivation des décisions individuelles défavorables instituée à l’article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration s’applique notamment aux décisions qui : « 4° Retirent ou abrogent une décision créatrice de droits » ou qui : «  Refusent une autorisation (…) ».

En l’espèce, il ne s’agissait véritablement ni de l’un ni de l’autre cas mais d’une certaine combinaison des deux, d’où l’intérêt de la solution retenue.

Si la décision par laquelle l'autorité gestionnaire du domaine public rejette une demande de délivrance d'une autorisation unilatérale d'occupation du domaine public constitue un refus d'autorisation au sens du 7° de l'article L. 211-2 précité et doit par suite être motivée (en ce sens : 21 octobre 1994, Aéroports de Paris, n° 139970 ; Société des agents convoyeurs de sécurité et de transports de fonds, n° 140056, jonction), en revanche, la décision par laquelle elle met fin à une autorisation unilatérale d'occupation du domaine public, délivrée à titre précaire et révocable, notamment la décision de ne pas renouveler, à la prochaine échéance, une autorisation tacitement renouvelable constitue une abrogation de cette autorisation.

Or il résulte du 4° de l'article L. 211-2 précité que ne doit être obligatoirement motivée que l’abrogation d'une décision créatrice de droits au profit de son bénéficiaire.

Ce n’était pas le cas en l’espèce, d’où la cassation, sans renvoi, du jugement querellé et l’injonction du juge au propriétaire du bateau de libérer les lieux sans délai, sous astreinte après quinzaine écoulée.

(9 juin 2020, Commune de Saint-Pierre-de-la-Réunion, n° 434113)

(9) V. aussi, du même jour, en tous points semblables : Commune de Saint-Pierre-de-la-Réunion, n° 434114 ; Commune de Saint-Pierre-de-la-Réunion, n° 434115 ; Commune de Saint-Pierre-de-la-Réunion, n° 434117. 

10 - Motivation des décisions - Décision préfectorale refusant à l’employé d’une société l’autorisation d’accéder à la zone de sûreté d’un aérodrome - Décision devant être motivée - Absence de motivation - Illégalité - Rejet.

Doit être motivée, par application des dispositions du 7° de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration (CRPA), la décision par laquelle le préfet refuse, sur le fondement de l'article R. 213-3-1 du code de l'aviation civile, de délivrer ou de renouveler l'habilitation prévue à l'article L. 6342-3 du code des transports, permettant l'accès à la zone de sûreté d'un aérodrome, car elle constitue un refus d'autorisation.

Il n’en irait autrement que s’il était invoqué que la communication des motifs de ce refus serait de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par la loi.  

Tel n’était pas le cas en l’espèce, d’où la confirmation de l’annulation du refus préfectoral.

(10 juin 2020, Ministre de l’intérieur, n° 425593)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques

 

11 - Fréquences radio-électriques - Demande de déploiement d’un réseau très haut débit radio - Refus de l’ARCEP d’autoriser l’utilisation des fréquences de la bande 3410-3460 MHz - Rejet.

La société requérante demande l’annulation pour excès de pouvoir de la décision du 21 décembre 2018 par laquelle l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) a rejeté sa demande d'autorisation d'utiliser les fréquences de la bande 3410-3460 MHz afin de déployer un réseau très haut débit radio dans 213 communes du département de la Seine-Maritime.

Le recours est rejeté car aucun des arguments apportés à son soutien ne convainc le juge.

La décision contestée ne contrevient pas au principe de neutralité technologique car si ce principe  peut être invoqué à l’encontre de la décision qui restreint l'usage de la bande 3410-3460 MHz en France métropolitaine à la fourniture de services d'accès fixe, il ne saurait, en revanche, être utilement invoqué pour contester la décision en litige, eu égard à son objet qui refuse à la société requérante, pour la Seine-Maritime, l'attribution de fréquences qui ont été dévolues au très haut débit radio. Pas davantage ne saurait être invoqué, par voie d’exception, à l’encontre de cette décision, l’existence d’une discrimination entre opérateurs, cette décision poursuivant un objectif d'intérêt général d'aménagement numérique du territoire, et restreignant l'utilisation des fréquences de la bande 3410-3460 MHz de manière adaptée, nécessaire et proportionnée à l'objectif poursuivi. Enfin, ne sauraient être retenus à l’encontre de la décision querellée des propos du président de la république encourageant la construction de 3 à 5 millions de prises radio, ceux-ci étant dépourvus d'incidence sur la légalité de la décision attaquée.

(10 juin 2020, Société Weaccess, n° 427248)

 

12 - Règlement général sur la protection des données (RGPD) - Règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016 - Traitement de données numériques à caractère personnel - Protection des personnes physiques - Sanction infligée par la CNIL à un opérateur en infraction - Interprétation de dispositions du droit de l’Union - Actes clairs - Refus de renvois préjudiciels - Rejet.

La société requérante contestait la sanction de cinquante millions d’euros qui lui a été infligée par la CNIL pour violations du RGPD et demandait le renvoi préjudiciel de deux séries de questions à la CJUE. L’ensemble de ses demandes est rejeté.

Tout d’abord, indiquons, pour n’avoir plus à y revenir, que in fine sera rejetée la demande d’annulation de la sanction pécuniaire, assez modeste au regard du chiffre d’affaires de sa débitrice.

Ensuite, le juge constate que les dispositions du RGPD en cause sont claires et ne donnent pas lieu à interprétation, ce qui aurait nécessité un renvoi à la Cour de Luxembourg. Le Conseil d’État livre, en conséquence, son analyse du texte la faisant surtout porter, puisque c’était là l’essentiel du litige, sur la notion de consentement et sur les conditions du recueil de celui-ci. Ceci permet de faire ressortir le caractère répréhensible du comportement sanctionné.

Le juge examine successivement le sens et la portée des art. 12 et 13 du règlement européen du 27 avril 2016, puis ceux de l’article 4, combiné, d’une part, avec ses art. 6 et 7 et, d’autre part, avec ses art. 16, 55 et 56.

Les art. 12 et 13 posent un cadre général dont la philosophie est que l'information fournie aux utilisateurs doit les mettre en mesure de déterminer à l'avance la portée et les conséquences du traitement afin d'éviter qu'ils soient pris au dépourvu quant à la façon dont leurs données à caractère personnel ont vocation à être utilisées. Sans être très détaillés, doivent être donnés à l’utilisateur, de façon aisément accessible, tous les éléments pertinents relatifs aux différentes finalités et à l'ampleur du traitement.

L'art. 4 (point 11) et les articles 6 et 7 du RGPD combinés avec lui ont été interprétés par la CJUE (Grande Chambre, 1er octobre 2019, Bundesverband der Verbraucherzentralen und Verbraucherverbände - Verbraucherzentrale Bundesverband eV c/ Planet49 GmbH, aff. C-673/17) comme imposant pour qu’un consentement soit libre, spécifique, éclairé et univoque, que ce consentement soit donné expressément par   l'utilisateur, donné en toute connaissance de cause et après une information adéquate sur l'usage qui sera fait de ses données personnelles. De là le Conseil d’État déduit : 1° qu’un consentement donné au moyen d'une case cochée par défaut n'implique pas un comportement actif de la part de l'utilisateur et ne peut dès lors être considéré comme procédant d'un acte positif clair permettant valablement le recueil du consentement ;

2° qu’un consentement recueilli dans le cadre de l'acceptation globale de conditions générales d'utilisation d'un service ne revêt pas un caractère spécifique au sens du RGPD ;

3° que le consentement n'est valide que s'il est précédé d'une présentation claire et distincte de l'ensemble des finalités poursuivies par le traitement. Cette dernière condition s’apprécie indépendamment des modalités techniques d’expression du consentement.

Enfin, il découle de l’art. 4 (point 7), combiné avec les art. 16, 55 et 56 du RGPD, qu’il est essentiel de déterminer le détenteur du pouvoir de contrôle dans l'établissement principal dans l'Union, responsable du traitement des données qui, en tant qu'autorité chef de file, est compétent pour contrôler le respect des exigences du RGPD. C’était là un argument « fort » de Google devant le juge administratif, car il s’appuyait sur une localisation irlandaise.

Dans le domaine du traitement transfrontalier des données, deux situations se présentent : soit ce traitement transfrontalier a lieu à l’intérieur de l’Union européenne soit il est mis en œuvre sur le territoire de l’Union mais par un responsable de traitement lui-même implanté en dehors de l’Union.

Dans le premier cas, pour déterminer l'autorité de contrôle compétente, c’est l'administration centrale du responsable du traitement, c'est-à-dire le lieu de son siège réel, qui doit en principe être regardée comme son établissement principal. Cependant, relève le juge, cette solution doit être écartée dans le cas où un autre de ses établissements est compétent pour prendre les décisions relatives aux finalités et aux moyens du traitement et dispose du pouvoir de les faire appliquer à l'échelle de l'Union.

Dans le second cas, où un responsable de traitement implanté en dehors de l'Union européenne met en œuvre un traitement transfrontalier sur le territoire de l'Union, mais n'y dispose ni d'administration centrale, ni d'établissement doté d'un pouvoir décisionnel quant à ses finalités et à ses moyens, le mécanisme de l'autorité chef de file prévu à l'article 56 du RGPD ne peut être mis en œuvre. C’est donc, alors, chaque autorité de contrôle nationale qui est compétente pour contrôler le respect du RGPD sur le territoire de l'État membre dont elle relève, conformément à l'article 55 précité.

Dès lors, l’infraction de Google est certaine et sa connaissance comme sa sanction relèvent, lorsqu’elle concerne des données recueillies en France, des autorités nationales de cet État.

(19 juin 2020, Société Google LLC, n° 430810)

(13) On lira aussi, portant sur plusieurs questions voisines et reprenant plusieurs des solutions ci-dessus : 19 juin 2020, Association des agences-conseils en communication et autres, n° 434684.

 

14 - Covid-19 - Commune - Installation de caméras thermiques, fixe dans un batiment municipal et mobiles à l'entrée d'écoles - Prise automatique de température corporelle - Signalisation en cas de température excessive - Traitement de données à caractère personnel permettant leur saisie - Connaissance de données personnelles de santé - Atteinte, par les caméras mobiles, à des libertés fondamentales (respect de la vie privée et liberté d'aller et de venir) - Urgence établie - Annulation de l'ordonnance de référé en ce qui concerne les caméras mobiles des écoles.

Une commune a installé des caméras thermiques destinées à mesurer la température corporelle des personnes afin de les informer d'éventuelles contaminations par le virus Covid-19. L'organisme requérant, dont l'action en référé liberté a été rejetée en première instance, interjette appel de celle-ci en Conseil d'État.

Pour déterminer si ce procédé est susceptible de constituer un recueil de données personnelles dans des conditions irrégulières, portant par là atteinte à des libertés fondamentales, le juge pratique une distinction.

La caméra fixe placée dans un bâtiment communal se déclenche librement par la personne qui, se mettant dans son axe, souhaite que soit prise sa température : il n'y a aucune manipulation humaine non plus qu'aucun enregistrement du résultat qui, au demeurant, est anonyme. Elle n'est donc pas un "traitement" de données personnelles et ne porte ainsi pas atteinte à des libertés fondamentales.

Tout autre est la situation des caméras mobiles, manipulées par des agents municipaux, destinées à la prise de température des élèves à divers moments de la journée, avec identification de ceux des élèves positifs à une température excessive, les parents étant immédiatement avisés d'avoir à conduire leurs enfants à leur domicile. Ceci est un vrai traitement de données personnelles de santé (au sens et pour l'application de l'art. 4 du RGPD), en tant qu'il les collecte et qu'il identifie les personnes concernées. Or il ne respecte pas les conditions légales d'un traitement de données personnelles de santé telles que prévues au g) sous 2. de l'article 9 du RGPD ainsi que, s'agissant d'une politique de santé, les conditions prévues au h) sous 2. de l'article 9 du RGPD, c'est-à-dire d'une part la nécessité du traitement au regard d'une politique de santé et d'autre part l'existence d'une base légale à cet effet. Enfin, fait encore défaut le respect de la condition prévue au 3. du même article 9, à savoir l'exigence que la manipulation de ces données soit réalisée par des professionnels de santé tenus au secret médical.

C'est donc à tort que les premiers juges ont rejeté la demande de la personne morale requérante alors qu'il était porté atteinte aux libertés fondamentales que constituent le respect de la vie privée et de la liberté d'aller et de venir.

(ord. réf. 26 juin 2020, Ligue des droits de l'Homme, n° 441065)

 

Biens

 

15 - Motivation des décisions - Motivation du refus d’une autorisation - Absence de motivation de l’abrogation d’une décision unilatérale délivrée à titre précaire et révocable - Autorisation d’occupation d’un emplacement dans un port de plaisance - Annulation et rejet.

(9 juin 2020, Commune de Saint-Pierre-de-la-Réunion, n° 434113) V. n° 8

 

16 - Domaine public fluvial - Notion de cours d'eau - Cas de l'Erdre - Ordonnance royale du 10 juillet 1835 - Délimitation du domaine public - Compétence - Mode de délimitation - Rejet.

Étaient contestés à la fois le principe même de la délimitation du domaine public fluvial de l'Erdre et les modalités retenues pour ce faire.

Le Conseil d'État rappelle d'abord que le président du conseil départemental est compétent pour délimiter le domaine public fluvial du département sur le fondement de l'art. R. 2111-15 du CGPPP.

Il indique ensuite que, contrairement à ce que soutenaient les demandeurs, l'Erdre fait partie du domaine public fluvial naturel car cette rivière - dont François Ier aimait à dire qu'elle était "la plus belle rivière de (son) Royaume" - figure, dans sa partie allant de Niort à l'embouchure de la Loire, au tableau annexé à l'ordonnance du 10 juillet 1835 auquel renvoie l'art. 67 de la loi du 26 décembre 1908 portant fixation des recettes et des dépenses de l'exercice 1909. Le 1° de cet article dispose que "Les cours d'eau, portions de cours d'eau et canaux ainsi définis ne pourront être distraits du domaine public qu'en vertu d'une loi".

Egalement, l'administration n'a pas commis d'irréguralité en appliquant, pour la détermination du plenissimum flumen, la méthode consistant à fixer le point le plus bas des berges du cours d'eau pour chaque section de même régime hydraulique, sans prendre en compte les points qui, en raison de la configuration du sol ou de la disposition des lieux, doivent être regardés comme des points exceptionnels à négliger pour le travail d'ensemble de la délimitation, puis, en faisant passer par le point le plus bas ainsi déterminé, un plan incliné de l'amont vers l'aval parallèlement à la surface du niveau des hautes eaux observé directement sur les lieux et, enfin, en fixant la limite du domaine public fluvial à l'intersection de ce plan avec les deux rives du cours d'eau. 

Enfin la cour n'a pas commis d'erreur de droit en retenant pour la partie du linéaire caractérisée par la présence de talus ou de francs bords, la limite physique de la berge et, s'agissant des zones dans lesquelles cette limite n'était pas identifiable en raison des caractéristiques physiques de la berge, en fixant cette limite à la cote de 4,60 mètres NGF-IGN 69, laquelle correspond au niveau de l'Erdre lors des crues hivernales dépourvues de caractère exceptionnel. 

(29 juin 2020, M. et Mme X. et autres, n° 426945)

(17) V. aussi, très largement comparable : 29 juin 2020, Société Les Enfas, n° 426954

 

18 - Droit de préemption - Régime applicable à Paris, Lyon et Marseille - Obligation d’informer le maire d’arrondissement des déclarations d’intention d’aliéner et des suites données à celles-ci - Absence de consultation préalable pour avis - Rejet.

(10 juin 2020, Société France Immo, n° 428072). V. n° 25

 

19 - Domaine public - Droits de voirie applicables à Paris aux commerces hôteliers - Droits principaux et droits additionnels - Obligation, pour les premiers, d'une appréciation de l'avantage retiré par les commerçants de leur occupation du domaine public - Annulation partielle.

L'union requérante poursuivait l'annulation de l'arrêté municipal portant, à Paris, fixation des tarifs applicables aux droits de voirie à compter du 1er janvier 2016, en tant, notamment, qu'il relève les tarifs des droits de voirie et fixe des droits de voirie additionnels, à la fois annuels et indivisibles, pour l'installation dans les terrasses ouvertes de tout mode de chauffage ou de climatisation et d'écrans parallèles rigides. 

Le recours est rejeté en tous ses griefs s'agissant des droits de voirie additionnels, le Conseil d'État adoptant la solution retenue par le juge d'appel.

En revanche, le recours est accueilli en tant qu'il porte sur les droits de voirie car le juge de cassation reproche aux juges du fond de n'avoir pas recherché si, eu égard aux avantages de toute nature que le titulaire de l'autorisation est susceptible de retirer de l'usage privatif du domaine public, la fixation du nouveau montant de la redevance avait ou non atteint un niveau manifestement disproportionné au regard de ces avantages.

(29 juin 2020, Union des métiers et des industries de l'hôtellerie Paris Ile-de-France (UMIH Paris IDF), n° 432453)

 

20 - Domaine public maritime - Servitude de passage longitudinale pour piétons - Projet de modification de son tracé ou de ses caractéristiques - Obligation de motivation dans le cadre du dossier d'enquête publique - Suspension de la servitude pour la conservation d'un site ou la stabilité des sols - Conditions - Cassation avec renvoi pour l'essentiel.

Commet une double erreur de droit la cour administrative d'appel qui, d'une part, écarte le moyen tiré de ce que le dossier soumis à enquête publique en vue de la modification d'une servitude de passage longitudinale pour piétons avait été constitué en méconnaissance de l'art. R. 160-14 du code de l'urbanisme, juge que le respect de ces dispositions n'imposait pas que le dossier indique la localisation et la nature des obstacles en cause et, d'autre part, juge que le motif d'atteinte à la stabilité du terrain d'assiette de cette servitude suffit à justifier l'arrêté suspendant cette servitude alors qu'il résulte de l'art. L. 160-6, b) et de l'art. R. 160-12, e) du code précité que la suspension de la servitude de passage sur certaines portions du littoral ne saurait être qu'exceptionnelle et que l'administration ne peut légalement décider cette suspension que si elle justifie que la stabilité des sols ne peut être assurée ni par la définition de la servitude dans les conditions prévues par l'article R. 160-8 du code, ni par une modification de son tracé ou de ses caractéristiques dans les conditions et limites prévues par la loi, et que la garantie de la conservation d'un site à protéger pour des raisons d'ordre écologique ou archéologique, ou, dans l'intérêt tant de la sécurité publique que de la préservation des équilibres naturels et écologiques ne peut être assurée, même après la réalisation des travaux qu'implique la mise en état du site pour assurer le libre passage et la sécurité des piétons mentionnés à l'article R. 160-25 du code.  

(29 juin 2020, Syndicat des copropriétaires de La Campanella, n° 433682 ;   M. X. Letulle et autres, n° 433665)

(21) V. aussi, très voisins : 29 juin 2020, SCI "Les Mouettes du Bois Marin" et autres, n° 433697 et n° 434118, deux espèces non jointes.

22 - Droit réel immobilier - Transmission - Moulin fondé en titre - Contestation - Décès du contestant - Reprise de l’action par la succession et le nouvel acquéreur du moulin - Rejet pour irrecevabilité - Annulation.

Doit être cassé l’arrêt d’appel qui déclare irrecevable la reprise de l’action contentieuse par le nouvel acquéreur d’un moulin fondé en titre, par suite du décès de son prédécesseur initiateur de cette action.

En effet, il résulte des dispositions de l’art. 1675 du Code civil que, le droit à l'usage de l'eau attaché à un moulin fondé en titre étant un droit réel immobilier, ce droit, en cas de vente du moulin, est normalement transmis à l'acquéreur qui est en conséquence fondé à reprendre l'instance introduite par le vendeur relativement à l'existence de ce droit.

En cas de décès du propriétaire initial ayant introduit l'instance, la reprise de celle-ci par le nouveau propriétaire est toujours possible dans le respect des règles du CJA relatives à la reprise d’instance.

(17 juin 2020, M. X. venant aux droits de M. Y., n° 426887)

 

 23 - Documents d’archives publiques - Loi du 15 juillet 2008 (art. L. 213-2 et suiv. code du patrimoine) - Documents émanant du président de la république, du premier ministre et des autres membres du gouvernement - Régime de communication anticipée au public - Existence d’un protocole d’accès - Protocoles conclus avant ou après la loi du 15 juillet 2008 - Régimes différenciés de communication - Rôle du mandataire désigné dans le protocole - Caractère plein et entier du contrôle du juge sur le refus d’autoriser une communication anticipée - Contrôle de proportionnalité - Cassation - Communication ordonnée.

 L'article L. 213-4 du code du patrimoine, dans la version qui lui a été donnée par la loi du 15 juillet 2008, dispose : « Le versement des documents d'archives publiques émanant du Président de la République, du Premier ministre et des autres membres du Gouvernement peut être assorti de la signature entre la partie versante et l'administration des archives d'un protocole relatif aux conditions de traitement, de conservation, de valorisation ou de communication du fonds versé, pendant la durée des délais prévus à l'article L. 213-2. Les stipulations de ce protocole peuvent également s'appliquer aux documents d'archives publiques émanant des collaborateurs personnels de l'autorité signataire.

Pour l'application de l'article L. 213-3, l'accord de la partie versante requis pour autoriser la consultation ou l'ouverture anticipée du fonds est donné par le signataire du protocole.

Le protocole cesse de plein droit d'avoir effet en cas de décès du signataire et, en tout état de cause, à la date d'expiration des délais prévus à l'article L. 213-2.

Les documents d'archives publiques versés antérieurement à la publication de la loi n° 2008-696 du 15 juillet 2008 relative aux archives demeurent régis par les protocoles alors signés. Toutefois, les clauses de ces protocoles relatives au mandataire désigné par l'autorité signataire cessent d'être applicables vingt-cinq ans après le décès du signataire. ».

Ces dans ces conditions que le demandeur, déjà auteur de deux ouvrages consacrés au rôle de la France au Rwanda relatant les événements liés au génocide perpétré en 1994, a sollicité l’accès à un certain nombre de documents figurant dans les archives déposées par le président Mitterrand en vue de la préparation d'un ouvrage consacré à la « politique africaine du président François Mitterrand en Afrique centrale (1981-1995) ». Ayant essuyé deux refus, il a, à deux reprises, saisi le juge administratif. En premier lieu, il a demandé au tribunal administratif d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née deux mois après l'enregistrement par la commission d'accès aux documents administratifs, de sa demande de consultation anticipée de certaines archives du Président François Mitterrand et d'enjoindre à la ministre de la culture et de la communication de lui communiquer les éléments sollicités dans sa demande du 14 juillet 2015. Le tribunal administratif a prononcé un non-lieu à statuer concernant le refus de communication des documents dont l'accès a finalement été autorisé par une décision du ministère de la culture et a rejeté, pour le surplus, ses demandes. Le requérant s’est pourvu en Conseil d’État. En second lieu, M. X. a demandé au tribunal administratif d'annuler pour excès de pouvoir la décision par laquelle la ministre de la culture a rejeté sa demande de consultation anticipée de certaines archives du Président François Mitterrand et d'enjoindre à celle-ci de lui communiquer les éléments sollicités dans sa demande du 14 juillet 2015. Le rejet de ses demandes par le tribunal le conduit à une seconde saisine du Conseil d’État. Les deux affaires ont été jointes.

Le juge rappelle qu’en adoptant les dispositions des art. L. 213-2, 3 et 4 du code du patrimoine qui régissent, d'une part, les protocoles de remise des archives publiques émanant du président de la république, du premier ministre et des autres membres du gouvernement signés postérieurement à la publication de la loi du 15 juillet 2008 et, d'autre part, les protocoles signés antérieurement à la publication de cette loi, le législateur a entendu favoriser la conservation et le versement de ces documents en leur accordant une protection particulière. S’ensuit alors la description de la balance à opérer entre les divers intérêts en cause, d’où cette affirmation : « Ces dispositions doivent être, d'une part, interprétées conformément à l'article 15 de la Déclaration du 26 août 1789 qui garantit, ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 15 septembre 2017, le droit d'accès aux documents d'archives publiques et, d'autre part, appliquées à la lumière des exigences attachées au respect de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatif à la liberté d'expression duquel peut résulter, à certaines conditions, un droit d'accès à des informations détenues par l'État. » Naturellement, quelle que soit la date de signature du protocole, antérieure ou postérieure au 15 juillet 2008, « l'autorisation de consultation anticipée des documents d'archives publiques est accordée aux personnes qui en font la demande dans la mesure où l'intérêt qui s'attache à la consultation de ces documents ne conduit pas à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger, en particulier le secret des délibérations du pouvoir exécutif, la conduite des relations extérieures et les intérêts fondamentaux de l'État dans la conduite de la politique extérieure. »

Si la décision a été rendue en Assemblée c’est en raison du pouvoir considérable que se reconnaît ici le juge de l’excès de pouvoir - à travers le contrôle de proportionnalité - puisqu’il lui appartient « saisi de moyens en ce sens, de contrôler la régularité et le bien-fondé d'une décision de refus de consultation anticipée du ministre de la culture, prise sur avis conforme du signataire du protocole ou de son mandataire. Il lui revient, en particulier, d'exercer un entier contrôle sur l'appréciation portée, dans le cadre de la mise en œuvre des dispositions du dernier alinéa de l'article L. 213-4 du code du patrimoine, sur la proportionnalité de la limitation qu'apporte à l'exercice du droit d'accès aux documents d'archives publiques le refus opposé à une demande de consultation anticipée, par dérogation au délai fixé par le protocole. »

C’est d’ailleurs en raison de cette nécessité que, par exception, malgré sa qualité de juge de l’excès de pouvoir en cette matière, il apprécie la légalité du refus administratif non à la date de son édiction mais à celle à laquelle il statue, ceci « eu égard à la nature des droits en cause et à la nécessité de prendre en compte l'écoulement du temps et l'évolution des circonstances de droit et de fait afin de conférer un effet pleinement utile à son intervention ».

C’est en raison de ces conditions procédurales d’origine purement prétorienne qu’il rejette l’argument d’inconventionnalité des dispositions législatives en cause avancé par le demandeur. En effet, de ce fait, les dispositions du dernier alinéa de l'article L. 213-4 du code du patrimoine ne peuvent être regardées comme méconnaissant l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou l'article 13 de la même convention relatif au droit au recours effectif.

Enfin, pour faire bonne mesure, le Conseil d’État ajoute encore que le contrôle exercé par le juge de cassation ici porte sur la qualification juridique des faits.

Il se déduit donc de ce qui précède que, dans le contrôle qu'il a exercé sur les refus contestés devant lui, le tribunal administratif a commis une erreur de droit car il s'est borné à rechercher si les décisions litigieuses n'étaient pas entachées d'erreur manifeste d'appréciation alors qu'il lui appartenait d'exercer, pour assurer le respect de la liberté d'expression et du droit au recours effectif que requiert le contrôle du respect de cette liberté, un entier contrôle sur la proportionnalité du refus d'autoriser une consultation anticipée.

Appliquant enfin cette longue analyse théorique aux faits de l’espèce, le juge de cassation conclut qu’ « Au terme de la mise en balance des intérêts en présence, il apparaît, à la date de la présente décision, que l'intérêt légitime du demandeur est de nature à justifier, sans que soit portée une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger, l'accès aux archives litigieuses. Il s'ensuit que les refus opposés aux demandes de M. X. sont entachés d'illégalité. »

(Assemblée, 12 juin 2020, M. X., n° 422327 et 431026, jonction)

 

24 - Exercice du droit de préemption - Action de l'acquéreur évincé - Présomption d'urgence - Exceptions à cette présomption - Renonciation du propriétaire du bien à son aliénation - Cessation de la présomption d'urgence - Délai de paiement du prix d'acquisition - Non-respect par la collectivité publique préemptrice - Conséquences - Annulation de l'ordonnance et rejet du recours.

Cette intéressante décision revisite un certain nombre de questions juridiques relatives à l'exercice du droit de préemption et y apporte parfois des réponses nouvelles ou innovantes.

Au plan procédural, en raison des effets d'une décision de préemption pour l'acquéreur évincé, la condition d'urgence, au sens et pour l'application de l'art. L. 521-1 CJA doit en principe être regardée comme remplie, lorsque sa suspension est demandée. Il n'en va autrement que dans le cas où existeraient des circonstances particulières invoquées par le titulaire du droit de préemption, comme par exemple, en l'espèce, le besoin de l'intervention rapide de mesures de protection de milieux naturels fragiles en cas d'exercice du droit de préemption sur des biens situés dans les espaces naturels sensibles.

Au fond, la renonciation par le propriétaire d'un bien à son aliénation par suite de la réception de la décision de préemption à un prix inférieur à celui qui figure dans la déclaration d'intention d'aliéner, fait obstacle à ce que le titulaire du droit de préemption en poursuive l'acquisition tout comme à que cette acquisition soit menée à son terme au profit de l'acquéreur évincé. Dans cette hypothèse, l'urgence cesse, le cas échéant, d'exister au profit de l'acquéreur évincé sauf circonstances tenant à la nécessité pour lui de réaliser à très brève échéance le projet qu'il envisage sur les parcelles considérées.

Enfin, la méconnaissance du délai de quatre mois (cf. art. L. 213-14 c. urb.) pour payer ou consigner le prix d'acquisition entraîne la caducité de la décision de préemption, dont le titulaire du droit de préemption ne peut plus poursuivre l'exécution, ce qui permet au vendeur d'aliéner librement son bien, entraînant par là la cessation de l'urgence éventuelle.

(29 juin 2020, SCI Eaux douces, n° 435502)

 

Collectivités territoriales

 

25 - Droit de préemption - Régime applicable à Paris, Marseille et Lyon - Obligation d’informer le maire d’arrondissement des déclarations d’intention d’aliéner et des suites données à celles-ci - Absence de consultation préalable pour avis - Rejet.

Les dispositions de l’art. L. 2511-30 du CGCT, qui ne sont applicables qu’à Paris, Marseille et Lyon, prévoient que le maire d'arrondissement soit préalablement consulté pour avis seulement sur les projets d'acquisition ou d'aliénation d'immeubles ou de droits immobiliers réalisées par la commune dans l'arrondissement.

En revanche, s'agissant des procédures de préemption, ces dispositions n’obligent qu’à tenir le maire d'arrondissement informé, d’une part, des déclarations d'intention d'aliéner des biens situés dans cet arrondissement et d’autre part, chaque mois, des suites qui leur ont été réservées.

En l’espèce, c’est sans erreur de droit que la cour administrative d’appel a jugé que le maire du vingtième arrondissement devait seulement être informé de la déclaration d'intention d'aliéner que la ville de Paris avait reçue et non invité à émettre un avis sur le projet d'acquisition de l'immeuble en cause par voie de préemption.

(10 juin 2020, Société France Immo, n° 428072)

 

Contentieux

 

26 - Réfugiés et apatrides - Procédure devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) - Hypothèses de jugement par un seul magistrat - Procédure accélérée - Contrôle restreint du juge de cassation - Rejet.

La requérante qui contestait une décision de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) devant la CNDA, se plaignait de ce que sa situation personnelle n'était pas compatible avec un examen de sa demande d'asile en procédure accélérée comme ce fut le cas en l’espèce.

Le juge de cassation rappelle que le recours à la procédure accélérée, qui fait intervenir un magistrat statuant seul, est toujours possible lorsque ne se justifie pas l’intervention d’une formation collégiale (cf. art. L.731-2 CESEDA). Par ailleurs, le juge unique peut toujours décider de renvoyer l'affaire à une formation collégiale notamment lorsqu'il estime que la demande d'asile ne relève pas de la procédure accélérée, en particulier en raison de la vulnérabilité du demandeur, ou soulève une difficulté sérieuse.

Il rappelle qu’il ne saurait sanctionner que les cas de recours abusif à cette procédure.

En l’espèce, compte tenu de l’argumentation présentée par l’intéressée, l’utilisation de la procédure à magistrat unique n’a rien eu d’abusif.

(3 juin 2020, Mme X., n° 421888)

 

27 - Covid-19 - Demande d’inscription des infractions aux « gestes barrières » dans un fichier national - Refus portant atteinte au droit à la vie et au droit à la protection de la santé - Rejet.

Le requérant prétendait illégal le refus de la directrice des affaires criminelles et des grâces d'inscrire l'infraction correspondant au non-respect des « gestes barrières » dans la base de données nationale des infractions (NATINF) et demandait en conséquence au juge du référé liberté du Conseil d’État de lui donner injonction en ce sens.

Sera-t-on vraiment surpris du rejet de cette requête, faute que soit démontrée une urgence particulière à statuer sur celle-ci ?

(ord. réf. 3 juin 2020, M. X., n° 440902)

 

28 - Juridiction des référés - Juridiction du provisoire - Référé suspension - Injonction devant elle-même être provisoire - Suspension sans effet rétroactif - Cassation sans renvoi.

Rappel de ce que, d'une part, la suspension d'une décision sur référé n'a pas, à la différence d'une annulation sur recours pour excès de pouvoir, de caractère rétroactif, et d'autre part, le caractère provisoire de la juridiction de référé impose que les mesures ordonnées par voie d'injonction dans le cadre d'un tel référé aient elles aussi un caractère provisoire.

(29 juin 2020, Université des Antilles, n° 432029)

 

29 - Pension militaire de retraite versée à une ayant-cause - Demande de décristallisation - Délai de recours contre des décisions implicites prises dans une matière de plein contentieux - Entrée en vigueur et application du décret du 2 novembre 2016 - Annulation avec renvoi au tribunal administratif.

Un litige en contestation de décisions implicites prises en matière de décristallisation de la pension militaire de retraite versée à une ayant-cause conduit le Conseil d’État à préciser à nouveau le régime du délai de recours contre les décisions implicites portant sur des matières relevant de la pleine juridiction ou plein contentieux.

Alors que, en ces matières, seule une décision explicite pouvait lier le contentieux et qu’une décision implicite ne le liait pas (cf. ancien art. R. 421-3, 1° CJA), permettant au délai de recours de courir indéfiniment, sauf application - brinquebalante ces dernières années - de la théorie de la connaissance acquise, le décret du 2 novembre 2016 a supprimé cette seconde branche de l’alternative.

Implicite ou pas, la décision, lorsque son sens est négatif, doit être attaquée dans le délai de deux mois francs. Cette règle nouvelle est entrée en vigueur le 1er janvier 2017.

Pour celles des décisions implicites constituées avant le 1er janvier 2017, le délai de recours a expiré en principe le 2 mars 2017.

Toutefois, il demeure, d’une part, (art. L. 112-3, L : 112-6 et R. 112-5 du CRPA) que les délais de recours contre une décision implicite de rejet ne sont pas opposables à l'auteur d'une demande lorsque l'accusé de réception prévu par ce code ne lui a pas été transmis ou que celui-ci ne comporte pas les mentions prévues par ce code, notamment celles relatives aux voies et délais de recours et, d’autre part, que persiste l’exception de connaissance acquise, lorsque cette connaissance est établie. Il s’ensuit que dans le cas où font défaut les accusés de réception ou mentions précitées mais où l’intéressé a acquis connaissance certaine de la décision implicite, celui-ci, dans un souci de sécurité juridique, dispose d'un délai raisonnable d’un an (sauf circonstances particulières invoquées par le requérant) pour saisir le juge d’un recours contre la décision implicite litigieuse par application de : Assemblée, 13 juillet 2016, Czabaj, n° 387763.

Appliquée au cas des décisions implicites de forme défectueuse constituées avant le 1er janvier 2017 et dont la connaissance doit être tenue pour acquise, ce délai raisonnable, qui n’a pu commencer à courir qu’à compter du 1er janvier 2017, contrairement à ce qu’avait jugé le tribunal administratif, a expiré le 31 décembre 2017.

(3 juin 2020, Mme X., n° 428222)

 

30 - Acte faisant grief - Notion - Cas du projet stratégique et opérationnel d'un établissement public d'aménagement - Acte à caractère « exécutoire » - Acte ne faisant pas grief - Rejet.

(3 juin 2020, Association Collectif associatif 06 pour des réalisations écologiques (CAPRE 06), n° 423502) V. n° 6

 

31 - Compétence du tribunal administratif - Refus préfectoral d’autoriser l’exploitation de parcelles agricoles - Lieu de situation de ces parcelles - Lieu d’exercice de la profession - Renvoi au tribunal ainsi déterminé.

Le recours dirigé contre le refus d'autorisation d'exploiter plusieurs parcelles opposé par le préfet en application des articles L. 331-1 à L. 331-11 du code rural et de la pêche maritime étant relatif à une législation régissant les activités agricoles, au sens de l'article R. 312-10 du CJA, le tribunal administratif territorialement compétent pour en connaître est celui dans le ressort duquel se trouvent les parcelles faisant l'objet de la demande d'autorisation d'exploitation, celles-ci devant être regardées comme constituant le lieu d'exercice de la profession au sens de ces mêmes dispositions.

(10 juin 2020, EARL Prest, n° 427630)

(32) V. également, comparable avec même solution, à propos d’une autorisation préfectorale d’exploiter des terres sans soumission au contrôle des structures agricoles : 10 juin 2020, M. et Mme X., n° 427877.

 

33 - Réalisation d’une zone d’aménagement concerté (ZAC) - Déclaration d’utilité publique du projet (DUP) - Arrêté de cessibilité des parcelles concernées - Incompatibilité du plan d’urbanisme avec la DUP - Obligation de mise en conformité par modification du plan - Annulation du plan postérieure à la DUP - Remise en vigueur du POS immédiatement antérieur et devant être réputé compatible avec l’acte déclaratif d’utilité publique - Annulation de l’arrêt jugeant le contraire - Refus de régler de juges.

(3 juin 2020, ministre de l’intérieur, n° 421970) V. n° 170

 

34 - Détermination du périmètre et constitution de l’inventaire d’une zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF) - Nature juridique - Absence de caractère décisoire - Acte non susceptible de faire grief - Rejet.

(3 juin 2020, Commune de Piana, n° 422182) V. n° 109

 

35 - Recours Tarn-et-Garonne - Conditions de recevabilité du recours d’un tiers contre un contrat administratif - Contrat de conception-réalisation - Recours d’un conseil régional de l’ordre des architectes - Absence de lésion suffisamment directe et certaine des intérêts collectifs représentés par ce conseil - Défaut d’intérêt pour agir - Irrecevabilité - Rejet.

(3 juin 2020, Conseil régional de l'ordre des architectes des Pays de la Loire, n° 426932) V. n° 56

 

36 - Fonction publique - Classement à l’issue de la scolarité à l’ÉNA - Contestation - Demande de renvoi d’une affaire pendante devant le Conseil d’État pour cause de suspicion légitime - Irrecevabilité - Rejet.

Dans le cadre d’un recours dirigé contre le déroulement des épreuves de sortie de l’ÉNA, le requérant demande le renvoi pour cause de suspicion légitime de l’affaire dont le Conseil d’État est saisi.

Sa requête est évidemment irrecevable de ce chef car un tel renvoi doit être porté devant la juridiction supérieure à celle qui fait l’objet de la suspicion. Il n’en existe point au-dessus du Conseil d’État. Le recours est donc rejeté.

(3 juin 2020, Association Partage et Ambition et autre, n° 437638)

 

37 - Référé suspension - Permis de construire - Immeuble situé dans le champ de co-visibilité d'un édifice classé ou inscrit (art. L. 621-30 du code du patrimoine) - Appréciation de cette notion - Absence d’autorisation de l’architecte des Bâtiments de France (ABF) - Pouvoir, devoir et office du juge de cassation statuant sur une ordonnance retenant deux motifs d’illégalité de la décision délivrant un permis de construire dont l’un est censuré par lui et l’autre abandonné par le premier juge postérieurement à son ordonnance - Annulation intégrale de l’ordonnance frappée de pourvoi.

(ord. réf. 5 juin 2020, Association des riverains du Barbot-Chambre d’Amour et autres, n° 431994) V. n° 174

 

38 - Référé « mesures utiles » (art. L. 521-3 CJA) - Conditions de saisine - Office du juge saisi - Urgence à statuer - Absence - Annulation de l’ordonnance attaquée.

A la sortie d’une canalisation d’une station d'épuration, les eaux de celle-ci débouchent sur des terrains appartenant aux requérants et y causent des dommages.

A la suite d’un référé constat (art. R. 531-1 CJA), le juge des référés du tribunal administratif a enjoint au syndicat mixte gestionnaire de la station d’épuration de présenter avant le 31 décembre 2019 un programme d'intervention pour, dans un premier temps, réduire puis supprimer les dommages subis par les demandeurs du fait de la stagnation des eaux et du dépérissement des arbres sur une surface estimée à 2,4 hectares. Le syndicat se pourvoit contre cette ordonnance.

Le juge de cassation rappelle les conditions auxquelles est soumis un tel référé.

Tout d’abord, il doit se rattacher, comme c’est le cas en l’espèce, à un litige relevant de la compétence du juge administratif.

Ensuite, le juge saisi peut prescrire, comme il l’a fait ici, à des fins conservatoires ou à titre provisoire, toutes mesures que l'urgence justifie, notamment sous forme d'injonctions adressées à l'administration, à la double condition que ces mesures soient utiles et qu’elles ne se heurtent à aucune contestation sérieuse.

Également, le juge de ce référé peut, pour prévenir ou faire cesser un dommage imputable à des travaux publics ou à un ouvrage public, comme en l’espèce, enjoindre au responsable du dommage de prendre des mesures conservatoires destinées à faire échec ou à mettre un terme à des dangers immédiats, à condition que n’existe pas de contestation sérieuse tant sur l'imputabilité du dommage à ces travaux publics ou à  l'ouvrage public que sur la faute que commet la personne publique en s'abstenant de prendre les mesures de nature à y mettre fin ou à en pallier les effets.

Toutefois, l’ordonnance litigieuse est annulée car elle est défaillante sur deux points.

1° Fait défaut la condition d’urgence, les faits en cause existant depuis, au moins, 2010, sans que soit apparue depuis une évolution justifiant d’une urgence à statuer.

2° Le juge des référés a ordonné des travaux et études sans rechercher, comme il le devait pourtant, si un motif d'intérêt général ou le respect des droits des tiers justifiaient l'abstention de la personne publique et excluaient toute faute de sa part (application de : 6 décembre 2019, Syndicat des copropriétaires du Monte Carlo Hill, n° 417167, voir cette chronique, décembre 2019, n° 122).

L’ordonnance est cassée.

(ord. réf. 5 juin 2020, Syndicat intercommunal des eaux de la Vienne (SIVEER), n° 435126)

 

39 - Association culturelle - Contestation de la mise à sa charge de frais du service d'ordre assuré par les forces de police ou de gendarmerie - Allégation d'un coût supplémentaire pour ses adhérents - Absence de qualité de représentante des intérêts économiques de ses membres - Absence d'intérêt à agir - Rejet.

L'association requérante demandait l'annulation du refus du ministre de l'intérieur d'abroger une instruction relative à l'indemnisation des services de police ou de gendarmerie nationale engagés à l'occasion d'événements nécessitant un dispositif de sécurité particulier. Elle invoquait notamment au soutien de sa requête le risque, pour les manifestations organisées par ses adhérents, de coûts supplémentaires liés aux dépenses de services d'ordre.

Son recours est rejeté pour irrecevabilité car l'association, qui n'a pas pour objet la défense des intérêts économiques de ses membres, n'a donc pas d'intérêt pour agir à l'encontre de l'instruction précitée.

(29 juin 2020, Association Collectif des festivals, n° 433158)

 

40 - Changement de nom - Motifs - Invocation de motifs de caractère affectif - Invocabilité limitée à des circonstances exceptionnelles - Production d’un mémoire postérieurement à la clôture de l’instruction - Obligation de le viser - Obligation de le soumettre à la discussion contradictoire en cas de réouverture de l’instruction - Absence - Cassation sans renvoi.

Dans un litige relatif à un refus de changement de nom opposé par la garde des sceaux, cette dernière avait déposé son premier mémoire après la clôture de l’instruction mais le juge, tout en le visant, ne l’a pas communiqué au demandeur alors qu’il s’agissait du premier mémoire produit en défense et qu’il se fonde sur l’argumentation qu’il contient pour rejeter la demande du requérant.

La cassation était inévitable et elle a lieu ici sans renvoi, le juge annulant la décision ministérielle et plus rien ne restant donc à juger.

(10 juin 2020, M. X., n° 419176) V. aussi mention de cette décision à la rubrique État-civil - Nationalité, n° 112

 

41 - Requête introductive d’instance annonçant la production d’un mémoire complémentaire - Rejet du recours sur le fondement de l'article R. 222-1 CJA sans invitation préalable à produire dans un certain délai - Irrégularité - Rejet d’un recours comme étant manifestement irrecevable sans communication préalable du mémoire opposant cette irrecevabilité - Irrégularité - Cassation.

Doit être annulée pour irrégularité, alors que le demandeur a annoncé dans sa requête introductive d'instance la production d'un mémoire complémentaire, l’ordonnance, prise sur le fondement du dernier alinéa de l'article R. 222-1 CJA, rejetant son recours alors qu'aucun délai ne lui avait été imparti pour la production du mémoire complémentaire annoncé ou sans qu'il ait été averti du délai à l'issue duquel une ordonnance pourrait intervenir.

Cette ordonnance doit encore être annulée pour avoir rejeté le recours comme manifestement irrecevable car formé contre un acte insusceptible de recours sans communication préalable au requérant, en violation du principe du contradictoire, du mémoire en défense qui opposait cette irrecevabilité.

(10 juin 2020, M. X., n° 427806) V. également sur cette décision le n° 7

 

42 - Permis de construire - Annulation pour plusieurs motifs - Existence d’au moins un motif erroné - Pourvoi en cassation - Effet - Cas où le jugement se prononce sur une demande d’annulation pour excès de pouvoir - Existence d’au moins un motif de nature à justifier la solution retenue par le jugement frappé de pourvoi - Absence d’annulation.

Le litige portait sur le permis de construire un immeuble de 27 logements. Ce permis avait été annulé par le tribunal administratif et frappé de pourvoi en cassation.

La difficulté juridique principale résidait en ce que l’annulation avait été prononcée pour plusieurs motifs dont l’un au moins était juridiquement erroné.

Le juge de cassation rappelle qu’en cette hypothèse il convient de distinguer deux situations. Tout d’abord, normalement le juge de cassation n’a pas à rechercher si la juridiction aurait pris la même décision en se fondant uniquement sur les autres motifs et il doit accueillir le pourvoi. Ensuite, et par exception, lorsque la décision juridictionnelle attaquée prononce l'annulation pour excès de pouvoir d'un acte administratif, dans la mesure où l'un quelconque des moyens retenus par le juge du fond peut suffire alors à justifier son dispositif d'annulation, le juge de cassation n’annule pas le jugement.

C’est le cas en l’espèce où des trois motifs retenus par les premiers juges pour annuler le permis de construire, seul le premier était erroné en droit, les deux autres justifiant, chacun, le jugement contesté.

Le pourvoi est donc rejeté

(10 juin 2020, M. X. et autres, n° 420447)

(43) V. aussi, comparable, à propos de de la délivrance d’un permis de démolir et d’un permis de construire : 12 juin 2020, Commune de Saint-Raphaël, n°428003

 

44 - Prorogation du délai de recours - Aide juridictionnelle - Conditions et effets - Recours gracieux formé après expiration du délai de recours contentieux - Absence de réouverture du délai de recours contentieux - Rejet.

Cette décision, rendue en matière de suspension des droits au revenu de solidarité active du requérant, intéresse de deux façons le régime de la prorogation des délais de recours contentieux.

En premier lieu, et c’est l’apport important de la décision, était en cause le régime prorogatoire des demandes d’aide juridictionnelle. Question compliquée par des textes qui ne sont pas toujours à l’unisson.

Il résulte de la combinaison, d’une part, de l’art. 23, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, et d’autre part, de l’art. 38 du décret du 19 décembre 1991 pris pour l’application de la loi précitée, qu'une demande d'aide juridictionnelle interrompt le délai de recours contentieux.

Un nouveau délai de même durée recommence à courir à l'expiration d'un délai de quinze jours après la notification à l'intéressé de la décision se prononçant sur sa demande d'aide juridictionnelle ou, si elle est plus tardive, à compter de la date de désignation de l'auxiliaire de justice au titre de l'aide juridictionnelle.

Cette prorogation s’applique quel que soit le sens de la décision se prononçant sur la demande d'aide juridictionnelle : refus du bénéfice de l’aide, admission partielle ou admission totale à cette aide. Dans ce dernier cas, ni la durée ni la computation de ce délai ne sont modifiées par le fait que seul le ministère public ou le bâtonnier a vocation à contester une telle décision.

En second lieu, il est rappelé, très classiquement, qu’un recours gracieux ne peut proroger le point de départ du délai du recours contentieux que sous la condition péremptoire qu’il ait lui-même été formé avant l’expiration du délai du recours contentieux.

(10 juin 2020, M. X., n° 422471)

 

45 - Dénaturation des pièces du dossier - Affirmation de la réception régulière d’une décision de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) - Affirmation contredite par les pièces du dossier - Cassation.

Dénature les pièces d’un dossier la Cour nationale du droit d’asile qui rejette le recours d’un réfugié au motif que la décision de l'OFPRA qu’il conteste lui avait été régulièrement notifiée alors qu’il ressort du dossier qu'à l'appui des affirmations du requérant selon lesquelles il n'a jamais reçu ce pli, la directrice du centre d'accueil pour demandeurs d'asile où il est domicilié a, d'une part, certifié par un courrier adressé à l'OFPRA que le centre d'accueil n'avait pas reçu l'avis de passage du 1er février 2019 et, d'autre part, adressé une réclamation au bureau de poste correspondant le 14 mars 2019, faisant état de trois plis recommandés prétendument « présentés » par les services postaux sans aucun avis de passage dans la boîte aux lettres du centre d'accueil. 

(12 juin 2020, M. X., n° 431150)

(46) V. aussi, voisin par application de la même « philosophie » : 19 juin 2020, M. X., n° 431128, où une notification au centre de rétention administrative où se trouvait l’intéressé et qui n’a pas, ensuite, signalé son changement d’adresse est considérée comme régulière. Le demandeur ne pouvait exciper de ce qu’il n’avait pas signé lui-même le récépissé postal de réception.

 

47 - Annonce de la production ultérieure d’un mémoire complémentaire - Mise en demeure de produire - Mémoire au contenu identique à celui de la requête sommaire - Désistement d’office - Erreur de droit - Cassation.

Commet une erreur de droit le juge de la cour administrative d’appel statuant seul qui, constatant qu’après mise en demeure de produire le mémoire complémentaire qu’il avait annoncé dans sa requête sommaire, le demandeur se borne à produire un mémoire identique au mémoire sommaire, considère qu’il doit être réputé s’être désisté d’office. Il se déduit de l’art. R. 612-5 CJA que l’identité des contenus des mémoires ne saurait fonder le prononcé d'un désistement d’office.

(12 juin 2020, M. X., n° 434775)

 

48 - Aérodromes - Héliport - Acte autorisant la création d’un héliport - Acte sans caractère réglementaire - Acte autorisant sa mise en service - Acte réglementaire - Absence en l’espèce - Compétence du tribunal administratif dans le ressort duquel se trouve implanté l’héliport - Renvoi à ce tribunal.

Dans le cadre d’un litige opposant les requérants à la commune de l'Île d'Yeu au sujet de la création d'une hélistation autorisée par arrêté du ministre des transports, se posait la question de la juridiction compétente pour en connaître.

Saisi, le Conseil d’État juge que s’il résulte de l'article L. 6312-2 du code des transports que « les conditions de la création et de la mise en service » des aérodromes ont une nature réglementaire et que leur contentieux relève de la compétence de premier ressort du Conseil d’État, il n’en va pas de même de l’arrêté qui se borne à autoriser la création d’un aérodrome. Celui-ci n’a pas de caractère réglementaire et les litiges qu’il soulève relèvent de la compétence du tribunal administratif dans le ressort duquel se trouve situé l’aérodrome.

On a vu plus simple et moins alambiqué… Deux ans pour trouver le « bon » juge au sein de l’ordre administratif de juridiction, c’est beaucoup, c’est trop…

(10 juin 2020, Association Les Riverains du port et autre, n° 425417)

 

49 - Stationnement payant - Infraction - Forfait post-stationnement - Émission d’un titre exécutoire - Cession du véhicule entretemps - Contestation du titre exécutoire - Charge du paiement de la somme réclamée - Rejet.

Cette décision aborde plusieurs questions délicates du droit applicable en matière de post-stationnement. Le requérant a saisi le Conseil d’État d’un pourvoi dirigé contre l’ordonnance du magistrat désigné par la présidente de la commission du contentieux du stationnement payant rejetant sa demande d'annulation d’un titre exécutoire émis par l'Agence nationale de traitement automatisé des infractions (ANTAI) en vue du recouvrement du forfait de post-stationnement mis à sa charge par la Ville de Paris et de la majoration dont il est assorti. Sa situation était encore compliquée par le fait qu’entre le constat du dépassement du temps de stationnement pré-payé et l’envoi de l’avis de payement, le requérant avait cédé son véhicule.

Il résulte des dispositions, d’une part du VI de l’art. L. 2333-87 du CGCT et, d’autre part, de celles de l’art. R. 2333-120-35 de ce code, respectivement, que « VI. - (...) Les recours contentieux visant à contester l'avis de paiement du montant du forfait de post-stationnement dû font l'objet d'un recours administratif préalable obligatoire auprès de la commune, de l'établissement public de coopération intercommunale, du syndicat mixte ou du tiers contractant dont relève l'agent assermenté ayant établi ledit avis. (...).

La décision rendue à l'issue du recours administratif préalable contre l'avis de paiement du forfait de post-stationnement peut faire l'objet d'un recours devant la commission du contentieux du stationnement payant. Le titre exécutoire émis en cas d'impayé peut également faire l'objet d'un recours devant cette commission. Il se substitue alors à l'avis de paiement du forfait de post-stationnement impayé (...). » et que « Lorsqu'un titre exécutoire est émis, il se substitue à l'avis de paiement du forfait de post-stationnement impayé ou à l'avis de paiement rectificatif impayé, lequel ne peut plus être contesté. Aucun moyen tiré de l'illégalité de cet acte ne peut être invoqué devant la juridiction à l'occasion de la contestation du titre exécutoire, sauf lorsque le requérant n'a pas été mis à même de contester le forfait de post-stationnement directement apposé sur son véhicule en raison de la cession, du vol, de la destruction ou d'une usurpation de plaque d'immatriculation dudit véhicule ou de tout autre cas de force majeure ».

Réglant d’abord la question du droit à contestation du titre exécutoire, le juge déduit de ces dispositions combinées que le redevable d'un forfait de post-stationnement qui entend contester le bien-fondé de la somme mise à sa charge doit saisir l'autorité administrative d'un recours administratif préalable dirigé contre l'avis de paiement et, en cas de rejet de ce recours, introduire une requête contre cette décision de rejet devant la commission du contentieux du stationnement payant. En cas d'absence de paiement de sa part dans les trois mois et d'émission, en conséquence, d'un titre exécutoire portant sur le montant du forfait de post-stationnement augmenté de la majoration due à l'État, il est loisible au même redevable de contester ce titre exécutoire devant la commission du contentieux du stationnement payant, qu'il ait ou non engagé un recours administratif contre l'avis de paiement et contesté au contentieux le rejet de son recours.

Audacieusement, le juge ajoute - contre l’intention claire du législateur -  que même si l'article R. 2333-120-35 précité dispose que le redevable qui saisit la commission du contentieux du stationnement payant d'une requête contre un titre exécutoire n'est pas recevable à exciper de l'illégalité de l'avis de paiement du forfait de post-stationnement auquel ce titre exécutoire s'est substitué, il ne fait cependant pas obstacle à ce que l'intéressé conteste, dans le cadre d'un litige dirigé contre le titre exécutoire, l'obligation de payer la somme réclamée par l'administration.

Abordant ensuite la question de la cession du véhicule, le juge déduit de dispositions combinées du CGCT (art. L. 2333-87, VII et art. R. 2333-120-13) et du code de la route (art. L. 330-1 et R. 322-4) que le débiteur du forfait de post-stationnement et de sa majoration éventuelle est la personne titulaire du certificat d'immatriculation du véhicule à la date d'émission de l'avis de paiement de ce forfait. Toutefois, lorsque le véhicule a été cédé, son acquéreur est le débiteur du forfait de post-stationnement dès lors que le vendeur a cédé son véhicule avant l'émission de l'avis de paiement et a procédé à la déclaration prévue par l'article R. 322-4 du code de la route avant cette date ou, en tout état de cause, dans le délai de quinze jours prévu à cet article.

D’où cette conséquence très logique : lorsque l'ancien propriétaire d'un véhicule conteste un avis de paiement ou un titre exécutoire qui lui a été adressé à raison d'un stationnement de ce véhicule constaté après la date de la cession, il ne peut utilement invoquer, devant l'administration ou, le cas échéant, devant la commission du contentieux du stationnement payant, le fait qu'il n'était plus propriétaire du véhicule à la date d'établissement de l'avis de paiement que s'il justifie, en outre, avoir déclaré la cession de son véhicule au ministre de l'intérieur avant l'établissement de l'avis de paiement ou dans le délai de quinze jours prévu par l'article R. 322-4 du code de la route.

Au final, si l’ordonnance attaquée est annulée en tant qu’elle fonde le rejet du recours sur ce que l'intéressé ne pouvait utilement contester l'obligation de payer la somme réclamée par l'administration, au motif que cette contestation mettait en cause la légalité de l'avis de paiement auquel le titre exécutoire s'était substitué, en revanche, le pourvoi est lui aussi rejeté dès lors que le requérant n’a déclaré la cession de son véhicule au ministre de l'intérieur que le 5 juin 2018, soit plus de quinze jours après la cession du véhicule et postérieurement à l'émission de l'avis de paiement, le 2 mars 2018.

Où l’on voit que malgré les meilleures intentions du monde pour simplifier et accélérer un contentieux irritant et volumineux, la logique juridique, reprenant ses droits, transforme cette intention en chemin sinueux…

(10 juin 2020, M. X., n° 427155)

(50) V. aussi, avec solution favorable à la requérante pour avoir déclaré dans les délais légaux la cession de son véhicule : 10 juin 2020, Mme X., n° 429414.

(51) V. également, reprenant largement les éléments ci-dessus mais estimant sérieuse la QPC posée à propos des dispositions de l'art. L. 2333-87-5 CGCT en ce que, en subordonnant la recevabilité des recours devant la commission du contentieux du stationnement payant au paiement préalable, par le redevable qui conteste la somme mise à sa charge, du montant du forfait de post-stationnement et, le cas échéant, de la majoration dont il est assorti, sans prévoir aucune possibilité de dérogation, elles affectent le droit à recours juridictionnel effectif : 10 juin 2020, Mme X., n° 433276.

 

52 - Police des transports publics de personnes - Police des transports de matières dangereuses - Avis d’incompatibilité (art. L. 114-2 du code de la sécurité intérieure) - Distinction entre les avis selon les alinéas 1 (avis antérieur au recrutement ou à l’affectation sur un emploi) et 2 (avis sur une personne déjà en poste) de cet article - Portée - Avis faisant grief - Inopérance des moyens tirés d’erreurs dans l’identification de l’alinéa applicable.

(10 juin 2020, M. X., n° 435379) V. n° 150

 

53 - Ordre des pharmaciens - Conseil national saisi d’un recours en suspicion légitime contre une chambre régionale - Pourvoi en cassation de cette dernière contre l’arrêt du Conseil national - Pourvoi irrecevable - Rejet.

Des pharmaciens, ayant déposé des plaintes contre des confrères devant la chambre de discipline de l’ordre des pharmaciens de la Polynésie française, ont demandé à la chambre de discipline du Conseil national de l'ordre des pharmaciens de renvoyer - pour cause de suspicion légitime - ces plaintes à la chambre de discipline d'un autre conseil de l'ordre. La chambre nationale s’est attribuée le jugement de ces plaintes. L’ordre des pharmaciens de la Polynésie se pourvoit en cassation contre cette dernière décision.

Le pourvoi est rejeté pour irrecevabilité.

En effet, alors même que la chambre nationale de discipline a adressé une demande d’observations à la chambre requérante, celle-ci n’étant pas l’auteur des plaintes n’avait pas la qualité de partie dans l’instance frappée de pourvoi. Le principe constant en la matière est que : « La voie du recours en cassation n'est ouverte qu'aux personnes qui ont eu la qualité de partie dans l'instance ayant donné lieu à la décision attaquée. Doit être notamment regardée comme une partie à l'instance devant les juges du fond la personne qui a été invitée par la juridiction à présenter des observations et qui, si elle ne l'avait pas été, aurait eu qualité pour former tierce opposition contre la décision rendue par les juges du fond. » Précisément, en l’espèce, la chambre de Polynésie, à défaut de présentation d’observations devant la chambre nationale n’aurait tout de même pas eu qualité pour former tierce opposition alors même qu’elle était visée par l’action en suspicion légitime. Ce qui confirme une solution bien établie (Section, 28 juillet 1999, Sieur Le Goff, n° 165523).

(10 juin 2020, Ordre des pharmaciens de la Polynésie française, n° 423543)

 

54 - Appel - Arrêt rendu sans communication de l’avis d’audience à l’avocat constitué - Cassation.

Encourt la cassation l’arrêt d’une cour administrative d’appel rendu sans communication préalable à l’avocat de la demanderesse de l’avis d’audience et alors, au surplus, que l’instruction avait été rouverte par suite de l’indication par cet avocat qu’il se constituait, dans ce dossier, pour cette requérante.

(17 juin 2020, Mme X., n° 423323)

 

55 - Action en référé suspension - Urgence - Parties entrées en voie de médiation hors de toute procédure juridictionnelle - Incompatibilité de la démarche avec l'invocation d'une urgence - Erreur de droit - Cassation sans renvoi.

Commet une erreur de droit le juge du référé suspension qui, constatant que les parties sont entrées en voie de médiation hors de toute procédure juridictionnelle, rejette la demande de suspension au motif qu'en pareille hypothèse il " n'est pas possible de considérer qu'il y a urgence ". Il ui appartenait de tenir compte de l'ensemble des circonstances de l'espèce qui lui étaient soumises pour déterminer l'existence ou non d'une urgence à statuer sans s'arrêter à la concomitance d'une procédure de médiation.

La solution du premier juge n'était pas sans fondement rationnel.

(29 juin 2020, Société Arcaro et société Au Cap de Bonne Espérance, n° 435356)

 

Contrats

 

56 - Recours Tarn-et-Garonne - Conditions de recevabilité du recours d’un tiers contre un contrat administratif - Contrat de conception-réalisation - Recours d’un conseil régional de l’ordre des architectes - Absence de lésion suffisamment directe et certaine des intérêts collectifs représentés par ce conseil - Défaut d’intérêt pour agir - Irrecevabilité - Rejet.

Rappel d’une solution bien établie (à partir de : Assemblée, 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, n° 358994).

Si, indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du CJA, tout tiers à un contrat administratif est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles, c’est à la condition que ce tiers soit susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par la passation du contrat ou par ses clauses.

En l’espèce, un conseil régional de l’ordre des architectes ne peut se prévaloir, pour la contester devant le juge administratif, de ce que l’attribution, à un groupement d’entreprises, d’un marché de conception-réalisation, en vue de la construction d'un collège, lèse de façon suffisamment directe et certaine les intérêts collectifs qu’il représente et dont il a la charge.

Son action, irrecevable pour défaut d’intérêt à agir, est rejetée.

(3 juin 2020, Conseil régional de l'ordre des architectes des Pays de la Loire, n° 426932)

(57) V. aussi, en tous points identiques au précédent : 3 juin 2020, Conseil régional de l'ordre des architectes des Pays de la Loire, n° 426933 ; 3 juin 2020, Conseil régional de l'ordre des architectes des Pays de la Loire, n° 426938

 

58 - Marché à bons de commande - Marché à procédure adaptée - Formation de commissaires aux armées à la pratique des achats publics - Pondération des critères - Étendue de la faculté de pondération appartenant au pouvoir adjudicateur - Annulation de l’arrêt d’appel.

Des sociétés avaient demandé au tribunal administratif de condamner l'État à réparer le préjudice qui leur avait été causé par leur éviction, qu’elles estimaient irrégulière, du marché à bons de commande conclu par le ministère des armées en vue de la réalisation de prestations de formation « achats publics » au bénéfice du personnel militaire et civil du service du commissariat des armées. Leur action a été rejetée en première instance puis accueillie en appel. Contre cet arrêt la ministre se pourvoit en cassation.

Le marché en question, à bons de commande, a été conclu selon la procédure adaptée, celle-ci n’imposant au pouvoir adjudicateur qu’une obligation de hiérarchisation des critères. Cependant, le ministère des armées avait décidé de procéder à la pondération des critères de choix du marché : les offres seraient appréciées au regard d'un critère de valeur technique pondéré à 90 % et d'un critère de prix pondéré à 10 %.

La cour administrative d’appel estimant la pondération irrégulière au triple motif qu'elle était particulièrement disproportionnée, que sa nécessité n’était pas démontrée et qu'elle conduisait à neutraliser manifestement le critère du prix, avait annulé le marché.

Le Conseil d’État casse cette solution car il résulte du I de l’art. 53 du code des marchés publics alors applicable qu’il incombe au pouvoir adjudicateur de déterminer l'offre économiquement la plus avantageuse. Il doit le faire en se fondant sur des critères pertinents, liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution et définis avec suffisamment de précision pour ne pas laisser une marge de choix indéterminée au pouvoir adjudicateur et ne pas créer de rupture d'égalité entre les candidats.

En revanche, la pondération des critères de choix des offres est laissée à la liberté d’appréciation du pouvoir adjudicateur sous cette limite que la pondération adoptée n’empêche pas de retenir l'offre économiquement la plus avantageuse.

En allant au-delà de ces exigences pour annuler le marché litigieux, la cour a entaché son arrêt d’une erreur de droit.

On peut préférer la solution de la cour.

(10 juin 2020, Ministre des armées, n° 431194)

 

59 - Marché public d'assurance - Demandes de résiliation et d’indemnisation - Demandes émanées d’un candidat évincé - Publication de l’avis mentionnant la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation - Publication faisant courir le délai de recours contentieux - Appréciation erronée en droit d’une réserve - Annulation avec renvoi.

Le centre hospitalier d'Avignon, à la suite d’une procédure d'appel d'offres ouvert, a conclu un marché public d'assurance comportant quatre lots destinés à couvrir ses besoins en matière d'assurances pour une durée de cinq ans. Le lot n° 1 « responsabilité civile hospitalière » a été attribué à la Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM). Le Bureau européen d'assistance hospitalière (BEAH), dont l'offre, classée en deuxième position, a été rejetée, a contesté la validité de ce marché conclu entre le centre hospitalier et la SHAM et demandé réparation des préjudices résultant de son éviction qu’il estimait irrégulière. Ses demandes, d’abord rejetées par le tribunal administratif de Nîmes, ont été accueillies par la cour administrative d'appel de Marseille qui a annulé le jugement, ordonné la résiliation du marché litigieux et décidé, avant dire droit, de procéder à une expertise contradictoire pour évaluer le préjudice subi par le BEAH.

Le centre hospitalier et la SHAM se pourvoient.

Le Conseil d’État annule sur deux points essentiels de l’arrêt d’appel.

En premier lieu, il censure l’erreur de droit consistant à décider que le délai de recours court à compter de la mention de la date de la conclusion du contrat dans l’avis mentionnant la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation et que, faute de cette mention, il ne saurait courir. En effet, le point de départ du délai de recours contentieux est constitué par la seule date de publication de l’avis.

En second lieu, l’attributaire du lot litigieux avait formulé une réserve ainsi conçue :

« les garanties sont étendues au monde entier (...).

Cette extension ne s'applique pas aux conséquences d'actes médicaux ou de soins effectués aux États-Unis et au Canada, ainsi qu'aux dommages causés par les produits livrés dans ces deux pays ».

La cour avait estimé que l'offre litigieuse ne pouvait dès lors être comprise que comme excluant ou réduisant une garantie au sens de l'article 6.2 du règlement de consultation du marché et devait en conséquence être regardée comme comportant une réserve « majeure » au sens de ces dispositions, « indépendamment de l'intérêt effectif de cette couverture pour l'établissement ». Le Conseil d’État lui reproche l’erreur de droit consistant à n’avoir pas recherché si cette réserve entraînait une dégradation réelle de la valeur économique du marché alors qu'elle avait relevé les stipulations du contrat lui imposant de procéder à cette analyse.

(3 juin 2020, Centre hospitalier d’Avignon, n° 428845 ; Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), n° 428847, jonction)

 

60 - Délégation de service public - Procédure engagée par une personne publique qui n’est pas encore compétente à cet effet - Compétence en cours d’attribution - Absence d’irrégularité - Cassation sans renvoi.

Le litige portait sur les conditions de déroulement d’une procédure de délégation du service public balnéaire lors de l’attribution de sous-contrats de plage. Pour contester l’attribution faite de lots à leurs concurrents, les sociétés, évincées de cette attribution, avaient plaidé l’irrégularité des conditions de déroulement de la procédure de délégation de service public en ce qu’elle a été conduite de bout en bout par la métropole de Nice qui n’avait pas, alors, compétence en cette matière. Le juge des référés du tribunal administratif, saisi par ces sociétés sur le fondement de l’art. L. 551-1 CJA, avait annulé la procédure.

La métropole s’est pourvue en Conseil d’État et celui-ci lui donne raison.

D’emblée est posé le principe que le juge du référé contractuel n’a pas le pouvoir « de contrôler si, au regard de l'objet du contrat dont la passation est engagée, la personne publique est, à la date où elle signe le contrat, compétente à cette fin ». Appliquant strictement le texte de l’art. L. 551-1, le juge estime que la mission impartie par celui-ci est seulement de vérifier l’existence éventuelle d’un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation de certains contrats administratifs par les pouvoirs adjudicateurs.

Ensuite, il n’est pas possible pour le juge saisi de déduire ipso facto le caractère irrégulier d’une procédure de passation d’un contrat de commande publique de la seule circonstance que la personne publique qui la met en œuvre n’est pas encore compétente pour le signer.

Il faut et il suffit qu’au moment du lancement de la procédure de passation du contrat la personne publique fasse savoir que le contrat ne sera signé qu’après qu’elle aura reçu compétence à cet effet.

Et le juge d’enfoncer le clou : « Une personne publique peut par ailleurs signer un contrat dont la procédure de passation a été engagée et conduite par une autre personne publique, à laquelle, à la date de la signature du contrat, elle est substituée de plein droit, sans que cette procédure soit, en l'absence de vice propre, entachée d'irrégularité ».

L’ordonnance attaquée est annulée pour erreur de droit.

(ord. réf. 9 juin 2020, Métropole Nice-Côte d'Azur c/ société Les Voiliers, n° 436922 ; Métropole Nice-Côte d'Azur c/ société Lido Plage, n° 436925 ; Métropole Nice-Côte d'Azur c/ société Sporting Plage, 436926, jonction)

 

61 - Marché de partenariat - Résiliation anticipée du contrat dans l’intérêt général - Droit à remboursement des dépenses utiles à la collectivité publique contractante - Sort des frais financiers liés au remboursement anticipé de l’emprunt souscrit par l’entrepreneur - Sort des intérêts versés - Obligation d’indemniser - Cassation partielle avec renvoi dans cette mesure.

Une commune ayant résilié dans l’intérêt général le contrat de partenariat qui la liait à une société, celle-ci a mis en cause les responsabilités contractuelle, quasi-délictuelle et quasi-contractuelle de la commune. La cour administrative d’appel ayant refusé de faire droit à sa requête tendant à ce que soit mise à la charge de la commune le coût du remboursement anticipé des emprunts souscrits par la société Espace Habitat Construction pour la construction et l'aménagement de l'ensemble immobilier et le coût des intérêts d'emprunt versés par cette société entre la date de résiliation des contrats et la date du remboursement anticipé de l'emprunt, cette dernière se pourvoit.

Le Conseil d’État lui donne raison sur ce point en rappelant un principe bien établi : en cas d’annulation du contrat qui le lie à l’administration le cocontractant peut prétendre, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s'était engagé.

Puis, se plaçant, puisque c’était le cas de l’espèce, dans le cadre d’un contrat de partenariat, il y définit ainsi les dépenses utiles : « Dans le cas d'un contrat de partenariat, par lequel la personne publique confie au co-contractant la construction d'un ouvrage et le financement de cette opération, en échange de droits réels sur cet ouvrage pendant une période au terme de laquelle cette personne publique devient propriétaire de l'ouvrage, les dépenses utiles incluent, dès lors que la personne publique a fait le choix de faire financer par le cocontractant l'investissement requis, et dans la limite du coût normal d'une telle opération, les frais financiers découlant, en cas de résiliation du contrat, du remboursement anticipé de cet emprunt et des intérêts versés au titre de cet emprunt entre la date de la résiliation et la date à laquelle la personne publique a remboursé au co-contractant la valeur utile de l'ouvrage concerné ». Ceci constitue mutatis mutandis une réitération de : 16 novembre 2005, MM. Jean-Paul et Bruno ZY, agissant au nom des coindivisaires exerçant le commerce sous l'enseigne Les Fils de Madame Géraud, n° 262360 ; Commune de Nogent-sur-Marne, n° 263709, affaires jointes ; et de : 9 mars 2018, Société GSN-DSP, n° 406669, interprétant les dispositions du I de l'article 56 de l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016, relatives à l’indemnisation des frais financiers.

L’arrêt d’appel est cassé sur ce point.

(9 juin 2020, Société Espace Habitat Construction, n° 420282)

 

62 - Marché public de travaux - Décompte général et définitif - Refus du pouvoir adjudicateur de l’établir dans le délai fixé au CCAG Travaux - Effets - Saisine du juge du référé provision - Action valant saisine du tribunal administratif au sens du CCAG Travaux - Cassation avec renvoi.

L'article 13.4.2 du CCAG applicable aux marchés de travaux, dans sa version du 8 septembre 2009, dispose que si le pouvoir adjudicateur, mis en demeure de notifier le décompte général, s'abstient d'y procéder dans le délai de trente jours, le titulaire du marché peut saisir le tribunal administratif d'une demande visant à obtenir le paiement des sommes qu'il estime lui être dues au titre du solde du marché.

A ces principes bien certains, le juge ajoute ici deux séries de précisions.

Tout d’abord, la circonstance que la personne publique notifie le décompte général postérieurement à la saisine du tribunal ne prive pas le litige de son objet et le titulaire du marché n’est donc pas tenu de présenter un mémoire de réclamation contre ce décompte.

Ensuite, il est possible au titulaire du marché d’obtenir du juge des référés qu'il ordonne au pouvoir adjudicateur le versement d'une indemnité provisionnelle sans être tenu de saisir, par ailleurs, le juge du contrat d'une demande au fond. En effet, selon cette décision, la saisine du juge du référé-provision doit être regardée comme la saisine du tribunal administratif compétent au sens des dispositions de l'article 13.4.2 du CCAG précité (solution comparable à : 27 janvier 2017, Société Tahitienne de construction (STAC), n° 396404, sous l’empire de ce qui était alors l'article 7.2.3. du CCAG Travaux).

(10 juin 2020, Société Bonaud, n°425993 et n° 428251)

 

63 - Convention de participation dans le cadre d’un programme d’aménagement d’ensemble (PAE) - Clause du contrat se bornant à rappeler une décision prise par ailleurs - Clause irrégulière - Indivisibilité prétendue avec le reste de la convention - Solution irrégulière - Cassation.

D’un litige à caractère fiscal portant sur l’exigibilité, en l’espèce, de la participation au titre d'un programme d'aménagement d'ensemble, ne sera retenu qu’un aspect de celui-ci intéressant le droit des contrats.

La cour administrative d’appel avait jugé l’article 5 de la convention d’aménagement tout à la fois illégal, déterminant et indivisible des autres stipulations de celle-ci, elle avait en conséquence annulé l’ensemble de la convention.

Cette solution est annulée par le juge de cassation qui y aperçoit une erreur de droit. En effet, cet article 5 se bornait en réalité à rappeler une décision prise par ailleurs et étrangère au contenu de la convention, par suite il ne pouvait être jugé indivisible de celle-ci.

(22 juin 2020, Société d'économie mixte Viaterra, venant aux droits de la SEBLI, 417968 ; Communauté d'agglomération Béziers-Méditerranée, n° 417976)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

64 - Impôt sur le revenu - Déduction des déficits fonciers résultant de travaux réalisés dans un immeuble situé en secteur sauvegardé (dispositif Malraux) - Conditions - Maitrise d’ouvrage des travaux - Notion - Rejet.

Les propriétaires d’un appartement dans un immeuble situé à l'intérieur d'un secteur sauvegardé de la ville de Chartres, ont - sur le fondement des dispositions du 3° du I de l'article 156 du CGI (dispositif Malraux) - imputé sur leur revenu global de l'année d’acquisition l'intégralité du déficit foncier correspondant à leur quote-part du coût des travaux réalisés sur cet immeuble. L'administration fiscale a remis en cause cette déduction et assujetti les intéressés à un supplément d'impôt sur le revenu au titre de l'année considérée. Ces derniers ont saisi, en vain, le tribunal administratif d’une demande de décharge de l’imposition supplémentaire, puis la cour administrative d’appel qui a annulé le jugement de rejet.

Le ministre se pourvoit en cassation. Son pourvoi est rejeté.

Après avoir rappelé que le bénéfice du dispositif fiscal en cause (imputation sur le revenu global les déficits fonciers provenant de dépenses de restauration d'immeubles situés dans un secteur sauvegardé) ne peut être accordé qu’aux propriétaires qui, agissant dans le cadre d'un groupement, constitué ou non sous la forme d'une association syndicale, ont satisfait à l'obligation d'assumer collectivement la maîtrise d'ouvrage des travaux à réaliser. Par « maitrise d’ouvrage », il convient d’entendre ici l'engagement des travaux, leur financement et leur contrôle.

En l’espèce avait été constituée en 2008 une association foncière urbaine libre (AFUL) afin de permettre aux propriétaires d'assurer, dans le cadre d'un groupement, une opération de restauration immobilière d'un immeuble situé en secteur sauvegardé. Les contribuables ici en cause avait acquis en mai 2010, un appartement non restauré avec un parking au sein de l'immeuble et simultanément adhéré à l'AFUL et payé ensuite la fraction de l'ensemble des dépenses engagées par l'AFUL leur incombant au titre de la quote-part affectée à leurs lots.

Le juge considère que c’est sans erreur de droit que la juridiction d’appel a jugé qu’ils avaient bien eu l’initiative des travaux (au sens des dispositions du 3° du I de l'article 156 du CGI) en leur qualité de propriétaires agissant dans le cadre d'un groupement assurant la maîtrise d'ouvrage de l'opération, l'initiative des travaux, et cela alors même qu'ils n'étaient devenus propriétaires au sein de l'immeuble que postérieurement au lancement du programme par l'AFUL mais à une date où les travaux étaient toujours en cours et où leur appartement n'avait pas été restauré.

(3 juin 2020, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 423068)

 

65 - Impôts locaux - Taxe foncière sur les propriétés bâties - Bien à usage d’habitation - Dégrèvement en cas de vacance ou d‘inexploitation - Conditions - Bien en vente tout en restant offert à la location - Refus de dégrèvement - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit le tribunal administratif qui estime qu’il n’y a pas lieu à dégrèvement de la taxe foncière sur les propriétés bâties pour un bien qui, d’abord loué puis à nouveau offert à la location, est mis en vente.

Le demandeur, désespérant de trouver un locataire après le départ du précédent et se trouvant dans une situation financière délicate du fait de mensualités d’emprunt que devaient couvrir les loyers perçus, a mis son bien en vente en juin 2014, la vente ayant été réalisée en janvier 2015.

Le tribunal avait jugé que la circonstance qu'un bien demeurant effectivement proposé à la location et, en même temps, étant mis en vente privait le contribuable du bénéfice du dégrèvement de la taxe foncière sur les propriétés bâties prévu au I de l'article 1389 du CGI.

Par suite, le tribunal a commis une erreur de droit en jugeant qu'aucun dégrèvement ne pouvait être accordé au contribuable au motif qu'en raison du mandat de vente signé le 3 juin 2014 le bien n'était plus exclusivement destiné à la location. Il relevait de l’office du juge saisi de rechercher si, alors même que le bien avait été mis en vente, l’intéressé avait effectivement poursuivi ses démarches pour trouver de nouveaux locataires ainsi qu'il le soutenait dans ses écritures.

(5 juin 2020, M. X., n° 423066)

 

66 - Impôts locaux - Taxe foncière sur les propriétés bâties - Dégrèvement en cas d'inexploitation de l'immeuble - Notion - Cas d'une centrale nucléaire à l'arrêt par suite de défauts détectés - Soumission à la taxe - Rejet.

Invoquant la circonstance que la centrale nucléaire du Bugey est demeurée à l'arrêt durant plusieurs années à cause de défectuosités dans son fonctionnement, EDF se prévalait des dispositions du I de l'art. 1389 CGI pour solliciter le dégrèvement de la taxe foncière sur les immeubles bâtis instituée par cette disposition. Relevant que ce texte subordonne le dégrèvement à " l'inexploitation d'un immeuble utilisé par le contribuable lui-même ", le Conseil d'État considère que ce n'est pas le cas en l'espèce, l'inexploitation devant être indépendante de la volonté du propriétaire or la circonstance de défauts inhérents à l'immeuble en cause ne suffit pas " à caractériser le caractère contraint de l'inexploitation ".

Le raisonnement peine à convaincre.

(29 juin 2020, S. A. Electricité de France (EDF), n° 434521)

(67) V. aussi, tout aussi sévère sur l'assujettissement à la taxe foncière, à propos de l'Agence spatiale européenne et par interprétation stricte des stipulations de la convention de Paris du 30 mai 1975 créant cette Agence, notamment l'art. XV de la convention et les articles V.1 et VII de l'annexe I à cette convention : 29 juin 2020, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 435282.

(68) V. cependant, très différent, à propos de la taxe foncière frappant un barrage et une micro-centrale électrique appartenant à un département : 29 juin 2020, Département des Pyrénées-orientales, n° 435778.

 

69 - Théorie de l’abus de droit fiscal et de la fraude à la loi - Remise en cause d’exonérations fiscales liées à un montage juridique et financier - Prétendue absence de réalité économique des structures créées - Régime de la preuve incombant au contribuable - Illégalité - Cassation avec renvoi.

L’administration fiscale ayant remis en cause une opération juridique et financière assortie d’exonérations fiscales, un contentieux s’en est suivi portant en réalité sur la nature et le degré de la preuve qu’il peut être exigé que le contribuable rapporte.

Le Conseil d’État casse pour erreur de droit l’arrêt de la cour administrative d’appel qui, pour écarter l'argumentation des requérants tirée de ce que la société en cause avait une réalité économique et de ce que sa constitution avait pour objectif d'associer un groupe au développement d’une société tout en préservant l'indépendance de cette dernière, s'est fondée sur la circonstance que les éléments apportés par les contribuables ne démontraient pas la nécessité de l'interposition de ladite société. Le Conseil d'État, à juste droit, juge que la cour ne pouvait pas exiger des requérants qu'ils « justifient de ce que l'architecture d'ensemble mise en place était la seule possible pour atteindre l'objectif économique poursuivi ».

(19 juin 2020, M. et Mme X., n° 418452)

(70) Voir aussi, semblable et avec solution identique : 19 juin 2020, M. et Mme X., n° 429393.

(71) V. également, un peu comparable mais avec approbation de la décision de l’administration fiscale : 19 juin 2020, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 426832.

 

72 - Impôts dus par un ressortissant français impatrié en Chine - Convention fiscale franco-chinoise de 1984 - Notion de résident d’un État contractant (art. 4 de la convention) - Étendue de l’obligation fiscale dans cet État - Élément sans incidence sur la qualité de résident - Cassation de l’arrêt d’appel pour erreur de droit, avec renvoi.

La cour administrative d’appel avait jugé, se fondant sur les stipulations de l'article 4 de la convention fiscale du 30 mai 1984 conclue entre la France et la Chine, que le requérant ne pouvait être considéré ni comme ayant son domicile fiscal en France ni comme résident en Chine pour l’application de ces stipulations.

Solution assez incongrue créant une sorte d’apatridie fiscale…

Annulant cet arrêt sur requête du contribuable, le Conseil d’État estime qu’il découle de la stipulation précitée que, pour son application, la qualité de résident d'un État contractant est subordonnée à la seule condition que la personne qui s'en prévaut soit assujettie à l'impôt dans cet État en raison de son domicile, de sa résidence ou d'un lien personnel analogue et non en raison de la seule existence de revenus y trouvant leur source.

Il s’ensuit que, selon lui, l'étendue de l'obligation fiscale à laquelle le contribuable est tenu dans cet État est, par elle-même, sans incidence sur la qualification de résident, ces stipulations n'excluant pas, dans leur rédaction applicable, que puissent être regardées comme tel des personnes dont les seuls revenus pris en compte pour leur assujettissement à l'impôt dans cet État sont, en application des règles d'assiette applicables, les revenus qui y trouvent leur source.

(9 juin 2020, M. X., n° 434972)

 

73 - Société commerciale - Contribuable "maître de l'affaire" - Éléments de qualification - Conséquences sur le régime d'imposition - Rejet.

Un contribuable est, suite à un contrôle, imposé supplémentairement à raison des revenus perçus par une société dont il est seul maître. Se posaient deux questions, celle des critères de la maîtrise d'une affaire, celle du régime fiscal des sommes ainsi appréhendées.
Sur le premier point, le juge de cassation, estime que le requérant était bien maître de l'affaire que constituait la société, et retient, à l'instar de la juridiction d'appel, qu'il possédait le pouvoir d'engager juridiquement la société à l'égard des tiers, qu'il disposait de la signature à titre exclusif du compte bancaire de la société et qu'il avait effectué des retraits d'espèces depuis ce compte.

Sur le second point, il est jugé - et ceci nous semble plus discutable - que cette qualité emporte ipso facto présomption que le contribuable est le seul bénéficiaire des revenus réputés distribués par la société en cause (ce qui réitère mutatis mutandis : plénière, 22 février 2017, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 388887), sans que puisse y faire obstacle la circonstance qu'il n'aurait pas effectivement appréhendé les sommes correspondantes ou qu'elles auraient été versées à des tiers. La présomption semble être irréfragable : est-ce bien raisonnable ?

(29 juin 2020, M. X., n° 432815)

 

74 - Fonctionnaires issus de l’ÉNA - Engagement de servir l’État - Sanction financière du non-respect de cet engagement - Prescription quinquennale (art. 2224 du Code civil) - Annulation sur ce point du décret de radiation des cadres.

L’intéressé, magistrat des chambres régionales des comptes, contestait le décret le radiant des cadres et fixant le montant du versement de l’indemnité pour rupture de l’engagement de servir l’État qu’il a souscrit en qualité d’élève de l’ÉNA.

Si son action est rejetée sur le premier point, elle est accueillie sur le second. La créance de l’État sur le demandeur se prescrivant par cinq ans en application des dispositions du Code civil (art. 2224), elle était donc prescrite - plus de cinq années s’étant écoulées - quand son paiement en a été exigé par le décret du 2 mai 2019 alors que l'administration a eu connaissance le 30 mars 2014, au plus tard, de l'épuisement de ses droits à disponibilité pour convenances personnelles et de la rupture de son engagement de servir consécutive à son absence de demande de réintégration dans son corps d'origine.

(3 juin 2020, M. X., n° 432172)

 

75 - Impôts sur le bénéfice - Régime de la retenue à la source - Exonération de cette retenue pour des bénéfices distribués par une société filiale établie dans un État membre de l'union à sa mère établie dans un autre État membre de l’Union (art. 119 ter CGI) - Société mère devant justifier de sa qualité de bénéficiaire effectif des dividendes - Conventionnalité européenne de ce régime - Rejet.

Le 2 de l'article 119 ter du CGI, subordonne le bénéfice de l'exonération de la retenue à la source sur les bénéfices des sociétés à la condition que la personne morale justifie auprès du débiteur ou de la personne qui assure le paiement des dividendes qu'elle en est le bénéficiaire effectif.

Dans cette décision, le juge estime, d’une part, que cette exigence est compatible avec les objectifs de l'article 5 de la directive 90/435/CEE du 23 juillet 1990 tel qu’il est interprété dans les motifs de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 26 février 2019, Skatteministeriet contre T Danmark et Y Denmark Aps (aff. C-116/16 et C 117/16, point 113) et, d’autre part, qu’en l’espèce c’est sans erreur de droit que la cour administrative d’appel a souverainement constaté qu'aucune des pièces produites par les requérantes n'était de nature à établir que la société mère avait appréhendé les dividendes litigieux versés.

(5 juin 2020, Société Atlantique Négoce, n° 423809 ; Société Euro Stockage, n° 423810 ; Société Euro Stockage, n° 423811 ; Société Atlantique Négoce, n° 423812)

 

76 - Impôts sur le revenu - Régime fiscal des plus-values professionnelles - Conditions d’application - Époux placés sous le régime de la séparation de biens auquel est adossée, par voie conventionnelle, une société d'acquêts - Biens nouveaux apportés par l’un des conjoints à cette société pour l’exercice de sa profession - Soumission au régime de la communauté - Nature des droits acquis par le conjoint sur cet acquêt - Élément du patrimoine professionnel - Plus-value professionnelle soumise au régime fiscal régissant cette catégorie de plus-value - Droit au report d’imposition - Erreur de droit - Annulation sans renvoi (seconde cassation).

Des époux mariés sous le régime de la séparation de biens, ont adjoint à ce régime une société d'acquêts à laquelle l’époux a apporté le fonds de commerce de pharmacie qu'il avait constitué en 1962 et dont l'exploitation a ensuite été confiée à son épouse. En 2005, cette dernière a créé avec leur fils la Sarl Pharmacie X. à laquelle ce fonds de commerce a été apporté.

L’administration fiscale a estimé que l’époux aurait dû déclarer à l'impôt sur le revenu la plus-value d'apport correspondant aux droits qu'il détenait dans la société d'acquêts. Elle a, en conséquence, imposé cette plus-value comme plus-value et, en outre, relevant que l'intéressé n’exerçait plus alors l'activité de pharmacien, elle a considéré qu’il ne satisfaisait pas aux conditions prévues à l'article 151 octies du CGI pour pouvoir bénéficier du report d'imposition. Elle a également estimé sans effet sur cette décision la circonstance que son épouse aurait bénéficié de ce régime pour l'imposition de la fraction de la plus-value la concernant.

Le tribunal administratif ayant rejeté sa requête contre ces décisions, M. X. a interjeté, en vain, appel mais, après cassation de l’arrêt d’appel confirmatif par le Conseil d’État, la cour, à nouveau saisie, a confirmé son arrêt précédent.

M. X. se pourvoit pour la seconde fois en cassation, ce qui conduit le Conseil d’État à se prononcer définitivement sur le fond.

Le Conseil d’État juge avec raison - et c’est le principal apport de sa décision - qu’il résulte de l’art. 151 octies du CGI que « le bénéfice du report d'imposition de la plus-value réalisée à l'occasion de l'apport du fonds de commerce n'est subordonné qu'à l'affectation à une activité professionnelle de l'élément d'actif en cause, sans qu'ait d'incidence la circonstance que le contribuable n'en assure pas personnellement l'exploitation ».

(5 juin 2020, M. X., n° 425113)

 

77 - Bénéfices industriels et commerciaux - Rémunérations et autres versées à l’étranger à des non-résidents eux-mêmes placés sous un régime fiscal privilégié - Article 238 A du CGI - Reversement ou non à des tiers - Situation indifférente au regard de l’art. précité - Cassations et renvois partiels.

La société Faraday, installée à Paris, reverse des commissions aux guides et agences de voyages qui lui adressent des touristes chinois se trouvant dans la capitale, à raison des achats qu’ils font dans son établissement. L’administration fiscale a estimé trop élevé le pourcentage de 25% que, selon la société Faraday, représentaient ces commissions et l’a ramené, par comparaison avec la pratique suivie par une autre enseigne, à 10%, réintégrant le surplus dans le résultat imposable. Elle a également, sur le fondement de l’art. 238 A du CGI, réintégré dans le résultat d’un exercice, les sommes versées par la société Faraday à la société Eagle Vantage Limited, établie à Hong-Kong, en vertu d'un contrat de prestations de services prévoyant notamment le règlement par l'intermédiaire de cette société des commissions dues aux guides et aux agences de voyage apporteurs d'affaires.

Si le tribunal administratif a rejeté le recours dont la société Faraday l’avait saisi, la cour administrative d’appel a réformé ce jugement en déchargeant la société Faraday du surplus d’imposition auquel elle avait été assujettie à raison de la réintégration des sommes versées à la société Eagle Vantage Ltd dans les résultats de l'exercice clos en 2012 ; elle a rejeté le surplus des conclusions de l'appel de la société.

Le Conseil d’État est saisi de deux pourvois qu’il joint. L’un, du ministre de l’action et des comptes publics, est dirigé contre la décharge du surplus d’imposition qui résultait de la réintégration des sommes versées à la société Eagle Vantage Ltd, l’autre, est formé par la société Faraday qui conteste le rejet par la cour du surplus de ses conclusions.

Le juge de cassation, statuant sur le pourvoi de la société, annule l’arrêt d’appel en tant qu’il a rejeté les conclusions de celle-ci contestant le taux de 10% retenu par l’administration pour le montant des commissions versées au lieu de celui de 25% qu’elle avait déclaré en fournissant des factures régulières en attestant car la cour s’est bornée à retenir les bases de comparaison fournies par l’administration fiscale alors que celles-ci n’étaient pas pertinentes en l’espèce. En effet, cette dernière s'était fondée, pour remettre en cause le taux pratiqué par la société Faraday, sur un article de presse ainsi que sur un contrat conclu entre une agence de voyage et une grande enseigne parisienne disposant d'une notoriété internationale, dont la situation n'est en rien similaire à celle de la société requérante, laquelle exploite une boutique éloignée des principaux itinéraires touristiques, se consacre exclusivement à la clientèle de touristes chinois, n'engage aucune dépense de publicité et se trouve ainsi placée dans une situation de dépendance marquée à l'égard de ses apporteurs d'affaires.

Le juge de cassation, statuant sur le pourvoi du ministre, annule sur un second point l’arrêt d’appel en tant que pour dire inapplicable en l’espèce le premier alinéa de l'article 238 A du CGI, il a retenu  que les commissions étaient, en vertu du contrat de prestations de services passé entre les deux sociétés, destinées à rémunérer les guides et les agences de voyage apporteurs d'affaires et ne faisaient que transiter par la société Eagle Vantage Limited avant d'être remises aux intéressés, et il en a déduit que cette société ne pouvait être regardée comme en étant le bénéficiaire.

En effet, cette disposition est applicable aux sommes payées ou dues à des personnes domiciliées ou établies dans un État étranger ou un territoire situé hors de France et qui y sont soumises à un régime fiscal privilégié, sans qu'il y ait lieu de rechercher, lorsque ces conditions sont remplies, si ces personnes les reversent ensuite à des tiers.

(5 juin 2020, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 425789 ; Société Faraday, n° 425962, jonction)

 

78 - Fusion de sociétés ou opérations assimilées - Transferts des déficits antérieurs non encore déduits par la société absorbée ou apporteuse - Obligation d’obtenir un agrément - Nécessité d’absence de changement significatif dans l’activité à l’origine des déficits - Rejet.

En cas de fusion ou d’opération assimilée à une fusion, les déficits de la société absorbée existant antérieurement à la fusion sont transférés à la société absorbante sous condition d’obtention d’un agrément préalablement à cette fusion (II, b de l’art. 209, CGI). Ce transfert n’est possible que si l'activité qui est à l'origine des déficits dont le transfert est demandé n'a pas fait l'objet de la part de la société absorbée de changement significatif (art. 209 précité).

Pour l’appréciation de cette condition, il convient de déterminer, d’une part, la période de référence et d’autre part, ce qu’il convient d’entendre par l’expression « changement significatif ».

Sur le premier point, la période durant laquelle s’apprécie le déficit s’étend de l'exercice de naissance des déficits jusqu'à celui au cours duquel est effectuée la demande tendant à leur transfert. Toutefois, le juge tire de la lecture des travaux préparatoires à la loi dont est issue l’actuelle version de l’art. 209 précité, que la circonstance que l'activité à l'origine des déficits ait été en tout ou partie transférée par anticipation, avant l'opération de fusion ou assimilée, à la société qui la poursuit et demande à ce titre le transfert des déficits qui y trouvent leur origine, ne saurait être regardée comme un changement significatif d'activité justifiant le refus de l'agrément sollicité.

Sur le second point, il est jugé ici que, comme l'avait estimé la cour administrative d’appel, la baisse prononcée du chiffre d'affaires de la société absorbée et la circonstance qu'elle n'employait plus aucun salarié étaient constitutives, en termes notamment de volume et de moyens, d'un changement significatif de son activité.

Le pourvoi est rejeté.

(9 juin 2020, Société ID Espace, n° 436187)

 

 79 - Règles d'évaluation des immobilisations et des stocks - Dispositions de l'article 321-5 du plan comptable général - Évolution de la réglementation applicable - Faculté d’option succédant à une période où cette option était impossible - Principe de permanence des méthodes comptables (art. L. 123-17 du code de commerce) - Option comptable incompatible avec les dispositions fiscales - Choix régulier - Cassation, sans renvoi, du jugement et de l’arrêt d’appel.

Jusqu’à l’entrée en vigueur de nouvelles dispositions du décret du 28 décembre 2005, relatif aux règles d'évaluation des immobilisations et des stocks portant application de l'article 53 A du code général des impôts et relatif aux renseignements à fournir par les entreprises en cas d'opération de fusion portant application de l'article 54 septies du code général des impôts, l'article 38 quinquies de l'annexe III au code général des impôts excluait expressément la prise en compte des frais financiers dans le prix de revient des immobilisations créées par une entreprise, qui ne pouvaient en conséquence être déduits qu'au titre des charges de l'exercice au cours duquel ils étaient supportés. La société requérante a donc, durant cette période, inscrit à l'actif de son bilan les ouvrages autoroutiers qu'elle réalisait, en exécution de contrats de concession, pour un prix de revient incluant les intérêts, dits « intercalaires », exposés antérieurement à leur mise en exploitation au titre des emprunts souscrits pour les financer.

Le décret du 28 décembre 2005 a créé, dans l’annexe III précitée, un article 38 undecies aux termes duquel : « Les coûts d'emprunt engagés pour l'acquisition ou la production d'une immobilisation, corporelle ou incorporelle, ou d'un élément inscrit en stock ou en encours, peuvent être, au choix de l'entreprise, soit compris dans le coût d'origine de l'immobilisation ou du stock, soit déduits en charge au titre de l'exercice au cours duquel les intérêts sont courus.

Les dispositions du premier alinéa s'appliquent aux coûts d'emprunt attribuables aux éléments d'actif et engagés jusqu'à la date d'acquisition ou de réception définitive du bien qui exigent une période de préparation ou de construction en principe supérieure à douze mois avant de pouvoir être utilisés ou cédés. Le choix offert au premier alinéa est irrévocable et s'applique à tous les coûts d'emprunt servant à financer l'acquisition ou la production d'immobilisations, de stocks et d'encours ».

Ainsi, alors que sous l’empire du droit antérieur, les frais financiers ne pouvaient pas être déduits des charges de l'exercice au cours duquel ils étaient supportés, le décret du 28 décembre 2005 a ouvert aux entreprises la faculté d'opter soit pour l'incorporation des frais financiers dans le prix de revient des immobilisations créées par elles, soit pour leur déduction au titre des charges de l'exercice.

La société Cofiroute a opté pour la déduction de ces intérêts du résultat fiscal des exercices au cours desquels ils étaient supportés.

L’administration fiscale a estimé qu’en réalité la société était tenue d'adopter un traitement fiscal des intérêts intercalaires identique au traitement comptable pour lequel elle avait opté, elle a donc réintégré ces frais financiers dans le bénéfice des exercices concernés.

Son recours contre cette décision ayant été rejeté en première instance comme en appel, la société Cofiroute a saisi le juge de cassation.

Le Conseil d’État rappelle que le choix d'inclure les intérêts intercalaires dans le prix de revient auquel elle a inscrit à son actif les ouvrages autoroutiers en litige, qu'elle a construits en exécution de plusieurs contrats de concession, a été fait par la société Cofiroute au cours d'exercices clos antérieurement à l’entrée en vigueur du décret du 28 décembre 2005 et que cette option était alors conforme aux principes généraux de la comptabilité et au demeurant explicitement recommandée par le guide comptable des entreprises cessionnaires adopté par le Conseil national de la comptabilité. 

Le principe de permanence des méthodes comptables énoncé à l'article L. 123-17 du code de commerce imposait donc à la société Cofiroute, sauf modification des règles comptables applicables à ces actifs ou changement exceptionnel dans sa situation, de continuer à appliquer cette méthode d'évaluation.

En conséquence, le comportement de la société requérante consistant à maintenir, pour les exercices ouverts à compter de 2005, le traitement comptable qu'elle avait antérieurement adopté pour l'ensemble de ses biens de retour ne traduisait pas - contrairement à ce que soutenait l’administration fiscale et à ce qu’a jugé la cour administrative d’appel - l'exercice par elle, à compter de ces exercices, d'une nouvelle option comptable dont elle aurait été tenue, dès lors qu'elle était désormais compatible avec la loi fiscale, de tirer les conséquences pour la détermination de son résultat fiscal. La société pouvait ainsi, parfaitement, comme elle l’a fait pour les exercices considérés, passer en charges les intérêts intercalaires.

Aussi paradoxal que cela ait pu sembler aux yeux du fisc, la seule circonstance que la société requérante ait maintenu, pour les exercices ouverts à compter de 2005, sa pratique adoptée antérieurement, consistant à inclure dans la valeur d'inscription à l'actif des ouvrages autoroutiers en litige les frais financiers afférents aux emprunts contractés pour leur production, ne faisait pas obstacle, alors même qu'une telle pratique comptable n'était plus incompatible avec la loi fiscale, à ce qu'elle n'opte pas pour un traitement fiscal identique et traite ces frais financiers comme des charges déductibles.

(9 juin 2020, Société anonyme Cofiroute, n° 416739)

 

80 - Article L. 190 du livre des procédures fiscales - Demandes de restitution d’impôt fondées sur l’inconstitutionnalité de la loi - Soumission au régime contentieux de droit commun non à celui de la QPC - Inconstitutionnalité - Rejets de la QPC et sur le fond.

(9 juin 2020, Société locale d'épargne de Haute-Garonne Sud-Est, n° 438822) V. n° 153

 

81 - Impôts payés spontanément - Demande de restitution après liquidation - Demande relative au montant de l’impôt non à son assiette ou à son calcul - Même solution lorsque le contribuable estime ne devoir rien payer au titre de cet impôt - Obligation de produire le relevé de solde (art. 360 ann. III CGI) devant l’administration saisie d’une demande de restitution avant qu’elle n’y statue - A défaut, irrecevabilité de l’action contentieuse devant le juge administratif - Rejet.

Lorsque le paiement d’un impôt s'effectue par voie de rôle, la contestation en vue de sa restitution en tout ou en partie concerne la détermination de l’assiette de cet impôt. Au contraire, lorsque l’impôt, comme ici l’impôt sur les sociétés, fait l'objet d'un paiement spontané par le contribuable, suivi d'une régularisation lorsque la société dépose sa déclaration de résultats, sa contestation concerne le montant de la dette fiscale de la société compte tenu des paiements déjà effectués et relève du contentieux du recouvrement même dans l’hypothèse où la société considère finalement ne devoir aucun impôt.

Il s’ensuit l’obligation impérative pour cette dernière de joindre à sa demande de restitution d'acomptes provisionnels d'impôt sur les sociétés versés au Trésor public, adressée à l’administration fiscale, le relevé de solde prévu par l'article 360 de l'annexe III au CGI avant que celle-ci ne statue de sorte qu'elle soit en mesure d'en apprécier l'existence et le montant. A défaut sa requête contentieuse serait irrecevable.

Une demande de restitution à l'appui de laquelle ne sont pas produites, devant l'administration, avant que celle-ci n'y statue, les pièces justificatives, nécessaires à l'appréciation de son bien-fondé, est, de ce fait, irrecevable.

C’est donc sans erreur de droit que la cour administrative d’appel a opposé en l’espèce à la requête de la société Sofil l’exception d’irrecevabilité.

(9 juin 2020, Société Sofil, n° 417936)

(82) V. aussi, du même jour avec identique solution : 9 juin 2020, GSI Gervais Smaniotto industries, n° 418914

 

83 - Impôt sur les sociétés - Transfert du siège social de la société dans un autre État de l’Union européenne - Obligations déclaratives - Hypothèse de cessation partielle ou totale d’assujettissement à l’impôt sur les sociétés en France - Rejet.

Le juge rappelle que si, en principe, le transfert du siège social d’une société de la France vers un autre État de l’Union n'emporte pas, par lui-même, la mise en œuvre de la procédure d'imposition immédiate des bénéfices réalisés de l'entreprise qui n'ont pas encore été imposés et l'obligation de déclaration de ses résultats à l'administration fiscale (cf. art. 201 CGI), il en va différemment dans le cas où ce transfert entraîne la cessation totale ou partielle de son assujettissement à l'impôt sur les sociétés en France. Dans cette hypothèse, le texte précité assujettit la société à la procédure d'imposition immédiate de ses bénéfices qui n'ont pas encore été imposés ainsi qu'à l'obligation de faire parvenir à l'administration, dans un délai de soixante jours, la déclaration de son bénéfice réel, accompagnée d'un résumé de son compte de résultat. A défaut, l’administration est fondée, comme en l’espèce, à imposer la contribuable en recourant à la redoutable procédure de la taxation d’office.

(9 juin 2020, GSI Gervais Smaniotto industries, n° 418913)

 

84 - Impôts fonciers - Revenu brut foncier - Détermination - Déduction des intérêts des emprunts contractés pour l'acquisition de biens ou droits immobiliers destinés à procurer des revenus fonciers - Intérêts d’un emprunt contracté pour faire face à un remboursement de parts d’un associé ordonné par la justice - Déductibilité admise en appel - Rejet.

Constatant qu’une SCI qui avait été condamnée par décision de justice à rembourser les parts d'un de ses quatre associés et que l'inexécution de cette décision exposait cette société et les associés restants au risque, notamment de la vente du bien dont il s'agit, une cour administrative d’appel avait jugé que les intérêts de l'emprunt souscrit pour rembourser ces parts étaient déductibles en application des dispositions de l'article 31 du code général des impôts. Le ministre de l’action et des comptes publics contestait la déductibilité de ces intérêts du revenu brut foncier et il s’est pourvu en cassation.

Le Conseil d’État, confirmant l’arrêt d’appel, rappelle que seuls les intérêts des emprunts contractés pour l'acquisition de biens ou droits immobiliers destinés à procurer des revenus fonciers sont déductibles du revenu brut foncier et qu’il en va ainsi des intérêts des emprunts souscrits par un associé pour acquérir les parts d'une société de personnes dont les résultats sont imposables dans la catégorie des revenus fonciers. Il en est de même pour le remboursement des parts d'un associé par une telle société lorsqu'il est établi que l'emprunt est nécessaire pour la conservation du revenu foncier de celle-ci.

Le pourvoi est rejeté.

(9 juin 2020, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 426342)

(85) V. aussi, du même jour et avec même requérant en cassation, la solution identique contenue dans : 9 juin 2020, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 426339, ainsi que dans : 9 juin 2020, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 426343

 

86 - Crédit impôt recherche (art. 244 quater B du CGI) - Dépenses de recherche effectuées par une société pour le compte d’une autre qui lui en a confié la réalisation - Éligibilité à ce mécanisme fiscal - Annulation avec renvoi.

Le code général des impôts (art. 244 quater B) institue un crédit d’impôt au profit des entreprises agréées à cet effet qui engagent des dépenses en vue d’effectuer des recherches en satisfaisant aux conditions posées.

En l’espèce, l’entreprise demanderesse avait exposé des dépenses pour réaliser des recherches qu’elle effectuait pour le compte d’une autre entreprise agréée et sur sa demande.

L’administration fiscale, confirmée par les premiers juges, avait refusé la déductibilité de ces dépenses en raison de ce que ces recherches n’avaient pas été effectuées par elle pour son propre compte.

Le Conseil d’État censure ce raisonnement : la déductibilité est possible que les recherches soient entreprises par une société agréée pour elle-même ou par elle pour le compte d’une autre entreprise agréée. Il ne pourrait en aller autrement que si était rapportée la preuve que cette situation résultait d’un montage frauduleux.

(9 juin 2020, Société Hays France, n° 427441)

 

87 - Impôt sur les sociétés - Impôts sur les revenus de capitaux mobiliers - Rehaussements des résultats d'une société - Imposition à raison de bénéfices distribués à hauteur de ces rehaussements - Absence de preuve de la distribution de ceux-ci - Caractère indifférent de ce que le contribuable a la qualité de maître de l'affaire - Annulation avec renvoi partiel.

Des précisions importantes sont apportées par cette décision.

Lorsque, à la suite du rehaussement des résultats d'une société, aucune cotisation à l'impôt sur les sociétés n'a été mise à la charge de celle-ci en raison de l'absence de solde bénéficiaire, l'administration fiscale ne saurait estimer que ce rehaussement suffit par lui-même à révéler l'existence de bénéfices ou produits non mis en réserve ou incorporés au capital, par conséquent taxables entre les mains de leur bénéficiaire comme revenus distribués.

C'est à l'administration qu'il incombe d'établir que des sommes ont été mises à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts pour prétendre les soumettre à l'impôt sur le revenu (2° du 1 de art.109, 1, 2° du CGI).

En outre, dans une telle situation est sans incidence le fait que le contribuable soit le maître de l'affaire.

(29 juin 2020, M. X., n° 433827)

 

88 - Taxe à la valeur ajoutée - Vente de terrains à bâtir - Soumission à la TVA en cas de cession à des fins de commercialisation foncière - Non-assujettissement à la TVA en cas de gestion ordinaire du patrimoine privé - Exercice en l’espèce d’une activité économique - Assujettissement à la TVA - Rejet.

Un particulier ayant vendu, après leur aménagement pour en permettre la viabilité, dix-huit parcelles de terrain à bâtir, l’administration a estimé qu’il était redevable de la TVA sur le prix de cession de ces parcelles et a rappelé les droits éludés assortis d’une pénalité.

Ayant contesté en vain cet assujettissement, le requérant se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État rejette son pourvoi car, confirmant le raisonnement de la cour administrative d’appel, il considère qu’en procédant à des travaux de viabilisation d'un montant de 552 281, 89 euros, représentant plus de 40 % du prix de vente et un montant unitaire de plus de 30 000 euros par parcelle, le demandeur a réalisé une opération qui ne relevait pas de la simple gestion d'un patrimoine privé mais qui caractérisait l'existence de démarches actives de commercialisation, révélatrice  d’une activité économique devant être soumise comme telle à la TVA, alors même qu'il n'aurait, par ailleurs, pas mis en œuvre des moyens de vente de type professionnel.

(9 juin 2020, M. X., n° 432596)

 

89 - Répression des abus de droit - Société mère s’étant constituée seule redevable de l’impôt sur les sociétés du par elle-même et par les sociétés qu’elle détient - Régime du contrôle fiscal en ce cas - Étendue de l’obligation d’information en découlant - Insuffisance d’information sur les pénalités encourues - Confirmation de l’arrêt d’appel sur ce point et rejet du pourvoi.

L'article 223 A CGI régit la situation née, au regard des obligations d’information s’imposant à l’administration fiscale, de ce qu’une société mère s’est constituée seule redevable de l’impôt sur les sociétés dû par elle-même et par les sociétés qu’elle détient à plus de 95 %. D’une part, en ce cas, chacune de ces sociétés constitue une entité autonome pour ce qui est du contrôle fiscal et demeure soumise à l'obligation de déclarer ses résultats. Elle est, au reste, la seule interlocutrice de l’administration durant tout le cours de la procédure de vérification de comptabilité et de rectification. D’autre part, les rectifications apportées aux résultats déclarés par les sociétés membres du groupe constituent - du fait du choix opéré par la société mère - les éléments d'une procédure unique conduisant, après correction du résultat d'ensemble déclaré par la société mère du groupe, à la mise en recouvrement des rappels d'impôt établis à son nom sur les rehaussements de ce résultat d'ensemble.

Il résulte de cette dualité technique et procédurale :

1° que l'information qui doit être donnée à la société mère avant cette mise en recouvrement peut être réduite à une référence aux procédures de rectification qui ont été menées avec les sociétés membres du groupe et à un tableau chiffré qui en récapitule les conséquences sur le résultat d'ensemble, sans qu'il soit nécessaire de reprendre l'exposé de la nature, des motifs et des conséquences de chacun des chefs de rectification concernés ;

2° que cette information doit néanmoins comporter l'indication du montant des pénalités ainsi que les modalités de détermination mises en œuvre par l'administration, parce que ces indications constituent une garantie permettant à la société mère de contester utilement les sommes mises à sa charge.

En l’espèce, la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit quand, après avoir relevé la circonstance non contestée que le montant des « pénalités pour abus de droit de 80 % (article 1729) », mentionné dans la lettre transmise avant la mise en recouvrement des sommes litigieuses ne résultait pas de l'application du taux de 80 % au montant des cotisations supplémentaires assignées à la redevable, elle a jugé qu’en l'absence de toute indication sur les modalités de détermination des pénalités, l'information donnée à la société mère sur ce point était insuffisante et qu’en conséquence il y avait lieu pour elle d’en prononcer la décharge.

(25 juin 2020, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 421095)

(90) V. aussi, dans une affaire identique à la précédente, avec mêmes parties mais non jointe : 25 juin 2020, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 421096.

 

91 - Impôts et taxes - Désignation par le contribuable d'un mandataire - Élection de domicile auprès de ce mandataire - Conséquences pour l'administrtation fiscale - Communication des pièces et actes - Rejet.

Rappel de ce que : "Pour l'application de ces dispositions (art. L. 48, L.57 et L. 76 LPF), le mandat donné à un conseil ou à tout autre mandataire par un contribuable, personne physique ou morale, pour recevoir l'ensemble des actes de la procédure d'imposition et y répondre emporte, sauf stipulation contraire, élection de domicile auprès de ce mandataire. Lorsqu'un tel mandat a été porté à la connaissance du service chargé de la procédure d'imposition, celui-ci est en principe tenu d'adresser au mandataire l'ensemble des actes de cette procédure, y compris dans l'hypothèse où un nouveau mandataire représentant le contribuable est désigné, à moins que ce nouveau mandat révoque le précédent ou qu'un acte emportant une nouvelle élection de domicile soit porté à la connaissance de l'administration. Si, cependant, l'administration procède à une notification non au contribuable lui-même, mais à une personne qui se présente comme son mandataire, il appartient au juge d'apprécier, eu égard à l'ensemble des circonstances de l'espèce, si la notification est parvenue au contribuable et si, par suite, elle peut être regardée comme régulière.

(12 juin 2020, Société SMAP, n° 420306)

 

92 - Impôt sur les sociétés - Fiscalité des non-résidents - Régime fiscal privilégié du fait de l'application d'une loi fiscale étrangère - Notion - Obligations s'imposant à l'administration et, le cas échéant, au contribuable - Cassation avec renvoi.

L'art. 238 A du CGI décide que  " (...) les rémunérations de services, (payées) ou (dues) par une personne physique ou morale domiciliée ou établie en France à des personnes physiques ou morales qui sont domiciliées ou établies dans un État étranger ou un territoire situé hors de France et y sont soumises à un régime fiscal privilégié, ne sont (admises) comme charges déductibles pour l'établissement de l'impôt que si le débiteur apporte la preuve que les dépenses correspondent à des opérations réelles et qu'elles ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré.

Pour l'application du premier alinéa, les personnes sont regardées comme soumises à un régime fiscal privilégié dans l'État ou le territoire considéré si elles n'y sont pas imposables ou si elles y sont assujetties à des impôts sur les bénéfices ou les revenus dont le montant est inférieur de plus de la moitié à celui de l'impôt sur les bénéfices ou sur les revenus dont elles auraient été redevables dans les conditions de droit commun en France, si elles y avaient été domiciliées ou établies. "

Selon le Conseil d'État il incombe à l'administration de rapporter la preuve qu'une société est soumise à un régime fiscal privilégié au sens de l'article 238 A précité et ce n'est pas le cas lorqu'elle se prévaut de la seule absence, au cours des exercices litigieux, d'un impôt sur les sociétés dans l'État en cause, sans prendre en compte les autres impositions directes sur les bénéfices et les revenus prévues, le cas échéant, par la législation de cet État. Elle commet donc une erreur de droit en se bornant à comparer des catégories d'impôts entre elles au lieu de tenir compte de l'ensemble de la fiscalité applicable en l'espèce. à un même objet.

En revanche, résultat d'un certain partage de la charge de la preuve, c'est au contribuable qu'il échet d'apporter la preuve que les dépenses en cause correspondent à des opérations réelles et qu'elles ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré.

(29 juin 2020, Sarl Bernys, n° 433937)

 

Droit public de l’économie

 

93 - Droit de la concurrence - Décision de l’Autorité de la concurrence - Autorisations données à des prises de contrôle de commerces - Demandes de suspension par voie de référé - Absence d’urgence à statuer - Rejet.

Le juge du référé suspension du Conseil d’État était saisi par les requérantes d’une demande de suspension d’autorisations accordées - dans l’île de La Réunion - par l’Autorité de la concurrence, respectivement à la prise de contrôle exclusif d’une société par une autre, puis à la prise de contrôle, par un groupe conjoint, de quatre magasins de commerce de détail à dominante alimentaire et, enfin, à la prise de contrôle exclusif de deux fonds de commerce à dominante alimentaire.

Constatant que le motif dominant de la requête, l’atteinte à la concurrence sur un marché relativement étroit, notamment le commerce de livres, ne révélait pas une urgence à statuer, le juge rejette la requête.

(ord. réf. 17 juin 2020, Société Excellence et autres, n° 440949)

 

94 - Services publics de transport en commun de voyageurs - Subvention accordée par une région en matière d’investissement dans ces services - Qualification de la subvention comme aide d’État - Conditions de versement ou reversement de la subvention - Vice affectant le contrat n’empêchant pas l’application des stipulations de son avenant - Rejet pour l’essentiel.

Cette décision fait suite à plusieurs autres (voir cette Chronique) nées de l’important contentieux découlant de ce que la région Ile-de-France avait créé un dispositif d'aides à l'investissement dans les services de transport en commun de voyageurs, dispositif qui a été jugé constituer une aide d’État au sens du droit de l’Union.

La région avait, en particulier, prévu, lorsque l'entreprise exploitante finance l'investissement, le reversement de la subvention versée à la collectivité publique maître d'ouvrage à ladite entreprise.

En l’espèce, une société de transports avait conclu dans le cadre de ce dispositif un contrat d'exploitation de lignes d'autobus ou d'autocars avec un département et financé leur équipement. Toutefois, le département n'ayant pas reçu l'aide régionale correspondant aux investissements financés par la société, s’est refusé à lui verser les sommes correspondantes, prévues par des avenants au contrat d'exploitation et qu’elle lui avait réclamées.

Postérieurement à cet incident, la Commission européenne a estimé que les subventions ainsi accordées constituaient des aides d'État mises à exécution illégalement car non déclarées préalablement mais compatibles avec le marché intérieur.

Le Conseil d’État approuve la cour administrative d’appel d’avoir jugé qu’eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles et compte-tenu des conséquences découlant de l'illégalité entachant les délibérations du conseil régional, cette illégalité ne présentait pas le caractère d'un vice d'une gravité telle qu'il doive conduire à écarter les stipulations de l'avenant au contrat d'exploitation permettant de mettre les sommes correspondantes à la charge du département dans le cas où les subventions régionales n'ont pas été versées à l'exploitant, comme ce fut le cas en l’espèce.

Ce litige doit donc être traité sur le terrain contractuel sauf s’agissant des intérêts dus au titre de la période qui précède la date de la décision de la Commission européenne déclarant les aides compatibles avec le marché intérieur.

(25 juin 2020, Département de la Seine-Saint-Denis, n° 418446)

 

95 - Demande d’attribution de terres agricoles - Terres situées sur une section de commune - Régime d’attribution - Cas où l’attribution agrandirait l’exploitation des pétitionnaires au-delà du seuil fixé par le schéma départemental des structures - Obligation d’obtenir une autorisation préalable d’exploiter - Absence d’obligation d’antériorité de cette autorisation par rapport à la décision d’attribution des terres - Erreur de droit à juger le contraire - Cassation avec renvoi.

Des agriculteurs demandent à une commune que lui soient attribuées des terres agricoles situées dans une section de commune, la réponse positive à cette demande ayant pour effet de porter la surface globale exploitée par les pétitionnaires au-delà de 50 hectares, seuil fixé par le schéma départemental des structures de l’Aveyron, ce qui nécessite une autorisation préalable d’exploiter. Pour refuser l’attribution sollicitée, le maire se fonde sur ce que les intéressés devaient avoir obtenu cette autorisation préalable avant de le saisir de toute demande d’attribution desdites terres.

Le juge de cassation relève l’erreur de droit des juges du fond pour avoir admis un tel raisonnement.

Les deux procédures (attribution de terres agricoles et autorisation d’exploiter) sont indépendantes l’une de l’autre et doivent, chacune, satisfaire aux exigences qui leur sont propres.

(25 juin 2020, M. et Mme X. c/ commune de Prades d'Aubrac, n° 423455)

(96) V. aussi, du même jour et concernant la même commune défenderesse, avec identité de litige et de solution : 25 juin 2020, MM. X. et Y. c/ Commune de Prades d’Aubrac, n° 423463.

 

Droit social et action sociale

 

97 - Contentieux sociaux - Pouvoirs et devoirs du juge saisi - Office du juge - Obligation de vider lui-même le contentieux - Annulation, sans renvoi, du jugement - Renvoi à la commune pour qu’il soit fait droit aux prétentions de la requérante.

Dans cette affaire, la requérante, ancienne fonctionnaire communale ayant démissionné de son emploi pour suivre des études d’infirmière, demandait l’annulation de la décision du maire de la commune de Castries lui refusant le bénéfice des allocations d'aide au retour à l'emploi ainsi que de sa décision implicite rejetant une seconde demande présentée, et d'autre part, d'enjoindre au maire de statuer sur ses demandes dans un délai de 8 jours assorti d'une astreinte. Le tribunal administratif a annulé la décision expresse du maire ainsi que la décision implicite qui ont rejeté ces demandes et lui a enjoint de réexaminer ces dernières. La commune se pourvoit.

C’est l’occasion pour le Conseil d’État de rappeler, avec beaucoup de pédagogie, le rôle particulier (et, pour tout dire, assez singulier) dévolu au juge dans les contentieux sociaux où il exerce un pouvoir mi-juridictionnel et mi-administratif, portant ainsi à son degré maximum (voire la dépassant) sa qualité de juge de la pleine juridiction.

Censurant le jugement qui lui est déféré, le Conseil d’État rappelle d’abord abstraitement ce qu’est ici l’office du juge puis fait application de cette directive générale au cas de l’espèce.

Il écrit tout d’abord ceci : « Lorsqu'il statue sur un recours dirigé contre une décision par laquelle l'administration, sans remettre en cause des versements déjà effectués, détermine les droits d'une personne en matière d'aide ou d'action sociale, de logement ou au titre des dispositions en faveur des travailleurs privés d'emploi, et sous réserve du contentieux du droit au logement opposable, il appartient au juge administratif, eu égard tant à la finalité de son intervention qu'à sa qualité de juge de plein contentieux, non de se prononcer sur les éventuels vices propres de la décision attaquée, mais d'examiner les droits de l'intéressé, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de fait qui résultent de l'instruction et, notamment, du dossier qui lui est communiqué en application de l'article R. 772-8 du code de justice administrative. Au vu de ces éléments, il lui appartient d'annuler ou de réformer, s'il y a lieu, cette décision, en fixant alors lui-même tout ou partie des droits de l'intéressé et en le renvoyant, au besoin, devant l'administration afin qu'elle procède à cette fixation pour le surplus, sur la base des motifs de son jugement. Dans le cas d'un contentieux portant sur les droits au revenu de remplacement des travailleurs privés d'emploi, c'est au regard des dispositions applicables et de la situation de fait existant au cours de la période en litige que le juge doit statuer ».

Il en déduit ensuite que : « En se fondant sur la seule circonstance que la commune de Castries s'était abstenue de vérifier si Mme X. avait effectivement recherché un emploi ou si elle pouvait être présumée en recherche d'emploi, pour annuler les décisions contestées, sans se prononcer lui-même sur le respect de cette condition, et en se bornant, au surplus, à enjoindre, par voie de conséquence, au maire de la commune de réexaminer les demandes rejetées, le tribunal administratif de Montpellier, à qui il appartenait de fixer lui-même tout ou partie des droits de l'intéressée en annulant ou réformant les décisions en cause, a méconnu son office. La commune de Castries est, par suite, fondée à demander l'annulation du jugement qu'elle attaque ».

Tout ceci est bel et bon mais est-ce encore là l’exercice d’une fonction véritablement et strictement juridictionnelle ?

(9 juin 2020, Commune de Castries, n° 420142)

 

98 - Droit du travail - Repos dominical - Dérogations - Alsace-Moselle - Commerces d’alimentation - Distinction selon la superficie (inférieure ou égale à 200 m2) - Distinction inconnue des textes - Légalité - Rejet.

L’art. L. 3134-7 du code du travail permet au préfet de déroger, à certaines conditions, à l’interdiction du travail dominical et les autres jours fériés édictée par l’art. L. 3134-2 de ce code dans le Haut-Rhin, le Bas-Rhin et la Moselle.

Ces dérogations ne peuvent être accordées qu'à des catégories d'activités dont l'exercice complet ou partiel est nécessaire les dimanches ou jours fériés pour la satisfaction de besoins de la population présentant un caractère journalier ou se manifestant particulièrement ce jour-là.

En l’espèce, le préfet de la Moselle avait autorisé l’ouverture de commerces d'alimentation générale d'une superficie inférieure ou égale à 200 mètres carrés. La cour administrative d’appel avait estimé que le préfet, ce décidant, n’avait pas fait une inexacte application du texte susrappelé. Le Conseil d’État approuve alors même que ce seuil de 200 mètres carrés ne se rattache à aucune distinction dans les textes de droit positif.

(10 juin 2020, Société Metzervisse Contact, n° 424344)

(99) V. aussi, sur cette question, voisin, également dans les départements alsaço-mosellan, mais posant également d’autres questions : 10 juin 2020, Commune de Strasbourg, n° 424353 ; Société Supermarchés Match, n° 424414, jonction.

(100) V. également sur ce sujet : 10 juin 2020, Département du Bas-Rhin, n° 424389.

 

101 - Aide sociale - Personne majeure handicapée - Prise en charge en accueil temporaire par le département - Montant maximum journalier de la participation de l’intéressé - Prise en compte des revenus disponibles après acquittement de sa participation par l’intéressé - Annulation de la Commission centrale d’aide sociale.

Le présent litige est né du refus d’un département de prendre en charge une personne majeure handicapée au titre de l'aide sociale les frais d'hébergement et d'entretien de l'accueil temporaire de celle-ci à raison de quatre-vingt-dix jours par an dans un foyer de vie.

Le département avait fixé la contribution journalière du demandeur à 121,09 euros et la Commission centrale d’aide sociale avait rejeté son recours contre ce montant.

Le Conseil d’État casse cette décision au motif qu’il résulte des dispositions des articles L. 314-8 et R. 314-194 ainsi que du 2° de l'article L. 314-8 du code de l'action sociale et des familles, éclairées par les travaux parlementaires ayant conduit à l'adoption de la loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale dont elles sont issues, que le législateur a entendu que la participation des personnes accueillies à titre temporaire dans un établissement pour adultes handicapés aux frais afférents à leur prise en charge n'excède pas, quelles que soient leurs ressources, un montant que l'article R. 314-194 du même code a fixé à hauteur du forfait journalier hospitalier prévu à l'article L. 174-4 du code de la sécurité sociale pour un accueil avec hébergement. Or le forfait journalier hospitalier était, au cours de la période en litige, de 18 puis de 20 euros. La Commission a donc commis une erreur de droit en laissant à la charge de cette personne une somme journalière de 121,09 euros.

(10 juin 2020, M.X., n° 425065)

 

102 - Licenciement d'un salarié protégé - Autorisation de l'inspecteur du travail - Licenciement pour motif économique - Contrôle du juge - Office du juge - Obligation d'apprécier lui-même directement ce motif - Cassation avec renvoi.

Dans un litige né de l'autorisation donnée par l'inspection du travail au licenciement pour motif écoonomique d'un délégué du personnel, salarié protégé, le Conseil d'État annule le jugement du tribunal administratif qui a estimé cette autorisation illégale.

Il est reproché aux juges du fond - s'agissant d'un licenciement pour motif économique - de s'être bornés à examiner les conditions dans lesquelles l'inspecteur du travail avait apprécié la définition du périmètre d'examen des difficultés économiques invoquées par l'employeur alors qu'il leur incombait de contrôler directement eux-mêmes le bien-fondé de ce motif économique en examinant la situation de l'ensemble des entreprises du groupe intervenant dans le même secteur d'activité.

Cette solution s'inscrit dans une tendance jurisprudentielle lourde à voir le juge administrtatif exercer un contrôle aussi complet que possible sur les motifs des décisions de licenciement.

(29 juin 2020, Société Les Papeteries du Léman, n° 417940)

(103) V. aussi, du même jour, relativement au même litige, et précisant que les juges du fond apprécient souverainement, sauf dénaturation, l'existence de secteurs d'activité distincts afin de contrôler la réalité des motifs économiques allégués à l'appui d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé présentée par une société qui fait partie d'un groupe : 29 juin 2020, M. X., n° 423673.

 

104 - Salarié - Notion de "lieu de travail" - Salarié protégé - Contrat de travail ne comportant pas de clause de mobilité mais relatif à des fonctions impliquant une mobilité - Modification du contrat de travail - Notion - Rejet.

Quel est le lieu de travail d'un salarié protégé lorsque celui-ci n'est pas précisé dans le contrat de travail et comment s'apprécie l'exigence de mobilité quand ce même contrat, tout en ne l'évoquant pas, confie des fonctions qui ne l'excluent pas ?

Le Conseil d'État esquisse ici des solutions moyennes pour résoudre des situations difficiles dans le cadre d'un licenciement de salarié protégé pour refus de mobilité.

Tout d'abord, il est jugé que faute de mention, dans le contrat de travail, du lieu de travail d'un salarié, la modification de ce lieu de travail constitue un simple changement des conditions de travail, dont le refus par le salarié est susceptible de caractériser une faute de nature à justifier son licenciement, lorsque le nouveau lieu de travail demeure à l'intérieur d'un même secteur géographique, lequel s'apprécie, eu égard à la nature de l'emploi de l'intéressé, de façon objective, en fonction de la distance entre l'ancien et le nouveau lieu de travail ainsi que des moyens de transport disponibles.

Ensuite, il est également jugé que dans le cas où le contrat de travail comporte soit une clause de mobilité soit l'exercice de fonctions impliquant par elles-mêmes une mobilité, tout déplacement du lieu de travail du salarié, ce qui doit être distingué de déplacements occasionnels, dans un secteur géographique différent du secteur initial constitue une modification du contrat de travail.

Enfin, le juge de cassation laisse aux juges du fond un pouvoir souverain d'appréciation pour déterminer si les fonctions d'un salarié impliquent, par elles-mêmes une mobilité, pouvant justifier un déplacement du lieu de travail dans un secteur géographique différent du secteur initial non constitutif d'une modification du contrat de travail.

(29 juin 2020, Société Le Floch Dépollution, n° 428694)

 

Élections

 

105 - Covid-19 - Élections municipales - Second tour - Risque de contamination des électeurs - Risque d’homicides involontaires - Demande de suspension du décret convoquant les électeurs - Rejet.

Les requérants demandaient, sur le fondement de l’art. L. 521-1 CJA, la suspension du décret du 27 mai 2020 portant convocation des collèges électoraux pour le second tour des élections municipales et communautaires le 28 juin 2020.

Ils invoquent divers motifs tournant tous autour du risque sanitaire encouru de ce fait et de l’insincérité du scrutin résultant de cette situation du fait d’une campagne électorale guère possible.

La requête est - sans grande surprise - rejetée par le juge. Celui-ci n’aperçoit aucun motif d’illégalité tant en raison des précautions sanitaires prises pour le jour du scrutin qu’en raison de l’allongement de la durée de la campagne ainsi que de la diversité des moyens de propagande pouvant être utilisés.

(ord. réf. 11 juin 2020, M. X. et autres, n° 441047)

(106) V. aussi, à propos des conditions de recueil des procurations en vue du second tour des élections municipales et communautaires du 28 juin 2020, de leur possible obsolescence et des effets de cette dernière sur la sincérité du scrutin : 22 juin 2020, M. X. et autres, n° 441206 ou encore, répondant négativement à l’objection tirée de la théorie civiliste du mandat (art. 1989 c. civ.) : 22 juin 2020, M. X., n° 441284.

(107) V. également, concernant le rejet de recours dirigés contre les dispositions du décret n° 2020-642 du 27 mai 2020 fixant la date du second tour du renouvellement général des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers de Paris et des conseillers métropolitains de Lyon, et portant convocation des électeurs : 8 juin 2020, MM. X. et Y., n° 440900 ; Association 50 millions d'électeurs et autres, n° 440919 ; M. X., n° 440946.

Environnement

 

108 - Réserve naturelle nationale (classement en -) - Conservation d’espèces et/ou de milieu revêtant un intérêt scientifique ou écologique important - Classement des zones périphériques ou de transition - Rejet.

L’association requérante demandait l’annulation du décret du 10 mai 2017 portant extension et modification de la réserve nationale du banc d'Arguin ainsi que du refus implicite du premier ministre de faire droit à la demande d’annulation de ce décret dont elle l'avait saisi.

Cette décision se signale à l’attention par un rappel et par une précision.

La décision rappelle que le principe selon lequel un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie, est applicable indifféremment dans le cas où cette procédure est facultative que dans le cas où elle est obligatoire avec cette précision que dans cette seconde hypothèse, l’omission litigieuse ne doit pas avoir pour effet d'affecter la compétence de l'auteur de l'acte.

La décision innove quelque peu par l’interprétation extensive qu’elle donne des dispositions de l'article R. 332-14 du code de l'environnement (selon lesquelles : « L'extension du périmètre ou la modification de la réglementation d'une réserve naturelle nationale, son déclassement partiel ou total font l'objet des mêmes modalités d'enquête et de consultation et des mêmes mesures de publicité que celles qui régissent les décisions de classement.

L'extension du périmètre ou la modification de la réglementation est prononcée par décret. Elle est prononcée par décret en Conseil d'État en cas de désaccord d'un ou plusieurs propriétaires ou titulaires de droits réels. (...) »).

En effet, le juge tire de ce texte cette conséquence que « peuvent être classées en réserve naturelle nationale les parties du territoire au sein desquelles la conservation des espèces et du milieu naturel revêt une importance écologique ou scientifique particulière ou qu'il convient de soustraire à toute intervention artificielle susceptible de les dégrader, ainsi que les zones qui contribuent directement à la sauvegarde de ces parties du territoire, en particulier lorsqu'elles en constituent, d'un point de vue écologique, une extension nécessaire ou qu'elles jouent un rôle de transition entre la zone la plus riche en biodiversité et le reste du territoire ».

C’est là une logique constante du droit de l’environnement (cf. par exemple les zones Natura 2000) : tout régime de protection comporte une zone centrale qui est l’objet même de la protection instituée et une zone périphérique, plus ou moins étendue selon les cas, généralement concentrique, afin de ménager une transition entre la zone de non-protection et celle de protection maximum. Dans de très nombreux cas, en effet, l’absence de toute zone intermédiaire ne permettrait pas (ou permettrait mal) de donner à la protection toute son efficacité.

(3 juin 2020, Association Amis du banc d'Arguin du bassin d'Arcachon, n° 414018)

 

109 - Détermination du périmètre et constitution d’une zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF) et constitution de son inventaire - Nature juridique - Absence de caractère décisoire - Acte non susceptible de faire grief - Rejet.

La commune de Piana a sollicité l’annulation de la décision par laquelle le Préfet de la Corse-du-Sud a rejeté sa demande tendant à la réduction du périmètre de la zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique « Capo Rosso, côte rocheuse et îlots » ainsi que de la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique auprès du ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer. Le tribunal administratif a annulé les décisions litigieuses mais la cour administrative d’appel a annulé ce jugement. La commune se pourvoit.

Le Conseil d’État, adoptant le même raisonnement que la juridiction d’appel, juge que les inventaires des richesses écologiques, faunistiques et floristiques réalisés dans les ZNIEFF, ne constituent qu’un outil d'inventaire scientifique du patrimoine naturel permettant d'apprécier l'intérêt environnemental d'un secteur pour l'application de législations environnementales et urbanistiques mais, par eux-mêmes, ils sont dépourvus de portée juridique et d'effets. Par suite, n’étant pas des actes faisant grief, ces inventaires, tout comme le refus de modifier les ZNIEFF existantes, ne sauraient être déférés au juge de l’excès de pouvoir et cela alors même que les données qui y figurent sont susceptibles d'être contestées à l'occasion du recours formé contre une décision prise au titre de ces législations.

(3 juin 2020, Commune de Piana, n° 422182)

 

110 - Police spéciale des carrières - Autorisation préfectorale de réouverture d’une carrière de marbre blanc - Autorisation dérogeant aux interdictions de destruction d'espèces de flore et de faune sauvages protégées (art. L. 411-2 du code de l'environnement) - Nécessité d’existence d’une raison impérative d'intérêt public majeur - Cas en l’espèce - Cassation avec renvois.

Des requérants avaient demandé au tribunal administratif et obtenu l’annulation d’un arrêté préfectoral accordant à la société La Provençale une dérogation aux interdictions de destruction d'espèces de flore et de faune sauvages protégées, dans le cadre de la réouverture d’une carrière de marbre blanc, la carrière de Nau-Bouques. Ce jugement a été confirmé par la cour administrative d'appel qui a rejeté l'appel formé par le ministre de l'environnement et celui formé par la société La Provençale.

Les défendeurs appelants se pourvoient et le recours du ministre est accueilli tandis que celui de la société est déclaré irrecevable, cette dernière n’ayant pas eu dans l’instance d’appel la qualité de partie ou d’intervenante.

L'article L. 411-1 du code de l'environnement fixe un régime très strict d’interdictions diverses lorsque les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation d'espèces animales non domestiques. Le I de l’art. L. 411-2 eod. loc. prévoit en son 4° la possibilité de dérogations aux interdictions précitées sous trois conditions, généralement appréciées de façon restrictive : 1) il ne doit pas exister d'autre solution satisfaisante ; 2)  la dérogation ne doit pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ; 3) Cette dérogation ne peut être accordée que pour l’un des motifs limitativement énumérés par ce texte : intérêt de la santé et de la sécurité publiques, autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement.

Le juge en déduit donc, au cas de l’espèce, qu’un projet de travaux, d'aménagement ou de construction d'une personne publique ou privée, comme celui faisant l’objet du présent litige, susceptible d'affecter la conservation d'espèces animales ou végétales protégées et de leur habitat ne peut être autorisé, à titre dérogatoire, que s'il répond cumulativement aux trois exigences susrappelées.

Pour juger la dérogation justifiée au regard de ces exigences impérieuses, le Conseil d’État retient que l'exploitation de la carrière de Nau-Bouques devrait permettre la création de plus de quatre-vingts emplois directs dans un département dont le taux de chômage dépasse de près de 50 % la moyenne nationale, que ce projet de réouverture de carrière s'inscrit dans le cadre des politiques économiques menées à l'échelle de l'Union Européenne qui visent à favoriser l'approvisionnement durable de secteurs d'industrie en matières premières en provenance de sources européennes, qu'il n'existe pas en Europe un autre gisement disponible de marbre blanc de qualité comparable et en quantité suffisante que celui de la carrière de Nau-Bouques pour répondre à la demande industrielle et, enfin, que ce projet contribue à l'existence d'une filière française de transformation du carbonate de calcium.

C’est par suite d’une erreur de qualification juridique que la cour avait jugé que le projet en cause ne répondait pas à une raison impérative d'intérêt public majeur au sens du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement.

(3 juin 2020, Société La Provençale, n° 425395 ; Société La Provençale, n° 425399 ; ministre de la transition écologique et solidaire, 425425)

 

111 - Autorisation préfectorale d'installation d'une unité de production d'électricité d'origine éolienne - Directive du 13 décembre 2011 (art. 6 §1) - Évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement - Obligation de séparation fonctionnelle au sein de l'autorité publique compétente pour autoriser un tel projet - Juge tenu de rechercher d'office le respect des objectifs poursuivis par la directive - Absence - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

Commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui, saisie d'un recours dirigé contre la légalité d'un arrêté préfectoral autorisant l'implantation et l'exploitation d'un parc d'éoliennes au motif que le même préfet n'avait pu régulièrement accorder l'autorisation de réaliser le projet et donner sur ce projet un avis en tant qu'autorité environnementale, et alors que l'art. 6 de la directive européenne du 13 décembre 2011 relative à l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement, n'a pas été, sur ce point, transposée, s'abstient de rechercher si les conditions dans lesquelles l'avis a été rendu répondent ou non aux objectifs de cet article 6.

(29 juin 2020, M. et Mme X. et autres, n° 429299)

 

État-civil et nationalité

 

112 - Changement de nom - Motifs - Invocation de motifs de caractère affectif - Invocabilité limitée à des circonstances exceptionnelles - Cas en l’espèce - Cassation du jugement.

Si, en principe, n’est pas autorisé le changement de nom pour des motifs de caractère affectif il en va autrement en présence de circonstances de caractère exceptionnel comme en l’espèce. La décision négative de la garde des sceaux était ici irrégulière et doit être annulé le jugement qui a tenu pour légale cette décision.

(10 juin 2020, M. X., n° 419176) V. aussi mention de cette décision à la rubrique Contentieux n° 40

 

Fonction publique et agents publics

 

113 - Agent public communal contractuel - Licenciement pour inaptitude physique - Réintégration après annulation du licenciement - Obligation de reclassement de l’agent par la commune - Office du juge - Cassation avec renvoi.

Rappel d’un principe traditionnel et constant inaperçu des juges du fond.

L'annulation, pour irrégularité de procédure, d'une décision licenciant un agent public implique nécessairement que celui-ci soit replacé dans la position administrative qui était la sienne à la date de cette décision et que l'autorité compétente reconstitue rétroactivement sa carrière en application de la réglementation applicable à cette position.

(9 juin 2020, Mme X., n° 425288)

 

114 - Magistrate de l’ordre judiciaire - Détachement dans les fonctions de directrice générale des services d’un département - Demande de réintégration dans la magistrature sur un emploi hors hiérarchie ou d'inspecteur général de la justice - Réintégration possible seulement dans le grade de la hiérarchie judiciaire occupé avant son détachement - Rejet.

Une magistrate détachée, comme en l’espèce, non dans un corps ou un cadre d'emplois mais dans un emploi fonctionnel, ne peut être réintégrée que dans le premier grade de la hiérarchie du corps judiciaire, grade qu'elle détenait avant son détachement, à l'échelon qu'elle avait atteint dans ce grade à la fin de sa période de détachement. Il n’aurait pu en aller autrement que si sa candidature pour un poste hors hiérarchie n’avait pas été retenue dans le cadre de la procédure prévue par les articles 27-1 et 37-1 de l'ordonnance du 22 décembre 1958, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Enfin, cette décision n’étant pas non plus entachée d’une erreur manifeste d’appréciation, la requête est redjetée.

(17 juin 2020, Mme X., n° 431588 et n° 434341, deux espèces)

 

115 - Professeur des universités - Recrutement par voie de concours - Absence de motivation des décisions d'un jury de concours - Absence de contrôle du juge sur les appréciations portées par un jury sur les mérites d'un candidat - Rejet.

Saisi par un candidat malheureux à un recrutement comme professeur des universités, le Conseil d'État rappelle, d'une part, que la délibération par laquelle le jury se prononce sur les candidatures aux postes de professeurs des universités n'a pas à etre motivée, et d'autre part, que l'appréciation portée par le jury d'un concours de recrutement d'enseignants sur les candidatures soumises à son examen n'est pas susceptible d'être discutée devant le juge de l'excès de pouvoir (principe dit de "la souveraineté des jurys").

(29 juin 2020, M. X., n° 426319)

 

116 - Fonctionnaire - Directrice des services de greffe judiciaire - Candidate aux fonctions de magistrat exerçant à titre temporaire - Refus de la garde des sceaux de transmettre sa candidature au Conseil supérieur de la magistrature (CSM) - Erreur de droit - Annulation.

La requérante, fonctionnaire, avait fait acte de candidature pour un emploi de magistrate exerçant à titre temporaire mais la garde des sceaux avait refusé de transmettre sa candidature au CSM au motif qu'étant directrice des services de greffe judiciaire, elle ne pourrait, même en étant placée en disponibilité, exercer en tant que magistrat à titre temporaire car, selon elle, un fonctionnaire en disponibilité doit être regardé comme exerçant une activité d'agent public pour l'application de l'article 41-14 de l'ordonnance du 22 décembre 1958. En estimant que par le seul fait que l'exercice d'une activité professionnelle pendant sa période de disponibilité serait assimilée à des services effectifs dans les conditions prévues par les dispositions de l'article 51 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique d’État, la ministre a ainsi commis une erreur de droit en refusant de transmettre au CSM la candidature de la demanderesse.

(17 juin 2020, Mme X., n° 431681)

 

117 - Fonctionnaire nommé par décret - Litige relatif à un recrutement - Compétence directe du Conseil d'État - Refus de procéder à l'ouverture d'un poste au recrutement - Compétence de droit commun - Rejet.

Si les litiges relatifs au recrutement des fonctionnaires nommés par décret relèvent de la compétence du Conseil d'État en premier et dernier ressort (3° de l'article R. 311-1 CJA), tel n'est pas le cas d'un litige relatif à l'ouverture ou au refus d'ouverture au recrutement de postes de professeur des universités, hypothèse où il est fait retour à la compétence de droit commun, donc celle du tribunal administratif dans le ressort duquel à son siège l'organisme détenant le poste litigieux.

(29 juin 2020, M. X., n° 421601)

 

118 - Médecin ayant conclu un contrat de prestations avec un centre hospitalier - Résiliation anticipée du contrat - Recours en reprise des relations contractuelles - Absence de qualité d'agent public - Rejet.

Un médecin demande l'annulation de la décision par laquelle le directeur du centre hospitalier de Digne-les-Bains a résilié au bout de seize mois son contrat - d'une durée initiale de cinq ans - de participation à l'exercice des missions de service public attribuées à cet établissement. Son recours est rejeté en première instance et un non-lieu à statuer est prononcé en appel.

Le Conseil d'État, saisi d'un pourvoi, confirme ces solutions.

Tout d'abord, le juge relève que le demandeur n'a pas, du chef de ce contrat, la qualité d'agent public. Ce contrat permet la pratique par un professionnel de santé libéral d'une activité de soin au sein d'un établissement hospitalier, sa rémunération par des honoraires à la charge de l'établissement sur la base d'un état mensuel des actes dispensés et autorise l'utilisation des moyens du service public hospitalier en contrepartie d'une redevance prélevée sur ces honoraires. Il résulte de là qu'eu égard à la nature des liens qu'établit un tel contrat entre l'établissement hospitalier et le professionnel de santé exerçant à titre libéral, sa passation n'a ni pour objet ni pour effet de conférer au praticien la qualité d'agent public.

Ensuite, ainsi que l'a jugé la cour, l'action du demandeur s'analyse non pas en un recours pour excès de pouvoir dirigé contre l'acte unilatéral qu'a constitué la décision de résiliation mais en une action contractuelle tendant donc à la reprise des relations contractuelles. Or, à la date à laquelle le juge d'appel a statué, le délai de cinq ans d'exécution du contrat était expiré rendant donc sans objet l'examen de la requete contestant la résiliation du contrat

(29 juin 2020, M. X., n° 421609)

 

119 - Fonction publique territoriale - Fonctionnaire en disponibilité - Demande de réintégration - Offres d’emploi proposées - Etendue du contrôle du juge de cassation - Qualification juridique des faits - Cassation avec renvoi.

Le juge accentue son contrôle sur les offres d’emploi faites à un fonctionnaire territorial qui, à l’issue d’une disponibilité pour convenances personnelles, sollicite sa réintégration. Désormais, le juge de cassation exerce un contrôle de la qualification juridique des faits sur le caractère ferme et précis (selon les termes du III de l'article 97 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984) desdites offres d’emploi

Solution d’autant plus bienvenue que le refus par l’agent de ces trois offres entraine normalement son licenciement.

(25 juin 2020, Mme X., n° 421399)

 

120 - Agent public hospitalier - Médecin - Protection fonctionnelle - Autorité compétente pour l'accorder - Hypothèse d'un conflit entre cette autorité et le demandeur à la protection - Principe d'impartialité - Conséquences - Annulation sans renvoi.

Par cette importante décision rendue en matière de refus de la protection fonctionnelle d'un médecin agent public hospitalier, le Conseil d'État apporte des précisions assez innovantes.

Le contexte était assez particulier puisqu'un médecin s'était vu refuser la protection fonctionnelle par son supérieur hiérarchique alors que la cause de cette demande de protection était précisément un litige l'opposant à son supérieur hiérarchique.

Tout d'abord, est rappelé l'existence du principe général du droit de l'impartialité de l'administration active (posé par : Section, 29 avril 1949, Bourdeaux, Rec. p. 188), avec cette précision, capitale ici, que ce principe joue à l'encontre d'une décision prise à l'égard d'un fonctionnaire ou d'un agent public par son supérieur hiérarchique lorsque les actes de ce dernier sont, par leur nature ou leur gravité, insusceptibles de se rattacher à l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.

Ensuite, dans l'hypothèse de l'espèce, en raison de la concomitance de l'applicabilité du principe et de ce que l'objet de la demande était né d'un conflit avec l'autorité normalement compétente pour prendre la décision litigieuse, le juge estime, à grande raison, que le principe d'impartialité s'oppose - en dépit de ce qu'elle est l'autorité normalement compétente - à ce qu'elle se prononce sur la demande de protection fonctionnelle présentée pour ce motif par son subordonné. Le directeur du centre hospitalier ne pouvait donc pas se prononcer sur la demande dont il était saisi. Sa décision est annulée et il appartient au directeur de l'ARS de statuer sur la demande du praticien.

(29 juin 2020, M. X., n° 423996)

 

121 - Fonctionnaires et agents publics - Licenciement pour inaptitude professionnelle - Distinction selon que l’agent est contractuel ou titulaire de la fonction publique - Exigences propres à chacune de ces deux situations - Non-respect en l’espèce - Confirmation de l’arrêt d’appel et rejet.

Se prononçant sur les faits de nature à justifier un licenciement pour inaptitude professionnelle, le Conseil d’État précise ici sa jurisprudence antérieure récente (1er juin 2016, Commune de Sète, n° 392621 ; 13 avril 2018, Commune de Gennevilliers, n° 410411).

Il convient de distinguer en la matière selon la situation juridique de l’agent concerné.

Lorsque celui-ci est un agent contractuel, l’inaptitude doit concerner les fonctions pour lesquelles cet agent a été recruté. Lorsque celui-ci est un fonctionnaire l’inaptitude doit concerner l’exercice des fonctions correspondant à son grade.

Lorsqu’un fonctionnaire exerce des fonctions qui ne correspondent pas à son grade, l’administration qui le juge inapte à celles-ci doit mettre fin à ses fonctions. Ce n’est que si, exerçant des fonctions correspondant à son grade, il s’y révèle inapte durant une période de temps suffisante pour permettre cette appréciation, que l’administration est fondée à prononcer son licenciement pour inaptitude professionnelle.

En l’espèce, c’est sans erreur de droit que la cour administrative d’appel a estimé irrégulier le licenciement pour inaptitude professionnelle d'un adjoint administratif territorial de seconde classe, auquel avaient été confiées les fonctions de secrétaire de mairie d’une commune de plus de deux mille habitants, pour les manquements reprochés dans l'exercice de ces fonctions, et ce alors même que ces manquements auraient porté sur des tâches administratives d'exécution.

(9 juin 2020, Commune d’Ouveillan, n° 425620)

 

122 - Fonctionnaire territoriale - Demande de protection fonctionnelle - Propos tenus dans le cadre d’une campagne électorale - Protection due sous le contrôle souverain des juges du fond - Rejet.

Une fonctionnaire territoriale avait sollicité de la collectivité l’employant la mise en œuvre de la protection fonctionnelle instituée par l'art. 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. Objectant que les propos incriminés avaient été tenus à son encontre dans le cadre d'une campagne électorale, la collectivité avait estimé que cette circonstance faisait obstacle au bénéfice de la protection sollicitée.

Pour le juge de cassation c’est sans erreur de droit que la cour administrative d’appel avait jugé que, dès lors que ces propos présentaient un lien avec l'exercice des fonctions de l'intéressée, la protection lui était due. Il indique aussi que l’appréciation des mesures prises (ou non) au titre de cette protection relève du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond, sauf dénaturation.

(25 juin 2020, Collectivité intercommunale de collecte et de valorisation des déchets ménagers de l'Aude (Covaldem 11), n° 421643)

 

123 - Ouvriers de l’État - Exposition à l’amiante - Droit à une allocation de cessation anticipée d’activité - Personnes n’ayant plus la qualité d’ouvriers de l’État à la date de la demande du bénéfice de cette allocation - Droit à celle-ci - Rejet.

Doit être rejeté le pourvoi de la ministre des armées contre un arrêt d’appel confirmant un jugement de tribunal administratif reconnaissant à un ancien ouvrier de l’État, n’ayant plus cette qualité au moment où il en fait la demande, le droit au bénéfice d’une allocation spécifique de cessation anticipée d’activité du fait de son exposition à l’amiante. En effet, ce droit a été reconnu en raison du risque élevé de baisse d'espérance de vie pour les personnes concernées ; du fait de l’évolution lente de la maladie consécutive à cette exposition, le principe d’égalité impose l’octroi ce cette allocation même à ceux n’ayant plus la qualité d’ouvriers de l’État au moment de leur demande d’allocation.

(10 juin 2020, Ministre des armées, n° 431003)

 

124 - Fonctionnaire contractuel - Contrat à durée indéterminée - Disponibilité pour convenance personnelle - Demande de réintégration - Suppression de l’emploi pendant cette disponibilité - Existence d’emplois vacants - Absence d’obligation de les pourvoir - Licenciement régulier - Cassation.

Un ingénieur, agent contractuel sur contrat à durée indéterminé, en disponibilité pour convenances personnelles, demande à la métropole qui l’emploie sa réintégration anticipée. Cela lui est refusé en raison de la suppression de son emploi précédent et de l'absence d'emploi similaire vacant. Puis, l’agent est placé en congé sans rémunération et, enfin, licencié avec indemnité. L’intéressé conteste en justice la décision de licenciement tout comme le montant de l’indemnité allouée en conséquence.

Cassant l’arrêt de la cour administrative d’appel qui avait jugé illégal le licenciement et ordonné le reclassement de l’agent, le Conseil d’État énonce solennellement : « Il résulte d'un principe général du droit, dont s'inspirent tant les dispositions du code du travail relatives à la situation des salariés dont l'emploi est supprimé que les règles du statut général de la fonction publique qui imposent de donner, dans un délai raisonnable, aux fonctionnaires en activité dont l'emploi est supprimé une nouvelle affectation correspondant à leur grade, qu'il incombe à l'administration, avant de pouvoir prononcer le licenciement d'un agent contractuel recruté en vertu d'un contrat à durée indéterminée, de chercher à reclasser l'intéressé. Avant l'intervention des décrets prévus par l'article 49 de la loi du 12 mars 2012 relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique, la mise en œuvre de ce principe impliquait que l'administration, lorsqu'elle entendait pourvoir par un fonctionnaire l'emploi occupé par un agent contractuel titulaire d'un contrat à durée indéterminée ou supprimer cet emploi dans le cadre d'une modification de l'organisation du service, propose à cet agent un emploi de niveau équivalent, ou, à défaut d'un tel emploi et si l'intéressé le demandait, tout autre emploi, et que l'agent contractuel ne pouvait être licencié que si le reclassement s'avérait impossible faute d'emploi vacant ou si l'intéressé refusait la proposition qui lui était faite. »

Et le juge, examinant le cas de l’espèce, poursuit : « Ce principe trouve à s'appliquer, dans le cas où l'emploi occupé par l'agent contractuel est supprimé alors que celui-ci bénéficiait d'un congé pour convenances personnelles, à l'expiration de ce dernier. Toutefois, dès lors qu'une administration n'est jamais tenue de pourvoir un emploi vacant, il convient d'exclure des emplois susceptibles d'être proposés à l'agent concerné ceux dont l'administration établit qu'elle n'entendait pas les pourvoir. »

C’est, précisément, en s’appuyant sur cette dernière faculté que le juge de cassation reproche à la cour l’erreur de droit qui a consisté pour elle à juger illégal le licenciement du demandeur, en raison de ce que la communauté d'agglomération Toulon-Provence-Méditerranée n'établissait pas que les emplois vacants apparaissant notamment au tableau des emplois permanents n'auraient pas permis, eu égard à leurs caractéristiques ou aux nécessités du service, de procéder au reclassement de l'intéressé, alors qu’elle devait rechercher s'il était établi, comme le soutenait la communauté d'agglomération, qu'elle n'entendait pas pourvoir les emplois devenus vacants.

La solution nous semble manquer de considération à l’endroit des agents publics sur contrat à durée indéterminée faisant l’objet d’un licenciement et permettre bien des dérives.

(25 juin 2020, Métropole Toulon-Provence-Méditerranée, n° 422864)

 

125 - Sapeurs-pompiers professionnels - Durée hebdomadaire du travail - Durée calculée sur six mois glissants - Conformité à la directive européenne de 2003 relative à la durée hebdomadaire maximale de travail - Note de service fixant la durée du travail à un maximum de 1128 heures par semestre - Note muette sur le mode de calcul - Calcul sur six mois glissants - Rejet.

Le Conseil d’État était saisi d’un recours en cassation contre une ordonnance suspendant l’exécution d’une note de service du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Moselle en tant, principalement, que, par son article 1er, elle a suspendu l'exécution du point 4) de la note de service qui précise que la durée maximale hebdomadaire du travail effectif de 48 heures est décomptée du lundi 7 heures au lundi 7 heures.

Le Conseil devait se prononcer sur la conformité au droit de l’Union de la double règle fixée par cette note : un maximum de temps de travail de 48 heures par semaine décomptée d’un lundi à 7 heures à l’autre lundi à 7 heures et un maximum de 1128 heures par semestre. Il estime l’une et l’autre règles conformes à la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail.

D’une part, en application des art. 6, 16, 17 et 19 de cette directive, lorsque le régime du temps de travail d'agents, tels que les sapeurs-pompiers professionnels, est déterminé en fonction d'une période de référence, la durée hebdomadaire maximale de travail de 48 heures prévue par l'article 6 de cette directive ne s'apprécie pas pour chacune des périodes de sept jours comprises dans cette période de référence mais uniquement, en moyenne, sur l'ensemble de celle-ci. Il faut et il suffit que la durée du travail effectif effectué au cours de chaque semaine civile, et non de toute période de sept jours, déterminée de manière glissante, n'excède pas quarante-huit heures.

D’autre part, s’agissant de la détermination de cette moyenne, et alors que la note imposant de « respecter les 1 128 heures maximales par semestre » est muette sur ce point, cette moyenne doit être calculée sur six mois glissants. Au prix de cette interprétation jurisprudentielle constructive, il n’y a pas lieu d’ordonner la suspension d’exécution de la note litigieuse.

(ord. réf. 9 juin 2020, Service départemental d'incendie et de secours de la Moselle, n° 438418)

 

126 - Fonctionnaires issus de l’ÉNA - Engagement de servir l’État - Sanction financière du non-respect de cet engagement - Prescription quinquennale (art. 2224 du Code civil) - Annulation su ce point du décret de radiation des cadres.

(3 juin 2020, M. X., n° 432172) V. n° 74

 

127 - Enseignant - Sanction disciplinaire - Illégalité partielle de la sanction - Annulation de la sanction par jugement du tribunal administratif - Décès de l’agent - Droit de sa veuve à l’indemnisation du préjudice ainsi causé - Annulation de l’arrêt contraire.

Un enseignant fait l’objet de la sanction d’exclusion temporaire des fonctions pendant deux ans pour fautes disciplinaires assortie d’un sursis d’un an. Cette sanction est annulée en première instance, l’intéressé décède et sa veuve saisit le tribunal d’une action à fins indemnitaires du chef du préjudice causé par les traitements non perçus durant une suspension temporaire d’exercice des fonctions jugée illégale. La cour administrative d’appel ayant jugé régulière la procédure disciplinaire suivie, a débouté l’épouse de son action en responsabilité.

En cassation, le Conseil d’État estime que si la sanction était irrégulière, le comportement de l’agent exonère l’administration d’un quart de sa responsabilité du chef du dommage résultant de cette illégalité.

(10 juin 2020, Mme X., n° 423228)

 

Libertés fondamentales

 

128 - Covid-19 - Entrée en France de ressortissants étrangers - Contrôle aux frontières - Non-respect du droit de l’Union - Défaut de clarté et de précision d’instructions primo-ministérielles - Rejet.

La requérante demandait, par la voie d’un référé liberté, que soient ordonnées les mesures adéquates pour faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales portées aux libertés fondamentales des personnes sollicitant l'entrée sur le territoire français en vertu du droit de l'Union européenne, résultant selon elle des carences de l'État à prendre des mesures claires, précises et légales au titre des contrôles aux frontières qui ont été rétablis, carences qui se manifestent à travers les consignes données aux services de la police aux frontières par les instructions des 18 mars, 15 avril et 12 mai 2020 du premier ministre.

Après avoir décrit et analysé les dispositions pertinentes en cause au regard de la hiérarchie des normes (art. 20, 21, 45 et 77 du TFUE, art. 45 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, code frontières Schengen, directive n° 2004/38/CE du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, art. L. 121-1, L. 213-1 et L. 213-2, L. 221-3 à 221-5 du CESEDA), le juge examine les trois arguments principaux de la requête dont il est saisi.

Concernant les refus d'entrée sur le territoire de ressortissants de l'UE, le moyen comportait deux branches.

Tout d’abord, était invoquée la violation du droit à la liberté de circulation garanti par le droit de l'Union. L’argument est rejeté car il résulte des faits et des règles concernés comme de l’instruction que, « compte tenu du niveau de risque persistant à la date de la présente ordonnance et des possibilités d'adaptation des mesures de gestion des frontières en cas d'évolution favorable plus rapide, les instructions (attaquées) du premier ministre des 18 mars, 15 avril, 12 et 20 mai 2020 qui ont fixé, de manière suffisamment précise, claire et intelligible, la position du Gouvernement français sur les mesures à appliquer par les services pour assurer les contrôles aux frontières en tenant compte de l'objectif de lutte contre la pandémie de Covid-19 et du droit de l'Union auxquelles elles se réfèrent, ne portent pas aux libertés fondamentales invoquées, et notamment à celles de libre circulation garanties par le droit de l'Union européenne, une atteinte grave et manifestement illégale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. »

Ensuite, s’agissant de l'atteinte alléguée à la liberté de circulation des travailleurs garantie par l'article 45 du TFUE, il est constant qu'en cours d'instruction de la présente affaire a été produite devant le juge des référés l'instruction du 20 mai 2020 du premier ministre étendant la dérogation, déjà octroyée aux travailleurs frontaliers, aux travailleurs saisonniers agricoles et aux travailleurs en détachement. Au surplus, la demanderesse n'a pas formulé d'observations ou de moyens complémentaires à la suite de cette production, le moyen ainsi soulevé est donc inopérant.

Concernant les atteintes que ces dispositions auraient porté au droit au recours effectif, le juge réfute l’argument car 1°) le code frontières Schengen ne confère pas de caractère suspensif aux recours dirigés contre les refus d’entrée, 2°) le cas de suspension lié à un référé prévu par l'article 31 de la directive 2004/38, ne concerne qu'une décision d'éloignement et non de refus d'entrée, 3°) le pouvoir exécutif ne saurait intervenir dans le fonctionnement interne des juridictions, qui plus est, par voie d'instructions du premier ministre, aucune règle ou aucun principe général du droit n’impose en cette matière le caractère suspensif de l’appel.

Concernant les atteintes liées aux placements en zone d'attente, les instructions contestées ne comportent pas de dispositions à cet égard.

(ord. réf. 2 juin 2020, Ligue des droits de l’homme, n° 440449)

(129) V. aussi, à propos d’un non-lieu à statuer sur la requête d’un ressortissant letton d’abord non admis à entrer en France pour y travailler en détachement pour la construction de serres horticoles puis admis en vertu d’une extension de dérogation intervenue en cours d’instance : ord. réf. 2 juin 2020, M. X., n° 440485 ou, solution identique, pour un ressortissant bulgare devant exercer en France une activité professionnelle de travailleur saisonnier en tant que chef d'équipe dans une exploitation agricole : ord. réf. 2 juin 2020, M. X., n° 440490.

 

130 - Etrangers - Etranger retenu ou en détention - Formation d’un recours enfermé dans un délai bref - Validité d’un recours formé en temps utile mais parvenu hors délai au greffe du tribunal - Obligation, depuis l’entrée en vigueur du décret du 28 octobre 2016, d’aviser l’intéressé de la possibilité de déposer son recours auprès de l'administration chargée de la rétention ou du chef de l'établissement pénitentiaire - Rejet.

Jusqu’à l’entrée en vigueur du décret n° 2016-1458 du 28 octobre 2016, l’étranger qui, se trouvant  en détention ou retenu, entendait contester une décision prise sur le fondement du CESEDA pour laquelle était prévu un délai de recours bref, la circonstance que sa requête ait été adressée dans le délai de recours, à l'administration chargée de la rétention ou au chef d'établissement pénitentiaire, faisait obstacle à ce qu'elle soit regardée comme tardive, alors même, d’une part, que l'administration n'était pas tenue de faire figurer, dans la notification de sa décision pour laquelle était prévu un délai de recours bref, la possibilité de déposer la requête auprès de l'administration chargée de la rétention ou du chef d'établissement pénitentiaire et, d’autre part, que cette requête ne serait parvenue au greffe du tribunal administratif qu'après l'expiration de ce délai de recours.

Depuis l'entrée en vigueur des articles R. 776-19, R. 776-29 et R. 776-31 du CJA, il incombe à l'administration, pour les décisions présentant les caractéristiques mentionnées ci-dessus, de faire figurer, dans leur notification à un étranger retenu ou détenu, la possibilité de déposer sa requête dans le délai de recours contentieux auprès de l'administration chargée de la rétention ou du chef de l'établissement pénitentiaire.

En l’espèce, la notification au requérant, alors incarcéré, de l'arrêté attaqué, du 28 juillet 2015, portant obligation de quitter le territoire français, est antérieure à l'entrée en vigueur des dispositions du code de justice administrative issues du décret du 28 octobre 2016. Il s'ensuit que la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant qu'à cette date, l'administration n'était pas tenue de faire figurer dans la notification la faculté susmentionnée pour que le délai de recours contentieux soit opposable à l'intéressé.

(10 juin 2020, M. X., n° 431179)

 

131 - Covid-19 - Modifications des règles et conditions de fonctionnement de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) - Recours à une formation de jugement à juge unique - Article 4-1 de l’ordonnance du 25 mars 2020 - Suspension ordonnée.

L'article 11 de la loi du 23 mars 2020 a habilité le Gouvernement à prendre par ordonnances, pendant trois mois, dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, toute mesure relevant du domaine de la loi afin de faire face aux conséquences de la propagation de l'épidémie de Covid-19, notamment en matière juridictionnelle. Prise sur le fondement de cette habilitation, l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif a temporairement adapté certaines règles de procédure applicables devant les juridictions administratives. Ses dispositions ont été modifiées ou complétées par l'ordonnance n° 2020-558 du 13 mai 2020 dont l’art. 1er, 2° a ajouté à l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 un article 4-1 disposant que « la procédure prévue au deuxième alinéa de l'article L. 731-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, par laquelle le président de la Cour nationale du droit d'asile ou le président de formation de jugement qu'il désigne à cette fin statue seul, est applicable à l'ensemble des recours mentionnés au premier alinéa du même article ».

Les organisations requérantes demandaient à titre principal la suspension de l'exécution des dispositions de cet article 4-1.

Le juge des référés leur donne raison en ces termes :

« 14. En dépit des difficultés particulières de fonctionnement de la Cour nationale du droit d'asile dans les circonstances causées par l'épidémie de covid-19, de la proportion des membres des formations collégiales de la Cour susceptibles d'être regardés comme des personnes particulièrement vulnérables à cette maladie et de la durée d'application limitée des dispositions contestées, qui n'est en l'état prévue que jusqu'au 10 juillet 2020, le moyen tiré de ce que ces dispositions ne seraient pas justifiées et proportionnées au regard de l'habilitation donnée par l'article 11 de la loi du 23 mars 2020, compte tenu de l'état de la situation sanitaire à la date à laquelle elles ont été adoptées, est, en l'état de l'instruction, de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité des dispositions critiquées, eu égard au caractère général et systématique de la dérogation adoptée, qui n'est pas limitée à des hypothèses pouvant être justifiées par les caractéristiques des affaires, et à la particulière importance que revêt, pour les demandeurs d'asile, la garantie d'un examen de leur recours par une formation collégiale telle qu'instituée en principe par le législateur.
15. En second lieu, il ressort des éléments indiqués au juge des référés qu'il est prévu de tenir des audiences à la Cour nationale du droit d'asile sur le fondement des dispositions contestées à compter du 15 juin 2020. Compte tenu des effets de ces dispositions sur les conditions d'examen des recours portés devant la Cour et de l'importance de la garantie que présente, pour les demandeurs d'asile, la collégialité des formations de jugement en principe instituées par le législateur, la condition d'urgence requise par les dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie, sans que s'y oppose en l'espèce l'intérêt public qui peut s'attacher à la continuité du fonctionnement du service public de la justice ».

En revanche les autres demandes, à la vérité mineures ou devenues sans intérêt du fait de la présente ordonnance, sont rejetées.

(ord. réf. 8 juin 2020, Association ELENA France et autres, n° 440717 ; Groupe d'information et de soutien des immigré.e.s (GISTI) et autre, n° 440812 ; Conseil national des barreaux, n° 440867, jonction)

 

132 - Décret d’extradition - Obligation de motiver un tel décret - Refus d’abrogation d’un décret d’extradition - Obligation de motivation - Refus implicite - Régime de motivation - Décret d’extradition inexécuté et devenu illégal par suite du changement des circonstances postérieures à ce décret - Recours - Régime - Annulation pour défaut de motivation et injonction.

La présente décision est importante par les rappels qu’elle contient et les précisions qu’elle donne sur le statut juridique du décret d’extradition.

Il faut préalablement rappeler que l’extradition consiste pour un État, ici la France, à remettre à un autre État, ici la Pologne, une personne - à laquelle elle ne reproche rien - mais que cet État réclame pour les motifs qu’il fait connaitre au premier État.

Le juge réitère deux solutions jurisprudentielles assez anciennes. En premier lieu, les décrets d’extradition sont des décisions devant être motivées au sens et pour l’application de la loi du 11 juillet 1979. En second lieu, le refus d’abroger un décret d’extradition doit également être motivé ; lorsque ce refus est implicite, il incombe à son auteur d’en faire connaitre la motivation dans le mois suivant la demande en ce sens de l’intéressé.

Enfin, dans l’hypothèse d’un décret d’extradition inexécuté, l’intéressé peut faire valoir, s’il s’y croit fondé, que ce décret est devenu illégal à la suite de changements dans les circonstances de droit ou de fait postérieurs à son édiction et qu’il ne peut, en raison de ces changements, être mis à exécution sans que soient méconnues les exigences qui conditionnent la légalité de l'extradition, par exemple les réserves émises par la France à l'occasion de la ratification de la convention européenne d'extradition. En ce cas, il doit d’abord demander à l’autorité compétente l'abrogation de ce décret et, en cas de refus, il lui appartient de saisir le Conseil d'État d’un recours pour excès de pouvoir. La légalité du refus d’abrogation s’apprécie à la date à laquelle le juge statue et non à la date du refus, implicite ou explicite, d’abrogation ou à la date de la demande d’abrogation adressée à l’administration.

(10 juin 2020, M. X., n° 435348)

 

133 - Etrangers - Délivrance du récépissé de demande d’un titre de séjour - Délai raisonnable de fixation d’un rendez-vous - Solution comparable en cas de demande au moyen d’un site internet - Rejet.

Parce que la détention, par un étranger, du récépissé de demande d’un titre de séjour est très importante pour lui permettre de demeurer en France et, le cas échéant, pour y travailler, il importe que lui soit fixée rapidement la date du rendez-vous au cours duquel sa demande et les documents l’accompagnant seront examinés et, si son dossier est complet, un récépissé lui sera délivré. L’enregistrement de sa demande doit intervenir dans un délai raisonnable. Cette exigence s’applique également, mutatis mutandis, lorsque la procédure se déroule au moyen d’une connexion sur un site internet.

Après plusieurs tentatives infructueuses au cours de semaines différentes pour obtenir un rendez-vous, il peut demander au juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L 521-3 CJA, d'enjoindre au préfet de lui communiquer, dans un délai qu'il fixe, une date de rendez-vous. Si la situation de l'étranger le justifie, le juge peut préciser le délai maximal dans lequel ce rendez-vous doit avoir lieu. Il fixe un délai bref en cas d'urgence particulière.

En l’espèce, il est jugé que le fait pour un étranger d’avoir effectué au cours d’une même semaine quatre tentatives infructueuses de demandes sur un site internet n’établit pas que l’administration aurait excédé le délai raisonnable pour fixer un rendez-vous.

(10 juin 2020, M. X., n° 435594)

 

134 - Litiges en matière de pensions militaires d'invalidité - Représentation en justice - Dispense du ministère d’avocat - Régime issu de la loi du 13 juillet 2018 - Dispense maintenue dans le silence sur ce point du code de justice administrative.

Répondant à une demande d’avis adressée par une cour administrative d’appel, le Conseil d’État estime qu’alors même que l'article R. 811-7 du CJA ne mentionne pas de dispense de ministère d'avocat pour les recours contentieux contre les décisions individuelles en matière de pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, l'obligation d'avoir recours à ce ministère ne s'impose pas devant les cours administratives d'appel saisies de ces litiges. 

Il déduit cette solution des travaux parlementaires préalables à l'adoption de la loi du 13 juillet 2018 dont résultent les dispositions de l'article L. 711-5 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, selon lesquels le législateur a entendu maintenir le droit dont disposait le pensionné, antérieurement à leur entrée en vigueur et depuis la loi du 31 mars 1919, d'être représenté par la personne de son choix ou de ne pas être représenté dans les litiges visés à l'article L. 711-1 du code des pensions précité.

Le juge rappelle à cette occasion que cette dispense existe également pour ces contentieux en cassation.

(avis de droit, 10 juin 2020, M. X., n° 437866)

 

135 - Covid-19 - Liberté de culte - Obligation du respect des distances sociales entre membres d’une même famille assistant à une cérémonie religieuse - Obligation du port du masque - Rejet.

Voilà une ordonnance assez confuse rendue en matière de précautions sanitaires à respecter au cours de cérémonies religieuses.

Tout d’abord, répondant à l’argument d’illégalité de l’obligation imposée aux membres d’une même famille de respecter la distance sociale minimale, le juge relève d’abord que « le ministre de l'intérieur s'est borné, dans sa défense, à indiquer que « cette circonstance n'est en tout état de cause pas de nature à porter atteinte à la liberté de culte » sans affirmer qu'une telle exigence est impliquée par les dispositions combinées des articles 1er et 47 du décret contesté. » Au total, nous ne sommes guère éclairés sur le droit applicable ou appliqué.

Ensuite, le juge estime de façon obscure que cette « interprétation, qui imposerait, dans les établissements de culte, une distance minimale d'un mètre entre des personnes qui sont conduits à ne pas la respecter à leur domicile, et ce alors même qu'ils doivent porter un masque de protection dans ces établissements, soit celle qui est communément mise en œuvre au sein de ces derniers. » L’ensemble laisse le lecteur assez désemparé quant à son sens général…

Ensuite, concernant le port du masque, il considère que si  « le fait de répondre au célébrant et de prendre part aux chants constituent deux éléments fondamentaux du culte que pratique le requérant, celui-ci n'établit pas en quoi le fait de porter un masque y porterait atteinte alors, au surplus, qu'il ressort des termes mêmes du deuxième alinéa du II de l'article 47 du décret contesté que les participants d'une cérémonie religieuses peuvent retirer momentanément leur masque de protection pour l'accomplissement des rites qui le nécessitent. » Second volet de l’argumentation, tout aussi incertain et abscons que le précédent.

(ord. réf. 12 juin 2020, M. X., n° 440840)

 

136 - Réfugiés - Décision de l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) mettant fin au statut de réfugié sur le fondement de l’art. L. 711-6 du CESEDA - Saisine de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) - Office de la Cour en cas de non-contestation de la qualité de réfugié de l’intéressé - Article L. 711-6 du CESEDA - Interprétation par rapport aux objectifs de la directive 2011/95/UE du 13 décembre 2011 - Annulation.

Importante décision relative, d’une part, à l’office du juge de l’asile, et d’autre part, au régime d’interprétation de l’art. L. 711-6 CESEDA qui fonde le régime de la révocation de la qualité de réfugié.

Sur le premier point, est cassée la décision de la CNDA de vérifier d’office si un requérant remplit les conditions prévues aux articles 1er de la convention de Genève et L. 711-1 du CESEDA alors qu’en l’espèce elle était seulement saisie d'un recours dirigé contre une décision mettant fin au statut de réfugié prise sur le fondement de l’art. L. 711-6 sans que l'OFPRA ne remette en cause devant elle la qualité de réfugié de l'intéressé.  

Sur le second point est apportée une importante précision. Parce que l’art. L. 711-6 CESEDA a été pris pour la transposition d’une directive 2011/95/UE du 13 décembre 2011, il doit être interprété à la lumière des objectifs de cette directive. Celle-ci, conformément d’ailleurs à la convention de Genève du 28 juillet 1951 et à son protocole signé à New York le 31 janvier 1967, poursuit deux buts : L’application par tous les États de l’Union de critères communs pour l'identification des personnes nécessitant une protection internationale et l’octroi par ces États d’un même niveau minimal d'avantages à ces personnes.

Interprétant l’art. 14 (§§ 4 et 5) de ladite directive, la CJUE (Grande Chambre, 14 mai 2019, X. c/ Ministerstvo vnitra, C-391/16, et X. c/ Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides, C77/17 et C-78/17, deux espèces) a dit pour droit que la révocation du statut de réfugié ou le refus d'octroi de ce statut ne saurait avoir pour effet de priver de la qualité de réfugié le ressortissant d'un pays tiers ou l'apatride concerné qui remplit les conditions pour se voir reconnaître cette qualité au sens du A de l'article 1er de la convention de Genève. Et la Cour a ajouté que le paragraphe 6 de cet art. 14 doit être interprété en ce sens que l'État membre qui fait usage des facultés prévues à l'article 14, paragraphes 4 et 5, précité, doit accorder au réfugié relevant de l'une des hypothèses visées à ces dernières dispositions et se trouvant sur le territoire dudit État membre, à tout le moins, le bénéfice des droits et protections consacrés par la convention de Genève auxquels cet article 14, paragraphe 6, fait expressément référence, en particulier la protection contre le refoulement vers un pays où sa vie ou sa liberté serait menacée, ainsi que des droits prévus par ladite convention dont la jouissance n'exige pas une résidence régulière.

Il se déduit de là, selon le Conseil d’État, que l'art. L. 711-6 du CESEDA ne permet à OFPRA de refuser d'exercer la protection juridique et administrative d'un réfugié ou d'y mettre fin, dans les limites prévues par l'article 33, paragraphe 1, de la convention de Genève et le paragraphe 6 de l'art. 14 de la directive du 13 décembre 2011, que dans le cas où il y a des raisons sérieuses de considérer que la présence en France de l'intéressé constitue une menace grave pour la sûreté de l'État ou lorsque l'intéressé a été condamné en dernier ressort en France soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou puni de dix ans d'emprisonnement, et que sa présence constitue une menace grave pour la société. La perte du statut de réfugié résultant de l'application de l'art. L. 711-6 ne saurait dès lors avoir une incidence sur la qualité de réfugié, que l'intéressé est réputé avoir conservé dans l'hypothèse où l'OFPRA et, le cas échéant, le juge de l'asile, font application de l'art. L. 711-6, dans les limites prévues par l'article 33, paragraphe 1, de la convention de Genève et le paragraphe 6 de l'art. 14 de la directive du 13 décembre 2011.

D’où cette solution d’importance que l'art. L. 711-6 n'a pas pour objet d'ajouter de nouvelles clauses d'exclusion et ne méconnaît, dans ces conditions, ni la convention de Genève ni les objectifs de la directive du 13 décembre 2011. Cet article n’échappe donc au vice d’inconventionnalité qu’au prix d’une véritable réécriture par le juge qui applique ici un remède de cheval.

(19 juin 2020, M. X., n° 416032)

(137) V. aussi, sur les pouvoirs et devoirs combinés et respectifs de l'OFPRA et de la CNDA à l'égard d'un réfugié condamné par une cour d'assises sous la prévention de tentative d'assassinat : 19 juin 2020, OFPRA, n° 422720.

(138) V. également, portant sur la question de la révocation du statut de réfugié à un Sri-Lankais convaincu de participation au financement d’entreprises terroristes : 19 juin 2020, M. X., n° 427471 ; n° 429803, deux espèces ou sur celle de savoir si un ressortissant bangladais qui adhère à une idéologie radicale présentant un caractère dangereux et cherche à dissimuler la réalité de ses convictions et activités, constitue une menace grave pour la sûreté de l'État : 19 juin 2020, M. X., n° 425231 (réponse positive) ou si un ressortissant vietnamien anciennement condamné constitue encore une telle menace eu égard aux circonstances dans lesquelles ont été commises les infractions reprochées, au temps qui s'est écoulé depuis comme à l'ensemble du comportement de l'intéressé après la commission des infractions : 19 juin 2020, M. X., n° 428140 (réponse négative).

139 - Refus du Défenseur des droits de faire usage de ses pouvoirs - Recours dirigé contre ce refus - Acte insusceptible de recours - Rejet du recours comme étant manifestement irrecevable sans communication préalable du mémoire opposant cette irrecevabilité - Irrégularité - Cassation mais reprise de la solution au fond.

Rappel de ce que le refus du Défenseur des droits de faire usage des pouvoirs qu'il tient de la loi organique du 29 mars 2011 ne constitue pas une décision faisant grief susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.

(10 juin 2020, M. X., n° 427806) V. également sur cette décision les n°s 7 et 41

 

Police

 

140 - Police spéciale des carrières - Autorisation préfectorale de réouverture d’une carrière de marbre blanc - Autorisation dérogeant aux interdictions de destruction d'espèces de flore et de faune sauvages protégées (art. L. 411-2 du code de l'environnement) - Nécessité d’existence d’une raison impérative d'intérêt public majeur - Cas en l’espèce - Cassation avec renvois.

(3 juin 2020, Société La Provençale, n° 425395 ; Société La Provençale, n° 425399 ; ministre de la transition écologique et solidaire, 425425) V. n° 110

 

141 - Covid-19- Police sanitaire - Réouverture des restaurants et cafés - Mesures de restriction prétendues disproportionnées - Rejet.

La société requérante demandait, par une requête introduite les 22 et 25 mai 2020, la suspension de l’exécution des articles 2, 3, 7, 10 et 27 du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 maintenant les dispositions du décret du 14 mars 2020 interdisant la pratique de son activité et qu’il soit enjoint à l'État, sans délai et sous astreinte, d'autoriser la réouverture administrative de son établissement ou, à défaut de réouverture dans des conditions normales, de l'indemniser des frais exposés en vue d'instaurer les mesures barrières, des frais nécessaires à la réorientation de son activité dans la restauration à emporter et des pertes de bénéfices subies par comparaison avec la période équivalente de l'année précédente. Elle fait valoir que ces différentes mesures combinées, en ce qu'elles font obstacle à tout fonctionnement économiquement viable de l'établissement de restauration qu'elle a pour objet d'exploiter, portent une atteinte grave à la liberté d'entreprendre et à la liberté du commerce et de l'industrie, ainsi qu'au droit de propriété, au principe de sécurité juridique, au principe d'égalité devant la loi, au principe de non-discrimination, à la liberté d'aller et venir et au droit à la vie. Ces mesures ne seraient pas justifiées par la situation sanitaire, ou à tout le moins ne le seraient plus à ce jour, de sorte que l'atteinte qu'elles portent à ces libertés fondamentales est disproportionnée et revêt un caractère manifestement illégal.

Pour rejeter l’ensemble de ces demandes, le juge du référé liberté du Conseil d’État indique qu’une partie des mesures restrictives édictées par le décret attaqué a été abrogée par celui du 31 mai 2020, prenant effet le 2 juin 2020.

Le juge considère que la distinction entre « zone verte » et « zone rouge » quant au degré de persistance de l’épidémie est pertinente et que les mesures accompagnant respectivement chacune de ces deux catégories de situations sanitaires sont proportionnées et nécessaires.

En conséquence, il n’y a plus lieu de statuer sur les conclusions tendant à la suspension de l'exécution du décret du 11 mai 2020 et doivent être rejetées celles des conclusions de la société requérante qui doivent être lues comme tendant à ce qu'il soit enjoint à l'État de prendre, pour ce qui concerne les cafés et restaurants, des mesures moins restrictives que celles qui découlent de l'article 40 du décret du 31 mai 2020.

(ord. réf. 3 juin 2020, Société Kinoux's hôtel restaurant, n° 440759)

(142) V. aussi, du même jour, semblables en tous points concernant pour la plupart des services de restauration, café ou bar, ce qui en dit long sur le désarroi d’une profession : 9 juin 2020, Sarl Phanie et Fredo, n° 440761 ; Société Kinoux's camp, n° 440762 ; Société Lilipin, n° 440773 ; Société Ophélie D, n°440777 ; Société Le Chef Raphaël, n° 440788 ; Société des Faubourgs, n° 440791 ; Société El Toro Loco, n° 440792 ; Société Remontada, n° 440793 ; Société Yabaha, n° 440794 ; M. X., n° 440795 ; Société La Première Marche, n° 440796 ; Société Hovthi, n° 440797 ; Société Atre Actif, n° 440798 ; Société Etoile, n° 440779 (salons de coiffure) ;  Société SNRJ, n° 440870 (résidences de tourisme).

(143) V. également, avec des variations dans les demandes, toutes relatives à des établissements de restauration : 9 juin 2020, Société Villeneuve 26, n° 440782 ; 9 juin 2020, Société JMPL, n° 440783 ; 9 juin 2020, Société W 26, n° 440784 ; 9 juin 2020, Devi's café Brun, n° 440785 ; 9 juin 2020, Société Aldolino, n° 440786 ; 9 juin 2020, Société Aspeo, n° 440789 ; 9 juin 2020, Société Sinema, n° 440790, toutes ces décisions rappellent en outre qu'il n'entre pas dans les pouvoirs du juge des référés d'allouer une indemnisation du fait de dommages résutant de la mesure de police attaquée.

(144) V. encore, dans le meme sens concernant l'activité de camping et de caravanage : 9 juin 2020, Société du Camp, n° 440854

 

145 - Police municipale - Port du masque obligatoire en certains lieux et à certaines heures - Arrêté ayant cessé de produire effet - Non-lieu à statuer.

Le requérant, par une requête enregistrée le 29 mai 2020, interjetait appel de l’ordonnance rejetant sa demande tendant à la suspension de l'exécution de l'arrêté municipal rendant obligatoire de 8 heures à 18 heures, jusqu'au 1er juin 2020 inclus, le port d'un masque de protection couvrant le nez et la bouche, ou son équivalent, pour les personnes de plus de dix ans circulant à l'intérieur des bâtiments et équipements de la ville ainsi que celles empruntant certaines voies publiques. 

Le juge d’appel constate qu’à la date à laquelle il se prononce les effets de l’acte attaqué ont cessé et qu’il n’y a plus lieu d’y statuer.

(ord. réf. 3 juin 2020, M. X., n° 440943)

 

146 - Police spéciale des aérodromes - Motivation des décisions - Décision préfectorale refusant à l’employé d’une société l’autorisation d’accéder à la zone de sûreté d’un aérodrome - Décision devant être motivée - Absence de motivation - Illégalité - Rejet.

(10 juin 2020, Ministre de l’intérieur, n° 425593) V. n° 9

 

147 - Covid-19 - Interdiction de manifestations de plus de dix personnes - « Instruction » du ministre de l’intérieur décidant de ne pas appliquer cette réglementation en cas de manifestations contre le racisme - Propos tenus sur des chaines de radio et de télévision - Absence d’urgence - Texte devenu inapplicable - Rejet.

Le syndicat requérant demandait la suspension de l'instruction du ministre de l'intérieur révélée lors de l'entretien qu'il a donné sur RMC et BFMTV le 9 juin 2020 de ne pas verbaliser les manifestants enfreignant l'interdiction résultant du I du décret n° 2020-663 du 31 mai 2020 participant à des rassemblements mettant en présence de manière simultanée plus de dix personnes lorsqu'ils se réclament de la lutte contre le racisme.

Le juge des référés rejette le recours pour défaut d’urgence.

Il relève que l'exécution des dispositions du I de l'article 3 du décret du 31 mai 2020 a été suspendue par une décision du juge des référés du Conseil d'État du 13 juin 2020 en tant qu'elle s'applique aux manifestations sur la voie publique soumises à l'obligation d'une déclaration préalable en vertu de l'article L. 211-1 du code de la sécurité intérieure.

A la suite de cette décision, le décret du 14 juin 2020, a  inséré à l'article 3 du décret du 31 mai 2020 un II bis prévoyant que, par dérogation aux dispositions du I et sans préjudice de l'article L. 211-3 du code de la sécurité intérieure, les cortèges, défilés et rassemblement de personnes, et, d'une façon générale, toutes les manifestations sur la voie publique mentionnés au premier alinéa de l'article L. 211-1 du même code sont autorisés par le préfet de département si les conditions de leur organisation sont propres à garantir le respect des dispositions de l'article 1er du présent décret.

C’est pourquoi, il est jugé que « A supposer que les propos tenus par le ministre de l'intérieur révèlent l'existence d'une instruction qu'il aurait donnée à ses services de ne pas verbaliser les participants à une manifestation interdite sur le fondement du I de l'article 3 du décret du 31 mai 2020 lorsqu'ils se réclament de la lutte contre le racisme, les effets d'une telle instruction ne peuvent en tout état de cause être regardés à ce jour comme de nature à caractériser une urgence justifiant que l'exécution en soit suspendue sans attendre le jugement de la requête au fond dès lors qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que le régime de l'interdiction posée par ces dispositions ne s'applique plus à ces manifestations. »

(ord. réf. 17 juin 2020, Syndicat VIGI, n° 441168)

 

148 - Covid-19 - Mesures de police sanitaire afin d’éviter la propagation d’une épidémie - Sanction disproportionnée de leur non-respect - Erreur manifeste d’appréciation - Caractère de recommandations - Rejet.

Les demandeurs sollicitaient la suspension de l’exécution de l’art. 1er du décret du 31 mai 2020  car le non-respect des mesures barrières est susceptible d'être réprimé par l'infliction de l'amende prévue pour les contraventions de 1ère classe : chaque personne qui se touche le visage, qui se trouve à moins d'un mètre d'une autre, qui ne jette pas immédiatement son mouchoir dans une poubelle après usage unique ou qui tousse ou éternue ailleurs que dans son coude encourt une amende de 38 euros, alors que le fait de se toucher le visage est un geste réflexe que chacun accomplit plusieurs dizaines de fois par jour, ainsi toute personne résidant sur le territoire français est exposée à plusieurs dizaines d'amendes par jour, par suite le décret est entaché d'erreur manifeste d'appréciation, édicte des interdictions manifestement disproportionnées et méconnaît le principe de légalité et des peines.

A quoi il est répondu que « Les dispositions dont la suspension est demandée sont des mesures de précaution destinées à freiner la contamination par le virus du covid-19 pour répondre à l'état d'urgence sanitaire. Contrairement à ce qui est soutenu, le décret n'édicte pas une interdiction de se toucher le visage, mais se borne à préconiser d'éviter de le faire. Si le manquement aux obligations édictées par les décrets et arrêtés de police est susceptible d'être puni de l'amende prévue pour les contraventions de la 1ère classe, les mesures édictées, du fait de leur objet qui concerne des gestes accomplis des dizaines de fois dans la vie quotidienne et dans la sphère privée, et de leur généralité, ces mesures devant être observées « en tout lieu et en toute circonstance », s'apparentent davantage à des recommandations qu'à des règles de police susceptibles d'être sanctionnées par l'infliction de contraventions. Par suite, les moyens tirés de ce que ces dispositions seraient entachées d'erreur manifeste d'appréciation, seraient manifestement disproportionnées ou méconnaîtraient le principe de légalité des délits et des peines ne sont pas, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux sur leur légalité. »

Il est heureux de voir le bon sens triompher… même du Covid-19…

(15 juin 2020, M. X. et autres, n° 440269)

 

149 - Police du stationnement - Stationnement payant - Infraction - Forfait post-stationnement - Émission d’un titre exécutoire - Cession du véhicule entretemps - Contestation du titre exécutoire - Charge du paiement de la somme réclamée - Rejet.

(10 juin 2020, M. X., n° 427155) V. n° 49

 

150 - Police des transports publics de personnes - Police du transport de matières dangereuses - Avis d’incompatibilité (art. L. 114-2 du code de la sécurité intérieure) - Distinction entre les avis selon qu'ils relèvent de l'alinéa 1 (avis antérieur au recrutement ou à l’affectation sur un emploi) ou de l'alinéa 2 (avis sur une personne déjà en poste) de cet article - Portée - Avis faisant grief - Inopérance des moyens tirés d’erreurs dans l’identification de l’alinéa applicable.

Cette décision est importante et reçoit d’ailleurs l’honneur de la publication au Lebon. Il est regrettable qu’elle laisse un peu à désirer.

 L’art. L. 114-2 du code de la sécurité intérieure prévoit la possibilité que peuvent être précédées d'enquêtes administratives le recrutement ou l’emploi de personnes en lien direct avec la sécurité des personnes et des biens au sein d'une entreprise de transport public de personnes ou d'une entreprise de transport de marchandises dangereuses soumise à l'obligation d'adopter un plan de sûreté. Ces enquêtes ont pour objet de vérifier que le comportement des personnes intéressées n'est pas incompatible avec l'exercice des fonctions ou des missions envisagées.

Ce texte envisage deux hypothèses, celle où l’avis est sollicité avant le recrutement ou l’affectation d’une personne (c’est l’alinéa 1) et celle où cet avis est sollicité pour une personne déjà en poste dans l’entreprise (c'est l'alinéa 2).

Cet avis est, naturellement, un acte faisant grief et, comme tel, susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.

Toutefois, le juge précise que dès lors que c’est à l’employeur d’indiquer à l’administration qu’il interroge au titre de quel alinéa il la saisit d’une demande d’avis sans que celle-ci soit tenue de vérifier l’exactitude de cette imputation scripturaire, il s’ensuit que sont inopérants les moyens tirés d’une erreur d’imputation de son employeur ou d’interprétation de sa demande par l’administration. Cette solution a sa logique dans la mesure où l’administration n’est pas l’auteur du choix de l’alinéa de référence mais il ne fallait pas faire un effort insurmontable pour juger qu’une décision fondée sur une erreur même non imputable à l’administration entache, le cas échéant, la légalité de celle-ci.

(avis de droit, 10 juin 2020, M. X., n° 435379)

 

Professions réglementées

 

151 - Chirurgiens-dentistes - Manquement aux obligations déontologiques - Mentions devant figurer sur un site internet professionnel - Site consacré au praticien non à la société d'exercice libéral où il officie - Obligation s'imposant à cette dernière non au praticien - Sanction disciplinaire entachée d'erreur de droit - Annulation avec renvoi à la chambre disciplinaire nationale.

Commet une erreur de droit la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens dentistes qui inflige à un praticien une sanction disciplinaire pour manquement à ses obligations déontologiques à raison de ce que son site internet professionnel ne comporte pas les informations exigées par l'article R. 4113-2 du code de la santé publique alors que ce texte n'est applicable qu'aux sociétés d'exercice libéral et que le site en cause n'est pas celui de la société où exerce le praticien sanctionné.

(29 juin 2020, M. X., n° 423036)

 

152 - Médecins - Sanction de l'incapacité d'exercer la médecine - Demande de relèvement partiel de la sanction - Impossibilité - Procédure d'appel - Motivation et forme de l'appel - Appel régulier ici - Rejet.

Le litige était relatif au refus d'une chambre disciplinaire de l'ordre des médecins de relever un médecin de l'incapacité d'exercice de sa profession résultant de sa radiation du tableau de l'ordre.

Tout d'abord, il est jugé que la chambre disciplinaire de première instance, statuant sur le fondement de l'art. L. 4124-8 du code de la santé publique, ne peut pas prononcer le relèvement partiel de l'incapacité d'exercer frappant un praticien à raison de sa radiation du tableau de l'ordre.

Ensuite, la requête d'appel formée par le président du Conseil national de l'ordre des médecins (CNOM) contre une décision de la chambre disciplinaire de première instance est, d'une part, régulière en la forme (cf. art. R. 4126-1 du code de la santé publique) et, d'autre part, dument motivée dès lors qu'elle se compose d'une lettre de ce président se référant explicitement à la délibération du CNOM, qui lui est jointe, laquelle soulève plusieurs moyens à l'encontre de la décision attaquée.

(29 juin 2020, M. X., n° 424133)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

153 - Article L. 190 du livre des procédures fiscales - Demandes de restitution d’impôt fondées sur l’inconstitutionnalité de la loi - Soumission au régime contentieux de droit commun non à celui de la QPC - Inconstitutionnalité - Rejets de la QPC et sur le fond.

Cette décision est intéressante au regard de la procédure de la QPC, d’une part dans ses rapports avec le régime de restitution des impots, droits et taxes institué par l’art. L. 190 du livre des procédures fiscales (LPF), et d’autre part, dans ses rapports avec le déroulement du procès administratif.

 

I - QPC et article L. 190 du LPF

L'article L. 190 du LPF dispose : « Les réclamations relatives aux impôts, contributions, droits, taxes, redevances, soultes et pénalités de toute nature, établis ou recouvrés par les agents de l'administration, relèvent de la juridiction contentieuse lorsqu'elles tendent à obtenir soit la réparation d'erreurs commises dans l'assiette ou le calcul des impositions, soit le bénéfice d'un droit résultant d'une disposition législative ou réglementaire. »

La société requérante  soutient par la voie d’une QPC que ces dispositions sont contraires à l'article 62 de la Constitution, à la garantie des droits proclamée par l'article 16 de la Déclaration de 1789, au principe de sécurité juridique et au droit de propriété « en ce qu'elles sont susceptibles de s'appliquer aux demandes de restitution de l'impôt fondées sur l'inconstitutionnalité de la loi et soumettent par suite ces demandes aux conditions de recevabilité de droit commun prévues par le livre des procédures fiscales ».

Le juge rappelle tout d’abord que l’art. L. 190 précité s'applique à l'ensemble des demandes formées par les contribuables tendant à la restitution d'impositions entrant dans son champ et en particulier à celles qui tendent à la restitution d'une imposition fondée sur des dispositions législatives déclarées contraires à la Constitution.

Il rappelle ensuite que selon l'article 62, alinéa 2, de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause. »

Il se déduit de là qu’il appartient au seul Conseil constitutionnel de prévoir la remise en cause des effets qu'une disposition déclarée inconstitutionnelle a produits avant l'intervention de cette déclaration.

En particulier lorsque, à la suite d’une QPC, il a déclaré contraire à la Constitution la disposition législative ayant fondé l'imposition litigieuse, il lui revient à titre exclusif de prévoir si et, le cas échéant, dans quelles conditions, les effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration sont remis en cause, au regard des règles, notamment de recevabilité, applicables à la date de sa décision.

Ainsi, lorsque ce Conseil précise, dans une décision déclarant une disposition législative contraire à la Constitution, que cette déclaration d'inconstitutionnalité est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à la date de publication de sa décision, cette déclaration peut être invoquée dans toutes les procédures contentieuses en cours, quelle que soit la période d'imposition sur laquelle porte le litige, ainsi qu'à l'appui de toute réclamation encore susceptible d'être formée sur le fondement de l'art. L. 190 du LPF eu égard aux règles de recevabilité prévues par ce code.

Le Conseil rejette assez prestement l’argument d’inconstitutionnalité de cet article par rapport au deuxième alinéa de l’art. 62 de la Constitution en estimant que « l'absence de décision du Conseil constitutionnel statuant sur la question de l'invocabilité de cet alinéa au soutien d'une question prioritaire de constitutionnalité ne suffi(t) pas, par ailleurs, à permettre de regarder cette question comme nouvelle. »

Ensuite, l’éventuelle créance née du chef de l’inconstitutionnalité d’une disposition fiscale ne résulte pas ipso facto de la décision du Conseil constitutionnel mais de cette inconstitutionnalité elle-même ; il est donc logique que le régime de recevabilité de l’action en restitution soit celui prévu par l’art. L. 190.

Enfin, il est toujours loisible à un contribuable estimant inconstitutionnelle la disposition fiscale qui lui est applicable, de saisir le juge d’une QPC aux conditions habituelles.

L’invocation du principe de sécurité juridique à l’encontre de l’art. L. 190 dans le cadre d’une QPC est rejeté car il n’est pas au nombre au nombre des droits et libertés garantis par la Constitution au sens et pour l'application de l'ordonnance portant loi organique régissant la QPC.

 

II - QPC et marche du procès administratif

Lorsqu’est présentée à la juridiction d’appel une question prioritaire de constitutionnalité il n’est pas possible au juge de statuer - sans instruction - sur la requête dont il est saisi au moyen d’une ordonnance prise sur le fondement du dernier alinéa de l'article R. 222-1 du CJA avant la production du mémoire distinct que cette requête annonçait, sans avoir imparti un délai pour produire ce mémoire en faisant usage du pouvoir prévu par l'article R. 611-17 de ce code. En effet, une telle demande est susceptible, lorsqu'elle porte sur une disposition législative dont découle la détermination des règles de recevabilité applicables au litige, de modifier l'appréciation portée par le juge sur la recevabilité de la requête ou, lorsqu'elle porte sur une disposition législative constituant le fondement légal de la décision contestée, de modifier l'appréciation portée sur l'absence manifeste de fondement de la requête.

L’ordonnance attaquée est annulée sans renvoi.

(9 juin 2020, Société locale d'épargne de Haute-Garonne Sud-Est, n° 438822)

 

154 - Plus-values nettes de cession d'un local à usage de bureau ou à usage commercial - Soumission à l’impôt sur les sociétés au taux réduit - Conditions - Exception pour les sociétés cessionnaires non soumises à l’impôt sur les sociétés - Cas d’une SCI de construction-vente - Caractère sérieux du moyen invoqué - Renvoi d’une QPC.

Présente un caractère sérieux le moyen tiré, à l’appui d’une QPC, de que les dispositions du I de l'article 210 F du CGI, dans leur rédaction issue de l'article 36 de la loi du 29 décembre 2013 de finances rectificative pour 2013, sont  contraires à la Constitution en tant qu'elles excluent du dispositif de faveur qu'elles instituent les plus-values dégagées lors d'une cession réalisée au profit d'une société soumise au régime de l'article 239 ter du même code, portant ainsi atteinte aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques.

Le renvoi de la QPC au Conseil constitutionnel est donc ordonné.

(9 juin 2020, Société Beraha, n° 439457)

 

Responsabilité

 

155 - Mandat donné par une société à une autre en vue d’une demande d’agrément - Agrément refusé dans des conditions prétendues irrégulières - Dommages financiers en résultant - Mise en jeu de la responsabilité de la puissance publique - Refus - Qualification inexacte des faits - Annulation avec renvoi.

Qualifie inexactement les faits de l’espèce le jugement refusant d’accorder la réparation d’un préjudice financier à une société mandataire d’une autre à l’effet d’obtenir l’agrément fiscal à une opération d’investissement, agrément qui lui est illégalement refusé, au motif que le préjudice ne résulterait que des relations entre les deux sociétés, mandataire et mandante, alors que le défaut de remboursement des frais engagés par la société mandataire résultait directement du refus d'agrément qui privait de son intérêt fiscal l'opération proposée aux investisseurs.

(5 juin 2020, Société Alcyom, n° 424036)

(156) V. aussi, du même jour avec même solution : 5 juin 2020, Société Phalsbourg Gestion, n° 424037.

 

157 - ONIAM - Responsabilité - Réparation au titre de la solidarité nationale - Réparation possible en cas de faute exclusive (I de l’art. 1142-1, code de la santé publique- CSP) - Perte de chance - Notion - Caractère fautif - Rejet du pourvoi.

Cette décision confirme, précise et amplifie la portée d’une jurisprudence antérieure (30 mars 2011, ONIAM, n° 327669) s’agissant du champ d’application du régime de réparation fondé sur la solidarité nationale dont l’ONIAM a la charge.

Il est rappelé tout d’abord qu’il résulte des dispositions du II de l'article L. 1142-1 du CSP que l'Office n’a pas à supporter - au titre de la solidarité nationale - la charge de réparations qui incombent aux personnes responsables d'un dommage en vertu du I du même article.

Il est indiqué ensuite que n’est pas pour autant exclue toute indemnisation par l'Office dans l’hypothèse où, comme en l’espèce, le dommage est exclusivement et complètement la conséquence directe d'un fait engageant la responsabilité des personnes visées au I précité.

En particulier, dans le cas où le préjudice subi par la victime trouve son origine dans un accident médical non fautif mais où, en même temps, une faute commise par une personne mentionnée au I précité a fait perdre à la victime une chance d'échapper à l'accident ou de se soustraire à ses conséquences, ce préjudice, s‘il est  en lien direct avec cette faute consiste en la perte de chance d'éviter le dommage corporel advenu et non le dommage corporel lui-même, lequel demeure tout entier en lien direct avec l'accident non fautif.

Il s’ensuit qu’un tel accident ouvre droit à réparation au titre de la solidarité nationale si ses conséquences remplissent les conditions posées au II de l'article L. 1142-1 et présentent notamment le caractère de gravité requis. Naturellement, par application des principes gouvernant la responsabilité des personnes publiques, l'indemnité due par l'ONIAM sera réduite du montant de l'indemnité mise, le cas échéant, à la charge du responsable de la perte de chance, laquelle sera égale à une fraction du dommage corporel correspondant à l'ampleur de la chance perdue.

(10 juin 2020, O.N.I.A.M., n° 418166)

 

158 - Action en responsabilité - Rapport d'expertise excédant proprio motu le champ de la mission expertale - Possibilité pour le juge de retenir valablement ce rapport - Invocation pour la première fois en appel de l'existence d'une certaine faute - Régularité de cette demande fondée sur une cause juridique déjà invoquée en première instance - Rejet.

Un litige en détermination de la charge de la responsabilité donne l'occasion au Conseil d'État d'apporter une précision et de rappeler une solution bien établie.

En premier lieu, il était reproché à la cour administrative d'appel de s'être fondée sur un rapport d'expertise dont les investigations et conclusions excédaient le champ de la mission expertale dévolue par le juge. Le Conseil d'État approuve la cour de n'avoir pas écarté ce rapport. En effet, la circonstance qu'un rapport d'expertise, à l'initiative de l'expert, se prononce sur des questions excédant le champ de l'expertise ordonnée par la juridiction, n'est pas, par elle-même, de nature à entacher cette expertise d'irrégularité et ne fait pas obstacle à sa prise en considération par le juge sous réserve que ces questions aient été soumises au débat contradictoire en cours d'instance, soit en tant qu'éléments de pur fait non contestés par les parties, soit à titre d'éléments d'information s'ils ne sont pas infirmés par d'autres éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige.

En second lieu, il était reproché à la cour d'avoir statué sur la partie du litige relative à l'invocation, pour la première fois en appel, d'une faute dans le choix d'une certaine intervention chirurgicale. Le juge rappelle que dès lors qu'une forme de faute invoquée pour la première fois en appel repose sur une cause juridique déjà invoquée en première instance rien ne s'oppose à ce qu'elle soit soulevée pour la première fois en appel.

(29 juin 2020, Assistance publique - hôpitaux de Marseille (AP-HM) et Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), n° 420850)

 

Santé publique

 

159 - Covid-19 - Pharmacie - Régime de la vente en ligne de médicaments - Suspension temporaire de ce mode de vente pour certains médicaments - Absence d’illégalité - Rejet.

Il était demandé au juge des référés du Conseil d’État d’ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté du ministre de la santé du 23 mars 2020 en tant que son article 6 suspend la vente par internet des spécialités composées exclusivement de paracétamol, d'ibuprofène et d'acide acétylsalicylique (aspirine) et de spécialités contenant de la nicotine et utilisées dans le traitement de la dépendance tabagique. Était particulièrement invoquée au soutien de la requête l’évolution favorable de la situation sanitaire générale de la France.

Leur demande est rejetée, d’une part, car n’est apporté aucun élément au soutien de leur argument selon lequel cette suspension menacerait la pérennité de l'activité de vente en ligne de médicaments et, d’autre part, car l'amélioration de la situation sanitaire constatée en France ne fait pas disparaître à ce jour l'intérêt de santé publique qui s'attache à l'encadrement de la dispensation des spécialités considérées, encadrement qui ne pourrait pas être aussi efficace en cas de reprise de la vente en ligne, en l'absence de contrôle possible des commandes passées par une même personne auprès de différents sites internet de commerce électronique de médicaments.

En l’absence d’urgence et alors même qu’il serait porté atteinte aux droits conférés par l'ordre juridique de l'Union européenne, la requête est rejetée.

(ord. réf. 2 juin 2020, M. X. et Association française des pharmacies en ligne (AFPEL), n° 440732)

 

160 - Covid-19 - "Fiches de doctrine" du 6 et du 11 mai 2020 relatives à la distribution de masques FFP2 aux personnels soignants - Personnels éligibles - Insuffisance des mesures - Rejet.

Le juge du référé liberté rejette la demande dont l'a saisi le syndicat requérant, relative à l'insuffisance du nombre de masques FFP2 distribués aux personnels du CHU de Lille ainsi que de la détermination des personnels attributaires.

Il relève tout d'abord que contrairement à ce que prétend le demandeur ces deux "fiches" prévoient bien, la première, que l'ensemble du " personnel médical et paramédical intervenant sur les voies respiratoires " figure au nombre des professionnels de santé devant bénéficier de façon prioritaire d'un masque FFP2, et la seconde,  que tous les " professionnels de santé soumis à un fort risque d'aérosolisation à l'occasion de gestes invasifs et de manoeuvres sur les voies respiratoires " sont prioritaires pour l'utilisation d'un tel masque.

Il note ensuite que ne saurait être retenue la critique de cette doctrine d'utilisation en ce qu'elle ne prévoirait pas le port d'un masque FFP2 par tout personnel soignant intervenant dans la chambre d'un patient atteint de Covid-19 ou suspecté de l'être ou dans tous les lieux clos où un tel patient se trouve. 

En effet,

- d'une part, l'Organisation mondiale de la santé, dans ses orientations provisoires du 6 avril 2020, non modifiées à la date de l'ordonnance ici rapportée, préconise que le port d'un appareil de protection respiratoire, de type FFP2, soit réservé aux situations dans lesquelles les personnels de santé réalisent des soins directs aux " patients covid-19 " dans un contexte où sont souvent pratiqués des actes générant des aérosols, tels que intubation endotrachéale, ventilation non invasive, trachéotomie, réanimation cardio-respiratoire, ventilation manuelle avant intubation, bronchoscopie

- et, d'autre part, si la fiche de doctrine du 6 mai 2020 ne mentionne pas, au titre de l'utilisation prioritaire, le port d'un masque FFP2 par tout personnel soignant intervenant dans la chambre d'un patient atteint de Covid-19 ou suspecté de l'être ou en tout lieu clos où un tel patient se trouve, cette fiche se borne à fixer une priorité et mentionne la possible utilisation du masque FFP2 par d'autres soignants que ceux pour lesquels il est prioritairement destiné, notamment par les professions médicales et les infirmiers, pour l'ensemble de leurs activités de soins. 

En cela, ses préconisations sont conformes aux recommandations internationales.

(ord. réf. 8 juin 2020, Syndicat Médecins, ingénieurs, cadres et techniciens CGT (SMICT CGT) du centre hospitalier universitaire de Lille, n° 440701)

(161) V. aussi sur ce sujet : 26 juin 2020, Association départementale de permanence des soins 56 (ADPS 56), n° 441014.

Service public

 

162 - Covid-19 - Accès d’un parlementaire à une maison d’arrêt - Demande d’être accompagné d’un journaliste et de son collaborateur parlementaire - Refus d’accès pour ces derniers aux lieux de détention - Non-lieu à statuer sur la demande présentée en référé.

Il n’y a pas lieu de statuer sur l’appel en référé liberté contre l’ordonnance ayant rejeté la demande d’un parlementaire sollicitant l’annulation du refus opposé par la directrice inter-régionale des services pénitentiaires de permettre l’accès aux lieux de détention de deux personnes l’accompagnant dès lors qu’est d’application immédiate une note, en date du 28 mai 2020, de la ministre de la justice adressée aux directions interrégionales des services pénitentiaires, qui, à la suite de l'évolution du contexte national et des mesures d'assouplissement prises par le Gouvernement, décide que sont levées les restrictions susceptibles d'être apportées à la possibilité pour un parlementaire exerçant son droit de visite sur le fondement des articles 719 et R.57-4-11 du code de procédure pénale. 

(ord. réf. 2 juin 2020, M. X., n° 440787)

 

Sport

 

163 - Covid-19 - Football - Championnat de Ligue 1 - Décision de la Ligue de football professionnel mettant fin à la saison 2019-2020 - Classement final du championnat de Ligue 1 avant la fin de la compétition - Relégation de clubs compte tenu des résultats ainsi décomptés - Rejet et suspension partiels.

Par trois requêtes en référé suspension (cf. art. L. 521-1 CJA) des clubs sportifs contestent plusieurs décisions suivantes de la Ligue de football professionnel prises pour faire face aux conséquences de l’épidémie de Covid-19 sur l’organisation des compétitions sportives :

1° celle de mettre fin à la saison 2019-2020 ;

2° celle d’enregistrer le classement définitif des championnats de Ligue 1 et de Ligue 2 sur la base d'un quotient tenant compte du nombre de points obtenus et du nombre de rencontres disputées par les équipes en compétition ;

3° celle de modifier les règles de relégation de la Ligue 1 vers la Ligue 2 applicables à la saison 2019-2020 et, en conséquence, de prononcer la relégation en Ligue 2 du Toulouse Football Club et de l’Amiens Sporting Club Football.

C’est peu de dire que l’ordonnance du juge était attendue et fut médiatisée d’autant que par suite de la jonction de trois requêtes, elle allait traiter en une seule fois de toutes les questions disputées.

Le juge relève que dès le 13 mars 2020, le conseil d'administration de la Ligue professionnelle de football a décidé de suspendre les compétitions organisées par la Ligue, avec effet immédiat et s’est posé la question du calendrier sportif futur compte tenu de son articulation obligatoire avec celui de l’UEFA (Union des associations européennes de football), dont le démarrage pour la saison 2020-2021 était fixé aux 22 et 23 août 2020.

De plus, a eu lieu l’annonce officielle, le 16 avril 2020, de la prolongation du confinement jusqu’au 11 mai et des précisions ont été apportées ensuite par le premier ministre, notamment l’interdiction jusqu’au mois de septembre 2020 des manifestations sportives rassemblant plus 5 000 personnes sur un même lieu, ainsi que par la ministre des sports.

Le 28 avril, le comité exécutif de la Fédération française de football a décidé l'interruption définitive de la D1 féminine et du Championnat National 1.

Enfin, le conseil d'administration de la Ligue de football professionnel a décidé le 28 avril 2020 :

- de prononcer l'arrêt définitif des championnats de Ligue 1 et de Ligue 2 pour la saison 2019/2020 ;

- pour la Ligue 1, de tirer les conséquences du fait que toutes les rencontres de la 28ème journée n'avaient pas pu avoir lieu en arrêtant un classement définitif sur la base d'un indice de performance défini comme le quotient issu du rapport entre le nombre de points marqués et le nombre de matchs disputés ;

- pour la Ligue 2, d'arrêter un classement définitif sur la base de celui existant à l'issue de la 28ème journée ;

- d'enregistrer en conséquence les classements de la Ligue 1 et de la Ligue 2 ;

- d'attribuer le titre de champion de France de Ligue 1 au Paris-Saint-Germain et celui de champion de France de Ligue 2 au FC Lorient ;

- de prononcer l'accession en Ligue 1 des clubs classés en première et deuxième positions de Ligue 2 (FC Lorient et RC Lens) ;

- de prononcer la relégation en Ligue 2 des clubs classés en dix-neuvième et vingtième positions de Ligue 1 (Amiens SC et Toulouse FC).

Après avoir réglé positivement la question de la compétence du Conseil d’État pour connaître en premier et dernier ressort, d’une part, de celles de ces décisions ayant un caractère réglementaire et, d’autre part, de celles connexes aux précédentes, est abordé le fond des litiges.

L’ordonnance est alors principalement articulée autour de l’examen de trois décisions : celle de mettre un terme définitif aux championnats de Ligue 1 et de Ligue 2 ; celle de procéder à un classement du championnat de Ligue 1 en se fondant sur un quotient ; celle, enfin, de reléguer en Ligue 2 les clubs classés en dix-neuvième et vingtième positions de la Ligue 1.

S’agissant de mettre un terme définitif aux championnats de Ligue 1 et de Ligue 2, cette décision relevait bien de la compétence l'assemblée générale de la Ligue de football professionnel (cf. art. 12 et 24 des Statuts de la Ligue) et il n’y a pas de doute sérieux quant à l’impartialité en l’espèce de cet organe. Pas davantage, à la date à laquelle elle a été prise, la décision du conseil d'administration n’a été rendue en méconnaissance par celui-ci de sa propre compétence et n’est entachée d'erreur de droit, en se croyant lié à tort par une décision gouvernementale, d'erreur de fait ou d'erreur manifeste d'appréciation.

La contestation de la décision de procéder à un classement du championnat de Ligue 1 en se fondant sur un quotient, conduit le juge à examiner deux aspects.

Tout d’abord, était critiquée la légalité du choix d'arrêter un classement se fondant sur les rencontres déjà disputées. Sur ce point, il est certain qu’aucune disposition de la réglementation applicable ne prévoit les règles à suivre lorsque des circonstances imprévues conduisent à interrompre ces compétitions de façon définitive avant leur terme. Toutefois, il résulte de son pouvoir réglementaire qu’il appartient au conseil de la Ligue de déterminer les conséquences à tirer de l'interruption des championnats. Si d’autres solutions auraient pu être retenues, d’une part, aucune d’elles ne s’imposait à lui et, d’autre part, celle retenue, notamment du fait que les trois quarts des rencontres s’étaient déjà déroulées au moment où il a pris sa décision, ne méconnaît pas manifestement l'objectif d'équité et d'intégrité des compétitions sportives.

Ensuite, le juge devait examiner la légalité du choix des modalités de classement pour ce qui est du championnat de Ligue 1. Ce choix, encore que d’autres eussent été théoriquement envisageables,  et en dépit de ce que la vingt-huitième journée n'avait pu aller jusqu'à son terme ou, de façon plus générale, de la circonstance que, durant la phase interrompue des matchs retours, certains clubs avaient rencontré davantage de clubs mieux ou moins bien classés que d'autres, n'est cependant pas de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée, d’autant qu’elle présente l'avantage de prendre en compte l'intégralité des rencontres disputées et d’être identique à la solution retenue antérieurement par la Fédération française de football pour les clubs amateurs.

La contestation de la décision de reléguer en Ligue 2 les clubs classés en dix-neuvième et vingtième positions de la Ligue 1 supposait résolues deux questions.

Tout d’abord, il convenait de répondre, pour la rejeter, à la fin de non-recevoir soulevée par la Ligue de football professionnel. Il était évident qu’il n’y a pas indivisibilité entre les deux décisions, celle de promouvoir deux clubs de Ligue 2 en Ligue 1 et celle de rétrograder deux clubs de Ligue 1 en Ligue 2. Par suite, les clubs requérants pouvaient parfaitement saisir le juge d’une demande de suspension de leur rétrogradation sans avoir, parallèlement, contesté la montée de deux autres clubs en Ligue 1.

Ensuite, devaient être examinées les conclusions des deux clubs concernés, la SASP Amiens Sporting Club et le Toulouse Football Club. Pour les accueillir, le juge retient deux motifs. En premier lieu, la Ligue invoquait, pour ne pas décider de laisser ces deux clubs en Ligue 1, la convention la liant à la Fédération française de football qui ne prévoit pas un championnat avec 22 clubs. Cependant, cette convention prenant fin le 30 juin 2020 et n’étant plus applicable en 2020-2021, la Ligue a commis une erreur de droit en argumentant ainsi sa décision. En second lieu, l’atteinte grave et immédiate aux intérêts des clubs rétrogradés, n’est contrebalancée, dans la décision litigieuse, ni par l'intérêt d'autres clubs ni par l'intérêt public attaché au bon déroulement du championnat de Ligue 1 pour 2020-2021.

La suspension des décisions de rétrogradation est prononcée et il est fait injonction à la Ligue de se rapprocher, d’ici le 30 juin 2020, de la Fédération française de football afin de réexaminer la question du format de la Ligue 1 pour la saison 2020-2021 et d’en tirer les conséquences quant au principe des relégations.

(ord. réf.  9 juin 2020, SA L'Olympique Lyonnais Groupe et SASU L'Olympique Lyonnais, n° 440809 ; Société anonyme sportive professionnelle (SASP) Toulouse Football Club, n° 440813 ; Société anonyme sportive professionnelle (SASP) Amiens Sporting Club Football, n° 440824, jonction)

(164) V. aussi, pour d'autres clubs de football formulant des demandes voisines ou identiques : ord. réf., 11 juin 2020, Association Blanc Mesnil Sport Football, n° 440439 ; Causse Limargue FC et 28 autres clubs, n° 440966 ; ord. réf. 26 juin 2020, Société Espérance Sportive Troyes Aube Champagne (ESTAC) et Société anonyme sportive professionnelle (SASP) Clermont Foot 63, n° 441163.

(165) V. également, voisin mutatis mutandis, à propos de la décision du comité directeur de la Ligue nationale de volley de prononcer l'arrêt des championnats, d’établir les classements à la date du 12 mars 2020 et les modalités de relégation et d'accession entre les Ligues A et B : ord. réf., 16 juin 2020, SASP Le Grand Nancy Volley-Ball et association Le Grand Nancy Volley-Ball, n° 440803.

 

Travaux publics et expropriation

 

166 - Travaux de contournement d’une commune - Expropriation pour cause d’utilité publique - Arrêté déclaratif d’utilité publique - Réalisation d’une étude d'impact des mesures de réduction, de suppression et de compensation devant être prises en compte pour l'appréciation de l'utilité publique du projet - Annulation de l’arrêté portant mise en œuvre de ces mesures - Bilan « coûts-avantages » défavorable de ce fait - Annulation de l’arrêt d’appel.

Encourt la cassation l’arrêt qui juge négatif le bilan d’un projet de contournement routier motif pris de l’annulation, par le juge administratif, de l’arrêté préfectoral portant mise en œuvre des mesures - contenues dans l’étude d’impact - de réduction, de suppression et de compensation devant être prises en compte pour l'appréciation de ce bilan d'utilité publique. En effet, ce jugeant, la cour a commis une erreur de droit car elle devait, pour apprécier le bilan de l'utilité publique du projet, se borner à prendre en compte les mesures prévues dans l'étude d'impact sans faire dépendre leur prise en compte à ce titre de la légalité de l'acte qui les a par ailleurs mises en œuvre.

La solution est assez byzantine pour n’avoir pas été ainsi aperçue par la cour.

(17 juin 2020, Association des riverains du Real Martin du Pont Vieux à l'écluse de Pourret et autres, n° 423441)

 

167 - Travaux de voirie - Sol et sous-sol pollués - Présence d'amiante - Charge financière de la remise en état - Notion de "déchets" - Cas en l'espèce - Rejet.

Le règlement de voirie de la Métropole de Lyon (art. 1.8.1, alinéa 4) dispose que " si à l'occasion d'une fouille réalisée sous la maîtrise d'ouvrage de l'intervenant, pour les besoins de travaux conduits sous sa maîtrise d'ouvrage, celui-ci découvre des sols pollués chimiquement ou biologiquement, la gestion des déblais issus de l'excavation du sol sera à la charge de l'intervenant. Il devra procéder à l'identification de la nature et du niveau de pollution de ces déblais préalablement à leur traitement dans un centre d'enfouissement ou de traitement agréé. La charge financière de ces actions sera supportée par l'intervenant ". 

La société requérante estimant que les travaux de désamiantage d'une partie de l'enrobé d'une voie de la commune de Saint-Priest doivent être réalisés et pris en charge financièrement par la métropole de Lyon s'est adressée en vain à cette dernière. Elle a saisi le juge administratif par la voie d'une exception d'illégalité dirigée contre ce règlement et, après avoir été déboutée en première instance comme en appel, elle se pourvoit en cassation. Son pourvoi est rejeté.

Tout d'abord, le règlement litigieux, en mettant à sa charge les obligations susindiquées se borne à rappeler les dispositions législatives et réglementaires qui les fixent.

Ensuite, ne saurait être invoquée l'incompétence des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) pour prendre un tel règlement au motif du large pouvoir de police des maires en matière de déchets.

Enfin, les déblais résultant de travaux réalisés sur la voie publique constituent des déchets au sens du code de l'environnement et les intervenants sous la maîtrise d'ouvrage desquels ces travaux sont réalisés doivent être regardés comme les producteurs de ces déchets. La circonstance que la voie publique comporte, indépendamment de la réalisation de travaux, des fibres d'amiante ne saurait faire obstacle à l'application de ces dispositions. 

 (29 juin 2020, S.A. Orange France, n° 425516 et 425517, deux espèces non jointes)

 

168 - Expropriation - Arrêté de cessibilité - Arrêté portant sur des portions de parcelles - Obligation d’une nouvelle division parcellaire - Document d’arpentage devant précéder l’arrêté de cessibilité - Absence en l’espèce - Annulation.

Rappel de ce que l’arrêté de cessibilité portant seulement sur des parties de parcelles, un document d'arpentage doit être préalablement réalisé pour remodeler le parcellaire afin que l'arrêté de cessibilité désigne les parcelles concernées conformément à leur numérotation issue de ce document. Le défaut d'accomplissement de cette obligation, qui constitue alors une garantie pour les propriétaires concernés par la procédure d'expropriation, entache d'irrégularité l'arrêté de cessibilité.

(19 juin 2020, Sarl Imo-Group et SCI Carol, n° 433786)

 

Urbanisme

 

169 - Permis de construire - Annulation par le juge - Décision d’autoriser ou non la régularisation du permis entaché d’irrégularité(s) (art. L. 600-5-1 c. urb.) - Obligation de constater que des vices ayant conduit à l’annulation n’existent plus du fait de dispositions contenues dans le nouveau plan d’urbanisme - Erreur de droit à l’omettre - Pouvoir souverain des juges du fond pour constater la persistance d’impossibilité(s) de régularisation - Rejet.

La cour administrative d’appel avait annulé un permis de construire et ses modificatifs en raison de trois violations des dispositions du plan d’urbanisme alors applicable. Elle avait également jugé qu’en raison de ses vices et des caractéristiques du terrain d’implantation de la construction le permis irrégulier ne pouvait pas faire l’objet de la procédure de régularisation régie par l’art. L. 600-5-1 du code de l’urbanisme.

La demanderesse au pourvoi faisait valoir que par suite de l’entrée en vigueur d’un nouveau plan d’urbanisme certains des vices relevés par la cour dans son arrêt avaient disparu et reprochait à celle-ci de ne pas en avoir tenu compte pour se prononcer sur la régularisation.

Le Conseil d’État relève que la cour, ce jugeant, a commis une erreur de droit car elle avait l’obligation de relever la disparition de certains des vices qu’elle avait relevés. Toutefois, l’arrêt n’est pas annulé car la cour a souverainement jugé que les vices subsistant au regard des règles d'urbanisme en vigueur à la date à laquelle elle statuait n'étaient en tout état de cause pas susceptibles de régularisation dans la mesure où leur ampleur, leur nature ainsi que la configuration du terrain ne pouvaient donner lieu à des modifications qui ne remettraient pas en cause la conception générale du projet.

(3 juin 2020, Société Alexandra, n°420736)

 

170 - Réalisation d’une zone d’aménagement concerté (ZAC) - Déclaration d’utilité publique du projet (DUP) - Arrêté de cessibilité des parcelles concernées - Incompatibilité du plan d’urbanisme avec la DUP - Obligation de mise en conformité par modification du plan - Annulation du plan postérieure à la DUP - Remise en vigueur du POS immédiatement antérieur et devant être réputé compatible avec l’acte déclaratif d’utilité publique - Annulation de l’arrêt jugeant le contraire - Refus de régler de juges.

Rappel tout d’abord de ce que l'art. L. 123-14, devenu l'art. L. 153-54 du code de l'urbanisme, dispose qu’en cas de réalisation d'un projet public ou privé de travaux, présentant un caractère d'utilité publique, lorsqu’est nécessaire une mise en compatibilité d'un plan local d’urbanisme avec ce projet, l'enquête publique porte à la fois sur l'utilité publique du projet et sur la mise en compatibilité du plan qui en est la conséquence. Si ce plan est annulé après l’édiction de l’acte déclarant l’utilité publique du projet, le POS immédiatement antérieur devient applicable. Il s’ensuit qu’en ce cas l’acte portant DUP doit être regardé comme ayant mis en conformité le plan d'occupation des sols immédiatement antérieur remis en vigueur. C’est donc par une erreur de droit que la cour administrative d’appel avait jugé que l’arrêté déclaratif d’utilité publique n’avait pas eu pour effet de mettre en conformité le POS avec cette déclaration.

Ensuite, le ministre demandeur avait saisi le Conseil d’État afin que, par un règlement de juges, il déclare nul et non avenu  le jugement du tribunal administratif car celui-ci, pour annuler  la délibération municipale attaquée s’est fondé sur le motif tiré de ce que le conseil municipal avait omis de se prononcer sur les objectifs poursuivis par la révision des documents d'urbanisme, moyen qui n'est plus opérant depuis que, par une décision n° 388902 du 5 mai 2017, le Conseil d'État a jugé que le moyen tiré de l'illégalité de la délibération prescrivant l'adoption ou la révision du plan local d'urbanisme ne peut, eu égard à son objet et à sa portée, être utilement invoqué contre la délibération approuvant le plan local d'urbanisme.

Sa demande est rejetée car ce jugement est revêtu de l'autorité de la chose jugée en raison de son caractère définitif et n'a pas le même objet que la décision du Conseil d’État. Dès lors il n’existe en l’espèce aucun risque de déni de justice.

(3 juin 2020, ministre de l’intérieur, n° 421970)

 

171 - Acte faisant grief - Notion - Cas du projet stratégique et opérationnel d'un établissement public d'aménagement - Acte à caractère « exécutoire » - Acte ne faisant pas grief - Rejet.

(3 juin 2020, Association Collectif associatif 06 pour des réalisations écologiques (CAPRE 06), n° 423502) V. n° 6

 

172 - Permis de construire - Champ d’application des prescriptions accompagnant une autorisation d’urbanisme - Impossibilité d’exiger la présentation d’un nouveau permis - Motifs d’illégalité retenus par les premiers juges - Erreur de droit et régularisation possible - Cassation avec renvoi sur la question de la régularisation.

Saisi d’une demande d’annulation d’un permis de construire 208 logements, un tribunal administratif, d’une part, procède à cette annulation pour deux motifs d’illégalité (étude d'impact prescrite par l'article L. 122-1-1 du code de l'environnement, pas mise à la disposition du public avant la délivrance du permis de construire et terrain d'assiette du projet ne disposant pas d'un accès à une voie ouverte à la circulation publique, en méconnaissance des dispositions de l'article 1 AU 3 du règlement du plan local d'urbanisme, la prescription dont est assorti le permis de construire ne pouvant pallier l'absence de titre valant servitude à la date de sa délivrance) et, d’autre part, constatant l’impossibilité de régulariser, refuse d’accorder le bénéfice des dispositions de l’art. L. 600-5-1 du code de l’urbanisme prévoyant cette possibilité.

La société pétitionnaire du permis se pourvoit.

Le Conseil d’État casse, avec renvoi partiel, le jugement qui lui est déféré.

En premier lieu, il relève que si le permis de construire a été délivré à l'issue d'une procédure irrégulière du fait que l'étude d'impact prescrite par le code de l'environnement, jointe au dossier de demande de permis de construire, n’a pas été mise à la disposition du public avant la délivrance de ce dernier, dont le bien-fondé n'a pas été contesté devant le juge du fond, cette irrégularité « ne met en cause qu'une formalité préalable à la délivrance du permis de construire attaqué » et qu’elle est ainsi régularisable contrairement à ce qu’a jugé le tribunal. On pourra trouver par trop latitudinaire cette analyse.

En second lieu, et surtout, concernant le deuxième motif d’illégalité relevé en première instance, il est rappelé que le maire a accordé le permis de construire sollicité en précisant dans son arrêté que « le présent arrêté est conditionné à la production, par le bénéficiaire, de l'acte authentique de servitude de passage (...) au plus tard au dépôt de la déclaration d'ouverture de chantier ». C’est au prix d’une erreur de droit que le tribunal administratif a estimé que cette réserve ne pouvait pallier l'absence de titre créant une servitude de passage à la date de l'arrêté attaqué et que devait être exigée la présentation d’un nouveau projet. En effet, la création d'une servitude de passage entraine seulement une modification portant sur un point précis et limité qui ne nécessite pas la présentation d'un nouveau projet.

(3 juin 2020, Société Compagnie Immobilière Méditerranée, n° 427781)

 

173 - Plan local d’urbanisme - Classement de parcelles en zone agricole - Conditions de ce classement - Existence de parcelles artificialisées dans cette zone - Absence d’erreur de droit et d’erreur manifeste d’appréciation - Rejet.

Il est jugé qu’une cour administrative d’appel ne commet pas d’erreur de droit en décidant que les parcelles dont les requérantes contestent le classement en zone A d’un plan local d'urbanisme sont situées en limite ouest du territoire communal, en dehors des parties urbanisées de la commune, dans une partie de son territoire qui présente, très majoritairement, un caractère agricole. Pour apprécier la légalité du classement des parcelles en zone A, la cour n’avait pas à rechercher si ces parcelles présentaient elles-mêmes le caractère de terres agricoles et elle pouvait se fonder sur la vocation du secteur en bordure duquel ces parcelles se situent, dont le caractère agricole est avéré, sur le parti d'urbanisme de la commune, consistant à ne pas permettre l'étalement de la zone urbaine contiguë à ce secteur sur le territoire de la commune voisine ainsi que sur la circonstance que les parcelles en cause ne supportent que des constructions légères et des aménagements d'ampleur limitée.

La cour ne commet pas davantage une erreur manifeste d’appréciation en estimant que la circonstance qu’une parcelle est désormais artificialisée en quasi-totalité par la présence d'une dalle d'entreposage de bennes à déchets et que d’autres parcelles sont partiellement construites, ne rend pas erroné le classement de l'ensemble des parcelles litigieuses en zone A, compte tenu notamment de ce que ces parcelles sont en dehors des parties urbanisées de la commune, dans une zone très majoritairement agricole, et eu égard à leur potentiel économique en lien avec l'activité agricole.

(3 juin 2020, Sociétés Inerta et Océane, n° 429515)

 

174 - Référé suspension - Permis de construire - Immeuble situé dans le champ de co-visibilité d'un édifice classé ou inscrit (art. L. 621-30 du code du patrimoine) - Appréciation de cette notion - Absence d’autorisation de l’architecte des Bâtiments de France (ABF) - Pouvoir, devoir et office du juge de cassation statuant sur une ordonnance retenant deux motifs d’illégalité de la décision délivrant un permis de construire dont l’un est censuré par lui et l’autre abandonné par le premier juge postérieurement à son ordonnance - Annulation intégrale de l’ordonnance frappée de pourvoi.

Cette affaire, concernant la contestation de la délivrance d’un permis de construire sur la côte basque, à Anglet, soulève deux très intéressantes questions.

En premier lieu, elle concerne une question de fait, plus précisément de dénaturation des faits. Pour ordonner la suspension du permis de construire le juge des référés du tribunal administratif s’était fondé sur ce qu’était nécessaire en l’espèce l’autorisation de l’ABF en raison de l'existence d'une co-visibilité entre le projet litigieux et l'église Sainte-Marie de la Chambre d'Amour, classée au titre des monuments historiques, depuis un point de la Promenade des sables d'or normalement accessible au public, situé à l'aplomb de l'héliport. En réalité cette co-visibilité n’existe que si, placé au point susdit, est utilisé un appareil photographique muni d'un objectif à fort grossissement alors que cette notion de co-visibilité s’entend ici d’une visibilité à l’œil nu. Dès lors c’est par une dénaturation des faits de l’espèce que le premier juge a pu dire qu’était de nature à faire naître un doute sérieux le moyen tiré de qu’était requise en l’espèce l’autorisation de l’ABF en raison de la co-visibilité du projet et du monument classé.

En second lieu, saisi postérieurement à l’ordonnance litigieuse, sur le fondement de l'article L. 521-4 du CJA, le juge des référés du tribunal administratif a, par une seconde ordonnance faisant suite au nouveau permis de construire modificatif délivré à la société pétitionnaire, jugé que le second moyen d’irrégularité qu’il avait précédemment retenu (absence de constitution d’une servitude de passage sur la parcelle à emprunter) n'était plus de nature à justifier la suspension des permis litigieux.

Le juge de cassation, et c’est un apport important de sa décision, décide donc que, dans ces conditions, l’abandon par le juge du second motif s’ajoutant à « la censure du premier motif retenu par le juge des référés dans son ordonnance du 11 juin 2019 suffit à entraîner l'annulation de cette ordonnance ».

(ord. réf. 5 juin 2020, Association des riverains du Barbot-Chambre d’Amour et autres, n° 431994)

 

175 - Permis de construire - Annulation pour plusieurs motifs - Existence d’au moins un motif erroné - Pourvoi en cassation - Effet - Cas où le jugement se prononce sur une demande d’annulation pour excès de pouvoir - Existence d’au moins un motif de nature à justifier la solution retenue par le jugement frappé de pourvoi - Absence d’annulation.

(10 juin 2020, M. X. et autres, n° 420447) V. n° 43

(176) V. aussi, comparable, à propos de de la délivrance d’un permis de démolir et d’un permis de construire : 12 juin 2020, Commune de Saint-Raphaël, n°428003

 

177 - Périmètre de restauration immobilière (PRI) - Restauration d’immeubles en centre-ville - Annulation partielle d’une déclaration d’utilité publique dans la délimitation du périmètre - Existence de locaux originairement commerciaux au sein des immeubles concernés - Locaux devenus impropres à une utilisation à caractère commercial - Possibilité de les transformer en habitations - Cassation de l’arrêt adoptant la solution contraire.

Une SCI propriétaire d’un immeuble au sein d’un périmètre de restauration immobilière conteste l’inclusion des locaux commerciaux qu’il comporte dans une opération destinée à améliorer l’habitat. La cour administrative d’appel lui ayant donné raison, la commune et la ministre intéressées se pourvoient.

Le Conseil d’État rappelle le principe constant (issu des dispositions des art. L. 313-4, 313-4-1 et 313-4-2 c. urb.) selon lequel normalement une opération de restauration immobilière a pour objet la transformation des conditions d'habitabilité d'un immeuble ou d'un ensemble d'immeubles et ne peut avoir pour objet ou pour effet de contraindre un propriétaire à transformer en habitation un local dont la destination est commerciale.

Toutefois, et c’est là l’apport principal de cette décision, le juge estime que lorsqu'un local à usage commercial présent dans un immeuble ou ensemble d'immeubles principalement destiné à l'habitation est devenu impropre à une activité commerciale, il peut, sans illégalité, être transformé en habitation à des fins d'amélioration des conditions d'habitabilité soit de l'immeuble où il se trouve soit de l'ensemble d'immeubles inclus dans le PRI.

Tel était le cas en l’espèce, d’où la cassation de l’arrêt contraire.

(17 juin 2020, Commune de Mâcon, n° 427957 ; ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, n° 428098)

 

178 - Permis de construire - Loi du 23 novembre 2018 (art. 80 et art. L. 600-12-1 du code de l'urbanisme) - Caractère inopérant de l'exception d'illégalité du plan local d'urbanisme - Application immédiate dans les instances en cours ou non - Application.

Le Conseil d’État avait été saisi par un tribunal administratif d’une demande d’avis de droit sur la question de savoir si l'inopérance du moyen tiré de l'exception d'illégalité du plan local d'urbanisme instituée par l'article L. 600-12-1 du code de l'urbanisme (issu des dispositions de l’art. 80 de la loi du 23 novembre 2018), qui est entré en vigueur le 1er janvier 2019, s'applique immédiatement dans les instances en cours ou en fonction de la date de délivrance du permis de construire, ou de celle de la date d'introduction de la requête ou encore de la date à laquelle le moyen a été soulevé.

Celui-ci répond, selon une analyse scripturaire classique, que ces « dispositions, qui n'affectent pas la substance du droit de former un recours pour excès de pouvoir contre une décision administrative, sont, en l'absence de dispositions contraires expresses, immédiatement applicables aux instances en cours. »

(avis de droit, 17 juin 2020, M. X. c/ Commune d'Huez-en-Oisans (Isère), n° 427390)

 

179 - Permis de construire - Permis modificatif - Absence de nouveau délai de validité du permis de construire initial - Recours contentieux contre le permis modificatif - Suspension du délai de validité jusqu'à l'intervention d'une décision juridictionnelle irrévocable - Annulation avec renvoi au tribunal administratif.

Dans cette décision le juge apporte une précision importante en matière de délai de validité du permis de construire initial lorsque le permis de construire modificatif dont il fait l'objet est attaqué au contentieux. En effet, il déduit des dispositions combinées des articles R. 424-17 et R. 424-19 du code de l'urbanisme que la délivrance d'un permis de construire modificatif n'a pas pour effet de faire courir à nouveau le délai de validité du permis de construire initial, tandis que la formation d'un recours contentieux par un tiers à l'encontre de ce permis modificatif suspend ce délai jusqu'à l'intervention d'une décision juridictionnelle irrévocable.

(19 juin 2020, M. X., n° 434671 ; Commune de Saint-Didier-au-Mont-d'Or, n° 434899, jonction)

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Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Mai 2020

Mai 2020

 

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Covid-19 - Principe de neutralité de l’action publique - Labellisation d'articles de presse sur un site officiel du gouvernement - Ingérence dans plusieurs libertés fondamentales dont celle de la presse - Non-lieu à statuer - Rejet.

Le syndicat demandeur a saisi le juge du référé liberté en vue qu’il enjoigne au premier ministre de supprimer sans délai la page internet officielle où sont référencés des articles de presse relatifs à l'épidémie de Covid-19 et mettant en évidence la fausseté de certaines informations circulant sur cette épidémie. Il considère que la labellisation d'articles de presse sur un site officiel du gouvernement constitue une ingérence manifeste des autorités publiques dans la liberté de la presse et qu’il est par là porté une atteinte grave et manifestement illégale à l'exigence de pluralisme de l'expression des opinions, corollaire de la liberté de la presse, et au principe de neutralité des autorités publiques, corollaire du principe d'égalité.

Toutefois, le juge prononce le non-lieu à statuer sur ce référé formé le 4 mai 2020 car il résulte de l'instruction que le premier ministre a supprimé cette page internet, à compter du 5 mai 2020, soit postérieurement à l'introduction de la requête et antérieurement au jour où le juge a statué.

Il s’agissait de la page : https://www.gouvernement.fr/info-coronavirus/desinfox.

(ord. réf. 8 mai 2020, Syndicat national des journalistes, n° 440388)

 

2 - Covid-19 - Demande d’une intervention d’autorités françaises auprès d’un autre État - Règle de circulation des personnes en période d’épidémie - Acte de gouvernement - Conduite des relations diplomatiques entre la France et une puissance étrangère - Rejet pour incompétence de la juridiction administrative.

Les requérants demandent qu’il soit enjoint au ministre des affaires étrangères et à l’ambassadeur de France en Ukraine qu’ils sollicitent les autorités ukrainiennes afin qu’elles autorisent le rapatriement en France de leur fille, née d’un contrat de mère porteuse réalisé au moyen des gamètes de M. Y. et d’un don d’ovocytes. Leur demande ayant été rejetée par le premier juge des référés, ils interjettent appel devant le Conseil d’État.

Celui-ci rejette à son tour la requête en référé liberté des demandeurs.

Il relève que les règles d’entrée et de sortie du territoire ukrainien relèvent de la souveraineté de l’Ukraine qui a établi des règles strictes de franchissement de ses frontières en période d’épidémie de Covid-19. Il note ensuite que la demande des requérants tendant à ce que la France s’entremette à cette fin dérogatoire ne saurait s’analyser comme une simple démarche administrative et qu’elle n'est pas détachable de l'exercice des pouvoirs du Gouvernement dans la conduite des relations diplomatiques.

D’où le rejet opposé à une action portée devant une juridiction incompétente pour en connaitre.

(ord. réf. 15 mai 2020, Mme X. et M. Y., n° 440382)

 

3 - Covid-19 - Fonction publique hospitalière - Heures supplémentaires - Autorisation donnée aux établissements hospitaliers de déplafonner les heures supplémentaires autorisées - Mesure d’organisation du service - Compétence du Conseil d’État en premier et dernier ressort - Rejet.

A l’occasion d’une requête en référé suspension formée par le syndicat demandeur, le Conseil d’État, contrairement à l’opinion du ministre défendeur, s’estime compétent pour connaître de ce recours dirigé contre sa décision ouvrant aux différents établissements relevant de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) la faculté de recourir au déplafonnement des heures supplémentaires qu'elle autorise. Il considère que si cette décision n’aurait pas en soi un caractère réglementaire, elle est de nature à influer directement sur l'organisation du service public hospitalier au sein de l'AP-HP et doit donc être regardée comme ayant, de ce fait, le caractère d'un acte réglementaire émanant d'un ministre dont le Conseil d’État est compétent pour connaître en premier et dernier ressort.

Au fond, la requête est rejetée du fait de la mise en balance entre l'urgence qu'il y aurait à en suspendre l'exécution de la mesure contestée et l'intérêt public qui s'attache à la continuité et au bon fonctionnement du service public hospitalier dans le contexte de crise sanitaire résultant de l'épidémie de Covid-19.

(ord. réf. 26 mai 2020, Syndicat CGT de l'hôpital Beaujon AP-HP, n° 439209)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques

 

4 - Antennes de téléphonie mobile - Installation sur des réservoirs de stockage d'eau potable - Gestion du domaine public et faculté d’autoriser l’installation des équipements des opérateurs de communications électroniques - Refus de renouveler la convention d’occupation du domaine à cette fin - Absence de caractère disproportionné des tarifs d’occupation domaniale - Absence d’inégalité dans le traitement tarifaire d’opérateurs se trouvant dans des situations différentes - Rejet.

La société Orange, ayant contesté en vain en première instance et en appel les conditions contractuelles liées à l’installation d’antennes de téléphonie mobile sur le domaine public, se pourvoit, encore en vain, en cassation.

Ses trois arguments principaux sont rejetés comme ils l’avaient été en appel et par un raisonnement identique.

Le juge rappelle que le gestionnaire du domaine n’a pas l'obligation mais seulement la faculté d'autoriser l'installation des équipements des opérateurs de communications électroniques sur son domaine. Il s’ensuit qu’il peut décider - comme au cas de l’espèce - de ne pas renouveler, à leur échéance, les conventions en vertu desquelles était autorisée l'occupation des réservoirs de stockage d'eau potable par des antennes de téléphonie mobile, alors même que le motif de ce refus ne serait pas tiré de l'incompatibilité de cette occupation avec l'affectation de ces dépendances domaniales ou avec les capacités disponibles, mais résulterait de la volonté de conclure de nouvelles conventions d'occupation tenant compte des conditions techniques et financières nouvelles prévues par cette délibération.

Par ailleurs, est jugée régulière la délibération litigieuse qui a fixé le tarif applicable pour l'occupation d'un réservoir de stockage d'eau potable par une antenne de téléphonie mobile à dix mille euros pour un opérateur économique dont le chiffre d'affaires annuel consolidé du groupe auquel il appartient est supérieur à cinq millions d'euros et à mille cinq cents euros pour un opérateur économique dont le chiffre d'affaires annuel consolidé du groupe auquel il appartient est inférieur à cinq millions d'euros, l'occupation étant gratuite pour les opérateurs de sécurité et de secours. A cet égard, la requérante développait deux arguments. En premier lieu, elle prétendait excessive la redevance de dix mille euros qui lui était imposée et disproportionnée la différence entre les deux tarifs décidés. Se plaçant sur le terrain des avantages retirés par elle, le juge estime justifiés et les montants respectifs retenus et l’écart entre eux.

Enfin, la société Orange faisait valoir qu’elle participe à une mission de service public par sa couverture du territoire national en service de téléphonie mobile et que les opérateurs de téléphonie mobile assurent la prise en charge d'appels d'urgence, pour dire injustifié, au regard du principe d’égalité, le fait que les opérateurs de sécurité et de secours bénéficient, pour leurs antennes de téléphonie mobile, de la gratuité qui lui est refusée. Là encore sont retenus par le juge les avantages que cette société retire de l'installation de ses antennes de téléphonie mobile sur le domaine public non routier de la communauté d'agglomération Lorient Agglomération pour l'exercice de son activité principale relative aux appels courants.

(27 mai 2020, Société Orange, n° 430972)

 

Biens

 

5 - Domaine public fluvial - Contravention de grande voirie - Déplacement d’un bateau de plaisance ordonné sous astreinte - Point de départ et délai du calcul de l’astreinte - Effets des mesures de prorogation des délais sous l’empire du Covid- 19 - Rejet.

Les demandeurs ont été condamnés le 14 novembre 2018 par ordonnance du juge des référés de première instance à évacuer sans délai leur bateau d’un port de plaisance et à une astreinte de cent euros par jour de retard ; cette astreinte a été liquidée par une ordonnance du 5 juillet 2019, pour un montant de 22 700 euros, le juge ayant refusé, sur recours de la commune, de porter le montant de l'astreinte à deux cents euros par jour. Ils se pourvoient en annulation de cette ordonnance et, subsidiairement, sollicitent la modulation de l’astreinte.

Le juge de cassation devait répondre à trois questions : Quelles sont les dispositions applicables à une telle astreinte ? Quel est le point de départ du calcul du montant de l’astreinte, question compliquée ici par la modification des délais applicables du fait de l’épidémie de Covi-19 ? Quelles sont les conditions de la modération voire de la suppression de l’astreinte ?

Sur le premier point, il est rappelé que lorsque l'injonction de libérer une dépendance domaniale est assortie d'une astreinte, celle-ci n’est pas alors régie par les dispositions du livre IX du code de justice administrative.

Sur le second point, le juge précise que l'astreinte court à compter de la date d'effet de l'injonction sous deux réserves : d’une part, le juge peut toujours différer le point de départ de l'astreinte dans les conditions qu'il détermine, et d’autre part, en cas de silence du jugement sur la date d’effet de l’injonction - comme c’était le cas en l’espèce -, celle-ci ne peut être que celle de la notification de ce jugement. A ce dernier égard, il est donc décidé que, les conditions d’infliction d’une astreinte étant ici réunies, le point de départ de son exécution a commencé à courir le 21 novembre 2018 et ce jusqu’au jour de la présente décision, soit le 27 mai 2020. Cependant, en raison du Covid-19, le dernier alinéa de l'article 4 de l'ordonnance du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période, dispose que « le cours des astreintes et l'application des clauses pénales qui ont pris effet avant le 12 mars 2020 sont suspendus pendant la période définie au I de l'article 1er ». La période concernée ici est donc comprise entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 inclus. A la date de la présente décision, soit le 27 mai 2020, cette période n'est pas parvenue à son terme. La liquidation de l'astreinte couvre ainsi la période courant du 21 novembre 2018 au 11 mars 2020, soit 47 600 euros.

Enfin, en troisième lieu, sur la question de la modération ou de la suppression de l’astreinte prononcée, laquelle est possible même en cas d'inexécution de la décision juridictionnelle, le juge relève que les requérants ne sont pas dépourvus de tout revenu et qu’il n’y a donc pas lieu de modérer cette astreinte.

(ord. réf. 27 mai 2020, Mme et M. X., n° 432977)

 

6 - Transfert dans le domaine public d’une voie privée ouverte à la circulation publique - Régime juridique - Décision préfectorale refusant ce transfert - Recours contentieux des riverains de la voie - Qualité de riverains donnant intérêt à agir - Présence - Demande d’annulation du refus du préfet - Rejet.

C’est par son aspect procédural que cette décision se signale à l’attention du lecteur.

La commune de Saint-Lunaire (Ille-et-Vilaine) voulant procéder au transfert d'office dans le domaine public communal d'une voie privée, a demandé au préfet, en raison de l’opposition de certains propriétaires, de prononcer conformément aux dispositions de l'article L. 318-3 du code de l'urbanisme, le transfert de la voie privée dans son domaine public. Le préfet a refusé et des propriétaires ont demandé au préfet de retirer cette décision. Après le rejet implicite de leur demande, ils ont saisi le tribunal administratif qui a rejeté leur demande. La cour administrative d'appel a annulé le jugement et la décision du préfet et enjoint à ce dernier de se prononcer à nouveau sur la demande de la commune dans un délai de deux mois.

Le juge de cassation était, à titre préliminaire, saisi de la question de la recevabilité de la demande de première instance, laquelle était contestée devant lui. Il juge, cette solution n’allait pas de soi puisque la jurisprudence antérieure était plutôt en sens contraire, que « Le transfert d'une voie privée ouverte à la circulation publique dans le domaine public communal ayant notamment pour effet de ne plus faire dépendre le maintien de l'ouverture à la circulation publique de la voie du seul consentement de ses propriétaires et de mettre son entretien à la charge de la commune, les riverains de la voie justifient d'un intérêt leur donnant qualité pour demander l'annulation pour excès de pouvoir de la décision (du préfet) refusant de la transférer dans le domaine public de la commune sur le fondement de l'article L. 318-3 du code de l'urbanisme ».

(27 mai 2020, M. et Mme X. et autres, n° 433608)

 

7 - Droit de propriété - Travaux et constructions publics empiétant sur une propriété privée - Obligation de remettre les lieux en état - Absence de caractère automatique d’urgence d’une action en vue de protéger ou rétablir une liberté fondamentale - Annulation de l’ordonnance du premier juge.

Cette décision, qui constitue un rappel de la jurisprudence Commune de Chirongui (ord. réf. 23 janvier 2013, n° 365262), selon laquelle le juge administratif du référé liberté est compétent pour enjoindre à l'administration de faire cesser une atteinte grave et manifestement illégale au droit de propriété, lequel a le caractère d'une liberté fondamentale, quand bien même cette atteinte aurait le caractère d'une voie de fait, montre une fois de plus qu’il ne faut pas céder à ce que l’on pourrait appeler « le mirage du référé ».

Les requérants et leurs conseils se laissent souvent prendre au « piège » de la facilité, de la simplicité et de la célérité des procédures de référé, oubliant d’en respecter les exigences propres, d’où des déconvenues comme en la présente espèce. Comme l’exprime très bien ici le juge d’appel, il ne faut pas « confondre urgence et gravité de l'atteinte alléguée (au) droit de propriété ».

Une action en référé liberté avait été introduite en première instance par un propriétaire privé, avec succès,  en vue qu’injonction soit faite à la commune de Morne-Vert de faire cesser l'atteinte grave et manifestement illégale à son droit de propriété en procédant à l'arrêt immédiat des travaux de construction d'un centre technique communal entrepris sur la parcelle K 111 et des travaux et de la réfection de la clôture de sa parcelle K 200 ainsi que le dégagement des voies d'accès situées sur la parcelle K 24, en déplaçant le regard d'évacuation des eaux pluviales.

Saisi par la commune défenderesse d’un appel dirigé contre l’ordonnance de référé la condamnant, le Conseil d’État donne raison à cette dernière.

En effet, si le juge constate que c’est à juste titre que le propriétaire se plaint de l’atteinte à son droit de propriété du fait de travaux publics réalisés et de constructions publiques édifiées illégalement sur sa propriété, il relève également qu’à la date de sa saisine « ne restait à réaliser que 1,5m2 de surface bétonnée après enlèvement par EDF de son support » et que l'intérêt général s'attache à la construction de cette route de contournement, qui vise à permettre de désengorger le centre bourg et pour laquelle la commune dit avoir à ce stade dépensé plus de 900 000 euros.

C’est pourquoi, il estime que « aussi graves que sont les atteintes alléguées au droit de propriété (…), la condition d'urgence particulière, seule de nature à justifier l'intervention du juge des référés dans les conditions fixées par l'article L. 521-2 du code de justice administrative, ne pouvait être considérée comme remplie à la date d'introduction de sa requête devant le juge des référés du tribunal administratif et ne peut pas plus l'être aujourd'hui ». D’où l’annulation de l’ordonnance de première instance.

In fine le juge donne même une petite consultation juridique au malheureux propriétaire en lui suggérant de saisir, s'il s'y croit fondé, le tribunal administratif « d'une demande tendant la remise en état des parcelles dont il est propriétaire, que ce soit à l'appui d'une demande d'annulation du refus de la commune d'y procéder ou à l'appui d'une demande de réparation ».

(28 mai 2020, Commune de Morne-Vert, n° 440522)

 

8 - Antennes de téléphonie mobile - Installation sur des réservoirs de stockage d'eau potable - Gestion du domaine public et faculté d’autoriser l’installation des équipements des opérateurs de communications électroniques - Refus de renouveler la convention d’occupation du domaine à cette fin - Absence de caractère disproportionné des tarifs d’occupation domaniale - Absence d’inégalité dans le traitement tarifaire d’opérateurs se trouvant dans des situations différentes - Rejet.

(27 mai 2020, Société Orange, n° 430972) V. n° 4

 

Contentieux

9 - Référé suspension - Dispositifs médicaux pris en charge par la sécurité sociale - Modification des conditions de prise en charge - Doute sérieux - Urgence - Octroi de la suspension d’exécution de l’arrêté litigieux.

La société requérante demandait la suspension de l'exécution d’un arrêté ministériel portant modification des modalités de prise en charge des véhicules destinés au transport passif des personnes handicapées (titre IV de la liste des produits et prestations prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale (CSS)).
L'article L. 165-1 CSS prévoit que le remboursement par l'assurance maladie des dispositifs médicaux à usage individuel est subordonné à leur inscription sur une liste établie après avis d'une commission de la Haute Autorité de santé soit sous forme de marque ou de nom commercial, inscription éventuellement subordonnée, à son tour, au respect de spécifications techniques, d'indications thérapeutiques ou diagnostiques et de conditions particulières de prescription et d'utilisation.

L'arrêté interministériel du 17 octobre 2017, dans la version qui lui a été donnée par l’arrêté du 15 juillet 2019, portant modification des modalités de prise en charge des « sièges coquilles de série », a restreint, dans l'intérêt de la santé publique, les indications de prise en charge des sièges coquilles de série aux « Patients âgés ayant une impossibilité de se maintenir en position assise sans un système de soutien et n'ayant pas d'autonomie de déplacement (...) ». Par suite, ne peuvent pas faire l'objet d'une prise en charge au titre des « Poussettes, fauteuils roulants à pousser et châssis roulants destinés au transport passif des personnes handicapées » du chapitre 2 « Véhicules divers » du titre IV de la liste des produits et prestations (LPP) prévue à l'article L. 165-1 CSS, « les véhicules comprenant une même structure rigide : 

- dont le siège, le dossier, les accoudoirs ou maintiens latéraux sont non démontables en 4 parties (notamment avec fixations non réutilisables) ;

- ou dont le revêtement capitonné n'est pas propre à chacune des parties : siège, dossier, accoudoirs ou maintiens latéraux ». Par ailleurs, aux termes du même arrêté, « La prise en charge du code 4263950 « Vhp, poussette ou fauteuil, > ou = 16 ans, dossier ou dossier et siège inclinables » ne peut se cumuler avec le code 1211489 d'un appareil de soutien partiel de la tête ».

L'arrêté du 10 mars 2020 ayant même objet que les précédents, a modifié le paragraphe 1 « Généralités » de la section A « Poussettes, fauteuils roulants à pousser et châssis roulants destinés au transport passif des personnes handicapées » du chapitre 2 « Véhicules divers » du titre IV de la liste des produits et prestations prévue à l'article L. 165-1 CSS.

C’est de ce dernier arrêté que la société Innov'sa demande au juge des référés du Conseil d’État d’ordonner la suspension d’exécution.

S’agissant d’un référé de l’art. L. 521-1 CJA, la demanderesse devait établir la satisfaction par sa demande des deux conditions cumulatives exigées par ce texte.

Pour estimer établie la condition d’urgence, le juge relève, reprenant à son compte l’argumentation de la société, que l’activité de la société est très dépendante des conditions de prise en charge par l'assurance maladie, sa production de poussettes pour handicapés représentant désormais 58 % de son activité. L’application de l'arrêté querellé l'empêcherait de continuer à commercialiser ce produit, ce qui pourrait conduire à sa liquidation. Dès lors, la condition d'urgence doit être regardée comme remplie.

Pour établir qu’existe en l’espèce un douteux sérieux sur la juridicité de l’arrêté attaqué, la société soutient, d'une part, que l'arrêté contesté est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation en ce qu'il modifie les conditions de fabrication des véhicules destinés au transport passif des handicapés en exigeant, sans justification pertinente, que le siège, le dossier, les accoudoirs ou maintiens latéraux des structures rigides soient démontables en quatre parties ou que le revêtement capitonné soit propre à chacune de ces parties et, d'autre part, qu'il est entaché d'erreur de fait et d'erreur manifeste d'appréciation en ce qu'il exclut le cumul de la prise en charge d'un véhicule pour handicapé physique avec celle d'un appareil de soutien partiel de la tête, alors que les poussettes et fauteuils à pousser pour handicapés de plus de 16 ans ne comportent d'appui-tête ni dans le modèle de base, ni en option.

Le juge, rejetant l’argument du ministre défendeur selon lequel l’arrêté litigieux aurait été pris afin d'éviter que les sièges coquilles de série ne soient remboursés par l'assurance maladie en tant que véhicules pour handicapés physiques inscrits au titre IV de la liste des produits et prestations, alors que leurs indications de prise en charge ont été restreintes, dans l'intérêt de la santé publique, par les arrêtés précités de 2017 et de 2019, constate que les deux moyens soulevés par la société Innov'sa sont de nature, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté contesté, dès lors que, dans l'un et l'autre cas, les modifications ainsi apportées aux spécifications des véhicules ne sont pas justifiées par le service attendu de leur usage.

(ord. réf. 8 mai 2020, Société Innov'sa, n° 440213)

10 - Covid-19 - Demande d’une intervention d’autorités françaises auprès d’un autre État - Règle de circulation des personnes en période d’épidémie - Acte de gouvernement - Conduite des relations diplomatiques entre la France et une puissance étrangère - Rejet pour incompétence de la juridiction administrative.

(ord. réf. 15 mai 2020, Mme X. et M. Y., n° 440382) V. n° 2

 

11 - Compétence de la juridiction administrative - Injonction à la police nationale - Agissements prétendus à l’encontre du demandeur - Incompétence de l’ordre de juridiction saisi - Rejet.

Doit être rejetée comme portée devant une juridiction administrative manifestement incompétente pour en connaitre, l’action en référé liberté tendant à ce que soient adressées des injonctions aux représentants de la police nationale, aux représentants de la justice et à toute administration publique de mettre fin aux agissements dont le demandeur s'estime victime, en particulier du fait des modalités par lesquelles la police nationale est intervenue le 20 avril 2020 à la suite d'une altercation l'opposant à ses voisins et de ce qu’il serait victime de diffamation.

(ord. réf. 9 mai 2020, M.X., n° 440311)

 

12 - Compétence du Conseil d’État en premier et dernier ressort - Contestation de la décision d’une présidente de conseil départemental tendant à l’attribution d'allocations et de prestations destinées aux personnes en situation de handicap - Absence de compétence directe - Rejet.

Le recours dirigé contre la décision implicite de la présidente d’un conseil départemental refusant l’attribution d'allocations et de prestations destinées aux personnes en situation de handicap n’est manifestement pas au nombre des recours qui, limitativement énumérés par l'article R. 311-1 du CJA, relèvent de la compétence Conseil d’État statuant en premier et dernier ressort.

Il appartient, en ce cas, au juge des référés, sur le fondement de l’article R. 522-8-1 du CJA et par dérogation aux dispositions du titre V du livre III relatif au règlement des questions de compétence au sein de la juridiction administrative, de décliner la compétence de la juridiction par voie d'ordonnance (cf. art. L.522-3 CJA).

(ord. réf. 20 mai 2020, Mme X. et M. Y., n° 440645)

 

13 - Covid-19 - Arrêté préfectoral - Accès aux parcs, jardins publics, forêts, plans d’eau, terrains de sports et autres interdit jusqu’au 11 mai 2020 - Non-lieu à statuer.

Les requérants avaient demandé en vain au juge des référés du tribunal administratif l’annulation d’un arrêté du préfet du Haut-Rhin interdisant jusqu'au 11 mai 2020 l'accès à l'ensemble des parcs, jardins publics, gravières, forêts, plans d'eau, berges, aires de jeux, parcours de santé et terrains de sports urbains dans toutes les communes du Haut-Rhin. Ils sollicitent du Conseil d’État l’annulation de cette ordonnance de rejet en date du 30 avril 2020.

Le Conseil d’État, saisi le 5 mai, constate, le 12 mai, que l’arrêté attaqué ne produit plus d’effets depuis la veille et qu’il n’y a donc plus lieu pour lui de statuer sur la demande en référé dont il était saisie.

(ord. réf. 12 mai 2020, M. X., n° 440415 ; M. Y et Mme Z., n° 440420, deux espèces)

 

14 - Transfert dans le domaine public d’une voie privée ouverte à la circulation publique - Régime juridique - Décision préfectorale refusant ce transfert - Recours contentieux des riverains de la voie - Qualité de riverains donnant intérêt à agir - Présence - Annulation du refus du préfet - Rejet.

(27 mai 2020, M. et Mme X. et autres, n° 433608) V. n° 6

15 - Covid-19 - Référé de l’art. L. 523-1 CJA - Circulaire ministérielle relative à la réouverture des écoles et des établissements scolaires et aux conditions de poursuite des apprentissages - Ministre chef du service de l’éducation - Obligation pour lui de réglementer - Illégalité à se borner à recommander - Incompétence du juge de ce référé - Rejet.

La fédération requérante, se fondant sur les dispositions de l’art. L. 523-1 CJA (« En cas d'urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l'absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative »),  estimait illégale la circulaire du ministre de l’éducation relative à la réouverture des établissements scolaires à la fin du confinement décidé pour cause d’épidémie du Covid-19. Elle reprochait à celui-ci de se borner à des recommandations sans décider réellement, renvoyant aux enseignants la charge de la responsabilité du chef des mesures accompagnant la réouverture. Par suite, elle demandait au Conseil d’État d’enjoindre à ce ministre de prendre des mesures réglementaires en matière de santé et de sécurité au travail dans les établissements scolaires, en vue de la reprise de l'accueil des enfants dans ces établissements dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire.

Relevant que l’art. précité doit être lu en correspondance avec les art. L. 521-1 et L. 521-2 du CJA et qu’il ne saurait lui accorder plus de pouvoirs que ceux que lui donnent ces deux dernières dispositions, le juge des référés du Conseil d’État estime irrecevables les conclusions dont la fédération requérante l’a saisi car « une demande tendant à ce qu'il soit ordonné à l'autorité compétente de prendre des mesures réglementaires, y compris d'organisation des services placés sous son autorité, n'est pas au nombre de celles qui peuvent être présentées au juge des référés sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, eu égard à l'objet de ces dispositions et aux pouvoirs que le juge des référés tient des articles L. 521-1 et L. 521-2 du même code ».

(ord. réf. 11 mai 2020, Fédération des syndicats Sud Education, n° 440455)

 

16 à 19 - Covid-19 - Pouvoirs du juge du référé liberté - Possibilité de prendre des mesures à bref délai - Besoin de se rendre dans une résidence secondaire - Absence d’urgence à prendre des mesures - Rejet.

A un requérant qui lui demande d'ordonner la suspension de l'exécution du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 en tant que celui-ci ne comporte pas le droit pour toute personne de se déplacer sur toute l'étendue du territoire national pour modifier provisoirement sa résidence, pour constater les besoins d'entretien ou de sécurité d'une de ses résidences et pour, le cas échéant, procéder ou faire procéder aux mesures d'entretien et de mise en sécurité nécessaires, le juge rappelle quelles sont les limites de ses pouvoirs dans le cadre du référé de l’art. L. 521-2 CJA.

D’une part, il est indiqué au demandeur, à titre d’affirmation de principe, que : « La circonstance qu'une atteinte à une liberté fondamentale, portée par une mesure administrative, serait avérée n'est pas de nature à caractériser l'existence d'une situation d'urgence justifiant l'intervention du juge des référés dans le très bref délai prévu par les dispositions de l'article L. 521-2 ».

D’autre part, il lui est rappelé comment s’effectue la mesure de l’urgence dans le cadre de ce référé : « Il appartient au juge des référés d'apprécier, au vu des éléments que lui soumet le requérant comme de l'ensemble des circonstances de l'espèce, si la condition d'urgence particulière requise par l'article L. 521-2 est satisfaite, en prenant en compte la situation du requérant et les intérêts qu'il entend défendre mais aussi l'intérêt public qui s'attache à l'exécution des mesures prises par l'administration ».

La conclusion se déduit d’elle-même, conduisant au rejet par suite des circonstances exceptionnelles dues à l’épidémie, de l’impérieuse nécessité de prendre des mesures générales ad hoc et de l’absence d’invocation par le requérant de ce qu’il se trouverait dans une circonstance particulière.

(ord. réf. 20 mai 2020, M. X., n° 440640)

(17) Même solution, pour défaut d’urgence, s’agissant d’une demande d’extension des heures d’ouverture d’un Bar Tabac Presse : ord. réf. 18 mai 2020, M. X., n° 440450

(18) Voir encore le rejet pour défaut d’urgence d’une requête tendant à voir le juge ordonner le déploiement de l’armée française sur tout le territoire pour remplir spontanément ses devoirs de secours à la population française : ord. réf. 20 mai 2020, M. X., n° 440536.

(19) On lira aussi, sur l’appréciation du double aspect de la condition d’urgence dans le cadre du référé liberté (urgence à statuer et possibilité que soient prises des mesures à très bref délai), et sur son absence constatée en l’espèce s’agissant de la poursuite d’études en vue d’un diplôme universitaire : ord. réf. 28 mai 2020, Mme X., n° 440805.

 

20 - Référé « mesures utiles » (art. L. 521-3 CJA) - Injonction de déclarer démissionnaires d’office des membres d’une commission et de suspendre toute réunion de celle-ci - Condition d’urgence non remplie - Rejet.

Doit être rejetée selon la procédure expéditive de l’art. L. 522-3 CJA, la requête en référé « mesures provisoires » tendant à ce qu’il soit enjoint au président de la commission prévue à l'art. L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle de déclarer démissionnaires d'office les membres désignés par quatre organisations représentatives des consommateurs pour n'avoir pas participé, sans motif valable, à trois réunions consécutives de la commission et à suspendre toutes réunions de celle-ci à compter de celle qui était prévue le 25 mai 2020 à 14 h. En effet, cette réunion ayant eu lieu quelques heures après l'enregistrement de la requête, la condition d'urgence posée par l'article L. 521-3 du CJA n’est manifestement pas remplie.

(ord. réf. 29 mai 2020, Alliance française des industries du numérique (AFNUM) et syndicat des entreprises de commerce international de matériel, audio, vidéo et informatique grand public (SECIMAVI), n° 440817) 

 

Contrats

 

21 - Marché public - Marché sous la forme d’un accord cadre de prestations de nettoyage de locaux et de sites - Référé précontractuel - Office du juge saisi - Offre anormalement basse - Régime juridique - Action contractuelle introduite par l’auteur d’une offre elle-même irrégulière - Conséquences - Admission et rejet partiels - Annulation partielle.

La collectivité territoriale de Martinique a engagé une consultation en vue de la conclusion d'un accord cadre de prestations de nettoyage de locaux et de sites, divisé en neuf lots. La société Clean Building, qui s'est portée candidate, a été informée que le lot n° 8 lui avait été attribué et que son offre avait été rejetée pour les autres lots, les lots n°s 1 à 6 et le lot n° 9 étant attribués à la société Sadis'nov et le lot n° 7 à la société Madianet. La société Clean Building a demandé au juge des référés du tribunal administratif, sur le fondement de l'art. L. 551-1 CJA, l'annulation de la procédure de passation du marché pour les lots qui ne lui ont pas été attribués.

Le juge des référés a décidé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur cette demande et rejeté le surplus des conclusions présentées en cours d'instance sur le fondement des art. L. 551-13 et suivants du même code. La société se pourvoit en cassation.

Le juge de cassation aborde trois points juridiques importants.

 

I - Tout d’abord, il décide que les dispositions combinées des art. L. 551-1 à L. 551-21 du CJA font obligation au pouvoir adjudicateur, lorsqu'est introduit un recours en référé précontractuel dirigé contre la procédure de passation d'un contrat, de suspendre la signature de ce contrat à compter, soit de la communication du recours par le greffe du tribunal administratif, soit de sa notification par le représentant de l'État ou l'auteur du recours. Lorsque, comme en l’espèce, le recours est envoyé au service compétent du pouvoir adjudicateur par des moyens de communication permettant d'assurer la transmission d'un document en temps réel, la circonstance que la notification ait été faite en dehors des horaires d'ouverture de ce service est dépourvue d'incidence puisque le délai de suspension court à compter non de la prise de connaissance effective du recours par le pouvoir adjudicateur, mais de la réception de la notification qui lui a été faite.

De là cette double conséquence : 

1°) En vertu de l’article L. 551-14 du même code, la méconnaissance par le pouvoir adjudicateur de l'obligation de suspendre la signature du contrat ouvre la voie du recours en référé contractuel au demandeur qui avait fait usage du référé précontractuel.

2°) En vertu des dispositions de l'art. L. 551-20 du même code, - dont le juge rappelle ici qu’elles doivent être lues à la lumière de celles de l'article 2 sexies de la directive du Conseil du 21 décembre 1989 dont elles assurent la transposition -, en cas de conclusion du contrat avant l'expiration du délai exigé après l'envoi de la décision d'attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre, ou, comme en l'espèce, pendant la suspension prévue à l'art. L. 551-4 ou à l'art. L. 551-9 du même code, le juge du référé contractuel est tenu soit de priver d'effets le contrat en l'annulant ou en le résiliant, soit de prononcer une sanction de substitution consistant en une pénalité financière ou en une réduction de la durée du contrat.

Enfin, la décision rappelle opportunément que le rejet des conclusions présentées sur le fondement de l'art. L. 551-18 du CJA ne saurait faire obstacle à ce que soit prononcée, même d'office, une sanction sur le fondement des dispositions de l'art. L. 551-20 du même code, si le contrat litigieux a été signé avant l'expiration du délai exigé après l'envoi de la décision d'attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l'art. L. 551-4 ou à l'art. L. 551-9 du CJA.

Comme en l’espèce le contrat en litige a été conclu le 6 septembre 2019 dans la matinée, postérieurement à la réception par les services de la collectivité territoriale de Martinique de la télécopie et du courrier électronique de l'avocat de la société requérante lui notifiant son référé précontractuel, le marché a ainsi été signé en méconnaissance de l'obligation prévue à l'art. L. 551-4 du code précité.

Il suit de là que le juge des référés du tribunal administratif, alors même qu'il avait rejeté les conclusions de la société Clean Building présentées sur le fondement de l'art. L. 551-18 CJA, était tenu de prononcer l'une des sanctions prévues à l'art. L. 551-20 du même code. En s'abstenant de prononcer l'une quelconque d'entre elles, il a commis une erreur de droit.

 

II - Ensuite se posait la question délicate du traitement juridique d’une offre supposée anormalement basse. On sait qu’en principe le pouvoir adjudicateur qui constate qu'une offre paraît anormalement basse doit provoquer toutes explications à ce sujet de la part de son auteur et cela quelle que soit la procédure de passation mise en œuvre. A défaut d’explications satisfaisantes justifiant le caractère anormalement bas du prix, le pouvoir adjudicateur doit rejeter l'offre. En l’espèce, il avait été jugé en première instance que cette offre n'était pas anormalement basse parce qu’il n'était pas établi que la cadence de travail moyenne retenue par la société ne lui permettrait pas de réaliser les prestations au prix proposé. Cette motivation, suffisante en droit et en fait, ne saurait être critiquée. On peut trouver un peu faible cette partie du raisonnement.

 

III - Enfin, et c’était le point le plus délicat de cette affaire : le concurrent évincé, requérant, pouvait-il se prévaloir de l'irrégularité de l'offre de la société attributaire du contrat en litige alors que sa propre offre était irrégulière ? Le juge répond par l’affirmative en rappelant qu’une offre anormalement basse peut être assimilée à une offre irrégulière. Cette solution qui pourrait a priori surprendre dans un contentieux subjectif est pourtant logique : les règles de présentation et de contenu des offres n’ont pas été instituées dans le seul intérêt des parties concurrentes mais dans un souci plus général de protection du consommateur, auquel est garantie une comparabilité fiable des offres et une utilisation plus optimale de leurs deniers propres transmutés via l’impôt et les taxes en deniers publics. Ces règles sont donc du droit objectif et doivent être traitées comme telles notamment au contentieux.

 

Au total, le juge reconnait fondées deux des demandes de la société requérante : d’abord ses conclusions tendant à l'annulation du lot n° 7 du marché et ensuite sa critique de l’omission par le juge des référés de première instance de prononcer l'une des sanctions prévues à l'article L. 551-20 du CJA, sanction qui prend la forme, dans la présente décision, d’une bien modeste pénalité de dix mille euros à verser au Trésor public.

(27 mai 2020, Société Clean Building, n° 435982)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

22 - Taxe annuelle sur les locaux à usage de bureaux, les locaux commerciaux, les locaux de stockage et les surfaces de stationnement perçue dans la région Île-de-France - Exonération des parties communes - Notion de parties communes au sens du IV de l’art. 231ter du CGI - Application de cette notion au sens de la loi sur la copropriété des immeubles bâtis - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

La contribuable, assujettie à la taxe annuelle sur les locaux à usage de bureaux, les locaux commerciaux, les locaux de stockage et les surfaces de stationnement perçue dans la région Ile-de-France, à raison des locaux dont elle est propriétaire situés aux 23-25/25 bis avenue de Matignon à Paris, avait sollicité une réduction de son montant. Elle alléguait que devaient être soustraites de la superficie totale desdits locaux les surfaces des locaux constituant des parties communes, conformément aux dispositions du IV de l’art. 231ter du CGI.

Sa demande est rejetée en première instance et en appel au motif que les parties communes mentionnées par cette disposition devaient être entendues, conformément aux dispositions de loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, comme visant les parties des bâtiments et des terrains qui, n'étant pas la propriété exclusive d'un copropriétaire déterminé et réservées à son usage, sont affectées à l'usage ou à l'utilité de tous les copropriétaires ou de plusieurs d'entre eux.

La société se pourvoit et le Conseil d’État casse pour erreur de droit l’arrêt d’appel car la notion de « parties communes » au sens et pour l’application de l’art. 231 ter précité du CGI est une notion juridique autonome, distincte de celle du droit de la copropriété. Elles doivent s’entendre en l’espèce comme « les surfaces affectées à l'usage ou à l'utilité de tous les occupants de ces locaux ou de plusieurs d'entre eux, alors même qu'elles seraient la propriété d'une seule et même personne ».

(27 mai 2020, Société Lor Matignon, n° 433004)

 

23 - Jeu Euro Millions - Bulletin trouvé sur la voie publique - Gain accidentel par suite d’une transaction entre la personne ayant trouvé le bulletin et celui l’ayant validé - Absence d’imposition au titre des bénéfices non commerciaux - Rejet.

L’affaire est peu banale.

Mme X. ayant trouvé sur la voie publique le reçu d'une combinaison gagnante de premier rang du jeu de hasard Euro Millions, s'est présentée à la Française des jeux qui l'a informée qu'elle ne verserait le gain de 163 millions d'euros qu'au vu d'un accord entre elle et le joueur ayant validé ce ticket. Par un protocole transactionnel conclu avec ce dernier, Mme X. a renoncé « à toute instance et action en revendication du gain » et a remis le reçu au joueur, en contrepartie d'une indemnité d'un montant de douze millions d'euros. Par la suite, M. et Mme X. ont été assujettis à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales ainsi qu'à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus à raison de l'imposition entre leurs mains de cette somme dans la catégorie des plus-values de cession de biens meubles, sur le fondement de l'article 150 UA du CGI.

Le tribunal administratif ayant fait droit à la demande des contribuables tendant à la décharge de ces diverses contributions, le ministre de l'action et des comptes publics a interjeté appel de ce jugement puis, par suite du rejet de celui-ci, il a saisi le Conseil d’État.

Ce dernier confirme l’arrêt d’appel.

D’une part, c’est sans erreur de droit ni de qualification juridique des faits que la cour  a estimé que - contrairement à la thèse du ministre -  la détention du reçu ne conférant aucun droit à son porteur lorsqu'il n'était pas le joueur et la Française des jeux en demeurant propriétaire en vertu du règlement de jeu de l'Euro Millions pris en application du décret du 9 novembre 1978 relatif à l'organisation et à l'exploitation des jeux de loterie, l'indemnité perçue par Mme X. ne constituait pas la contrepartie de la cession de ce reçu ou d'un droit relatif à celui-ci et que, par conséquent, cette somme ne pouvait être regardée comme une plus-value de cession taxable entre les mains de l'intéressée sur le fondement de l'article 150 UA du CGI.

D’autre part, c’est également sans erreur de droit ni de qualification juridique des faits que la cour a également estimé, contrairement à ce que soutenait le ministre, que la somme litigieuse, bien qu'elle rémunère, en application du protocole transactionnel conclu avec le joueur, un service consistant à lui restituer le reçu et à renoncer à toute action ultérieure en revendication du gain, ne pouvait être imposée dans la catégorie des bénéfices non commerciaux dès lors que le profit en cause était par nature insusceptible de se renouveler en raison de son caractère purement accidentel.

(27 mai 2020, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 434067)

 

24 - Bénéfices industriels et commerciaux - Société française détentrice de fonds de commerce situés aux États-Unis et donnés en location-gérance à une autre société les exploitant avec ses moyens propres - Notion de cession d’actif - Notion de détention d’un établissement stable aux États-Unis - Absence - Rejet.

La société Fromageries Bel, devenue société Bel, a acquis d’un groupe américain l’entier capital de la société Boursin, alors propriétaire de fonds de commerce de vente de ses propres produits aux États-Unis et au Canada et elle a ensuite procédé à sa liquidation sans dissolution, la transmission universelle de patrimoine qui en a résulté étant placée sous le régime de faveur de l'article 210 A du CGI. Cette opération a donné lieu au constat par la société Fromageries Bel d'un mali technique d'un montant de 185 millions d'euros, dont 62,7 millions correspondant aux fonds de commerce américains affectés non au bilan fiscal de l'exploitation française de cette société, mais à celui de sa succursale américaine.

L’administration fiscale a analysé l'affectation des fonds de commerce américains par la société Fromagerie Bel à sa succursale établie aux États-Unis comme une cession ayant pour effet d'entraîner la taxation en France entre les mains de cette société, au titre de l'exercice clos en 2008, de cette somme de 62,7 millions d'euros.

La société Bel a saisi le tribunal administratif, lequel a rejeté sa demande de décharge des impositions supplémentaires mises à sa charge par un avis de mise en recouvrement du 11 avril 2014. Ce jugement ayant été confirmé en appel, la société se pourvoit en cassation.

Rejetant le pourvoi, le Conseil d’État juge d’abord, au visa de l’art. 209 du CGI, qu’une société française propriétaire de fonds de commerce américains qu’elle donne en location-gérance à une autre société du même groupe, qui, elle-même, les sous-loue à une société américaine située aux États-Unis et qui les exploite avec ses propres moyens matériels, et non avec ceux de la société française propriétaire des fonds, n'exploite en réalité elle-même aucune entreprise aux États-Unis. Par suite, l’inscription, par la société demanderesse, au bilan fiscal d'une succursale établie aux États-Unis et dont les bénéfices ne sont pas pris en compte dans ses bases d'imposition, d’un élément d'actif jusqu'alors affecté à ses exploitations françaises, doit être regardée, pour l'établissement du résultat imposable en France de cette société, comme ayant les effets d'une cession d'élément d'actif.

Le Conseil d’État juge ensuite que cette société, qui ne détenait pas davantage d'établissement stable au sens des dispositions combinées des art. 5 et 7 de la convention fiscale franco-américaine du 31 août 1994 ne pouvait se prévaloir de ces dispositions pour prétendre échapper à l’imposition contestée.

C’est donc à bon droit que la cour administrative d’appel a évalué la plus-value imposable à 62,7 millions d'euros dès lors que la société avait expressément identifié pour ce montant la part correspondant, au sein du mali technique inscrit à son actif, aux fonds de commerce américains.

(27 mai 2020, Société anonyme Fromageries Bel devenue société Bel, n° 434412)

 

Droit social et action sociale

 

25 - Compétence du Conseil d’État en premier et dernier ressort - Contestation d’une décision de présidente de conseil départemental tendant à l’attribution d'allocations et de prestations destinées aux personnes en situation de handicap - Absence de compétence directe - Rejet.

(ord. réf. 20 mai 2020, Mme X. et M. Y., n° 440645) V. n° 12

 

26 - Covid-19 - Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) - Demande de prise de diverses mesures sanitaires - Rejet.

Les requérantes, agissant sur le fondement de l’art. L. 521-2 CJA, ont demandé en vain au juge des référés du tribunal administratif de Melun, d'enjoindre notamment à diverses autorités publiques, d’assurer le dépistage de tous les résidents, personnels et intervenants au sein d’un EHPAD donné ainsi que le regroupement des personnes contaminées et leur séparation efficace des populations non-contaminées en privilégiant, lorsqu'il est possible, le maintien dans l'établissement, ainsi que l'affectation à chaque groupe ainsi constitué d'un personnel dédié, enfin, l'accès sur place ou à l'hôpital à tous les soins que leur état de santé requiert, y compris de ventilation et d'oxygénothérapie. Elles saisissent le Conseil d’État par voie d’appel dirigé contre l’ordonnance de rejet.

La demande de tests de dépistage est rejetée car l’établissement public qui gère l'EHPAD a indiqué, sans être démenti par les requérantes, que la totalité des résidents de cet EHPAD a bénéficié d'un dépistage du Covid-19 à la date du 22 avril 2020, à l'exception de trois d'entre eux qui l'ont refusé, et que le dépistage des personnels devait être achevé le 6 mai.

Est également rejetée la demande d’une séparation stricte des personnes atteintes du Covid-19 et de celles qui ne le sont pas, avec un personnel dédié à chaque groupe de résidents, car le premier juge a relevé une impossibilité pratique insurmontable de la réaliser dans cet EHPAD et dit que le confinement en chambre y était appliqué pour éviter toute contamination supplémentaire. Les requérantes ne contestant ni cette impossibilité, ni l'existence de ce confinement, leurs conclusions, bien que maintenues en appel, ne pouvaient donc qu'être rejetées.

Enfin, dès lors qu’il résulte de l'instruction que cet EHPAD dispose de tous les moyens nécessaires en matière d'oxygénothérapie et qu’il n'est pas sérieusement contesté que les résidents peuvent avoir accès, lorsque leur état l'exige, à un établissement hospitalier apte à réaliser une ventilation invasive, les conclusions en ce sens ne peuvent qu'être également rejetées.

(ord. réf. 11 mai 2020, Mme X. et Mme Y., n° 440251)

 

27 - « Loi du pays » - Promotion et protection de l’emploi local - Communication préalable des emplois vacants - Procédure instituée en cas d’urgence - Absence d’atteinte à la possibilité d’embauches intérimaires - Rejet.

Le Conseil d’État ayant annulé les dispositions de l'article LP 1 de la « loi du pays » du 8 juillet 2019 relative à la promotion et à la protection de l'emploi local en raison de l’illégalité les affectant en tant qu'elles ne réservaient pas le cas des embauches réalisées dans l'urgence, l'assemblée de la Polynésie française a adopté une nouvelle « loi du pays » portant modification des alinéas 61 à 69 de l'article LP 1 précédemment annulés. La société Polynésie Intérim défère au Conseil d’État, sur le fondement des dispositions de l'article 176 de la loi organique du 27 février 2004, cette « loi du pays ».

L’assemblée de la Polynésie française a ainsi imposé aux employeurs de notifier au service chargé de l'emploi tout emploi vacant dans une activité soumise à une mesure de protection de l'emploi local. La « loi du pays » contestée, faisant suite à l’annulation prononcée par le Conseil d’État, a institué une procédure d'examen accélérée en cas de besoin urgent de recrutement. La société requérante critique les erreurs manifestes d‘appréciation dont seraient entachées tant la définition donnée par ces dispositions de la notion d’« urgence » que la délimitation qu’elles opèrent de leur champ d’application.

Sa requête est rejetée.

Tout d’abord, est jugée satisfaisante la définition de l'urgence comme « une situation imprévisible qui perturbe gravement le fonctionnement de l'entreprise et qui requiert une solution immédiate ».

Ensuite, en réservant le bénéfice de la procédure accélérée qu'elle institue aux « contrats à durée déterminée », la « loi du pays » contestée a uniquement entendu exclure du champ de cette procédure le recours à un contrat de travail à durée indéterminée. Elle autorise donc les recrutements urgents au moyen soit de la conclusion d'un contrat de travail à durée déterminée, soit du recours au travail temporaire. C’est donc à tort que la société requérante soutient que cette « loi du pays » aurait exclu du champ de la procédure accélérée les contrats conclus par les sociétés qui, comme elle-même, sont des sociétés de travail temporaire.

(28 mai 2020, Société Polynésie intérim, n° 437236)

 

28 - Logements sociaux - Procédure d’attribution - Non-présentation d’un dossier de demande d’attribution d’un logement social - Dommage en résultant - Action en réparation - Saisine d’une juridiction incompétente - Rejet.

Le requérant demandait, au bénéfice de l’art. L. 521-1 CJA, la suspension de l’exécution de la décision de la maire de Paris rejetant sa demande d'indemnisation du préjudice causé par le défaut allégué de présentation de son dossier aux commissions d'attribution des logements sociaux. Il sollicitait en outre qu’injonction soit faite à cette dernière de présenter sa demande, de lui attribuer un logement et de lui verser une provision de 100 000 euros à valoir sur les dommages et intérêts auxquels il estimait pouvoir prétendre.

Il est manifeste que de telles demandes ne ressortissent pas à la compétence du Conseil d’État en premier ressort.

Elles sont rejetées par application des dispositions de l’art. L. 522-3 CJA.

(ord. réf. 9 mai 2020, M. X., n° 440128)

 

29 - Mineur étranger devenu majeur - Admission exceptionnelle au séjour - Obtention de l’aide sociale à l’enfance entre seize et dix-huit ans - Etranger bénéficiaire d’un contrat d'apprentissage ou de professionnalisation à durée déterminée - Droit à la délivrance d’un récépissé l’autorisant à travailler - Suspension du refus de joindre à une autorisation de séjour une autorisation de travailler.

Un étranger mineur admis, entre seize et dix-huit ans, à l’aide sociale à l’enfance et disposant d’une proposition de contrat de travail à durée déterminée demandait la suspension de la décision préfectorale d’admission au séjour en tant qu’elle n’était pas accompagnée d’un récépissé l’autorisant à travailler.

Donnant raison au requérant, le juge apporte deux précisions importantes.

Tout d’abord, est énoncée une véritable directive de principe ainsi formulée : « (…) le préfet, saisi d'une demande d'admission exceptionnelle au séjour, sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour en France des étrangers et du droit d'asile, par un étranger admis à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize et l'âge de dix-huit ans, qui satisfait aux conditions de séjour définies par cet article et justifie qu'il dispose d'un contrat d'apprentissage ou de professionnalisation ou que la conclusion d'un tel contrat lui a été proposée, doit remettre au pétitionnaire un récépissé de demande de titre de séjour l'autorisant à travailler, en application des dispositions de l'article R. 311-6 du même code ». Il s’agit bien pour le préfet d’une obligation de délivrance.

Ensuite, est écartée en cette matière - contrairement à ce qui avait été jugé en première instance -, l’application des dispositions de la seconde phrase du deuxième alinéa de l'article L. 5221-5 du code du travail, selon lesquelles une autorisation de travail est accordée de droit aux mineurs isolés étrangers pris en charge par l'aide sociale à l'enfance, sous réserve de la présentation d'un contrat d'apprentissage ou de professionnalisation. En effet, cette disposition, régissant les seuls étrangers mineurs n’est donc pas applicable à un étranger devenu majeur. D’où la substitution de motif opérée ici.

(27 mai 2020, M. X., n° 436984)

 

30 - Transfert du contrat de travail d’un salarié d’une entreprise à une autre - Autorisation donnée par l’inspecteur du travail - Demande d’annulation - Requalification en recours en appréciation de légalité - Pourvoi en cassation - Erreur de droit - Appel devant être porté devant la cour administrative d’appel - Renvoi à celle-ci.

La société requérante avait saisi le tribunal administratif d’un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation de l’autorisation donnée par l’inspecteur du travail au transfert, en son sein, du contrat de travail d’un salarié d’une autre entreprise. Le tribunal a requalifié cette demande en un recours en appréciation de la légalité de la décision querellée qu’il a jugée illégale.

De tels jugements n’étant susceptibles que de pourvoi en cassation, le Conseil d’État a été saisi. Celui-ci estime cependant qu’en réalité le tribunal s’est trompé dans la qualification du recours dont il était saisi : celui-ci était bien un recours pour excès de pouvoir. Or, en cette matière, c’est un appel qui devait être formé et il devait être porté devant la cour administrative d’appel.

Le pourvoi est redirigé vers cette dernière en tant qu’appel.

(29 mai 2020, Société poitevine de restauration collective (SPRC), n° 420737)

 

31 - Accord collectif de travail - Application en cas de licenciement pour faute - Contrôle par le juge administratif de la légalité d’une décision de l’inspection du travail au regard de cet accord - Acte de droit privé conditionnant la légalité d’une décision administrative - Rejet.

L'art. 19 de la convention collective nationale du personnel au sol des entreprises de transport aérien dispose en matière e licenciement : « A l'issue de l'entretien préalable, toute proposition de licenciement pour faute constituant une infraction à la discipline, à l'exclusion du licenciement pour faute grave ou pour faute lourde justifiant une rupture immédiate du contrat de travail prononcée par l'employeur, est soumise pour avis à un conseil de discipline, lorsque l'intéressé en fait expressément la demande (...) ». Par ailleurs, selon l'art. L. 2411-5 du code du travail : « Le licenciement d'un délégué du personnel, titulaire ou suppléant, ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail ».

L’inspection du travail a autorisé le licenciement par son employeur, la société Vietnam Airlines JSC, de M. X., délégué du personnel et donc salarié protégé. Saisies par M. X., les juridictions administratives de première instance et d’appel ont annulé l’autorisation de licenciement tout comme le refus du ministre, sur recours hiérarchique, de revenir sur cette autorisation.

La société se pourvoit en cassation et elle est déboutée, le Conseil d’État estimant que c’est sans dénaturation des clauses de la convention collective en cause et sans erreur de droit que la cour a jugé, d’abord, que le licenciement pour faute d'un membre du personnel au sol d'une entreprise de transport aérien ne peut être entrepris sans que ce salarié ait été préalablement mis à même de demander dans le délai qu'elles fixent la saisine d'un conseil de discipline et, ensuite, que lorsqu'il s'agit d'un salarié protégé, ce licenciement doit être autorisé par l'administration du travail. Ces deux exigences sont, dans le cas d’un salarié protégé, cumulatives. La seule autorisation de licenciement n’était donc pas suffisante d’où son illégalité.

C’est là un exemple particulièrement net d’illégalité d’une décision administrative pour non-respect d’un acte de droit privé.

(29 mai 2020, Société Vietnam Airlines JSC, n° 418488)

 

32 - Covid-19 - Usage de fontaines à eau sur les lieux de travail - Interdiction ou recommandation de ne pas les utiliser - Préconisations fixées par des fiches-conseils du ministère du travail - Guides de recommandations établis par des organisations professionnelles - Demande de suspension - Rejet.

L'association requérante demandait principalement au juge des référés du Conseil d’État d'ordonner la suspension de l'exécution, d’une part, de dix-neuf fiches conseils établies par le ministère du travail pour la mise en œuvre des mesures de protection contre la maladie Covid-19 sur les lieux de travail et la continuité de l'activité économique, en tant qu'elles préconisent l'interdiction, la suppression ou la suspension des fontaines à eau et, d’autre part, de la décision de publier trois guides de recommandations établis par les branches professionnelles en tant qu'ils interdisent ou même déconseillent d'utiliser des fontaines à eau.

Sa requête est rejetée en ses deux branches.

Tout d’abord, si, à la date à laquelle elles ont été, pour la première fois, rendues publiques, de nombreuses fiches conseils métiers recommandaient aux employeurs de « supprimer », « condamner » ou « suspendre » l'usage des fontaines à eau pendant la pandémie de Covid-19, ces mentions ont été ensuite modifiées et sont désormais remplacées, à la date de la présente ordonnance, dans l'ensemble des fiches conseils métiers qui traitent de l'usage des fontaines à eau, par la recommandation : « Pendant la pandémie, suspendez de préférence l'utilisation des fontaines à eau au profit d'une distribution de bouteilles d'eau individuelles ». C’est donc la suspension de ces fiches conseils dans leur état actuel qui est seule demandée au juge. Elle est néanmoins rejetée eu égard à la gravité que peut avoir l'infection par le coronavirus Covid-19, aux incertitudes portant sur les modalités de sa contagion, notamment en milieu humide et aux risques particuliers de contamination induits par la présence simultanée de plusieurs salariés sur un même lieu de travail : aucun doute sérieux n’apparaissant, en l’état de l’instruction, de nature à entacher ces fiches d’illégalité.

Ensuite, s’agissant des dix guides de bonnes pratiques dont deux préconisent, pour la durée de la pandémie, la mise hors service ou l'interdiction d'accès à toute fontaine à eau et deux autres invitent à supprimer, dans la mesure du possible, le recours aux « fontaines à bec », ils résultent de travaux réalisés par les seules organisations professionnelles et syndicales qui en sont les  auteurs et les décisions de publication de ces guides sur le site du ministère du travail ont pour seul objet d'informer les employeurs et les salariés des branches concernées et ne comportent par elles-mêmes ou ne révèlent l’existence d’aucune décision d'approbation de leur contenu par l'administration.  N’ayant pas le caractère de décisions faisant grief, elles ne sauraient faire l'objet ni d'un recours pour excès de pouvoir ni, par suite, d'une demande en référé suspension.

(ord. réf. 29 mai 2020, Association française de l'industrie des fontaines à eau (AFIFAE), n° 440452)

 

33 - Covid-19 - Établissements sociaux et médico-sociaux - Facturation des services d'aide et d'accompagnement à domicile (SAAD) - Bénéficiaires de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) - Demande de versement direct de l’APA directement à ses bénéficiaires - Rejet.

Le requérant demandait que soit prononcée la suspension de l’exécution du premier alinéa du IV de l'ordonnance du 25 mars 2020 relative aux adaptations des règles d'organisation et de fonctionnement des établissements sociaux et médico-sociaux en tant qu’il prévoit qu'en cas de sous-activité ou de fermeture temporaire résultant de l'épidémie de Covid-19, le niveau de financement des établissements et services sociaux et médico-sociaux, au sens du code de l'action sociale et des familles, n'est pas modifié et que, pour la partie de financement des établissements et services sociaux et médico-sociaux qui ne relève pas de la dotation ou du forfait global, la facturation est établie à terme mensuel échu sur la base de l'activité qui aurait prévalu en l'absence de sous-activité ou de fermeture temporaire résultant de l'épidémie de Covid-19. Au soutien de sa requête le demandeur fait valoir que ces dispositions, en ce qu'elles ne prévoient pas de remplacer le versement de l'allocation personnalisée d'autonomie au service d'aide et d'accompagnement à domicile qui n'assure pas les heures de prestations prévues pendant l'épidémie de Covid-19 par un versement direct au bénéficiaire de cette allocation, afin que celui-ci puisse remplacer son prestataire, porte une atteinte grave et immédiate, d'une part, à ses intérêts financiers et aux intérêts économiques de YouTime, société, marque et application dont il est propriétaire et président et, d'autre part, aux intérêts et au respect de la dignité des bénéficiaires de l'allocation personnalisée d'autonomie. 

La requête est rejetée car son contenu ne met pas le juge du référé suspension en mesure de remplir son office. En effet, le requérant n'assortit sa demande d'aucun élément précis ni d'aucune pièce de nature à établir la consistance ou l'étendue des intérêts financiers ou économiques qu’il invoque, il n'étaye pas ses affirmations sur l'importance du nombre d'heures d'aide et d'accompagnement à domicile non réalisées par les services d'aide et d'accompagnement à domicile depuis le début de l'épidémie de Covid-19 et sur les effets produits à ce titre par les dispositions qu'il critique.

Par suite, n’est pas établie l’existence d’une atteinte suffisamment grave et immédiate pour caractériser une urgence justifiant que l'exécution en soit suspendue sans attendre le jugement de la requête au fond.

(ord. réf. 28 mai 2020, M. X., n° 440815)

 

Élections

 

34 à 37 - Covid-19 - Élections municipales 2020 - Organisation du second tour de scrutin - Dispositions des I, III et IV de l'article 19 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 - Droits et libertés garantis par la Constitution - Principe de sincérité du scrutin - Renvoi d’une QPC au Conseil constitutionnel.

L'article 19 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 comporte notamment les trois dispositions suivantes concernant les élections municipales et communautaires de mars 2020.

En son I, il décide que lorsqu’un second tour est nécessaire pour attribuer les sièges qui n'ont pas été pourvus, ce second tour est reporté au plus tard en juin 2020, en raison des circonstances exceptionnelles liées à l'épidémie de Covid-19. Sa date est fixée par décret en conseil des ministres, pris le mercredi 27 mai 2020 au plus tard si la situation sanitaire permet l'organisation des opérations électorales au regard, notamment, de l'analyse du comité de scientifiques. Il suit de là que les déclarations de candidature à ce second tour sont déposées au plus tard le mardi qui suit la publication du décret de convocation des électeurs.

Si la situation sanitaire ne permet pas l'organisation du second tour au plus tard au mois de juin 2020, les mandats en cours sont prolongés pour une durée fixée par la loi et les électeurs seront convoqués par décret pour les deux tours de scrutin, qui auront lieu dans les trente jours précédant l'achèvement des mandats ainsi prolongés.

La loi détermine aussi les modalités d'entrée en fonction des conseillers municipaux élus dès le premier tour dans les communes de moins de 1000 habitants pour lesquelles le conseil municipal n'a pas été élu au complet. Il y est encore précisé que dans tous les cas, l'élection régulière des conseillers élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020 reste acquise, conformément à l'article 3 de la Constitution.

En son III, le texte dispose que les conseillers élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020 entrent en fonction à une date fixée par décret au plus tard au mois de juin 2020, aussitôt que la situation sanitaire le permet au regard de l'analyse du comité de scientifiques.

Enfin, en son IV, il énonce que, par dérogation à l'article L. 227 du code électoral, d’une part, dans les communes pour lesquelles le conseil municipal a été élu au complet, les conseillers municipaux en exercice avant le premier tour conservent leur mandat jusqu'à l'entrée en fonction des conseillers municipaux élus au premier tour, leur mandat de conseiller communautaire étant, le cas échéant, également prorogé jusqu'à cette même date, et d’autre part,  que dans les communes, autres que celles-ci-dessus, pour lesquelles le conseil municipal n'a pas été élu au complet, les conseillers municipaux en exercice avant le premier tour conservent leur mandat jusqu'au second tour tout comme, le cas échéant, leur mandat de conseiller communautaire.

Les requérants, qui contestent le résultat des élections de La Brigue (Alpes-Maritimes) estiment que ces dispositions portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au principe de sincérité du scrutin.

Le Conseil d’État y aperçoit une question présentant un caractère sérieux et justifiant son renvoi au Conseil constitutionnel qui devra, semble-t-il, statuer bien avant l’expiration du délai organique de trois mois qui lui est normalement imparti.

(25 mai 2020, M. X. et autres, n° 440217)

(35) V. aussi, à propos d’une demande d’annulation du premier tour des élections municipales de Juvignac (Hérault), tenu le 15 mars 2020, le renvoi de la QPC décidé par le Conseil d’État motif pris de ce que si le Conseil constitutionnel a d’abord déclaré les dispositions contestées (art. L. 262 code électoral) conformes à la Constitution, dans leur rédaction applicable aux communes de 3500 habitants et plus, dans sa décision n° 82-146 DC du 18 novembre 1982, puis, postérieurement à la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République, qui a complété l'article 4 de la Constitution, s’est, par la décision n° 2013-667 DC du 16 mai 2013  également prononcé sur l'abaissement aux communes de 1000 habitants et plus du champ d'application de ces dispositions, le contexte inédit dans lequel s'est déroulé, sur l'ensemble du territoire national, le scrutin du 15 mars 2020, qui a conduit, en particulier, à l'adoption de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19, dont les articles 19 et 20 portent sur ce scrutin, doit être regardé comme caractérisant un changement des circonstances susceptible de justifier le réexamen de la conformité de l'article L. 262 du code électoral à la Constitution.

En particulier, le juge estime que soulève une question présentant un caractère sérieux le moyen tiré de ce que les dispositions du premier alinéa de cet article portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment aux articles 3 et 4 de la Constitution, en raison de l'absence d'exigence pour les communes concernées, pour procéder à la répartition des sièges dès le premier tour, que les suffrages recueillis par la liste arrivée en tête correspondent non seulement à la majorité absolue des suffrages exprimés mais aussi à une part minimale du nombre d'inscrits (25 mai 2020, Mme X., n° 440335).

(36) V. aussi, à propos des élections municipales du 15 mars 2020 mais dans un autre registre, l’immanquable rejet d’une requête, introduite le 13 mai 2020, qui demandait au juge des référés du Conseil d’État d’enjoindre au Premier ministre de ne pas prendre le décret devant, sur le fondement du III de l'article 19 de la loi du 23 mars 2020, fixer la date à laquelle les « conseillers municipaux et communautaires élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020 entrent en fonction » alors que le décret du 14 mai 2020 a fixé au 18 mai 2020 la date à laquelle les conseillers municipaux et communautaires élus dans les communes dans lesquelles le conseil municipal a été élu au complet lors du scrutin organisé le 15 mars 2020 entrent en fonction. Les conclusions de cette requête ne pouvaient être que rejetées, par application de la procédure expédiente de l'article L. 522-3 du CJA (ord. réf. 25 mai 2020, M.X., n° 440624).

(37) V. encore, à propos du rejet, comme étant devenu depuis sans objet, d’un recours en suspension de  l'exécution du décret n° 2020-571 du 14 mai 2020 définissant la date d'entrée en fonction des conseillers municipaux et communautaires élus dans les communes dont le conseil municipal a été entièrement renouvelé dès le premier tour des élections municipales et communautaires organisé le 15 mars 2020, d’une part, car il ne pouvait être procédé à l'installation des conseils municipaux élus au complet lors du premier tour des élections municipales en raison du caractère insincère de ce scrutin, comme en atteste le taux anormal de participation et, d’autre part, car - en tout état de cause -, le décret attaqué est illégal dès lors qu'il ne pouvait être procédé à l'installation des conseils municipaux dès le 18 mai 2020, et donc aux rassemblements des élus, sans méconnaître les exigences sanitaires de nature à éviter toute propagation du virus Covid-19 : ord. réf. 26 mai 2020, Association 50 millions d'électeurs et autres, n° 440652.

 

Environnement

 

38 et 39 - Covid-19 - Pesticides - Régime de l’épandage - Distances minimales - Dérogation temporaire - Projet de charte soumis à concertation publique - Absence d’urgence - Non-lieu à statuer pour le surplus.

Était demandée par les associations requérantes la suspension de l’exécution :

1° d’une instruction technique du 3 février 2020 permettant à certaines conditions des mesures de réduction des distances en matière d’épandage ;

2° d’un communiqué de presse du 30 mars 2020 relatif aux « Distances de sécurité pour les traitements phytopharmaceutiques à proximité des habitations », portant réduction des distances dès lors que la concertation aura été lancée et sans attendre sa validation, sous condition d’utilisation d’un matériel performant ;  

3° de la note « Éléments de mise en œuvre », dans sa version du 30 mars 2020, mise en ligne sur le site internet du ministère de l'agriculture, ayant un objet similaire à ceux des autres actes contestés.

Ces trois demandes de suspension sont rejetées chacune pour des motifs différents.

L’instruction technique du 3 février 2020 permet aux agriculteurs, à certaines conditions, lorsqu'un projet de charte d'engagements a été effectivement élaboré, d'appliquer les distances minimales réduites prévues par l'arrêté du 27 décembre 2019 à condition de respecter les mesures prévues par la charte, sans attendre l'approbation de la charte par le préfet. Cette application anticipée dérogatoire ne courant que jusqu'au 30 juin 2020, est justifiée par son auteur par l'omission dans le décret du 27 décembre 2019 comme dans l'arrêté du même jour, de tout dispositif transitoire alors que l'élaboration des chartes prendra plusieurs mois et que l'utilisation des pesticides est particulièrement importante pour les exploitations agricoles pendant la période du printemps. Pour nier qu’il y ait urgence en raison d’un risque imminent en l’espèce, le juge retient, d’une part, que les distances minimales en cause sont conformes aux préconisations de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail dans son avis du 4 juin 2019 au vu duquel a été pris l'arrêté, avis qui est fondé sur des calculs d'exposition des riverains aux produits en cause lorsqu'ils sont effectivement présents à leur domicile au moment de leur épandage, comme c'est particulièrement le cas dans la période actuelle où sévit le Covid-19, et d’autre part, que l’application du contenu du projet de charte sans attendre son approbation par le préfet, « n'a ni pour objet ni pour effet de priver les populations concernées de l'information à laquelle elles ont droit sur l'existence et le contenu d'un projet de charte ni du bénéfice d'une concertation effective avant l'approbation du projet de charte par le préfet ». 

S’agissant des deux autres demandes de suspension (communiqué de presse et note),  il résulte notamment des précisions apportées dans la « foire aux questions » mise en ligne le 13 mai sur le site internet du ministère de l'agriculture, dans sa version en date du 13 mai, que, avec la levée du confinement intervenue le 11 mai, « la concertation des chartes va pourvoir rependre » et que « dans ce cadre, les distances de sécurité pourront être réduites, conformément à l'arrêté du 27 décembre 2019 et à l'instruction technique du 3 février 2020, par l'engagement d'une concertation dans les conditions prévues par le code rural et de la pêche maritime ». Dès lors ne demeure plus en vigueur que la dérogation résultant de l'instruction précitée du 3 février 2020, qui ne permet de procéder à des épandages de pesticides à une distance de sécurité réduite qu'à condition de la faire conformément à un projet de charte pour lequel la concertation publique a été effectivement lancée.

Il n’y a donc plus lieu de statuer sur la demande de suspension de ces deux actes.

(ord. réf. 15 mai 2020, Association Générations Futures et autres, n° 440211)

(39) V. aussi, voisin (et réitérant les termes d’une précédente ordonnance du 14 février 2020, n° 437814  avec même requérant qu’au n° 38 ci-dessus), le rejet du recours tendant à la suspension  de l'exécution du décret du 27 décembre 2019 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques à proximité des zones d'habitation et ensemble, de l'arrêté du 27 décembre 2019, fondé sur une étude portant sur les effets de distance de l’épandage de pesticides sur des cultures horticoles aux Pays-Bas, le juge estimant que ses résultats - limités au cas très spécifique de l’horticulture -, tout comme une étude italienne également invoquée par les requérants, ne sont pas de nature à invalider l'avis rendu sur ce sujet par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail le 4 juin 2019 qui recommandait les distances minimales de sécurité que l'arrêté du 27 décembre 2019 a retenues : ord. réf. 15 mai 2020, Collectif des maires antipesticides, n° 440346.

 

État-civil et nationalité

 

40 - Etranger - Refus d’entrée sur le territoire français - Maintien en zone d’attente - Interrogations sur la nationalité de l’intéressée - Injonction de permettre son entrée en France dans l’attente d’une décision du juge civil sur sa nationalité -Confirmation.

La requérante, apparemment de nationalité comorienne, mais la chose n’est point établie, s’est vu notifier, à son arrivée à l’aéroport de La Réunion, deux décisions du ministre de l'intérieur portant refus d'entrée sur le territoire français et maintien en zone d'attente. Mère d’un enfant de nationalité française par son père se trouvant à La Réunion où résident également sa mère, son frère et sa sœur, elle a sollicité et obtenu du juge des référés du tribunal administratif la suspension des deux arrêtés attaqués. Le ministre de l’intérieur a, en vain, interjeté appel de cette ordonnance.

Le Conseil d’État juge satisfaite la condition d’urgence et estime qu’à raison de son très jeune âge (moins de quatre ans) son fils ne pourrait pas rejoindre sa mère seul. Les décisions litigieuses portent ainsi une atteinte manifestement grave et illégale au droit de l’intéressée au respect de sa vie privée et familiale en l'empêchant de rejoindre son fils pour repartir sans délai avec lui à Mayotte, en l'absence d'un droit au séjour de l'intéressée à La Réunion.

(ord réf. 13 mai 2020, Ministre de l’intérieur, n° 439118)

 

Fonction publique et agents publics

 

41 à 44 - Covid- 19 - Fonctionnaires et agents publics - État d’urgence sanitaire - Personnels en autorisation spéciale d’absence - Prise obligatoire de jours de réduction de temps de travail (RTT) ou de congés annuels - Ordonnance du 15 avril 2020 - Rejet.

L’ordonnance n° 2020-430 du 15 avril 2020 (relative à la prise de jours de réduction du temps de travail ou de congés dans la fonction publique de l'État et la fonction publique territoriale au titre de la période d'urgence sanitaire), dans son article 1er, fait obligation en particulier aux fonctionnaires, agents contractuels de droit public et personnels ouvriers de l'État en autorisation spéciale d'absence entre le 16 mars 2020 et le terme de l'état d'urgence sanitaire ou, si elle est antérieure, la date de reprise par l'agent de son service dans des conditions normales, de prendre dix jours de réduction du temps de travail ou de congés annuels au cours de cette période, selon des conditions qu’il précise.

L'article 2 de l’ordonnance permet en outre au chef de service d'imposer aux personnels appartenant à ces catégories mais étant en télétravail ou assimilé entre le 17 avril 2020 et le terme de l'état d'urgence sanitaire ou, si elle est antérieure, la date de reprise de l'agent dans des conditions normales, de prendre cinq jours de réduction du temps de travail ou, à défaut, de congés annuels au cours de cette période.

Enfin, l'article 5 donne également au chef de service la possibilité de réduire le nombre de jours de réduction de temps de travail ou de congés annuels imposés en particulier au titre des articles 1er et 2 pour tenir compte du nombre de jours pendant lesquels l'agent a été placé en congés de maladie pendant la période considérée.

Les divers syndicats requérants demandent au juge des référés du Conseil d’État la suspension de l’exécution de ces dispositions.

Les requêtes jointes sont rejetées selon un raisonnement en trois points.

En premier lieu, les dispositions contestées ne contreviennent pas à la hiérarchie des normes applicables en l’espèce : atteintes droit au repos et aux loisirs garanti par le onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, au droit au respect des biens garanti par l'article 1er du protocole additionnel à la CEDH, au paragraphe 2 de l'article 31 de la charte des droits fondamentaux de l’UE qui reconnaît le droit de tout travailleur à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu'à une période annuelle de congés payés, à l'article 7 de la directive 2003/88 du 4 novembre 2003 du Parlement européen et du Conseil concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail qui prévoit que tout travailleur bénéficie d'un congé annuel payé d'au moins quatre semaines ainsi qu'en tout état de cause à l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État qui institue un droit à congé annuel avec traitement dont la durée est fixée par décret en Conseil d’État. Il en va de même du moyen tiré de ce que ces dispositions porteraient atteinte à la liberté personnelle des agents publics.

En deuxième lieu, la distinction opérée par l’ordonnance entre trois catégories d’agents : ceux qui sont dans l'impossibilité d'effectuer leur service, placés à ce titre en autorisation spéciale d'absence en raison de l'épidémie et qui relèvent de ce fait des obligations définies à l'article 1er, ceux qui effectuent un service « en télétravail ou assimilé » et dont, en vertu de l'article 2, l'obligation de prendre des jours de réduction du temps de travail ou de congés, limitée à cinq jours, dépend en outre des nécessités du service appréciées, au cas par cas, par l'autorité compétente et enfin les autres agents, qui ne sont soumis à aucune des obligations prévues à ces articles, n’institue que des différences de traitement entre différentes catégories d'agents correspondant à des différences de situation en rapport avec l'objet de la règle. Pas davantage ne se perçoit au travers de ces dispositions une discrimination indirecte envers les femmes, qui auraient majoritairement renoncé au télétravail ou à un service sur leur lieu de travail afin de s'occuper d'enfants privés d'école. Ces diverses mesures sont suscitées par l’épidémie seule et la nécessité de la combattre.

Enfin, il est constant, tout d’abord, qu’à l'instar d'une grande partie de la population, de nombreux agents publics ont été, à compter du 16 mars 2020, dans l'impossibilité de travailler et, de ce fait, ont bénéficié d'une situation statutaire d'autorisation spéciale d'absence avec rémunération sans obligation de service, et ensuite que les mesures adoptées visent à permettre une mobilisation optimale des agents au moment de la reprise d'activité. Il n’y a pas, là non plus, d’atteinte au principe de juridicité gouvernant les décisions de l’administration.

(ord. réf. 12 mai 2020, Syndicat national Solidaires Finances publiques, n° 440285 ; Confédération générale du travail (CGT), la fédération des services publics - CGT et l'union fédérale des syndicats de l'État - CGT, n° 440291 ; Fédération CFDT des Finances et autres, n° 440325, jonction)

(42) V. aussi, rejetant un recours fondé notamment sur ce que l'ordonnance précitée du 15 avril 2020 permettrait de placer d'office les agents en congés annuels à des dates fixées unilatéralement ce qui porterait une atteinte grave et manifestement illégale au droit aux congés annuels payés faute de la consultation préalable du conseil commun de la fonction publique et d’une habilitation du gouvernement par le législateur à fixer des règles relatives aux congés des agents publics : ord. réf. 12 mai 2020, Syndicat UATS-UNSA, n° 440252.

(43) V. également, rejetant le recours dirigé contre l'article 13 de l’ordonnance dispensant, sous condition, les projets de textes réglementaires de toute consultation préalable obligatoire prévue par une disposition législative ou réglementaire, à l'exception de celles du Conseil d’État et des autorités saisies pour avis conforme, au double motif que la dispense en cause trouve son fondement non dans les dispositions contestées mais dans les dispositions du II de l'article 11 de la loi du 23 mars 2020, et que, de toute façon, cette dispense est sans incidence sur le droit aux congés des agents relevant du champ d'application de l'ordonnance du 15 avril 2020 : ord. réf. 12 mai 2020, Confédération générale du travail - CGT et autres, n° 440419.

(44) Voir encore le rejet d’un recours dirigé contre ces mêmes dispositions et fondé sur le défaut de consultation du conseil commun de la fonction publique, la méconnaissance du droit au respect de la vie privée, du droit au repos et aux loisirs ainsi que du principe d'égalité. : ord. réf. 19 mai 2020, Fédération des personnels des services publics et des services de santé Force ouvrière, n° 440459.

 

45 - Covid-19 - Fonctionnaires et agents publics des directions interdépartementales des routes et d'autres services publics placés sous la tutelle du ministère de la transition écologique - Demande de définition des activités essentielles à la vie de la nation - Plans de continuité d'activité en temps d’épidémie - Documents uniques d'évaluation des risques professionnels - Demandes d’harmonisation et d’actualisation sur l’ensemble du territoire - Rejet.

Des organisations syndicales demandaient, outre la fourniture de masques adéquats aux agents concernés, que soit élaborée une définition précise de la notion d’activités essentielles à la vie de la nation et, en conséquence, l’harmonisation et l’actualisation des plans de continuité d'activité en temps d’épidémie ainsi que, subsidiairement, l’actualisation des documents uniques d'évaluation des risques professionnels. 

Le juge du référé liberté du Conseil d’État rejette leur requête sur chacun des deux chefs principaux de demandes.

Tout d’abord, il est répondu que quelle que puisse être l'étendue de l'appui qui lui est apporté par le plan de continuité d'activité, chaque chef de service conserve la charge de veiller à la sécurité et à la protection de la santé des agents placés sous son autorité. Ainsi, la circonstance que la crise sanitaire en cours aurait révélé un besoin d'harmonisation et d'actualisation des plans de continuité mis en œuvre à cette occasion ne saurait caractériser aucune carence de l'administration portant une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie des agents.

Ensuite, s’agissant des documents uniques d'évaluation des risques professionnels, il résulte des dispositions des art. L. 4121-1 et L. 4121-3 ainsi que de celles des art. R. 4121-1, 4121-2 et 4121-4 du code du travail que le virus SARS-CoV2, alors même qu'il n'a pas à ce jour été ajouté à la liste des agents biologiques pathogènes établie en application de l'article R. 4421-4 du code du travail, figurant au sein des dispositions du code du travail relatives à la prévention des risques biologiques, est susceptible d'être ainsi qualifié, au même titre que d'autres coronavirus mentionnés sur cette liste, et qu'en tout état de cause, son apparition peut, eu égard à son caractère pathogène et particulièrement contagieux, être regardée comme correspondant au recueil d'une information supplémentaire intéressant l'évaluation d'un risque dans une unité de travail, imposant dès lors la mise à jour du document unique. Si, cependant, cette mise à jour,  bien qu'engagée, n'est pas à ce jour achevée, compte tenu de la procédure lourde qu'elle comporte, il résulte de l'instruction que le ministre a néanmoins mis en œuvre son obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale à l'égard des agents, notamment concernant ses obligations de prévention, d'information et d'adaptation de l'organisation, en leur diffusant des consignes sanitaires, conformes aux mesures nationales et au protocole émis par le ministère du travail, et en les transmettant au comité ministériel d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. La circonstance que la mise à jour des documents uniques est déjà engagée mais pas encore achevée pour certains d'entre eux ne dispense nullement le ministère de mettre en œuvre les obligations de prévention, d'information et de formation, ainsi que d'organisation et de déploiement des moyens adaptés qui sont les siennes. Or, faute de défaillance de sa part constatée sur ce point, il ne saurait découler de cette situation une carence de l'administration portant une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie des agents.

(ord. réf. 18 mai 2020, Fédération de l'équipement, de l'environnement, des transports et des services - Force ouvrière (FEETS - FO) et autres, n° 440358)

 

46 - Militaire - Demande d’annulation d’une décision administrative par voie de référé liberté - Non-versement de sa solde - Demande de congé de longue durée - Invocation d‘une situation de harcèlement - Rejet de l’appel.

Le juge des référés du Conseil d’État était saisi d’un appel dirigé contre le rejet, par le tribunal administratif de Toulon d’une demande en référé liberté que lui avait transmise la présidente de la CAA de Marseille.

La partie du recours tendant à l'annulation de la décision par laquelle le paiement de sa solde a été suspendue et à la restitution des sommes qui, du fait de l'intervention de cette décision, ne lui ont pas été versées du 22 janvier au 30 avril 2020, avait été rejetée par le premier juge comme ne relevant pas de son office. Ce rejet et ce raisonnement sont confirmés en appel, le juge du référé liberté, comme tout autre juge de référé, demeure un juge du provisoire (cf. les termes dont use l’art. L. 511-1 CJA).

La partie du recours tendant, à la fois, à la suspension de l'exécution de la décision interrompant le versement de la solde du requérant, au réexamen de sa demande de congé de maladie de longue durée et à ce qu’il soit mis fin à la situation de harcèlement moral dont il se prévaut, avait été rejetée par le premier juge des référés pour défaut d'urgence, absence d'identification claire des mesures de nature à mettre fin au harcèlement moral, harcèlement qu’il jugeait non établi. Le juge d’appel confirme cette ordonnance. Il estime, d’une part, que l’invocation par le requérant du droit à mener une vie familiale normale, des charges qui seraient les siennes chaque mois, mais qu’il n’établit pas, et du montant du solde débiteur de son compte bancaire à la date du 21 avril 2020, sans fournir d'autre justificatif des difficultés financières qu'il allègue, et d'autre part, que la circonstance que le harcèlement moral dont il fait état durerait depuis plusieurs années et a déjà donné lieu à diverses procédures contentieuses ne permettent pas  de juger que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif a considéré qu'il ne justifiait pas de l'urgence qu'il y aurait à prendre les mesures qu'il demande.

(ord. réf. 18 mai 2020, M.X., n° 440538)

 

47 - Covid-19 - Fonction publique hospitalière - Heures supplémentaires - Autorisation donnée aux établissements hospitaliers de déplafonner les heures supplémentaires autorisées - Mesure d’organisation du service - Compétence du Conseil d’État en premier et dernier ressort - Rejet.

(ord. réf. 26 mai 2020, Syndicat CGT de l'hôpital Beaujon AP-HP, n° 439209) V. n° 3

 

48 - Fonctionnaire de police - Fonctionnaire en poste à Marseille - Candidature à un emploi au sein de la police municipale de Bordeaux - Controverse juridique entre administrations d’État et locale sur les conditions du recrutement - Procédure de recrutement suspendue ou abandonnée - Absence d’atteinte à une liberté fondamentale - Rejet du référé liberté.

Le requérant, fonctionnaire de la police nationale à Marseille, a suivi une procédure qui devait normalement conduire à son recrutement dans la police municipale à Bordeaux. Celle-ci est interrompue par suite d’une divergence d’interprétation des textes applicables (notamment sur l’art. L. 511-2 code de la sécurité intérieure). La direction générale de la police nationale conditionnait le détachement de l’intéressé à son agrément préalable par le préfet et par le procureur de la République, la commune estimait, pour sa part, que le détachement devait être prononcé avant qu'elle puisse procéder à la demande d'agrément, puis à la nomination du demandeur dans l'emploi qui lui était destiné.

L’intéressé saisit, en vain, le juge du référé liberté tant en première instance qu’en appel. En effet, dès lors qu’il n’est pas privé de son emploi au sein de la police nationale et que sa famille peut le rejoindre à Marseille, aucune atteinte n’est portée à une liberté fondamentale dont il pourrait se prévaloir, ainsi que l’a pertinemment jugé le premier juge des référés.

(ord. réf. 25 mai 2020, M. X., n° 440707)

 

49 - Enseignant de l’enseignement supérieur - Recrutement - Respect du principe d’impartialité - Recrutement dans le cadre de compétences communes à un très petit nombre de spécialistes - Avis défavorable, pour défaut d‘impartialité, du conseil d‘administration d’une université à une liste de candidats à un emploi établie par un conseil académique - Annulation.

La requérante obtient l’annulation de l’avis défavorable émis par le conseil d’administration de l’université de Bordeaux, pour cause de défaut d‘impartialité, au classement des candidats établi par le conseil académique compétent et dans lequel elle figurait au titre d’un emploi de professeur des universités à pourvoir en histoire du droit.

Le Conseil d’État retient le faible nombre de spécialistes de la discipline pour estimer que n’est pas établi en l’espèce le défaut d’impartialité allégué par le conseil d’administration de l’université, à savoir que la requérante « et les membres du comité de sélection ont participé ensemble, à plusieurs reprises, à divers colloques ou journées d'étude consacrés à l'histoire du droit, que plusieurs des membres du comité de sélection étaient membres du comité de rédaction d'une revue relative à l'histoire du droit dont Mme X. est la rédactrice en chef ou avaient publié avec elle des contributions dans différents ouvrages et que Mme X. a également publié une contribution dans un ouvrage dont la publication était dirigée par un membre du comité de sélection. Par ailleurs, il est soutenu que Mme X. aurait figuré sur la même liste de membres élus au Conseil national des universités que deux membres du comité de sélection. Les liens résultant de ces relations professionnelles entre Mme X. et les membres du comité de sélection, dans une discipline qui compte peu de spécialistes, ne pouvaient à eux seuls, dans les circonstances de l'espèce, être regardés comme révélant une collaboration scientifique dont l'étroitesse aurait fait obstacle à ce que ces membres participent régulièrement au comité de sélection pour se prononcer sur les mérites de la candidature de Mme X. »

La délibération attaquée est annulée en ce qu’elle est fondée sur une erreur d’appréciation.

On ne peut se défaire d’un certain sentiment mitigé devant un dossier qui, comme beaucoup d’autres en matière de recrutements universitaires, est susceptible d’interprétations passablement divergentes.

(29 mai 2020, Mme X., n° 424367)

 

50 - Adjointe territoriale du patrimoine - Refus de promotion dans le cadre d'emplois des assistants territoriaux de conservation du patrimoine - Allégation de discrimination pour motif d’appartenance et d’activités syndicales - Analyse du juge - Rejet.

Il s’agit ici d‘une affaire délicate où une fonctionnaire territoriale qui n’a pas fait l’objet de la promotion interne qu’elle sollicite depuis une vingtaine d’années veut faire dire par le juge qu’elle est victime d’une discrimination à raison de ses fonctions de secrétaire syndicale. Après rejet par le tribunal administratif de la demande d’annulation présentée par l’intéressée puis cassation de ce jugement et réitération par les premiers juges de la solution contenue dans leur précédent jugement, le Conseil d’État casse à nouveau, pour vice de procédure, ce second jugement ; il se trouve donc conduit à statuer définitivement sur le fond du litige (cf. art. L. 821-2 CJA).

Sa décision est intéressante en ce qu’elle illustre le degré de finesse dans l’analyse de ces toujours délicates affaires de discrimination où la preuve, tout en jouant un rôle capital est en même temps aussi difficile à rapporter par le demandeur que l’est la « non-preuve » par le défendeur. D’où une solution balancée du juge qui impose à chacune des deux parties d’établir, chacune pour sa part, qu’elle a subi une discrimination ou qu’elle n’a rien fait en ce sens.

Le juge détaille ici longuement les indices en faveur de l’existence d’une discrimination puis, de façon tout aussi détaillée, les arguments de défense de l’administration pour repousser les apparences de discrimination. Nous avouerons être dubitatifs au terme de cette analyse.

Au total, la requérante est déboutée.

(29 mai 2020, Mme X., n° 422294)

 

Libertés fondamentales

51 - Covid-19 - Liberté d’aller et de venir - Détermination du moyen de transport utilisé - Licéité de l’usage de la bicyclette - Absence d’interdiction en droit - Rejet.

Usant de la procédure de l’art. L. 521-1 CJA, le requérant demandait la suspension de  l'exécution de la décision d'interdire aux adultes d'utiliser une bicyclette pour les déplacements prévus au 5° du I de l'article 3 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19, révélée par la publication, sur le site internet du gouvernement, de la réponse à une question intitulée « Puis-je continuer de faire une sortie en vélo ? ».

Comme il l’avait déjà indiqué dans une précédente décision (ord. réf. 30 avril 2020, Fédération française des usagers de la bicyclette, n° 440179 ; cf. notre chronique d’avril 2020 au n° 44), le juge rappelle que l'usage, pour un déplacement qu'autorise la disposition précitée, d'un moyen de déplacement particulier, notamment d'une bicyclette, ne saurait, à lui seul, caractériser une violation de l'interdiction qu'elle édicte.

Constatant ensuite, qu’il résulte de l'instruction que le gouvernement a adopté sur son site, à la date où est rendue la présente ordonnance, une position strictement conforme au principe susrappelé, il juge que désormais devenues sans objet, les conclusions de la requête ne peuvent qu’être rejetées.

En réalité, le contenu du site du gouvernement était bien, au moment où le requérant a introduit sa demande (20 et 25 avril 2020), celui qu’il décrit dans son recours, cependant, en cours d’instance, exécutant la décision précitée du Conseil d’État, le premier ministre a modifié ce contenu conformément à ce que le juge lui avait enjoint.

(ord. réf. 4 mai 2020, M. X., n° 440173) V. aussi cette Chronique, avril 2020, n° 44

 

52 - Covid-19 - Principe de neutralité de l’action publique - Labellisation d'articles de presse sur un site officiel du gouvernement - Ingérence dans plusieurs libertés fondamentales dont celle de la presse - Rejet.

(ord. réf. 8 mai 2020, Syndicat national des journalistes, n° 440388) V. n° 1

 

53 - Covid-19 - Liberté fondamentale d’aller et de venir - Liberté personnelle de déplacement - Liberté de circulation dans l’Union européenne - Limitation de cette liberté à un rayon de cent kilomètres - Différence de traitement entre nationaux et ressortissants étrangers - Caractère prétendument aléatoire des décisions susceptibles d’être prises - Rejet.

Le requérant sollicitait du juge des référés qu’il ordonne au premier ministre la suspension de l'exécution de l'article 3 du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire ou sa mise en conformité avec la directive 2004/38/CE du 29/04/2004.

Le recours est rejeté.

Le juge estime tout d’abord que l’art. 3 litigieux ne viole pas le droit fondamental à la liberté de circulation dans l'Union européenne tel qu'il est notamment garanti par l'article 45 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la directive 2004/38/CE du 29 avril 2004, du fait que, notamment, il interdit aux Français situés à plus de 100 km d'un aéroport international ou d'une frontière de sortir de France pour se rendre dans un autre État membre car si ces dispositions restreignent la liberté personnelle de circulation, elles n'ont pas pour objet, ni d'ailleurs pour effet, d'empêcher l'accès à tout aéroport (cf. l’art. 5 du même texte), cet article 3 n'a pas davantage pour objet, par lui-même, de réglementer ou d'interdire la sortie du territoire national, ni de restreindre le droit de circulation des citoyens de l'Union désireux de se rendre dans un autre État membre.

Pas davantage la disposition critiquée n’introduit par elle-même des différences entre personnes situées dans les mêmes conditions de résidence : elle ne crée donc pas par voie de conséquence une rupture d'égalité devant la loi, en particulier la loi pénale. Quant à l’argument selon lequel ces dispositions autoriseraient l'intervention de « mesures aléatoires » compte tenu du pouvoir d'appréciation laissé aux préfets de département et du classement des départements en zone rouge ou verte par l'annexe 2 au décret en litige, il est également rejeté : le préfet peut adopter des conditions de déplacement plus restrictives à l'intérieur d'un département lorsque les circonstances locales l'exigent, ces mesures plus restrictives ne sont pas « aléatoires ». Au reste, il est toujours possible d’en saisir la juridiction administrative.

Également, il ne ressort ni des dispositions de l'article 3 qui s'appliquent à tous les départements sans distinction, ni des allégations du requérant que les Français situés dans les départements classés en zone rouge en vertu de l'annexe 2 au décret seraient plus exposés aux sanctions pénales, en particulier celles prévues à l'article L. 3136-1 du code de la santé publique, que les Français résidant dans les départements classés en zone verte compte tenu des restrictions de déplacement prévues.

Enfin, il ne saurait être soutenu que l'article 3 introduirait une rupture d'égalité entre les Français et les étrangers dès lors que ces derniers entrant sur le territoire national pourraient circuler sans restriction tandis que les Français souhaitant sortir du territoire national ne pourraient le faire sans se prévaloir d'un des motifs énoncés à cet article et seraient les seuls à subir les sanctions pénales en cas de manquement aux interdictions ou obligations édictées par l'article 3 du décret. Une telle distinction entre Français et étrangers ne ressort pas des dispositions de l'article 3 contesté, ni d'ailleurs des autres dispositions du décret, dès lors que les règles énoncées à cet article s'appliquent à toute personne cherchant à se déplacer de « son lieu de résidence » situé dans un des départements.

Le juge ajoute, pour faire bonne mesure et l’on sera plus dubitatif sur ce point, qu’« un étranger entrant sur le territoire national et cherchant à rejoindre un lieu de résidence situé dans un département se trouve placé dans une situation différente (de) celle d'une personne déjà installée en France et se déplaçant depuis son lieu de résidence.

(ord. réf. 25 mai 2020, M. X., n° 440565)

 

54 - Covid-19 - Cas de la Guadeloupe - Mise en quarantaine des personnes arrivant sur ce territoire insulaire - Quarantaine dans un lieu dédié - Atteintes à des libertés fondamentales - Atteintes proportionnées et justifiées - Rejet.

L’organisation requérante demandait en appel l’annulation du rejet par le juge des référés de première instance de sa demande de suspension de l'exécution de l'arrêté par lequel le préfet de la Guadeloupe a décidé le placement en « quarantaine » stricte, pour une durée de quatorze jours, des personnes entrant en Guadeloupe en provenance de Paris, de Fort-de-France et de Cayenne, hors cas de transit, dans une structure d'hébergement hôtelière. 

Le juge rappelle que les mesures que les autorités compétentes prennent pour prévenir ou limiter les effets de l'épidémie de Covid-19, si elles peuvent limiter l'exercice des droits et libertés fondamentaux, c’est à la condition qu’elles soient nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif de sauvegarde de la santé publique qu'elles poursuivent.

Le juge vérifie d’abord le caractère nécessaire de la mesure attaquée. Il note que 52 % des cas confirmés de contamination par le virus sont liés à des arrivées de personnes venant de l'extérieur de la Guadeloupe et que le confinement de ces arrivants est une alternative au confinement généralisé du fait de l’insularité. La mesure lui apparaît nécessaire.

Concernant son caractère adapté et proportionné, dans la mesure où le confinement dans domicile, mesure existant jusqu’alors, n’était qu’imparfaitement respecté, le juge estime que la quarantaine de quatorze jours en un lieu assigné satisfait cette double exigence.

Enfin, d’une part, la dispense de cette mesure au profit des personnels sanitaire et de l’État arrivant sur l’île ne semble pas excessive au regard de l’objectif à atteindre et, d’autre part, il est constant que les personnes sous quarantaine ont un accès normal aux soins, en cas de nécessité, comme au juge.

La requête est rejetée.

(5 mai 2020, Ordre des avocats au barreau de la Guadeloupe, de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, n° 440288)

 

55 - Covid-19 - Contrôle du respect des règles de confinement - Utilisation de drones par la préfecture de police de Paris - Capture et utilisation d’images - Recueil de données à caractère personnel - Respect de la vie privée - Annulation de l’ordonnance de rejet.

(ord. réf. 18 mai 2020, Association " La Quadrature du Net ", n° 440442 ; Ligue des droits de l’homme, n° 440445, jonction) V. n° 72

 

56 - Covid-19 - Prolongation de la durée légale de la détention provisoire - Atteintes à diverses libertés fondamentales - Absence de rétroactivité de l’acte attaqué - Prorogation des délais de détention provisoire - Rejet.

Le requérant, actuellement en détention provisoire, demande la suspension, sur le fondement de l’art. L. 521-1 CJA (référé suspension), d’une part, de l'exécution de l'article 16 de l'ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi d’habilitation du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19, et, d’autre part,  de l'exécution de la circulaire du 26 mars 2020 (direction des affaires criminelles et des grâces) présentant les dispositions de l’art. 16 précité. 

Sa requête est rejetée pour un triple motif.

D’abord, l’ordonnance est conforme aux termes du d) du 2° du I de l'article 11 de la loi d’habilitation du 23 mars 2020 en ce qu’elle permet la prolongation de ces mesures au vu des seules réquisitions écrites du parquet et des observations écrites de la personne intéressée et de son avocat.

Ensuite, l’ordonnance s'est bornée à allonger les délais de détention provisoire en matière correctionnelle et criminelle sans apporter d'autre modification aux règles du code de procédure pénale qui régissent le placement et le maintien en détention provisoire. Elle a, en outre, précisé que ces prolongations ne s'appliquent qu'une seule fois au cours de chaque procédure et rappelé qu'elles s'entendent sans préjudice de la possibilité pour la juridiction compétente d'ordonner à tout moment, d'office, sur demande du ministère public ou sur demande de l'intéressé, la mainlevée de la mesure.

Enfin, l’ordonnance s'appliquant à des détentions provisoires en cours ou débutant à la date de sa publication, elle est dépourvue de portée rétroactive.

Par suite, n’existe pas de doute sérieux quant à la légalité de l’art. 16 de l’ordonnance attaquée tant au regard du droit à la sûreté garanti par les articles 2 de la Déclaration de 1789, 5 de la CEDH et 6 de la Charte des droits fondamentaux de l'UE et qu’à celui du principe de sécurité juridique ou encore au regard du moyen tiré de la méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice ; pas davantage, cet article  ne viole l'interdiction de soumettre quiconque à des traitements inhumains ou dégradants. 

Pour ce qui est de la circulaire, se bornant à expliciter l’ordonnance et à en décrire les conséquences nécessaires, il n’existe pas davantage de doute sérieux sur sa légalité par rapport à l'article 16 de l'ordonnance du 25 mars 2020, au droit à la sûreté et au droit au respect de la présomption d'innocence, garanti notamment par l'article 48 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE et par la directive du 9 mars 2016.

On comparera cette décision avec la solution inverse retenue par la chambre criminelle de la Cour de cassation qui voit dans ces dispositions matière à QPC (arrêts n° 974, X. c/ Proc. gén. près la Cour de Paris, - n° 20-81.910 -   et n°977, X. c/ Proc. gén. près la Cour de Grenoble, - n° 20-81.971 - du 26 mai 2020) et qui écrit, concernant l’art. 16 querellé par rapport aux exigences de l’art. 5 de la Convention EDH :

 « 38. D’une part, l’article 16 maintient, de par le seul effet de la loi et sans décision judiciaire, des personnes en détention, au delà de la durée du terme fixé dans le mandat de dépôt ou l’ordonnance de prolongation, retirant ainsi à la juridiction compétente le pouvoir d’apprécier, dans tous les cas, s’il y avait lieu d’ordonner la mise en liberté de la personne détenue. 

39. D’autre part, ce même texte conduit à différer, à l’égard de tous les détenus, l’examen systématique, par la juridiction compétente, de la nécessité du maintien en détention et du caractère raisonnable de la durée de celle-ci.

40. Or, l’exigence conventionnelle d’un contrôle effectif de la détention provisoire ne peut être abandonnée à la seule initiative de la personne détenue ni à la possibilité pour la juridiction compétente d’ordonner, à tout moment, d’office ou sur demande du ministère public, la mainlevée de la mesure de détention. »

(ord. réf. 6 mai 2020, M. X., n° 440166)

 

57 et 58 - Covid-19 - Liberté des cultes - Célébration publique du culte - Demande d’annulation de dispositions désormais abrogées - Non-lieu à statuer.

Il était demandé au juge, d’une part, d’annuler ou d’enjoindre au premier ministre d’abroger le IV de l'article 8 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire et d’autre part, d’annuler ou d'enjoindre au premier ministre d'abroger le III de l'article 8 du décret n° 2020-545 du 11 mai 2020, d'autoriser le culte public en édictant les actes réglementaires, circulaires et lignes directrices nécessaires à cet effet, et ce sur l'ensemble du territoire national.

La requête est rejetée car les dispositions contestées ayant été abrogées, respectivement par les décrets n° 2020-545 et n° 2020-548 du 11 mai 2020, leur objet a disparu ; il n’y a donc plus lieu de statuer sur ces demandes.

(ord. réf. 18 mai 2020, Association Civitas, n° 440361 ; Association Civitas, n° 440511, deux espèces, jonction)

(58) Dans le même sens : ord. réf. 18 mai 2020, Association cultuelle Fraternité sacerdotale Saint-Pierre et autres, n° 440519 ; ord. réf. 18 mai 2020, Association Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l'identité française et chrétienne (AGRIF) et autres, n° 440512

 

59 à 63 - Covid-19 - Liberté des cultes - Liberté fondamentale - Célébration publique du culte - Composante de la liberté de culte - Étendue en période d’épidémie - Conciliation entre liberté et protection de la santé publique - Injonction au premier ministre.

Les associations et personnes requérantes, dont les huit requêtes sont jointes, contestaient les modalités retenues par le gouvernement selon lesquelles peuvent être organisées les cérémonies religieuses, notamment dans les établissements de culte, en période d’épidémie. La réponse du juge, qui repose sur un fondement normatif un peu cahotant (I), est plutôt embarrassée (II).

 

I - La hiérarchie des normes applicables

Les requérants résidant ou agissant, les uns en Alsace-Moselle, les autres dans le reste de la France, le juge est ainsi conduit à se prononcer de façon différenciée en fonction des normes distinctement applicables à chacun de ces deux ensembles territoriaux, soit brevitatis causa, d’une part la convention du 26 messidor an IX conclue entre le Pape Pie VII et le gouvernement consulaire pour ce qui regarde l’Alsace-Moselle, et d’autre part la loi du 9 décembre 1905 pour le reste du territoire français.

Deux observations doivent être faites au sujet de la curieuse conception de la hiérarchie des normes dont fait usage ici le juge du référé liberté du Conseil d’État.

En premier lieu, en retenant comme support de son raisonnement, tout à la fois, cette dernière loi, qui ne concerne que la liberté de culte, et l’art. 10 de la Déclaration de 1789 comme l’art. 9 de la Convention EDH, qui visent, elles, notamment, la liberté de religion, opère sur le plan normatif un amalgame discutable qui oublie que la loi de 1905 est strictement subordonnée aux deux autres textes, surtout à la Convention EDH en tant que s’y incorpore l’immense jurisprudence développée sur ce point par la Cour de Strasbourg.

En second lieu, en écrivant : «(…) l’article 1er de la convention passée à Paris le 26 messidor an IX, entre le Pape et le gouvernement français, qui est applicable aux catholiques d'Alsace et de Moselle, dès lors que la convention a été promulguée et rendu exécutoire, avec ses articles organiques, comme lois de la République par la loi du 18 germinal an X relative à l'organisation des cultes (…) », le juge soulève une importante difficulté juridique qui recouvre en réalité deux questions bien différentes, étant rappelé que si la loi de 1905 est applicable à tous les cultes, il n’en va pas de même en Alsace-Moselle.

D’une part, la loi de 1905 ne s’appliquant pas en Alsace-Moselle, il fallait déterminer la base juridique régissant ces départements en matière de liberté religieuse, d’autre part, et c’est là une tout autre question, il convenait de déterminer la hiérarchie des normes applicables.

Le juge des référés rappelle ici l’applicabilité de la convention entre le Saint-Siège et la France conclue le 15 juillet 1801, celle-ci ayant la nature juridique de traité international. Il indique également que cette convention est entrée en vigueur lors de sa promulgation, le 8 avril 1802, ainsi que les articles organiques, cette loi qualifiant la convention et lesdits articles de « lois » de la république.

Il y a là une erreur juridique.

Si les articles organiques sont un texte unilatéralement édicté par la France et peuvent bien être dits « lois » puisque le législateur en a décidé ainsi, en revanche, ce n’est pas le cas de la convention qui est un concordat donc un traité international. Les articles organiques ne peuvent donc pas « faire jeu égal » avec ce dernier et cela d’autant plus qu’ils n’ont pas le même objet (la convention ne régit que des rapports d’États concernant exclusivement le culte catholique, les articles organiques concernent, d’abord, les cultes catholiques et protestants puis, plus tard, juif) et qu’ils ont été pris contre l’assentiment du Pape.

Il suit de là qu’en tant que loi le texte de ces articles, pour ce qui regarde le seul culte catholique, ne peut en aucun cas valoir effet de droit en tout ce qui pourrait contredire, atténuer, modifier ou autre, les dispositions de la convention de 1801. Il est regrettable que, pour apprécier la régularité des décisions prises par le pouvoir de police en ce domaine, en période d’épidémie, le juge se soit fondé indifféremment sur l’un et l’autre textes alors qu’ils ne sont pas du tout ni homothétiques ni compatibles entre eux.

 

II - Le contrôle délicat exercé par le juge

Le juge qualifie de fondamentale - au sens et pour l’application de l’art. L. 521-2 du CJA - la liberté de culte et pose ensuite l’affirmation centrale de son ordonnance « Telle qu'elle est régie par la loi (i.e. la loi de 1905), cette liberté ne se limite pas au droit de tout individu d'exprimer les convictions religieuses de son choix dans le respect de l'ordre public. Elle comporte également, parmi ses composantes essentielles, le droit de participer collectivement, sous la même réserve, à des cérémonies, en particulier dans les lieux de culte. La liberté du culte doit, cependant, être conciliée avec l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé. »

L’affirmation est doublement importante. Elle manifeste très clairement, en premier lieu, que les réunions cultuelles ne sont pas des réunions au sens du droit commun régissant la liberté de réunion, ce qui invalide en réalité le IV de l'article 8 du décret du 23 mars 2020 et le  III de l'article 8 du décret du 11 mai 2020, tous deux prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire en tant qu’ils opèrent une assimilation complète de la réunion cultuelle à une réunion. Ceux-ci échappent cependant à la censure car ils étaient abrogés au moment où le juge a statué.  

L’affirmation rapportée ci-dessus manifeste aussi clairement, en second lieu, que la liberté religieuse n’est en rien assimilable à la liberté de conscience.

Au moins dans le cas du culte catholique, les cérémonies cultuelles sont donc une des « composantes essentielles » de la liberté religieuse, « essentielles », c’est-à-dire non pas « importantes » mais qui font partie de l’essence de cette liberté, laquelle, sans cela, ne saurait exister.

Analysant la requête dont il était saisi, le juge devait vérifier l’urgence à y statuer et l’atteinte grave à la liberté fondamentale ainsi rappelée.

Il estime tout d’abord qu’il y a bien urgence car la situation a notablement changé depuis le décret du 23 mars 2020 : si les fidèles peuvent se rendre individuellement dans les lieux de culte, ils ne peuvent ni s'y rassembler ni s'y réunir, à l'exception - très limitée au demeurant - des cérémonies funéraires. Les fidèles ne peuvent ainsi participer à des cérémonies non funéraires qui s'y tiennent à huis clos que par le biais de retransmissions audiovisuelles, y compris pour les importantes fêtes qui ont eu lieu au printemps dans les trois religions réunissant le plus grand nombre de fidèles en France. Par suite et eu égard à l'amélioration de la situation sanitaire ayant justifié le déconfinement, la condition d'urgence caractérisée, qui est prévue par divers textes ici applicables, doit être regardée comme remplie.

Il estime ensuite qu’il est porté une atteinte grave à la liberté de culte au terme d’une analyse très pragmatique.

 

A- Le caractère provisoirement justifié des mesures gouvernementales à l’endroit des cultes

Il relève d’abord qu’il est certain que tout rassemblement de personnes dans un lieu clos, restreint et  d’une durée prolongée, est de nature à favoriser la propagation d’un virus  - qui se transmet par voie respiratoire - en particulier dans le cadre de cérémonies de culte, qui sont des rassemblements ou des réunions exposant les participants à un risque de contamination, d’autant qu'elles s'accompagnent de prières récitées à haute voix ou de chants, de gestes rituels impliquant des contacts, de déplacements, ou encore d'échanges entre les participants, y compris en marge des cérémonies elles-mêmes. Il indique ensuite que les effets des facteurs de risque précités peuvent, toutefois, être atténués par les règles de sécurité qui sont appliquées au cours des rassemblements et réunions. Enfin, il rejette l’argument du ministre défendeur selon lequel un rassemblement religieux réunissant plus d'un millier de participants venus de toute la France entre le 17 et le 24 février 2020 près de Mulhouse a provoqué un nombre important de contaminations car, à cette date n’étaient pas connues ni diffusées les mesures de prévention à prendre. De tout ceci résulte donc la nécessité de réglementer l’accès aux réunions cultuelles.

Toutefois, pour justifier des mesures plus sévères envers les cultes qu’envers d’autres activités sociales, le juge use d’une formulation particulièrement malheureuse lorsqu’il écrit que « les établissements de culte (…)  ne peuvent être regardés comme assurant l'accès à des biens et services de première nécessité au sens (des) dispositions (relatives aux Covid-19) ». Que dans un État laïque, à tout le moins neutre, le service du spirituel puisse être exclu a priori et sans aucune démonstration, comme par un postulat, de la catégorie des biens et services de première nécessité, n’est pas sans soulever de délicats problèmes dont le moindre n’est certainement pas celui du statut respectif du corps et de l’âme, dualité qu’en bonne laïcité l’on ne peut ni cautionner ni critiquer : le silence eut été ici plus sage que le fourvoiement.

 

B- La critique des décisions gouvernementales à l’endroit des cultes

L’examen in concreto des décisions contestées conduit le juge à leur censure.

D’abord, par comparaison, il constate que de nombreuses activités sociales présentant des risques certains comparables (transports de voyageurs, magasins de vente et centres commerciaux, établissements d’enseignement, bibliothèques) sont autorisées (sous réserve d’un minimum de 4m2 par personne), à la différence de la solution retenue pour les cultes.

Ensuite, on ne peut comparer les interdictions édictées en dehors des lieux de culte avec celles relatives à ces derniers alors qu’est en cause ici une liberté fondamentale.

Enfin, est relevé le fait, essentiel aux yeux du juge, que l'interdiction de tout rassemblement ou réunion dans les établissements de culte, n’est motivée ni par une éventuelle difficulté à élaborer des règles de sécurité adaptées aux activités en cause - certaines institutions religieuses ayant présenté des propositions en la matière depuis plusieurs semaines - ni par le risque que les responsables des établissements de culte ne puissent en faire assurer le respect ou que les autorités de l'État ne puissent exercer un contrôle effectif en la matière, ni encore par l'insuffisante disponibilité, durant cette première phase, du dispositif de traitement des chaînes de contamination.

L'interdiction générale et absolue imposée par le III de l'article 10 du décret contesté, de tout rassemblement ou réunion dans les établissements de culte, alors que des mesures d'encadrement moins strictes sont possibles, revêt un caractère disproportionné au regard de l'objectif de préservation de la santé publique et constitue ainsi, eu égard au caractère essentiel de cette composante de la liberté de culte, une atteinte grave et manifestement illégale à cette dernière.

Il convient d’insister sur la formulation particulière de l’injonction qui est prononcée « en l'absence d'alternative pour sauvegarder la liberté de culte ». Le premier ministre doit modifier les dispositions du III de l'article 10 du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020, en prenant les mesures strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu applicables en ce début de « déconfinement », pour encadrer les rassemblements et réunions dans les établissements de culte. Un délai de huit jours, nécessaire à la concertation avec les différents cultes, lui est accordé.

On notera au passage (cf. point 15 de l’ordonnance) le rappel de la jurisprudence selon laquelle les propos ministériels tenus devant les assemblées parlementaires ne sont pas susceptibles d’être déférés au juge dès lors qu’ils ne se traduisent pas par des décisions.

(ord. réf. 18 mai 2020, M. X. et autres, n° 440366 ; Association Civitas, n° 440380 ; Parti chrétien-démocrate et autre, n° 440410 ; Association cultuelle Fraternité sacerdotale Saint-Pierre et autres, n° 440531 ; Association Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l'identité française et chrétienne (AGRIF), n° 440550 ; M. X., n° 440562 ; Association La Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, n° 440563 ; Mme X., n° 440590, jonction)

(60) V. dans le même sens mutatis mutandis, renvoyant d’ailleurs expressément à la décision ci-dessus mais refusant d’apercevoir dans le cas de l’espèce une urgence à statuer, à propos du culte musulman et de la célébration de la fête de l'Aïd : ord. réf. 22 mai 2020, Association de défense des droits de l'homme - Collectif contre l'islamophobie en France (ADDH-CCIF) et Mme X., n° 440757.

(61) Réponse comparable à un requérant contestant l’art. 1er du décret du 11 mai 2020 car l'obligation de respecter une distanciation sociale en tous lieux et en toutes circonstances lui interdit concrètement de vivre avec sa famille d'une façon normale, interdit le déroulement normal des offices religieux et porte ainsi des atteintes graves et immédiates à sa vie privée et à sa liberté religieuse, qui ne sont pas justifiées par le but poursuivi par le décret contesté. Sans être sans objet, son recours a reçu sa réponse dans la décision ci-dessus commentée : ord. réf. 20 mai 2020, M. X., n° 440656.

(62) Idem concernant la demande d’une requérante s’estimant abusivement empêchée d’assister aux cérémonies de l’Ascension : ord. réf. 20 mai 2020, Mme X., n° 440655 ou celle tendant aux mêmes fins émanée d’un requérant : ord. réf. 20 mai 2020, M. X., n° 440654

(63) Et encore, dans le même sens, répondant à plusieurs requérants demandant qu’il soit enjoint au premier ministre et au ministre de l'intérieur de prendre, pendant la durée de l'état d'urgence sanitaire, toutes mesures nécessaires pour rétablir la liberté des cultes afin, notamment que les fêtes de l'Aïd el-Fitr, de l'Ascension et de Chavouot puissent se dérouler ainsi que les messes et cultes pour les chrétiens, prières du vendredi pour les musulmans, prières du Chabbat pour les juifs, le rejet de cette requête par : ord. réf. 20 mai 2020, M. X. et autres, n° 440653

 

64 à 67 - Covid-19 - Sécurité sanitaire d’un établissement pénitentiaire - Masques et gants, distanciation et dépistage - Conditions de distribution des repas aux détenus - Injonction à la ministre et non-lieu.

 L'ordre des avocats du barreau de Martinique et vingt-deux personnes détenues au centre pénitentiaire de Ducos ont obtenu du juge des référés du tribunal administratif qu’il soit fait injonction à la ministre de la justice et au directeur de ce centre pénitentiaire, d’une part,  de distribuer des masques chirurgicaux et des gants aux détenus, lorsqu’ils sont en contact avec des détenus issus d'autres cellules, et d’autre part, de distribuer des masques non sanitaires et des gants aux auxiliaires distribuant des repas et, enfin, de se doter de tests de dépistage, en nombre suffisant, pour permettre le dépistage des personnes ayant été en contact direct avec une personne présentant des symptômes de Covid-19. Le juge a rejeté le surplus des conclusions dont il était saisi. Le Conseil d’État était saisi d’un appel de la ministre intéressée tendant à l’annulation de cette ordonnance en tant qu'elle ordonne la distribution de masques chirurgicaux aux personnes détenues et la mise à disposition d'un nombre suffisant de tests pour permettre le dépistage de l'ensemble des personnes ayant été en contact direct avec une personne présentant des symptômes de Covid-19. Il était également saisi d’un appel de l'Ordre des avocats au barreau de Martinique dirigé contre la même ordonnance en tant qu'elle n’ordonne la distribution aux auxiliaires pénitentiaires en charge de la distribution des repas que de masques non sanitaires et non de masques chirurgicaux.

Le juge des référés du Conseil d’État relève qu’à ce jour il n’existe aucun cas révélé ou suspecté de Covid-19 au sein de ce centre pénitentiaire dont la population totale représente 102% des places disponibles et où, au sein de celle-ci, le quartier maison d’arrêt comporte un taux d’occupation de 130%.

Relatant les efforts entrepris depuis le début de la crise sanitaire dans l’ensemble des prisons françaises et spécifiquement au centre Ducos, le juge examine les deux grandes revendications : masques et tests de dépistages.

Pour les masques, il constate que compte tenu des modalités de fonctionnement d’un tel centre : pratique des portes ouvertes, accès à la cour-promenade, contacts avec les détenus des autres cellules et le personnel auxiliaire de service de distribution des repas, visites de l’extérieur, etc., et en dépit de ce qui a été déjà fait, « l'absence de fourniture d'un masque de protection non sanitaire aux personnes détenues afin qu'elles puissent le porter le temps des échanges avec le ou les intervenants extérieurs révèle, de manière caractérisée, une carence de nature à justifier, eu égard aux libertés fondamentales invoquées, qu'il soit enjoint à la ministre de la justice et au chef d'établissement du centre pénitentiaire de Ducos de fournir, à compter du 11 mai 2020, un masque de protection non sanitaire aux personnes détenues appelées à se rendre à un " parloir avocat ", une commission de discipline ou un entretien avec un conseiller pénitentiaire d'insertion et de probation. Ce masque devra être distribué par l'administration pénitentiaire à l'occasion d'un tel contact et lui être remis à son issue. »

Pour les tests, le juge considère que, d’une part, en l’état d’absence de cas avérés connus dans le centre, et d’autre part, compte tenu du protocole mis en place en cas d’apparition d’un tel cas ou d’une suspicion, il n’y a pas lieu d’ordonner la réalisation systématique de tests.

(ord. réf. 7 mai 2020, Ordre des avocats au barreau de la Martinique et autres, n° 440151)

(65) V. aussi, assez comparable mutatis mutandis, dans le cas d’un référé liberté intenté par un détenu  à la maison d’arrêt du centre pénitentiaire de Béziers, invoquant la carence de l'administration en ce qui concerne son placement en cellule individuelle, la fourniture, en quantité suffisante, de produits d'hygiène et d'entretien, de savon et de gel hydro-alcoolique, de masques de protection, de gants ainsi que de tests de dépistage, le nettoyage des locaux et du linge, les modalités de distribution des repas et le recours aux fouilles, également rejeté compte tenu des mesures déjà prises par l’administration pénitentiaire et/ou en cours : ord. réf. 11 mai 2020, M. X., n° 440338 ;

(66) V. également, largement comparable dans son argumentation et dans sa solution, à propos de diverses demandes à caractère sanitaire émanées d’un détenu du centre pénitentiaire de Joux-la-Ville invoquant plusieurs problèmes de santé d’ailleurs pris en charge par l’administration pénitentiaire : ord. réf. 14 mai 2020, M. X., n° 440413 ;

(67) V. encore, en tous points semblable, à propos de demandes faites par un détenu au centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil : ord. réf. 15 mai 2020, M. X., n° 440367, n° 440368 et n° 440369.

 

68 - Covid-19 - Liberté d’aller et de venir - Loisirs - Accès aux plages - Atteintes excessives - Obligation de ne tenir compte que des circonstances locales - Rejet.

Le requérant, qui réside à Deauville, faisait valoir que ne seraient pas nécessaires pour garantir la santé publique et seraient disproportionnées aux risques sanitaires les dispositions du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 en tant que, par le II de son article 9, elles interdisent l’accès aux plages, plans d'eau et lacs. Il demandait au juge du référé liberté d'enjoindre au premier ministre de modifier cet article.

La requête est bien évidemment rejetée car l'interdiction de l'accès aux plages, aux plans d'eau et aux lacs, a été décidée dans le souci d'éviter les concentrations humaines et statiques, caractéristiques de ces lieux en période de printemps et vecteurs de diffusion de l’épidémie de Covid-19.

Cette mesure d'interdiction ne porte pas à la liberté d'aller et venir une atteinte justifiant l’intervention du juge du référé de l’art. L. 521-2 CJA, compte tenu de l'impératif d'éviter la reprise de l'épidémie pendant la phase de déconfinement progressif. Le rejet est donc prononcé sans qu’il y ait lieu d’apprécier l’existence éventuelle de la condition d’urgence.

(ord. réf. 22 mai 2020, M. X., n° 440534)

 

69 - Expérimentation de l’algorithme Datajust - Traitement automatisé de données à caractère personnel relatives à l’indemnisation du préjudice corporel par les juridictions - Accès et durée limités - Caractère expérimental - Absence de création d’un algorithme - Défaut d’urgence - Rejet.

La société requérante demandait au juge des référés d'ordonner la suspension de l'exécution du décret n° 2020-356 du 27 mars 2020 portant création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé DataJust, la condition d'urgence étant, selon elle, remplie tant en raison de ses effets sur le droit à la protection de la vie privée et sur le principe de la réparation intégrale du préjudice, que de sa méconnaissance du règlement (UE) n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, portant ainsi atteinte aux intérêts des avocats défendant les victimes de préjudices corporels et, enfin, à l'absence d'intérêt public à l'exécuter avant qu'il ne soit statué au fond.

Pour rejeter cette demande de suspension le juge retient tout d’abord  que le traitement automatisé de données à caractère personnel DataJust, a pour finalité le développement d'un algorithme devant servir à la réalisation d'évaluations rétrospectives et prospectives des politiques publiques en matière de responsabilité civile ou administrative, à l'élaboration d'un référentiel indicatif d'indemnisation des préjudices corporels, à l'information des parties et à l'aide à l'évaluation du montant de l'indemnisation à laquelle les victimes peuvent prétendre afin de favoriser un règlement amiable des litiges, ainsi qu'à l'information ou à la documentation des juges appelés à statuer sur des demandes d'indemnisation des préjudices corporels.

Ce traitement est constitué de données extraites des décisions de justice rendues en appel entre le 1er janvier 2017 et le 31 décembre 2019 par les juridictions administratives et les formations civiles des juridictions judiciaires dans les contentieux portant sur l'indemnisation des préjudices corporels.

Il comporte certes de nombreuses données à caractère personnel, touchant notamment à l'identité et à la santé des personnes physiques mais, d’une part, l'autorisation de le réaliser n’a été donnée que pour une durée de deux ans et, d’autre part, durant cette période,  seuls auront accès aux données à caractère personnel et aux informations enregistrées dans le traitement, et encore « à raison de leurs attributions et dans la limite du besoin d'en connaître », les agents du ministère de la justice affectés au service chargé des développements informatiques du secrétariat général du ministère de la justice individuellement désignés par le secrétaire général et les agents du bureau du droit des obligations individuellement désignés par le directeur des affaires civiles et du sceau.

Dans ces conditions et eu égard au petit nombre des personnes composant le service qui gère cette opération, à la limitation stricte de la durée de conservation des données ainsi qu’à son caractère expérimental, le développement d'un algorithme dont la mise en œuvre n’est pas réalisée ni accordée par le décret attaqué, ne crée point une situation d’urgence justifiant, par elle-même, la suspension de l’acte administratif litigieux, sans qu’il soit besoin d’examiner le moyen tiré de ce que la décision de créer ce traitement contreviendrait  au règlement (UE) du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données.

Il semble contestable de parler de « politiques publiques en matière de responsabilité civile ou administrative » comme si un tel objet - d’ordre strictement et indéfiniment subjectif - pouvait donner lieu à des politiques publiques c’est-à-dire à une prétention à diriger et organiser le futur d’individus. Pareillement, invoquer une durée de deux années pour minimiser la portée de Datajust, alors que ce laps de temps permet de recueillir un nombre considérable de données privées, n’est pas raisonnable.

(ord réf. 26 mai 2020, Société C... Avocat Victimes et Préjudices et autre, n° 440378)

 

Police

 

70 - Covid-19 - Attestation obligatoire de déplacement - Principe d’interprétation stricte du droit pénal - Risque de verbalisation abusive - Rejet.

L’intéressé avait saisi le juge d’un référé tendant à la suspension de l'exécution du modèle d'attestation dérogatoire au principe de l'interdiction des déplacements (fixé au II de l'article 3 du décret du 20 mars 2020) au motif qu’en imposant l'indication de l'heure de départ de la résidence de confinement cette disposition serait illégale car susceptible de générer une verbalisation pénale abusive et méconnaîtrait le principe d'interprétation stricte du droit pénal.

Usant de la procédure expédiente de l’art. L. 522-3 CJA, le juge, sans examiner l’existence d’une éventuelle urgence à statuer, rejette la demande dirigée contre une décision sur la légalité de laquelle n’existe aucun doute sérieux.

(ord. réf. 7 mai 2020, M. X., n° 440264)

 

71 - Covid-19 - Police de la chasse - Ouverture de la chasse - Dispositions dérogatoires au principe de suspension des délais en période d’urgence sanitaire - Rejet.

L’association requérante demande la suspension de l’exécution de l'article 2 du décret n° 2020-453 du 21 avril 2020 - portant dérogation au principe de suspension des délais pendant la période d'urgence sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19 -, en particulier de ses 1°, 2°, 6° et 7°.

Il résulte de l'article 7 de l'ordonnance du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période que : « Sous réserve des dispositions de l'article 12, les délais prévus pour la consultation ou la participation du public sont suspendus jusqu'à l'expiration d'une période de sept jours suivant la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 susvisée ». L'article 9 de la même ordonnance permet que : « Par dérogation aux dispositions des articles 7 et 8, un décret détermine les catégories d'actes, de procédures et d'obligations pour lesquels, pour des motifs de protection des intérêts fondamentaux de la Nation, de sécurité, de protection de la santé, de la salubrité publique, de sauvegarde de l'emploi et de l'activité, de sécurisation des relations de travail et de la négociation collective, de préservation de l'environnement et de protection de l'enfance et de la jeunesse, le cours des délais reprend.

Pour les mêmes motifs, un décret peut, pour un acte, une procédure ou une obligation, fixer une date de reprise du délai, à condition d'en informer les personnes concernées ».

C’est dans ce cadre juridique que le décret attaqué du 21 avril 2020 portant dérogation au principe de suspension des délais pendant la période d'urgence sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19, prévoit, en son article 2 : « En application du second alinéa de l'article 9 de l'ordonnance du 25 mars 2020 susvisée (…) reprennent leur cours, sept jours à compter de la publication du présent décret, les délais des procédures suivantes : 1° La procédure d'adoption, sur le fondement des dispositions de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, de l'arrêté relatif à la mise en place à titre expérimental de mesures d'effarouchement de l'ours brun dans les Pyrénées pour prévenir les dommages aux troupeaux ; 2° La procédure d'adoption, sur le fondement des dispositions de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, de l'arrêté de dérogation à la protection des bouquetins en cœur de massif du Bargy ; (...) 6° La procédure de consultation du public préalable à l'édiction, sur le fondement des articles L. 424-2 et R. 424-1 et suivants du code de l'environnement, des arrêtés préfectoraux fixant les dates d'ouverture et fermeture de la chasse; 7° La procédure de consultation du public préalable à l'édiction, sur le fondement des articles L. 425-8, R. 425-1-1 et R. 425-2 du code de l'environnement, des arrêtés préfectoraux arrêtant le prélèvement minimum et maximum de grand gibier ».

Le juge des référés du Conseil d’État rejette le recours dont il est saisi en tant qu’il est dirigé contre les 1°, 2°, 6° et 7° précités. Il relève tout d’abord, ce qui semble avoir été perdu de vue par l’association demanderesse, que ces dispositions ont pour seul objet de permettre, par exception à la suspension générale des délais prévus pour la consultation ou la participation du public, la reprise du cours des délais des procédures d'adoption de certains actes administratifs ayant eux-mêmes une incidence sur l'environnement et soumis à ce titre à participation du public, et qu'elles n'ont par elles-mêmes aucune incidence sur l'environnement.

Par suite sont rejetés les moyens tirés de la non-consultation du Conseil national de la chasse et de la faune sauvage (cf. article L. 421-1 A, code l'env.) et du Conseil national de la protection de la nature (cf. art. L. 134-2, R. 134-20 et L. 411-2 du code préc.), tout comme celui de l’absence de contreseing du ministre de l’agriculture sur le décret contesté.

Semblablement ne saurait prospérer l’argument selon lequel les dispositions contestées n’entrent dans aucun des motifs énumérés à l’art. 9 de l'ordonnance du 25 mars 2020, pour lesquels il peut être dérogé à l'article 7 de cette ordonnance, dès lors que les actes susceptibles d'être pris au terme des procédures dont le cours est repris, concernent la sauvegarde de l'emploi et de l'activité, pour ce qui est de l'effarouchement de l'ours brun dans les Pyrénées, la protection de la santé et la sauvegarde de l'emploi et de l'activité, pour ce qui est du prélèvement de bouquetins porteurs de la brucellose dans le massif du Bargy, la sauvegarde de l'emploi et de l'activité, pour ce qui est de l'ouverture anticipée de la chasse pour réguler les populations notamment de sangliers, de cervidés et de blaireaux, enfin, la protection de l'environnement et la sauvegarde de l'emploi et de l'activité, pour ce qui est de la fixation des quotas de prélèvement de grand gibier.

Les autres moyens, pas ou faiblement démontrés, sont également rejetés.

(ord. réf. 15 mai 2020, Association pour la protection des animaux sauvages, n° 440462)

 

72 - Covid-19 - Contrôle du respect des règles de confinement - Utilisation de drones par la préfecture de police de Paris - Capture et utilisation d’images - Recueil de données à caractère personnel - Respect de la vie privée - Annulation de l’ordonnance de rejet.

Les associations requérantes demandaient au juge d’appel du référé liberté du Conseil d’État d’annuler l’ordonnance du premier juge rejetant - pour défaut d’atteintes aux libertés fondamentales qu’elles invoquaient - leur demande tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de police de Paris de cesser d'utiliser le dispositif visant à capter des images par drones, à les enregistrer, à les transmettre et à les exploiter aux fins de faire respecter les mesures de confinement en vigueur à Paris pendant la période d'état d'urgence sanitaire.

Le juge du Conseil d’État annule l’ordonnance contestée.

Pour admettre l’existence d’une urgence à statuer, le juge retient le nombre de personnes susceptibles de faire l'objet d’un tel mode de surveillance, ses effets ainsi que la fréquence et le caractère répété de ces mesures litigieuses.

S’agissant de déterminer l’existence d’une atteinte grave aux libertés fondamentales invoquées, le juge rappelle tout d’abord la légitimité du recours à un tel dispositif, au regard tant de la doctrine d'usage telle qu'elle a été formalisée par la fiche du 14 mai 2020 que de la pratique actuelle formalisée dans cette note, en raison de l’impératif de sécurité publique. En soi, l’usage de ce moyen et des techniques qui l’accompagnent ne contrevient pas aux libertés fondamentales.

Cependant, en raison de sa finalité, ce dispositif de surveillance ressortit au champ d'application matériel de la directive du 27 avril 2016 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d'enquêtes et de poursuites en la matière ou d'exécution de sanctions pénales, et à la libre circulation de ces données, laquelle s’applique, aux termes de son article 1er aux traitements de données à caractère personnel institués " y compris [pour] la protection contre les menaces pour la sécurité publique et la prévention de telles menaces ". Or les données susceptibles d'être collectées par le moyen de drones doivent être regardées comme revêtant un caractère personnel, alors même que le ministère de l’intérieur assure que les données ainsi collectées ne revêtent pas un caractère personnel en raison des règles et précautions prises par la note du 14 mai 2020, car il résulte de l'instruction que les appareils en cause qui sont dotés d'un zoom optique et qui peuvent voler à une distance inférieure à celle fixée par la note précitée sont susceptibles de collecter des données identifiantes et ne comportent aucun dispositif technique de nature à éviter, dans tous les cas, que les informations collectées puissent conduire, au bénéfice d'un autre usage que celui actuellement pratiqué, à rendre les personnes auxquelles elles se rapportent identifiables. Il s’ensuit donc que ce dispositif de surveillance constitue un traitement au sens de la directive de 2016.

La création et le fonctionnement de ce fichier relèvent donc des dispositions de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés qui sont applicables aux traitements compris dans le champ d'application de cette directive. Ce fichier ne pouvait pas, par suite, être instauré sans l'intervention préalable d'un texte réglementaire en autorisant la création et en fixant les modalités d'utilisation devant obligatoirement être respectées ainsi que les garanties dont il doit être entouré, texte devant être précédé d’un avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Est ainsi établie l’atteinte par ce procédé aux libertés fondamentales.  La cessation immédiate de l’usage de drones à cette fin et selon les modalités actuelles est ordonnée.

Le juge prononce en conséquence une injonction alternative : soit l’État prend un texte réglementaire, après avis de la CNIL, autorisant, dans le respect des dispositions de la loi du 6 janvier 1978, la création d'un traitement de données à caractère personnel, soit l’État dote les appareils utilisés par la préfecture de police de dispositifs techniques de nature à rendre impossible, quels que puissent en être les usages retenus, l'identification des personnes filmées.

(ord. réf. 18 mai 2020, Association " La Quadrature du Net ", n° 440442 ; Ligue des droits de l’homme, n° 440445, jonction)

 

73 - Covid-19 - Tenue des foires et marchés - Fêtes foraines - Interdiction - Demande de réouverture - Rejet.

Les organisations requérantes demandaient au juge du référé liberté du Conseil d’État, d'ordonner la suspension de l'exécution des dispositions de l'article 7 du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 dont l'alinéa 1er interdit " tout rassemblement, réunion ou activité (...) mettant en présence de manière simultanée plus de dix personnes " et, à titre subsidiaire, d'autoriser les fêtes foraines réunissant, de manière simultanée, 1 500 personnes. Elles invoquent l’urgence née de l’atteinte grave et manifestement illégale ainsi portée à la liberté du commerce et de l'industrie car les forains se trouvent dans l'incapacité totale d'exercer leur métier et ne disposent d'aucune perspective d'avenir ni de certitude d'obtenir des dérogations d'exercice auprès des maires et des préfets et le fait que les mesures prises par le gouvernement ne sont plus ni nécessaires ni proportionnées au vu de l'évolution de la situation actuelle de crise sanitaire ainsi que le caractère peu probable d'une seconde vague estivale de contamination. Enfin, elles se prévalent à cet égard des dérogations d'ouverture dont bénéficient actuellement certains marchés ouverts et celles dont bénéficieront certains parcs à thème avec des attractions à partir du 12 juin prochain, alors que les conditions d'exercice de ces activités sont proches de celles exercées par les forains.

Le recours est rejeté selon une motivation un peu trop « passe-partout » nous semble-t-il. Qu’on en juge : «  Eu égard aux circonstances exceptionnelles au vu desquelles le décret attaqué a été pris et qui ont conduit le législateur à déclarer puis prolonger l'état d'urgence sanitaire jusqu'au 10 juillet 2020, à l'intérêt public qui s'attache aux mesures prises, qui restreignent les déplacements pour lutter contre la reprise de la propagation du virus du Covid-19 pendant la période de déconfinement, et, enfin, à la conciliation entre les droits et libertés et l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé, il est manifeste que les associations requérantes, qui ne font état d'aucune circonstance particulière de nature à justifier une intervention à très bref délai du juge des référés, ne remplissent pas la condition d'urgence requise par l'article L. 521-2 du code de justice administrative ». On regrettera qu’il ne soit pas répondu à l’argument tiré du traitement plus souple d’activités présentant des risques comparables et, surtout, qu’il soit avancé que le juge du référé urgent ne pourrait pas ordonner de mesures significatives exécutables à bref délai.

(ord. réf. 28 mai 2020, Union de défense active des forains (UDAF) et France Liberté Voyage, n° 440837)

 

Professions réglementées

 

74 - Chirurgien-dentiste salarié - Non-accomplissement de son obligation de jour de garde - Sanction disciplinaire - Absence de volonté de se soustraire à ses obligations de permanence - Annulation.

Est irrégulière la sanction infligée par une instance ordinale à un chirurgien-dentiste salarié du fait qu’il s’est soustrait un jour à son obligation d’assurer son tour de garde alors qu'il ressortait des pièces du dossier que son employeur avait refusé de mettre à sa disposition les moyens propres à lui permettre d'assurer effectivement sa garde dans le centre de santé où il exerce comme salarié et qu'il en avait informé par avance, plusieurs fois, le conseil départemental de l'ordre des chirurgiens-dentistes en vue qu'une solution puisse être trouvée. Dès lors, il ne pouvait être regardé comme s'étant délibérément abstenu de participer à la permanence des soins dentaires.

(29 mai 2020, M.X., n° 422956)

 

75 - Société civile professionnelle (SCP) de vétérinaires - Sanction disciplinaire - Appel de la décision l’infligeant - Impossibilité d’aggravation sur appel de la personne sanctionnée - Notion de peine aggravée - Réduction de la durée de la peine mais extension de son champ territorial d’application - Rejet.

A la suite d’infractions aux règles régissant la vente de médicaments vétérinaires, une SCP et l’un de ses associés font l’objet d’une sanction, finalement ramenée de six à quatre mois, de suspension temporaire du droit d'exercer la profession de vétérinaire, assortie d’un sursis pour trois de ces mois mais avec extension du champ géographique de cette sanction du ressort de la chambre régionale de discipline de Normandie à l'ensemble du territoire national. Les intéressés se pourvoient en cassation contre ces décisions du conseil national de l’ordre au motif qu’elles aggravent la sanction prononcée en première instance.

Le juge rappelle le principe général du droit disciplinaire et d’ordre public, qui n’est pas propre aux sanctions applicables aux seules professions libérales mais concerne toutes les sanctions professionnelles relevant du droit public, selon lequel une sanction infligée en première instance par une juridiction disciplinaire ne peut pas être aggravée par le juge d'appel lorsqu'il n'est régulièrement saisi que du recours de la personne frappée par la sanction.

En l’espèce se posait précisément la question de savoir si la juridiction d’appel (i. e. le conseil national de l’ordre) avait aggravé ou non la sanction prononcée par les premiers juges. Ces derniers avaient ordonné une suspension d’exercer pendant six mois, assortie d’un sursis de trois mois, applicable dans le ressort territorial de la juridiction, soit la Normandie. En appel, la durée de la suspension avait été réduite de six à quatre mois, avec durée inchangée du sursis, mais étendue à la France entière. La sanction avait-elle été aggravée ? Pour résoudre la difficulté le juge de cassation propose de retenir la définition suivante : « la gravité d'une sanction d'interdiction prononcée par la juridiction disciplinaire s'apprécie au regard de son objet et de sa durée, indépendamment des modalités d'exécution de la sanction, notamment de l'octroi éventuel d'un sursis ou de la fixation de son champ géographique d'application ». En conséquence, la requête est rejetée.

On peut ne pas être d’accord avec la solution et estimer que l’octroi d’un sursis, partiel ou total, a bien, sur le plan disciplinaire, une signification certaine : condamner avec sursis ou sans sursis n’est pas du tout équivalent surtout dans les matières déontologiques. Semblablement, étendre d’une région à la France entière une suspension temporaire du droit d’exercer une profession libérale participe bien de la « peine » infligée et donc de son quantum, elle en est, par suite, une aggravation. 

(29 mai 2020, Société civile professionnelle X.-Y., n° 421569)

 

76 - Chirurgiens-dentistes - Titres et mentions pouvant figurer sur les plaques et imprimés professionnels - Autorisation préalable obligatoire du Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes - Refus par ce dernier de reconnaitre la qualité de membre titulaire de la Société française d'orthopédie dento-faciale (SFODF) - Erreur d’appréciation - Annulation et injonction à l’ordre de reconnaitre ce titre.

Le conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes ayant refusé de reconnaître le titre de membre titulaire de la Société française d'orthopédie dento-faciale (SFODF) et ayant décidé que la mention de ce titre ne peut figurer sur les plaques et imprimés professionnels des chirurgiens-dentistes, la SFODF demande au Conseil d’État l’annulation de ces décisions. Le conseil national de l’ordre a justifié ces refus sur le fait que ce que ce titre ne sanctionne aucune formation dispensée par la SFODF, que ses critères d'obtention ne répondent à aucun « référentiel professoral ou référentiel métier » et que, par suite, sa mention sur les plaques et imprimés professionnels des chirurgiens-dentistes est dépourvue d'intérêt pour les patients. 

Pour recevoir le recours et annuler les décisions litigieuses le juge relève qu’il : «  ressort des dispositions de son statut et de son règlement intérieur (…) que la SFODF exerce, dans une discipline reconnue et pratiquée par des chirurgiens-dentistes, une mission de veille scientifique et pratique, d'étude, d'expertise et de diffusion des connaissances, qu'elle dispose de moyens d'action adaptés à cette mission et que, contrairement à ce que soutient en défense le Conseil national de l'ordre de chirurgiens-dentistes, l'obtention du titre de membre titulaire de la SFODF est subordonnée à une appréciation portée sur la qualité des travaux des candidats par les instances dirigeantes de l'association ».

Le conseil de l’ordre défendeur a ainsi commis une erreur d’appréciation en estimant que la mention du titre de membre titulaire de la SFODF n'apportait pas une information pertinente aux patients et était dépourvue d'intérêt pour eux.

(29 mai 2020, Société française d'orthopédie dento-faciale (SFODF), n° 419449)

 

77 - Vétérinaires - Société de participations financières de vétérinaires - Aptitude à être inscrite sur la liste spéciale prévue à l'article R. 241-106 du code rural et de la pêche maritime - Refus d’inscription - Erreur de droit - Cassation sans renvoi.

Commet une erreur de droit le conseil national de l’ordre des vétérinaires qui, pour refuser l’inscription d’une société de participations financières de profession libérale de vétérinaires par actions simplifiées sur la liste spéciale prévue à l'article R. 241-106 du code rural et de la pêche maritime, argue de ce qu’il résulterait des dispositions du II de l'article 31-1 de la loi du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, que celles-ci ne permettraient qu'à des personnes physiques exerçant la profession de vétérinaire de détenir la majorité du capital et des droits de vote d'une société de participations financières de profession libérale de vétérinaires et qu'au cas d'espèce, la majorité du capital social de la société de participations financières de profession libérale de vétérinaires du Mittelberg est détenue, non par une personne physique, mais par la société par actions simplifiée du Mittelberg. 

En effet, il résulte tant de l’art. 31-1 de la loi du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé que de l’art. L. 241-17 du code rural et de la pêche maritime, que les sociétés de participations financières de profession libérale de vétérinaires peuvent être constituées entre des personnes exerçant la profession de vétérinaire et détenant la majorité du capital et des droits de vote et que ces personnes - contrairement à ce qu’a jugé le Conseil national -, peuvent être tant des personnes physiques que des personnes morales. 

(29 mai 2020, M. X. et société de participations financières de profession libérale de vétérinaires par actions simplifiées du Mittelberg, n° 416413)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

78 - Directeurs généraux des chambres de commerce et d’industrie - Régime de gestion de ces agents - Méconnaissance par un décret du champ d’application de l’art. 34 de la Constitution - Demande de renvoi d’une QPC - Rejet.

Les deux organisations requérantes, au soutien de leurs requêtes tendant à l'annulation du décret n° 2019-1227 du 26 novembre 2019 relatif aux règles de gestion des directeurs généraux agents publics des établissements publics du réseau des chambres de commerce et d'industrie, soulevaient une QPC à l’encontre de l’art. L. 711-6 du code de commerce, sur la base duquel a été pris le décret attaqué, en tant qu’il méconnaît l'art. 34 de la Constitution, selon lequel la détermination des principes fondamentaux du droit du travail et du droit syndical relève du législateur ainsi que les principes constitutionnels, issus du Préambule de la Constitution de 1946, de liberté syndicale et de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail, le principe d'égalité, le principe de liberté contractuelle et d'intangibilité des contrats, ainsi que l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intangibilité de la loi.

Le Conseil d’État rejette les recours en QPC et en refuse donc le renvoi motifs pris de ce que :

1°  conformément à la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où est affecté un droit ou une liberté que la Constitution garantit, ce qui n’est pas le cas en l’espèce où n’est pas concernée la détermination collective des conditions de travail, ce qui ne saurait, par suite, affecter les principes énoncés au huitième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

2° les dispositions contestées ne méconnaissent ni le principe d'égalité devant la loi, ni la liberté contractuelle.

3° la méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intangibilité de la loi ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité.

(27 mai 2020, Association des directeurs généraux des chambres de commerce et d'industrie, n° 437859 ; Syndicat des directeurs généraux des établissements du réseau des chambres de commerce et d'industrie, n° 437862, jonction)

 

79 - Covid-19 - Élections municipales 2020 - Organisation du second tour de scrutin - Dispositions des I, III et IV de l'article 19 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 - Droits et libertés garantis par la Constitution - Principe de sincérité du scrutin - Renvoi d’une QPC au Conseil constitutionnel.

(25 mai 2020, M. X. et autres, n° 440217) V. n° 34

 

80 - Art. L. 480-14 du code de l’urbanisme - Défaut de permis ou d’autorisation de construire, d’aménager ou de démolir - Saisine du juge judiciaire en vue de faire ordonner la démolition ou la mise en conformité d'un ouvrage édifié ou installé sans l’autorisation requise - Prescription de l’action civile - Atteinte au droit de propriété - Question présentant un caractère sérieux - Renvoi d’une QPC.

(29 mai 2020, M. X., n° 436834) V. n° 96

 

Santé publique

 

81 et 82 - Covid- 19 - Mesures de réquisition de masques sanitaires - Imprécisions portant atteinte à plusieurs libertés fondamentales - Rejet.

Les demandeurs, trois médecins et un pharmacien, sollicitent que soit ordonnée, sur le fondement de l’art. L. 521-2 CJA, la suspension de l'exécution des dispositions de l'article 12 du décret du 23 mars 2020 et d'enjoindre à l'État de prendre, sans attendre, de nouvelles dispositions précisant et encadrant plus strictement le droit de réquisition des masques car, en l’état, les dispositions contestées sont entachées d'imprécisions qui dissuadent les personnes susceptibles de vendre des masques au public et aux personnels soignants qui en manquent de le faire, ce qui porterait atteinte au droit au respect de la vie, à la liberté d'entreprendre, à la liberté du commerce et de l'industrie et au droit de propriété.

Le juge rejette, en ses trois chefs, la demande des requérants.

En premier lieu, est relevé le fait que « la réquisition d'un bien mobilier est considérée comme effectuée en propriété. Le moyen invoqué ne saurait être retenu alors, au surplus, que les modèles de masques en cause ne sont, pour la plupart, pas réutilisables ». Il ajoute encore que si les préfets sont habilités, en cas de nécessité, à ordonner la réquisition de masques (cf. l’art. 12-1 du décret du 23 mars 2020 précité) tel n’est pas le cas des maires, la police spéciale de l’urgence sanitaire ne leur appartenant pas en vertu d’une jurisprudence récente du Conseil d’État (ord. réf. 17 avril 2020, Commune de Sceaux, n° 440057 ; V. cette chronique, avril 2020 n° 43).

En deuxième lieu, répondant à l’argument selon lequel la notion de stocks serait imprécise en ce qu’elle ne permet pas de savoir si les stocks en cause sont ceux qui étaient constitués sur le territoire national à la date de l'entrée en vigueur du texte ou bien ceux qui le sont à tout instant, le Conseil d’État juge que le renvoi que le III de l’art. 12 du décret précité fait aux I et II est très précis quant à l’énumération des réquisitions qui sont couvertes. Le moyen, manquant en droit, est rejeté.

En troisième lieu, alors qu’il était soutenu que les dispositions contestées auraient dû préciser s'il est autorisé, notamment pour les pharmacies d'officine, de vendre les masques qui ne font pas l'objet de réquisitions, le juge rejette le moyen dès lors que les dispositions contestées par les requérants « n'ont ni pour objet ni pour effet d'interdire la vente, pour les modèles en cause, des masques qui ne sont pas réquisitionnés ».

(ord. réf. 5 mai 2020, M. X. et autres, n° 440229)

(82) V. aussi, très comparable, le rejet d’un recours tendant à ce que soient attribués en quantités suffisantes, au personnel soignant, au besoin par réquisition, des masques, des sur-blouses et des lunettes de protection, avec cette importante précision que l’insuffisance caractérisée de ces matériels ne suffit pas, par elle-même, à établir une carence manifeste des pouvoirs publics de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale : ord. réf. 22 mai 2020, Syndicat Jeunes Médecins, n° 440321.

 

83 - Covid-19 - Étrangers - Centre de rétention de Vincennes - Mesures sanitaires - Étrangers détectés positifs au Covid-19 - Respect de la quatorzaine - Rejet et admission partiels.

Les organisations et individus requérants avaient obtenu du juge des référés de première instance, par voie de référé liberté, qu’il soit enjoint aux autorités compétentes, respectivement aux articles 1er, 2 et 3 de son ordonnance, de ne pas placer d'étrangers en rétention dans ce centre durant une période de quatorze jours (art. 1er), d'isoler et de confiner toute personne placée dans ce centre qui présenterait des symptômes de contamination par le virus Covid-19, en lui permettant un accès aux soins (art. 2) et de lever la rétention de tout étranger qui serait testé positif au Covid-19 en l'orientant vers un centre de l'Agence régionale de santé d'Ile-de-France (art. 3).

Ils ont saisi à nouveau ce juge sur le fondement de l'article L. 521-4 du CJA, de demandes tendant à ce qu'il modifie le dispositif de sa précédente ordonnance pour qu’il soit fait droit à leurs conclusions initiales.

Le préfet de police, pour sa part, a demandé au cours de cette seconde instance qu'il soit mis fin à l'injonction de lever la rétention des étrangers testés positifs au Covid-19 formulée à l'article 3 de la même ordonnance.

Le juge des référés ayant fait droit partiellement à cette dernière demande en mettant fin à cette injonction pour deux étrangers retenus et testés positifs au Covid-19 et ayant rejeté à la fois le surplus des conclusions du préfet ainsi que celles des autres requérants, le ministre de l'intérieur relève appel, à titre principal, des articles 1er et 3 de la première ordonnance et, à titre subsidiaire, de la seconde ordonnance en tant qu'elle a rejeté le surplus de ses conclusions.

Les conclusions du ministre dirigées contre l’article 1er de la première ordonnance sont rejetées pour non-lieu à y statuer dès lors que l’injonction qu’elle prononce interdit le placement des étrangers en rétention dans le centre de rétention administrative de Vincennes durant une période de quatorze jours, celle-ci ayant pris fin le 29 avril 2020. Cette injonction avait donc cessé de produire ses effets à la date de la présente ordonnance, d’où le non-lieu prononcé.

Les conclusions dirigées contre l’art. 3 précité de la première ordonnance sont admises, le ministre de l'intérieur soutenant à bon droit qu'eu égard aux mesures prises pour assurer la sécurité sanitaire du centre de rétention administrative de Vincennes, le maintien dans les lieux des étrangers testés positifs au Covid-19 ne saurait être regardé, contrairement à ce qu’a estimé le juge des référés en ses deux ordonnances, comme portant une atteinte grave et manifestement illégale au droit des intéressés et des autres personnes retenues dans le centre ou y intervenant au respect de la vie, au droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants ou au droit de recevoir les traitements et les soins appropriés à leur état de santé. Le juge retient aussi que les étrangers demeurant actuellement encore en rétention administrative (191 sur l'ensemble du territoire, dont 17 à Vincennes), présentent un risque particulier de troubles à l'ordre public. Toutefois, pour parvenir à répondre à ce moyen, le juge devait lever un obstacle procédural. Les défendeurs soutenaient que l'injonction prononcée par le juge des référés se bornait à reprendre les termes d'une « instruction » du ministre des solidarités et de la santé selon laquelle, en cas d'infection par le Covid-19, il y a lieu de procéder à la levée de la rétention de la personne concernée et d'envisager son orientation vers un centre d'hébergement dédié aux personnes atteintes de cette maladie. Ils estimaient, en conséquence que les conclusions dirigées contre cette injonction étaient irrecevables. L’argument est rejeté en ces termes : « la circonstance qu'une injonction prononcée par le juge administratif réitèrerait les termes d'une instruction administrative ne saurait, par elle-même, rendre irrecevables des conclusions d'appel tendant à son annulation ». La fin de non-recevoir est donc rejetée.

(ord. réf. 7 mai 2020, Ministre de l’intérieur, 440255)

 

84 et 85 - Covid- 19 - Régime de prescription de spécialités pharmaceutiques - Avis de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé - Données acquises de la science - Cas de l’hydroxychloroquine - Rejet.

Le requérant demandait la suspension d’exécution d’une part des dispositions du 2° de l'article 1er du décret du 25 mars 2020, qui introduisent un article 12-2 dans le décret du 23 mars 2020, et d’autre part, des dispositions de l'article 19 du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020.

Il s’agit d’un nouvel épisode de la saga de l’hydroxychloroquine dont l’univers semble aussi impitoyable que celui de la célèbre série Dallas

Sur le premier de ces textes le recours est rejeté car il a été abrogé par un décret du 11 mai 2020, antérieur donc au jour où est rendue la présente ordonnance.

Sur le recours dirigé contre le second texte, tous les moyens sont rejetés, l’efficacité de l’hydroxychloroquine n’ayant pas été encore établie et les protocoles actuellement adoptés ne répondant pas aux exigences ordinaires des essais pharmaceutiques et de laboratoire pour qu’en soient tirées des conclusions scientifiques pertinentes.

(ord. réf. 18 mai 2020, M. X., n° 440243)

(85) V. également, s’agissant d’un recours en vue de la suspension de l'arrêté du ministre des solidarités et de la santé du 13 janvier 2020 portant classement de l’hydroxychloroquine sur les listes des substances vénéneuses et donc interdiction de dispenser du Plaquenil en dehors d'une prescription médicale, cela en violation de diverses libertés fondamentales (droit à la vie, droit à la protection de la santé, droit d'accès aux soins, droit de recevoir les traitements et les soins appropriés à l’état de santé du patient, liberté de prescription des médecins, liberté de dispensation des pharmaciens et libre circulation des marchandises garantie par le droit de l'Union européenne), son rejet pour défaut de démonstration de l’urgence que présenterait une levée des précautions particulières qui entourent la prescription et la délivrance des médicaments contenant cette substance et qui ont été édictées dans l'intérêt de la santé publique : ord. réf. 29 mai 2020, M. X. et autres, n° 440631

 

86 - Demande de suspension temporaire de la vente sur internet de produits contenant de la nicotine - Distinction du tabac et de la nicotine en matière de dépendance - Rejet.

Était demandée la suspension de l'exécution de l'arrêté du 23 avril 2020 interdisant la vente par internet de spécialités contenant de la nicotine, cet arrêté, d’une part, reposant sur une confusion entre tabac et nicotine, alors que celle-ci n'entraîne aucune addiction, et d’autre part, portant une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie, dès lors qu'il incite les personnes concernées à se déplacer physiquement pour obtenir de la nicotine ou à consommer du tabac.

La demande est, sans grande surprise, rejetée en ses deux arguments.

Premièrement, l’arrêté attaqué ne repose pas sur la confusion entre nicotine et tabac contrairement à ce qui est allégué par le demandeur en référé.

Secondement, la restriction critiquée, en ce qu’elle est limitée aux possibilités de se procurer les substances en cause, est exactement appropriée au besoin de prévenir les risques de consommation excessive ou de mésusage des substituts nicotiniques et de garantir l'approvisionnement des personnes qui en ont besoin dans le cadre d'un sevrage tabagique.

Le demandeur n’est ainsi pas fondé à soutenir que la mesure prise ferait courir des risques excessifs aux personnes concernées ou bien les inciterait à consommer du tabac.

(ord. réf. 8 mai 2020, M. X., n° 440387)

 

87 - Covid-19 - Interruption volontaire de grossesse - Prescription de spécialités pharmaceutiques à base de l’antiprogestérone mifepristone et à base de prostaglandine misoprostol - Prescription en dehors du cadre de leur autorisation de mise sur le marché - Dérogation à l'article L. 5121-8 du code de la santé publique - Incompétence du ministre de la santé - Rejet.

Les trois associations demandaient par voie de référé la suspension de l’exécution du 3° de l'article 1er de l'arrêté du 14 avril 2020 du ministre de la santé complétant l'arrêté du 23 mars 2020 prescrivant les mesures d'organisation et de fonctionnement du système de santé nécessaires dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire et de leurs deux annexes afin de permettre la pratique des avortements en dehors des établissements de santé, par voie médicamenteuse, au-delà de la cinquième semaine de grossesse qui était jusqu’à cette date la limite réglementaire pour accomplir ces actes dans ces conditions, et ce jusqu’à la septième semaine. Elles invoquaient des motifs d’illégalité de forme (incompétence de l’auteur des actes attaqués et dérogations non conformes aux dispositions du code de la santé publique) et de fond (violation des conditions posées par l'art. L. 3131-16 du code de la santé publique, car les mesures en cause ne sont ni nécessaires ni proportionnées aux risques sanitaires encourus et aux circonstances de temps et de lieu ; mise en danger de la santé des femmes et particulièrement des mineures).

Leurs recours, joints, sont rejetés.

Le juge, replaçant les requêtes dans le contexte de la réglementation applicable aux avortements intervenant avant la fin de la douzième semaine de grossesse et à ceux réalisés par voie médicamenteuse, se prononce sur les divers moyens dont il est saisi.

Tout d’abord, il rejette l’argument tiré de l’incompétence du ministre de la santé pour prendre l’arrêté litigieux en lieu et place du premier ministre car cette mesure contribuerait à ralentir la progression de l’épidémie de Covid-19. Cette réponse se concilie mal avec le fait qu’en cours de procédure les parties avaient été avisées de ce que la décision du juge des référés du Conseil d’État était susceptible d'être fondée sur le moyen, relevé d'office, selon lequel certaines des dispositions de l'arrêté contesté pourraient être regardées comme entachées d'incompétence, faute d'avoir été édictées par le premier ministre, sur le fondement du 9° de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique. Il faut croire que la doctrine du juge a évolué encore que l’on puisse se demander en quoi la signature du premier ministre n’aurait pas permis d’aboutir aussi bien au moins au même résultat.

Ensuite, examinant la légalité interne de la décision attaquée, le juge rejette le moyen tiré de ce que l’autorisation donnée de pratiquer des avortements en dehors des établissements de santé après cinq semaines de grossesse et jusqu’à sept semaines ne serait ni strictement nécessaire et proportionnée aux risques sanitaires encourus, ni appropriée aux circonstances de temps et de lieu alors que le protocole, y compris en cas de téléconsultation a été validé par le Haut conseil de santé publique. Également n’est pas retenu l’argument tiré des risques encourus par les intéressées du fait d’un avortement médicamenteux, cette pratique existant dans plusieurs pays ni, non plus, celui fondé sur l’application de cette disposition aux mineures, le juge relevant qu’à leur égard sont maintenues les autres dispositions protectrices du code de la santé publique.

Semblablement est rejetée l’objection résultant de ce que les médicaments nécessaires à une interruption volontaire de grossesse par voie médicamenteuse faisant l'objet d'une prescription non conforme à l'autorisation de mise sur le marché sont délivrés par le pharmacien d'officine désigné par la patiente, au mépris des obligations déontologiques de celui-ci, car les dispositions contestées ne font pas, par elles-mêmes, obstacle au respect des devoirs déontologiques des pharmaciens énoncés aux articles R. 4235-1 et suivants du code de la santé publique. Pas davantage, n’est admise l’existence d’une « clause de conscience » au bénéfice des pharmaciens comme il en va pour les médecins et les sages-femmes, ces derniers se trouvant dans une situation différente.

L’absence d’indication concernant la cessation de l’application de ces mesures dérogatoires n’entache pas d’illégalité l’arrêté attaqué, l’article L. 3131-16 du code de la santé publique disposant qu’il est mis fin aux mesures prescrites en application de cet article « sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires » et la preuve qu’il en est d’ores et déjà ainsi n’étant pas rapportée.

(ord. réf. 22 mai 2020, Association Alliance Vita et l'association Juristes pour l'enfance, n° 440216 ; Association Pharmac'éthique, n° 440317, jonction)

 

88 - Référé suspension - Dispositifs médicaux pris en charge par la sécurité sociale - Modification des conditions de prise en charge - Doute sérieux - Urgence - Octroi du sursis.

(ord. réf. 8 mai 2020, Société Innov'sa, n° 440213) V. n° 9

89 - Covid-19 - Usage de fontaines à eau sur les lieux de travail - Interdiction ou recommandation de ne pas les utiliser - Préconisations fixées par des fiches-conseils du ministère du travail - Guides de recommandations établis par des organisations professionnelles - Rejet.

 (ord. réf. 29 mai 2020, Association française de l'industrie des fontaines à eau (AFIFAE), n° 440452) V. n° 32

 

Service public

 

90 - Covid -19 - Enseignement - Accueil des enfants des personnels de santé en milieu scolaire - Instructions contraires existantes ou supposées - Rejet.

Le requérant demande la suspension de l'exécution de la consigne d'isolement des enfants de soignants lors de leur retour à l'école à compter du 12 mai 2020, s'il est avéré qu'une telle consigne a été donnée par le Gouvernement. En l'absence d'une telle consigne, il demande au juge d'enjoindre à l'État de diffuser largement, notamment aux recteurs et directeurs d'écoles élémentaires, au plus tard le 12 mai 2020, une information quant à la nécessité d'accueillir les enfants de personnels de santé de manière identique aux autres élèves et, lorsqu'ils n'appartiennent pas aux groupes d'élèves pour lesquels les écoles sont rouvertes, quant à la nécessité de les accueillir dans les conditions prévues à l'article 10 du décret n° 2020-545 du 11 mai 2020.

Ces demandes sont rejetées car le juge constate, d’une part, qu’il n’existe aucune instruction du gouvernement contenant une telle consigne, et d’autre part, que le ministre de l’éducation a expressément rappelé la nécessité d’accueillir ces enfants compte tenu de la profession des parents.

Enfin, s’agissant de celles des conclusions du syndicat requérant tendant à ce qu'il soit enjoint au Gouvernement de prendre les mesures règlementaires garantissant l'accueil des enfants des personnels prioritaires dans toutes les communes, elles ne sont pas assorties des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé, ce qui entraîne leur rejet. 

(ord. réf. 12 mai 2020, Syndicat Jeunes médecins, n° 440460)

 

91 - Enseignement supérieur - École normale supérieure de Lyon - Irrégularité de la composition de son conseil d’administration - Risque d’illégalité subséquente de ses décisions - Urgence à statuer - Rejet.

La circonstance que la composition actuelle du conseil d’administration de l’École normale supérieure de Lyon serait irrégulière et risquerait d’entacher d’illégalité d’importantes décisions que ce dernier est amené à prendre prochainement ne caractérise pas une urgence justifiant l’intervention du juge du référé suspension car les incidences que pourrait avoir l'annulation des actes attaqués sur des décisions ultérieures, dont la date au surplus est à ce jour incertaine, ne sont pas, par elles-mêmes, de nature à caractériser une telle urgence.

(ord. réf. 19 mai 2020, M. X. et Mme Y., n° 440372)

 

92 - Covid-19 - Services funéraires à Mayotte - Interdiction de toilette mortuaire - Ensachage immédiat des corps - Absence de carence de l’agence régionale de santé (ARS) - Rejet.

Les requérants sollicitaient du juge du référé liberté du Conseil d’État l’annulation du rejet, par le juge des référés de première instance, de leur demande tendant à ce qu’il soit ordonné à l'ARS de Mayotte de communiquer, d'afficher dans les centres de soins et les centres de consultations périphériques, ainsi qu'en mairie avec une traduction en shimaore et en kibushi, et de mettre en application à Mayotte dans un délai de 24 heures un protocole de santé disposant que :

« Jusqu'au 30 juin 2020 :

- les soins de conservation définis à l'article L. 2223-19-1 du code général des collectivités territoriales sont interdits sur le corps des personnes décédées ;

- les défunts atteints ou probablement atteints de Covid-19 au moment de leur décès font l'objet d'une mise en bière immédiate. La pratique de la toilette mortuaire est interdite pour ces défunts ;

- les défunts doivent être placés dans des housses avant leur remise aux familles ou aux opérateurs funéraires par le Centre hospitalier de Mayotte ainsi que dans les dispensaires de l’archipel ;

- les défunts atteints ou probablement atteints de Covid-19 au moment de leur décès ne peuvent être transportés en dehors du département. Leur inhumation et obligatoire ».

Le recours est rejeté car le juge estime que l’ARS a toujours œuvré dans le souci de la protection de la santé soit au moyen de mesures ou d’actes, dont certains ne lui incombaient d’ailleurs pas, soit en rappelant les consignes particulières à la rédaction des certificats de décès (tant pour ce qui regarde leur forme que le délai de leur rédaction), soit en suscitant des réunions avec les diverses parties prenantes et en favorisant constamment la participation des entreprises funéraires. Dès lors aucune carence constitutive d’une atteinte à une liberté fondamentale ne saurait lui être reprochée ainsi que l’a, à juste titre, estimé le premier juge.

(ord. réf. 22 mai 2020, Sarl Transport Posthume de Mayotte et autres, n° 440438)

 

93 - Covid-19 - Référé de l’art. L. 523-1 CJA - Circulaire ministérielle relative à la réouverture des écoles et des établissements scolaires et aux conditions de poursuite des apprentissages - Ministre chef du service de l’éducation - Obligation pour lui de réglementer - Illégalité à se borner à recommander - Incompétence du juge de ce référé - Rejet.

(ord. réf. 11 mai 2020, Fédération des syndicats Sud Education, n° 440455) V. n° 15

 

Travaux publics et expropriation

 

94 - Droit de propriété - Travaux et constructions publics empiétant sur une propriété privée - Obligation de remettre les lieux en état - Absence de caractère automatique d’urgence d’une action en vue de protéger ou rétablir une liberté fondamentale - Annulation de l’ordonnance du premier juge.

(28 mai 2020, Commune de Morne-Vert, n° 440522) V. n° 7

 

Urbanisme

 

95 - Permis de construire - Lotissement - Recours en annulation du permis de lotir - Pourvoi en cassation - Référé suspension - Règles applicables devant le juge de cassation - Irrecevabilité - Rejet.

La société requérante avait demandé, en vain, aux premiers juges, l’annulation de l’arrêté municipal accordant un permis de construire valant division parcellaire et construction de vingt villas individuelles groupées à usage d'habitation, ainsi que la décision du maire rejetant le recours gracieux formé contre cet arrêté. Elle a saisi la cour administrative d’appel d’un appel à fin d’annulation du jugement de rejet. Cette demande a été transmise au Conseil d’État, le tribunal administratif ayant statué en premier et dernier ressort (art. R. 351-2 CJA).

Par une seconde requête, cette société a demandé au juge des référés de la cour d'ordonner la suspension de l'exécution du permis ainsi que de la décision rejetant son recours gracieux. Celle-ci a été, à son tour, transmise au Conseil d’État (art. R. 351-2 CJA).

Le Conseil d’État était donc saisi d’un pourvoi contre le premier jugement et d’un recours en référé suspension, ce dernier fait l’objet de la présente décision.

S’il estime que c’est à bon droit que lui a été transmis le recours dirigé contre le jugement, le Conseil d’État rappelle, en revanche, qu'une demande de suspension de l'exécution d'une décision administrative ne peut être présentée au juge des référés que si la juridiction dont il dépend est elle-même saisie d'une requête en annulation ou en réformation de cette décision. Il s’ensuit :

- d’une part, que des conclusions à fin de suspension ne sont pas recevables devant le Conseil d’État, juge de cassation, qui est saisi d'une requête dirigée contre la décision juridictionnelle attaquée devant lui et qui n'a pas à examiner la légalité ou le bien-fondé de la décision administrative contestée avant d'avoir, le cas échéant, annulé cette décision,

- et, d’autre part, qu’eu égard à l'office du juge de cassation, une telle impossibilité de lui soumettre une demande de suspension tant qu'il ne s'est pas prononcé sur la légalité de la décision juridictionnelle attaquée devant lui ne méconnaît pas les exigences du droit à un recours effectif.

(7 mai 2020, Société Provence Lotissements, 440279)

 

96 - Art. L. 480-14 du code de l’urbanisme - Défaut de permis ou d’autorisation de construire, d’aménager ou de démolir - Saisine du juge judiciaire en vue de faire ordonner la démolition ou la mise en conformité d'un ouvrage édifié ou installé sans l’autorisation requise - Prescription de l’action civile - Atteinte au droit de propriété - Question présentant un caractère sérieux - Renvoi d’une QPC.

Présente un caractère sérieux la question de savoir si les dispositions de l’art. L. 480-14 du code de l’urbanisme (selon lequel : «  La commune ou l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d'urbanisme peut saisir le tribunal de grande instance en vue de faire ordonner la démolition ou la mise en conformité d'un ouvrage édifié ou installé sans l'autorisation exigée par le présent livre, en méconnaissance de cette autorisation ou, pour les aménagements, installations et travaux dispensés de toute formalité au titre du présent code, en violation de l'article L. 421-8. L'action civile se prescrit en pareil cas par dix ans à compter de l'achèvement des travaux ».) portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, d’où son renvoi au Conseil constitutionnel.

(29 mai 2020, M. X., n° 436834)

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