Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Novembre 2020

 

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Bulletin de salaire d’un agent public – Document administratif communicable – Occultation des mentions relatives à la vie privée ou à la manière de servir – Mentions des heures supplémentaires figurant sur un tel bulletin – Mentions non communicables - Rejet.

Un enseignant ayant demandé que lui soit communiqué le bulletin de salaire de cinq enseignants du lycée dans lequel il était affecté, les premiers juges ont accédé à sa demande après que la CADA a rendu son avis et ont ordonné que soient occultées notamment les mentions relatives aux heures supplémentaires et à la rémunération nette des enseignants.

Il saisit le Conseil d’État d’un recours contre ce jugement ; il est débouté.

Le Conseil d’État rappelle le principe de communicabilité d’un tel document sous réserve que cette communication ne porte pas atteinte à la protection de la vie privée, ou ne révèle pas une appréciation ou un jugement de valeur sur l’intéressé. En ce cas, les éléments en cause doivent être occultés sur le document communiqué ou disjoints de celui-ci lorsque cela est possible (cf. dispositions combinées des art. L. 300-2, L. 311-5 à L. 311-7 du code des relations du public avec l’administration).

Le juge estime, en l’espèce, que le requérant ne pouvait pas demander que lui soient communiquées les mentions relatives aux heures supplémentaires et par suite à la rémunération nette figurant sur les bulletins de salaire car elles sont susceptibles de révéler une appréciation sur la manière de servir des enseignants. C’est à bon droit que les bulletins lui ont été communiqués avec occultation de ces éléments.

(4 novembre 2020, M. B., n° 427401)

 

2 - Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) – Compatibilité entre les activités exercées par un fonctionnaire et un projet d’activité privée lucrative - Avis de la HATVP ayant la nature d’une décision – Avis susceptible d’un recours pour excès de pouvoir – Compétence du Conseil d’État en premier et dernier ressort pour en connaître – Office de la HATVP dans l’exercice de son contrôle – Rejet.

Dans cette importante décision qui, en d’autres temps, se serait vu reconnaître l’honneur d’être rendue en Section du contentieux, le Conseil d’État avait à connaître de plusieurs points de droit relatifs à la nature des actes de la HATVP et à leur régime juridique et contentieux.

Cet organisme a notamment pour missions d’apprécier la compatibilité entre les fonctions antérieurement exercées par un fonctionnaire et son projet actuel d’une activité privée lucrative sans risque pénal et dans le respect des règles déontologiques auxquelles il est soumis.

L’ancien secrétaire général du ministère de l'Europe et des affaires étrangères (de juin 2017 à juillet 2019), M. B., a saisi le ministre de l'Europe et des affaires étrangères d’une demande de compatibilité entre ces dernières fonctions et sa volonté de présider à la fois une société unipersonnelle ayant pour objet le conseil et le salon « World Nuclear Exhibition » (WNE) organisé par le Groupement des entreprises françaises de l’énergie nucléaire (GIFEN) devant se tenir en 2020 à Paris. Le ministre l’ayant saisie, la HATVP a émis un avis de compatibilité sous réserve pour la première fonction et un avis négatif pour la seconde. Le ministre n’a pas admis la compatibilité pour le salon WNE

Il est demandé au Conseil d’État d’annuler la délibération de la Haute autorité et la décision du ministre.

Le Conseil estime tout d’abord, que l’avis rendu par la HATVP est une décision susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir et qu’un tel recours relève en l’espèce de la compétence du Conseil d’État en premier et dernier ressort.

En effet, s’il résulte des dispositions combinées des art. R. 311-1 et R. 312-12 du CJA que le recours dirigé contre la décision du ministre devrait relever de la compétence du tribunal administratif de Paris, il doit, ici, être porté directement devant le Conseil d’État en raison du lien de connexité existant entre l’avis de la HATVP et la décision du ministre dès lors que le litige relatif à l’avis relève lui-même de la compétence directe du Conseil d’État.

Ensuite, pour l’examen du fond du litige, le juge se prononce sur les deux chefs de compétence de la HATVP en cette matière, risque pénal et risque déontologique.

Selon la HATVP, le requérant avait représenté les intérêts de l'État actionnaire au sein du conseil d'administration des sociétés EDF et Orano en sa qualité de secrétaire général du ministère de l'Europe et des affaires étrangères or ces deux sociétés, fondatrices et membres du GIFEN, jouaient un rôle majeur dans le secteur nucléaire français. Elle a donc estimé que la présidence, dans le cadre d'une activité lucrative, du salon WNE organisé par le GIFEN, et dont l'objet est de promouvoir les intérêts des entreprises de ce secteur, présentait un risque de prise illégale d'intérêts au sens des dispositions de l'article 432-13 du code pénal ainsi qu’un risque déontologique important, eu égard aux doutes légitimes qu'elle pourrait faire naître sur les conditions dans lesquelles M. B. a exercé les pouvoirs d'administrateur représentant les intérêts de l'État actionnaire au sein des sociétés EDF et Orano.

Sur le risque pénal, le requérant faisait valoir que le GIFEN qui constitue un syndicat professionnel au sens de l'article L. 2131-1 du code du travail, ne pouvait pas être regardé comme une entreprise privée au sens de l'article 432-13 du code pénal et que lui-même ne peut être considéré comme ayant contrôlé ou surveillé ce syndicat, au sens de ces mêmes dispositions. Le Conseil d’État rejette cependant l’argument en relevant que, dans son avis, la HATVP s'est fondée sur le fait qu'à travers le GIFEN, les sociétés EDF et Orano jouaient un rôle prépondérant dans l'organisation du salon WNE, ce que confirment les pièces du dossier.

Il rejette aussi, sur ce point, tout en le reconnaissant exact, l’argument du requérant selon lequel la Cour de cassation n'aurait jamais fait application de la « théorie de l'interposition de personnes » au délit de prise illégale d'intérêts et ainsi la Haute Autorité a commis une erreur de droit en n'apportant pas la preuve que les conditions en étaient effectivement réunies en l'espèce. Toutefois, il objecte que la Haute Autorité n’a pas à apprécier l’existence réelle des infractions en cause mais seulement, selon le VI de l’art. 25 octies de la loi du 13 juillet 1983, si l’exercice des fonctions dont la compatibilité est vérifiée « risque de placer l’intéressé en situation de commettre (ces) infractions ». La Haute Autorité n’a pas fait en l’espèce une inexacte application de cette disposition.

S’agissant du risque déontologique, le juge est d’accord avec la Haute Autorité pour déduire de l’ensemble des circonstances de cette affaire qu’un doute sérieux rétrospectif pouvait naître sur la façon dont le requérant avait exercé ses fonctions au ministère.

Le recours est rejeté.

(4 novembre 2020, M. B., n° 440963)

 

3 - Haute autorité de santé (HAS) – Règles de bonne pratique recommandées - Édiction par cette dernière d’une « fiche mémo » pour le traitement de la lombalgie commune – Acte faisant grief – Régularité de la procédure d’adoption de la « fiche mémo » litigieuse - Classement, sans erreur, des techniques manuelles de traitement de la lombalgie en seconde intention – Rejet.

Les associations requérantes demandaient l’annulation pour excès de pouvoir de la décision du collège de la HAS du 27 mars 2019 adoptant la fiche mémo intitulée « Prise en charge du patient présentant une lombalgie commune » et les documents associés.

Le recours est rejeté.

Le juge relève d’abord que bien qu’une « fiche mémo » soit moins élaborée et moins complète qu’une recommandation de bonne pratique, elle est un acte entrant dans le champ de compétence de la HAS et fait grief ; elle peut donc être contestée devant le juge de l’excès de pouvoir.

Le premier grief, qui portait sur l’irrégularité de la procédure au terme de laquelle a été adoptée la « fiche mémo » en cause, est rejeté car celle-ci a été conforme au guide méthodologique adopté par la HAS qu’il s’agisse de l’établissement de la rédaction d'une note de cadrage par un chef de projet de l'autorité ou de l’élaboration de la « fiche mémo » elle-même.

Le second grief, qui portait sur le contenu de la fiche litigieuse, est lui aussi rejeté : la HAS n’a commis aucune erreur manifeste d’appréciation en recommandant qu'un diagnostic médical de lombalgie commune soit posé au préalable et en faisant figurer les techniques manuelles en deuxième intention.

(16 novembre 2020, Institut franco-européen de chiropraxie (IFEC), et association française de chiropraxie (AFC), n° 431120)

 

4 - Communication des documents administratifs – Notions de « communication » et de « document administratif » - Absence d’obligation pour l’administration de constituer ou de reconstituer un document n’existant pas – Rejet.

Les art. L. 311-1 et L. 300-2 du CRPA qui font obligation à l’administration de communiquer, à certaines conditions, les documents administratifs qu’elle détient ne lui imposent pas, en revanche, pour satisfaire aux demandes dont elle est saisie, de créer ou de reconstituer un document inexistant à la date de la demande. Ainsi est en principe communicable en cette qualité l’extraction d’une base de données sauf si cela représente une charge de travail par trop déraisonnable : anonymisation, occultation d’éléments relatifs à la vie privée ou à certains secrets ou données sensibles, accomplissement de calcul ou autres.

(13 novembre 2020, M. B., n° 432832)

 

5 - Propos tenus par le président de la république dans un entretien publié par un journal quotidien – Demande que ces propos soient « rapportés » - Absence de caractère décisoire ou de révélation de décision – Simple opinion ne pouvant faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir – Irrecevabilité manifeste – Rejet.

Est manifestement irrecevable – qui pouvait en douter ? – le recours pour excès de pouvoir dirigé contre le refus du président de la république de « rapporter » des propos tenus par lui dans un entretien avec un quotidien régional dès lors que ceux-ci ni ne constituent une décision qui serait susceptible de retrait ou d’abrogation ni ne révèlent l’existence d’une décision.

(13 novembre 2020, M. C., n° 433171)

 

6 - Article d’une loi renvoyant à un décret d’application – Dispositifs d’authentification de la provenance des tabacs – Courriers du ministre des finances fixant la liste des équipements et les modalités d’exécution par les intéressés des obligations mises à leur charge par la loi – Incompétence du ministre et par voie de conséquence du délégataire de sa signature – Annulation.

Le III de l’art. L. 3512-25 du code de la santé publique oblige les fabricants et les importateurs des produits du tabac à fournir gratuitement aux agents des douanes chargés de les contrôler les équipements nécessaires à la détection des éléments authentifiants visés à cet article. Il a renvoyé à un décret en Conseil d’État le soin de fixer ses modalités d’application.

Le Directeur général des douanes et droits indirects, agissant sur délégation à son profit de la signature du ministre a, par deux courriers, confirmés par une décision du ministre des finances, indiqué ces mesures d’application.

Le SEITA conteste la compétence de l’auteur de ces lettres, lesquelles constituent des décisions. Le Conseil d’État donne raison à la société demanderesse.

D’évidence, le ministre ne tenait d’aucune disposition la compétence pour prendre lui-même les mesures d’application que seul un décret en Conseil d’État pouvait comporter et cette incompétence entraîne celle du délégataire, lequel ne saurait détenir une compétence que son délégant ne détient pas lui-même.

(16 novembre 2020, Société nationale d'exploitation des tabacs et allumettes (SEITA), n° 431983, n° 432035 et n° 435970, jonction)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques

 

7 - Création du moyen d’identification électronique dit « authentification en ligne certifiée sur mobile » (Alicem) (décret du 13 mai 2019) – Recours au traitement de données biométriques - Existence d’un autre dispositif ne présupposant pas un consentement à un traitement de reconnaissance faciale – Règles de recueil des données adéquates et proportionnées – Rejet.

Le recours critiquait la légalité du décret du 13 mai 2019 autorisant la création d'un moyen d'identification électronique dénommé « Authentification en ligne certifiée sur mobile » ou Alicem et il en demandait l’annulation au motif qu’il mettait en œuvre une technologie de reconnaissance faciale dans des conditions discutables concernant le recueil du consentement des personnes concernées.

Le recours est rejeté.

Outre des moyens de la légalité externe, le juge procède à l’examen des moyens de légalité interne seuls retenus ici.

Tout d’abord, le juge estime qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que, pour la création d'identifiants électroniques, il existait à la date du décret attaqué d'autres moyens d'authentifier l'identité de l'usager de manière entièrement dématérialisée et présentant le même niveau de garantie que le système de reconnaissance faciale. L’adoption par le décret attaqué de cette technologie était donc impliquée directement par la finalité de ce traitement. 

Ensuite, les usagers ont toujours la possibilité, parallèlement à Alicem, d’utiliser le dispositif FranceConnect qui ne repose pas sur la nécessité d’un consentement à un traitement de reconnaissance faciale.

Enfin, il résulte de l’art. 7 du décret querellé qu’est prévue la collecte de données relatives, 1° à l'identification de l'usager, 2° à l'identification de son titre biométrique, 3° à l'équipement terminal de communications électroniques qu'il utilise et, 4°, à l'historique des transactions associées à son compte, ces dernières données ne pouvant être communiquées aux fournisseurs de téléservices en vertu de l'article 9 de ce texte.

Le juge en conclut qu’eu égard à l’objet et aux finalités du traitement en cause, le recueil de ces données, tel qu’il est organisé par le décret précité, doit être regardé comme adéquat et proportionné à cette finalité. 

(4 novembre 2020, Association « La Quadrature du Net », n° 432656)

 

8 - Site accessible aux candidats à la location d’un bien immobilier – Faille de sécurité du système permettant à des tiers non autorisés d’accéder à leurs données personnelles – Sanctions pécuniaire et par publicité prononcées par la CNIL – Contestation de la procédure suivie et des sanctions infligées – Rejet.

La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a constaté, suite à un signalement, que le site de la société requérante sur lequel peuvent s’inscrire des personnes candidates à une location immobilière, comportait une faille de sécurité permettant à des tiers non autorisés d'accéder aux données personnelles de ces candidats dès lors que ces derniers avaient téléchargé des documents sur ce site.

La CNIL a infligé une double sanction à cette société : une amende pécuniaire et la publicité de cette sanction pendant deux ans, suivie de son anonymisation.

La requérante conteste d’une part la procédure suivie et d’autre part la sanction qui lui a été infligée.

C’est sur la procédure suivie que cette décision est le plus intéressante.

D’une part, le Conseil d’État estime qu’il est loisible aux membres de la CNIL de télécharger des fichiers rendus accessibles par une faille de sécurité et que les constatations ainsi réalisées ne sauraient être frappées d’irrégularité, et d’autre part, - sur ce point le dossier soulevait une question délicate - que le prononcé d'une sanction par la formation restreinte de la CNIL n'est pas subordonné à l'intervention préalable d'une mise en demeure du responsable du traitement ou de son sous-traitant par le président de la CNIL. Cette lecture du III de l’art. 45 (aujourd’hui art. 20) de la loi du 6 janvier 1978 ne nous paraît pas déraisonnable ; elle avait été déjà mise en œuvre sous l’empire de la version de cet article antérieure à la loi du 20 juin 2018 (17 avril 2019, Optical Center, n° 422575 ; du même jour : Association pour le développement des foyers (ADEF), n° 423559). Voir cette Chronique, avril 2019, n° 8.

Sur les sanctions, le Conseil d’État, relevant que la somme de 400 000 euros que la requérante doit verser représente moins de 1% de son chiffre d'affaires pour l'année 2017 et 4% du plafond des sanctions susceptibles d’être infligées, juge qu’elle n’est pas excessive même accompagnée, à titre dissuasif, de la publicité de la sanction.

(4 novembre 2020, Société d'étude et de réalisation de gestion immobilière de construction (SERGIC), n° 433311)

 

9 - Fournisseurs d’accès à internet - Mesures de blocage, de déréférencement ou d'effacement de données ordonnées par le juge judiciaire (art. L. 336-2 code de la propriété intellectuelle) – Coût de la mise en œuvre de ces mesures – Demande d’instauration d’un mécanisme de compensation – Refus du premier ministre – Rejet.

Selon l’art. L. 336-2 du code de la propriété intellectuelle : " En présence d'une atteinte à un droit d'auteur ou à un droit voisin occasionnée par le contenu d'un service de communication au public en ligne, le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond peut ordonner à la demande des titulaires de droits sur les oeuvres et objets protégés, de leurs ayants droit, des organismes de gestion collective régis par le titre II du livre III ou des organismes de défense professionnelle visés à l'article L. 331-1, toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d'auteur ou un droit voisin, à l'encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier. (…) ". 

La société requérante demandait l’annulation du refus du premier ministre d’adopter un mécanisme de compensation des surcoûts supportés par les fournisseurs d'accès à internet au titre de la mise en oeuvre de mesures de blocage, de déréférencement ou d'effacement de données en exécution d'une décision judiciaire prise en application des dispositions de l'art. L. 336-2 préc.

Le Conseil d’État rejette le recours au motif notamment, d’une part, que le principe de la prise en charge par les fournisseurs d'accès à internet du coût des mesures ordonnées par le juge judiciaire sur le fondement de l'art. L. 336-2 ne peut être regardé comme méconnaissant, par lui-même, le principe de la liberté d'entreprise et, d’autre part, qu’il revient, le cas échéant, au juge judiciaire, saisi d'une demande d'injonction, de décider que ces coûts soient, totalement ou partiellement, mis à la charge des titulaires des droits d'auteur afin que le coût des mesures ordonnées n’impose pas aux entreprises concernées des sacrifices insupportables, ni ne mette en péril leur viabilité économique (v. en ce sens, Cass. 1ère civ., 6 juillet 2017, Sociétés SFR, Orange, Free, Bouygues télécom et autres c/ Union des producteurs de cinéma et autres, n° 16-17.217, 16-18.298, 16-18.348, 16-18.595).

(13 novembre 2020, Société Free, n° 425941 et n° 428381)

 

10 - Certification des comptes des établissements hospitaliers – Mission confiée aux commissaires aux comptes – Traitement des données – Accès aux données du dossier médical du patient – Mission dévolue à des prestataires extérieurs – Données devant faire l’objet de protections techniques adéquates – Illégalité partielle du décret d’application de l’art. L. 6113-7 du code de la santé publique (CSP) - Régime transitoire en attente de l’édiction de la réglementation complémentaire.

L’art. L. 6113-7 du CSP prévoit que tous les établissements de santé mettent en oeuvre des systèmes d'information tenant compte notamment des pathologies et des modes de prise en charge en vue d'améliorer la connaissance et l'évaluation de l'activité et des coûts et de favoriser l'optimisation de l'offre de soins. Il incombe aux praticiens exerçant dans les établissements de santé publics et privés de transmettre les données médicales nominatives nécessaires à l'analyse de l'activité et à la facturation de celle-ci au médecin, responsable de l'information médicale pour l'établissement, dans des conditions déterminées par voie réglementaire après consultation du Conseil national de l'ordre des médecins. Un décret fixe en particulier les conditions dans lesquelles des personnels placés sous l'autorité du praticien responsable, tels les prestataires extérieurs, ou des commissaires aux comptes intervenant au titre de la mission légale de certification des comptes (cf. art. L. 6145-16 CSP) peuvent contribuer au traitement de données. C’est l’objet du décret du 26 décembre 2018 relatif aux départements d'information médicale d’autoriser et d’encadrer l'accès aux données médicales des patients pour les besoins de l'analyse de l'activité, de sa facturation et du contrôle de cette facturation, d'une part, par des prestataires extérieurs et, d'autre part, par des commissaires aux comptes.

Le Conseil national de l'ordre des médecins demande au Conseil d’État l'annulation de ce décret pour excès de pouvoir.

Le juge rejette tous les moyens de légalité externe soulevés ainsi que la majorité des moyens de légalité interne sauf sur deux points.

S’agissant du recours aux commissaires aux comptes pour l’accomplissement de leur mission de certification des comptes de ces établissements, est censurée l’absence dans ce décret de mesures propres à garantir la protection du droit de la personne concernée au respect du secret médical (cf. art. L. 1110-4 CSP). En effet, ce texte prévoit que, dans le cadre de leur mission légale, ils peuvent seulement consulter les données utilisées pour le calcul des recettes de l'établissement, depuis l'admission du patient jusqu'à la facturation, sans création ni modification de données, avec une information adaptée des patients, en en limitant la conservation à la durée strictement nécessaire à cette mission et rappelant l'obligation de secret à laquelle ils sont soumis et, limite leur accès aux seules données « nécessaires (...) dans la stricte limite de ce qui est nécessaire à leurs missions », sans exclure par principe leur accès à aucune de ces données.

S’agissant du recours à des prestataires extérieurs pour le traitement des données à caractère personnel (cf. art. R. 6113-1 CSP), placés à ce titre sous la responsabilité du médecin responsable de l'information médicale, le juge censure l’absence dans le décret de garanties suffisantes pour assurer que l'accès aux données n'excède pas celui qui est strictement nécessaire à l'exercice de la mission qui leur est reconnue par la loi. Ce décret se limite, en effet, à leur imposer le secret assorti de sanctions pénales en cas de violation, à limiter leur accès « aux seules données à caractère personnel nécessaires (...) dans la stricte limite de ce qui est nécessaire à leurs missions » et la faculté de conserver les données mises à disposition par l'établissement au-delà de la durée strictement nécessaire aux activités qui leur ont été confiées par contrat.

Pour le reste, rejetant sur ce point le recours, le Conseil d’État considère que les dispositions prises à l’égard de ces deux catégories de personnes ne sont pas critiquables.

(25 novembre 2020, Conseil national de l’ordre des médecins, n° 428451)

 

Biens

 

11 - Œuvre d’art - Fragment du jubé de la cathédrale de Chartres - Demande de certificat d’exportation – Refus – Décrets de l’assemblée constituante du 2 novembre 1789 et des 22 novembre - 1er décembre 1790 - Bien appartenant au domaine public de l’État – « Trésor national » – Exportation impossible - Rejet.

C’est à bon droit que la société requérante s’est vu refuser par le ministre de la culture le certificat d'exportation du « fragment à l’Aigle » détaché du jubé de la cathédrale de Chartres dont la réunion avec le « fragment à l'Ange », représente « l'Agneau divin ». En effet, ce bien, acquis par la demanderesse en 2002 comme datant de la Renaissance italienne, constitue un bien du domaine public de l’État par application des dispositions du décret de l’assemblée constituante du 2 novembre 1789, dès lors que celle-ci ne peut se prévaloir, n’en remplissant pas la condition, de l’exception née des dispositions du décret des 22 novembre – 1er décembre 1790. Aucun décret formel du corps législatif, sanctionné par le roi, n’a autorisé la vente de cette pièce à titre perpétuel et incommutable.

(4 novembre 2020, Société Brimo de Laroussilhe, n° 4295211)

 

12 - Intégration d’une voie dans la voirie communale – Opposition de l’usufruitier et de la nue propriétaire de la voie – Question préjudicielle au juge judiciaire – TGI affirmant l’absence de propriété privée sur cette voie – Juge administratif statuant au vu de la réponse en dépit d’un pourvoi en cassation – Rejet.

Le Conseil d’État, dans un litige portant sur l’éventuelle propriété privée existant sur une voie à intégrer dans la voirie communale donne raison à la cour administrative d’appel qui tire les conséquences de la réponse donnée par le juge judiciaire sur cette question préjudicielle, sans attendre le jugement du pourvoi formé devant la Cour de cassation, un tel pourvoi étant, normalement, sans caractère suspensif.

Solution imparable au regard des textes (cf. art. L. 126-15 du c. proc. civ.) mais qui laisse dubitatif lorsque le jugement administratif ayant appliqué la réponse de la juridiction judiciaire saisie, se trouve confronté à un arrêt de cassation contraire. Cela fait désordre.

(4 novembre 2020, Mme A. (décédée) et M. B., n° 434757)

 

Collectivités territoriales

 

13 - Immeuble implanté sur le territoire de plusieurs communes limitrophes – Décision du directeur général de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) de rattacher tous les habitants de l’immeuble à une seule et même commune – Autorité compétente à cet effet – Existence d’une seule entrée de l’immeuble ou de plusieurs – Conséquences pour le rattachement – Rejet.

La commune requérante demandait l’annulation du décret du premier ministre du 28 décembre 2018 portant authentification des chiffres des populations de métropole, des départements d'outre-mer de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de La Réunion, et des collectivités de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, et de Saint-Pierre-et-Miquelon, en tant qu'il fixe la population de la commune de Compiègne.

Le litige portait précisément sur le fait qu’une décision du directeur général de l’INSEE avait rattaché tous les habitants d’un même immeuble situé sur le territoire de plusieurs communes limitrophes à la population d’une seule d’entre elles ; en l’espèce, les habitants d’un immeuble avaient été décomptés dans la population de la commune mitoyenne de la commune requérante.

Le Conseil d’État rejette le recours.

D’une part, le directeur général de l’INSEE a bien, sous le contrôle du juge, le pouvoir de fixer la méthode de comptage des habitants et, d’autre part, le rattachement doit prendre en considération l’adresse de la voie sur laquelle est située l’entrée de l’immeuble et, en cas de pluralité d’entrées elles-mêmes situées sur les territoires de plusieurs communes, celle de l’entrée principale.

(13 novembre 2020, Commune de Compiègne, n° 428494)

 

14 - Polynésie française – Protection de l’environnement – Lutte contre la pollution des eaux du domaine public maritime - Compétence appartenant à cette collectivité – Compétence concurrente de l’État – Possibilité d’introduire, aux conditions ordinaires posées par l’art. L. 521-3 du CJA, un référé mesures utiles – Existence d’une urgence – Rejet.

La Polynésie française avait demandé, et obtenu, du juge des référés que soient ordonné l’enlèvement de l’épave d’un navire et prises toutes mesures tendant à éviter la pollution des eaux marines en raison du contenu de la cargaison de ce navire.

La société requérante, propriétaire de l’épave, se pourvoit contre l’ordonnance faisant droit aux demandes de cette collectivité territoriale. Le Conseil d’État rejette les divers chefs de l’argumentation de la société.

Tout d’abord, et c’est l’aspect le plus important de la décision, s’il existe une compétence concurrente de la Polynésie française (en vertu de l’art. 47 de la loi organique du 27 février 2004) et de l’État (en vertu de l’art. 14 de cette même loi organique) en matière de lutte contre ou de prévention de la pollution, cela ne prive pas la collectivité du droit de saisir le juge administratif des référés afin qu’il ordonne toutes les mesures utiles que la collectivité n'a pas le pouvoir de prendre et qui ne font obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative.

Ensuite, le premier juge n’a pas dénaturé les pièces du dossier en constatant souverainement qu’à la date à laquelle il a statué aucune mesure n'avait permis de prévenir le risque de pollution que présentait l'épave du navire échoué, qui était notamment chargée d'importantes quantités d'hydrocarbures et de matériels polluants.

Enfin, l’urgence est établie.

(ord. réf. 19 novembre 2020, Société Tuanui, n° 439912)

(15) V. aussi, du même jour et avec solution identique : ord. réf. 19 novembre 2020, Sociétés Shenzhen Shengang Overseas Industrial Co. Ltd. et Lung Soon Ocean Group, n° 440644.

 

16 - Enfants en situation de handicap – Prise en charge par l’État de la rémunération de l’assistant destiné à apporter une aide à l’enfant dans le cadre de sa scolarité - Prise en charge par la collectivité territoriale de cette assistance pendant le temps de restauration scolaire – quand ce service est organisé par la collectivité - et celui des activités complémentaires aux enseignements – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.

Les enfants scolarisés en école maternelle ou élémentaire qui sont porteurs de handicap(s) ont droit à une aide individuelle lorsque son bénéfice leur est attribué par la commission départementale des droits et de l'autonomie des personnes handicapées. Les textes prévoient que l’obligation d’organiser ce service public et la rémunération des personnes aidantes sont à la charge de l’État s’agissant de l’aide apportée durant les temps de scolarité.

Lorsqu’une commune ou un groupement intercommunal organise un service de restauration ainsi que des activités complémentaires des enseignements entendus stricto sensu, deux questions se posent. La première concerne l’extension de l’obligation d’aide à ces moments ou périodes extra-scolaires : la réponse est évidemment positive, la scolarité et ses éléments périphériques formant en réalité un tout. La seconde question, plus délicate, est de déterminer à quelle personne publique incombe la charge financière de ce service d’aide additionnel à celui lié au seul temps scolaire. Le Conseil d’État estime que, ne pouvant être à la charge de l’État, il doit être assumé par la collectivité territoriale dont relève l’enfant concerné.

Les collectivités territoriales apprécieront la confiance qui leur est ainsi faite – à prix fort il est vrai - pour une meilleure insertion sociale des personnes handicapées.

Au reste, la personne aidante peut être liée par deux contrats distincts, l’un avec l’État pour le temps de scolarité, l’autre avec la collectivité territoriale pour le temps extra-scolaire ; une convention peut également être conclu à cette fin entre l’État et la collectivité.

(Section, 20 novembre 2020, Ministre de l’éducation nationale, n° 422248)

 

Contentieux administratif

 

17 - Avis d’audience mentionnant une clôture de l’instruction trois jours francs avant l’audience, sauf ordonnance du président précisant une autre date – Non-communication aux autres parties d’un mémoire parvenu dans ce délai – Opposition d’une clôture de l’instruction à effet immédiat – Irrégularité – Cassation.

Statue irrégulièrement le tribunal administratif qui, après avoir informé les parties que l’audience se tiendrait le 1er avril 2019 et que faute d’une ordonnance présidentielle fixant une autre date, l’instruction serait close trois jours francs avant la date de l’audience, avait estimé, pour refuser de communiquer aux autres parties un mémoire comportant des éléments nouveaux, enregistré le 28 mars, que l’avis d’audience précité emportait clôture immédiate de l’instruction.

Le jugement est cassé avec renvoi.

(4 novembre 2020, Mme C., n° 432416)

 

18 - Contentieux sociaux – Règles particulières de procédure – Possibilité de différer la clôture à une date postérieure à l’audience – Visas d’un jugement mentionnant erronément la clôture de l’instruction lors de l’appel de l’affaire à l’audience – Irrégularité – Annulation.

Pour tenir compte des enjeux humains et d’équité qui y sont en cause, les contentieux sociaux connaissent un régime procédural assez dérogatoire sur un certain nombre d’aspects et confèrent à l’office du juge une configuration spécifique.

Spécialement, il y est possible de poursuivre la procédure contradictoire au cours de l’audience et même, si besoin est, de différer la clôture pour permettre la poursuite et l’achèvement du contradictoire après l’audience.

En l’espèce, un jugement est annulé en raison de son irrégularité car ses visas indiquent que l'instruction a été clôturée après l'appel de l'affaire à l'audience, or l'avocat de la requérante y était présent et y a formulé des observations orales : le jugement attaqué a donc été rendu en méconnaissance des dispositions du deuxième alinéa de l'article R. 772-9 du CJA.

(27 novembre 2020, Mme C. c/ Commune de Bagnolet, n° 430510)

(19) V. aussi, identique : 27 novembre 2020, Mme B. c/ Commune de Bagnolet, n° 430512.

 

20 - Notification d’un jugement – Jugement rendu en certaines matières – Obligation de notification au ministre intéressé ou au préfet demandeur dans les cas prévus au code général des collectivités territoriales – Absence de notification régulière empêchant le délai d’appel de courir – Cassation, avec renvoi, de l’ordonnance attaquée.

Rappel de ce que de la combinaison des art. R. 751-3 et R. 751-4, R. 751-8, R. 811-10-1 et R. 811-2 du CJA il résulte que lorsque la notification des jugements rendus dans une matière autre que celles qui sont mentionnées à l'article R. 811-10-1 de ce code doit être faite à l'État, l'expédition est adressée au ministre dont relève l'administration intéressée au litige ou au préfet lorsque celui-ci présente une demande en application du code général des collectivités territoriales. A défaut de notification régulière, le délai d'appel ne court pas.

(5 novembre 2020, Ministre des solidarités et de la santé, n° 432290)

 

21 - Référé suspension – Demande de suspension d’une décision de nature juridictionnelle – Irrecevabilité – Rejet.

Est irrecevable la requête en référé suspension tendant à voir ordonner la suspension d’une décision de nature juridictionnelle, ici une sanction prise par la chambre disciplinaire du conseil national de l'ordre national des masseurs-kinésithérapeutes.

La voie de droit devant être utilisée en ce cas est celle, différente, du sursis à l’exécution des décisions de nature juridictionnelle.

(27 novembre 2020, M. E., n° 446484)

 

22 – Intégration d’une voie dans la voirie communale – Opposition de l’usufruitier et de la nue propriétaire de la voie – Question préjudicielle au juge judiciaire – TGI affirmant l’absence de propriété privée sur cette voie – Juge administratif statuant au vu de la réponse en dépit d’un pourvoi en cassation – Rejet.

(4 novembre 2020, Mme A. (décédée) et M. B., n° 434757) V. n° 12

 

23 - Référé provision (art. R. 541-4 CJA) – Conclusions reconventionnelles formées en appel – Obligation pour ces conclusions ne pas porter sur un litige distinct – Recevabilité – Annulation avec renvoi.

Rappel de ce que la personne condamnée par le juge du référé provision a la faculté de saisir le juge du fond d'une demande de fixation définitive du montant de sa dette y compris sa diminution ou sa décharge totale. Par suite, le créancier peut saisir le juge du fond de conclusions reconventionnelles, sous l’expresse réserve qu'elles ne soulèvent pas un litige distinct de celui au titre duquel le débiteur a été condamné. En revanche, il ne résulte d’aucune disposition ni d’aucun principe que le juge du fond saisi sur le fondement de l'article R. 541-4 du code de justice administrative soit tenu de ne fixer définitivement le montant de la dette que dans les limites du litige qui a donné lieu à la demande de versement d'une provision.

(6 novembre 2020, Communauté d'agglomération du Muretain, n° 433940)

 

24 - Personne privée exerçant une mission de service public à caractère administratif – Mise en œuvre ou non de prérogatives de puissance publique - Comité départemental des pêches maritimes et des élevages marins (CDPMEM) - Opération de réensemencement de coques en petite mer de Gâvres – Absence de prise d’un acte unilatéral – Incompétence du juge administratif pour connaître de la contestation du réensemencement.

En l’espèce, la commune concernée et une association de protection du littoral ont demandé au tribunal administratif la déclaration d’illégalité du déversement en petite mer des Gâvres de vingt tonnes de coques en vue d’une opération de réensemencement et, par voie de conséquence, le retrait de ces coques.

Le tribunal a estimé l’ordre administratif de juridiction incompétent pour connaître de ce litige. Sur appel de la commune, la cour administrative d’appel a annulé ce jugement ainsi que le déversement des coques.

Le CDPMEM se pourvoit en cassation contre cet arrêt, le ministre de l’agriculture et de l’alimentation se pourvoit également mais son action sera requalifiée en intervention.

Le Conseil d’État rappelle, tout d’abord, une solution bien connue, qu’il formule ainsi : « Les décisions prises par une personne privée chargée de l'exécution d'une mission de service public à caractère administratif présentent le caractère d'actes administratifs si elles procèdent de la mise en oeuvre de prérogatives de puissance publique conférées à cette personne pour l'accomplissement de la mission de service public qui lui a été confiée. »

La cour avait relevé, pour justifier la compétence de la juridiction administrative, que le déversement en vue de réensemencer le rivage en coques avait été mené sous le contrôle et avec le concours des services compétents de l'État, qu’il avait eu lieu dans le domaine public maritime et que le préfet de région avait, par suite, interdit la pêche à pied dans la zone concernée par le déversement. De tout cela elle tirait qu’avaient été mises en œuvre des prérogatives de puissance publique. 

Le Conseil d’État, se ralliant à la position des premiers juges, estime n’apercevoir dans les circonstances de cette affaire aucun exercice de prérogatives de puissance publique de la part du comité départemental. Il relève d’ailleurs que celui-ci ne tire d’aucun texte, pour réaliser l’opération dont s’agit, le pouvoir de prendre un acte unilatéral contraignant.

L’ordre administratif de juridiction n’est donc pas compétent pour statuer sur ce litige.

(27 novembre 2020, Comité départemental des pêches maritimes et des élevages marins (CDPMEM) du Morbihan, n° 431390 ; Ministre de l’agriculture et de l’alimentation, n° 431420)

 

25 - Annulation d’un jugement par le Conseil d’État – Renvoi à la juridiction qui a rendu la décision annulée – Composition de la formation de jugement – Exclusion des juges ayant siégé lors de la reddition du jugement annulé – Présence d’un juge ayant déjà siégé – Annulation.

Application et illustration de la règle énoncée à l’art. L. 821-2 CJA : la formation de jugement devant laquelle, après cassation, est renvoyée une affaire ne doit comporter aucun des juges ayant siégé lors de l’instance annulée.

Ici la circonstance d’un juge présent dans les deux instances entraîne la cassation.

(18 novembre 2020, Mme G., n° 431374)

 

26 - Urbanisme commercial – Extension d’un ensemble commercial – Permis de construire modificatif – Modifications substantielles – Circonstance sans effet sur la compétence dérogatoire de la cour administrative d’appel – Rejet.

(18 novembre 2020, Société MG Patrimoine, Société Bellou Optique et Société aux Fleurs d'Argentan, n° 420857 et n° 420905) V. n° 197

 

27 - Référé liberté – Covid-19 – Demande d’annulation ou d’abrogation d’un décret – Juge du référé, juge du provisoire – Irrecevabilité manifeste d’une demande d’annulation en référé – Rejet.

Il était demandé au juge du référé-liberté d’annuler le décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, en tant qu'il interdit les cérémonies religieuses. La juridiction des référés n’étant qu’une juridiction du provisoire, la demande d’annulation ou d’abrogation d’une décision administrative par voie de référé est manifestement irrecevable, d’où son rejet.

(ord. réf. 12 novembre 2020, M. Jung, n° 445851 ; ord. réf. 12 novembre 2020, M. Jehan Azema de Castet, n° 445901 et n° 445903)

(28) V. également, du même jour, sur le même sujet et dans les mêmes termes : ord. réf. 12 novembre 2020, M. Chaumeton, n°445854.

(29) V. aussi, les solutions identiques retenues envers une demande d’annulation de ce même décret fondée sur l’atteinte qu’il porte soit au régime juridique des célébrations civiles et religieuses des mariages (ord. réf. 12 novembre 2020, M. A., n° 445893), soit à celui de la liberté d’expression et de communication au moyen des libertés de manifester et de se réunir (ord. réf. 21 novembre 2020, Association Force Jaune et autres et Association l’Avenir pour tous et autres, n° 446629).

(30) V. encore, concernant le rejet d’une demande de suspension de l’application :

- tantôt de l’art. 37 de ce même décret soit aux magasins de vente de catégorie M, auquel il fait interdiction d'accueillir du public pour leurs activités autres que celles de livraison et de retrait de commande à l'exception des activités limitativement énumérées (ord. réf. 20 novembre 2020, Société Logirama et société Cera, n° 445897) soit aux salons de tatouage (ord. réf. 20 novembre 2020, M. B., n° 446440),

- tantôt de l’art. 40 de ce texte s’agissant de sociétés de restauration (ord. réf. 20 novembre 2020, Société FetF Restauration, n° 445962).

(31) V. également, refusant la demande de suspension, par une commune, de ce même décret, au motif que l’incidence, à moyen et long terme, de la fermeture des commerces sur les finances communales ne constitue pas une situation d’urgence : ord. réf. 20 novembre 2020, Commune d’Évreux, n° 445908.

(32) V. encore un rejet par le motif, classique, que l’atteinte à une liberté fondamentale n’est pas ipso facto constitutive d’une situation d’urgence (ord. réf. 20 novembre 2020, Mme A., n° 445910) ou, que, dans les circonstances exceptionnelles nées de l’épidémie de Covid, l’atteinte portée par ce décret à la liberté d’aller et de venir en limitant la pratique sportive ne constitue pas, non plus, une situation de particulière urgence au sens et pour l’application de l’art. L. 521-2 du CJA (ord. réf. 20 novembre 2020, M. B., n° 445914). Dans le même sens, on lira aussi : ord. réf. 23 novembre 2020, M. B., n° 446475 ou ord. réf. 23 novembre 2020, M. A., n° 446499.

(33) V., plus pittoresque, le refus de suspendre le I de l’art. 4 du décret du 29 octobre 2020 précité dont la légalité était contestée car il empêche le requérant d’aller en forêt pour compléter son stock de bois de chauffe : ord. réf. 23 novembre 2020, M. A., n° 446387.

 

34 - Référé-liberté – Covid-19 – Fermeture d’un établissement d’enseignement religieux recevant des mineurs – Demande de suspension – Référé sans objet dès la cessation des effets de la décision litigieuse – Rejet.

Le référé-liberté dirigé contre une décision administrative de fermer pendant 30 jours un établissement d’enseignement religieux devient sans objet à l’expiration de ce laps de temps ; ici l’arrêté du 8 octobre 2020 avait fait l’objet d’un recours le 4 novembre, soit au bout de 27 jours de fermeture.

(ord. réf. 12 novembre 2020, Association Apprendre et Comprendre, n° 445964)

 

35 - Référé provision – Sursis à l’exécution d’une ordonnance de référé provision – Combinaison des deux procédures en appel – Irrecevabilité, devant le juge des référés, de la demande d’allocation d’une provision portant sur l’obligation faisant l’objet de l’instance frappée d’un sursis à son exécution – Possibilité de demander à la juridiction d’appel la levée ou la restriction du champ d’application du sursis – Rejet et annulation de l’ordonnance de référé rendue en appel.

C’est une question délicate que résout la présente décision.

Dans le cadre d’un litige l’opposant à la collectivité de Corse, la société demanderesse, à l’occasion du renouvellement d’une délégation de service public, annulée postérieurement par le juge, obtient, notamment, du juge du référé une ordonnance lui allouant une importante provision. Sur appel de la collectivité de Corse, la cour administrative a accordé le sursis à l’exécution de cette ordonnance.

Saisie par la société d’une demande de révocation de ce sursis, la cour l’a rejetée par un arrêt du 2 mars 2020 tandis que, par une ordonnance du 4 juin 2020, le juge des référés de la cour a fait droit à une demande de provision représentant le quart de celle accordée en première instance pour la délégation de service public courant de 2007 à 2013 mais a rejeté la demande de provision au titre de l’éviction de la société pour la délégation devant courir de 2008 à 2013.

Le Conseil d’État est saisi de deux pourvois, celui de la société et celui de la collectivité, dirigés contre l’ordonnance accordant la provision.

Le juge de cassation devait trancher deux difficultés relatives, l’une au prononcé du sursis et à ses suites, l’autre au mécanisme de la provision.

Concernant le sursis à exécution, il est reconnu au requérant le droit d’en demander la révocation ; en ce cas le juge peut soit estimer que cette demande ne comporte pas de moyen sérieux et la rejeter, soit l’estimer fondée et ordonner la révocation, totale ou partielle (sur la possibilité, sur le fondement de l’art. 821-5 du CJA, d’octroyer le sursis partiel à l’exécution d’une décision rendue en dernier ressort : 28 mars 2007, Mme X. et autres, n° 299286), du sursis. Le juge pouvant s’appuyer, pour décider, sur les éléments du dossier relatifs au fond de l’affaire et, le cas échéant, en soulevant d’office des moyens.

En revanche, le juge considère que les dispositions de l’art. R. 541-1 du CJA ne permettent pas au requérant de demander, sur le fondement du référé provision, la révocation du sursis à l’exécution du jugement prononçant une condamnation pécuniaire. Une telle demande est irrecevable.

L’octroi de la provision par le juge d’appel étant irrégulier pour cause d’irrecevabilité de la demande dont il était saisi celui-ci est donc annulé.

Concernant la provision, la cour ne s’est pas méprise en estimant, d’une part, que l’exécution immédiate de la provision (plus de 80 millions d’euros), malgré l’évaluation encore plus élevée faite par l’expert judiciaire commis par la cour, était de nature à emporter des conséquences difficilement réparables pour la collectivité de Corse, et, d’autre part, qu’était sérieux le moyen tiré d’une surestimation par les premiers juges du préjudice subi par la société requérante.

La demande de la société est rejetée.

(6 novembre 2020, Société Corsica Ferries France, devenue la société Corsica Ferries, n° 439598 ; Collectivité de Corse, n° 441324 et n° 441620)

 

36 - Pourvoi en cassation – Délai – Pourvoi contre un jugement rendu par un tribunal administratif d’outre-mer – Pourvoi formé par une personne juridique domiciliée en France – Absence de prolongation du délai de pourvoi – Rejet.

Le pourvoi formé par l’association requérante, le 27 janvier 2020, contre un jugement du tribunal administratif de Guyane rendu le 19 décembre 2019, est rejeté pour forclusion.

Il résulte en effet des dispositions de l’art. R. 523-1 du CJA que le délai de pourvoi est de quinze jours.

Par ailleurs, la requérante ayant son siège en France et saisissant le Conseil d’État, elle ne saurait se prévaloir de la prolongation d’un mois du délai de recours instituée au profit des personnes qui ne demeurent pas dans la collectivité territoriale dans le ressort de laquelle le tribunal administratif d’outre-mer a son siège (dispositions combinées, d’une part, des art. R. 821-2 et R. 811-5 et, d’autre part, de celles de l’art. R. 421-7, al. 2, du CJA).

Enfin, le juge précise qu’il s’agit là d’une interprétation constante de sa part et qu’ainsi « l'association requérante ne saurait utilement soutenir, en tout état de cause, que (son) application au présent litige devrait être regardée comme un revirement de jurisprudence qui méconnaîtrait les exigences issues de l'article 6 de la (CEDH) ».

(25 novembre 2020, Association Section française de l'Observatoire international des prisons, n° 438002)

 

37 - Contestation du montant de la taxe d’habitation - Règle du délai raisonnable – Conditions d’application – Point de départ du délai annal - Connaissance effective de la décision litigieuse – Cas d’un rejet ne faisant pas état d’un rejet précédent – Inapplicabilité de la règle – Annulation.

Il résulte du principe de sécurité juridique que la communication d’une décision administrative dans des conditions irrégulières n’empêche pas l’obligation de saisir le juge d’un recours contentieux dans un délai raisonnable, normalement d’une durée d’un an, à compter du jour où l’intéressé a eu connaissance de la décision.

En l’espèce, commet une erreur de droit le tribunal administratif qui juge expiré le délai de recours au motif que la société, qui avait formé une réclamation le 1er juin 2011 contre le premier acte de poursuite du 20 avril 2011, puis avait reçu le 21 avril 2014 un second acte de poursuite, devait être regardée comme ayant connu au plus tard à cette seconde date le rejet de sa réclamation du 1er juin 2011 alors que l'administration n'avait pas informé la société, lors de la présentation de la réclamation de 2011, des conditions de naissance d'une décision implicite et que la mise en demeure de payer reçue le 21 avril 2014 ne comportait aucune référence à cette réclamation.

(13 décembre 2020, Société des Établissements Salvi, n° 427275)

 

38 - Référé-mesures utiles (art. L. 521-3 CJA) – Pouvoir du juge de ce référé – Demande de prise de mesures réglementaires ou d’organisation du service – Demande excédant les pouvoirs du juge des référés – Rejet.

La requérante a saisi le juge du référé-mesures utiles, compétent pour ordonner que soient prises des mesures provisoires ou conservatoires, afin qu’il enjoigne le premier ministre et divers autres ministres de prendre toutes mesures utiles pour que les élèves soient accueillis dans les établissements scolaires dans le respect des règles d'hygiène et de distanciation physique nécessaires pour lutter contre l’épidémie de Covid-19.

Une telle demande tend à voir ordonner aux ministres en cause de prendre des mesures réglementaires en matière de santé et de sécurité au travail dans les établissements scolaires, ainsi qu’à assurer la continuité du service public de l'éducation.

Il n’entre pas dans les attributions du juge des référés de l’art. L. 521-3 CJA d’ordonner au pouvoir exécutif la prise de décisions réglementaires ni, non plus, de mesures d’organisation du service public.

Comme le suggère le juge dans sa décision, il eût été plus judicieux pour la requérante, sans que le succès soit assuré, d’agir sur le fondement des art. L. 521-1 ou L. 521-2 de ce code.

(ord. réf. 10 novembre 2020, Association Pour réussir On s'unit Fièrement et Solidairement, (P.R.O.F.S.), n° 445957)

(39) V. aussi, comportant la même motivation, le rejet d’une demande, fondée sur l’art. L. 521-4 CJA, tendant à ce qu’il soit fait injonction au ministre de l'intérieur d'autoriser la réouverture des établissements organisant des stages de sensibilisation à la sécurité routière ou, à titre subsidiaire, de ne plus faire procéder à la notification des décisions de retrait de points affectés aux permis de conduire jusqu'à la fin des mesures générales prises pour faire face à l'épidémie de Covid-19. Une telle demande tend, en effet, à la prise de décisions réglementaires et de mesures d’organisation du service public, lesquelles ne sauraient être ordonnées par le juge du référé-mesures utiles : 9 novembre 2020, M. A., n° 445975.

(40) V. également, voisin en substance : l’ordonnance rejetant, au moyen de la procédure expéditive de l’art. L.  522-3 du CJA, la demande d’annulation, par voie de référé liberté, du décret du 14 octobre 2020 déclarant l'état d'urgence sanitaire. Juge du provisoire, le juge des référés ne saurait, sur ce seul fondement, prononcer l’annulation, donc à caractère définitif, d’une décision administrative : ord. réf. 23 novembre 2020, M. B., n° 446328.

 

41 - Procédure juridictionnelle – Réouverture de l’instruction – Faculté ou obligation selon les cas – Application en l’espèce – Cassation avec renvoi.

Un arrêt de cour d’appel est cassé pour n’avoir pas rouvert l’instruction alors que la demanderesse se prévalait d’une circonstance nouvelle dont elle ne pouvait faire état avant la clôture de l'instruction et qui était susceptible d'exercer une influence sur le jugement du litige.

En effet, si la réouverture de l’instruction est en principe, pour le juge administratif, une faculté, elle constitue pour lui une obligation lorsque, comme en l’espèce, la production nouvelle contient l'exposé d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et qui est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire.

(12 novembre 2020, Mme D., n° 426134)

 

42 - Référé-liberté – Patient atteint de lésions cérébrales – Décision médicale d’arrêt des traitements de suppléance des fonctions vitales - Demande de suspension de cette décision – Appréciations contradictoires – Désignation d’un expert – Suspension de l’arrêt des traitements – Cassation de l’ordonnance de rejet.

L’équipe médicale ayant décidé d’arrêter les traitements tendant à suppléer les fonctions vitales d’un patient victime de graves lésions cérébrales et en l’état d’appréciations contradictoires sur son état de conscience, le juge ordonne une expertise afin de déterminer l’état réel du patient et ses perspectives d’évolution ainsi que la suspension de la décision médicale.

(ord. réf. 12 novembre 2020, M. B. et autres, n° 445855)

 

43 - Compétence à l’intérieur de l’ordre administratif de juridiction – Appel d’un jugement rendu sur recours en annulation d’une décision administrative – Demande d’annulation assortie d’une réclamation indemnitaire d’un montant inférieur à 10 000 euros – Réclamation connexe à la demande d’annulation – Compétence d’appel de la cour administrative quel que soit le montant de l’indemnité réclamée – Annulation.

Se posait ici la question de savoir si l’appel d’un jugement devait être porté devant la cour administrative d’appel ou devant le Conseil d’État.

La justiciable avait demandé aux premiers juges l’annulation d’une décision prise par un département et, en conséquence du préjudice en résultant pour elle, son indemnisation pour 7000 euros. Or l’appel des jugements sur des demandes indemnitaires d’un montant inférieur à 10 000 euros relève directement du Conseil d’État. Toutefois, la demande de réparation est liée à la demande d’annulation et l’appel du jugement rendu sur ce point relève de la cour administrative d’appel.

La cour, en l’état de ces conséquences divergentes, a donc saisi le Conseil d’État pour attribution du dossier à la juridiction administrative compétente.

Celui-ci doit être approuvé pour avoir jugé la réclamation pécuniaire constituer une demande connexe de celle tendant à l’annulation de la décision préjudiciable et d’avoir attribué l’entier dossier d’appel à la cour administrative d’appel.

(13 novembre 2020, Département de Loire-Atlantique, n° 429326)

 

44 - Éoliennes terrestres – Refus d’autoriser une implantation d’éoliennes – Annulation par le juge et délivrance par ce dernier de l’autorisation d’exploiter - Tierce opposition – Compétence du tribunal administratif pour en connaître nonobstant le transfert de compétence à la cour administrative d’appel.

Dans un litige en contestation du refus partiel d’autoriser l’implantation d’éoliennes terrestres, le tribunal administratif avait, par un jugement du 23 mai 2019, annulé ce refus et délivré lui-même l’autorisation sollicitée. Par ailleurs, le décret du 29 novembre 2018, entré en vigueur le 1er décembre 2018, dans le souci d’en accélérer le traitement, a transféré aux cours administratives d’appel la connaissance directe en premier et dernier ressort de cette catégorie de litiges.

Les requérants, opposés à l’implantation autorisée par le juge, avaient formé devant une cour administrative d’appel un recours en tierce opposition contre le jugement du tribunal administratif. Sur renvoi de ladite cour (selon la procédure de l’art. R. 351-3 CJA), le Conseil d’État décide que c’est au tribunal administratif de statuer sur la tierce opposition celle-ci relevant de la compétence de la juridiction qui a rendu le jugement dont la rétractation est demandée ; or l’autorisation délivrée par le juge a elle-même la nature d’un jugement.

L’affaire est donc renvoyée au tribunal administratif.

(12 novembre 2020, M. G. et autres, n° 441681)

 

45 - Décision administrative prise en situation de compétence liée – Caractère inopérant des griefs en illégalité développés à son encontre – Rejet.

Rappel, dans le cadre d’un litige né du refus de versement d’une indemnité forfaitaire à un fonctionnaire qui n’y avait pas droit, d’un principe contentieux constant : sont inopérants les griefs d’illégalité articulés à l’encontre d’une décision administrative dont l’auteur était, lorsqu’il l’a prise et dans les conditions où elle l’a été, en situation de compétence liée.

(13 novembre 2020, M. A., n° 427492)

 

46 - Commissaires aux comptes – Procédure disciplinaire – Demande de sursis à statuer dans l’attente des décisions du juge pénal sur le dossier – Rejet implicite – Demande d’annulation irrecevable car dirigée contre des actes non détachables de la procédure disciplinaire – Rejet.

Les demandeurs, poursuivis disciplinairement, ont demandé à la présidente, au rapporteur général et au président de la formation restreinte du Haut conseil du commissariat aux comptes qu'il soit sursis à statuer sur leur instance disciplinaire dans l'attente du jugement pénal relatif aux mêmes faits. Leurs demandes ont été implicitement rejetées du fait du silence gardé par les responsables précités.

Le Conseil d’État rejette leurs recours pour irrecevabilité, ces refus ne sont pas détachables de la procédure disciplinaire : ils ne pourront donc être contestés que lorsqu’auront été rendues les décisions disciplinaires, au travers de la contestation des sanctions éventuellement prononcées.

(19 novembre 2020, MM. B., A. et E., n° 437506)

 

47 - Permis de construire tacite – Déféré préfectoral en annulation et en demande de suspension d’exécution (art. L. 2131-6 CGCT) – Ordonnance de référé susceptible seulement d’appel – Irrégularité de la saisine directe du Conseil d’État – Renvoi à la cour administrative d’appel.

(25 novembre 2020, SCI Mistler, n° 443515) V. n° 202

 

48 - Rapporteur public ayant régulièrement prononcé ses conclusions lors d’une audience – Réouverture de l’instruction – Seconde audience – Rapporteur s’en remettant à ses précédentes conclusions – Régularité – Rejet.

Dans un litige fiscal – mais cette précision est indifférente à la portée de la solution ici retenue – une audience s’était tenue devant la cour administrative d’appel au cours de laquelle le rapporteur public avait prononcé ses conclusions sur l’issue qu’il convenait, selon sa conscience, de donner au litige. Après cette audience, l’instruction a été rouverte et, à son terme, une seconde audience s’est tenue au cours de laquelle le rapporteur public a déclaré s’en remettre à ses précédentes conclusions prononcées lors de la première audience.

Le Conseil d’État, contrairement à la société requérante, estime n’y avoir aucune irrégularité en l’espèce.

La solution, très logique et, en outre, simplificatrice, doit être approuvée.

(27 novembre 2020, Société Le Dôme, n° 421409)

 

Contrats

 

49 - T. C.  2 novembre 2020, Société Eveha c/ Société publique locale d'aménagement (SPLA) Pays d'Aix territoires et Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP), n° 4196

 

Concession d’aménagement - Réalisation d’une zone d’aménagement concerté (ZAC) – Contrat conclu entre une personne publique et une personne privée – Clause conférant des prérogatives particulières au cocontractant privé – Absence de caractère administratif du contrat litigieux de ce fait – Contrat ayant pour objet l’exécution même d’une mission de service public et conférant aux travaux en cause la nature de travaux publics - Compétence de la juridiction administrative.

 

On signale cette intéressante décision du Tribunal des conflits dans laquelle, ayant à déterminer la compétence juridictionnelle pour connaître d’un litige relatif à l’exécution d’un contrat de fouilles archéologiques préventive conclu entre une personne privée, la SPLA, et une personne publique, l’INRAP, le Tribunal tranche de la manière suivante en faveur de la compétence des juridictions administratives.

Tout d’abord, est réitérée et précisée une jurisprudence relativement récente (TC 13 octobre 2014, S.A. AXA France IARD, n° 3963, au Recueil p.471) selon laquelle l’existence d’une clause exorbitante au profit du contractant privé ne confère pas au contrat la nature d’un contrat administratif.

Ensuite, le contrat litigieux est cependant déclaré administratif,  en application de la célèbre jurisprudence du Conseil d’État Consorts Grimouard (Section, 20 avril 1956, Ministre de l’agriculture c/ Consorts Grimouard, au Recueil p. 168), car il porte sur l’exécution même du service public que constituent les fouilles archéologiques préventives, conférant ainsi aux travaux nécessaires à cet effet, la nature de travaux publics.

 

50 - Accord-cadre mono-attributaire – Obligation d’informer les candidats à cet accord sur les conditions d’attribution des marchés subséquents – Absence d’automaticité d’attribution des marchés subséquents à l’unique opérateur avec lequel a été conclu l’accord-cadre – Rejet du recours et annulation de l’ordonnance en référé précontractuel.

C’est une décision importante qu’a rendu le Conseil d’État par les indications précises qu’elle contient en cas d’attribution d’un accord-cadre à un seul opérateur économique, dit accord-cadre mono-attributaire.

La métropole de Lille avait lancé une procédure d’appel d’offres en vue de l’attribution d’un accord-cadre d’une durée de 48 mois pour l’aménagement audiovisuel de ses bâtiments ainsi que d’un marché subséquent n° 1 relatif à l'aménagement audiovisuel de son nouveau siège à Lille.

L’un des concurrents a saisi le juge du référé précontractuel de l’art. L. 551-1 du CJA qui a annulé cette procédure en raison de ce qu’était méconnu en l’espèce le principe de transparence des procédures car le règlement de consultation comprenait, d'une part, des critères de sélection propres à l'appréciation de l'accord-cadre et, d'autre part, des critères d'appréciation propres au marché subséquent n°1.

Le juge des référés a considéré que la société qui l’a saisi était fondée à croire que l'attribution de ce premier marché subséquent donnerait lieu à une confrontation des offres, voire que les éléments techniques et propositions financières déposés à ce titre pourraient être pris en considération par l'acheteur pour l'attribution de l'accord-cadre, ce qui serait illégal. Il a donc annulé la procédure d’appel d’offres.

C’est sur ce point que porte la cassation pour erreur de droit.

Le Conseil d’État juge que c’est à tort que le premier juge a considéré, d’une part, comme irrégulier le fait de prévoir des conditions d'attribution pour les marchés subséquents dans un accord-cadre mono-attributaire et d’autre part, comme contraire au principe de transparence de procéder à l'attribution simultanée d'un accord-cadre mono-attributaire et d'un marché subséquent.

En effet, tout d’abord, il incombe au pouvoir adjudicateur d'informer les candidats sur les conditions d'attribution des marchés subséquents à un accord-cadre mono-attributaire dès l'engagement de la procédure d'attribution de cet accord-cadre.

Ensuite, la conclusion d’un accord-cadre avec un seul opérateur économique n'implique pas que son titulaire bénéficie de l'octroi automatique des marchés subséquents passés dans ce cadre. Il suit de là qu’aucune disposition du code de la commande publique ni aucun principe ne fait obstacle à ce que les offres remises par le titulaire d'un accord-cadre mono-attributaire pour l'attribution des marchés subséquents soient notées et analysées, et que les marchés ne lui soient attribués que sous réserve de remplir certaines conditions.

Enfin, la solution est la même quand la procédure de passation de l'accord-cadre mono-attributaire envisage l'attribution simultanée d'un premier marché subséquent ; en ce cas les candidats à l'attribution de l'accord-cadre sont de ce fait invités à remettre également une offre pour ce premier marché, sous réserve que la comparaison des offres des candidats porte uniquement sur l'accord-cadre et non, de façon concomitante, sur celles remises pour le premier marché. 

La solution n’est pas entièrement nouvelle et réitère, concernant le moment de l’information des candidats, celle déjà retenue en 2013 (5 juillet 2013, Union des groupements d’achats publics (UGAP) n° 368448 ; Société SCC, n° 368461, aux tables du Recueil p. 691). Elle innove davantage pour le reste de la décision.

(6 novembre 2020, Métropole européenne de Lille, n° 437718)

 

51 - Marché public – Principe d’égalité des candidats à l’attribution d’un marché public – Offre anormalement basse – Obligation de vérification s’imposant au pouvoir adjudicateur –Rejet.

Rappel de ce que le principe d’égalité entre les candidats à l'attribution d'un marché public oblige tout pouvoir adjudicateur et quelle que soit la procédure de passation suivie, à solliciter de celui qui a présenté une offre apparaissant anormalement basse les explications et justifications adéquates. Le pouvoir adjudicateur, en cas d’insuffisance des réponses données, a l’obligation de rejeter une offre susceptible, de ce fait, de compromettre la bonne exécution du marché.

(13 novembre 2020, Office public de l'habitat Alès Agglomération - Logis Cévenols, n° 432791)

 

52 - Marché public – Éviction irrégulière d’un tel marché – Étendue du préjudice certain – Marché susceptible de reconduction(s) – Préjudice certain ne pouvant porter que sur la période initiale d’exécution du marché – Annulation de l’arrêt contraire sur ce point.

Le Conseil d’État, dans un litige en annulation d’un marché portant sur la fourniture de tous éléments bruts ou cuisinés et produits consommables et l'exécution d'une mission d'assistance technique aux opérations de restauration, est à nouveau amené à rappeler les conditions d’indemnisation des concurrents irrégulièrement évincés.

Ceux-ci n’ont droit, par application des principes régissant la responsabilité des personnes publiques, qu’à la réparation de leur préjudice certain. Il s’ensuit que lorsqu’un marché prévoit une période initiale d’exécution susceptible d’être suivie d’une ou plusieurs reconduction(s), le préjudice n’est certain qu’en ce qui concerne cette période initiale, non celle(s) soumise(s) à une décision de reconduction laquelle n’a, en principe, pas de caractère certain.

(13 novembre 2020, Société Valeurs culinaires, n° 438220)

 

53 - Contrat de concession – Obligation d’information des candidats - Information sur les investissements à réaliser – Absence d’obligation – Annulation sans renvoi.

La soumission des concessions aux trois principes généraux du droit de la commande publique (liberté d'accès à la commande publique, égalité de traitement des candidats et transparence des procédures) fait obligation à l’autorité concédante de donner aux candidats à l'attribution d'une concession, avant le dépôt de leurs offres, une information suffisante sur la nature et l'étendue des besoins à satisfaire en indiquant les caractéristiques essentielles de la concession, la nature et le type des investissements attendus ainsi que les critères de sélection des offres.

En revanche, ne s’impose à elle aucune obligation de décrire avec précision l'étendue et le détail des investissements. Elle peut choisir d’apporter toutes ces précisions comme elle peut laisser les candidats libres de définir eux-mêmes leur programme d'investissement.

Pour avoir jugé le contraire l’ordonnance du juge du référé précontractuel de première instance est annulée en même temps qu’est admise la demande d’annulation de la procédure pour méconnaissance du principe d’égalité entre les candidats du fait de l’imposition d’un montage contractuel irrégulier.

(6 novembre 2020, Commune de Saint-Amand-les-Eaux, n° 437946 et Société du Casino de Saint-Amand-les-Eaux, n° 437975)

 

54 - Marché public – Réservation de places de crèche dans une structure privée – Action en réparation du préjudice subi pour perte de chance de se voir attribuer le marché – Critères d’attribution du marché autres que le prix – Obligation de les énumérer avec indication, le cas échéant, de leur pondération ou hiérarchisation ainsi que les sous-critères susceptibles d’incidence sur l’attribution du marché – Portée de la liberté du choix de la méthode de notation – Exigence d’un rapport direct entre les éléments d’appréciation des critères et les critères eux-mêmes – Prohibition de critères sans portée ou se neutralisant – Rejet.

La société requérante avait obtenu du tribunal administratif l’annulation du marché conclu entre un centre communal d'action sociale (CCAS) et une société concurrente pour la réservation de vingt places au sein d'une crèche relevant d’une structure à gestion privée, pour une durée de quatre ans au maximum ainsi que la condamnation du CCAS à lui verser une certaine somme en réparation du préjudice résultant de la perte de chance de se voir attribuer le marché en cause. Ce jugement a été annulé par la cour administrative d’appel, d’où le pourvoi formé contre cet arrêt devant le Conseil d’État.

Le litige portait, pour l’essentiel, sur la critérisation retenue par le CCAS, sa méthode de notation et les éléments d’appréciation pris en compte par lui pour noter et classer les offres.

Le Conseil d’État rappelle sa jurisprudence sur l’obligation d’information des candidats par le pouvoir adjudicateur, dès l’avis d’appel public ou dans les cahiers des charges, sur les critères choisis par lui. En particulier lorsque sont pris en compte d’autres critères que celui du prix, ce dernier doit indiquer quels sont ces critères ainsi que leur pondération ou leur hiérarchisation. Cette obligation d’information s’étend à la hiérarchisation ou à la pondération des sous-critères lorsque ces derniers sont de nature à exercer une influence tant sur la présentation des offres que sur leur sélection. Classiquement, il est aussi rappelé que le pouvoir adjudicateur n’est pas tenu de porter à la connaissance des candidats la méthode qu’il retient pour la notation des offres.

Cependant, cette liberté dans la détermination du choix de la méthode de notation des critères de sélection retenus et publiés n’est pas infinie : il est notamment interdit au pouvoir adjudicateur de recourir à des éléments d’appréciation qui, par eux-mêmes ou par combinaison entre eux, fausserait en réalité la valeur et le rôle des critères, par exemple, en les privant de portée réelle, en neutralisant leur hiérarchie, aboutissant ainsi à dénaturer la procédure suivie, laquelle pourrait aboutir à ce que ne soit pas retenue l’offre économiquement la plus avantageuse ou à ce que l’offre la meilleure n’obtienne pas la note la meilleure.

Passant à l’application au cas d’espèce de ce vade-mecum, le juge examine les deux critiques essentielles du pourvoi.

En premier lieu, pour évaluer le projet d'établissement lui-même, élément d'appréciation du sous-critère relatif à la qualité du projet d'établissement, le pouvoir adjudicateur a pris en compte deux éléments d'appréciation, concernant respectivement les conditions d'organisation de la structure, dont le nombre de places totales, les horaires d'ouvertures et les fermetures annuelles, et les « projets complémentaire ». Par ailleurs, s'agissant de ces « projets complémentaires », quatre éléments d'appréciation ont été pris en compte, dont le « budget alimentation annuel ». Or l’auteur du pourvoi estimait que la prise en compte du montant du budget consacré à l'alimentation était sans lien avec l'objet du marché et ne reflétait pas, à lui seul, la qualité diététique et gustative des repas, ce qui était de nature, selon la société requérante, à affecter la régularité de la méthode de notation. Confirmant l’arrêt d’appel, le Conseil d’État rejette de double argument en relevant, tout d’abord, que cet élément d’appréciation n’était pas sans lien avec l’objet du marché et, ensuite, qu’il n’était qu’un élément d’appréciation parmi d’autres, il n’était donc pas irrégulier de le retenir même s’il demeure exact que cela ne suffisait à savoir quelle serait la qualité des repas.

En second lieu, il était soutenu que la prise en compte de la masse salariale brute pour apprécier le sous-critère relatif à la qualité du projet d'établissement qui permettait lui-même d'évaluer le critère relatif à la valeur technique des offres, affectait la régularité de la méthode de notation car cette prise en compte était sans lien avec ce dernier critère.

Rejetant, comme la cour, cet argument, le juge de cassation relève que le CCAS a non seulement tenu compte des effectifs envisagés en équivalent temps plein, mais aussi du niveau de qualification des personnels et de leur expérience, du nombre d'heures de formation qui leur seraient dispensées, des modalités de leur remplacement en cas d'absence ponctuelle afin d’assurer la continuité du service public, de la fréquence des interventions d'un médecin et d'un psychologue, et du budget représentant la masse salariale brute. Par suite, le sous-critère litigieux n’était pas dépourvu de tout lien avec le critère de la valeur technique des offres et c’est sans irrégularité que le CCAS a considéré que l’offre de la société candidate retenue proposait « plus d'heures de formations et d'interventions de spécialistes médicaux que ses concurrents », offrait « un mode de remplacement » plus « efficace » et « un budget de masse salariale supérieur à celui (de la société requérante) », il était donc justifié de lui accorder des points supplémentaires.

(20 novembre 2020, Société Evancia, n° 427761)

 

55 - Contestation d’un contrat administratif ou d’un avenant à un tel contrat –Recours de plein contentieux ouvert aux tiers à un contrat administratif - Jurisprudence Département du Tarn – Application dans le temps – Cas des avenants – Rejet et annulation partiels avec renvoi dans cette mesure.

Les juridictions du fond avaient été saisies – en vain - d’un recours pour excès de pouvoir tendant à l‘annulation de délibérations du conseil de la communauté urbaine de Bordeaux relatives à la délégation du service public de l’eau potable et de l’assainissement et de la décision du président de cette communauté refusant de retirer ces délibérations ainsi qu’à la constatation de l'illégalité des clauses tarifaires résultant de ces délibérations. Le pourvoi est dirigé contre le rejet par la cour de Bordeaux de l’appel dirigé contre le jugement du tribunal administratif rejetant ces demandes.

La communauté urbaine défenderesse a concédé, le 20 décembre 1991, pour trente ans à compter du 1er janvier 1992, à la Société Lyonnaise des Eaux, le service public de l'eau potable et de l'assainissement puis elle a par la suite, par délibérations successives, conclu plusieurs avenants. Certaines de ces délibérations sont contestées dans cette affaire.

Tout d’abord, s’agissant d’un recours pour excès de pouvoir formé par des tiers à un contrat, le juge rappelle qu’en vertu de sa jurisprudence Département du Tarn (Assemblée, 4 avril 2014, n° 258994), les tiers ne peuvent contester la validité d’un contrat administratif qu’au moyen d’un recours de pleine juridiction non d’un recours pour excès de pouvoir. Toutefois, cette jurisprudence ne s’applique que postérieurement au jour où elle a été rendue : sont donc exclus de ce champ d’application les contrats et ceux de leurs avenants conclus antérieurement. Le juge précise cependant que dans le cas des contrats conclus avant cette date, ceux de leurs avenants conclus après cette date relèvent de la jurisprudence Département du Tarn.

En l’espèce, tant le contrat que ceux de ses avenants critiqués sont antérieurs au 4 avril 2014 ; les délibérations en cause étant détachables du contrat, elles peuvent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Le recours est rejeté par le double motif qu’une délibération approuvant un contrat de concession et autorisant le maire à le signer est dépourvue de caractère réglementaire, quand bien même ce contrat comporterait des clauses de nature réglementaire, et que cette délibération a créé des droits au profit de la société concessionnaire. C’est donc sans erreur de droit que la cour a jugé impossible le retrait des délibérations litigieuses après expiration d’un délai de quatre mois.

Ensuite, concernant la délibération du 21 décembre 2012, qui a approuvé un avenant n° 9 consacrant le principe d'une maîtrise d'ouvrage de la communauté urbaine sur certains investissements structurants, encadrant et planifiant la transition vers un nouveau mode d'exploitation du service en précisant les conditions financières de sortie de la concession et de valider une nouvelle grille de tarification du service de l'eau applicable aux usagers, elle est jugée irrégulière en tant qu’elle contrevient aux dispositions de l’art. 40 de la loi du 29 janvier 1993. C’est donc à tort que la cour a jugé inopérant le moyen des demandeurs soutenant que cet avenant avait eu pour objet de prolonger l'exécution du contrat de concession au-delà du délai de vingt ans prévu par la loi de 1993.

C’est dans cette limite qu’est opérée la cassation et qu’est ordonné le renvoi à la cour.

(20 novembre 2020, Association Trans’Cub et autres, n° 428156)

 

56 - Marché public industriel – Pénalités contractuelles – Inclusion de leur montant dans le décompte général et définitif du marché arrêté par les parties – Décompte arrêté par le juge – Obligation pour le juge, sur demande de la personne publique, de prononcer ces pénalités – Erreur de droit – Cassation partielle avec renvoi sur ce seul point.

Contrairement à ce qu’avait jugé la cour administrative d’appel, le Conseil d’État décide que lorsque le décompte général et définitif du marché est arrêté non par les parties mais par le juge, ce dernier a l’obligation, sur demande de la personne publique, d’inclure dans ce décompte le montant des pénalités.

(20 novembre 2020, Régie des transports métropolitains (RTM), n° 428844)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

57 - Régime des plus-values ou moins-values à long terme – Titres exclus de ce régime – Titres des sociétés à prépondérance immobilière non cotées – Portée de l’art. 223 B du CGI – Rejet.

Le Conseil d’État indique que l’art. 223 B du CGI, lu à la lumière des travaux préparatoires de la loi du 25 décembre 2007 de finances rectificative pour 2007 de laquelle il est issu, doit être interprété comme excluant du régime des plus-values ou moins-values à long terme notamment – comme au cas de l’espèce - les titres de sociétés à prépondérance immobilière non cotées alors même qu'étant comptabilisés dans les stocks, ils n'ont jamais pu relever du régime des plus et moins-values à long terme, peu important par ailleurs, qu'ils aient eu ou non le caractère de titres de participation. 

(4 novembre 2020, Société Compagnie financière de Brocéliande, n° 423408)

 

58 - Revenus fonciers – Déduction de ces revenus des frais correspondant à certains travaux – Travaux indissociables des parties communes – Dénaturation des faits – Cassation avec renvoi.

Les requérants, qui ont réalisé et financé d’importants travaux dans un appartement dont ils sont propriétaires, entendaient se prévaloir des dispositions de l’art. 31 (au b/ du 1° du I) du CGI qui permettent de déduire du revenu net : « les dépenses d'amélioration afférentes aux locaux d'habitation, à l'exclusion des frais correspondant à des travaux de construction, de reconstruction ou d'agrandissement ».

Explicitant cette phrase le Conseil d’État l’interprète comme permettant la déduction des travaux qui : 1° emportent création de nouveaux locaux d'habitation, 2° apportent une modification importante au gros œuvre, 3° constituent des travaux d'aménagement interne équivalant, par leur importance, à des travaux de reconstruction, 4° ont pour effet d'accroître le volume ou la surface habitable des locaux existants. 

Pour rejeter la demande d’annulation du refus opposé par l’administration fiscale, la cour administrative d’appel avait estimé que lesdits travaux n’étaient pas dissociables de ceux entrepris sur les parties communes de l’immeuble où est situé l’appartement litigieux.

L’arrêt est cassé pour dénaturation des faits de l’espèce.

(20 décembre 2020, M. et Mme B., n° 427024)

 

59 - Taxe à la valeur ajoutée – Refacturation des coûts effectués par une banque vers ses succursales situées à l’étranger – Succursales membres d’un groupement de TVA – Assujetties distinctes de la société mère – Caractère déductible de la TVA lié à l’opération de refacturation aux groupements d’appartenance de ces succursales – Absence de lien avec les opérations réalisées ultérieurement par ces groupements.

Commet une erreur de droit et encourt cassation l’arrêt d’appel  qui, après avoir relevé que des succursales de la société BNP Paribas Securities Services sont membres de groupements de taxe sur la valeur ajoutée et bénéficient donc de la qualité d'assujetties distinctes de la société BNP Paribas Securities Services, refuse de prononcer la décharge de rappels de TVA liée aux refacturations de coûts effectuées par la société à ses succursales situées à l’étranger au motif que cette dernière « ne fournissait aucune précision sur les opérations réalisées par les groupements respectifs permettant de déterminer le caractère déductible de la taxe grevant les dépenses supportées par elle selon qu'elles sont affectées à des opérations soumises à la taxe sur la valeur ajoutée ou à des opérations exonérées. ». En effet, la déductibilité de la TVA grevant les dépenses de BNP Paribas ne dépendait que de la refacturation aux groupements d’appartenance de ces succursales et point, comme l’a jugé la cour, des opérations ultérieures à ces refacturations réalisées par ces groupements.

(4 novembre 2020, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 435295 ; Société BNP Paribas Securities Services, n° 436082, jonction)

 

60 - Impôt sur les sociétés – Entreprises situées en France sous la dépendance d’entreprises situées hors de France ou exerçant sur elles un contrôle – Bénéfices indirectement transférés à ces dernières – Régime fiscal – Cas de la perception d’une insuffisante rémunération par l’entreprise mère à l’étranger des charges assumées par celle située en France – Cassation avec renvoi.

L’art. 57 du CGI institue une présomption de transfert indirect de bénéfices de la part des entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France, notamment en cas de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen. Cette présomption ne peut être renversée que par la preuve que doit rapporter l’entreprise située en France que les avantages qu’elle a consentis font l’objet de contreparties.

Il est également, mais implicitement, jugé que le juge de cassation contrôle la qualification juridique des faits dont il est prétendu ou nié qu’ils constituent un transfert indirect de bénéfice devant, par suite, être incorporé aux résultats imposables de l’entreprise établie en France. En revanche, toujours pour l’application de l’art. 57 du CGI, c’est au pouvoir souverain des juges du fond que revient d’apprécier l’existence ou non d’un avantage apporté par l’entreprise située en France à une entreprise établie à l’étranger.

(23 novembre 2020, Société Salvatore Ferragamo France, n° 425557)

 

61 - Impôts sur les bénéfices des sociétés – Exonération en cas d’installation dans une zone franche (loi du 4 février 1995) – Conditions d’application de ce régime – Transfert d’une activité déjà existante ailleurs dans une zone franche – Continuation d’une activité déjà existante dans une telle zone – Exigence de dirigeants différents pour l’activité transférée et pour celle installée postérieurement - Cassation avec renvoi.

La loi du 4 février 1995, d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, a institué une exonération de l’impôt sur les bénéfices des sociétés pendant soixante mois (cf.  art. 44 octies et 44 octies A du CGI) pour les activités exercées dans une zone franche urbaine (telle que définie au B du 3 de l’art. 42 de la loi précitée).

Un litige s’est élevé entre la société requérante et l’administration fiscale, celle-ci ayant remis en cause le bénéfice de cette exonération pour les trois années 2011 à 2013 du fait que l’activité en cause était une activité transférée.

La cour administrative d’appel, après avoir annulé le jugement du tribunal administratif, a rejeté la demande de la société tendant à la décharge des impositions supplémentaires mises à sa charge.

Le Conseil d’État annule cet arrêt.

Il résulte de l’économie générale de la loi que la création, entre le 1er janvier 2006 et le 31 décembre 2014, d'activités au sein d'une zone franche urbaine entraîne de plein droit l'application de l'exonération totale qu'elles prévoient pendant les soixante mois qui suivent.

Lorsque l’activité a été transférée vers un autre site que celui où elle était jusque-là exercée, trois cas se présentent.

1°) Si l’activité transférée était jusqu'alors exercée au sein d'une autre zone franche urbaine, il convient de déduire de la période de 60 mois celle pendant laquelle les activités exercées dans cette autre zone ont déjà fait l'objet d'une exonération.

2°) Lorsque l’activité transférée était jusqu'alors exercée en dehors d'une telle zone, l'exonération s'applique pour l'entière durée de soixante mois à compter du transfert en zone franche urbaine.

3°) La reprise d'activités déjà exercées sur le même site n'entraîne l'application de l'exonération totale que pour la durée restant à courir après déduction de la durée d'exonération déjà écoulée.

L’arrêt contesté est annulé pour avoir subordonné le bénéfice de l’exonération légale à la double condition que l’activité ait bénéficié jusque-là de l'exonération applicable dans les zones franches urbaines et que le dirigeant de l'entreprise qui les transfère ou les reprend soit distinct de celui de l'entreprise qui les exerçait jusqu'alors. Ces exigences n’ont pas de fondement légal contrairement à ce que soutenait l’administration fiscale.

(4 novembre 2020, Société Agu et associés Var, n° 436048)

 

62 - Qualité de résident suisse – Qualité régie directement par l’art. 4 la convention fiscale franco-suisse du 9 septembre 1966 – Erreur de droit à opposer l’art. 31 de cette convention – Formulaire d’attestation exigé à tort – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.

Commet une erreur de droit l’arrêt qui, pour refuser à un couple de contribuables la qualité de résidents suisses, se fonde sur les stipulations de l’art. 31 de la convention fiscale franco-suisse du 9 septembre 1966, lequel ne vise que le cas où le contribuable entend se prévaloir du bénéfice de certains avantages fiscaux prévus par cette convention, alors que la résidence est exclusivement déterminée sur la base des dispositions de l’art. 4 de la convention qui ne prévoit la présentation d’aucun formulaire.

(23 novembre 2020, M. et Mme A., n° 427182)

 

63 - Comptabilité publique – Créances sur une personne publique – Régime de la prescription quadriennale – Réparation d’un dommage corporel – Point de départ du délai – Cassation avec renvoi.

Cette décision comporte un double rappel en matière de prescription des créances détenues sur un personne publique.

En premier lieu, le point de départ du délai de prescription quadriennale d’une créance née d’un dommage corporel est le premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les infirmités liées à ce dommage ont été consolidées. Ce mode de calcul s’applique pour tous les postes de préjudice, aussi bien temporaires que permanents, qu'ils soient demeurés à la charge de la victime ou aient été réparés par un tiers, tel qu'un organisme de sécurité sociale, qui se trouve subrogé dans les droits de la victime. 

En second lieu, la règle précitée, si elle fait obstacle à l'indemnisation de tous les préjudices directement liés au fait générateur qui, à la date à laquelle la consolidation s'est trouvée acquise, présentaient un caractère certain permettant de les évaluer et de les réparer, y compris pour l'avenir, n’empêche pas la victime d'obtenir réparation de préjudices nouveaux résultant d'une aggravation directement liée au fait générateur du dommage et postérieure à la date de consolidation. Le délai de prescription de l'action court à compter de la date à laquelle cette aggravation s'est elle-même trouvée consolidée.

(20 novembre 2020, M. B., n° 434018)

 

64 - Impôts sur les sociétés – Détermination du bénéfice net – Charges déductibles – Limite de la déductibilité (1° ter et 3° du 1 de l’art. 39 du CGI) – Cas de primes de non-conversion d’obligations convertibles en actions détenues par les associés – Exclusion du calcul du plafond de déductibilité (3° du 1 de l’art. 39 du CGI) – Rejet.

Une société a émis un emprunt obligataire sous forme nominative d’une durée de sept ans, les obligations étant convertibles à l’échéance en actions d’une valeur d’un euro. Ces obligations devaient faire l’objet d’un remboursement en valeur nominale, d’un intérêt annuel de 4% et d’une prime de non-conversion de 8% l’an. Deux associées ayant souscrit ces obligations, la société a comptabilisé la charge d’intérêts leur étant dus ainsi que les dotations aux amortissements à raison des primes de non-conversion et elle a déduit, durant la période en litige, l’ensemble de ces sommes pour déterminer son bénéfice net imposable à l’impôt sur les sociétés. L’administration fiscale a refusé la déductibilité d’une partie de ces sommes motif pris de ce qu’elle excédait le plafond de déductibilité fixé au 3° de l’art. 39 du CGI et a redressé en conséquence le montant imposable.

Le ministre demandeur se pourvoit contre l’arrêt d’appel qui a déchargé la société des cotisations supplémentaires d’impôt résultant de ce redressement.

Confirmant l’arrêt et rejetant donc le pourvoi, le Conseil d’État juge – pour la première fois semble-t-il avec cette netteté - que c’est sans erreur de droit que la cour n’a pas pris en compte les dotations aux amortissements du chef de la non-convertibilité des obligations pour apprécier le plafond de déductibilité tel que prévu au 3° précité.

(13 novembre 2020, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 423155)

 

65 - Contestation du montant de la taxe d’habitation - Règle du délai raisonnable – Conditions d’application – Point de départ du délai annal - Connaissance effective de la décision litigieuse – Cas d’un rejet ne faisant pas état d’un rejet précédent – Inapplicabilité de la règle – Annulation.

(13 décembre 2020, Société des Établissements Salvi, n° 427275) V. n° 37

 

66 - Revenus de source étrangère – Exonération d’impôts possible (art. 81 A du CGI) – Cas des rémunérations versées par une entité domiciliée en France à une personne domiciliée ou établie hors de France (art. 155 A, I du CGI) – Caractère imposable – Rejet.

Il résulte du I de l’art. 155 A du CGI que « Les sommes perçues par une personne domiciliée ou établie hors de France en rémunération de services rendus par une ou plusieurs personnes domiciliées ou établies en France sont imposables au nom de ces dernières (…) lorsque la personne qui perçoit la rémunération des services est domiciliée ou établie dans un État étranger ou un territoire situé hors de France où elle est soumise à un régime fiscal privilégié au sens mentionné à l'article 238 A. ».

En l’espèce, la veuve d’un pilote d’hélicoptères s’est pourvue en cassation d’un arrêt de cour administrative d’appel ayant rejeté sa demande de décharge d’un supplément d’imposition décidé par l’administration. Celle-ci avait estimé que devaient être réintégrées dans la catégorie des traitements et salaires imposables les sommes perçues par son défunt époux d’une société domiciliée à Jersey elle-même prestataire de services d’une société d’hélicoptères établie en France alors qu’elles avaient été déclarées comme revenus de source étrangère exonérés d’impôt (art. 81 A du CGI).

Le juge de cassation retient que sont susceptibles d’être imposées entre les mains de la personne qui les a effectuées les prestations correspondant à un service rendu pour l'essentiel par elle et pour lequel la facturation par une personne domiciliée ou établie hors de France ne trouve aucune contrepartie réelle dans une intervention propre de cette dernière, permettant de regarder ce service comme ayant été rendu pour son compte.

Toutefois, il incombe à l'administration, d’une part, de faire application des règles de taxation relatives à la catégorie de revenus dont relève cette rémunération, et, d’autre part, de déterminer cette catégorie, détermination qui ne peut reposer que sur l'analyse des relations existant entre la personne domiciliée ou établie en France qui a rendu pour l'essentiel les services facturés et le bénéficiaire de ces services. 

Substituant ce motif de pur droit à celui, erroné, retenu par la cour administrative d’appel, le juge rejette le pourvoi.

(4 novembre 2020, Mme Catherine A., n° 436367)

 

67 - Impôt sur les sociétés – Tenue d’une comptabilité sur supports informatisés – Communication au vérificateur – Attitude du contribuable vérifié – Opposition à contrôle fiscal – Existence en l’espèce - Rejet.

Ne commet pas d’erreur de droit la cour administrative d’appel qui, pour qualifier l’attitude d’un contribuable à l’occasion d’un contrôle fiscal d’opposition à contrôle fiscal (art. L. 74 du livre des procéd. fisc.), ce qui a pour effet le déclenchement d’une procédure d’évaluation d’office (art. préc.), retient : 1° que le logiciel mis par la société à la disposition du vérificateur ne permettait pas de réaliser dans des conditions normales, compte tenu des délais manifestement excessifs que son utilisation aurait impliqués, les traitements informatiques nécessaires au contrôle de la comptabilité ; 2° que la société vérifiée a refusé à l’administration de pouvoir utiliser son propre logiciel y compris sur support externe ; 3° que cette dernière a maintenu son choix en faveur de l’option qu’elle avait indiqué alors qu’elle a été dument avisée du caractère révocable de cette option.

(23 novembre 2020, Société Belart, n° 427689)

 

68 - Impôt sur le revenu – Revenu exceptionnel – Revenu non susceptible d’être recueilli annuellement – Faculté spéciale de calcul de l’impôt selon le système du quotient – Notion de revenu non susceptible d'être recueilli annuellement – Erreur de qualification juridique des faits – Cassation sans renvoi.

L’ article 163-0 A du CGI dispose que : « Lorsqu'au cours d'une année un contribuable a réalisé un revenu qui par sa nature n'est pas susceptible d'être recueilli annuellement et que le montant de ce revenu exceptionnel dépasse la moyenne des revenus nets d'après lesquels ce contribuable a été soumis à l'impôt sur le revenu au titre des trois dernières années, l'intéressé peut demander que l'impôt correspondant soit calculé en ajoutant le quart du revenu exceptionnel net à son revenu net global imposable et en multipliant par quatre la cotisation supplémentaire ainsi obtenue (...) ».

La contribuable requérante a reçu de son père une donation à titre gratuit de 3 740 actions d’une société par actions simplifiée. En 2006 et 2008, cette société a racheté à la requérante respectivement 1 520 et 1 555 de ses actions. La seconde opération, intervenue en 2008, a dégagé une plus-value de 567 575 euros, les parts ayant été rachetées au prix unitaire de 900 euros. Mme D. a considéré ce gain comme constituant un revenu exceptionnel et elle a opté pour son imposition selon le système du quotient prévu par l'article 163-0 A du CGI.

L’administration fiscale ayant rehaussé l’imposition mise à sa charge en contestant sa qualification comme revenu non susceptible d’être recueilli annuellement, la requérante a saisi, en vain, les juridictions du premier et du deuxième degrés. Elle se pourvoit en cassation et obtient gain de cause.

La cour administrative d’appel avait jugé sans caractère exceptionnel le revenu en cause car Mme D. disposait encore, après ces deux cessions, de 665 actions dont rien n’indiquait qu’elles n’étaient pas susceptibles d’être rachetées par la SAS.

Le Conseil d’État casse ce raisonnement au motif, que l’on peut juger discutable, « qu'il ne ressortait pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'opération de rachat des titres aurait eu vocation à se renouveler régulièrement les années suivantes quand bien même la contribuable avait conservé après 2008 une partie de ses actions ».

Comme par ailleurs, l’intéressée remplissait la seconde condition posée par l’art. 163-0 A du CGI, elle avait bien le droit de se prévaloir du bénéfice du mécanisme du quotient qu’il institue.

La cassation a lieu sans renvoi plus rien ne restant à juger dans cette affaire.

(23 novembre 2020, Mme D., n° 427778)

 

69 - Obligations déclaratives d’un contribuable – Omission de déclarer - Activité réputée occulte sauf invocation d’une erreur justifiant l’omission – Accomplissement de ces obligations dans un pays autre que la France – Éléments d’appréciation de la justification de l’erreur commise – Rejet.

Un ressortissant polonais exerce en France une activité dans le secteur du bâtiment. Il a omis d’accomplir l’ensemble de ses obligations déclaratives du 1er janvier 2005 au 31 décembre 2010. L’administration fiscale a donc considéré qu’il avait une activité occulte en France et l’a imposé selon le mécanisme de l’évaluation d’office, aux bénéfices industriels et commerciaux.

Le contribuable fait valoir que ces omissions constituent des erreurs de sa part car il a bien déclaré ses résultats à l’administration fiscale polonaise.

Le Conseil d’État juge que « S'agissant d'un contribuable qui fait valoir qu'il a satisfait à l'ensemble de ses obligations fiscales dans un État autre que la France, la justification de l'erreur commise doit être appréciée en tenant compte de l'ensemble des circonstances de l'espèce et notamment du niveau d'imposition dans cet autre État et des modalités d'échange d'informations entre les administrations fiscales des deux États. » En bref, il convient de s’assurer qu’il n’y a pas eu fraude de la part du contribuable en déclarant ses bénéfices dans un pays au taux d’imposition faible et sans grand esprit coopératif avec l’administration fiscale française.

Le juge de cassation approuve la juridiction d’appel d’avoir estimé que le requérant ne pouvait pas invoquer une prétendue erreur alors qu’il a exercé pendant sept ans au moins une activité d'entrepreneur exclusivement en France, que, du chef de cette activité, il n'a déposé aucune déclaration d'activité auprès d'un centre de formalités des entreprises ou d'un greffe de tribunal de grande instance, qu’il n’a pas davantage effectué de déclaration en matière de bénéfices professionnels ou de taxe sur la valeur ajoutée auprès de l'administration fiscale française et, enfin, qu'il existe une importante différence de niveau d'imposition entre la France et la Pologne. 

(27 novembre 2020, M. B., n° 428898)

 

70 - Contribuable non domicilié fiscalement en France – Contribuable imposable à l’impôt sur le revenu – Désignation spontanée d’un représentant fiscal demeurant en France – Information donnée à l’administration fiscale valant élection de domicile – Rejet.

Lorsqu’une personne, non domiciliée fiscalement en France, y est redevable d’impositions (ici à l’impôt sur le revenu) et qu’elle désigne spontanément à l’administration un représentant fiscal en France, celle-ci est tenu d’adresser ses correspondances et notamment, comme ici, une proposition de rectification, au lieu où le contribuable a fait élection de domicile c’est-à-dire le lieu où réside le représentant fiscal.

Il importe peu que cette notification valant élection de domicile ait été faite spontanément et non sur demande de l’administration fiscale dans les termes de l’art. 164 D du CGI.

(30 novembre 2020, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 438496)

 

71 - Taxe sur la valeur ajoutée – TVA déductible - Omission de déclaration de TVA déductible – Délai de réparation d’omission – Calcul – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.

Le redevable de TVA qui a omis de déclarer la TVA déductible dispose d’un délai expirant le 31 décembre de la deuxième année qui suit celle de l’omission pour, par une déclaration ultérieure, rectifier l’omission.

En l’espèce, la société contribuable avait déposé le 18 novembre 2011 une déclaration de taxe sur la valeur ajoutée au titre du troisième trimestre de l'année 2011 ; elle n’a souscrit ni la déclaration de TVA afférente au quatrième trimestre 2011, ni celles des années 2012 et 2013. Lors de la vérification de sa comptabilité par l’administration fiscale, en 2014, la société a souscrit les déclarations omises en vue de la régularisation de sa situation fiscale.

Confirmant la position de l’administration fiscale, la cour administrative d’appel a jugé expiré le délai qui était ouvert à la société pour régulariser son omission.

Cet arrêt est cassé par le Conseil d’État, lequel rappelle que le délai de péremption de la fraction de TVA déclarée au troisième trimestre de l’année 2011 n’avait commencé à courir qu’à compter de la date limite pour déclarer le quatrième trimestre 2011 soit le 5 février 2012. Il expirait donc le 31 décembre 2014 soit postérieurement à la régularisation effectuée par la société demanderesse le 26 mars 2014.

(23 novembre 2020, SCEA des Vignobles Marengo Père et Fils, n° 428497)

 

72 - Impôt sur les sociétés – Société anonyme coopérative d’intérêt collectif (SACIC) d’habitation à loyer modéré - Produits financiers résultant du placement de sa trésorerie (avances en compte courant à des filiales) – Exonération de l’impôt sur les sociétés – Cas en l’espèce – Erreur de droit de l’arrêt contraire – Cassation avec renvoi.

Le c) du 4° du 1 de l’art. 207 du CGI, visant l’art. L. 411-2 du code de la construction et de l’habitation, exonère de l’impôt sur les sociétés les produits financiers résultant du placement de sa trésorerie par un organisme d’habitations à loyer modéré. Cette exonération suppose que ce placement soit effectué dans le respect des règles et conditions spécifiques à l’emploi des fonds constituant la trésorerie.

La cour administrative d’appel a estimé que les intérêts perçus par la société requérante en rémunération d’avances en compte courant consenties à ses filiales ne pouvaient pas bénéficier de l’exonération susrappelée car ils n’ont pas été réalisés conformément aux dispositions des art. R. 423-74 et R. 423-75 du code de la construction et de l’habitation.

L’arrêt est cassé motif pris de ce que la cour n’a pas vérifié celles des autres dispositions du code de la construction et de l’habitation, notamment l’art. L. 423-15, susceptibles de fonder validement la demande d’exonération de la requérante.

(23 novembre 2020, Société anonyme coopérative d'intérêt collectif (SACIC) d'habitations à loyer modéré (HLM) Gambetta PACA, n° 429069)

 

73 - Taxe d’aménagement – Activité agricole de rééducation de chevaux – Régime de décharge de la taxe (art. L. 331-7 du code de l’urbanisme) – Date d’appréciation du droit à décharge – Annulation avec renvoi.

Rappel de ce que pour apprécier la satisfaction des conditions exigées par l’art. L. 331-7 du code de l’urbanisme pour l’octroi de la décharge de la taxe d’aménagement, il convient de se placer exclusivement à la date de délivrance du permis de construire.

(20 novembre 2020, SCI De Guise, n° 427807)

 

74 - Cotisation foncière des entreprises – Assiette – Exclusion des parties communes d’un immeuble en copropriété (art. 1467 CGI) – Cas d’un immeuble propriété d’un seul contribuable dont différents lots sont loués à diverses sociétés – Inapplicabilité de l’art. 1467 du CGI – Cassation avec renvoi partiel.

Commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui reconnaît à une société contribuable le bénéfice de l’exonération des parties communes d’un immeuble de l’assiette du calcul de la cotisation foncière des entreprises visée à l’art. 1467 du CGI. Cet article ne concerne que les parties communes au sens de la loi sur la copropriété des immeubles bâtis et n’est donc pas applicable en l’espèce où l’immeuble étant, en son entier, la propriété de la société requérante qui en loue des lots à diverses sociétés, il ne saurait comporter de parties communes.

La solution paraît pouvoir être discutée : copropriété ou pas, il existe bien dans l’immeuble en cause des parties dont l’usage n’est pas réservé exclusivement au propriétaire.

(6 novembre 2020, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 439348)

 

75 - Cotisation foncière des entreprises – Régime d’exonération – Création ou extension d’établissements – Notion de création ou d’extension – Exclusion de l’exonération en cas de simple changement d’exploitant –Erreur de qualification juridique – Annulation sans renvoi plus rien ne restant à juger.

L’art. 1466 A du CGI, dans son I sexiès, a prévu que pouvaient être exonérées du paiement de la cotisation foncière des entreprises les créations de nouveaux établissements ou leurs extensions. En revanche, les simples changements d’exploitant n’ouvrent pas droit au bénéfice de l’exonération. La difficulté est bien souvent de déterminer si le contribuable qui demande à être exonéré a réellement procédé à une création ou, surtout, à une extension.

En l’espèce, la cour administrative d’appel, rejetant. Le recours contre le refus d’exonération, avait confirmé la position de l’administration fiscale qui estimait n’y avoir eu lieu qu’à un changement d’exploitant. Selon elle il ne s’était produit qu’un changement d’exploitant dans la mesure où, la société demanderesse avait repris l'activité de supermarché à prédominance alimentaire sur la même zone de chalandise que celle de son prédécesseur, au moyen de l'essentiel des moyens de production que ce dernier exploitait, et ce, onze mois après la fermeture du précédent établissement, et où elle avait pu, dans ces conditions, reprendre la clientèle de cet établissement, sans que puissent faire échec à cette qualification les circonstances que la société n'avait pas repris les anciens salariés et qu'elle avait diversifié la gamme des produits vendus.

Pour annuler cet arrêt pour erreur de qualification juridique, le Conseil d’État relève que la société demanderesse avait rouvert un commerce à la suite d’une interruption d’activité sur site durant une période de onze mois au cours de laquelle la clientèle de proximité avait pu se déplacer sur une autre zone économique, dans des locaux partiellement rééquipés en nouveaux moyens de production et exploités par des salariés nouvellement recrutés. Par suite il s’agissait d’une création d’établissement et non d’un changement d’exploitant continuant à exercer l’activité de son prédécesseur. C’est pourquoi le Conseil d’État est ici à la cassation.

(27 novembre 2020, Société Le Triangle Supermarché, n° 427404)

 

76 - Impôt sur les sociétés – Contrats d’échange des taux d’intérêt (ou swap de taux) – Demande de restitution de la part d’impôt versée en excédent – Notion de charges financières nettes – Intérêts ne rémunérant pas des sommes – Rejet.

L'établissement public régional (EPR) Epinorpa est la tête d'un groupe fiscalement intégré dont certaines entités membres ont conclu des contrats d'échange de taux d'intérêt dits contrats de swap de taux. Cette technique a pour objet de limiter le risque de taux sur les emprunts contractés par ses membres. L’EPR, après s’être acquitté de l’impôt sur les sociétés, a estimé qu’il avait trop payé et en a demandé la restitution partielle, d’un montant de près de deux millions d’euros. Il estimait que c’était à tort qu’avait été appliqué aux charges résultant de l'exécution de ces contrats d'échange de taux le dispositif de plafonnement de la déductibilité des charges financières nettes prévu par les dispositions de l'article 223 B bis du CGI.

Les premiers juges et ceux d’appel lui ont donné raison, considérant que les intérêts versés et reçus dans le cadre de contrats d'échange de taux d'intérêt ne contribuaient pas au calcul des charges financières nettes au sens de l'article 212 bis du même code.

Le ministre de l’action et des comptes publics se pourvoit ; il est débouté.

Le Conseil d’État, comme les juges du fond, juge qu’il résulte des dispositions combinées de l’art. 39, du III de l’art. 212 bis et de l’art. 223 B bis du CGI que : « que les intérêts versés et reçus dans le cadre d'un contrat d'échange de taux d'intérêt, lequel a notamment pour objet de réduire le risque de taux pesant sur un emprunteur à taux variable en lui permettant de substituer des intérêts à taux fixe à des intérêts à taux variable, ne contribuent pas au calcul des charges financières nettes au sens et pour l'application des dispositions de l'article 212 bis (…), dès lors que ces intérêts ne rémunèrent pas des sommes laissées ou mises à disposition de l'entreprise, quand bien même ils seraient calculés sur un montant notionnel identique à celui de l'emprunt pour lequel le contrat d'échange sert d'instrument de couverture, voire sur un montant notionnel variable afin de tenir compte du calendrier de remboursement de cet emprunt. »

L’arrêt déféré à la censure du juge de cassation n’est entaché ni d’erreur de droit ni d’erreur sur la qualification des faits, d’où le rejet du pourvoi.

(4 novembre 2020, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 438629)

 

77 - Hôtellerie – Régime de l’amortissement dégressif – Conditions d’application – Exclusion des établissements de camping – Légalité – Rejet.

Le régime dérogatoire d’amortissement dégressif institué à l’art. 39 A du CGI n’est applicable qu’aux seuls hébergements hôteliers comportant en plus de l’accueil, un service de réception, des prestations de service accessoires, éventuellement optionnels (comme le nettoyage des locaux, la mise à disposition de linge de maison et l'offre d'un petit-déjeuner, voire la demi-pension ou la pension complète) qui ne se retrouvent pas, pour une part significative de leur superficie, dans le cas des terrains de camping.

Les commentaires administratifs, attaqués dans le présent recours, ne méconnaissent pas les dispositions précitées du CGI en indiquant que les investissements réalisés par un exploitant de camping pour l'exercice de sa profession n'étaient pas éligibles au régime fiscal dérogatoire des amortissements, institué par ce texte.

Le recours est rejeté.

(4 novembre 2020, Fédération corse de l'hôtellerie de plein air, n° 440470)

 

78 - TVA – Régime de calcul dérogatoire de la TVA frappant la cession de terrains à bâtir acquis en vue de leur revente – Inapplicabilité à une cession de train comportant un (ou plusieurs) élément(s) bâti(s) à démolir – Annulation avec renvoi.

Rappel, à nouveau, que le calcul dérogatoire de la TVA régissant les cessions de terrain à bâtir (institué par les dispositions combinées du 2 du b de l’art. 266 et du I de l’art. 257 du CGI, transposant l’art. 392 de la directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée) n’est pas applicable lorsque le terrain cédé comporte un élément bâti même voué à la démolition.

L’ordonnance de rejet rendue en appel est annulée.

(6 novembre 2020, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 434022)

(79) V. aussi, identiques : 6 novembre 2020, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 439646 ; 6 novembre 2020, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 439647.

 

80 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Dégrèvement possible en raison des dépenses exposées pour la rénovation d’immeubles affectés à l’habitation – Faculté applicable aux organismes d’HLM - Obligation nécessaire et suffisante de respecter les critères énoncés par le CGI – Indifférence des taux de TVA figurant sur les factures et d’absence d’attestation de livraison à soi-même des travaux -Rejet.

L’article 278 sexies du CGI fixe (au 1° du 1 du IV) les critères que doivent satisfaire les dépenses de travaux de rénovation réalisés dans les immeubles d’habitation par leurs propriétaires, y compris les organismes d’HLM, pour pouvoir bénéficier du dégrèvement de taxe foncière sur les propriétés bâties institué à l’art. 1391 E du CGI.

C’est dans ces conditions qu’une société d’HLM a demandé le bénéfice de ces dispositions à raison des travaux qu’elle a accomplis en vue de réaliser des économies d’énergie. Sa demande ayant été rejetée, elle a saisi le tribunal administratif qui lui a donné raison, d’où le pourvoi du ministre.

Ce dernier reproche aux juges du fond de n’avoir pas tenu compte de la circonstance que les factures produites mentionnaient une taxe sur la valeur ajoutée aux taux de 7% et de 19,6% et n'attestaient pas, par elles-mêmes, d'une livraison des travaux à soi-même. On sait qu’en principe en ce dernier cas la TVA ne s’applique pas.

Le Conseil d’État, s’appuyant sur les travaux parlementaires de la loi de finances rectificative du 29 décembre 2013 qui a institué ce dégrèvement, rejette l’argumentation : le dégrèvement est de droit dès lors que sont remplis les critères énoncés au 1° du 1 du IV de l'article 278 sexies du CGI.

C’était le cas en l’espèce ; le pourvoi du ministre est rejeté.

(9 novembre 2020, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 433418). V. aussi cette Chronique, octobre 2020, n° 54.

 

81 - Question prioritaire de constitutionnalité dirigée contre l’interprétation jurisprudentielle constante du 1 de l’art. 109 du CGI - Compte d’associé – Inscription d’une somme sur ce compte – Somme revêtant la nature d’un revenu distribué imposable dans le chef de cet associé – Inscription résultant d’une erreur comptable involontaire – Circonstance sans effet faute de correction avant la clôture de l’exercice – Rejet.

Le Conseil d’État admet comme un principe évident qu’une question prioritaire de constitutionnalité conteste la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à une disposition législative. Il s’agissait ici du 1 de l’art. 109 du CGI qui dispose : " Sont considérés comme revenus distribués : (...)

2° Toutes les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts et non prélevées sur les bénéfices. (...) " et que le juge administratif interprète comme impliquant que les sommes inscrites au crédit d'un compte courant d'associé d'une société soumise à l'impôt sur les sociétés sont à la disposition de cet associé, alors même que l'inscription résulterait d'une erreur comptable involontaire, et ont donc, même dans une telle hypothèse, le caractère de revenus distribués, imposables entre les mains de cet associé dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers.

Pour échapper aux conséquences drastiques de cette présomption, dans le cas où l’erreur comptable prétendue n’a pas été réparée avant la clôture de l’exercice, il incombe à cet associé de démontrer qu'il n'a pas pu avoir la disposition de ces sommes ou que ces sommes ne correspondent pas à la mise à disposition d'un revenu.

Le requérant soutenait que cette interprétation méconnait le principe d’égalité devant les charges publiques puisqu’elle rend impossible l’invocation de l’erreur comptable après la clôture de l’exercice.

Le Conseil d’État réaffirme que c’est la nécessité de prendre en compte les facultés contributives, laquelle découle du principe constitutionnel invoqué, qui impose l’interprétation donnée par lui de l’article précité du CGI. Il considère que la présomption, irréfragable donc, de revenu distribué de toute somme inscrite au compte courant d’un associé à la clôture d’un exercice, loin de porter atteinte au principe invoqué ne fait, au contraire, que l’appliquer.

La solution n’est pas très convaincante d’abord en raison de l’absurdité de la réserve qu’elle institue en faveur d’une correction de l’erreur comptable antérieure à la clôture de l’exercice : cette réserve est sans aucune utilité puisqu’en ce cas nul problème ne se pose.

Ensuite, en créant une impossibilité absolue de corriger une erreur qu’aucun texte n’institue ici alors qu’existent de nombreux motifs d’erreurs et de corrections de celles-ci post-clôture, le Conseil d’État pose une règle discutable dont il n’est pas sûr qu’elle corresponde à la volonté du législateur fiscal et qu’elle satisfasse la Cour européenne des droits de l’homme éventuellement saisie, notamment sur le fondement de l’art. 1er du premier protocole additionnel à la Convention EDH.

(13 novembre 2020, M. A., n° 436792)

 

82 - Indu de RMI - Émission d’un titre exécutoire – Acte interruptif de prescription – Absence de preuve de sa réception – Annulation.

Commet une erreur de droit la Commission centrale d’aide sociale qui, pour dire non prescrite la créance d’un département relative à un indu de RMI, estime que l’émission par ce dernier d’un titre exécutoire a interrompu le cours de la prescription sans s’assurer s’il a été effectivement notifié à sa destinataire laquelle soutient ne pas l’avoir reçu.

(18 novembre 2020, M. C., n° 431067)

 

83 - Activité de marchands de biens – Achats d’immeubles en vue de leur revente – Immeubles achevés depuis plus de cinq ans - Condition de déductibilité de la TVA acquittée lors de l’achat d’immeubles - Rejet.

C’est sans erreur de droit qu’une cour administrative d’appel juge que la TVA ayant grevé l’acquisition d’immeubles de plus de cinq ans en vue de leur revente ne peut être déduite lors de la revente hormis le choix, par le contribuable, du bénéfice des dispositions du 5° bis de l’art. 260 du CGI. C’est donc à juste titre qu’elle jugé cette TVA non déductible des loyers de ces immeubles eux-mêmes soumis à la TVA.

(27 novembre 2020, Société financière Lord Byron, n° 426091)

 

Droit public économique

 

84 - Décision du Conseil d’État constatant l’incompatibilité de la réglementation française relative aux tarifs réglementés de vente de gaz naturel avec le droit de l'Union européenne – Demande d’abrogation des articles concernés du code de l’énergie – Intervention de la loi du 8 novembre 2019 (art. 63) – Refus implicite du premier ministre d’abroger les dispositions litigieuses – Compétence liée du premier ministre l’obligeant à rejeter la demande d’abrogation – Moyens inopérants – Rejet.

Par une décision du 19 juillet 2017 (req. n° 370321) le Conseil d’État a jugé que les dispositions législatives du code de l'énergie relatives à ces tarifs sont incompatibles avec les objectifs de la directive du 13 juillet 2009 concernant les règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et a annulé le décret du 16 mai 2013 modifiant le décret du 18 décembre 2009 pris pour leur application, dont les dispositions sont aujourd'hui codifiées aux articles R. 445-1 à R. 445-7 du code de l'énergie.

Les requérantes ont, en conséquence, demandé au premier ministre d’abroger ces dispositions du code de l’énergie et, du fait de son silence valant rejet implicite de leur demande, sollicitent la condamnation de l’État à réparer le préjudice subi par suite de la situation ainsi créée.

Le Conseil d’État rejette la requête à fins indemnitaires dont il est saisi.

Il se fonde pour cela sur la circonstance que l’art. 63 de la loi du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat a organisé la suppression progressive de ces tarifs à différentes échéances : 10 novembre 2019 pour les articles L. 445-1 à L. 445-4 du code de l'énergie relatifs aux tarifs réglementés de vente de gaz naturel ; 1er décembre 2020 pour les contrats de fourniture de gaz aux tarifs réglementés en cours d'exécution à la date de publication de la loi pour les consommateurs finals non domestiques consommant moins de 30 000 kilowattheures par an ; 30 juin 2023 pour les consommateurs finals domestiques consommant moins de 30 000 kilowattheures par an ainsi que pour les propriétaires uniques d'un immeuble à usage principal d'habitation consommant moins de 150 000 kilowattheures par an et les syndicats des copropriétaires d'un tel immeuble). Dès lors, le pouvoir réglementaire était tenu de maintenir en vigueur, durant ces périodes transitoires, les art. R. 445-1 à R. 445-7 du code de l’énergie, et se trouvait en situation de compétence liée. Par suite, les moyens d’illégalité soulevés par les requérantes étaient inopérants, d’où leur rejet.

Reste que cette solution, apparemment impeccable en droit, ne convainc pas. Alors qu’à la date de la décision du Conseil d’État constatant l’incompatibilité du mécanisme français avec le droit de l’Union, cette situation durait déjà depuis huit ans, le législateur, intervenant deux ans plus tard, a prorogé d’encore une ou quatre années selon les cas la durée de vie d’un système peccamineux.

De plus, cette solution nous semble en contradiction avec la jurisprudence issue de la décision de Section du 3 décembre 1999, Association ornithologique et mammalogique de Saône-et-Loire, n° 164789, 165122, qui fait obligation au premier ministre de laisser inappliquées – en s’abstenant de prendre les mesures réglementaires nécessaires à leur exécution – celles des dispositions législatives contraires au droit de l’Union. Tel était bien le cas ici.

Enfin, ces palinodies contentieuses ne garantissent même pas, devant les juridictions de l’UE, l’immunité à la loi et au refus implicite querellés ici.

(27 novembre 2020, Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE), n° 415545 ; Société Direct Énergie, n° 416853)

 

85 - Aide publique à une entreprise – Situation de l’entreprise irrémédiablement compromise – Inapplicabilité de l’art. L. 650-1 du code de commerce - Responsabilité de la puissance publique en cas de faute – Conditions de la mise en jeu de la responsabilité – Annulation.

Les mandataires liquidateurs d’une société de droit privé recherchaient la responsabilité de l’État du fait d’aides apportées par lui à cette société et qui auraient contribué à aggraver son passif alors que sa situation était irrémédiablement compromise. Ils sont déboutés en première instance et en appel, l’un d’eux se pourvoit en cassation : le Conseil d’État lui donne raison.

Rejetant l’applicabilité de l’art. L. 650-1 du code de commerce (selon lequel : « Lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci.

Pour le cas où la responsabilité d'un créancier est reconnue, les garanties prises en contrepartie de ses concours peuvent être annulées ou réduites par le juge. ») aux personnes publiques, le juge de cassation, contrairement à ce qui a été jugé en appel, pose le principe que l’octroi d’une aide publique à une entreprise privée dont la situation est irrémédiablement compromise ne constitue pas en lui-même une faute de nature à engager sa responsabilité sauf si cette aide « a été accordée en méconnaissance des textes applicables ou qu'il est manifeste, qu'à la date de son octroi, cette aide était insusceptible de permettre la réalisation d'un objectif d'intérêt général ou que son montant était sans rapport avec la poursuite de cet objectif ». Naturellement, cette responsabilité ne peut être mise en cause qu’aux conditions ordinaires du droit commun de la responsabilité qui exigent un lien direct de causalité entre la faute et le préjudice.

En l’espèce, où l’État avait accordé à une compagnie locale de transport aérien une aide de plus de trente millions d’euros, alors que sa situation ne permettait d’entrevoir aucune amélioration financière, il existait bien une faute et, pour avoir jugé le contraire, l’arrêt d’appel est cassé avec renvoi.

(27 novembre 2020, Maîtres B., agissant en qualité de mandataire liquidateur de la société d'exploitation AOM Air Liberté, n° 417165)

 

86 - Infrastructure ferroviaire – Redevances d’infrastructure – Projet de tarification ferroviaire pour 2020 arrêté par SNCF Réseau – Nécessité d’un avis conforme de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (AREFER) devenue Autorité de régulation des transports (ART) – Avis conforme sous réserve d’une limitation à 1,8% de l’évolution globale maximale des redevances de marché et d’accès entre 2019 et 2020 – Annulation partielle.

L'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (AREFER devenue l’Autorité de régulation des transports, ART) émet chaque année un avis conforme sur la fixation par SNCF Réseau des redevances d'infrastructure liées à l'utilisation du réseau ferré national en tenant compte : 1° des principes et des règles de tarification applicables sur ce réseau, 2° de la soutenabilité de l'évolution de la tarification pour le marché du transport ferroviaire, 3° de la position concurrentielle du transport ferroviaire sur le marché des transports et  4° des dispositions du contrat conclu entre l'État et SNCF Réseau.

C’est dans ces conditions que l’AREFER a émis, le 7 février 2019, un avis conforme sur le tarif des redevances proposé par SNCF Réseau sauf, d’une part, pour la redevance de marché payée par les services conventionnés TER, et d’autre part, pour la redevance de marché et la redevance d'accès payées par les services conventionnés en Ile-de-France. Dans les deux cas, l’AREFER soumet son avis favorable à la réalisation de la condition suspensive suivante : l’évolution globale maximale des redevances entre les horaires 2019 et 2020 doit être plafonnée à 1,8 %.

SNCF Réseau, qui proposait dans son projet une hausse de 2,4 % de chacune des deux redevances (de marché et d’accès), demandait l’annulation de l’avis de l’ARAFER (devenu ART) sur ces deux points.

Tout d’abord, le Conseil d’État indique que l’Autorité n’est pas limitée à la seule alternative approbation/rejet, elle peut aussi indiquer que son avis sera conforme jusqu’à un certain seuil et pas au-delà.

Ensuite, il considère qu’en l’espèce l’Autorité a commis une erreur de droit en faisant du plafond d'augmentation des dépenses de fonctionnement des régions un élément déterminant pour l'appréciation de la soutenabilité de l'augmentation des majorations et en estimant que toute augmentation des majorations à un niveau supérieur à l'évolution de l'indice des prix à la consommation ne pourrait être regardée comme soutenable. En réalité, l’Autorité devait seulement, s'agissant de services de transport conventionnés, pour lesquels la capacité du marché à supporter les majorations ne peut être évaluée comme pour les services librement organisés soumis à concurrence, tenir compte de l'existence d'une contribution financière des autorités organisatrices à l'exploitation de ces services ; s'assurer que les tarifs projetés ne remettent pas en cause l'équilibre économique des contrats de service public du segment de marché considéré, en faisant peser sur les entreprises ferroviaires des majorations qu'elles ne peuvent pas supporter ou, en cas de compensation des redevances par les autorités organisatrices, en prévoyant des majorations à un niveau de nature à conduire celles-ci à prendre des mesures susceptibles d'affecter sensiblement l'utilisation de l'infrastructure sur ce segment. Par suite, l’avis du 7 février 2019 est annulé « en tant qu'il porte sur la redevance de marché pour les services conventionnés TER ainsi que sur la redevance de marché et la redevance d'accès pour les services conventionnés en Ile-de-France ».

Il est donné deux mois à l’ART pour réexaminer le projet de tarification de l’infrastructure ferroviaire pour l’horaire de service 2020

(27 novembre 2020, SNCF Réseau, n° 431748)

(87) V. aussi, complémentaire, le rejet du recours dirigé contre le c) du 2° et le c) du 4° de l’ordonnance du 11 mars 2019 qui modifie le V de l’art. 2133-5 du code des transports en permettant au gestionnaire d'infrastructure – en l’absence d’avis favorable de l’Autorité avant une date précisée par voie réglementaire - de déterminer et de publier la tarification applicable sur la base de la dernière tarification ayant fait l'objet d'un avis favorable de l'autorité sans que cette évolution puisse excéder l'évolution prévue de l'indice des prix à la consommation au cours de l'année suivant l'horaire de service de cette tarification : 27 novembre 2020, Île-de-France Mobilités, n° 434544.

 

Droit social et action sociale

 

88 - Licenciement d’un salarié protégé pour inaptitude physique – Autorisation administrative refusée – Annulation de ce refus – Action en réparation formée par l’employeur du chef du préjudice subi par suite de l’illégalité du refus d’autoriser le licenciement – Obligation pour la juridiction saisie de vérifier si ce refus aurait pu être opposé dans le cadre d’une procédure régulière – Annulation de l’arrêt de rejet.

(4 novembre 2020, Société Lidl, n° 428198 et 4 novembre 2020, Société Financière Mag venant aux droits de la société Novopac, n° 428741, n° 428743 et n° 428744). V. n° 167

 

89 - Aide sociale à l‘enfance – Mineur isolé – Contestation de l’état de minorité – Cessation de l’accueil provisoire par le département – Preuve de l’absence de qualité de mineur non rapportée – Rejet.

Un département, qui avait octroyé à une personne étrangère se disant mineur isolé de 16 ans, sa prise en charge au titre de l’aide sociale à l’enfance, a mis fin à cette aide en raison du doute sérieux quant à son état de minorité.

Le premier juge, saisi par le mineur, avait annulé cette décision et, sur appel du département défendeur, le Conseil d’État confirme cette annulation en retenant que « eu égard au caractère incomplet des conclusions de l'évaluation et en l'absence d'élément au dossier susceptible de remettre en cause la minorité alléguée de M. A., l'appréciation portée par le président du conseil départemental des Pyrénées-Atlantiques sur l'absence de qualité de mineur isolé de l'intéressé apparaît, en l'état de l'instruction et à la date de la présente ordonnance, manifestement erronée. »

A ce niveau de subjectivité dans l’énoncé des appréciations il est légitime de s’interroger sur le point de savoir si celles-ci constituent bien l’exercice d’une fonction juridictionnelle.

(ord. réf. 3 novembre 2020, Département des Pyrénées-Atlantiques, n° 445714)

 

90 - Mineur isolé – Prise en charge par un département au titre de l’aide sociale – Refus – Référé liberté – Compétence exceptionnelle du juge administratif – Rejet.

Rappel d’une solution de bienveillance compassionnelle à propos de la prise en charge d’un mineur isolé.

En principe, il résulte de dispositions du Code civil (art. 375, 375-3 et 375-5) et du code de l’action sociale et des familles (art. L. 221-1, L. 222-5 et L. 223-2) qu’il incombe u département de prendre en charge l'hébergement et de pourvoir aux besoins des mineurs confiés au service de l'aide sociale à l'enfance. L’art. 375, d’une part, permet au président du conseil départemental, passé un délai de cinq jours, de saisir le juge judiciaire mais admettre lui-même le mineur au bénéfice de l’aide sociale en l’absence de décision en ce sens du juge judiciaire, d’autre part, autorise le mineur à saisir le juge judiciaire aux fins de le voir ordonner cette prise en charge. Il suit de là qu’en cas de refus du département de saisir le juge judiciaire, motif pris de ce que l’intéressé ne serait pas un mineur isolé, l’existence d’une voie de recours devant le juge judiciaire a pour effet de rendre irrecevable la saisine du juge administratif.

Toutefois, le Conseil d’État décide que, saisi sur le fondement de l’art. L. 521-2 du CJA (référé liberté), le juge des référés d'enjoindre au département de poursuivre l’accueil provisoire du mineur lorsqu'il lui apparaît que l'appréciation portée par le département sur l'absence de qualité de mineur isolé de l'intéressé est manifestement erronée et que ce dernier est confronté à un risque immédiat de mise en en danger de sa santé ou de sa sécurité.

En l’espèce, n’est pas appliquée cette jurisprudence faute que l’intéressé ait produit des éléments de nature à établir l’état de vulnérabilité et de précarité qu’il invoque au soutien de sa requête.

(ord. réf. 27 novembre 2020, M. A., n° 446449)

 

91 - Organisations professionnelles d’employeurs – Appréciation de leur représentativité – Règles propres aux accords interbranches ou aux accords de fusion de branches professionnelles – Représentativité appréciée dans le cadre de négociations en cours ou à venir – Compétence du ministre chargé du travail – Cassation sans renvoi, règlement de l’affaire au fond.

Par l’article 1er d’un arrêté ministériel du 21 décembre 2017 avait été fixée « la liste des organisations professionnelles d'employeurs reconnues représentatives dans le secteur des entreprises du bâtiment employant jusqu'à dix salariés ». L’art. 2 ajoute que « pour l'opposition à l'extension des accords collectifs prévue au titre de l'article L. 2261-19 », l'audience respective des deux organisations qualifiées de représentatives est fixée à 49,28% pour la Confédération de l'Artisanat et des Petites Entreprises du Bâtiment (CAPEB) et à 50,72% pour la Fédération française du bâtiment (FFB).

La cour administrative d'appel de Paris a, sur la requête de la CAPEB, annulé pour excès de pouvoir l'article 2 de cet arrêté.

Le Conseil d’État était saisi de deux pourvois en cassation qu’il joint pour y être statué par une unique décision, celui de la ministre du travail et celui de la FFB.

La cour avait estimé que la ministre n’était pas compétente pour prendre l’arrêté litigieux car le secteur du bâtiment est couvert par plusieurs conventions collectives nationales qui n’ont pas fait l’objet d’une fusion de leurs champs d’application préalablement à l’édiction de cet arrêté ; ce secteur ne constitue donc pas une « branche professionnelle » au sens et pour l’application de l’art. L. 2152-6 du code du travail. Ce dernier dispose en effet que : « Après avis du Haut Conseil du dialogue social, le ministre chargé du travail arrête la liste des organisations professionnelles d'employeurs reconnues représentatives par branche professionnelle et des organisations professionnelles d'employeurs reconnues représentatives au niveau national et interprofessionnel (...). »

Le Conseil d’État voit dans cette motivation une erreur de droit car il résulte des dispositions combinées, d’une part, de l’art. L. 2121-2 du code du travail et, d’autre part, de celles des art. L. 2151-1, L. 2152-1, L. 2152-4 à L. 2152-6 de ce code, que le ministre chargé du travail est compétent - nonobstant les règles d’appréciation de la représentativité des organisations d’employeurs propres aux accords interbranches ou aux accords de fusion de branches professionnelles – pour fixer la liste de ces organisations et leurs audiences « dans un périmètre utile pour une négociation en cours ou à venir, y compris lorsque celui-ci ne correspond pas à une « branche professionnelle » ».

Cette solution, qui repose sur une construction prétorienne tentant de pallier une vraie lacune des textes, doit être approuvée.

(4 novembre 2020, Ministre du travail, n° 434518 ; Fédération française du bâtiment (FFB), n° 434574 ; du même jour, v. aussi la solution identique retenue à propos de la représentativité d’organisations syndicales : Ministre du travail, n° 434519 ; Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres et autre, n° 434573 et Fédération FO Construction, n° 434577, jonction).

 

92 - Droit au logement opposable – Demandeur reconnu prioritaire par une commission de médiation – Recours spécial en vue d’obtenir l’exécution de cette décision - Seul recours ouvert – Réitération possible de ce recours en cas d’inexécution – Erreur de droit – Cassation avec renvoi au tribunal.

Commet une erreur de droit le juge du tribunal administratif qui, pour rejeter le second recours d’un demandeur reconnu prioritaire dans l’attribution d’un logement mais auquel aucun logement n’est proposé, se fonde sur ce qu’il n’y a pas lieu de statuer une seconde fois sur cette question alors que, par sa précédente ordonnance, il avait déjà enjoint au préfet d’assurer le relogement de l’intéressé en application de la décision positive de la commission de médiation sur sa demande.

En effet, l’art. L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l’habitation crée en cette matière, à la charge de l’État, une obligation de résultat ce qui impose au juge d’intervenir à plusieurs reprises s’il le faut afin d’assurer l’exécution effective de la décision de la commission de médiation.

(5 novembre 2020, M. A., n° 433001)

 

93 - Droit du travail – Licenciement d’une salariée protégée pour inaptitude physique – Autorisation de l’inspection du travail à ce licenciement nonobstant le constat de peu de sérieux de la recherche d’un emploi de reclassement par l’employeur – Office du juge - Obligation pour le juge administratif de vérifier le bien-fondé de l’appréciation portée sur ce dernier point par l’inspecteur du travail – Annulation.

Un inspecteur du travail a autorisé le licenciement, pour inaptitude physique, d’une salariée protégée tout en relevant que l’employeur n’avait pas fait beaucoup d’efforts pour trouver à l’intéressé un emploi de remplacement.

Les juges, de première instance et d’appel, ont, respectivement, annulé l’autorisation administrative puis confirmé l’annulation, en se fondant sur le constat de l’inspecteur du travail s’agissant du reclassement.

Le Conseil d’État relève qu’il était de leur office de rechercher si l’affirmation de l’inspecteur du travail sur le peu d’empressement à reclasser l’intéressée – qui était contestée par l’employeur - était fondée. En s’abstenant d’effectuer ce contrôle, les juges ont manqué à leur office et commis une erreur de droit.

(18 novembre 2020, Société Papillon, n° 427234)

 

94 - Prestation de compensation du handicap – Compétence du juge judiciaire pour connaître des décisions rendues en la matière – Action en responsabilité du chef d’une décision illégale en matière de compensation du handicap – Compétence du juge judiciaire – Annulation de l’ordonnance rejetant la demande pour irrecevabilité et non pour incompétence.

Il résulte des dispositions de l’art. L. 241-9 du code de l’action sociale et des familles que les recours dirigés contre les décisions de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées rendues en matière d'attribution de la prestation de compensation relèvent de la compétence du juge judiciaire depuis le 1er janvier 2020.

En l’espèce, la requérante avait engagé une action en responsabilité du chef du caractère illégal de la décision de refus opposée par cette commission. Dans le silence de la loi, le Conseil d’État décide, de façon logique et constructive, qu’une telle action relève également du juge judiciaire.

(18 novembre 2020, Mme B., n° 440581)

 

95 - Réforme de l’assurance chômage – Décret du 26 juillet 2019 – Conditions de la négociation préalable de la réforme – Légalité du document de cadrage – Durée minimale d’affiliation au régime de l’assurance chômage – Mode de détermination du salaire journalier de référence – Dégressivité du montant de l’allocation journalière versée à certains salariés – Respect du code du travail et des principes d’égalité et de non-discrimination – Modulation de la contribution des employeurs à l’assurance chômage – Annulation très partielle.

De cette très longue décision - portant sur un recours en annulation du décret n° 2019-797 du 26 juillet 2019 relatif au régime d'assurance chômage - qui aborde plusieurs points de droit très intéressants, on retiendra seulement les deux annulations prononcées par le juge.

Tout d’abord, est annulée la disposition relative à la détermination du salaire journalier de référence car du fait de son mode de calcul (tel qu’il figure à l’art. 13 du règlement d’assurance chômage annexé au décret litigieux), son montant, pour un même nombre d’heures de travail, peut varier du simple au quadruple en fonction de la répartition des périodes d'emploi au cours de la période de référence d'affiliation de 24 mois. Il porte ainsi atteinte au principe d’égalité en raison de ses effets disproportionnés. Cette annulation a un effet immédiat, le juge ayant refusé sa modulation dans le temps comme cela était demandé par le ministre du travail. Comme cette disposition n’est pas divisible des dispositions des neuf premiers alinéas du paragraphe 1er, de celles du paragraphe 2 de l'article 9, relatives à la durée d'indemnisation, de celles du paragraphe 1er de l'article 11 et des paragraphes 1er, 3 et 4 de l'article 12 de ce règlement, relatives au salaire de référence, celles-ci doivent être également annulées.

Ensuite, est annulée en ce qu’elle opère une subdélégation illégale à des arrêtés futurs pris pour son exécution, la disposition (du premier alinéa de l'article 50-3 du règlement d'assurance chômage) leur renvoyant le soin de fixer, d’une part, le  taux de séparation moyen au-delà duquel un secteur d'activité est soumis au mécanisme de modulation de la contribution d'assurance chômage et, d’autre part, les secteurs d'activité concernés par la modulation car ce sont là des éléments déterminants de la modulation du taux de contribution de chaque employeur.

Ces dispositions ne sont pas divisibles des autres dispositions de ce règlement relatives à la modulation du taux de contribution en fonction du taux de séparation de l'employeur, figurant à ses articles 50-2 à 51. Cependant, eu égard au motif d'illégalité retenu par la présente décision et à la circonstance que les articles 50-7 à 50-9 et 50-11 du règlement d'assurance chômage, seuls à être en vigueur à la date de la présente décision, ont été rendus applicables pour permettre l'entrée en vigueur de la modulation de la contribution des employeurs au 1er janvier 2021, il y a lieu de prévoir que l'annulation des articles 50-2 à 51 ne prendra effet qu'à cette date.

(25 novembre 2020, Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres, n° 434920 ;  Syndicat Alliance Plasturgie et Composites du futur (Plastalliance), n° 434921 ;  Confédération générale du travail - Force ouvrière, n° 434931 ; Union inter-secteurs papiers cartons pour le dialogue et l'ingénierie sociale et la fédération de la plasturgie et des composites, n° 434943 ;  Union des entreprises de transport et de logistique et autres, n° 434944 ; Confédération générale du travail et Union syndicale Solidaires, n° 434960)

 

96 - Détenus exerçant une activité salariée – Droit aux congés payés – Absence – Critique du décret ne prévoyant pas ce droit – Absence d’atteinte au préambule de la Constitution de 1946 et à la Charte des droits fondamentaux de l’UE – Rejet.

La requérante soutenait que devait être octroyé aux travailleurs détenus le bénéfice des congés payés annuels. Elle demandait donc l’annulation du rejet par le premier ministre : 1°/ de sa demande tendant à ce qu'il adopte des dispositions réglementaires garantissant aux travailleurs détenus le bénéfice de congés payés annuels, 2°/ de sa demande tendant à la communication des motifs de cette décision et à son réexamen.

En bref, il était argué que du moment que des détenus ont la faculté de choisir d’exercer un travail durant le temps de leur incarcération, travail qui est en tout point soumis aux dispositions du code du travail applicable à tous les salariés, ils devraient, comme les autres travailleurs, pouvoir bénéficier de congés payés.

Le Conseil d’État déboute la requérante par le motif que le droit positif incite les détenus à exercer un travail salarié d’abord afin de favoriser leur insertion dans la société lorsque la peine sera accomplie. Pour autant, la législation n’a pas entendu assimiler complètement les détenus qui travaillent à des salariés de droit commun. Si des éléments comme la durée de travail ou celui du temps de repos sont applicables pour les deux catégories de travailleurs, tel n’est pas le cas des jours de congés payés.

Partant, cette situation n’est contraire ni au onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 qui « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence », ni , non plus, à l’art. 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE ainsi qu’à la directive du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail.

Au reste, il résulte tant de ces derniers textes que de l’interprétation qu’en donne la CJUE (26 mars 2015, Gérard Fenol c/ Centre d’aide par le travail « La Jouvene » et Association de parents et d’amis de personnes handicapées mentales (APEI) d’Avignon, aff. C-316/13) que la notion de « travailleur » est, en droit de l’Union, une catégorie juridique autonome caractérisée par le fait que le travailleur est celui qui exerce son activité en faveur d’une autre personne et sous la direction de celle-ci. D’évidence, ce n’est pas la situation de ceux des détenus qui travaillent ; ils n’ont pas, avec l’administration pénitentiaire les relations ordinaires d’un travailleur d’autant plus qu’ils peuvent, par suite d’une convention de concession de la main d’œuvre pénale, être au service d’une entreprise privée.

(30 novembre 2020, Section française de l'Observatoire international des prisons, n° 431775)

 

Élections  - Financement de la vie politique

 

97 - Covid-19 - Délai de protestation contre les élections municipales du mois de mars 2020 – Dispositions du code électoral et régime combiné de la loi du 23 mars 2020 et de l’ordonnance du 25 mars 2020 – Rejet du recours pour tardiveté – Irrégularité – Régime des griefs formulés postérieurement à ces textes – Annulation de l’ordonnance et rejet de l’appel.

Le protestataire avait saisi, le 23 mars 2020, le juge du tribunal administratif aux fins de voir annuler les opérations électorales et communautaires s’étant déroulées dans une commune le 15 mars 2020. Le recours a été rejeté le 24 mars par ordonnance pour cause de tardiveté le rendant irrecevable, le juge estimant que le délai de réclamation était expiré dès lors qu’il résulte des dispositions de l’art. R. 119 du code électoral que les réclamations électorales doivent, à peine d’irrecevabilité, être déposées au plus tard à 18 heures le cinquième jour qui suit l’élection, soit, en l’espèce, le 20 mars au soir.

Toutefois, la loi du 23 mars 2020 (art. 11) a habilité le gouvernement à prendre par ordonnances de l’art. 38 « toute mesure pouvant entrer en vigueur, si nécessaire, à compter du 12 mars 2020, (…) ; (…) b) Adaptant, interrompant, suspendant ou reportant le terme des délais prévus à peine de nullité, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, déchéance d'un droit, fin d'un agrément ou d'une autorisation ou cessation d'une mesure, à l'exception des mesures privatives de liberté et des sanctions. Ces mesures sont rendues applicables à compter du 12 mars 2020 (...) ». C’est sur cette base que le 3° du II de l'article 15 de l'ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif a prévu que : « Les réclamations et les recours mentionnés à l'article R. 119 du code électoral peuvent être formés contre les opérations électorales du premier tour des élections municipales organisé le 15 mars 2020 au plus tard à dix-huit heures le cinquième jour qui suit la date de prise de fonction des conseillers municipaux et communautaires élus dès ce tour, fixée par décret au plus tard au mois de juin 2020 (…) ». L'article 1er du décret du 14 mai 2020 définissant la date d'entrée en fonction des conseillers municipaux et communautaires élus dans les communes dont le conseil municipal a été entièrement renouvelé dès le premier tour des élections municipales et communautaires organisé le 15 mars 2020 a décidé que : « (...) les conseillers municipaux et communautaires élus dans les communes dans lesquelles le conseil municipal a été élu au complet lors du scrutin organisé le 15 mars 2020 entrent en fonction le 18 mai 2020 ». Il suit de là, par application de l’art. 642 du code de procédure civile qui décide que le délai qui expirerait normalement un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé est prorogé jusqu'au premier jour ouvrable suivant, que les réclamations contre les élections tenues le 15 mars 2020 pouvaient être introduites jusqu’au lundi 25 mai 2020 à 18 heures. C’est donc à tort que le premier juge a opposé l’exception d’irrecevabilité pour cause de tardiveté à la protestation que le requérant avait formée le 23 mars 2020.

Il suit de là cette conséquence qu’aucun des griefs soulevés par le protestataire dans son appel au Conseil d’État, enregistré le 30 avril 2020, ne peut être écarté pour irrecevabilité tiré de son caractère nouveau.

Sur le fond, la protestation est rejetée, le Conseil d’État ne retenant aucun des griefs de forme et de fond invoqués par le demandeur.

(4 novembre 2020, M. B., n° 440355)

(98) V. aussi, sur le même sujet, le rejet d’une protestation dirigée contre le fait qu’un taux d’abstention élevé à des élections municipales – attribué à l’épidémie de Covid-19 - doit en entraîner l’annulation, le juge estimant que cette seule circonstance, non assortie de la preuve qu’elle aurait, de ce fait, altéré la sincérité du scrutin est insuffisante à justifier l’annulation demandée : 6 novembre 2020, M. B. (élect. mun. de Saint-Just-de-Claix (Isère)), n° 442054.

(99) V. aussi, semblable : 23 novembre 2020, M. E., n° 442419.

 

100 - Covid-19 – Élections municipales et communautaires – Premier tour organisé le 15 mars 2020 – Fixation de la date d’entrée en fonction des conseillers élus dans les communes où le conseil municipal a été entièrement renouvelé le 15 mars 2020 – Date fixée au vu d’un avis du comité des scientifiques sur l’évolution du Covid – Rejet.

Sont rejetées des requêtes tendant à l’annulation du décret du 14 mai 2020 définissant la date d'entrée en fonction des conseillers municipaux et communautaires élus dans les communes dont le conseil municipal a été entièrement renouvelé dès le premier tour des élections municipales et communautaires organisé le 15 mars 2020. 

D’une part, le décret attaqué n’a pas été pris pour l’exécution de dispositions législatives inconstitutionnelles, le § I de l’art. 19 de la loi du 23 mars 2020, d’urgence sanitaire, ayant été déclaré conforme à la Constitution (C.C. 17 juin 2020, M. Daniel D. et autres, n° 2020-849 QPC).

D’autre part, ce décret n’a pas subordonné l’entrée en fonctions de ces conseillers à l’avis favorable du comité scientifique du Covid mais seulement à sa lecture.

(27 novembre 2020, Association « Cinquante millions d’électeurs », n° 440651 ; M. A., n° 440874)

 

101 - Élections municipales – Commune de moins de mille habitants – Erreur dans le comptage des seuls candidats élus – Dépouillement effectué dans des conditions régulières – Absence de manœuvre – Rejet.

Ne commet pas d’erreur de droit le jugement qui rectifie les résultats d’élections municipales tenues dans une commune de moins de mille habitants à la suite d’erreurs matérielles de comptage, d’une part, en constatant que ces erreurs ne concernent que les candidats élus et sont sans incidence pour les autres candidats et, d’autre part, après vérification de la régularité des conditions de dépouillement ainsi que de l’absence de toute manœuvre ou fraude.

Au reste, le nombre de voix obtenues par les candidats proclamés élus excède à la fois la majorité absolue des suffrages validement exprimés et le quart des électeurs inscrits.

(6 novembre 2020, M. H., n° 442596)

 

102 - Élections municipales et communautaires - Refus de présidents de bureaux de vote d’accepter des bulletins de vote de dimensions non réglementaires – Refus d’accepter la remise de nouveaux bulletins conformes – Annulation de l’ensemble des opérations électorales.

La double circonstance que les présidents des deux bureaux de vote d’une commune aient refusé d’accepter, à raison de leurs dimensions (105x148 mm au lieu de 148x210 mm), les bulletins de vote d’une liste à quelques minutes de l’ouverture du scrutin alors qu’ils avaient été remis au maire deux jours plus tôt sans observations de sa part, et que l’un de ces présidents ait refusé la remise de bulletins conformes, portent une atteinte grave à la liberté et à la sincérité du scrutin justifiant l’annulation de l’ensemble des opérations électorales.

(30 novembre 2020, Election des conseillers municipaux et communautaires de la commune de Donchery, n° 441891)

 

103 - Élections municipales et communautaires – Bulletins de vote utilisant un grammage supérieur au grammage réglementaire – Non-respect par le maire de l’ordre de présentation des candidats tel qu’il figurait sur les bulletins de vote – Rejet.

Est rejetée la protestation d’une élue municipale tendant à l’annulation d’élections municipales et communautaires tenues le 15 mars 2020.

D’une part, la circonstance que le grammage du papier utilisé pour la confection des bulletins de vote ait été de 80g/m2 au lieu des 70g/m2 prévus par le code électoral est sans incidence sur la régularité du scrutin.

D’autre part, n’affecte pas non plus la régularité et la sincérité du scrutin, le fait que lors du conseil municipal tenu le 25 mai 2020 pour procéder à la désignation des représentants au conseil communautaire, le maire n’ait pas suivi l’ordre de présentation des candidats tel qu’il figurait sur les bulletins de vote.

(13 novembre 2020, Mme E., Élections municipales de Solgne, n° 442391)

 

104 - Élections municipales et communautaires – Listes de candidats devant comporter un nombre de candidats correspondant au nombre de sièges plus deux – Nombre de candidats proclamés élus devant être, au plus, égal au nombre de sièges à pourvoir – Annulation de l’élection de candidats au-delà de ce nombre – Réformation partielle du jugement.

Double rappel d’une règle classique du droit électoral : s’il résulte de l'article L. 260 du code électoral, pour les élections municipales, et de l'article L. 273-9 de ce code, pour les élections communautaires, que la liste des candidats, respectivement aux sièges de conseillers municipaux et aux sièges de conseillers communautaires, comporte un nombre de candidats égal au nombre de sièges à pourvoir, augmenté au plus de deux candidats supplémentaires, dans le premier cas et augmenté d'un candidat supplémentaire si ce nombre est inférieur à cinq,  dans le second cas, le nombre de candidats proclamés élus à l'issue du scrutin ne peut être supérieur à à celui fixé en application de l'article L. 2121-2 du code général des collectivités territoriales dans le cas d’élections municipales et à celui fixé par le préfet pour les élections communautaires. Ainsi, dans chacune de ces catégories d’élections, la proclamation de l'élection d'un candidat supplémentaire, désigné en application soit de l'article L. 260  soit de l'article L. 273-9, ne peut qu'être annulée par le juge de l'élection.

(25 novembre 2020, Election des conseillers municipaux et communautaires de la commune de Chatenois-les-Forges, n° 442573)

(105) V. aussi, identiques : 25 novembre 2020, Election des conseillers municipaux et communautaires de la commune de Roppe, n° 442616 ; 25 novembre 2020, Election des conseillers municipaux et communautaires de la commune de Rougemont-le-Château, n° 442634 ; 25 novembre 2020, Election des conseillers municipaux et communautaires de la commune de Meroux-Moval, n° 442669.

 

106 - Covid-19 – Instructions ministérielles de laisser les isoloirs ouverts - Élections municipales et communautaires – Isoloir sans rideau, laissant ainsi visibles les électeurs s’y trouvant – Irrégularité substantielle - Annulation du jugement.

Si, du fait de l’épidémie de Covid-19, des instructions ministérielles ont ordonné de laisser ouverts les isoloirs, les prescriptions de l’art. L. 62 du code électoral imposaient cependant de placer les isoloirs, dépourvus de rideaux, de telle façon que n’y soient pas visibles les électeurs s’y trouvant.

A défaut, les opérations électorales sont, comme en l’espèce, annulées et le jugement contraire également.

(25 novembre 2020, Élections municipales et communautaires de la commune de Carticasi (Haute Corse), n° 443312)

 

107 - Élections du maire et de ses adjoints – Délai de réclamation contre ces élections expirant le 3 juin à 18 heures – Enregistrement de la protestation le 4 juin – Forclusion – Rejet.

Le recours en annulation de l’élection du maire et des adjoints d’une commune doit être formé au plus tard à dix-huit heures le cinquième jour qui suit l’élection soit, en l’espèce, le 3 juin à 18 heures. Les requérants étaient donc forclos lors de l’enregistrement de leur protestation au greffe du tribunal administratif le 4 juin sans que puisse faire échec à cette règle la circonstance, au demeurant non établie par les pièces du dossier, que le conseil municipal se serait réuni à huis-clos et qu'il n'aurait pas été procédé à l'affichage des nominations avant le début du mois de juin.

Au surplus, le juge fait observer que l’envoi postal d’une réclamation le 2 juin était trop tardif pour parvenir en temps utile au greffe de la juridiction compte tenu du délai normal d’acheminement du courrier.

(25 novembre 2020, Élection du maire et des adjoints de la commune de Rouy-le-Grand (Oise), n° 442411

 

108 - Autorités administratives et autorités publiques indépendantes - Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCPFP) – Régime de rémunération et d’indemnité de ses membres – Compétences respectives de la loi et du règlement – Modifications des conditions de rémunération en cours de mandat et avec effet rétroactif – Régularité - Rejet.

La requérante demandait l’annulation, d’une part, du décret du 30 mai 2018 relatif notamment au traitement du président et aux indemnités susceptibles d'être allouées au vice-président, aux membres, aux collaborateurs et aux rapporteurs de la CNCCFP, ainsi que celle de l’arrêté interministériel pris pour son exécution et, d’autre part, des refus d’abroger l’un et l’autre textes opposé, pour le décret, par le premier ministre et pour l’arrêté, par ce dernier et par le ministre de l’intérieur.

Le Conseil d’État, statuant en premier et dernier ressort dès lors que le recours concernait une autorité administrative indépendante, rejette la requête dont il était saisi.

Concernant la compétence, le juge considère que si, en vertu de la loi organique du 20 janvier 2017 qui régit ces autorités indépendantes, la fixation des principes fondamentaux relatifs à leur organisation et à leur fonctionnement relève de la loi, le pouvoir réglementaire était compétent pour établir la composition du secrétariat général assistant la commission ainsi que les modalités de calcul du régime de rémunération des différents membres de cette commission, ces matières ne relevant pas des principes fondamentaux précités.

Concernant les autres griefs, la loi étant d’application immédiate, il est jugé que le décret attaqué, qui intervient en cours du mandat des membres de cette commission et avec effet rétroactif au 1er janvier de l’année 2018, ne porte pas atteinte au principe de non-rétroactivité des décisions administratives.

(12 novembre 2020, Association contre la corruption et pour l'éthique en politique Anticor, n° 425340)

 

109 - Élections des représentants au Parlement européen des 25 et 26 mai 2019 – Fixation par le CSA de la durée et du nombre d’émissions de la campagne officielle – Décision détachable des opérations électorales mais sans caractère permanent – Conditions de contestation de la décision – Rejet pour irrecevabilité.

L’association requérante demandait l’annulation de la décision par laquelle le CSA a fixé la durée et le nombre des émissions de propagande en vue des élections européennes tenues les 25 et 26 mai 2019.

Le Conseil d’État fait observer que la décision contestée est à la fois détachable des opérations électorales et sans caractère permanent. Il en résulte qu’elle ne peut être contestée qu’à l’appui d’un recours dirigé contre les opérations électorales et qu’elle ne peut plus faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir une fois proclamés les résultats des élections.

La requête, présentée après la proclamation, le 29 mai 2019, des résultats des élections en cause était donc irrecevable.

(27 novembre 2020, Association « La France insoumise », n° 432406)

 

Environnement

 

110 - Classement des sites – Paysages du canal du midi - Organisation et déroulement de la concertation préalable puis de l’enquête publique – Contrôle par le juge de l’erreur d’appréciation et du détournement de pouvoir – Contrôle « en tant que ne pas » - Rejet.

La commune requérante contestait le classement, au titre des sites, des paysages du canal du midi en tant qu’il concerne des parcelles situées sur son territoire. Elle invoquait des moyens de légalité externe et des moyens de légalité externe, tous rejetés.

S’agissant de la légalité externe étaient surtout critiquées la concertation préalable et les conditions d’organisation et de déroulement de l’enquête publique.

Le juge rappelle, appliquant une jurisprudence ancienne et constante relative aux consultations spontanément organisées par l’administration, que si aucune disposition législative ou réglementaire n’impose à l’administration d’organiser une concertation préalable avant le classement d’un site, néanmoins, si elle décide d’organiser une telle concertation, elle doit le faire de façon régulière. En l’espèce, celle des deux procédures de concertation qui a été choisie (art. L. 121-16, II, c. env.) n’imposait point que fussent invités à y participer les propriétaires des parcelles incluses dans le périmètre du classement.

Pour ce qui regarde l’enquête publique, le dossier de celle-ci ne souffre pas des insuffisances ou inexactitudes que lui reproche la commune requérante. En particulier, le rapport de présentation comporte bien le résumé des principaux motifs du classement des paysages du canal du midi, l’exposé détaillé des contraintes résultant d’un tel classement et le recueil des avis des élus locaux sur le périmètre adopté, dont plusieurs ont été retenus. Le commissaire enquêteur n’était pas tenu, contrairement à ce que soutenait la commune requérante, d’organiser une réunion d’information et d’échange avec le public (cf. art. L. 123-9 c. env.). Enfin, réitérant une jurisprudence discutable, le juge rappelle que la méconnaissance de certaines dispositions applicables à une enquête publique « n'est toutefois de nature à vicier la procédure et donc à entraîner l'illégalité de la décision prise à l'issue de l'enquête publique que si elle n'a pas permis une bonne information de l'ensemble des personnes intéressées par l'opération ou si elle a été de nature à exercer une influence sur les résultats de l'enquête et, par suite, sur la décision de l'autorité administrative. » Il décide que l’absence d’indication des qualités respectives des membres de la commission d’enquête comme de l’existence d’un dossier comprenant les informations environnementales « n'ont pas nui à une bonne information de l'ensemble des personnes intéressées par l'opération ni été de nature à exercer une influence sur les résultats de l'enquête. » On peut ne pas partager la déduction quelque peu aventurée du juge.

S’agissant de la légalité interne, le juge indique tout d’abord que le classement d’un site peut porter non seulement sur les parcelles présentant par elles-mêmes un intérêt général à leur classement mais encore sur celles qui contribuent à la sauvegarde du site, ce qui justifie ici un classement étendu, d’ailleurs conforté par le classement du canal, de ses abords et de ses paysages, au patrimoine mondial par l’UNESCO. Aucune erreur d’appréciation ne saurait être reprochée de ce fait et pas davantage ne peut être admise la critique tirée du détournement de pouvoir réalisé par un classement qui vise à protéger des zones agricoles et à instaurer une tutelle sur les collectivités en matière d’autorisation d’urbanisme.

Exerçant son désormais classique contrôle « en tant que ne pas » (au moins depuis : Assemblée, 16 décembre 2005, Groupement forestier des ventes de Nonant, n° 261646, au Recueil p. 583, avec les concl. de Y. Aguila), le juge vérifie que n’ont pas été omises dans le périmètre de classement des parcelles qui devaient y figurer et constate que tel n’est pas le cas dans cette affaire.

Enfin, n’est pas non plus retenue la critique de l’inclusion dans le périmètre de classement de certaines parcelles situées sur le territoire de la commune requérante alors même qu’elles présentent une qualité de paysage moindre que celle d'autres parcelles classées, ou qu'elles se situent pour partie à plus de 500 mètres des bords du canal et de ses ouvrages remarquables car le classement de ces parcelles contribue à la cohérence du site, excluant ainsi toute erreur d’appréciation.

(4 novembre 2020, Commune de Vias, n° 416017)

 

111 - Interdiction de certains produits phytopharmaceutiques – Absence d’inconstitutionnalité – Portée du règlement européen du 21 octobre 2009 (mise sur le marché intérieur de l’Union de produits phytopharmaceutiques) – Étendue de la liberté des États-membres au regard des dispositions du règlement du 4 juillet 2012 mettant en œuvre la convention de Rotterdam du 10 septembre 1998 – Rejet.

Les deux requêtes, qui ont été jointes, tendaient à l’annulation de la circulaire interministérielle (écologie, économie et agriculture) du 23 juillet 2019 relative à l'entrée en vigueur de l'interdiction portant sur certains produits phytopharmaceutiques pour des raisons de protection de la santé et de l'environnement, en application de la modification de l'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime.

Les divers griefs articulés à l’encontre de cette circulaire sont rejetés.

Le IV litigieux de l’art. L. 253-8 précité ayant été déclaré conforme à la Constitution par une décision du Conseil constitutionnel, l’affirmation qu’il porterait atteinte à un droit ou une liberté que garantit la Constitution ne peut qu’être rejetée.

Cette disposition n’est pas, non plus, contraire aux art. 28 et 29 du règlement du 21 octobre 2009, selon lesquels seraient autorisés la production, le stockage et la circulation en France de produits phytopharmaceutiques, même s'ils contiennent des substances actives non approuvées, dès lors que ces articles dispensent d'autorisation de mise sur le marché les produits destinés à être utilisés dans un pays tiers. En effet, s’ils prévoient les modalités à respecter en cas d’exportation vers des pays tiers, ils n’ont ni pour objet ni pour effet d’empêcher un État-membre d’interdire l’exportation de ces substances.

Enfin, les dispositions du règlement du 4 juillet 2012 pris pour l’harmonisation au sein de l’Union de la mise en œuvre, d’une part, de la convention de Rotterdam (10 septembre 1998) sur la procédure de consentement préalable en connaissance de cause applicable à certains produits chimiques et pesticides dangereux qui font l'objet d'un commerce international et, d’autre part, de la convention de Stockholm (22 mai 2001) sur les polluants organiques persistants, ne fixent pas une liste limitative des produits dont l’exportation est interdite. Le législateur national dispose de la faculté d’imposer des mesures de protection renforcées dans le domaine de l’environnement (cf. art. 10 de ce règlement) et donc, le cas échéant, d’interdire la production, le stockage et la circulation de produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives non approuvées en vue de leur exportation vers des pays tiers.

(13 novembre 2020, Union des industries de la protection des plantes, n° 433460 ; Union française des semenciers, n° 434501, jonction)

 

112 - Émissions de gaz à effet de serre – Engagements de la France de les réduire selon un certain calendrier – Demande de prise de mesures en vue d’infléchir la courbe de ces émissions – Décision implicite de rejet – Supplément d’instruction pour permettre d’apprécier, sous trois mois, la compatibilité du refus opposé à cette demande avec la trajectoire de réduction d’émissions de ces gaz – Rejet pour le surplus.

Les requérants, se prévalant de divers engagements internationaux (Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) du 9 mai 1992 et son protocole signé à Kyoto le 11 décembre 1997 ; Accord de Paris du 12 décembre 2015) et européen (décisions du Conseil du 15 décembre 1993 concernant la conclusion de la CCNUCC et du 23 avril 2009 relative à l'effort à fournir par les États membres pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre afin de respecter les engagements de la Communauté en matière de réduction de ces émissions jusqu'en 2020 ; Annexe I du règlement du 30 mai 2018) pris par la France ainsi que des dispositions de son droit interne (art. L. 100-4 du code de l’énergie et L. 221-1 A et B du code de l’environnement), ont demandé au président de la république, au premier ministre et au ministre chargé de l’écologie, notamment, de prendre toutes mesures utiles à l’effet d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre sur le territoire national en vue de se conformer aux engagements précités.

Restées sans réponses, ces demandes ont donc été implicitement rejetées.

De ce rejet le Conseil d’État est saisi en premier et dernier ressort.

De l’analyse effectuée par le juge, il ressort un doute concernant la conformité du comportement de la France auxdits engagements.

Bottant en quelque sorte en touche, le juge ordonne un supplément d’instruction tendant à la production d’éléments et de motifs « permettant d'établir la compatibilité du refus opposé avec la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre telle qu'elle résulte du décret du 21 avril 2020 permettant d'atteindre l'objectif de réduction du niveau des émissions de gaz à effet de serre produites par la France fixé par l'article L. 100-4 du code de l'énergie et par l'annexe I du règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 ». Il donne trois mois aux parties pour fournir ces éléments.

Les habitués de la plume du Conseil d’État verront dans cette rédaction une certaine ironie et dans la brièveté du délai imparti, une sérieuse épée de Damoclès.

(19 novembre 2020, Commune de Grande-Synthe et autre, n° 427301)

 

Fonction publique et agents publics

 

113 - Fonction publique territoriale - Agents d’un département en service dans les collèges – Définition d’un cycle annuel de travail (décret du 25 août 2000) – Compétence du département pour arrêter cette définition - Régime d’imputation des congés de maladie sur le temps de travail annuel effectif - Forfaitisation à une durée de sept heures des journées de congé de maladie – Légalité – Rejet.

Un département fixe un cycle de travail annuel pour les fonctionnaires territoriaux travaillant dans les collèges, comprenant un temps de travail quotidien et hebdomadaire supérieur à la durée légale de sept heures par jour et de trente-cinq heures par semaine pendant les périodes de présence des élèves dans ces établissements, et un temps de travail inférieur à cette durée légale pendant les périodes correspondant aux vacances scolaires. Il a, en conséquence, concernant  les modalités de calcul des droits de réduction du temps de travail (RTT) de ces agents, décidé, d’une part, que lorsque la maladie se produit sur des jours de présence des élèves, le temps supérieur à la durée légale de 7 heures, prévu dans l'horaire de travail de l'agent et qui n'aura pas été effectué en raison de la maladie, sera réparti à son planning sur les journées de travail à venir et, d’autre part,  lorsque la maladie se produit sur les jours de congés annuels ou des jours de repos lié au dépassement de la durée légale, que ces jours de repos ou de congés sont suspendus par l'arrêt maladie : ce sont ainsi des journées de 7 heures de travail qui sont créditées au bénéfice de l'agent.

L'annexe 1 à cette délibération explicite le décompte pratique des heures en cause du fait de l’application des règles ci-dessus.

Le syndicat requérant a demandé l’annulation du refus du président du conseil départemental de soumettre à ce dernier un projet d’abrogation de cette annexe 1 ; si le tribunal administratif a annulé la décision refusant l’abrogation, la cour administrative d’appel a annulé ce jugement et rejeté la requête du syndicat. Celui-ci se pourvoit contre cet arrêt.

Le Conseil d’État rejette ce pourvoi.

Tout d’abord, la collectivité territoriale a la faculté, en qualité d’employeur, de définir un cycle annuel de travail pour ses agents, notamment ceux dont le temps de travail est variable selon les époques de l’année.

Ensuite, de cette compétence découle celle de déterminer l’incidence des jours d’arrêt de travail pour congé de maladie sur le calcul du temps de travail effectif.

Enfin, dans le cas où, comme pour les personnels départementaux des collèges, l’année se déroule, selon que les élèves sont ou non en périodes de congés scolaires, sur des jours et des semaines où la durée de travail est supérieure, respectivement, à 7 heures et à 35 heures, et d’autres où la durée est inférieure à ces chiffres, la collectivité territoriale peut légalement décider que les agents en congé de maladie seront considérés comme ayant effectué une journée de 7 heures de travail, que ce congé ait lieu durant une période où la durée réelle de travail est supérieure pu inférieure à 7 heures/jour ou à 35 heures/semaine.

Cette solution, si elle peut être critiquée pour sa brutalité, a le grand mérite de la simplicité d’application et de la clarté. Elle doit être approuvée.

(4 novembre 2020, Syndicat local départemental de la FSU territoriale du département d'Indre-et-Loire, n° 426093)

 

114 - Fonctionnaires et agents publics – Praticiens hospitaliers - Rémunérations d’activités accessoires – Nécessité d’obtenir une autorisation à cet effet – Obligation de reversement des sommes perçus à défaut d’autorisation – Inopposabilité de l’existence d’un « service fait » - Inopposabilité de l’existence d’une convention de permanence des soins – Rejet.

Le requérant, praticien hospitalier, en sus de ses obligations de service dans l’établissement hospitalier au sein duquel il est affecté, avait assuré une activité accessoire de soins dans deux autres établissements liés à l’établissement employeur par une convention de continuité des soins.

Il conteste l’ordre de reversement des rémunérations accessoires perçues qui a été émis par le directeur du centre hospitalier où il est affecté. Celui-ci invoque l’absence d’autorisation donnée au requérant.

Le Conseil d’État estime que c’est à bon droit que le reversement a été exigé dès lors qu’il n’est pas contesté que le praticien n’avait pas sollicité l’autorisation d’exercer dans les autres établissements, autorisation obligatoire en vertu de l’art. 25 de loi de 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires rendu applicable aux personnels hospitaliers par les art. L. 6152-1 et L. 6152-4 du code de la santé publique.

Pas davantage l’intéressé ne peut faire valoir qu’il a droit à la rémunération du « service fait » laquelle ne saurait dispenser de respecter l’exigence d’autorisation préalable d’exercer une activité accessoire.

On ne peut s’empêcher de trouver par trop rigide l’application du principe susénoncé. Reste à explorer, dans la mesure où sa situation est contractuelle avec les deux établissements non employeurs, la piste de l’enrichissement sans cause ou enrichissement injustifié (comme croit devoir le qualifier désormais le Code civil).

 (13 novembre 2020, M. A., n° 429706)

 

115 - Fonction publique territoriale – Élection des représentants syndicaux aux commissions administratives paritaires des collectivités territoriales et de leurs établissements publics – Modalités d’attribution des sièges – Conformité à la loi du 29 janvier 1984 (art. 29) des principes posés par le décret du 17 avril 1989 faisant application de cette loi – Annulation.

Pour la désignation des représentants syndicaux aux commissions paritaires des collectivités territoriales et de leurs établissements publics, le décret du 17 janvier 1989, pris pour l’application de l’art. 29 de la loi du 29 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, permet aux syndicats : 1/ de décider de ne présenter de listes de candidats qu’à certains groupes hiérarchiques et 2/ de présenter des listes incomplètes.

En conséquence du 1/ ci-dessus, il peut arriver qu’une liste ayant recueilli plus de suffrages qu'une autre liste se voit attribuer un nombre de sièges inférieur à ceux attribués à cette dernière.

En conséquence du 2/ ci-dessus, il est également possible qu’une liste ayant obtenu plus de suffrages qu'une autre se voit attribuer des sièges de représentants titulaires et suppléants, pris ensemble, en nombre inférieur à ceux obtenus par cette autre liste.

La cour administrative d’appel a, au vu de ces résultats chaotiques au plan arithmétique, considéré que le décret de 1989 était illégal et en a écarté l’application à l’espèce.

La commune requérante obtient du Conseil d’État l’annulation, qu’elle sollicitait, de cette solution.

Ce dernier considère que le décret litigieux oblige à apprécier la règle de représentation proportionnelle qu’il institue au regard du nombre de sièges de représentants titulaires obtenus par chaque liste au sein de la composition de la commission, prise dans son ensemble, et non au sein de chacun des groupes hiérarchiques de la catégorie d'agents concernés. Ce résultat est en effet atteint par application du régime de la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne.

La cour a commis une erreur de droit – excusable étant donné les règles régissant la composition des listes - et son arrêt est cassé sans renvoi car la cassation ne laisse plus rien à juger du fait de la mise en œuvre de l’art. L. 821-1 du CJA.

(30 novembre 2020, Commune d’Aix-en-Provence, n° 438326)

 

116 - Militaires - Fonctionnaires et agents publics de l’État et des collectivités territoriales – Agent victime de deux accidents de service – Calcul du taux d’invalidité – Agent relevant de l’État puis d’une collectivité locale, respectivement lors du premier puis du second accident.

Dans le cadre d’un litige opposant une fonctionnaire à la Caisse des dépôts et des consignations à l’occasion du refus de cette dernière de lui octroyer une allocation temporaire d’invalidité, le Conseil d’État apporte trois précisions très importantes qui auraient pu figurer dans une décision de Section.

Tout d’abord, dans l'hypothèse où un fonctionnaire territorial a subi successivement deux accidents de service qui, pris isolément, se traduisent chacun par un taux d'incapacité inférieur à 10 %, mais qui, cumulés, atteignent ce seuil, celui-ci peut prétendre à une allocation temporaire d'invalidité tenant compte de l'ensemble de ces infirmités. 

Ensuite, il en va de même dans le cas où le fonctionnaire appartenait à la fonction publique de l'État à la date du premier accident de service et était devenu fonctionnaire territorial à la date du second accident de service, l'article 119 de la loi du 26 janvier 1984 décidant que l'allocation temporaire d'invalidité est allouée dans les mêmes conditions aux fonctionnaires territoriaux et aux fonctionnaires de l'État.

Enfin, les règles ci-dessus reçoivent application également dans le cas où l’agent avait, à la date du premier accident de service, la qualité de militaire, alors même que les conditions d'indemnisation forfaitaire des séquelles des accidents de service dont sont victimes les militaires et les fonctionnaires civils relèvent de régimes différents, dès lors qu'aucune différence de situation ne justifie, au regard du principe d'égalité, compte tenu de la nature et de l'objet de l'allocation temporaire d'invalidité, que l'incapacité résultant d'un premier accident de service subi en qualité de militaire ne soit pas prise en compte pour le bénéfice d'une allocation temporaire d'invalidité alors qu'elle le serait si cet accident avait été subi en tant que fonctionnaire civil.

(20 novembre 2020, Mme A., n° 431508)

 

117 - Fonctionnaire – Qualité de fonctionnaire stagiaire – Exclusion de la qualité d’agent non titulaire – Vocation à devenir fonctionnaire titulaire – Services accomplis comme stagiaire ne pouvant être comptés comme accomplis en qualité d’agent public non titulaire – Cassation avec renvoi.

Le juge de cassation rappelle opportunément que si la qualité de fonctionnaire stagiaire donne vocation à devenir fonctionnaire titulaire, elle ne lui confère pas la qualité d’agent public non titulaire au sens et pour l’application du décret du 5 décembre 1951 portant règlement d'administration publique pour la fixation des règles suivant lesquelles doit être déterminée l'ancienneté du personnel nommé dans l'un des corps de fonctionnaires de l'enseignement relevant du ministère de l'éducation nationale. Il suit de là que les services accomplis en tant que stagiaire ne peuvent être regardés comme des services accomplis comme agent public non titulaire ouvrant droit à la prise en compte d'une fraction de l'ancienneté en cette qualité.

(20 novembre 2020, Ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, n° 438415)

 

118 - Agents contractuels de l’INSERM – Demande de transformation d’un contrat à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée – Délai – Cassation avec renvoi.

Précisant une jurisprudence allant déjà en ce sens, le Conseil d’État juge qu’il résulte des dispositions de l’art. 6 bis de la loi du 11 janvier 1984 modifiée, que l’agent public, recruté comme agent contractuel à durée déterminée qui estime remplies les conditions pour obtenir la transformation de son contrat en contrat à durée indéterminée et faute que l’employeur public lui fasse lui-même une proposition en ce sens, dispose pour solliciter cette transformation, d’un délai s’achevant au plus tard le dernier jour du deuxième mois suivant l’expiration du contrat.

(27 novembre 2020, INSERM, n° 432713)

 

119 - Accès à la magistrature – Intégration dans le corps judiciaire – Demande de nomination directe en qualité d’auditeur de justice – Avis défavorable de la commission d’avancement du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) - Refus du garde des sceaux – Absence d’éléments justificatifs dans le dossier – Annulation de l’avis défavorable – Injonction de réexaminer la candidature.

La requérante, candidate à la nomination directe en qualité d’auditeur de justice, se prévalant de diverses expériences, s’est vu refuser cet accès par le garde des sceaux en suite d’un avis défavorable de la commission d’avancement du CSM.

Elle saisit le Conseil d’État.

Celui-ci constate, d’une part, l’existence dans le dossier d’éléments élogieux et d’avis très favorables à la candidature de l’intéressée, les appréciations étant « excellentes » selon le juge, et d’autre part, l’absence de justifications fournies par la chancellerie en réponse à la mesure d’instruction ordonnée par la chambre chargée de ce recours afin de connaître les motifs de l’avis négatif de la commission susnommée.

Dans la lignée de sa célèbre décision Barel et autres (Assemblée, 28 mai 1954, au Recueil Lebon p. 308), le Conseil d’État en déduit l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation de la part de cette dernière et enjoint le ministre de faire procéder, sous trois mois, à un réexamen de cette candidature par ladite commission.

(18 novembre 2020, Mme D., n° 428531)

(120) V. aussi, très voisin de la précédente affaire : 18 novembre 2020, Mme B., n° 429084.

 

121 - Militaires – Chef d’escadron consommant de l’alcool durant son service – Comportement inapproprié envers des personnes - Faute disciplinaire établie – Sanction du « blâme du ministre » non disproportionnée – Rejet.

N’est pas disproportionnée la sanction de « blâme du ministre » infligé à un chef d’escadron qui, alcoolisé durant son service, y a eu un comportement inapproprié.

(13 novembre 2020, M. B., n° 438509)

 

122 - Sapeurs-pompiers professionnels – Détermination du temps de travail – Utilisation d’un régime horaire d’équivalence (décret du 31 décembre 2001) – Conditions d’octroi d’un complément de rémunération – Conditions d’indemnisation pour dépassement de la durée maximale de travail – Rejet partiel.

Le juge avait une nouvelle fois à connaître de l’interminable feuilleton que constitue le contentieux du paiement aux sapeurs-pompiers professionnels des heures supplémentaires et des heures dépassant les seuils admis.

En premier lieu, pour tenir compte des périodes d’inaction existant au sein des heures de présence des sapeurs-pompiers a été institué un mécanisme dit « d’horaire par équivalence » qui consiste à appliquer au total des heures de présence une pondération régressive. Le paiement d’heures supplémentaires n’est donc possible qu’au-delà de l’accomplissement de la durée statutaire de travail qui ne se confond pas avec les heures de présence, étant, au contraire, comme on vient de l’indiquer, toujours supérieure à elles.

En second lieu, lorsqu’il résulte de l’application de ce mécanisme correctif de calcul que l’agent a travaillé au-delà de la durée maximale de travail telle qu’elle résulte des dispositions du droit de l’Union et du droit interne, celui-ci a droit non à une rémunération mais à la réparation du préjudice subi qui est constitué par une atteinte à la santé et à la sécurité ainsi qu’aux troubles subis dans ses conditions d’existence. C’est sur ce dernier point que porte la cassation partielle.

(13 novembre 2020, M. A., n° 430378)

 

123 - Instruction relative aux agents des ministères sociaux en recherche d’affectation pérenne – Distinction et correspondance entre le grade et l’emploi – Absence de création d’une nouvelle position statutaire – Régime de la RTT applicable à ces agents – Illégalité – Absence – Rejet.

La requérante demandait l’annulation pour excès de pouvoir d’une instruction par laquelle la secrétaire générale des ministères chargée des affaires sociales a précisé les modalités de suivi et de gestion des agents en recherche d'affectation pérenne, relevant de divers ministères pour ce qui regarde leur rémunération, leurs congés, leur affectation sur des missions temporaires et leur accompagnement dans la recherche d'une affectation pérenne sur un emploi correspondant à leur grade.

Sa requête, que le tribunal administratif qu’elle avait saisi, a transmise au Conseil d’État, est rejetée.

En premier lieu, en ce qu’elle explicite la situation des agents en attente d'affectation pérenne, entendant par là ceux des agents qui, à l'issue de leur dernière affectation ou lors d'un retour au ministère après un congé ou une disponibilité ou à l'occasion d'une restructuration de service ou ministérielle, y sont réintégrés ou affectés mais ne disposent pas d'un poste pérenne ou permanent », cette instruction cherche à ce que les agents en question puissent recevoir une affectation pérenne dans un emploi correspondant à leur grade. Elle ne crée donc pas une position statutaire nouvelle contrairement à ce qui est soutenu par la requérante.

En second lieu, c’est sans illégalité et sans ajouter à la réglementation existante que cette instruction rappelle que les agents sans affectation pérenne et qui ne sont pas chargés d'une mission temporaire ne bénéficient pas de jours de réduction du temps de travail. En effet, si les fonctionnaires provisoirement sans affectation pérenne dans un emploi correspondant à leur grade et non affectés à une mission temporaire se trouvent dans une position statutaire d'activité qui leur permet de satisfaire aux obligations relatives à la durée légale du temps de travail, ils ne peuvent en revanche être regardés comme satisfaisant l'ensemble des conditions, qui sont cumulatives, de l'article 2 du décret du 25 août 2000, relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l'État, dès lors que, s'ils se trouvent à la disposition de leur employeur et en situation de devoir se conformer à ses directives, ils peuvent vaquer à des occupations personnelles. 

(4 novembre 2020, Mme B., n° 426650)

 

124 - Commissaire général de police – Poursuites et sanction disciplinaires pour fait réitérés de harcèlement nonobstant les instructions de sa hiérarchie – Sanction justifiée et non disproportionnée - Affectation au service des armes – Absence de caractère de sanction – Rejet.

Le requérant, commissaire général de police exerçant alors les fonctions d’adjoint au sous-directeur de la lutte contre la criminalité organisée et de la délinquance financière du ministère de l'intérieur s’est rendu coupable à plusieurs reprises de harcèlement envers une de ses collaboratrices et a poursuivi son attitude malgré les instructions reçues de sa hiérarchie. Affecté au service des armes, il voit dans cette affectation une sanction déguisée et conteste également la sanction d’exclusion temporaire de ses fonctions pour une durée de six mois dont quatre avec sursis qui lui a été infligée.

Sans surprise, son recours est rejeté.

D’une part, son comportement, qu’aggravent ses responsabilités hiérarchiques et la violation de ses obligations déontologiques, justifie une sanction, et d’autre part, malgré la qualité de ses états de service antérieurs, la sanction infligée n’apparaît pas comme disproportionnée.

Enfin, son affectation au service des armes d'abord en qualité de chargé de mission puis en qualité d'adjoint au chef de service, ayant été prise dans l'intérêt du service ne revêt pas la nature d'une sanction déguisée. Ainsi, il ne saurait être soutenu qu’il a fait l’objet en réalité de deux sanctions disciplinaires à raison des mêmes faits.

(5 novembre 2020, M. A., n° 433377)

 

125 - Fonctionnaire victime d’un accident de service – Imputation du préjudice à la collectivité publique employeur et à une autre collectivité publique – Demande de condamnation solidaire – Principe du forfait de pension - Office du juge – Obligation de ventiler les différents chefs de préjudice et d’en attribuer la charge à chacune des personnes publiques tenues à la réparation – Annulation.

Dans cette importante décision, le juge applique à une espèce un peu particulière dans l’articulation de la cause du préjudice subi par un fonctionnaire, les principes établis par l’arrêt Mme Moya-Caville (Assemblée, 4 juillet 2003, n° 211106, au Recueil Lebon p. 323).

Un enseignant, fonctionnaire de l’État, travaillant dans un lycée professionnel relevant de la Région, a été admis à la retraite pour invalidité et bénéfice d'une rente viagère d'invalidité par suite de l’imputabilité au service d’une silicose.

Il a mis en jeu la responsabilité solidaire de l’État et de la Région afin de voir réparer l’entier préjudice subi. Alors que le tribunal administratif a condamné l’État employeur à verser à l’intéressé une certaine somme à titre d’indemnisation de la partie du préjudice non couverte par l’octroi d’une rente viagère d’invalidité, la cour administrative d’appel a, d’une part, accru la somme allouée en première instance, et, d’autre part, condamné solidairement l’État et la Région au paiement de ce complément d’indemnisation.

Le ministre de l’éducation nationale se pourvoit contre cet arrêt et obtient gain de cause.

Le Conseil d’État juge, et c’est la partie novatrice de la décision, que dans l’hypothèse de l’espèce où deux collectivités publiques voient leurs responsabilités respectives engagées sur le fondement d’une action en responsabilité solidaire, il incombe au juge, au titre de son office :

1°/ de déterminer le montant de la réparation forfaitaire à laquelle a droit la victime du chef de son employeur ;

2°/ de déterminer, lorsque cette première indemnisation ne couvre pas l’entier préjudice subi, le montant de l’indemnisation complémentaire nécessaire à cette couverture intégrale du préjudice, qui sera mis à la charge de l’autre collectivité publique ;

3°/ lorsque la collectivité employeur estime qu’une partie de la réparation forfaitaire ne doit pas rester à sa charge mais incombe à l’autre collectivité, de décider si cette dernière doit être condamnée à garantir l’employeur et jusqu’à quelle hauteur.

Ce dernier point était celui qui faisait le plus difficulté.

(18 novembre 2020, Ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, n° 427325)

 

126 - Fonctionnaire suspecté de souffrir d’une maladie mentale – Fonctionnaire placé en congé de longue durée – Cour administrative d’appel estimant n’y avoir pas de maladie mentale – Qualification inexacte des faits – Annulation avec renvoi.

Qualifie inexactement les faits qui lui sont soumis, la cour administrative d’appel qui refuse la qualification de maladie mentale à la pathologie dont est atteint un agent public alors que l'assistante sociale chargée d'assurer son suivi et le médecin de prévention ont été alertés à plusieurs reprises par l'intéressé sur son état et sur sa détermination à se mettre lui-même en danger, qu’ils ont fait part de leurs inquiétudes à son sujet et que l'avis du comité médical était favorable au placement de l’intéressé en congé de longue maladie pour une durée de six mois comme le préconisait le médecin psychiatre désigné par La Poste.

(27 novembre 2020, M. B., n° 422678)

 

127 - Personnels pénitentiaires – Interdiction du droit de grève – Faute d’une exceptionnelle gravité - Procédure disciplinaire spécifique – Refus de transmission d’une QPC – Rejet.

Pour rejeter la demande de transmission d’une QPC fondée sur l’inconstitutionnalité du  régime juridique d’interdiction de l’exercice du droit de grève par les personnels pénitentiaires, interdiction assortie de lourdes sanctions disciplinaires, le Conseil d’État relève, d’une part, que la cessation concertée du service pénitentiaire constitue une faute d’une exceptionnelle gravité, appréciée au cas par cas sous le contrôle du juge, et d’autre part, qu’elle est de nature, eu égard aux tâches dévolues aux services de l'administration pénitentiaire, à troubler l'ordre public.

Il suit de là que de tels faits justifient le recours à une procédure disciplinaire spécifique, distincte de celle prévue pour les autres catégories de fonctionnaires par la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, notamment en ce qu’elle permet à l'autorité disciplinaire d'être en mesure de sanctionner sans délai de tels actes.

(5 novembre 2020, Syndicat national pénitentiaire Force ouvrière, n° 439211)

 

128 - Fonctionnaire relevant du ministère des affaires étrangères – Agent placé en situation d’« appel spécial » - Inscription sur le fichier des personnes recherchées à la rubrique « S » - Existence d’une menace non établie – Erreur manifeste d’appréciation – Rejet.

Un fonctionnaire, adjoint administratif de chancellerie de 1ère classe, affecté à l'ambassade de France aux États-Unis en qualité de gestionnaire comptable et administratif, fait l’objet d’un « appel spécial » par un arrêté du 18 novembre 2015, pris par le ministre demandeur au pourvoi, lui ordonnant de rejoindre la France. Puis, un arrêté du 23 février 2016 met fin, à compter du 28 février 2016, à sa position d’appel spécial tandis que par un arrêté du 24 février 2016, le même ministre a « rompu l’établissement » de cet agent au sein de cette ambassade à compter du 27 février 2016.

Le recours de l’agent contre les deux arrêtés de février 2016 est rejeté en première instance ; la cour administrative d’appel annule ce jugement, les deux arrêtés attaqués et enjoint au ministre de réexaminer la situation de l’intéressé.

Le ministre se pourvoit et sa demande est rejetée. Le juge indique que « l'inscription d'une personne dans le fichier des personnes recherchées pour prévenir des menaces graves pour la sécurité publique ou la sûreté de l'État ne saurait, par elle-même, suffire à établir que cette personne présente une telle menace, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, lorsqu'il est informé d'une telle inscription, que la fiche soit ou non produite à l'instance par l'administration qui s'en prévaut, de se forger une conviction au vu de l'argumentation des parties sur ce point, sans qu'il soit tenu d'user de ses pouvoirs d'instruction, notamment en appelant le ministre de l'intérieur dans l'instance, s'il s'estime suffisamment informé par le débat contradictoire entre les parties. »

Le juge constate ensuite que le ministre défendeur s’est borné à se fonder sur le contexte particulier qui avait suivi les attentats du 13 novembre 2015 et à faire état de l'inscription de l’agent dans le fichier des personnes recherchées pour prévenir des menaces graves pour la sécurité publique ou la sûreté de l'État, sans toutefois donner aucun élément sur les motifs de cette inscription. De là il s’ensuit que, faute d’avoir établi l’existence et la consistance de cette menace, le ministre a, en prenant les arrêtés annulés en appel commis une erreur manifeste d’appréciation ainsi que l’ont jugé les magistrats de la cour.

(6 novembre 2020, Ministre de l'Europe et des affaires étrangères, n° 436346)

 

129 - Agents publics contractuels – Agent faisant l’objet de plusieurs contrats de travail à durée déterminée – Caractère abusif du renouvellement des contrats - Demande de réparation du préjudice moral – Cassation partielle avec renvoi.

Saisi d’un pourvoi contre l’arrêt d’appel ayant rejeté la demande d’un agent contractuel ayant fait l’objet de plusieurs contrats de travail à durée déterminée, le Conseil d’État annule l’arrêt.

Il se prononce sur ceux aspects distincts.

D’une part, la requérante ayant demandé pour la première fois en appel l’indemnisation du préjudice moral subi du fait de non renouvellement de son contrat après plusieurs renouvellements successifs pendant huit années, le juge rappelle que le justiciable qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d'un fait, est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d'appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont il n'avait pas fait état devant les premiers juges, dès lors que, 1°) ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur et  2°) ses prétentions demeurent dans la limite du montant total de l'indemnité chiffrée en première instance, augmentée le cas échéant des éléments nouveaux apparus postérieurement.

D’autre part, doit être considéré comme abusif le recours à des contrats à durée déterminée pendant plus de huit années. Contrôlant ainsi la qualification juridique des faits, le juge de cassation annule l’arrêt d’appel qui n’avait pas jugé excessive cette succession de contrats.

(13 novembre 2020, Mme B., n° 428737)

 

Hiérarchie des normes

 

130 - Loi du 23 mars 2020 habilitant le gouvernement à prendre des ordonnances – Art. 13 de l'ordonnance du 25 mars 2020 dispensant de toute procédure consultative l’édiction de mesures administratives destinées à lutter contre les conséquences de l’épidémie de Covid-19 – Disposition excédant le champ de l’habilitation – Annulation sans modulation des effets dans le temps.

La loi d’habilitation du 23 mars 2020 a prévu au 2° du I de son art. 11 que le gouvernement pourrait prendre pendant trois mois des mesures « adaptant (…) les délais et modalités de consultation du public ou de toute instance ou autorité, préalables à la prise d'une décision par une autorité administrative et, le cas échéant, les délais dans lesquels cette décision peut ou doit être prise ou peut naître (...) ». 

Or l’art. 13 de l’ordonnance du 25 mars 2020, prise en et pour l’application de cette disposition législative, décide que : « Sous réserve des obligations résultant du droit international et du droit de l'Union européenne, les projets de texte réglementaire ayant directement pour objet de prévenir les conséquences de la propagation du covid-19 ou de répondre à des situations résultant de l'état d'urgence sanitaire sont dispensés de toute consultation préalable obligatoire prévue par une disposition législative ou réglementaire, à l'exception de celles du Conseil d'État et des autorités saisies pour avis conforme ».

Il est jugé, comme le soutenaient les organisations requérantes, que l’habilitation ne portait que sur les délais et les modalités de la consultation non sur la possibilité de supprimer la consultation elle-même. De ce chef et seulement de ce chef, excédant le champ de l’habilitation accordée au gouvernement, l’art. 13 est annulé.

On notera que le juge estime non nécessaire d’user de son pouvoir de modulation dans le temps des effets de l’annulation prononcée

(16 novembre 2020, Confédération générale du travail (CGT) et autres, n° 440418)

 

Libertés fondamentales

 

131 - Taxe d’apprentissage – Conditions de versement à certains établissements d’enseignement (art. L. 6241-2 et L. 6241-4 c. travail) – Règles différentes pour les établissements privés selon qu’ils entrent ou non dans une certaine catégorie (5° de l’art. L. 6241-4 c. trav.) – Rupture de l’égalité devant les charges publiques – QPC – Refus de transmission.

L’art. L. 6241-4 du code de travail détermine en son 5°, parmi les établissements privés de l’enseignement supérieur, ceux éligibles au versement du produit de la taxe d’apprentissage, il s’agit des établissements gérés par des organismes à but non lucratif.

La société requérante, estimant qu’était ainsi introduite une rupture de l’égalité devant les charges publiques contraire à la Constitution, demandait la transmission d’une QPC en ce sens.

Sa requête est, sans surprise, rejetée car les établissements d’enseignement supérieur de nature privée pouvant recevoir le produit de cette taxe sont dans une situation objectivement et clairement différente de celles des autres établissements d’enseignement supérieur privés « soit en raison de leur statut, soit en raison de leur mode de gestion, soit en raison de leurs obligations pédagogiques et des contrôles qui s'y rattachent ».

Non nouvelle ni de caractère sérieux, la QPC n’est pas transmise.

(4 novembre 2020, Société Galileo Global Education France, n° 439011)

 

132 - Réfugiés et apatrides – Retrait du bénéfice de la protection subsidiaire – Commission d’un crime grave – Notion de crime grave – Contrôle du juge de cassation sur la qualification juridique des faits constitutifs d’un crime grave – Rejet.

Le requérant, ressortissant albanais, demandait au Conseil d’État d’annuler l’arrêt de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) rejetant le recours qu’il avait formé contre la décision de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, du 4 janvier 2019, lui retirant le bénéfice de la protection subsidiaire qui lui avait été accordé le 3 mars 2005.

La CNDA a motivé son rejet en se fondant sur ce qu’il existait des raisons sérieuses de penser que le requérant avait commis un « crime grave » au sens et pour l’application des art. IL. 712-2 et L. 712-3 du du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Le Conseil d’État rejette le pourvoi car le requérant – comme l’a relevé la CNDA - a été reconnu coupable de détention, offre ou cession, transport et acquisition non autorisés de stupéfiants et condamné, par un jugement du tribunal correctionnel de Brive-la-Gaillarde, à une peine d'emprisonnement de trois ans dont un an avec sursis, assortie d'une mise à l'épreuve de deux ans. Il approuve la cour d’avoir retenu qu'au nombre des faits constatés par le juge pénal se trouve une organisation très active en relation avec de nombreux groupes d'Albanais, impliquant le transport de stupéfiants dans plusieurs pays européens, la dissimulation d'importantes sommes d'argent et la couverture de ces activités par des contrats de travail de complaisance, les complices de M. A. s'étant en outre livrés à du trafic de munitions et de matériel informatique et téléphonique. Enfin, confirmant le rôle de premier plan tenu par M. A. dans ces affaires, la cour d’appel de Limoges (sur appel d’un des complices) a jugé que les transports de stupéfiants aux Pays-Bas s'effectuaient sous la « haute surveillance » de M. A.

(13 novembre 2020, M. A., n° 428582)

 

133 - Étrangers – Lutte contre l’immigration irrégulière – Traitement des demandes d’asile – Décret du 14 décembre 2018 pris pour l’application de la loi du 10 septembre 2018 – Incompatibilité avec le code frontières Schengen – Illégalité de la forme téléphonique de l’entretien avec le demandeur d’asile – Inconventionnalité de dispositions relatives au refus et/ou au retrait des conditions matérielles d’accueil – Annulations très partielles.

Les requérants demandaient l’annulation du décret du 14 décembre 2018 pris pour l'application de la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie et portant diverses dispositions relatives à la lutte contre l'immigration irrégulière et au traitement de la demande d'asile.

Examinant les nombreux griefs soulevés, le juge est amené à confirmer la légalité ou conventionnalité de la grande majorité des dispositions contestées.

Il procède à trois annulations.

L’art. 2 du décret est annulé en tant qu’il insère dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) un article R. 213-1-1 pris pour l’application de l’art. L. 213-3-1 de ce code et que cette disposition législative est incompatible avec les objectifs poursuivis par la directive du 16 décembre 2008 telles qu’interprétées par la CJUE (Grande chambre, 19 mars 2019, Préfet des Pyrénées-Orientales c/ Abdelaziz Arib et alii, C-444/17) ; en effet, les dispositions Schengen ne sont applicables qu’aux franchissements des frontières extérieures de l’Union non aux franchissements des frontières intérieures terrestres.

L’art. 11 subit le même sort, pour illégalité cette fois :  en permettant que l'entretien personnel d'un demandeur d'asile se présentant à la frontière puisse être mené par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides en recourant seulement à un moyen de communication téléphonique, cet article est contraire aux dispositions de l'article L. 723-6 du CESEDA.

Enfin, le I de l’art. 19 est annulé en tant qu'il introduit dans le CESEDA un second alinéa à l'article R. 744-13-3 et un dernier alinéa à l'article R. 744-13-4, ces nouvelles dispositions étant prises pour l’application de l’art. L. 744-2 du CESEDA qui est lui-même incompatible avec la directive du 26 juin 2013 dans la mesure où, d’une part, il crée des cas de refus et de retrait de plein droit des conditions matérielles d'accueil sans appréciation des circonstances particulières et, d’autre part,  exclut, en cas de retrait, toute possibilité de rétablissement de ces conditions.

(27 novembre 2020, Comité inter-mouvements auprès des évacués (CIMADE) et onze autres requérants, n° 428178)

 

 

 

 

 

 

 

De la messe et du Covid…

Introït ou Ite missa est ?

 

Comme il fallait s’y attendre, les mesures de restriction drastique du nombre des fidèles admis à assister aux messes ont suscité un important et, parfois, spectaculaire, contentieux devant le juge administratif dont on donne ci-après des aperçus représentatifs.

Les positions en présence, les types d’arguments développés, le mode de raisonnement adopté comme les solutions données montrent, d’une part, l’importance et la complexité des enjeux, et, d’autre part, la persistance, dans une France, républicaine depuis un siècle et demi, et laïque depuis plus d’un siècle, du débat sur les places respectives du religieux et du politique dans la sphère publique mettant en jeu l’immense question de la légitimité, toujours mal résolue en France quelque deux cent trente ans après la révolution de 1789.

Il en est ainsi car plus de treize siècles d’une culture politique différente ont façonné la France avant 1789, or seule durée longue (le millénaire) convient en histoire des mentalités selon F. Braudel (Histoire et sciences sociales : la longue durée, Annales ESC, XIII, n° 4, oct.-déc. 1958, p. 735) et G. Duby (par ex. : Le Dimanche de Bouvines, Paris, Gallimard, 1973, rééd. 2005).

 

134 - Liberté religieuse – Célébration du culte – Réunions et célébrations des offices dans les lieux de culte – Déplacement en vue de se rendre dans un lieu de culte - Interdiction (décret du 29 octobre 2020, art. 4, 47) – Rétablissement du libre exercice du culte – Rejet.

La présente ordonnance restera comme l’une des plus emblématiques de celles rendues sous l’empire de l’épidémie de Covid-19 depuis mars 2020.

Les demandes adressées au juge des référés tendaient, sous des aspects variés, à voir rétablie, dans le respect des gestes barrières, la liberté fondamentale que constitue le libre exercice du culte dans les édifices préposés à cette fin.

Celles-ci sont toutes rejetées.

Le juge rappelle que l’état d’évolution sérieusement dégradée de l’épidémie constaté à la mi-octobre 2020 a conduit les pouvoirs publics à décider un resserrement des mesures de prévention et de protection notamment pour ce qui est des célébrations religieuses à l’intérieur des édifices du culte.

Il relève un certain nombre de gestes de la part des pouvoirs publics en direction des fidèles.

Ainsi est-il noté qu’à l'audience l'administration a indiqué avoir donné des instructions pour que les fidèles puissent se déplacer dans le lieu de culte le plus proche de leur domicile ou situé dans un périmètre raisonnable autour de celui-ci en cochant la case « motif familial impérieux », le juge relevant toutefois qu’ « en l'état (le) modèle-type de justificatif (…)  gagnerait à être explicité ».

Également, il est constaté que les ministres du culte peuvent continuer à recevoir individuellement les fidèles dans les établissements précités et à se rendre, au titre de leur activité professionnelle, au domicile de ceux-ci ou dans les établissements dont ils sont aumôniers. 

Pareillement, est observé le fait que les mesures critiquées sont entrées en vigueur le 3 novembre afin de préserver les célébrations de la Toussaint et du jour de la commémoration des fidèles défunts.

Enfin, le juge des référés, d’une part, rappelle que ces mesures « prendront fin, au plus tard, au terme de l'état d'urgence sanitaire qui est fixé, à ce jour, au 16 novembre 2020 » et, d’autre part, qu’il a été déclaré « à l'audience, dans la perspective de la prorogation de l'état d'urgence sanitaire qui est en cours de discussion au Parlement, que ces dispositions vont prochainement faire l'objet d'un réexamen de leur caractère adapté et proportionné, ce qui suppose l'engagement à bref délai d'une concertation avec l'ensemble des représentants des principaux cultes, destinée à préciser les conditions dans lesquelles ces restrictions pourraient évoluer. »

La rédaction de cette ordonnance constitue un curieux mélange d’analyse juridique, de considérations factuelles non juridiques dans leur contenu comme dans leurs effets, de précisions et de « on-dit » (pour les clusters, les risques propres aux lieux de culte dont on dit qu’ils ne sont pas plus dangereux que d’autres mais auxquels on reproche les façons d’y entrer et d’en sortir…). Tout ceci ressemble beaucoup à une tentative de médiation ou de justice de paix sans doute dans l’attente, alors très proche, de la révision des mesures à partir du 16 novembre. Comme l’on sait, la rencontre – il serait osé d’y apercevoir une concertation – du 16 novembre n’a à peu près rien donné…

Reste à savoir si le juge a fait de cette « concertation » un élément conditionnant sa réponse aux demandes de référés ce qui autoriserait en ce cas une nouvelle saisine compte tenu de ce fait nouveau ou s’il ne faut y voir qu’un simple élément enjolivant sa décision.

(ord. réf. 7 novembre 2020, Association CIVITAS, n° 445825 ; M. S., n° 445827 ; M. C-L., n°445852 ; M. X. et Mme CE., n° 445853 ; Mgrs BD. et autre, n°445856 ; M. CQ. et autres, n° 445858 ; Association cultuelle Fraternité sacerdotale Saint-Pierre et autres, n° 445865 ; Fédération départementale des associations familiales catholiques du Bas-Rhin et autres, n° 445878 ; M. BI. et autres, n° 445879 ; Association Fondation service politique, n° 445887 ; Parti « VIA - La voie du peuple » (VIA) et autre, n° 445889 ; Mgrs C. et autres, n° 445890 ; Mme DV. et autre, n° 445895 ; M. DD. et autres, n° 445911 ; Mgrs X. et autres, n° 445933 ; M.DD. et autres requérants figurant sous le n° 445911 ainsi que M. L. et autres, n° 445934 ; Conférence des évêques de France, Mgr GQ. et autre, n° 445938 ; M. AE. et autres, n° 445939 ; Mgr AC., n° 445942 ; Mme DE. et autres, n° 445948 ; Société cléricale Saint Pie X, n° 445955, jonction)

(135) V. aussi, dans le même sens : ord. réf. 12 novembre 2020, M. F., communauté de bénédictins de Notre-Dame de Fontgombault et autres, n° 445949.

(136) V. également, pour un identique rejet des mêmes demandes, avec toutefois, en outre, le refus d’inviter le gouvernement à rappeler qu’il est possible, même pendant l’épidémie de Covid, d'organiser une cérémonie religieuse à l'extérieur dans le cadre d'une manifestation déclarée en préfecture car la position contraire qu’aurait exprimée le ministre de l’intérieur sur un chaîne de radio n’est pas avérée ; d’où il faut déduire qu’en semblable circonstance il serait illégal que le ministre de l’intérieur adresse à ses services des instructions tendant à ce que soit interdite, par principe, toute manifestation sur la voie publique pouvant, par son but ou par sa forme, être regardée comme la manifestation extérieure d'un culte : ord. réf. 19 novembre 2020, Association Civitas, n° 446469 ; M. B. et association « Pour la messe », n° 446591.

(137) V. encore, très largement semblable à la précédent e ordonnance : ord. réf. 19 novembre 2020, M. D., n° 446651 ; M. C., n° 446652.

(138) V. surtout, infléchissant nettement la tendance jurisprudentielle jusque-là dominante :

1°/ jugeant d’abord qu’« il ne résulte pas de l'instruction que l'interdiction absolue et générale de toute cérémonie religieuse de plus de trente personnes, alors qu'aucune autre activité autorisée n'est soumise à une telle limitation fixée indépendamment de la superficie des locaux en cause, serait justifiée par les risques qui sont propres à ces cérémonies et qui ont déjà conduit à l'obligation de port d'un masque de protection pour toute personne de plus de onze ans, imposée par le II de l'article 47 du décret du 29 octobre 2020 à la seule exception des moments précis où l'accomplissement d'un rite le nécessite »,

2°/ constatant ensuite que si « durant la phase actuelle de l'allègement du confinement, les rassemblements et réunions sont interdits, ainsi que le relève le ministre de l'intérieur, au-delà de six personnes, sauf exceptions, sur la voie publique et dans les lieux ouverts au public, et si certains établissements recevant du public autres que les lieux de culte restent fermés, les activités qui y sont exercées ne sont pas de même nature et les libertés fondamentales qui sont en jeu ne sont pas les mêmes. Le ministre ne peut, en outre, utilement se prévaloir de ce que les cérémonies religieuses seraient interdites ou soumises à une limitation en valeur absolue du nombre de participants dans plusieurs pays européens », et 3°/ décidant en conséquence que l’interdiction contestée « présente, en l'état de l'instruction et alors même qu'elle serait susceptible d'être modifiée à partir du 15 décembre prochain, un caractère disproportionné au regard de l'objectif de préservation de la santé publique et constitue ainsi, eu égard au caractère essentiel de la composante en cause de la liberté de culte, une atteinte grave et manifestement illégale à cette dernière. » : 29 novembre 2020, Association Civitas, n°446930 ; Conférence des évêques de France et autres, n° 445938 ; Mgr M., n° 446968 ; Association « Pour la messe », n° 446975, jonction.

 

139 - Liberté d’aller et de venir – Épidémie de Covid-19 – Limitations spatiale et temporelle des déplacements – Absence de caractère excessif de ces limitations en raison de l’aggravation de la situation sanitaire – Rejet.

Par deux requêtes distinctes, jointes par le juge, fondées respectivement sur l’art. L. 521-1 et L. 521-2 du CJA, le requérant demandait la suspension de l'exécution de l'art. 4 du décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire en tant qu'il fixe une durée d'une heure et une distance d'un kilomètre pour les activités physiques individuelles, la promenade et les besoins des animaux de compagnie.

Arguant de l’aggravation de l’épidémie de Covid-19 à une date récente, en tous ses paramètres (nombres de morts, de personnes hospitalisées, de patients en réanimation, de personnes positives au virus, augmentation du taux de positivité aux tests, etc.), le juge, tout en reconnaissant la gravité et l’ampleur de l’atteinte que constitue la double limite d’un droit de sortie limité à une heure quotidienne et à un rayon d’un kilomètre, rejette les requêtes, les restrictions contestées étant proportionnées à la gravité de la situation.

(ord. réf., formation collégiale, 13 novembre 2020, M. E., n° 445859 et n° 445860)

(140) V. aussi, très voisin, rejetant des recours dirigés contre l’art. 37 du décret du 29 octobre 2020 en tant qu’il ne permet pas l’ouverture des magasins de vente de livres neufs et d’occasion, et malgré le coup de chapeau du juge aux libertés qui s’attachent au livre (cf. point 10 de l’ordonnance) : ord. réf., formation collégiale, 13 novembre 2020, Société Le Poirier-au-Loup, n° 445883 et n° 445886 ; M. A. et Société Ring, n° 445899, jonction.

(141) Voir aussi, rejetant une requête contenant un certain nombre de demandes d’injonction (commerces tenus par des personnes de plus de soixante ans, propositions du conseil scientifique concernant les EHPAD, prendre des mesures plus ciblées, ouvrir certains établissements, etc.) : ord. réf. 13 novembre 2020, M. B., n° 445943.

(142) Voir également, assez voisin, le rejet de recours, fondés sur l’art. L. 521-2 du CJA (référé liberté) contestant l'obligation de port du masque pour les enfants de 6 à 10 ans, la fiabilité des indicateurs de suivi de la situation sanitaire, l’évaluation globale de la situation sanitaire générale, etc. : ord. réf. 23 novembre 2020, M. Y. et autres, 445983 ; Mme S. et autres, n° 446310, jonction.

 

143 - Association – Dissolution administrative – Provocation à la haine, discrimination ou violence – Propagation d’idées ou théories en ce sens – Action terroriste ou provocation à des actes terroristes – Prise en compte des messages diffusés par l’association sur ses comptes de réseaux sociaux et des positions publiques de son président – Légalité et constitutionnalité de la dissolution – Rejet.

Saisi par une association dissoute d’un recours en annulation et d’un recours en suspension contre le décret du 28 octobre 2020 prononçant sa dissolution, le juge des référés du Conseil d’État, statuant collégialement, les rejette sans surprise.

Tout d’abord, ne saurait être reprochée l’inconstitutionnalité de l’effet immédiat de la dissolution car cette dernière, en vertu d’une jurisprudence ancienne et constante, ne prive pas l’association dissoute du droit de saisir le juge d’un recours dirigé contre le décret portant dissolution.

Ensuite, informée le 20 octobre du projet de dissolution, ayant présenté ses observations écrites à ce sujet le 23 octobre et ses observations orales le 26 octobre et la dissolution étant intervenue le 28 octobre, l’association requérante ne saurait soutenir sérieusement que les droits de la défense n’ont pas été respectés.

Également, ne sont pas retenus l’argument tiré de ce que l’auteur du décret se serait borné à paraphraser les 6° et 7° de l’art. L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, argument qui manque en fait et en droit ni, non plus, celui fondé sur ce que constitueraient deux séries distinctes de comptes sur les réseaux sociaux celui de l’association et celui de son président, en l’état d’imbrication totale de l’une et de l’autre.

Encore, l’auteur du décret n’a ni commis une erreur de droit ni inexactement apprécié les faits l’ayant conduit à prendre le décret litigieux en apercevant dans les messages de l’association et de son président ainsi que dans leurs commentaires un ensemble de faits constituant des provocations à la discrimination, à la haine ou à la violence ou les justifiant.

Par suite ne sauraient être invoquées à l’encontre de la régularité du décret de dissolution ni la liberté d’association ni le droit à la vie ni le principe de fraternité ni le droit au travail, ni la liberté du commerce et de l'industrie, ni la liberté contractuelle ni le droit au libre exercice d'une profession ni le droit de mener une vie familiale normale non plus que le droit au respect de la dignité humaine. 

(ord. réf. formation collégiale, 25 novembre 2020, Association Barakacity, n° 445774 et n° 445984, jonction)

(144) V. aussi, à propos du rejet de la demande de suspension de l’exécution de l’arrêté préfectoral ordonnant la fermeture pour une durée de six mois du lieu de culte « Grande mosquée de Pantin », la confirmation, en substance et mutatis mutandis, du raisonnement tenu par les juges des référés dans l’affaire précédente mais avec des faits encore plus circonstanciés : ord. réf. formation collégiale, 25 novembre 2020, Fédération musulmane de Pantin, n° 446303.

 

145 - Défenseur des droits – Recommandations en matière pénitentiaire – Refus implicite d’appliquer ces recommandations – Refus non soumis à une obligation de motivation – Liberté des autorités publiques de décider des mesures propres à satisfaire l’accomplissement de leurs obligations – Absence d’inéluctabilité des recommandations préconisées – Rejet.

L’organisation requérante a saisi le Conseil d’État d’un recours en annulation du refus implicite du garde des sceaux de mettre en œuvre des recommandations formulées par le Défenseur des droits en matière pénitentiaire.

Rejetant le recours, le Conseil d’État apporte deux précisions importantes.

La décision administrative refusant de mettre en œuvre de telles recommandations n’entre dans aucune des catégories de décisions qui doivent, en vertu de l’art. L. 211-2 du CRPA, être motivées.

Ensuite, est rappelé le principe que l’administration dispose d’une pleine liberté pour déterminer les mesures qui lui paraissent le plus propres à assurer les obligations dont elle a la charge. C’est même là la part incompressible de pouvoir discrétionnaire dont elle dispose. Il suit de là que, sauf dans le cas où les mesures préconisées seraient les seules permettant l’exécution effective et correcte de ses obligations, la seule circonstance que l’administration ne prenne pas une mesure déterminée mais une autre ne saurait entacher d’illégalité la mesure prise.

(13 novembre 2020, Section française de l'Observatoire international des prisons, n° 433243)

 

146 - Covid-19 – Adaptation de certaines règles de la procédure pénale (ordonnance du 18 novembre 2020) – Recours à la visio-conférence – Suspension de l’article 2.

Les organisations requérantes contestaient les dispositions des articles 2, 4 et 11, alinéa 2, de l’ordonnance du 18 novembre 2020 prévoyant l’adaptation de certaines règles de procédure pénale afin, selon ses propres termes, « de permettre la continuité de l'activité des juridictions pénales essentielle au maintien de l'ordre public ». Elles en demandaient donc l’annulation.

Le Conseil d’État rejette les demandes dirigées contre les articles 2 et 11, alinéa 2.

Sur l’article 2, qui dispose qu’ « il peut être recouru à un moyen de télécommunication audiovisuelle devant l'ensemble des juridictions pénales et pour les présentations devant le procureur de la république ou devant le procureur général, sans qu'il soit nécessaire de recueillir l'accord des parties (…) », le juge opère une distinction.

Devant la chambre de l’instruction statuant sur une décision de détention provisoire en matière criminelle, d’une part, le recours à la visio-conférence évite les difficultés sanitaires d’une extraction carcérale en période d’épidémie ainsi que les reports d’audience, d’autre part, il incombe aux magistrats d’apprécier si la visio-conférence est souhaitable tant au regard de l’état de santé de l’intéressé qu’à celui de l’enjeu présenté par l’audience, et au président de la juridiction de s’assurer si la personne détenue peut comparaître devant sa juridiction avec une périodicité raisonnable. De ce chef, le texte n’est pas critiquable.

Devant la cour d’assises ou la cour criminelle, en revanche, l’utilisation du procédé de la visio-conférence est incompatible avec la gravité des peines encourues et le rôle dévolu à l'intime conviction des magistrats et des jurés. L’oralité des débats y joue un rôle essentiel. Il en va de même durant le réquisitoire et les plaidoiries pour ce qui est de la présence physique des parties civiles et de l'accusé et plus particulièrement encore lorsque l'accusé prend la parole en dernier, avant la clôture des débats. Opérant une délicate balance des intérêts en présence, le juge conclut que « les exigences du bon fonctionnement de la justice ne sont pas suffisantes pour justifier l'atteinte que portent les dispositions contestées aux principes fondateurs du procès criminel et aux droits des personnes physiques parties au procès, qu'elles soient accusées ou victimes ». Cette disposition est suspendue avec injonction au gouvernement de l’abroger.

Sur l’article 4, qui permet seulement une publicité restreinte des débats, le juge considère que cette restriction ne concernant pas les journalistes, il est ainsi satisfait à l’exigence d’information du public et la limitation apportée est exactement proportionnée à la menace sanitaire.

Sur le second alinéa de l’art. 11, qui dispose que les mesures contenues aux articles 2 à 9 de l’ordonnance attaquée sont applicables jusqu’à la fin du mois suivant la cessation de l’état d’urgence sanitaire, le recours est rejeté car la condition d’urgence n’est pas satisfaite, l’état d’urgence proclamé à nouveau le 14 octobre 2020 ayant été prorogé jusqu’au 16 février 2021.

(ord. réf. 27 novembre 2020, Association des avocats pénalistes, n° 446712 ; Fédération nationale des unions des jeunes avocats, n° 44672 ; Ligue des droits de l’homme, n° 446728 ; Syndicat des avocats de France et autres, n° 446736 ; Conseil national des barreaux et autres, n° 446816)

 

 

Police

 

147 - Permis de conduire – Échange d’un permis de conduire délivré par l’URSS avec un permis de conduire français – URSS ayant disparu – Échange possible seulement en cas de reconnaissance de ce permis par la Russie ou par un État ayant avec la France un accord de réciprocité – Cassation avec renvoi.

Encourt la cassation le jugement qui, pour annuler le refus d’autoriser l’échange d’un permis de conduire obtenu en URSS contre un permis de conduire français, se fonde sur l’existence d’un accord de réciprocité entre la France et l’URSS à l’application duquel la disparition de l’URSS ne fait pas obstacle. Il incombait au tribunal de rechercher si ce permis était reconnu soit par la Russie en vertu du principe de la succession d’États soit par un autre État avec lequel la France est lié par un accord de de réciprocité.

(5 novembre 2020, M. B., n° 429359)

 

148 - Police sanitaire – Mesures édictées pour lutter contre l’épidémie de Covid-19 – Contestations du décret du 29 octobre 2020 – Demandes diverses – Rejet.

Dans ce que l’on pourrait qualifier de « référé-balai » le juge statue sur plusieurs demandes, disparates, ayant pour point commun la contestation du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire soit dans version sa d’origine soit dans celle, modifiée, du 2 novembre 2020 (décret n° 2020-1331).

Après avoir rejeté les demandes à caractère général, plus ou moins récurrentes selon les saisines, à savoir la remise en cause de l’ensemble du dispositif de lutte contre l’épidémie et la suppression du comité scientifique Covid-19, cette dernière étant impossible du fait de son maintien par la loi du 9 juillet 2020 (art. 1er, VI) organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire, le juge examine les autres chefs de demandes de suspension ; tous sont rejetés.

Il en va ainsi en particulier, de la demande d’annulation des mesures relatives à la restriction des activités commerciales, de l’extension de l’obligation du port de masques aux enfants de 6 à 10 ans, de la réglementation du droit de visite des personnes détenues, de la demande de dispense pour les avocats de l’obligation de remplir une attestation. Les rejets sont justifiés par le fait que, face à la reprise de l’épidémie, les mesures querellées par les différents recours en référé sont justifiées par les circonstances et exactement proportionnées à celles-ci, ce qui exclut qu’elles puissent être considérées comme portant illégalement une atteinte grave et manifeste aux différents droits et libertés invoqués par les demandeurs.

(ord. réf. 7 novembre 2020, M. J., n° 445821 ; Association Robin des lois, n° 445837 ; Mme B., n° 445839 ; Mme D., n° 445850 ; M. G., n° 445857 ; M. A., n° 445868 ; M.P., n° 445869 ; Société Rol-Mobex France, n° 445888, jonction)

(149) V. aussi, dans la même veine contentieuse : ord. réf. 25 novembre 2020, M. B., n° 446509 ; 25 novembre 2020, Mme B., n° 446615 ou, s’agissant d’une application en Martinique du décret du 29 octobre 2020 : ord. réf. 26 novembre 2020, Société La suite Villa, société Laser West, Mme A., société C2P et société Antillaise d'investissement de la Pointe du Bout (SAIPB), n° 446194

(150) V. encore, rejetant le recours contre le décret du 29 octobre 2020 en tant qu'il n'autorise pas les magasins spécialisés autres que les centres commerciaux, les supermarchés, les magasins multi-commerces, les hypermarchés, les autres magasins de vente d'une surface de plus de 400 m2, les magasins d'alimentation générale et les supérettes à accueillir du public pour la vente de produits de toilette et d'hygiène : ord. réf. formation collégiale, 26 novembre 2020, Société Yves Rocher France, n° 446432.

 

151 - Police sanitaire – Covid-19 - Fermeture des établissements recevant du public du type X – Cas de l’activité de foot en salle – Différence de traitement par rapport aux activités sportives en salle de certains publics – Différence de traitement justifiée – Mesure proportionnée eu égard aux circonstances de fait de l’épidémie et aux objectifs de santé publique – Rejet.

Il était demandé au juge du référé suspension d’ordonner la suspension de l’exécution du I de l'article 42 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 en ce qu'il interdit l'ouverture des établissements recevant du public de type X accueillant exclusivement l'activité de foot en salle.

La requérante faisait notamment valoir, d’une part, positivement, le caractère spacieux des locaux d’exercice de sport en salle et le respect strict des conditions d’hygiène sanitaire, et d’autre part, négativement, que n’étaient, en revanche, pas interdites les activités en salles de sport lorsqu’elles sont le fait de publics scolaires, universitaires, professionnels, de ceux munis de prescription médicale ou en situation de handicap.

Pour rejeter ces arguments, le juge des référés soutient en premier lieu qu’ « en l'état des connaissances scientifiques actuelles, (les salles de sport sont) des lieux de propagation active du virus SARS-CoV-2, compte tenu de leur caractère clos, de la dispense de port du masque lors de la pratique sportive et du risque accentué d'aérosolisation lié à l'effort physique. Il en va de même des établissements de foot en salle, alors même qu'ils présentent des caractéristiques de superficie et de hauteur différentes des autres salles de sport ».

En second lieu, il relève que la dérogation en faveur des publics cités plus haut est « justifiée par la nécessité pour ces publics de continuer prioritairement à exercer une activité physique, ne concerne que des effectifs limités et est par suite moins propice à la propagation de la circulation du virus. Ces publics sont par ailleurs, du fait de leur jeune âge pour les scolaires, moins sujets à la contamination par le virus ou font l'objet, du fait de leur exercice d'une activité sportive à titre professionnel, d'un protocole sanitaire renforcé et d'un suivi médical très régulier ».

Sera-t-on étonné de lire que ces arguments peinent à nous convaincre ?

(ord. réf. 10 novembre 2020, Société Urban Soccer Ouest, n° 44599)

 

152 - Association – Dissolution administrative – Provocation à la haine, discrimination ou violence – Propagation d’idées ou théories en ce sens – Action terroriste ou provocation à des actes terroristes – Prise en compte des messages diffusés par l’association sur ses comptes de réseaux sociaux et des positions publiques de son président – Légalité et constitutionnalité de la dissolution – Rejet.

Fermeture d’un lieu de culte pour des motifs comparables – Rejet.

(ord. réf. formation collégiale, 25 novembre 2020, Association Barakacity, n° 445774 et n° 445984, jonction et ord. réf. formation collégiale, 25 novembre 2020, Fédération musulmane de Pantin, n° 446303). V. n° 143 et n° 144

 

153 - Police sanitaire des dispositifs médicaux – Régime de responsabilité – Défaillance de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) devenue l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) dans sa mission de contrôle de prothèses mammaires – Responsabilité de l’État pour faute simple, du fait du comportement de l’AFSSAPS, en cas de préjudice direct et certain – Absence de faute en l’espèce – Rejet.

(16 novembre 2020, Mme C., n° 431159) V. n° 180

 

154 - Police sanitaire - Véhicules sanitaires – Autorisation de mise en service – Agrément - Conditions d’octroi et de maintien – Régime de l’abrogation de ces deux catégories de décisions – Pouvoirs du directeur général de l’agence régionale de santé (ARS) - Rejet.

La société demanderesse, entreprise de transport sanitaire, poursuit l’annulation de la décision du directeur d’une agence régionale de santé abrogeant l’agrément et l’autorisation de mise en service de deux véhicules sanitaires de catégorie C dont elle était jusque-là titulaire.

Elle se pourvoit en cassation contre l’arrêt confirmatif du rejet de son recours.

Le Conseil d’État indique avec beaucoup de clarté et un grand souci de la pédagogie que les entreprises de transport sanitaire doivent obtenir deux décisions administratives pour pouvoir exercer leur activité.

Tout d’abord, elles doivent être agréées par le directeur général de l’ARS qui vérifie par-là la qualité et la sécurité du transport sanitaire compte tenu, notamment, des moyens dont dispose le transporteur pour remplir sa mission.  Ensuite, celui-ci doit bénéficier d’une autorisation de mise en service de chaque véhicule, cette dernière ayant pour objet de permettre une régulation territoriale de l’offre de soins ; elle a un caractère départemental en ce sens que chaque véhicule ne doit être utilisé que dans le département au titre duquel l’autorisation de mise en service a été sollicitée et obtenue.

Suite à un contrôle de l’ARS il a été constaté que la société requérante utilisait les véhicules autorisés exclusivement dans d’autres départements que celui au titre duquel leur autorisation de mise en circulation avait été demandée.

L’ARS a donc annulé les autorisations de service pour les deux véhicules utilisés par la société et, par suite, abrogé l’agrément permettant à l’entreprise requérante d’exercer son activité.

C’est sans erreur de droit que la cour administrative d’appel, constatant que la société ne disposait plus, dans le département au titre duquel elle avait demandé et obtenu les autorisations et l’agrément, des moyens exigés par les dispositions de l'article R. 6312-13 du CSP, a rejeté le recours de la demanderesse contre ces décisions de l’ARS.

(25 novembre 2020, SAS Ambulances santé assistance, n° 428732)

 

155 - Police du stationnement – Titre exécutoire pour recouvrement du forfait post-stationnement – Titre émis après trois mois d’absence de paiement du forfait – Contestation du titre – Régime – Annulation.

Abracabradantesque est le mot qui convient pour qualifier le régime loufoque inventé par le législateur dans le cas où un automobiliste n’a pas payé la redevance de stationnement.

Normalement, le redevable d'un forfait de post-stationnement ne peut contester le bien-fondé de ce forfait qu’après avoir adressé à l’administration un recours administratif préalable dirigé contre l'avis de paiement. En cas de rejet de ce recours, il peut introduire un recours contre ce rejet devant la commission du contentieux du stationnement payant.

En revanche, si le redevable s’est abstenu pendant trois mois de payer il sera alors destinataire d'un titre exécutoire égal au montant du forfait de post-stationnement augmenté de la majoration due à l'État. Il lui sera possible, en ce cas, de contester le titre exécutoire devant la commission du contentieux du stationnement payant, et cela qu'il ait ou non engagé un recours administratif contre l'avis de paiement, puis contester au contentieux le rejet de son recours.

Les textes prévoient que le redevable qui saisit la commission du contentieux du stationnement payant d'une requête contre un titre exécutoire n'est pas recevable à exciper de l'illégalité de l'avis de paiement du forfait de post-stationnement auquel ce titre exécutoire s'est substitué.

Cependant, le Conseil d’État décide que cette interdiction ne fait pas obstacle à ce que l'intéressé conteste, dans le cadre d'un litige dirigé contre le titre exécutoire, l'obligation de payer la somme réclamée par l'administration.

C’est pourquoi, en l’espèce, est annulée, pour erreur de droit, l’ordonnance rejetant la demande de l’intéressé qui s’était fondée sur le caractère inopérant du moyen tiré de l'absence d'obligation de payer la somme réclamée par l'administration. En effet, cette ordonnance justifiait la solution retenue par son auteur par le fait que l’action du requérant mettait en cause la légalité de l'avis de paiement auquel le titre exécutoire s'était substitué. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que l'ordonnance attaquée est, sur ce point, entachée d'une erreur de droit. Erreur, que l’imbroglio des textes explique et excuse largement.

Le demandeur est ainsi fondé à en demander l'annulation.

(27 novembre 2020, M. B., n° 428998)

(156) V. aussi, identique : 27 novembre 2020, M. B., n° 429860.

 

Professions réglementées

 

157 - Commissaire aux comptes – Condamnation pénale – Radiation de la liste des commissaires aux comptes – Procédure régulière – Sanction non disproportionnée – Rejet.

Le procureur général près une cour d’appel ayant signalé au Haut conseil du commissariat aux comptes la condamnation pénale prononcée contre un commissaire aux comptes pour des faits de soustraction frauduleuse à l'établissement et au paiement de l'impôt, dissimulation de sommes et fraude fiscale, le Haut conseil, en sa formation restreinte, a prononcé à l'encontre du contrevenant la sanction de la radiation de la liste des commissaires aux comptes.

C’est de cette décision que le requérant demande l’annulation en soulevant à la fois un moyen de procédure et un moyen de fond. Ils sont rejetés.

Tout d’abord, le juge relève que la sanction a été prise sur le fondement et pour la mise en œuvre de l’art. L. 824-12 du code de commerce lequel transpose en droit interne l'art. 30 ter de la directive du 16 avril 2014 concernant les contrôles légaux des comptes annuels et des comptes consolidés, tendant à ce que les États membres appliquent des critères identiques lorsqu'ils définissent la sanction à imposer à l'encontre, notamment, d'un commissaire aux comptes. A cet égard, il est constaté que l’intéressé a été sanctionné pour des faits qui ont donné lieu par une condamnation pénale définitive et par la commission restreinte du Haut conseil dans le respect de ceux des critères énumérés par l’art. précité du code de commerce qui sont pertinents au regard des faits de l’espèce.

Ensuite, la sanction de la radiation n’est pas, ici, disproportionnée eu égard à la gravité des infractions commises par une personne experte en cette matière et dont la fonction principale est de certifier la sincérité des comptes qui lui sont soumis, par ailleurs président d’une compagnie régionale des commissaires aux comptes.

(12 novembre 2020, M. A., n° 425701)

 

158 - Architectes – Procédure disciplinaire – Respect des droits de la défense - Distinction, pour l’exercice de ces droits, entre la phase préalable à la saisine de la chambre régionale de discipline de l’ordre des architectes et la procédure de sanction – Délai de dépôt du rapport non prescrit à peine de nullité – Rejet.

Un architecte contestait la sanction disciplinaire prise à son encontre par l’instance disciplinaire ordinale. Son recours est rejeté. C’est sur le régime procédural disciplinaire que cette décision est intéressante.

Le demandeur faisait valoir que, pendant la phase préalable d'enquête administrative, il n’avait pas été informé que les éléments recueillis au cours de son audition par la commission de déontologie étaient susceptibles d'être utilisés dans le cadre d'une procédure disciplinaire, ni, non plus, qu'il pouvait se faire assister par un conseil. En conséquence il estimait qu’il avait été porté une atteinte irrémédiable au principe des droits de la défense garanti par l’art. 6 de la Convention EDH.

Le Conseil d’État, réitérant sa jurisprudence antérieure, rappelle que ce principe ne joue de façon obligatoire que durant la procédure juridictionnelle de sanction qui n’est ouverte qu’à compter de la notification qui lui est faite des griefs.

Par ailleurs, appliquant une jurisprudence constante, le juge rappelle que les obligations (comme ici l’obligation pour le rapporteur de déposer son rapport dans les trois mois de la saisine de la chambre régionale de discipline) enfermées dans un certain délai dont l’irrespect n’est pas sanctionné ne sont pas irrégulières du seul fait que le délai prévu n’a pas été respecté.

(12 novembre 2020, M. D., n° 428931)

 

159 - Chirurgien-dentiste – Procédure disciplinaire – Faits reprochés – Incrimination incompatible avec le droit de l’Union interprété par la CJUE – Sanction néanmoins prononcée – Annulation.

Encourt la cassation la décision de la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des chirurgiens-dentistes qui sanctionne un chirurgien-dentiste sur le fondement du 3° de l’art. R. 4127-215 du code de la santé publique en constatant que cette disposition n’est pas incompatible avec le droit de l’Union alors qu’il résulte de décisions de la CJUE (4 mai 2017, Luc Vanderborght, C. 339/15 ; 23 octobre 2018, Conseil départemental de l’ordre des chirurgiens-dentistes de la Haute-Garonne, C- 296/18) que ce dernier (art. 56 du traité sur le fonctionnement de l’Union et art. 8 § 1 de la directive du 8 juin 2000 dite « sur le commerce électronique ») s’oppose aux dispositions réglementaires qui interdisent de manière générale et absolue toute publicité et toute communication commerciale par voie électronique, telles que celles qui figurent au 5ème alinéa de l'article R. 4127-215 du code de la santé publique sur le fondement duquel la chambre disciplinaire s’est fondée pour infliger une sanction.

(18 novembre 2020, M. B., n° 431554)

(160) V. aussi, identique : 23 novembre 2020, Mme B. et SELARL Agnès B., n° 434354.

 

161 - Professionnels de santé – Syndicat de médecins demandant à figurer sur la liste des organisations syndicales admises à présenter des listes de candidats aux élections pour le renouvellement des unions régionales des professionnels de santé – Refus du ministre – Référé liberté (art. L. 521-2 CJA) – Urgence (existence) – Illégalité manifeste (existence) – Atteinte à une liberté fondamentale (existence) – Injonction au ministre d’inscrire l’organisation requérante sur la liste litigieuse – Annulation de l’ordonnance contraire.

Le syndicat requérant se plaignait du refus du ministre de la santé de l’inscrire sur la liste des organisations syndicales admises à présenter des listes de candidats aux élections organisées pour le prochain renouvellement des unions régionales des professionnels de santé en tant que cet arrêté ne l'inclut pas parmi les organisations en question.

Il interjette appel de l’ordonnance rejetant sa requête.

Le Conseil d’État lui donne raison.

Tout d’abord, existe une urgence certaine dans la mesure où, du fait de son absence de la liste, ce syndicat ne pourra pas avoir de représentants au sein de la commission du vote électronique, dont le rôle est très important, qui doit se réunir pour la première fois le 19 novembre 2020 pour adopter son règlement intérieur.

Ensuite, ce refus est fondé sur l’absence de présence de ce syndicat dans au moins la moitié des départements or cette « règle » a été fixée par le ministre de la santé qui n’était pas compétent à cet effet. Elle est donc manifestement illégale et porte atteinte à la liberté syndicale qui est une liberté fondamentale au sens et pour l’application de l’art. L. 521-2 CJA.

Le juge enjoint le ministre d'inscrire le syndicat requérant sur la liste des organisations syndicales admises à présenter des candidats aux élections organisées en vue du renouvellement des unions régionales des professionnels de santé.

(18 novembre 2020, Syndicat Jeunes Médecins, n° 446300)

 

162 - Vétérinaires – Régime disciplinaires – Liste des sanctions – Infliction d’une sanction non prévue – Illégalité – Cassation avec renvoi.

Est illégale en ce qu’elle méconnaît le principe de légalité des peines, la décision de la chambre nationale de discipline de l’ordre des vétérinaires qui inflige à une société d’exercice libéral une « réprimande » qui n’est prévue par aucun texte.

(23 novembre 2020, Société Sudelvet Conseil, n° 421749)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

163 - Question prioritaire de constitutionnalité dirigée contre l’interprétation jurisprudentielle constante du 1 de l’art. 109 du CGI - Compte d’associé – Inscription d’une somme sur ce compte – Somme revêtant la nature d’un revenu distribué imposable dans le chef de cet associé – Inscription résultant d’une erreur comptable involontaire – Circonstance sans effet faute de correction avant la clôture de l’exercice – Rejet.

(13 novembre 2020, M. A., n° 436792) V. n° 81

 

164 - Défense des intérêts de la défense et de la sécurité nationale de la France – Loi du 1er août 2019 – Régime d’exploitation des réseaux radioélectriques mobiles – Atteinte à la garantie des droits, à la liberté d'entreprendre, et au principe d'égalité devant les charges publiques – Moyens présentant un caractère sérieux – Renvoi d’une QPC.

Les sociétés requérantes, à l’appui de leurs demandes d’annulation du décret du 6 décembre 2019 relatif aux modalités de l'autorisation préalable de l'exploitation des équipements de réseaux radioélectriques prévue à l'article L. 34-11 du code des postes et des communications électroniques et de l'arrêté du 6 décembre 2019 fixant la liste des appareils prévue par l'article L. 34-11 du même code, soulèvent la question de la conformité à la liberté d'entreprendre, au principe d'égalité, à la garantie des droits, au droit à bénéficier d’un recours juridictionnel effectif et aux principes constitutionnels applicables en matière pénale, de la loi du 1er août 2019 visant à préserver les intérêts de la défense et de la sécurité nationale de la France dans le cadre de l'exploitation des réseaux radioélectriques mobiles.

Jugeant cette contestation de caractère sérieux, le Conseil d’État la renvoie au Conseil constitutionnel.

(18 novembre 2020, Société Bouygues Télécom, n° 442120 ; Société SFR, n° 443279)

 

165 - Qualité des eaux destinées à l’alimentation humaine – Instauration d’un périmètre de protection rapprochée autour du lieu de captage – Méconnaissance du droit de propriété – Oui et non – Renvoi d’une QPC.

Les demanderesses critiquaient la constitutionnalité, d’une part, de l’art. L. 1321-2 du code de la santé publique (CSP) et, d’autre part, de cet article combiné avec le IX de de l’art. 61 de la loi du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé, en ce qu’ils méconnaissent le droit de propriété du fait : 1°/ qu’ils imposent l'acquisition en pleine propriété des terrains situés dans le périmètre de protection immédiate autour du point de prélèvement d'eau pour assurer la protection de la qualité des eaux destinées à l'alimentation humaine alors que celle-ci n'est pas indispensable à la protection du captage d'eau en cause ; 2°/ que le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence en s'abstenant de désigner le bénéficiaire de l'expropriation, de fixer des critères pour la détermination des périmètres et de prévoir une procédure contradictoire permettant aux intéressés d'être informés des motifs de l'acquisition et de présenter des observations. 

Le renvoi est refusé en tant que la demande porte sur l’art. L. 1321-12 du CSP dans sa version issue de la loi du 12 juillet 2010 car la déclaration d’utilité publique, dans le silence de la loi sur ce point, est régi par le droit commun (art. L. 121-1 et s. du code de l’expropriation).

En revanche, la QPC est renvoyée en tant qu’elle vise le IX de l’art. 61 de la loi du 24 juillet 2019 car ses dispositions ont pour effet de maintenir l'instauration de périmètres de protection rapprochée dans des situations pour lesquelles le législateur a désormais prévu que celle-ci n'était plus requise dans les cas où un arrêté d'ouverture d'une enquête publique relative à l'instauration d'un périmètre de protection a déjà été publié à la date de publication de la loi introduisant ces dérogations nouvelles. La question présente un caractère sérieux et elle est nouvelle.

(19 novembre 2020, Mme B. et autres, n° 439424)

 

166 - TVA – Assiette pour le calcul de la TVA – Remises conventionnelles – Montant inclus dans l’assiette du calcul de la TVA – Inconstitutionnalité – QPC – Rejet.

La requérante avait soulevé une question prioritaire de constitutionnalité à l’encontre du 1 du I de l’art. 1586 sexies du CGI en ce qu’en incluant les remises conventionnelles prévues à l’art. L. 162-18 du code de la sécurité sociale dans l’assiette du calcul de la TVA due, il méconnaît les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques respectivement garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789.

Le Conseil d’État rejette cette demande par un raisonnement qui peine à convaincre, au motif que le texte querellé ne crée pas une différence de traitement entre sociétés se trouvant, au regard de l'objet de la loi fiscale, dans la même situation. Il est étrange de considérer qu’une loi fiscale ne crée pas de discrimination entre deux catégories différentes de sociétés alors que c’est la loi elle-même non la nature des choses qui répartit ces sociétés entre catégories distinctes. Gageons que la CJUE trouvera à redire à une telle conception de la discrimination fiscale, doublée ici d’une discrimination à rebours.

(20 novembre 2020, Société Novartis Pharma, n° 443200)

 

Responsabilité

 

167 - Licenciement d’un salarié protégé pour inaptitude physique – Autorisation administrative refusée – Annulation de ce refus – Action en réparation formée par l’employeur du chef du préjudice subi par suite de l’illégalité du refus d’autoriser le licenciement – Obligation pour la juridiction saisie de vérifier si ce refus aurait pu être opposé dans le cadre d’une procédure régulière – Annulation de l’arrêt de rejet.

Lorsque l’employeur auquel l’administration a irrégulièrement refusé l’autorisation de licencier un salarié protégé se prévaut d’un préjudice du fait de cette illégalité, il appartient au juge saisi, le cas échéant, en tenant compte du motif pour lequel a été annulée cette décision, de déterminer si la même décision aurait pu légalement être prise dans le cadre d'une procédure régulière.

Pour n’avoir pas opéré cette recherche l’arrêt d’appel est cassé.

(4 novembre 2020, Société Lidl, n° 428198)

(168) V. aussi, décidant que commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui se fonde, pour refuser d’apercevoir un lien direct entre le versement par l’employeur d’une indemnité au salarié protégé licencié et l’illégalité de l’autorisation administrative de licenciement, sur la seule circonstance que le conseil des prud’hommes a jugé ce licenciement comme étant sans cause réelle et sérieuse. Il incombait à la cour de rechercher si le conseil des prud’hommes avait retenu cette qualification du seul fait de l’annulation de l’autorisation de licencier par le juge administratif : 4 novembre 2020, Société Financière Mag venant aux droits de la société Novopac, n° 428741, n° 428743 et n° 428744.

 

169 - Émeute urbaine ayant provoqué l’incendie d’un garage – Responsabilité de l’État (art. L. 2216-3 CGCT) – Compagnie d’assurances subrogée dans les droits de l’exploitant du garage – Demande d’indemnisation des dommages causés aux bâtiments – Propriétaire du garage n’étant pas l’assuré de la compagnie d’assurances – Absence de subrogation légale – Irrecevabilité des moyens nouveaux en cassation fondés sur la subrogation conventionnelle – Rejet du pourvoi et du pourvoi incident.

Une émeute urbaine ayant provoqué l’incendie d’un garage, l’État a été actionné en responsabilité sur le fondement des dispositions de l’art. L. 22216-3 du CGCT et condamné à indemniser l’assureur, subrogé dans les droits de son assuré, au titre des dommages couverts par l’assurance soit ceux causés aux véhicules et au contenu du garage. En revanche la cour administrative d’appel avait refusé que la subrogation soit étendue à l’indemnisation des dommages subis par les bâtiments ceux-ci n’étant pas la propriété de l’assuré mais celle d’une SCI distincte de la société exploitant le garage, SCI non assurée auprès de cette compagnie d’assurances.

L’assureur se pourvoit en cassation notamment en arguant de ce que la société exploitant le garage était elle-même assurée pour le compte de la SCI de sorte que, en vertu des dispositions de l’art. L. 112-1 du code des assurances selon lesquelles la subrogation est légale ou conventionnelle, la subrogation dont il se prévaut était en l’espèce de nature conventionnelle.

Le moyen est rejeté car nouveau en cassation l’assureur ne s’étant jusque-là fondé dans son action que sur les seules dispositions de l’art. L. 112-12 du code précité lesquelles ne concernent que la subrogation légale. De plus, devant la cour, il n’avait pas été soutenu que l’exploitant du garage s’était assuré pour le compte de la SCI et la cour n’avait point à rechercher d’office si un tel lien existait.

Semblablement, est rejeté comme nouveau en cassation le moyen tiré de ce que l’assureur était tenu d'indemniser la SCI, sur le fondement des articles L. 121-13 et L. 124-3 du code des assurances, dans la mesure où son assurée était civilement responsable du dommage. Cette obligation étant de nature conventionnelle ne pouvait être soulevée en cassation alors que n’avait été soulevée qu’une subrogation légale.

(5 novembre 2020, Société Mutuelle du Mans Assurances, n° 427658)

 

170 - Responsabilité hospitalière – Faute commise par l’hôpital - Perte de chance d’obtenir une amélioration de l’état de santé – Indemnisation non du dommage corporel mais de la perte de chance de ne pas le subir – Calcul – Cassation avec renvoi.

Rappel de ce que, en cas de faute commise par un hôpital ayant compromis ses chances d’obtenir une amélioration de son état de santé antérieur ou d’échapper à son aggravation, le préjudice n’est pas constitué par le dommage corporel lui-même mais par la perte de chance que ce dommage corporel ne survienne ; la réparation ne doit donc porter que sur la fraction du dommage corporel liée à l’ampleur de la chance perdue.

En l’espèce, la cour avait estimé que la faute de l’hôpital avait entraîné pour l'intéressé une perte de chance de 50 % d'éviter la survenue du dommage, puis avait ordonné la réparation de l’entier préjudice subi. Cassant ce raisonnement, le Conseil d’État  rappelle la bonne méthodologie de calcul : « il incombait à la cour, pour fixer le taux de la perte de chance subie, d'additionner, d'une part, le taux de sa perte de chance de se soustraire à l'opération, c'est-à-dire la probabilité qu'il ait refusé l'opération s'il avait été informé du risque qu'elle comportait et, d'autre part, le taux de sa perte de chance résultant des fautes médicales commises lors de l'intervention et dans la prise en charge post-opératoire, ce taux étant multiplié par la probabilité qu'il ait accepté l'opération s'il avait été informé du risque qu'elle comportait. Compte tenu des taux de perte de chance (…) que la cour avait souverainement appréciés, il devait en résulter un taux global de 50 % + (50 % x 50 %) = 75 %. » Et non 100% comme retenu par la cour.

(5 novembre 2020, Centre hospitalier Métropole Savoie, n° 428006)

 

171 - Responsabilité hospitalière – Obligation d’information du patient sur les risques que comporte l’acte de diagnostic ou de soin – Étendue de cette obligation – Preuve non rapportée par un centre hospitalier de l’exercice de son devoir d’information – Absence de faute, les circonstances de l’espèce laissant présumer l’existence d’un consentement en cas d’information complète – Rejet.

Le code de la santé publique crée un droit pour toute personne d’être informée sur son état de santé et fait découler de là l’obligation, préalablement à son consentement à un acte médical, de lui délivrer l’information la plus complète sur les risques encourus ainsi que l’existence, ou non, d’autres solutions.

En l’espèce, la requérante n’avait pas été complètement informée des risques et/ou des alternatives thérapeutiques. Si, en première instance, elle avait obtenu réparation de la perte de chance de ne pas subir le dommage qui aurait résulté d’une information correcte, en appel, la cour a estimé que ce nonobstant la requérante devait être regardée comme ayant consenti à l’intervention médicale litigieuse.

Le Conseil d’État juge tout d’abord qu’en principe, le défaut d’information ou l’insuffisance de celle-ci, lorsque l’acte en cause, réalisé dans les règles de l’art, s’est révélé dommageable, engage la responsabilité pour faute de l’établissement hospitalier à raison de la perte de chance de ne pas subir le dommage en se soustrayant audit acte.

Ensuite, appliquant les dispositions de l’art. L. 1111-2 du code de la santé publique, le juge rappelle que cette information concerne deux catégories de risques connus : ceux présentant une fréquence statistique significative et ceux qui ont un caractère grave quelle que soit la fréquence de leur survenue.

Enfin, est réservée l’exception que constitue le cas où l’instruction du dossier révèle que, « compte tenu de ce qu'était l'état de santé du patient et son évolution prévisible en l'absence de réalisation de l'acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées ainsi que de tous autres éléments de nature à révéler le choix qu'il aurait fait, qu'informé de la nature et de l'importance de ce risque, (la victime) aurait consenti à l'acte en question. »

En ce cas, l’indemnisation n’est pas due ainsi que l’a jugé la cour administrative d’appel.

(Section, 20 novembre 2020, Mme A. c/ CHR de la Martinique et autre, n° 419778).

 

172 - Fonctionnaire victime d’un accident de service – Imputation du préjudice à la collectivité publique employeur et à une autre collectivité publique – Demande de condamnation solidaire – Principe du forfait de pension - Office du juge – Obligation de ventiler les différents chefs de préjudice et d’en attribuer la charge à chacune d’elles – Annulation.

(18 novembre 2020, Ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, n° 427325) V. n° 125

 

173 - Responsabilité pour illégalité fautive d’une décision non réglementaire – Possibilité de demander réparation du préjudice en résultant – Possibilité demeurant même après que la décision soit devenue définitive – Erreur de droit – Cassation sans renvoi, le Conseil d’État réglant l’affaire au fond.

Dans un litige opposant l’établissement public administratif Masse des douanes à l’un de ses agents pour des créances locatives non payées, le juge rappelle – et c’est le motif de la cassation de l’arrêt d’appel prononcée ici – que la circonstance qu’une décision non réglementaire dont l’illégalité a causé un préjudice soit devenue définitive ne fait pas obstacle à l’introduction d’une action en réparation du chef de ce préjudice, pour autant, doit-on ajouter, que la créance alléguée ne soit pas atteinte par la prescription quadriennale.

(5 novembre 2020, M. C., n° 429770)

 

174 - Agence régionale de santé (ARS) (ex-agence de l’hospitalisation ou ARH) – Création d’un groupement de coopération sanitaire (GCS) des urgences puis dissolution de cet organisme – Créances d’un médecin pour ses activités d’urgence non rémunérées – Détermination de la personne responsable – Rejet.

Une ARS crée un groupement de coopération sanitaire des urgences entre hôpitaux publics et cliniques privées de la région Basse-Normandie. Un médecin accomplit dans ce cadre des prestations d’urgence pour lesquelles il n’est pas rémunéré. Il saisit le juge, d’une part, d’une demande tendant à ce que l’ARS soit condamnée à réparer son préjudice financier du fait de l’absence de rémunération, et, d’autre part, à ce qu’un hôpital public, le centre hospitalier de la Côte fleurie, ainsi que le groupement de coopération sanitaire des urgences de la Côte fleurie soient également condamnés à la réparation du même préjudice.

La cour administrative d’appel, dans sa décision du 22 septembre 2017, ayant retenu la responsabilité pour faute du groupement sanitaire, elle a nécessairement rejeté la responsabilité de l’ARH/ARS et donc celle de l’État puisque l’ARS agissait au nom de l’État pour la constitution du GCS.

Elle a également jugé que la dissolution de ce groupement, créé deux ans plus tôt à titre expérimental, n’était que la conséquence du comportement de deux établissements hospitaliers membres de celui-ci et non la conséquence directe d’une faute qu’aurait commise l’ARS. L’action du requérant a donc été rejetée en tant que dirigée contre l’ARS.

Enfin, le requérant ayant fait valoir dans la présente espèce qu’il n’avait rien reçu du GCS après sa condamnation par la cour, cette action ne pouvait remettre en cause son précédent arrêt, passé en force de chose jugée et il appartient à celui-ci, se fondant sur cet arrêt, d’en réclamer le paiement à la ou aux personne(s) juridique(s) ayant succédé au groupement dissous.

Le Conseil d’État confirme entièrement l’arrêt.

(6 novembre 2020, M. B., n° 426102)

 

175 - Préjudice consécutif à la faute commise dans un établissement de santé – Préjudice corporel – Distinction entre la faute entraînant la perte d’une chance de ne pas subir le dommage et la faute cause du dommage – Régimes distincts de réparation – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

Rappel qu’il convient de distinguer, pour la réparation d’un dommage corporel consécutif à une faute commise lors de la prise en charge d'un patient dans un établissement de santé, selon que la faute a seulement compromis les chances du patient d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, ou qu’elle a fait naître le dommage qui n’aurait pas existé sans cette faute.

Dans le premier cas, en raison de ce que le dommage corporel avait une certaine probabilité de survenir en l'absence de faute commise par l'établissement, le préjudice résultant de cette faute n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu.

Dans le second cas, dès lors que le dommage corporel ne serait pas survenu en l'absence de la faute commise par l'établissement, le préjudice qui en résulte doit être intégralement réparé.

(27 novembre 2020, Mme I. et autres, n° 426936 ; CPAM d’Ille-et-Vilaine, n° 427032)

 

176 - Accidents médicaux – Prise en charge de la réparation par l’Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) au titre de la solidarité nationale – Condition d’anormalité au regard de l’état de santé du patient (art. D. 1142-1 code de la santé publique) – Survenue de troubles prématurés – Durée de la réparation en cas de méconnaissance du terme du préjudice – Rejet.

Suite aux préjudices causés par une radiothérapie à un patient atteint d'une neurofibromatose de type II, qui est une maladie génétique évolutive, la cour administrative d’appel, confirmant sur ce point le jugement de première instance, a mis une partie de la réparation à la charge de l’ONIAM. Ce dernier se pourvoit.

Rejetant le recours, le Conseil d’État approuve la cour d’avoir jugé qu’étaient réparables au titre de la solidarité nationale, à raison de leur anormalité, les préjudices subis de façon prématurée par la victime alors même qu’à raison de son état de santé celle-ci y était tout de même exposée à long terme.

Par ailleurs, l’ONIAM ne saurait contester avoir été condamné à indemniser des troubles au-delà de la date à laquelle, en l’absence de traitement médical, ceux-ci seraient de toute façon survenus du fait de l’évolution attendue de la pathologie.

Le juge considère en outre qu’en l’absence de certitude sur le moment où ces préjudices seraient survenus en l’absence d’accident, l’art. L. 1142-1 CSP fait obstacle à que la réparation au titre de la solidarité nationale soit limitée à cette échéance.

(13 novembre 2020, ONIAM, n° 427750)

 

177 - Infection nosocomiale – Action en responsabilité de ce chef - Substitution de la responsabilité de l’Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à celle de l’Établissement français du sang – Point de départ de l’effet de substitution – Existence d’un contentieux en cours au 1er juin 2010 – Existence d’une demande préalable d’indemnisation antérieurement à cette date – Circonstance n’emportant pas substitution – Cassation avec renvoi partiel.

Une disposition de la loi du 17 décembre 2008 (le IV de son art. 67), de financement de la sécurité sociale pour 2009 a prévu qu’à compter du 1er juin 2010 l’ONIAM se substituerait à l'Etablissement français du sang dans les contentieux en cours au titre des préjudices nés d’infections nosocomiales n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable.

Une cour administrative d’appel a estimé qu’une victime ayant adressé à l’ONIAM le 3 mai 2010 une demande préalable d’indemnisation en vue que soient réparés ses préjudices résultant d’une infection nosocomiale, l’ONIAM se trouvait, par l’effet de ce texte, substitué à l’Etablissement français du sang dans l’exercice de son obligation de réparer.

L’arrêt est cassé, le Conseil d’État rappelant, à juste titre, que cette disposition de vise que les contentieux en cours à la date fixée or une demande préalable d’indemnisation ne constitue pas un « contentieux » car seul son éventuel rejet aurait pour effet de lier le contentieux.

(13 novembre 2020, ONIAM, n° 424358)

 

178 - Responsabilité contractuelle des titulaires d’un marché public de travaux – Responsabilité quasi-délictuelle des participants non contractuels aux travaux en cause – Appel en garantie de sous-traitants d’un marché public – Compétence de la juridiction administrative – Rejet.

Des malfaçons s’étant révélées, à la suite d’une tempête, sur la partie maritime d'un émissaire en mer de la station de prétraitement des eaux usées de Saint-Pierre, ont été recherchées les responsabilités en cause.

Le Conseil d’État, approuvant l’arrêt d’appel qui était frappé de pourvoi devant lui, rappelle deux points importants.

Tout d’abord, le litige né de l'exécution d'un marché de travaux publics et opposant des participants à l'exécution de ces travaux relève de la compétence de la juridiction administrative, sauf si les parties en cause sont unies par un contrat de droit privé.

Ensuite, dans le cadre d'un tel litige, le titulaire du marché peut rechercher la responsabilité quasi-délictuelle des autres participants à la même opération de construction avec lesquels il n'est lié par aucun contrat, notamment s'ils ont commis des fautes qui ont contribué à l'inexécution de ses obligations contractuelles à l'égard du maître d'ouvrage, sans devoir se limiter à cet égard à la violation des règles de l'art ou à la méconnaissance de dispositions législatives et réglementaires.

(6 novembre 2020, Société IOTA Survey et Maître A., commissaire au plan de redressement de cette société, n° 428457)

 

179 - Essais nucléaires français dans le Pacifique – Indemnisation des victimes de tels essais – Institution d’une présomption légale de causalité – Conditions dans lesquelles peut être combattue cette présomption – Preuve non rapportée en l’espèce – Rejet sans renvoi, le Conseil d’État statuant au fond.

Le législateur a prévu par la loi du 5 janvier 2010 l’indemnisation des personnes démontrant avoir été victimes des essais nucléaires menés par la France à Mururoa. Cette loi a fait l’objet de deux modifications successives, par la loi du 28 février 2017 et par celle du 17 juin 2020.

Par la loi du 28 décembre 2018, déclarée applicable aux instances en cours (cf. art. 57 de la loi du 17 juin 2020), a été, d’une part, au V de son art. 4, fixé le régime de la présomption de causalité entre l’exposition aux rayonnements ionisants produits par ces essais et la survenance de la maladie dont souffrent lesdites victimes et, d’autre part, en son art. 232, élargie la possibilité, pour l’administration, de combattre cette présomption.

Après avoir cassé l’arrêt d’appel pour erreur de droit en ce qu’il a fait application aux faits de l’espèce de la loi précité du 28 décembre 2018 alors qu’étaient encore applicables les dispositions de la loi du 28 février 2017, le Conseil d’État examine dans cette importante décision les conditions de combinaison par le nouveau système législatif de la présomption de causalité et des moyens de la combattre.

Par une interprétation constructive du texte qu’il faut approuver, le juge considère que l’administration, pour rapporter la preuve de l’inapplicabilité de la présomption légale, ne doit pas se limiter à des observation générales fondées sur la circonstance que la dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires a été, à une certaine époque et en un certain lieu, inférieure à la limite de 1 millisievert (mSv), elle doit établir qu’il en est bien ainsi pour la victime compte tenu des conditions concrètes dans lesquelles elle s’est trouvée au moment et au lieu où elle a reçu ces radiations ionisantes.

Sans que la présomption de causalité soit vraiment irréfragable, l’exigence très étendue de la preuve contraire la rend tout de même très difficile à combattre. Ceci est cependant, nous semble-t-il, conforme à l’intention du législateur qui a rendu automatique le droit à l’indemnisation dès que sont réunies dans le chef de la victime les conditions de lieu, de temps et de pathologie énoncées à l’art. 2 de la loi du 5 janvier 2010 modifiée.

(6 novembre 2020, Ministre des armées, n° 439003)

 

180 - Responsabilité au titre de la police sanitaire – Défaillance de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) devenue l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) dans sa mission de contrôle de prothèses mammaires – Responsabilité de l’État pour faute simple, du fait du comportement de l’AFSSAPS, en cas de préjudice direct et certain – Absence de faute en l’espèce – Rejet.

Le Conseil d’État était saisi d’un pourvoi dirigé contre un jugement qui avait rejeté sa demande d’indemnisation du préjudice qu’elle aurait subi du fait de la défaillance de l’organisme de contrôle des produits de santé, ici des prothèses mammaires.

L’action visait l’AFSSAPS (devenu l’ANSM) au titre du mauvais exercice de la police sanitaire relative aux dispositifs médicaux qu’elle exerce au nom de l’État, sur le fondement des dispositions des articles L. 5212-2, L. 5311-1 et L. 5312-1 du code de la santé publique pris pour la transposition en droit interne des dispositions de la directive du 14 juin 1993 relative aux dispositifs médicaux (art. 3, 4, 8, 10, 11, 16 et 17).

Il convient d’indiquer que les textes dont obligation aux fabricants de dispositifs médicaux de s’adresser à un « organisme notifié », chargé d’évaluer la conformité du système de qualité du fabricant aux prescriptions de la directive, au moyen de l’évaluation de la documentation relative à la conception du produits concernés, d’une visite dans les locaux du et d’un examen du dossier de conception relatif au produit. Cet organisme effectue périodiquement aux inspections et aux évaluations appropriées afin de s'assurer que le fabricant applique le système de qualité approuvé.

Il est essentiel de noter deux éléments car ils ont une incidence directe sur la solution retenue par le Conseil d’État. : 1°/ le fabricant peut s'adresser à l'organisme de son choix, dès lors qu'il a été désigné pour effectuer les tâches correspondantes par un État membre et notifié à la Commission et aux autres États membres ; 2°/ il est interdit aux États membres (cf. art. 4 § 1 de la directive) de faire obstacle, sur leur territoire, à la mise sur le marché et à la mise en service de dispositifs médicaux portant le marquage CE, lequel indique qu'ils ont été soumis à une évaluation de leur conformité conformément à l’art. 11 de la directive.

C’est donc dans ce cadre juridique se situe l’action de police sanitaire de l’autorité française de contrôle.

Le Conseil d’État indique d’abord, et c’est l’apport principal de la décision, « eu égard tant à la nature des pouvoirs conférés (…) à l'AFSSAPS, agissant au nom de l'État, en matière de police sanitaire relative aux dispositifs médicaux, qu'aux buts en vue desquels ces pouvoirs lui ont été attribués, la responsabilité de l'État peut être engagée par toute faute commise dans l'exercice de ces attributions, pour autant qu'il en soit résulté un préjudice direct et certain. »

Ensuite, sur la base juridique décrite plus haut, le juge de cassation estime que c’est sans erreur de droit que le tribunal administratif a jugé que l’AFSSAPS n’avait commis aucune faute en l’espèce, la fraude dans le choix d’un gel de remplissage des prothèses autre que celui mentionné dans la documentation destinée aux différents contrôles lui ayant été cachée tandis qu’aucun signalement, doute ou autre de l’organisme notificateur n’a été porté à la connaissance de l’AFSSAPS.

Par suite, le recours de la demanderesse à fins indemnitaires est rejeté.

(16 novembre 2020, Mme C., n° 431159)

(181) V. la solution inverse adoptée dans le cas d’un jugement qui a estimé fautif le comportement de l’AFSSAPS qui, informée en octobre et novembre 2009, du nombre croissant de prothèses mammaires défectueuses, a attendu le 18 décembre 2009 pour convoquer la société fabricante et solliciter des explications de sa part : 16 novembre 2020, Ministre des solidarités et de la santé, n° 437600.

 

182 - Délai de prescription de l’action en responsabilité – Régime nouveau issu de l’art. 2224 du Code civil (loi du 17 juin 2008) – Point de départ du délai de prescription – Connaissance certaine et entière du seul dommage non de son(ses) auteur(s) – Erreur de droit – Cassation et renvoi dans cette mesure.

La loi du 17 juin 2008 a modifié les dispositions du Code civil régissant la prescription des actions en matière de responsabilité civile extracontractuelle. Celle-ci a désormais une durée de dix ans « à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer » (art. 2224 C. civ). De plus, lorsque la prescription de dix ans n’était pas acquise avant l’entrée en vigueur de la loi de 2008 cela ne saurait avoir pour effet de prolonger celle-ci au-delà de dix années.

Dans cette affaire, la cour administrative d’appel avait jugé que l’action dont des requérants avaient saisi la justice le 12 juillet 2016, à propos de désordres constatés en juin 2002 sur leur propriété, n’était pas prescrite car l’identité de tous les responsables n’a été connue par eux qu’à compter du dépôt du rapport d’expertise, soit le 21 juillet 2015.

L’arrêt est cassé motif pris que le Code civil ne prend en considération comme point de départ du délai de prescription que le moment de la connaissance du dommage non celui de la connaissance de(des) l’auteur(s) du dommage.

(20 novembre 2020, Société Suez Eau France, n° 427250 ; v. aussi, même affaire : 20 novembre 2020, Société Suez Eau France, n° 427254)

(183) V. aussi, sur le même sujet et très voisin : 20 novembre 2020, Société Veolia Eau - Compagnie générale des eaux, n° 432678.

 

184 - Comptabilité publique – Créances sur une personne publique – Régime de la prescription quadriennale – Réparation d’un dommage corporel – Point de départ du délai – Cassation avec renvoi.

(20 novembre 2020, M. B., n° 434018) V. n° 63

 

Santé publique

 

185 - Agence régionale de santé (ARS) (ex-agence de l’hospitalisation ou ARH) – Création d’un groupement de coopération sanitaire (GCS) des urgences puis dissolution de cet organisme – Créances d’un médecin pour ses activités d’urgence non rémunérées – Détermination de la personne responsable – Rejet.

(6 novembre 2020, M. B., n° 426102) V. n° 174

 

186 - Haute autorité de santé (HAS) – Règles de bonne pratique recommandées - Édiction par cette dernière d’une « fiche mémo » pour le traitement de la lombalgie commune – Acte faisant grief – Régularité de la procédure d’adoption de la « fiche mémo » litigieuse - Classement, sans erreur, des techniques manuelles de traitement de la lombalgie en seconde intention – Rejet.

(16 novembre 2020, Institut franco-européen de chiropraxie (IFEC), et association française de chiropraxie (AFC), n° 431120) V. n° 3

 

187 - Épidémie de Covid-19 – Question posée par un parlementaire au sujet d’un accord franco-chinois de 2004 en matière de prévention et de lutte contre les maladies infectieuses émergentes.  - Référé liberté en vue qu’il soit ordonné au ministre de la santé de répondre d’urgence à cette question – Rejet.

L’association requérante demandait au juge du référé liberté qu’il prononce injonction au ministre de la santé d’apporter une réponse à la question parlementaire de savoir si les autorités chinoises ont respecté les clauses de l'accord franco-chinois du 9 octobre 2004 relatif à la prévention et à la lutte contre les maladies infectieuses émergentes.

Elle faisait valoir l’absence d’explication cohérente à ce jour de la virulence de l’épidémie, l’existence d’informations publiques contradictoires, l’angoisse de la population et l’incertitude sur le respect par les autorités chinoises de leurs obligations découlant de cet accord.

Toutefois, relevant que la demanderesse n’établit pas l’urgence de la situation ainsi décrite, le juge rejette le référé.

(ord. réf. 16 novembre 2020, Association Union nationale des associations citoyennes de santé (UNACS), n° 445952)

 

188 - Certification des comptes des établissements hospitaliers – Mission confiée aux commissaires aux compte – Traitement des données – Accès aux données du dossier médical du patient – Mission dévolue à des prestataires extérieurs – Données devant faire l’objet de protections techniques adéquates – Illégalité partielle du décret d’application de l’art. L. 6113-7 du code de la santé publique (CSP) - Régime transitoire en attente de l’édiction de la réglementation complémentaire.

(25 novembre 2020, Conseil national de l’ordre des médecins, n° 428451) V. n° 10

 

Service public

 

189 - Conseil économique, social et environnemental (CESE) - Composition – Représentants des salariés – Mode de désignation – Cessation des fonctions - Remplacement d’un représentant à la demande de l’organisation qui l’a choisi pour y siéger – Refus – Légalité – Rejet.

Un syndicat demande au premier ministre de procéder au remplacement de l’un des membres du collège des salariés du CESE qu’il avait désigné pour y siéger au motif qu’il a perdu la qualité en laquelle il avait été désigné, ayant été, depuis, radié du Syndicat national des journalistes. Le premier ministre ayant refusé de procéder à ce remplacement, le syndicat saisit, en vain, le Conseil d’État.

Celui-ci estime que les membres désignés par certaines organisations pour siéger au CESE ne sont pas leurs représentants et que ces dernières n’ont donc pas le pouvoir d’en demander le remplacement lorsque le motif de leur désignation a cessé d’exister, cela lors même que l’art. 9 de l’ordonnance organique du 29 décembre 1958 a prévu une procédure de démission d’office dans l’hypothèse de perte de la qualité ayant motivé la désignation et que l’article 15 du décret du 4 juillet 1984, pris en et pour l’application de l’article 7 de cette ordonnance, institue une procédure de remplacement en cas de vacance par suite de décès, démission ou pour toute autre cause, remplacement s’effectuant « dans les conditions où avait été désigné le représentant à remplacer ».

Cette solution nous semble des plus critiquables et passablement mal venue.

(4 novembre 2020, Union syndicale Solidaires, n° 426526)

 

190 - Organisation du service public – Création d’une académie de Normandie – Régime de consultation préalable à l’occasion du projet – Consultation du comité technique sans consultation du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) – Régularité – Rejet.

La fédération requérante contestait la légalité du décret portant création de l’académie de Normandie au motif qu’il n’avait pas été pris après avis du CHSCT.

Rejetant le recours, le juge est amené à préciser de façon très claire l’étendue et la portée des dispositions de l'article 34 du décret du 15 février 2011 relatif aux comités techniques dans les administrations et les établissements publics de l'État et leur combinaison avec celles de l’art. 47 du décret du 28 mai 1982 pris pour l'application de l'article 16 de la loi du 11 janvier 1984.

D’une part est rappelée une double règle concernant la soumission d’une question ou d’un projet de disposition à la consultation du CHSCT : 1°/ ce dernier ne peut être consulté que si le comité technique ne doit pas l’être lui-même ; 2° / le CHSCT ne peut être consulté que concernant la santé, la sécurité ou les conditions de travail.

D’autre part, dans le cas où l’objet de la consultation préalable porte à la fois sur des matières relevant de la compétence du comité technique et sur des matières relevant de celle du CHSCT, seul le comité technique doit être consulté.

En revanche, le comité technique, comme l’administration, peut toujours décider de consulter le CHSCT. Toutefois, il ne saurait ni subordonner son propre avis à l’existence de celui du CHSCT ni estimer irrégulière sa propre consultation en l’absence de celle du CHSCT.

C’est donc à tort qu’en l’espèce la fédération requérante a excipé de la non consultation du CHSCT pour soutenir l’irrégularité de l’avis donné par le comité technique.

(18 novembre 2020, Fédération syndicale unitaire (FSU), n° 436471)

 

Travaux publics et expropriation

 

191 - Travaux routiers – Contournement de Rouen et liaisons autoroutières – Décret déclarant ces travaux d’utilité publique – Concertation préalable suffisante – Étude d’impact – Existence de quelques insuffisances sans effets sur l’information complète du public et sur la décision de l’autorité administrative – Même solution concernant l’évaluation économique et sociale – Dossier d’enquête ni incomplet ni altéré – Complétude du rapport de la commission d’enquête –Compatibilité du projet avec le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) et le schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) – Utilité publique du projet – Rejet.

Cette décision-fleuve (plus de 75000 caractères…) concerne le contentieux des travaux publics routiers nécessités par le contournement de Rouen et l’établissement consécutive d’un certain nombre de liaisons ou jonctions autoroutières.

Des nombreuses questions de droit soulevées – et dont la longueur de l’incipit témoigne – on retiendra celle relative à la déclaration d’utilité publique dans ses rapports avec la législation sur l’eau et les conséquences à en tirer dans les dossiers comme celui présenté ici.

Le Conseil d’État apporte deux précisions d’importance.

D’une part, en principe, la déclaration d'utilité publique (DUP) de travaux relatifs à un ouvrage routier ne constitue pas, du seul fait de son objet principal, « une décision dans le domaine de l'eau » au sens des dispositions des art. L. 212-1, point XI, L. 212-5-2 et L. 214-2 du code de l’environnement.

D’autre part, il en va autrement lorsque, comme c’est le cas dans la présente affaire, le projet sur lequel porte la DUP concerne des travaux de construction et d’exploitation d’ouvrages relatifs à l’eau, notamment en matière d’inondation et de pollution des nappes aquifères. En ce cas, le décret portant DUP, revêtant le caractère d’une « décision administrative dans le domaine de l'eau », doit être compatible avec le SDAGE et le SAGE ainsi qu’il l’est d’ailleurs effectivement ici.

(19 novembre 2020, Commune de Val-de-Reuil, n° 417362 ; Sociétés Klémurs et Buffalo Grill S.A., n° 417385 ; Association Les Deux Avenues, n°419246 ; Commune d’Alizay, n°420311 ; Commune des Authieux-sur-le-Port-Saint-Ouen, n° 420313 ; Commune de Gouy, n°420316 ; Commune du Manoir-sur-Seine, n° 420317 ; Commune d’Ymare, n° 420318) ; Association des Communes pour un contournement Est soutenable (ACCES), n° 420319 ; Commune de Léry, n° 420392 ; Communes d'Oissel-sur-Seine et de Saint-Etienne-du-Rouvray, n° 430482 ; Association France Nature Environnement Normandie et autres, n° 420503 ; M. B., n° 420557)

 

192 - Opération de rénovation d’une voie urbaine – Réaménagement d’une route départementale – Obligation de prévoir une piste cyclable sur la voie ou en parallèle immédiat (art. L. 228-2 du code de l’environnement) – Création d’une « liaison douce » à plusieurs centaines de mètres de la voie – Irrégularité - Injonction de procéder sous six mois aux aménagements impliqués par l’art. L. 228-2 précité.

Dans le cadre d’une opération de rénovation d’une voie urbaine, le fait d’établir une « liaison douce » à plusieurs centaines de mètres de cette voie, ne respecte pas l’obligation de créer ou aménager une piste cyclable sur une route départementale traversant des agglomérations ou tout au long de celle-ci en parallèle, instituée par l’art. L. 228-2 du code de l’environnement.

Seul l’existence d’un obstacle tiré de la configuration des lieux pourrait justifier la non cohabitation de la circulation des véhicules automobiles et de celle des cyclistes.

(30 novembre 2020, Commune de Batz-sur-Mer, n° 432095)

 

Urbanisme

 

193 - Taxe d’aménagement – Application d’un taux majoré de cette taxe dans certains secteurs urbains – Délibération du conseil municipal ou intercommunal devant justifier de la proportionnalité du taux retenu aux investissements publics nécessités par les constructions nouvelles dans ces secteurs – Annulation avec renvoi.

L’art. L. 331-6 du code de l’urbanisme institue une taxe d’aménagement dont le taux de droit commun (pouvant s’étendre de 1% à 5%) est fixé par l’art. L. 331-14 de ce code et le taux majoré (pouvant atteindre 20%) par son art. L. 331-15.

En l’espèce, le conseil de la communauté urbaine du Grand Toulouse avait fixé, pour deux secteurs de la ville de Toulouse, un taux de 20% ramené ensuite à 16% pour les terrains d’assiette de projets immobiliers qui y sont situés.

La société requérante estimait insuffisante la motivation donnée pour justifier le choix de ce taux. Elle invoquait les dispositions de l’art. L. 331-15 précité selon lesquelles l’institution du taux majoré doit être faite : « par une délibération motivée, si la réalisation de travaux substantiels de voirie ou de réseaux ou la création d'équipements publics généraux est rendue nécessaire en raison de l'importance des constructions nouvelles édifiées dans ces secteurs.

 Il ne peut être mis à la charge des aménageurs ou constructeurs que le coût des équipements publics à réaliser pour répondre aux besoins des futurs habitants ou usagers des constructions à édifier dans ces secteurs ou, lorsque la capacité des équipements excède ces besoins, la fraction du coût proportionnelle à ceux-ci. »

Le tribunal administratif a rejeté le recours qu’elle a formé contre cette délibération aux motifs, d’une part, que la défenderesse avait justifié le choix de ce taux par l'augmentation de la population dans les secteurs en cause, les difficultés de circulation existantes, l'insuffisante capacité des équipements scolaires et l'absence d'équipements dédiés à la petite enfance et, d’autre part, qu’en l'absence de tout élément permettant de considérer que les équipements et aménagements prévus excèderaient les besoins du secteur, la seule circonstance que Toulouse Métropole n'ait produit aucune estimation du coût des travaux envisagés n'était pas, compte tenu de l'importance de ces travaux, de nature à permettre de regarder le taux retenu comme excessif.

Le Conseil d’État, appliquant la logique restrictive du texte législatif appliqué, annule ce jugement faute qu’ait été recherchée par lui la proportionnalité du taux litigieux par rapport aux coûts des travaux de voirie et de réalisation d’équipements publics.

(9 novembre 2020, Société V3J Promotion, n° 438285)

 

194 - Division d’un terrain à bâtir – Division dite « primaire » - Exception à l’application du droit régissant les lotissements – Demande de permis de construire sur une partie de l’unité existante – Division du terrain - Date d’appréciation du respect, par le pétitionnaire, des règles d’urbanisme applicables à ce terrain.

Dans cette importante décision, le juge avait à connaître du régime applicable à la division « primaire » d’une unité foncière notamment en ce qui concerne l’appréciation du respect par le pétitionnaire des règles d’urbanisme.

Alors que, normalement, la division d’un terrain à bâtir constitue un lotissement, il résulte de la combinaison des art. L. 442-1, et R. 442-1, a), ainsi que de l’ancien art. R. 123-10 (aujourd’hui art. R. 151-21) du code de l’urbanisme que la division d'une unité foncière dite « division primaire » (cf. le a) de l'art. R. 442-1 c. urb.), permet à un pétitionnaire de demander et d'obtenir un permis de construire sur une partie de l'unité foncière existante alors que la division du terrain n'est juridiquement pas encore réalisée mais dont sait déjà qu’elle interviendra après l'obtention du permis de construire.  Cette exception concerne la construction d’un groupe de bâtiments ou d’un immeuble autre qu'une maison individuelle devant être réalisée sur une partie de l'unité foncière existante. Elle permet ainsi l'obtention de l'autorisation d'urbanisme nécessaire au projet et la division de l'unité foncière existante.

Se pose alors la question du moment où il convient de se placer pour l’appréciation du respect des règles d'urbanisme.

Dans cette décision, le Conseil d’État indique tout d’abord que ce respect doit être apprécié au regard de l'ensemble de l'unité foncière existant à la date à laquelle l'administration statue sur la demande, bien que cette dernière soit informée de la division à venir. Cela peut surprendre mais se trouve conforme à logique qui sous-tend les dispositions précitées combinées entre elles.

Le juge indique ensuite que si, postérieurement à la division du terrain mais avant l'achèvement des travaux, le pétitionnaire dépose une demande de permis modificatif, il y a lieu d'apprécier la légalité de cette demande sans tenir compte des effets, sur le terrain d'assiette, de la division intervenue. 

(12 novembre 2020, SCI du 3, rue Jules Gautier à Nanterre, n° 421590)

 

195 - Déclaration préalable de travaux – Opposition du maire – Décision antérieure à l’entrée en vigueur de la version de l’art. L. 424-3 du code de l’urbanisme issue de la loi du 6 août 2015 – Maire non tenu alors d’énoncer tous les motifs justifiant son opposition à la déclaration de travaux – Erreur de droit – Cassation dans cette mesure.

Saisie d’une déclaration de travaux, l’autorité compétente en matière d’autorisations d’urbanisme peut s’y opposer pour les motifs qu’elle estime fonder son refus. Jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi du 6 août 2015, cette autorité n’était pas tenue d’exposer dans son opposition l’intégralité des motifs de refus.

Il en résultait qu’en cas d’annulation de l’opposition, son auteur avait l’obligation de réexaminer la déclaration et il pouvait s’y opposer à nouveau en se fondant sur un motif non exprimé dans son(ses) refus antérieur(s).

En l’espèce, où la décision d’opposition a été prise le 26 octobre 2012, s’appliquait donc le régime qui vient d’être décrit et non celui issu de la loi précitée de 2015. Cette dernière fait désormais obligation à l’autorité compétente d’indiquer dans sa décision d’opposition l’intégralité des motifs sur lesquels elle repose.

Commet donc une erreur de droit la cour administrative d’appel qui, appliquant le nouveau système légal alors que compte tenu de la chronologie il n’était pas applicable au litige, a, après avoir annulé son opposition, enjoint le maire de la commune de délivrer un certificat de non-opposition dans un certain délai.

(16 novembre 2020, Commune de Roquefort-les-Pins, n° 433370)

 

196 - Droit de préemption urbain – Obligation pour le juge saisi d’examiner l’ensemble des moyens de la requête – Absence – Annulation et rejet.

Doit être annulée l’ordonnance de référé qui, statuant sur l’exercice du droit de préemption urbain, ne procède pas à l’examen de tous les moyens contenus dans la requête, en violation des dispositions de l’art. L. 600-4-1 du code de l’urbanisme

(25 novembre 2020, Société In Situ Promotion, n° 442155)

 

197 - Urbanisme commercial – Extension d’un ensemble commercial – Permis de construire modificatif – Modifications substantielles – Circonstance sans effet sur la compétence dérogatoire de la cour administrative d’appel – Rejet.

Le Conseil d’État adopte une solution de simplicité, innovante mais qui n’allait pas de soi nous semble-t-il à la lecture de l’art. L. 600-10 du code de l’urbanisme selon lequel : « Les cours administratives d'appel sont compétentes pour connaître en premier et dernier ressort des litiges relatifs au permis de construire tenant lieu d'autorisation d'exploitation commerciale prévu à l'article L. 425-4 (du code de l’urbanisme) ».

En effet, le juge considère que la compétence d’exception des cours pour connaître en premier et dernier ressort des recours pour excès de pouvoir dirigé contre un permis de construire est subordonnée à la condition que ce permis tienne lieu d’exploitation commerciale ; en revanche, dès lors que cette condition est remplie, il est indifférent que ledit permis vaille autorisation de construire ou autorisation d’exploitation commerciale.

Il suit de là que s’agissant d’un recours dirigé contre le refus de délivrer un permis de construire modificatif en vue de permettre l’extension d’un ensemble commercial, la compétence de la cour pour en connaître en premier et dernier ressort est certaine dès lors que ce projet avait été soumis pour avis à une commission départementale d’aménagement commercial.

Également, il résulte de là, s’agissant de savoir si ce permis modificatif comporte, ou non, des modifications substantielles par rapport au permis originaire qui avait obtenu une autorisation d’exploitation commerciale,

1°/ que la cour n’a pas à examiner préalablement cette question,

2°/ que la cour n’a pas non plus à se prononcer préalablement sur cette question lorsque, faute que la requête ait été précédée d’une saisine de la Commission nationale d’aménagement commercial, elle la déclare irrecevable.

(18 novembre 2020, Société MG Patrimoine, Société Bellou Optique et Société aux Fleurs d'Argentan, n° 420857 et n° 420905)

 

198 - Permis de construire initial et permis modificatif – Demande d’annulation partielle – Annulation en leur entier du permis initial et du permis modificatif – Absence de motivation – Ultra petita - Cassation avec renvoi.

Encourt la cassation pour défaut de motivation le jugement qui annule entièrement un permis initial et un permis modificatif de ce dernier alors que ne lui avait été demandée qu’une annulation partielle et que n’est pas motivé le refus de faire droit à cette demande d’annulation partielle.

(18 novembre 2020, Société K et autre, n° 430602)

 

199 - Permis de construire – Avis favorable sous réserve de certains travaux de voirie – Projet ne comportant pas d’indication sur ces travaux – Annulation du permis – Erreur de droit – Obligation pour le juge de s’assurer de la réalisation certaine desdits travaux – Cassation avec renvoi.

Les services d’une métropole avaient donné un avis favorable à un projet de construction, compte tenu de la mise en sens unique de la voie desservant l'immeuble, de l'interdiction d'y stationner et de travaux d'aménagement de cette voie.

Le tribunal administratif, saisi d’un recours contre la décision accordant ce permis, a annulé ce permis au motif que le projet ne comportait pas d’éléments établissant la prise en compte des aménagements prévus.

Le Conseil d’État annule ce jugement car il appartenait seulement au juge de vérifier que la satisfaction de ces conditions était certaine dans son principe et serait effectivement réalisée au moment de l’octroi du permis.

(18 novembre 2020, Société La maison familiale de Provence, n° 429652)

 

200 - Permis de construire – Conditions de délivrance d’un permis modificatif – Cas où la construction achevée n’est pas conforme au permis sur le fondement duquel elle a été réalisée – Délai de trois mois ouvert à l’autorité compétente pour contester la non-conformité – Faculté pour le pétitionnaire de demander un nouveau permis dit de régularisation d’une construction non conforme achevée et menacée de recours contentieux – Annulation avec renvoi.

A l’occasion d’un recours dirigé contre une construction achevée pour non-conformité au permis qui l’a autorisée, le Conseil d’État décrit assez complètement le cadre juridique en résultant.

Tout d’abord, le bénéficiaire du permis en cours de validité et tant que n’est pas achevée la construction qu’il autorise, peut solliciter un permis modificatif pour autant que n’en soit pas remise en cause la conception initiale (réitération de : Section, 26 juillet 1982, Le Roy, n° 23604).

Ensuite, lorsque la construction est achevée, deux événements peuvent survenir.

1°/ Au reçu de la déclaration d’achèvement de la construction et de conformité avec le permis de construire, l’autorité compétente dispose de trois mois pour contester la conformité prétendue des travaux au permis ; passé ce délai et dans le cas où le propriétaire envisage de faire de nouveaux travaux, elle ne peut pas exiger de lui le dépôt d’un permis de construire incluant la construction déjà édifiée et non conforme.

2°/ En cas de recours des tiers ou tout autre circonstance, le propriétaire peut solliciter un nouveau permis afin de régulariser la construction ; ce nouveau permis doit, d’une part, porter sur ceux des éléments construits non conformes au permis initial, et, d’autre part, respecter les règles d’urbanisme en vigueur au jour où il est accordé.

(25 novembre 2020, M. et Mme G., n° 429623)

 

201 - Permis de construire - Préexistence de locaux recevant du public – Obligation incombant à l’autorité délivrant le permis d’aviser le pétitionnaire de la nécessité d’une autorisation complémentaire avant ouverture au public – Insuffisance de la seule connaissance par le pétitionnaire de cette obligation – Calcul du nombre de places de stationnement nécessitées par les diverses destinations d’un immeuble – Annulation avec renvoi.

La contestation, par des voisins, d’un permis de construire fournit au Conseil d’État l’occasion de préciser deux points d’importance.

Tout d’abord, il s’agissait en l’espèce de créer un logement par changement partiel de destination, le reste de l’immeuble demeurant un commerce à usage de restaurant. Il était reproché à la commune d’avoir délivré ce permis sans mentionner expressément l'obligation de demander et d'obtenir une autorisation complémentaire avant l'ouverture au public de ce commerce. La commune invoquait la circonstance, et c’est ce qu’a retenu le tribunal administratif, d’une part, que le contenu du dossier de demande de permis de construire témoignait de la connaissance, par le pétitionnaire, de cette obligation, et, d’autre part, que l'arrêté accordant le permis litigieux mentionnait que son bénéficiaire devrait respecter diverses prescriptions, dont celles qui avaient été formulées par la commission communale d'accessibilité dans son avis du 9 février 2016, lequel faisait état de l'obligation, pour le demandeur, de solliciter l'autorisation prévue par le code de la construction et de l'habitation.

Inexplicablement, le Conseil d’État a estimé que « ce simple renvoi » était insuffisant en l’absence d’une mention expresse de l’obligation de solliciter et d’obtenir l’autorisation complémentaire au titre de l'article L. 111-8 du code de la construction et de l'habitation. Il y a lieu de s’interroger sur les motifs et sur la portée utile d’un tel rigorisme textuel.

Ensuite, l’on sait que la législation impose au pétitionnaire de prévoir un nombre de places de stationnement en rapport, d’une part, avec la surface de plancher à édifier, et, d’autre part, avec la destination de l’immeuble. Lorsque que, comme en l’espèce, l’immeuble reçoit plusieurs destinations et est déjà existant au moment de l’octroi du permis il convient de procéder ainsi. D’abord, doit être calculé le nombre de places nécessitées par chaque destination particulière de l’immeuble et doivent être additionnés les différents chiffres obtenus. Puis, de ce premier chiffre total doit être retranché le nombre de places déjà existantes afin de déterminer le nombre net de places nouvelles à créer.

(25 novembre 2020, M. et Mme A., n° 430754)

 

202 - Permis de construire tacite – Déféré préfectoral en annulation et en demande de suspension d’exécution (art. L. 2131-6 CGCT) – Ordonnance de référé susceptible seulement d’appel – Irrégularité de la saisine directe du Conseil d’État – Renvoi à la cour administrative d’appel.

Le préfet d’Ardèche a demandé et obtenu du tribunal administratif, sur le fondement des dispositions de l’art. L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales, la suspension de l’exécution d’un permis de construire tacitement accordé par le maire de la commune de Saint-Félicien. La SCI bénéficiaire de ce permis a saisi directement le Conseil d’État d’un recours en annulation de cette ordonnance de suspension.

Le recours est rejeté car il résulte du 6ème alinéa de l’article précité que l’ordonnance attaqué, prise sur demande du préfet, relève d’un appel qui doit être porté devant la cour administrative d’appel. Elle ne ressortit pas au régime procédural institué par les dispositions du premier alinéa de l'article L. 523-1 du CJA.

Le Conseil d’État fait en outre remarquer qu’à la différence des dispositions du cinquième alinéa de l'article L. 2131-6 du CGCT, qui attribuent compétence au président de la section du contentieux du Conseil d'État, celles des troisième et quatrième alinéas du même article ne comportent aucune dérogation aux règles de droit commun relatives à la détermination de la compétence d'appel.

(25 novembre 2020, SCI Mistler, n° 443515)

 

203 - Autorité compétente pour délivrer un permis de construire – Commune dotée d’une carte communale – Délibération approuvant la carte communale sans décider que les permis seraient délivrés au nom de l’État – Approbation de la carte communale entraînant transfert définitif à la commune de la compétence de l’État pour délivrer des permis de construire – Recevabilité du déféré préfectoral dirigé contre un permis de construire délivré par cette commune – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

Une commune, dotée d’une carte communale approuvée, délivre un permis de construire qui est contesté par le préfet. Le déféré est rejeté en première instance et ce rejet est confirmé en appel, la cour administrative d’appel estimant que, dans ce cadre, les permis de construire étant délivrés au nom de l’État le préfet n’est pas recevable à les contester au contentieux puisqu’il a le pouvoir de les retirer. Ce qui constitue une application de la célèbre jurisprudence Préfet de l’Eure (30 mai 1913, Recueil Lebon p. 583).

L’arrêt est annulé pour erreur de droit.

En l’espèce, se plaçant sous le régime institué par l’art. L. 421-2-1 du code de l’urbanisme dans sa version antérieure à la rédaction issue de l’art. 68 de la loi du 13 juillet 2003 comme, pour ce qui concerne l’art. L. 422-1 du même code, des art. 15 de l’ordonnance du 8 décembre 2005 et du V de l’art. 134 de la loi du 24 mars 2014, le conseil municipal a approuvé le 27 décembre 2001 la carte communale. Comme il n’a pas décidé, alors qu’il en avait le pouvoir, que les permis de construire seraient délivrés au nom de l'État, il s’ensuit que la compétence de l’État en matière de délivrance des permis de construire a été définitivement transférée à la commune.

Dès lors, s’agissant de contester une décision sur laquelle le préfet ne détient aucun pouvoir de retrait, celui-ci est recevable à saisir le juge, d’où l’annulation de l’arrêt d’appel.

(18 novembre 2020, Ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, n° 433139)

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