Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Mai 2020

 

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Covid-19 - Principe de neutralité de l’action publique - Labellisation d'articles de presse sur un site officiel du gouvernement - Ingérence dans plusieurs libertés fondamentales dont celle de la presse - Non-lieu à statuer - Rejet.

Le syndicat demandeur a saisi le juge du référé liberté en vue qu’il enjoigne au premier ministre de supprimer sans délai la page internet officielle où sont référencés des articles de presse relatifs à l'épidémie de Covid-19 et mettant en évidence la fausseté de certaines informations circulant sur cette épidémie. Il considère que la labellisation d'articles de presse sur un site officiel du gouvernement constitue une ingérence manifeste des autorités publiques dans la liberté de la presse et qu’il est par là porté une atteinte grave et manifestement illégale à l'exigence de pluralisme de l'expression des opinions, corollaire de la liberté de la presse, et au principe de neutralité des autorités publiques, corollaire du principe d'égalité.

Toutefois, le juge prononce le non-lieu à statuer sur ce référé formé le 4 mai 2020 car il résulte de l'instruction que le premier ministre a supprimé cette page internet, à compter du 5 mai 2020, soit postérieurement à l'introduction de la requête et antérieurement au jour où le juge a statué.

Il s’agissait de la page : https://www.gouvernement.fr/info-coronavirus/desinfox.

(ord. réf. 8 mai 2020, Syndicat national des journalistes, n° 440388)

 

2 - Covid-19 - Demande d’une intervention d’autorités françaises auprès d’un autre État - Règle de circulation des personnes en période d’épidémie - Acte de gouvernement - Conduite des relations diplomatiques entre la France et une puissance étrangère - Rejet pour incompétence de la juridiction administrative.

Les requérants demandent qu’il soit enjoint au ministre des affaires étrangères et à l’ambassadeur de France en Ukraine qu’ils sollicitent les autorités ukrainiennes afin qu’elles autorisent le rapatriement en France de leur fille, née d’un contrat de mère porteuse réalisé au moyen des gamètes de M. Y. et d’un don d’ovocytes. Leur demande ayant été rejetée par le premier juge des référés, ils interjettent appel devant le Conseil d’État.

Celui-ci rejette à son tour la requête en référé liberté des demandeurs.

Il relève que les règles d’entrée et de sortie du territoire ukrainien relèvent de la souveraineté de l’Ukraine qui a établi des règles strictes de franchissement de ses frontières en période d’épidémie de Covid-19. Il note ensuite que la demande des requérants tendant à ce que la France s’entremette à cette fin dérogatoire ne saurait s’analyser comme une simple démarche administrative et qu’elle n'est pas détachable de l'exercice des pouvoirs du Gouvernement dans la conduite des relations diplomatiques.

D’où le rejet opposé à une action portée devant une juridiction incompétente pour en connaitre.

(ord. réf. 15 mai 2020, Mme X. et M. Y., n° 440382)

 

3 - Covid-19 - Fonction publique hospitalière - Heures supplémentaires - Autorisation donnée aux établissements hospitaliers de déplafonner les heures supplémentaires autorisées - Mesure d’organisation du service - Compétence du Conseil d’État en premier et dernier ressort - Rejet.

A l’occasion d’une requête en référé suspension formée par le syndicat demandeur, le Conseil d’État, contrairement à l’opinion du ministre défendeur, s’estime compétent pour connaître de ce recours dirigé contre sa décision ouvrant aux différents établissements relevant de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) la faculté de recourir au déplafonnement des heures supplémentaires qu'elle autorise. Il considère que si cette décision n’aurait pas en soi un caractère réglementaire, elle est de nature à influer directement sur l'organisation du service public hospitalier au sein de l'AP-HP et doit donc être regardée comme ayant, de ce fait, le caractère d'un acte réglementaire émanant d'un ministre dont le Conseil d’État est compétent pour connaître en premier et dernier ressort.

Au fond, la requête est rejetée du fait de la mise en balance entre l'urgence qu'il y aurait à en suspendre l'exécution de la mesure contestée et l'intérêt public qui s'attache à la continuité et au bon fonctionnement du service public hospitalier dans le contexte de crise sanitaire résultant de l'épidémie de Covid-19.

(ord. réf. 26 mai 2020, Syndicat CGT de l'hôpital Beaujon AP-HP, n° 439209)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques

 

4 - Antennes de téléphonie mobile - Installation sur des réservoirs de stockage d'eau potable - Gestion du domaine public et faculté d’autoriser l’installation des équipements des opérateurs de communications électroniques - Refus de renouveler la convention d’occupation du domaine à cette fin - Absence de caractère disproportionné des tarifs d’occupation domaniale - Absence d’inégalité dans le traitement tarifaire d’opérateurs se trouvant dans des situations différentes - Rejet.

La société Orange, ayant contesté en vain en première instance et en appel les conditions contractuelles liées à l’installation d’antennes de téléphonie mobile sur le domaine public, se pourvoit, encore en vain, en cassation.

Ses trois arguments principaux sont rejetés comme ils l’avaient été en appel et par un raisonnement identique.

Le juge rappelle que le gestionnaire du domaine n’a pas l'obligation mais seulement la faculté d'autoriser l'installation des équipements des opérateurs de communications électroniques sur son domaine. Il s’ensuit qu’il peut décider - comme au cas de l’espèce - de ne pas renouveler, à leur échéance, les conventions en vertu desquelles était autorisée l'occupation des réservoirs de stockage d'eau potable par des antennes de téléphonie mobile, alors même que le motif de ce refus ne serait pas tiré de l'incompatibilité de cette occupation avec l'affectation de ces dépendances domaniales ou avec les capacités disponibles, mais résulterait de la volonté de conclure de nouvelles conventions d'occupation tenant compte des conditions techniques et financières nouvelles prévues par cette délibération.

Par ailleurs, est jugée régulière la délibération litigieuse qui a fixé le tarif applicable pour l'occupation d'un réservoir de stockage d'eau potable par une antenne de téléphonie mobile à dix mille euros pour un opérateur économique dont le chiffre d'affaires annuel consolidé du groupe auquel il appartient est supérieur à cinq millions d'euros et à mille cinq cents euros pour un opérateur économique dont le chiffre d'affaires annuel consolidé du groupe auquel il appartient est inférieur à cinq millions d'euros, l'occupation étant gratuite pour les opérateurs de sécurité et de secours. A cet égard, la requérante développait deux arguments. En premier lieu, elle prétendait excessive la redevance de dix mille euros qui lui était imposée et disproportionnée la différence entre les deux tarifs décidés. Se plaçant sur le terrain des avantages retirés par elle, le juge estime justifiés et les montants respectifs retenus et l’écart entre eux.

Enfin, la société Orange faisait valoir qu’elle participe à une mission de service public par sa couverture du territoire national en service de téléphonie mobile et que les opérateurs de téléphonie mobile assurent la prise en charge d'appels d'urgence, pour dire injustifié, au regard du principe d’égalité, le fait que les opérateurs de sécurité et de secours bénéficient, pour leurs antennes de téléphonie mobile, de la gratuité qui lui est refusée. Là encore sont retenus par le juge les avantages que cette société retire de l'installation de ses antennes de téléphonie mobile sur le domaine public non routier de la communauté d'agglomération Lorient Agglomération pour l'exercice de son activité principale relative aux appels courants.

(27 mai 2020, Société Orange, n° 430972)

 

Biens

 

5 - Domaine public fluvial - Contravention de grande voirie - Déplacement d’un bateau de plaisance ordonné sous astreinte - Point de départ et délai du calcul de l’astreinte - Effets des mesures de prorogation des délais sous l’empire du Covid- 19 - Rejet.

Les demandeurs ont été condamnés le 14 novembre 2018 par ordonnance du juge des référés de première instance à évacuer sans délai leur bateau d’un port de plaisance et à une astreinte de cent euros par jour de retard ; cette astreinte a été liquidée par une ordonnance du 5 juillet 2019, pour un montant de 22 700 euros, le juge ayant refusé, sur recours de la commune, de porter le montant de l'astreinte à deux cents euros par jour. Ils se pourvoient en annulation de cette ordonnance et, subsidiairement, sollicitent la modulation de l’astreinte.

Le juge de cassation devait répondre à trois questions : Quelles sont les dispositions applicables à une telle astreinte ? Quel est le point de départ du calcul du montant de l’astreinte, question compliquée ici par la modification des délais applicables du fait de l’épidémie de Covi-19 ? Quelles sont les conditions de la modération voire de la suppression de l’astreinte ?

Sur le premier point, il est rappelé que lorsque l'injonction de libérer une dépendance domaniale est assortie d'une astreinte, celle-ci n’est pas alors régie par les dispositions du livre IX du code de justice administrative.

Sur le second point, le juge précise que l'astreinte court à compter de la date d'effet de l'injonction sous deux réserves : d’une part, le juge peut toujours différer le point de départ de l'astreinte dans les conditions qu'il détermine, et d’autre part, en cas de silence du jugement sur la date d’effet de l’injonction - comme c’était le cas en l’espèce -, celle-ci ne peut être que celle de la notification de ce jugement. A ce dernier égard, il est donc décidé que, les conditions d’infliction d’une astreinte étant ici réunies, le point de départ de son exécution a commencé à courir le 21 novembre 2018 et ce jusqu’au jour de la présente décision, soit le 27 mai 2020. Cependant, en raison du Covid-19, le dernier alinéa de l'article 4 de l'ordonnance du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période, dispose que « le cours des astreintes et l'application des clauses pénales qui ont pris effet avant le 12 mars 2020 sont suspendus pendant la période définie au I de l'article 1er ». La période concernée ici est donc comprise entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 inclus. A la date de la présente décision, soit le 27 mai 2020, cette période n'est pas parvenue à son terme. La liquidation de l'astreinte couvre ainsi la période courant du 21 novembre 2018 au 11 mars 2020, soit 47 600 euros.

Enfin, en troisième lieu, sur la question de la modération ou de la suppression de l’astreinte prononcée, laquelle est possible même en cas d'inexécution de la décision juridictionnelle, le juge relève que les requérants ne sont pas dépourvus de tout revenu et qu’il n’y a donc pas lieu de modérer cette astreinte.

(ord. réf. 27 mai 2020, Mme et M. X., n° 432977)

 

6 - Transfert dans le domaine public d’une voie privée ouverte à la circulation publique - Régime juridique - Décision préfectorale refusant ce transfert - Recours contentieux des riverains de la voie - Qualité de riverains donnant intérêt à agir - Présence - Demande d’annulation du refus du préfet - Rejet.

C’est par son aspect procédural que cette décision se signale à l’attention du lecteur.

La commune de Saint-Lunaire (Ille-et-Vilaine) voulant procéder au transfert d'office dans le domaine public communal d'une voie privée, a demandé au préfet, en raison de l’opposition de certains propriétaires, de prononcer conformément aux dispositions de l'article L. 318-3 du code de l'urbanisme, le transfert de la voie privée dans son domaine public. Le préfet a refusé et des propriétaires ont demandé au préfet de retirer cette décision. Après le rejet implicite de leur demande, ils ont saisi le tribunal administratif qui a rejeté leur demande. La cour administrative d'appel a annulé le jugement et la décision du préfet et enjoint à ce dernier de se prononcer à nouveau sur la demande de la commune dans un délai de deux mois.

Le juge de cassation était, à titre préliminaire, saisi de la question de la recevabilité de la demande de première instance, laquelle était contestée devant lui. Il juge, cette solution n’allait pas de soi puisque la jurisprudence antérieure était plutôt en sens contraire, que « Le transfert d'une voie privée ouverte à la circulation publique dans le domaine public communal ayant notamment pour effet de ne plus faire dépendre le maintien de l'ouverture à la circulation publique de la voie du seul consentement de ses propriétaires et de mettre son entretien à la charge de la commune, les riverains de la voie justifient d'un intérêt leur donnant qualité pour demander l'annulation pour excès de pouvoir de la décision (du préfet) refusant de la transférer dans le domaine public de la commune sur le fondement de l'article L. 318-3 du code de l'urbanisme ».

(27 mai 2020, M. et Mme X. et autres, n° 433608)

 

7 - Droit de propriété - Travaux et constructions publics empiétant sur une propriété privée - Obligation de remettre les lieux en état - Absence de caractère automatique d’urgence d’une action en vue de protéger ou rétablir une liberté fondamentale - Annulation de l’ordonnance du premier juge.

Cette décision, qui constitue un rappel de la jurisprudence Commune de Chirongui (ord. réf. 23 janvier 2013, n° 365262), selon laquelle le juge administratif du référé liberté est compétent pour enjoindre à l'administration de faire cesser une atteinte grave et manifestement illégale au droit de propriété, lequel a le caractère d'une liberté fondamentale, quand bien même cette atteinte aurait le caractère d'une voie de fait, montre une fois de plus qu’il ne faut pas céder à ce que l’on pourrait appeler « le mirage du référé ».

Les requérants et leurs conseils se laissent souvent prendre au « piège » de la facilité, de la simplicité et de la célérité des procédures de référé, oubliant d’en respecter les exigences propres, d’où des déconvenues comme en la présente espèce. Comme l’exprime très bien ici le juge d’appel, il ne faut pas « confondre urgence et gravité de l'atteinte alléguée (au) droit de propriété ».

Une action en référé liberté avait été introduite en première instance par un propriétaire privé, avec succès,  en vue qu’injonction soit faite à la commune de Morne-Vert de faire cesser l'atteinte grave et manifestement illégale à son droit de propriété en procédant à l'arrêt immédiat des travaux de construction d'un centre technique communal entrepris sur la parcelle K 111 et des travaux et de la réfection de la clôture de sa parcelle K 200 ainsi que le dégagement des voies d'accès situées sur la parcelle K 24, en déplaçant le regard d'évacuation des eaux pluviales.

Saisi par la commune défenderesse d’un appel dirigé contre l’ordonnance de référé la condamnant, le Conseil d’État donne raison à cette dernière.

En effet, si le juge constate que c’est à juste titre que le propriétaire se plaint de l’atteinte à son droit de propriété du fait de travaux publics réalisés et de constructions publiques édifiées illégalement sur sa propriété, il relève également qu’à la date de sa saisine « ne restait à réaliser que 1,5m2 de surface bétonnée après enlèvement par EDF de son support » et que l'intérêt général s'attache à la construction de cette route de contournement, qui vise à permettre de désengorger le centre bourg et pour laquelle la commune dit avoir à ce stade dépensé plus de 900 000 euros.

C’est pourquoi, il estime que « aussi graves que sont les atteintes alléguées au droit de propriété (…), la condition d'urgence particulière, seule de nature à justifier l'intervention du juge des référés dans les conditions fixées par l'article L. 521-2 du code de justice administrative, ne pouvait être considérée comme remplie à la date d'introduction de sa requête devant le juge des référés du tribunal administratif et ne peut pas plus l'être aujourd'hui ». D’où l’annulation de l’ordonnance de première instance.

In fine le juge donne même une petite consultation juridique au malheureux propriétaire en lui suggérant de saisir, s'il s'y croit fondé, le tribunal administratif « d'une demande tendant la remise en état des parcelles dont il est propriétaire, que ce soit à l'appui d'une demande d'annulation du refus de la commune d'y procéder ou à l'appui d'une demande de réparation ».

(28 mai 2020, Commune de Morne-Vert, n° 440522)

 

8 - Antennes de téléphonie mobile - Installation sur des réservoirs de stockage d'eau potable - Gestion du domaine public et faculté d’autoriser l’installation des équipements des opérateurs de communications électroniques - Refus de renouveler la convention d’occupation du domaine à cette fin - Absence de caractère disproportionné des tarifs d’occupation domaniale - Absence d’inégalité dans le traitement tarifaire d’opérateurs se trouvant dans des situations différentes - Rejet.

(27 mai 2020, Société Orange, n° 430972) V. n° 4

 

Contentieux

9 - Référé suspension - Dispositifs médicaux pris en charge par la sécurité sociale - Modification des conditions de prise en charge - Doute sérieux - Urgence - Octroi de la suspension d’exécution de l’arrêté litigieux.

La société requérante demandait la suspension de l'exécution d’un arrêté ministériel portant modification des modalités de prise en charge des véhicules destinés au transport passif des personnes handicapées (titre IV de la liste des produits et prestations prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale (CSS)).
L'article L. 165-1 CSS prévoit que le remboursement par l'assurance maladie des dispositifs médicaux à usage individuel est subordonné à leur inscription sur une liste établie après avis d'une commission de la Haute Autorité de santé soit sous forme de marque ou de nom commercial, inscription éventuellement subordonnée, à son tour, au respect de spécifications techniques, d'indications thérapeutiques ou diagnostiques et de conditions particulières de prescription et d'utilisation.

L'arrêté interministériel du 17 octobre 2017, dans la version qui lui a été donnée par l’arrêté du 15 juillet 2019, portant modification des modalités de prise en charge des « sièges coquilles de série », a restreint, dans l'intérêt de la santé publique, les indications de prise en charge des sièges coquilles de série aux « Patients âgés ayant une impossibilité de se maintenir en position assise sans un système de soutien et n'ayant pas d'autonomie de déplacement (...) ». Par suite, ne peuvent pas faire l'objet d'une prise en charge au titre des « Poussettes, fauteuils roulants à pousser et châssis roulants destinés au transport passif des personnes handicapées » du chapitre 2 « Véhicules divers » du titre IV de la liste des produits et prestations (LPP) prévue à l'article L. 165-1 CSS, « les véhicules comprenant une même structure rigide : 

- dont le siège, le dossier, les accoudoirs ou maintiens latéraux sont non démontables en 4 parties (notamment avec fixations non réutilisables) ;

- ou dont le revêtement capitonné n'est pas propre à chacune des parties : siège, dossier, accoudoirs ou maintiens latéraux ». Par ailleurs, aux termes du même arrêté, « La prise en charge du code 4263950 « Vhp, poussette ou fauteuil, > ou = 16 ans, dossier ou dossier et siège inclinables » ne peut se cumuler avec le code 1211489 d'un appareil de soutien partiel de la tête ».

L'arrêté du 10 mars 2020 ayant même objet que les précédents, a modifié le paragraphe 1 « Généralités » de la section A « Poussettes, fauteuils roulants à pousser et châssis roulants destinés au transport passif des personnes handicapées » du chapitre 2 « Véhicules divers » du titre IV de la liste des produits et prestations prévue à l'article L. 165-1 CSS.

C’est de ce dernier arrêté que la société Innov'sa demande au juge des référés du Conseil d’État d’ordonner la suspension d’exécution.

S’agissant d’un référé de l’art. L. 521-1 CJA, la demanderesse devait établir la satisfaction par sa demande des deux conditions cumulatives exigées par ce texte.

Pour estimer établie la condition d’urgence, le juge relève, reprenant à son compte l’argumentation de la société, que l’activité de la société est très dépendante des conditions de prise en charge par l'assurance maladie, sa production de poussettes pour handicapés représentant désormais 58 % de son activité. L’application de l'arrêté querellé l'empêcherait de continuer à commercialiser ce produit, ce qui pourrait conduire à sa liquidation. Dès lors, la condition d'urgence doit être regardée comme remplie.

Pour établir qu’existe en l’espèce un douteux sérieux sur la juridicité de l’arrêté attaqué, la société soutient, d'une part, que l'arrêté contesté est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation en ce qu'il modifie les conditions de fabrication des véhicules destinés au transport passif des handicapés en exigeant, sans justification pertinente, que le siège, le dossier, les accoudoirs ou maintiens latéraux des structures rigides soient démontables en quatre parties ou que le revêtement capitonné soit propre à chacune de ces parties et, d'autre part, qu'il est entaché d'erreur de fait et d'erreur manifeste d'appréciation en ce qu'il exclut le cumul de la prise en charge d'un véhicule pour handicapé physique avec celle d'un appareil de soutien partiel de la tête, alors que les poussettes et fauteuils à pousser pour handicapés de plus de 16 ans ne comportent d'appui-tête ni dans le modèle de base, ni en option.

Le juge, rejetant l’argument du ministre défendeur selon lequel l’arrêté litigieux aurait été pris afin d'éviter que les sièges coquilles de série ne soient remboursés par l'assurance maladie en tant que véhicules pour handicapés physiques inscrits au titre IV de la liste des produits et prestations, alors que leurs indications de prise en charge ont été restreintes, dans l'intérêt de la santé publique, par les arrêtés précités de 2017 et de 2019, constate que les deux moyens soulevés par la société Innov'sa sont de nature, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté contesté, dès lors que, dans l'un et l'autre cas, les modifications ainsi apportées aux spécifications des véhicules ne sont pas justifiées par le service attendu de leur usage.

(ord. réf. 8 mai 2020, Société Innov'sa, n° 440213)

10 - Covid-19 - Demande d’une intervention d’autorités françaises auprès d’un autre État - Règle de circulation des personnes en période d’épidémie - Acte de gouvernement - Conduite des relations diplomatiques entre la France et une puissance étrangère - Rejet pour incompétence de la juridiction administrative.

(ord. réf. 15 mai 2020, Mme X. et M. Y., n° 440382) V. n° 2

 

11 - Compétence de la juridiction administrative - Injonction à la police nationale - Agissements prétendus à l’encontre du demandeur - Incompétence de l’ordre de juridiction saisi - Rejet.

Doit être rejetée comme portée devant une juridiction administrative manifestement incompétente pour en connaitre, l’action en référé liberté tendant à ce que soient adressées des injonctions aux représentants de la police nationale, aux représentants de la justice et à toute administration publique de mettre fin aux agissements dont le demandeur s'estime victime, en particulier du fait des modalités par lesquelles la police nationale est intervenue le 20 avril 2020 à la suite d'une altercation l'opposant à ses voisins et de ce qu’il serait victime de diffamation.

(ord. réf. 9 mai 2020, M.X., n° 440311)

 

12 - Compétence du Conseil d’État en premier et dernier ressort - Contestation de la décision d’une présidente de conseil départemental tendant à l’attribution d'allocations et de prestations destinées aux personnes en situation de handicap - Absence de compétence directe - Rejet.

Le recours dirigé contre la décision implicite de la présidente d’un conseil départemental refusant l’attribution d'allocations et de prestations destinées aux personnes en situation de handicap n’est manifestement pas au nombre des recours qui, limitativement énumérés par l'article R. 311-1 du CJA, relèvent de la compétence Conseil d’État statuant en premier et dernier ressort.

Il appartient, en ce cas, au juge des référés, sur le fondement de l’article R. 522-8-1 du CJA et par dérogation aux dispositions du titre V du livre III relatif au règlement des questions de compétence au sein de la juridiction administrative, de décliner la compétence de la juridiction par voie d'ordonnance (cf. art. L.522-3 CJA).

(ord. réf. 20 mai 2020, Mme X. et M. Y., n° 440645)

 

13 - Covid-19 - Arrêté préfectoral - Accès aux parcs, jardins publics, forêts, plans d’eau, terrains de sports et autres interdit jusqu’au 11 mai 2020 - Non-lieu à statuer.

Les requérants avaient demandé en vain au juge des référés du tribunal administratif l’annulation d’un arrêté du préfet du Haut-Rhin interdisant jusqu'au 11 mai 2020 l'accès à l'ensemble des parcs, jardins publics, gravières, forêts, plans d'eau, berges, aires de jeux, parcours de santé et terrains de sports urbains dans toutes les communes du Haut-Rhin. Ils sollicitent du Conseil d’État l’annulation de cette ordonnance de rejet en date du 30 avril 2020.

Le Conseil d’État, saisi le 5 mai, constate, le 12 mai, que l’arrêté attaqué ne produit plus d’effets depuis la veille et qu’il n’y a donc plus lieu pour lui de statuer sur la demande en référé dont il était saisie.

(ord. réf. 12 mai 2020, M. X., n° 440415 ; M. Y et Mme Z., n° 440420, deux espèces)

 

14 - Transfert dans le domaine public d’une voie privée ouverte à la circulation publique - Régime juridique - Décision préfectorale refusant ce transfert - Recours contentieux des riverains de la voie - Qualité de riverains donnant intérêt à agir - Présence - Annulation du refus du préfet - Rejet.

(27 mai 2020, M. et Mme X. et autres, n° 433608) V. n° 6

15 - Covid-19 - Référé de l’art. L. 523-1 CJA - Circulaire ministérielle relative à la réouverture des écoles et des établissements scolaires et aux conditions de poursuite des apprentissages - Ministre chef du service de l’éducation - Obligation pour lui de réglementer - Illégalité à se borner à recommander - Incompétence du juge de ce référé - Rejet.

La fédération requérante, se fondant sur les dispositions de l’art. L. 523-1 CJA (« En cas d'urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l'absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative »),  estimait illégale la circulaire du ministre de l’éducation relative à la réouverture des établissements scolaires à la fin du confinement décidé pour cause d’épidémie du Covid-19. Elle reprochait à celui-ci de se borner à des recommandations sans décider réellement, renvoyant aux enseignants la charge de la responsabilité du chef des mesures accompagnant la réouverture. Par suite, elle demandait au Conseil d’État d’enjoindre à ce ministre de prendre des mesures réglementaires en matière de santé et de sécurité au travail dans les établissements scolaires, en vue de la reprise de l'accueil des enfants dans ces établissements dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire.

Relevant que l’art. précité doit être lu en correspondance avec les art. L. 521-1 et L. 521-2 du CJA et qu’il ne saurait lui accorder plus de pouvoirs que ceux que lui donnent ces deux dernières dispositions, le juge des référés du Conseil d’État estime irrecevables les conclusions dont la fédération requérante l’a saisi car « une demande tendant à ce qu'il soit ordonné à l'autorité compétente de prendre des mesures réglementaires, y compris d'organisation des services placés sous son autorité, n'est pas au nombre de celles qui peuvent être présentées au juge des référés sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, eu égard à l'objet de ces dispositions et aux pouvoirs que le juge des référés tient des articles L. 521-1 et L. 521-2 du même code ».

(ord. réf. 11 mai 2020, Fédération des syndicats Sud Education, n° 440455)

 

16 à 19 - Covid-19 - Pouvoirs du juge du référé liberté - Possibilité de prendre des mesures à bref délai - Besoin de se rendre dans une résidence secondaire - Absence d’urgence à prendre des mesures - Rejet.

A un requérant qui lui demande d'ordonner la suspension de l'exécution du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 en tant que celui-ci ne comporte pas le droit pour toute personne de se déplacer sur toute l'étendue du territoire national pour modifier provisoirement sa résidence, pour constater les besoins d'entretien ou de sécurité d'une de ses résidences et pour, le cas échéant, procéder ou faire procéder aux mesures d'entretien et de mise en sécurité nécessaires, le juge rappelle quelles sont les limites de ses pouvoirs dans le cadre du référé de l’art. L. 521-2 CJA.

D’une part, il est indiqué au demandeur, à titre d’affirmation de principe, que : « La circonstance qu'une atteinte à une liberté fondamentale, portée par une mesure administrative, serait avérée n'est pas de nature à caractériser l'existence d'une situation d'urgence justifiant l'intervention du juge des référés dans le très bref délai prévu par les dispositions de l'article L. 521-2 ».

D’autre part, il lui est rappelé comment s’effectue la mesure de l’urgence dans le cadre de ce référé : « Il appartient au juge des référés d'apprécier, au vu des éléments que lui soumet le requérant comme de l'ensemble des circonstances de l'espèce, si la condition d'urgence particulière requise par l'article L. 521-2 est satisfaite, en prenant en compte la situation du requérant et les intérêts qu'il entend défendre mais aussi l'intérêt public qui s'attache à l'exécution des mesures prises par l'administration ».

La conclusion se déduit d’elle-même, conduisant au rejet par suite des circonstances exceptionnelles dues à l’épidémie, de l’impérieuse nécessité de prendre des mesures générales ad hoc et de l’absence d’invocation par le requérant de ce qu’il se trouverait dans une circonstance particulière.

(ord. réf. 20 mai 2020, M. X., n° 440640)

(17) Même solution, pour défaut d’urgence, s’agissant d’une demande d’extension des heures d’ouverture d’un Bar Tabac Presse : ord. réf. 18 mai 2020, M. X., n° 440450

(18) Voir encore le rejet pour défaut d’urgence d’une requête tendant à voir le juge ordonner le déploiement de l’armée française sur tout le territoire pour remplir spontanément ses devoirs de secours à la population française : ord. réf. 20 mai 2020, M. X., n° 440536.

(19) On lira aussi, sur l’appréciation du double aspect de la condition d’urgence dans le cadre du référé liberté (urgence à statuer et possibilité que soient prises des mesures à très bref délai), et sur son absence constatée en l’espèce s’agissant de la poursuite d’études en vue d’un diplôme universitaire : ord. réf. 28 mai 2020, Mme X., n° 440805.

 

20 - Référé « mesures utiles » (art. L. 521-3 CJA) - Injonction de déclarer démissionnaires d’office des membres d’une commission et de suspendre toute réunion de celle-ci - Condition d’urgence non remplie - Rejet.

Doit être rejetée selon la procédure expéditive de l’art. L. 522-3 CJA, la requête en référé « mesures provisoires » tendant à ce qu’il soit enjoint au président de la commission prévue à l'art. L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle de déclarer démissionnaires d'office les membres désignés par quatre organisations représentatives des consommateurs pour n'avoir pas participé, sans motif valable, à trois réunions consécutives de la commission et à suspendre toutes réunions de celle-ci à compter de celle qui était prévue le 25 mai 2020 à 14 h. En effet, cette réunion ayant eu lieu quelques heures après l'enregistrement de la requête, la condition d'urgence posée par l'article L. 521-3 du CJA n’est manifestement pas remplie.

(ord. réf. 29 mai 2020, Alliance française des industries du numérique (AFNUM) et syndicat des entreprises de commerce international de matériel, audio, vidéo et informatique grand public (SECIMAVI), n° 440817) 

 

Contrats

 

21 - Marché public - Marché sous la forme d’un accord cadre de prestations de nettoyage de locaux et de sites - Référé précontractuel - Office du juge saisi - Offre anormalement basse - Régime juridique - Action contractuelle introduite par l’auteur d’une offre elle-même irrégulière - Conséquences - Admission et rejet partiels - Annulation partielle.

La collectivité territoriale de Martinique a engagé une consultation en vue de la conclusion d'un accord cadre de prestations de nettoyage de locaux et de sites, divisé en neuf lots. La société Clean Building, qui s'est portée candidate, a été informée que le lot n° 8 lui avait été attribué et que son offre avait été rejetée pour les autres lots, les lots n°s 1 à 6 et le lot n° 9 étant attribués à la société Sadis'nov et le lot n° 7 à la société Madianet. La société Clean Building a demandé au juge des référés du tribunal administratif, sur le fondement de l'art. L. 551-1 CJA, l'annulation de la procédure de passation du marché pour les lots qui ne lui ont pas été attribués.

Le juge des référés a décidé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur cette demande et rejeté le surplus des conclusions présentées en cours d'instance sur le fondement des art. L. 551-13 et suivants du même code. La société se pourvoit en cassation.

Le juge de cassation aborde trois points juridiques importants.

 

I - Tout d’abord, il décide que les dispositions combinées des art. L. 551-1 à L. 551-21 du CJA font obligation au pouvoir adjudicateur, lorsqu'est introduit un recours en référé précontractuel dirigé contre la procédure de passation d'un contrat, de suspendre la signature de ce contrat à compter, soit de la communication du recours par le greffe du tribunal administratif, soit de sa notification par le représentant de l'État ou l'auteur du recours. Lorsque, comme en l’espèce, le recours est envoyé au service compétent du pouvoir adjudicateur par des moyens de communication permettant d'assurer la transmission d'un document en temps réel, la circonstance que la notification ait été faite en dehors des horaires d'ouverture de ce service est dépourvue d'incidence puisque le délai de suspension court à compter non de la prise de connaissance effective du recours par le pouvoir adjudicateur, mais de la réception de la notification qui lui a été faite.

De là cette double conséquence : 

1°) En vertu de l’article L. 551-14 du même code, la méconnaissance par le pouvoir adjudicateur de l'obligation de suspendre la signature du contrat ouvre la voie du recours en référé contractuel au demandeur qui avait fait usage du référé précontractuel.

2°) En vertu des dispositions de l'art. L. 551-20 du même code, - dont le juge rappelle ici qu’elles doivent être lues à la lumière de celles de l'article 2 sexies de la directive du Conseil du 21 décembre 1989 dont elles assurent la transposition -, en cas de conclusion du contrat avant l'expiration du délai exigé après l'envoi de la décision d'attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre, ou, comme en l'espèce, pendant la suspension prévue à l'art. L. 551-4 ou à l'art. L. 551-9 du même code, le juge du référé contractuel est tenu soit de priver d'effets le contrat en l'annulant ou en le résiliant, soit de prononcer une sanction de substitution consistant en une pénalité financière ou en une réduction de la durée du contrat.

Enfin, la décision rappelle opportunément que le rejet des conclusions présentées sur le fondement de l'art. L. 551-18 du CJA ne saurait faire obstacle à ce que soit prononcée, même d'office, une sanction sur le fondement des dispositions de l'art. L. 551-20 du même code, si le contrat litigieux a été signé avant l'expiration du délai exigé après l'envoi de la décision d'attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l'art. L. 551-4 ou à l'art. L. 551-9 du CJA.

Comme en l’espèce le contrat en litige a été conclu le 6 septembre 2019 dans la matinée, postérieurement à la réception par les services de la collectivité territoriale de Martinique de la télécopie et du courrier électronique de l'avocat de la société requérante lui notifiant son référé précontractuel, le marché a ainsi été signé en méconnaissance de l'obligation prévue à l'art. L. 551-4 du code précité.

Il suit de là que le juge des référés du tribunal administratif, alors même qu'il avait rejeté les conclusions de la société Clean Building présentées sur le fondement de l'art. L. 551-18 CJA, était tenu de prononcer l'une des sanctions prévues à l'art. L. 551-20 du même code. En s'abstenant de prononcer l'une quelconque d'entre elles, il a commis une erreur de droit.

 

II - Ensuite se posait la question délicate du traitement juridique d’une offre supposée anormalement basse. On sait qu’en principe le pouvoir adjudicateur qui constate qu'une offre paraît anormalement basse doit provoquer toutes explications à ce sujet de la part de son auteur et cela quelle que soit la procédure de passation mise en œuvre. A défaut d’explications satisfaisantes justifiant le caractère anormalement bas du prix, le pouvoir adjudicateur doit rejeter l'offre. En l’espèce, il avait été jugé en première instance que cette offre n'était pas anormalement basse parce qu’il n'était pas établi que la cadence de travail moyenne retenue par la société ne lui permettrait pas de réaliser les prestations au prix proposé. Cette motivation, suffisante en droit et en fait, ne saurait être critiquée. On peut trouver un peu faible cette partie du raisonnement.

 

III - Enfin, et c’était le point le plus délicat de cette affaire : le concurrent évincé, requérant, pouvait-il se prévaloir de l'irrégularité de l'offre de la société attributaire du contrat en litige alors que sa propre offre était irrégulière ? Le juge répond par l’affirmative en rappelant qu’une offre anormalement basse peut être assimilée à une offre irrégulière. Cette solution qui pourrait a priori surprendre dans un contentieux subjectif est pourtant logique : les règles de présentation et de contenu des offres n’ont pas été instituées dans le seul intérêt des parties concurrentes mais dans un souci plus général de protection du consommateur, auquel est garantie une comparabilité fiable des offres et une utilisation plus optimale de leurs deniers propres transmutés via l’impôt et les taxes en deniers publics. Ces règles sont donc du droit objectif et doivent être traitées comme telles notamment au contentieux.

 

Au total, le juge reconnait fondées deux des demandes de la société requérante : d’abord ses conclusions tendant à l'annulation du lot n° 7 du marché et ensuite sa critique de l’omission par le juge des référés de première instance de prononcer l'une des sanctions prévues à l'article L. 551-20 du CJA, sanction qui prend la forme, dans la présente décision, d’une bien modeste pénalité de dix mille euros à verser au Trésor public.

(27 mai 2020, Société Clean Building, n° 435982)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

22 - Taxe annuelle sur les locaux à usage de bureaux, les locaux commerciaux, les locaux de stockage et les surfaces de stationnement perçue dans la région Île-de-France - Exonération des parties communes - Notion de parties communes au sens du IV de l’art. 231ter du CGI - Application de cette notion au sens de la loi sur la copropriété des immeubles bâtis - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

La contribuable, assujettie à la taxe annuelle sur les locaux à usage de bureaux, les locaux commerciaux, les locaux de stockage et les surfaces de stationnement perçue dans la région Ile-de-France, à raison des locaux dont elle est propriétaire situés aux 23-25/25 bis avenue de Matignon à Paris, avait sollicité une réduction de son montant. Elle alléguait que devaient être soustraites de la superficie totale desdits locaux les surfaces des locaux constituant des parties communes, conformément aux dispositions du IV de l’art. 231ter du CGI.

Sa demande est rejetée en première instance et en appel au motif que les parties communes mentionnées par cette disposition devaient être entendues, conformément aux dispositions de loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, comme visant les parties des bâtiments et des terrains qui, n'étant pas la propriété exclusive d'un copropriétaire déterminé et réservées à son usage, sont affectées à l'usage ou à l'utilité de tous les copropriétaires ou de plusieurs d'entre eux.

La société se pourvoit et le Conseil d’État casse pour erreur de droit l’arrêt d’appel car la notion de « parties communes » au sens et pour l’application de l’art. 231 ter précité du CGI est une notion juridique autonome, distincte de celle du droit de la copropriété. Elles doivent s’entendre en l’espèce comme « les surfaces affectées à l'usage ou à l'utilité de tous les occupants de ces locaux ou de plusieurs d'entre eux, alors même qu'elles seraient la propriété d'une seule et même personne ».

(27 mai 2020, Société Lor Matignon, n° 433004)

 

23 - Jeu Euro Millions - Bulletin trouvé sur la voie publique - Gain accidentel par suite d’une transaction entre la personne ayant trouvé le bulletin et celui l’ayant validé - Absence d’imposition au titre des bénéfices non commerciaux - Rejet.

L’affaire est peu banale.

Mme X. ayant trouvé sur la voie publique le reçu d'une combinaison gagnante de premier rang du jeu de hasard Euro Millions, s'est présentée à la Française des jeux qui l'a informée qu'elle ne verserait le gain de 163 millions d'euros qu'au vu d'un accord entre elle et le joueur ayant validé ce ticket. Par un protocole transactionnel conclu avec ce dernier, Mme X. a renoncé « à toute instance et action en revendication du gain » et a remis le reçu au joueur, en contrepartie d'une indemnité d'un montant de douze millions d'euros. Par la suite, M. et Mme X. ont été assujettis à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales ainsi qu'à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus à raison de l'imposition entre leurs mains de cette somme dans la catégorie des plus-values de cession de biens meubles, sur le fondement de l'article 150 UA du CGI.

Le tribunal administratif ayant fait droit à la demande des contribuables tendant à la décharge de ces diverses contributions, le ministre de l'action et des comptes publics a interjeté appel de ce jugement puis, par suite du rejet de celui-ci, il a saisi le Conseil d’État.

Ce dernier confirme l’arrêt d’appel.

D’une part, c’est sans erreur de droit ni de qualification juridique des faits que la cour  a estimé que - contrairement à la thèse du ministre -  la détention du reçu ne conférant aucun droit à son porteur lorsqu'il n'était pas le joueur et la Française des jeux en demeurant propriétaire en vertu du règlement de jeu de l'Euro Millions pris en application du décret du 9 novembre 1978 relatif à l'organisation et à l'exploitation des jeux de loterie, l'indemnité perçue par Mme X. ne constituait pas la contrepartie de la cession de ce reçu ou d'un droit relatif à celui-ci et que, par conséquent, cette somme ne pouvait être regardée comme une plus-value de cession taxable entre les mains de l'intéressée sur le fondement de l'article 150 UA du CGI.

D’autre part, c’est également sans erreur de droit ni de qualification juridique des faits que la cour a également estimé, contrairement à ce que soutenait le ministre, que la somme litigieuse, bien qu'elle rémunère, en application du protocole transactionnel conclu avec le joueur, un service consistant à lui restituer le reçu et à renoncer à toute action ultérieure en revendication du gain, ne pouvait être imposée dans la catégorie des bénéfices non commerciaux dès lors que le profit en cause était par nature insusceptible de se renouveler en raison de son caractère purement accidentel.

(27 mai 2020, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 434067)

 

24 - Bénéfices industriels et commerciaux - Société française détentrice de fonds de commerce situés aux États-Unis et donnés en location-gérance à une autre société les exploitant avec ses moyens propres - Notion de cession d’actif - Notion de détention d’un établissement stable aux États-Unis - Absence - Rejet.

La société Fromageries Bel, devenue société Bel, a acquis d’un groupe américain l’entier capital de la société Boursin, alors propriétaire de fonds de commerce de vente de ses propres produits aux États-Unis et au Canada et elle a ensuite procédé à sa liquidation sans dissolution, la transmission universelle de patrimoine qui en a résulté étant placée sous le régime de faveur de l'article 210 A du CGI. Cette opération a donné lieu au constat par la société Fromageries Bel d'un mali technique d'un montant de 185 millions d'euros, dont 62,7 millions correspondant aux fonds de commerce américains affectés non au bilan fiscal de l'exploitation française de cette société, mais à celui de sa succursale américaine.

L’administration fiscale a analysé l'affectation des fonds de commerce américains par la société Fromagerie Bel à sa succursale établie aux États-Unis comme une cession ayant pour effet d'entraîner la taxation en France entre les mains de cette société, au titre de l'exercice clos en 2008, de cette somme de 62,7 millions d'euros.

La société Bel a saisi le tribunal administratif, lequel a rejeté sa demande de décharge des impositions supplémentaires mises à sa charge par un avis de mise en recouvrement du 11 avril 2014. Ce jugement ayant été confirmé en appel, la société se pourvoit en cassation.

Rejetant le pourvoi, le Conseil d’État juge d’abord, au visa de l’art. 209 du CGI, qu’une société française propriétaire de fonds de commerce américains qu’elle donne en location-gérance à une autre société du même groupe, qui, elle-même, les sous-loue à une société américaine située aux États-Unis et qui les exploite avec ses propres moyens matériels, et non avec ceux de la société française propriétaire des fonds, n'exploite en réalité elle-même aucune entreprise aux États-Unis. Par suite, l’inscription, par la société demanderesse, au bilan fiscal d'une succursale établie aux États-Unis et dont les bénéfices ne sont pas pris en compte dans ses bases d'imposition, d’un élément d'actif jusqu'alors affecté à ses exploitations françaises, doit être regardée, pour l'établissement du résultat imposable en France de cette société, comme ayant les effets d'une cession d'élément d'actif.

Le Conseil d’État juge ensuite que cette société, qui ne détenait pas davantage d'établissement stable au sens des dispositions combinées des art. 5 et 7 de la convention fiscale franco-américaine du 31 août 1994 ne pouvait se prévaloir de ces dispositions pour prétendre échapper à l’imposition contestée.

C’est donc à bon droit que la cour administrative d’appel a évalué la plus-value imposable à 62,7 millions d'euros dès lors que la société avait expressément identifié pour ce montant la part correspondant, au sein du mali technique inscrit à son actif, aux fonds de commerce américains.

(27 mai 2020, Société anonyme Fromageries Bel devenue société Bel, n° 434412)

 

Droit social et action sociale

 

25 - Compétence du Conseil d’État en premier et dernier ressort - Contestation d’une décision de présidente de conseil départemental tendant à l’attribution d'allocations et de prestations destinées aux personnes en situation de handicap - Absence de compétence directe - Rejet.

(ord. réf. 20 mai 2020, Mme X. et M. Y., n° 440645) V. n° 12

 

26 - Covid-19 - Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) - Demande de prise de diverses mesures sanitaires - Rejet.

Les requérantes, agissant sur le fondement de l’art. L. 521-2 CJA, ont demandé en vain au juge des référés du tribunal administratif de Melun, d'enjoindre notamment à diverses autorités publiques, d’assurer le dépistage de tous les résidents, personnels et intervenants au sein d’un EHPAD donné ainsi que le regroupement des personnes contaminées et leur séparation efficace des populations non-contaminées en privilégiant, lorsqu'il est possible, le maintien dans l'établissement, ainsi que l'affectation à chaque groupe ainsi constitué d'un personnel dédié, enfin, l'accès sur place ou à l'hôpital à tous les soins que leur état de santé requiert, y compris de ventilation et d'oxygénothérapie. Elles saisissent le Conseil d’État par voie d’appel dirigé contre l’ordonnance de rejet.

La demande de tests de dépistage est rejetée car l’établissement public qui gère l'EHPAD a indiqué, sans être démenti par les requérantes, que la totalité des résidents de cet EHPAD a bénéficié d'un dépistage du Covid-19 à la date du 22 avril 2020, à l'exception de trois d'entre eux qui l'ont refusé, et que le dépistage des personnels devait être achevé le 6 mai.

Est également rejetée la demande d’une séparation stricte des personnes atteintes du Covid-19 et de celles qui ne le sont pas, avec un personnel dédié à chaque groupe de résidents, car le premier juge a relevé une impossibilité pratique insurmontable de la réaliser dans cet EHPAD et dit que le confinement en chambre y était appliqué pour éviter toute contamination supplémentaire. Les requérantes ne contestant ni cette impossibilité, ni l'existence de ce confinement, leurs conclusions, bien que maintenues en appel, ne pouvaient donc qu'être rejetées.

Enfin, dès lors qu’il résulte de l'instruction que cet EHPAD dispose de tous les moyens nécessaires en matière d'oxygénothérapie et qu’il n'est pas sérieusement contesté que les résidents peuvent avoir accès, lorsque leur état l'exige, à un établissement hospitalier apte à réaliser une ventilation invasive, les conclusions en ce sens ne peuvent qu'être également rejetées.

(ord. réf. 11 mai 2020, Mme X. et Mme Y., n° 440251)

 

27 - « Loi du pays » - Promotion et protection de l’emploi local - Communication préalable des emplois vacants - Procédure instituée en cas d’urgence - Absence d’atteinte à la possibilité d’embauches intérimaires - Rejet.

Le Conseil d’État ayant annulé les dispositions de l'article LP 1 de la « loi du pays » du 8 juillet 2019 relative à la promotion et à la protection de l'emploi local en raison de l’illégalité les affectant en tant qu'elles ne réservaient pas le cas des embauches réalisées dans l'urgence, l'assemblée de la Polynésie française a adopté une nouvelle « loi du pays » portant modification des alinéas 61 à 69 de l'article LP 1 précédemment annulés. La société Polynésie Intérim défère au Conseil d’État, sur le fondement des dispositions de l'article 176 de la loi organique du 27 février 2004, cette « loi du pays ».

L’assemblée de la Polynésie française a ainsi imposé aux employeurs de notifier au service chargé de l'emploi tout emploi vacant dans une activité soumise à une mesure de protection de l'emploi local. La « loi du pays » contestée, faisant suite à l’annulation prononcée par le Conseil d’État, a institué une procédure d'examen accélérée en cas de besoin urgent de recrutement. La société requérante critique les erreurs manifestes d‘appréciation dont seraient entachées tant la définition donnée par ces dispositions de la notion d’« urgence » que la délimitation qu’elles opèrent de leur champ d’application.

Sa requête est rejetée.

Tout d’abord, est jugée satisfaisante la définition de l'urgence comme « une situation imprévisible qui perturbe gravement le fonctionnement de l'entreprise et qui requiert une solution immédiate ».

Ensuite, en réservant le bénéfice de la procédure accélérée qu'elle institue aux « contrats à durée déterminée », la « loi du pays » contestée a uniquement entendu exclure du champ de cette procédure le recours à un contrat de travail à durée indéterminée. Elle autorise donc les recrutements urgents au moyen soit de la conclusion d'un contrat de travail à durée déterminée, soit du recours au travail temporaire. C’est donc à tort que la société requérante soutient que cette « loi du pays » aurait exclu du champ de la procédure accélérée les contrats conclus par les sociétés qui, comme elle-même, sont des sociétés de travail temporaire.

(28 mai 2020, Société Polynésie intérim, n° 437236)

 

28 - Logements sociaux - Procédure d’attribution - Non-présentation d’un dossier de demande d’attribution d’un logement social - Dommage en résultant - Action en réparation - Saisine d’une juridiction incompétente - Rejet.

Le requérant demandait, au bénéfice de l’art. L. 521-1 CJA, la suspension de l’exécution de la décision de la maire de Paris rejetant sa demande d'indemnisation du préjudice causé par le défaut allégué de présentation de son dossier aux commissions d'attribution des logements sociaux. Il sollicitait en outre qu’injonction soit faite à cette dernière de présenter sa demande, de lui attribuer un logement et de lui verser une provision de 100 000 euros à valoir sur les dommages et intérêts auxquels il estimait pouvoir prétendre.

Il est manifeste que de telles demandes ne ressortissent pas à la compétence du Conseil d’État en premier ressort.

Elles sont rejetées par application des dispositions de l’art. L. 522-3 CJA.

(ord. réf. 9 mai 2020, M. X., n° 440128)

 

29 - Mineur étranger devenu majeur - Admission exceptionnelle au séjour - Obtention de l’aide sociale à l’enfance entre seize et dix-huit ans - Etranger bénéficiaire d’un contrat d'apprentissage ou de professionnalisation à durée déterminée - Droit à la délivrance d’un récépissé l’autorisant à travailler - Suspension du refus de joindre à une autorisation de séjour une autorisation de travailler.

Un étranger mineur admis, entre seize et dix-huit ans, à l’aide sociale à l’enfance et disposant d’une proposition de contrat de travail à durée déterminée demandait la suspension de la décision préfectorale d’admission au séjour en tant qu’elle n’était pas accompagnée d’un récépissé l’autorisant à travailler.

Donnant raison au requérant, le juge apporte deux précisions importantes.

Tout d’abord, est énoncée une véritable directive de principe ainsi formulée : « (…) le préfet, saisi d'une demande d'admission exceptionnelle au séjour, sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour en France des étrangers et du droit d'asile, par un étranger admis à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize et l'âge de dix-huit ans, qui satisfait aux conditions de séjour définies par cet article et justifie qu'il dispose d'un contrat d'apprentissage ou de professionnalisation ou que la conclusion d'un tel contrat lui a été proposée, doit remettre au pétitionnaire un récépissé de demande de titre de séjour l'autorisant à travailler, en application des dispositions de l'article R. 311-6 du même code ». Il s’agit bien pour le préfet d’une obligation de délivrance.

Ensuite, est écartée en cette matière - contrairement à ce qui avait été jugé en première instance -, l’application des dispositions de la seconde phrase du deuxième alinéa de l'article L. 5221-5 du code du travail, selon lesquelles une autorisation de travail est accordée de droit aux mineurs isolés étrangers pris en charge par l'aide sociale à l'enfance, sous réserve de la présentation d'un contrat d'apprentissage ou de professionnalisation. En effet, cette disposition, régissant les seuls étrangers mineurs n’est donc pas applicable à un étranger devenu majeur. D’où la substitution de motif opérée ici.

(27 mai 2020, M. X., n° 436984)

 

30 - Transfert du contrat de travail d’un salarié d’une entreprise à une autre - Autorisation donnée par l’inspecteur du travail - Demande d’annulation - Requalification en recours en appréciation de légalité - Pourvoi en cassation - Erreur de droit - Appel devant être porté devant la cour administrative d’appel - Renvoi à celle-ci.

La société requérante avait saisi le tribunal administratif d’un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation de l’autorisation donnée par l’inspecteur du travail au transfert, en son sein, du contrat de travail d’un salarié d’une autre entreprise. Le tribunal a requalifié cette demande en un recours en appréciation de la légalité de la décision querellée qu’il a jugée illégale.

De tels jugements n’étant susceptibles que de pourvoi en cassation, le Conseil d’État a été saisi. Celui-ci estime cependant qu’en réalité le tribunal s’est trompé dans la qualification du recours dont il était saisi : celui-ci était bien un recours pour excès de pouvoir. Or, en cette matière, c’est un appel qui devait être formé et il devait être porté devant la cour administrative d’appel.

Le pourvoi est redirigé vers cette dernière en tant qu’appel.

(29 mai 2020, Société poitevine de restauration collective (SPRC), n° 420737)

 

31 - Accord collectif de travail - Application en cas de licenciement pour faute - Contrôle par le juge administratif de la légalité d’une décision de l’inspection du travail au regard de cet accord - Acte de droit privé conditionnant la légalité d’une décision administrative - Rejet.

L'art. 19 de la convention collective nationale du personnel au sol des entreprises de transport aérien dispose en matière e licenciement : « A l'issue de l'entretien préalable, toute proposition de licenciement pour faute constituant une infraction à la discipline, à l'exclusion du licenciement pour faute grave ou pour faute lourde justifiant une rupture immédiate du contrat de travail prononcée par l'employeur, est soumise pour avis à un conseil de discipline, lorsque l'intéressé en fait expressément la demande (...) ». Par ailleurs, selon l'art. L. 2411-5 du code du travail : « Le licenciement d'un délégué du personnel, titulaire ou suppléant, ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail ».

L’inspection du travail a autorisé le licenciement par son employeur, la société Vietnam Airlines JSC, de M. X., délégué du personnel et donc salarié protégé. Saisies par M. X., les juridictions administratives de première instance et d’appel ont annulé l’autorisation de licenciement tout comme le refus du ministre, sur recours hiérarchique, de revenir sur cette autorisation.

La société se pourvoit en cassation et elle est déboutée, le Conseil d’État estimant que c’est sans dénaturation des clauses de la convention collective en cause et sans erreur de droit que la cour a jugé, d’abord, que le licenciement pour faute d'un membre du personnel au sol d'une entreprise de transport aérien ne peut être entrepris sans que ce salarié ait été préalablement mis à même de demander dans le délai qu'elles fixent la saisine d'un conseil de discipline et, ensuite, que lorsqu'il s'agit d'un salarié protégé, ce licenciement doit être autorisé par l'administration du travail. Ces deux exigences sont, dans le cas d’un salarié protégé, cumulatives. La seule autorisation de licenciement n’était donc pas suffisante d’où son illégalité.

C’est là un exemple particulièrement net d’illégalité d’une décision administrative pour non-respect d’un acte de droit privé.

(29 mai 2020, Société Vietnam Airlines JSC, n° 418488)

 

32 - Covid-19 - Usage de fontaines à eau sur les lieux de travail - Interdiction ou recommandation de ne pas les utiliser - Préconisations fixées par des fiches-conseils du ministère du travail - Guides de recommandations établis par des organisations professionnelles - Demande de suspension - Rejet.

L'association requérante demandait principalement au juge des référés du Conseil d’État d'ordonner la suspension de l'exécution, d’une part, de dix-neuf fiches conseils établies par le ministère du travail pour la mise en œuvre des mesures de protection contre la maladie Covid-19 sur les lieux de travail et la continuité de l'activité économique, en tant qu'elles préconisent l'interdiction, la suppression ou la suspension des fontaines à eau et, d’autre part, de la décision de publier trois guides de recommandations établis par les branches professionnelles en tant qu'ils interdisent ou même déconseillent d'utiliser des fontaines à eau.

Sa requête est rejetée en ses deux branches.

Tout d’abord, si, à la date à laquelle elles ont été, pour la première fois, rendues publiques, de nombreuses fiches conseils métiers recommandaient aux employeurs de « supprimer », « condamner » ou « suspendre » l'usage des fontaines à eau pendant la pandémie de Covid-19, ces mentions ont été ensuite modifiées et sont désormais remplacées, à la date de la présente ordonnance, dans l'ensemble des fiches conseils métiers qui traitent de l'usage des fontaines à eau, par la recommandation : « Pendant la pandémie, suspendez de préférence l'utilisation des fontaines à eau au profit d'une distribution de bouteilles d'eau individuelles ». C’est donc la suspension de ces fiches conseils dans leur état actuel qui est seule demandée au juge. Elle est néanmoins rejetée eu égard à la gravité que peut avoir l'infection par le coronavirus Covid-19, aux incertitudes portant sur les modalités de sa contagion, notamment en milieu humide et aux risques particuliers de contamination induits par la présence simultanée de plusieurs salariés sur un même lieu de travail : aucun doute sérieux n’apparaissant, en l’état de l’instruction, de nature à entacher ces fiches d’illégalité.

Ensuite, s’agissant des dix guides de bonnes pratiques dont deux préconisent, pour la durée de la pandémie, la mise hors service ou l'interdiction d'accès à toute fontaine à eau et deux autres invitent à supprimer, dans la mesure du possible, le recours aux « fontaines à bec », ils résultent de travaux réalisés par les seules organisations professionnelles et syndicales qui en sont les  auteurs et les décisions de publication de ces guides sur le site du ministère du travail ont pour seul objet d'informer les employeurs et les salariés des branches concernées et ne comportent par elles-mêmes ou ne révèlent l’existence d’aucune décision d'approbation de leur contenu par l'administration.  N’ayant pas le caractère de décisions faisant grief, elles ne sauraient faire l'objet ni d'un recours pour excès de pouvoir ni, par suite, d'une demande en référé suspension.

(ord. réf. 29 mai 2020, Association française de l'industrie des fontaines à eau (AFIFAE), n° 440452)

 

33 - Covid-19 - Établissements sociaux et médico-sociaux - Facturation des services d'aide et d'accompagnement à domicile (SAAD) - Bénéficiaires de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) - Demande de versement direct de l’APA directement à ses bénéficiaires - Rejet.

Le requérant demandait que soit prononcée la suspension de l’exécution du premier alinéa du IV de l'ordonnance du 25 mars 2020 relative aux adaptations des règles d'organisation et de fonctionnement des établissements sociaux et médico-sociaux en tant qu’il prévoit qu'en cas de sous-activité ou de fermeture temporaire résultant de l'épidémie de Covid-19, le niveau de financement des établissements et services sociaux et médico-sociaux, au sens du code de l'action sociale et des familles, n'est pas modifié et que, pour la partie de financement des établissements et services sociaux et médico-sociaux qui ne relève pas de la dotation ou du forfait global, la facturation est établie à terme mensuel échu sur la base de l'activité qui aurait prévalu en l'absence de sous-activité ou de fermeture temporaire résultant de l'épidémie de Covid-19. Au soutien de sa requête le demandeur fait valoir que ces dispositions, en ce qu'elles ne prévoient pas de remplacer le versement de l'allocation personnalisée d'autonomie au service d'aide et d'accompagnement à domicile qui n'assure pas les heures de prestations prévues pendant l'épidémie de Covid-19 par un versement direct au bénéficiaire de cette allocation, afin que celui-ci puisse remplacer son prestataire, porte une atteinte grave et immédiate, d'une part, à ses intérêts financiers et aux intérêts économiques de YouTime, société, marque et application dont il est propriétaire et président et, d'autre part, aux intérêts et au respect de la dignité des bénéficiaires de l'allocation personnalisée d'autonomie. 

La requête est rejetée car son contenu ne met pas le juge du référé suspension en mesure de remplir son office. En effet, le requérant n'assortit sa demande d'aucun élément précis ni d'aucune pièce de nature à établir la consistance ou l'étendue des intérêts financiers ou économiques qu’il invoque, il n'étaye pas ses affirmations sur l'importance du nombre d'heures d'aide et d'accompagnement à domicile non réalisées par les services d'aide et d'accompagnement à domicile depuis le début de l'épidémie de Covid-19 et sur les effets produits à ce titre par les dispositions qu'il critique.

Par suite, n’est pas établie l’existence d’une atteinte suffisamment grave et immédiate pour caractériser une urgence justifiant que l'exécution en soit suspendue sans attendre le jugement de la requête au fond.

(ord. réf. 28 mai 2020, M. X., n° 440815)

 

Élections

 

34 à 37 - Covid-19 - Élections municipales 2020 - Organisation du second tour de scrutin - Dispositions des I, III et IV de l'article 19 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 - Droits et libertés garantis par la Constitution - Principe de sincérité du scrutin - Renvoi d’une QPC au Conseil constitutionnel.

L'article 19 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 comporte notamment les trois dispositions suivantes concernant les élections municipales et communautaires de mars 2020.

En son I, il décide que lorsqu’un second tour est nécessaire pour attribuer les sièges qui n'ont pas été pourvus, ce second tour est reporté au plus tard en juin 2020, en raison des circonstances exceptionnelles liées à l'épidémie de Covid-19. Sa date est fixée par décret en conseil des ministres, pris le mercredi 27 mai 2020 au plus tard si la situation sanitaire permet l'organisation des opérations électorales au regard, notamment, de l'analyse du comité de scientifiques. Il suit de là que les déclarations de candidature à ce second tour sont déposées au plus tard le mardi qui suit la publication du décret de convocation des électeurs.

Si la situation sanitaire ne permet pas l'organisation du second tour au plus tard au mois de juin 2020, les mandats en cours sont prolongés pour une durée fixée par la loi et les électeurs seront convoqués par décret pour les deux tours de scrutin, qui auront lieu dans les trente jours précédant l'achèvement des mandats ainsi prolongés.

La loi détermine aussi les modalités d'entrée en fonction des conseillers municipaux élus dès le premier tour dans les communes de moins de 1000 habitants pour lesquelles le conseil municipal n'a pas été élu au complet. Il y est encore précisé que dans tous les cas, l'élection régulière des conseillers élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020 reste acquise, conformément à l'article 3 de la Constitution.

En son III, le texte dispose que les conseillers élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020 entrent en fonction à une date fixée par décret au plus tard au mois de juin 2020, aussitôt que la situation sanitaire le permet au regard de l'analyse du comité de scientifiques.

Enfin, en son IV, il énonce que, par dérogation à l'article L. 227 du code électoral, d’une part, dans les communes pour lesquelles le conseil municipal a été élu au complet, les conseillers municipaux en exercice avant le premier tour conservent leur mandat jusqu'à l'entrée en fonction des conseillers municipaux élus au premier tour, leur mandat de conseiller communautaire étant, le cas échéant, également prorogé jusqu'à cette même date, et d’autre part,  que dans les communes, autres que celles-ci-dessus, pour lesquelles le conseil municipal n'a pas été élu au complet, les conseillers municipaux en exercice avant le premier tour conservent leur mandat jusqu'au second tour tout comme, le cas échéant, leur mandat de conseiller communautaire.

Les requérants, qui contestent le résultat des élections de La Brigue (Alpes-Maritimes) estiment que ces dispositions portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au principe de sincérité du scrutin.

Le Conseil d’État y aperçoit une question présentant un caractère sérieux et justifiant son renvoi au Conseil constitutionnel qui devra, semble-t-il, statuer bien avant l’expiration du délai organique de trois mois qui lui est normalement imparti.

(25 mai 2020, M. X. et autres, n° 440217)

(35) V. aussi, à propos d’une demande d’annulation du premier tour des élections municipales de Juvignac (Hérault), tenu le 15 mars 2020, le renvoi de la QPC décidé par le Conseil d’État motif pris de ce que si le Conseil constitutionnel a d’abord déclaré les dispositions contestées (art. L. 262 code électoral) conformes à la Constitution, dans leur rédaction applicable aux communes de 3500 habitants et plus, dans sa décision n° 82-146 DC du 18 novembre 1982, puis, postérieurement à la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République, qui a complété l'article 4 de la Constitution, s’est, par la décision n° 2013-667 DC du 16 mai 2013  également prononcé sur l'abaissement aux communes de 1000 habitants et plus du champ d'application de ces dispositions, le contexte inédit dans lequel s'est déroulé, sur l'ensemble du territoire national, le scrutin du 15 mars 2020, qui a conduit, en particulier, à l'adoption de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19, dont les articles 19 et 20 portent sur ce scrutin, doit être regardé comme caractérisant un changement des circonstances susceptible de justifier le réexamen de la conformité de l'article L. 262 du code électoral à la Constitution.

En particulier, le juge estime que soulève une question présentant un caractère sérieux le moyen tiré de ce que les dispositions du premier alinéa de cet article portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment aux articles 3 et 4 de la Constitution, en raison de l'absence d'exigence pour les communes concernées, pour procéder à la répartition des sièges dès le premier tour, que les suffrages recueillis par la liste arrivée en tête correspondent non seulement à la majorité absolue des suffrages exprimés mais aussi à une part minimale du nombre d'inscrits (25 mai 2020, Mme X., n° 440335).

(36) V. aussi, à propos des élections municipales du 15 mars 2020 mais dans un autre registre, l’immanquable rejet d’une requête, introduite le 13 mai 2020, qui demandait au juge des référés du Conseil d’État d’enjoindre au Premier ministre de ne pas prendre le décret devant, sur le fondement du III de l'article 19 de la loi du 23 mars 2020, fixer la date à laquelle les « conseillers municipaux et communautaires élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020 entrent en fonction » alors que le décret du 14 mai 2020 a fixé au 18 mai 2020 la date à laquelle les conseillers municipaux et communautaires élus dans les communes dans lesquelles le conseil municipal a été élu au complet lors du scrutin organisé le 15 mars 2020 entrent en fonction. Les conclusions de cette requête ne pouvaient être que rejetées, par application de la procédure expédiente de l'article L. 522-3 du CJA (ord. réf. 25 mai 2020, M.X., n° 440624).

(37) V. encore, à propos du rejet, comme étant devenu depuis sans objet, d’un recours en suspension de  l'exécution du décret n° 2020-571 du 14 mai 2020 définissant la date d'entrée en fonction des conseillers municipaux et communautaires élus dans les communes dont le conseil municipal a été entièrement renouvelé dès le premier tour des élections municipales et communautaires organisé le 15 mars 2020, d’une part, car il ne pouvait être procédé à l'installation des conseils municipaux élus au complet lors du premier tour des élections municipales en raison du caractère insincère de ce scrutin, comme en atteste le taux anormal de participation et, d’autre part, car - en tout état de cause -, le décret attaqué est illégal dès lors qu'il ne pouvait être procédé à l'installation des conseils municipaux dès le 18 mai 2020, et donc aux rassemblements des élus, sans méconnaître les exigences sanitaires de nature à éviter toute propagation du virus Covid-19 : ord. réf. 26 mai 2020, Association 50 millions d'électeurs et autres, n° 440652.

 

Environnement

 

38 et 39 - Covid-19 - Pesticides - Régime de l’épandage - Distances minimales - Dérogation temporaire - Projet de charte soumis à concertation publique - Absence d’urgence - Non-lieu à statuer pour le surplus.

Était demandée par les associations requérantes la suspension de l’exécution :

1° d’une instruction technique du 3 février 2020 permettant à certaines conditions des mesures de réduction des distances en matière d’épandage ;

2° d’un communiqué de presse du 30 mars 2020 relatif aux « Distances de sécurité pour les traitements phytopharmaceutiques à proximité des habitations », portant réduction des distances dès lors que la concertation aura été lancée et sans attendre sa validation, sous condition d’utilisation d’un matériel performant ;  

3° de la note « Éléments de mise en œuvre », dans sa version du 30 mars 2020, mise en ligne sur le site internet du ministère de l'agriculture, ayant un objet similaire à ceux des autres actes contestés.

Ces trois demandes de suspension sont rejetées chacune pour des motifs différents.

L’instruction technique du 3 février 2020 permet aux agriculteurs, à certaines conditions, lorsqu'un projet de charte d'engagements a été effectivement élaboré, d'appliquer les distances minimales réduites prévues par l'arrêté du 27 décembre 2019 à condition de respecter les mesures prévues par la charte, sans attendre l'approbation de la charte par le préfet. Cette application anticipée dérogatoire ne courant que jusqu'au 30 juin 2020, est justifiée par son auteur par l'omission dans le décret du 27 décembre 2019 comme dans l'arrêté du même jour, de tout dispositif transitoire alors que l'élaboration des chartes prendra plusieurs mois et que l'utilisation des pesticides est particulièrement importante pour les exploitations agricoles pendant la période du printemps. Pour nier qu’il y ait urgence en raison d’un risque imminent en l’espèce, le juge retient, d’une part, que les distances minimales en cause sont conformes aux préconisations de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail dans son avis du 4 juin 2019 au vu duquel a été pris l'arrêté, avis qui est fondé sur des calculs d'exposition des riverains aux produits en cause lorsqu'ils sont effectivement présents à leur domicile au moment de leur épandage, comme c'est particulièrement le cas dans la période actuelle où sévit le Covid-19, et d’autre part, que l’application du contenu du projet de charte sans attendre son approbation par le préfet, « n'a ni pour objet ni pour effet de priver les populations concernées de l'information à laquelle elles ont droit sur l'existence et le contenu d'un projet de charte ni du bénéfice d'une concertation effective avant l'approbation du projet de charte par le préfet ». 

S’agissant des deux autres demandes de suspension (communiqué de presse et note),  il résulte notamment des précisions apportées dans la « foire aux questions » mise en ligne le 13 mai sur le site internet du ministère de l'agriculture, dans sa version en date du 13 mai, que, avec la levée du confinement intervenue le 11 mai, « la concertation des chartes va pourvoir rependre » et que « dans ce cadre, les distances de sécurité pourront être réduites, conformément à l'arrêté du 27 décembre 2019 et à l'instruction technique du 3 février 2020, par l'engagement d'une concertation dans les conditions prévues par le code rural et de la pêche maritime ». Dès lors ne demeure plus en vigueur que la dérogation résultant de l'instruction précitée du 3 février 2020, qui ne permet de procéder à des épandages de pesticides à une distance de sécurité réduite qu'à condition de la faire conformément à un projet de charte pour lequel la concertation publique a été effectivement lancée.

Il n’y a donc plus lieu de statuer sur la demande de suspension de ces deux actes.

(ord. réf. 15 mai 2020, Association Générations Futures et autres, n° 440211)

(39) V. aussi, voisin (et réitérant les termes d’une précédente ordonnance du 14 février 2020, n° 437814  avec même requérant qu’au n° 38 ci-dessus), le rejet du recours tendant à la suspension  de l'exécution du décret du 27 décembre 2019 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques à proximité des zones d'habitation et ensemble, de l'arrêté du 27 décembre 2019, fondé sur une étude portant sur les effets de distance de l’épandage de pesticides sur des cultures horticoles aux Pays-Bas, le juge estimant que ses résultats - limités au cas très spécifique de l’horticulture -, tout comme une étude italienne également invoquée par les requérants, ne sont pas de nature à invalider l'avis rendu sur ce sujet par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail le 4 juin 2019 qui recommandait les distances minimales de sécurité que l'arrêté du 27 décembre 2019 a retenues : ord. réf. 15 mai 2020, Collectif des maires antipesticides, n° 440346.

 

État-civil et nationalité

 

40 - Etranger - Refus d’entrée sur le territoire français - Maintien en zone d’attente - Interrogations sur la nationalité de l’intéressée - Injonction de permettre son entrée en France dans l’attente d’une décision du juge civil sur sa nationalité -Confirmation.

La requérante, apparemment de nationalité comorienne, mais la chose n’est point établie, s’est vu notifier, à son arrivée à l’aéroport de La Réunion, deux décisions du ministre de l'intérieur portant refus d'entrée sur le territoire français et maintien en zone d'attente. Mère d’un enfant de nationalité française par son père se trouvant à La Réunion où résident également sa mère, son frère et sa sœur, elle a sollicité et obtenu du juge des référés du tribunal administratif la suspension des deux arrêtés attaqués. Le ministre de l’intérieur a, en vain, interjeté appel de cette ordonnance.

Le Conseil d’État juge satisfaite la condition d’urgence et estime qu’à raison de son très jeune âge (moins de quatre ans) son fils ne pourrait pas rejoindre sa mère seul. Les décisions litigieuses portent ainsi une atteinte manifestement grave et illégale au droit de l’intéressée au respect de sa vie privée et familiale en l'empêchant de rejoindre son fils pour repartir sans délai avec lui à Mayotte, en l'absence d'un droit au séjour de l'intéressée à La Réunion.

(ord réf. 13 mai 2020, Ministre de l’intérieur, n° 439118)

 

Fonction publique et agents publics

 

41 à 44 - Covid- 19 - Fonctionnaires et agents publics - État d’urgence sanitaire - Personnels en autorisation spéciale d’absence - Prise obligatoire de jours de réduction de temps de travail (RTT) ou de congés annuels - Ordonnance du 15 avril 2020 - Rejet.

L’ordonnance n° 2020-430 du 15 avril 2020 (relative à la prise de jours de réduction du temps de travail ou de congés dans la fonction publique de l'État et la fonction publique territoriale au titre de la période d'urgence sanitaire), dans son article 1er, fait obligation en particulier aux fonctionnaires, agents contractuels de droit public et personnels ouvriers de l'État en autorisation spéciale d'absence entre le 16 mars 2020 et le terme de l'état d'urgence sanitaire ou, si elle est antérieure, la date de reprise par l'agent de son service dans des conditions normales, de prendre dix jours de réduction du temps de travail ou de congés annuels au cours de cette période, selon des conditions qu’il précise.

L'article 2 de l’ordonnance permet en outre au chef de service d'imposer aux personnels appartenant à ces catégories mais étant en télétravail ou assimilé entre le 17 avril 2020 et le terme de l'état d'urgence sanitaire ou, si elle est antérieure, la date de reprise de l'agent dans des conditions normales, de prendre cinq jours de réduction du temps de travail ou, à défaut, de congés annuels au cours de cette période.

Enfin, l'article 5 donne également au chef de service la possibilité de réduire le nombre de jours de réduction de temps de travail ou de congés annuels imposés en particulier au titre des articles 1er et 2 pour tenir compte du nombre de jours pendant lesquels l'agent a été placé en congés de maladie pendant la période considérée.

Les divers syndicats requérants demandent au juge des référés du Conseil d’État la suspension de l’exécution de ces dispositions.

Les requêtes jointes sont rejetées selon un raisonnement en trois points.

En premier lieu, les dispositions contestées ne contreviennent pas à la hiérarchie des normes applicables en l’espèce : atteintes droit au repos et aux loisirs garanti par le onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, au droit au respect des biens garanti par l'article 1er du protocole additionnel à la CEDH, au paragraphe 2 de l'article 31 de la charte des droits fondamentaux de l’UE qui reconnaît le droit de tout travailleur à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu'à une période annuelle de congés payés, à l'article 7 de la directive 2003/88 du 4 novembre 2003 du Parlement européen et du Conseil concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail qui prévoit que tout travailleur bénéficie d'un congé annuel payé d'au moins quatre semaines ainsi qu'en tout état de cause à l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État qui institue un droit à congé annuel avec traitement dont la durée est fixée par décret en Conseil d’État. Il en va de même du moyen tiré de ce que ces dispositions porteraient atteinte à la liberté personnelle des agents publics.

En deuxième lieu, la distinction opérée par l’ordonnance entre trois catégories d’agents : ceux qui sont dans l'impossibilité d'effectuer leur service, placés à ce titre en autorisation spéciale d'absence en raison de l'épidémie et qui relèvent de ce fait des obligations définies à l'article 1er, ceux qui effectuent un service « en télétravail ou assimilé » et dont, en vertu de l'article 2, l'obligation de prendre des jours de réduction du temps de travail ou de congés, limitée à cinq jours, dépend en outre des nécessités du service appréciées, au cas par cas, par l'autorité compétente et enfin les autres agents, qui ne sont soumis à aucune des obligations prévues à ces articles, n’institue que des différences de traitement entre différentes catégories d'agents correspondant à des différences de situation en rapport avec l'objet de la règle. Pas davantage ne se perçoit au travers de ces dispositions une discrimination indirecte envers les femmes, qui auraient majoritairement renoncé au télétravail ou à un service sur leur lieu de travail afin de s'occuper d'enfants privés d'école. Ces diverses mesures sont suscitées par l’épidémie seule et la nécessité de la combattre.

Enfin, il est constant, tout d’abord, qu’à l'instar d'une grande partie de la population, de nombreux agents publics ont été, à compter du 16 mars 2020, dans l'impossibilité de travailler et, de ce fait, ont bénéficié d'une situation statutaire d'autorisation spéciale d'absence avec rémunération sans obligation de service, et ensuite que les mesures adoptées visent à permettre une mobilisation optimale des agents au moment de la reprise d'activité. Il n’y a pas, là non plus, d’atteinte au principe de juridicité gouvernant les décisions de l’administration.

(ord. réf. 12 mai 2020, Syndicat national Solidaires Finances publiques, n° 440285 ; Confédération générale du travail (CGT), la fédération des services publics - CGT et l'union fédérale des syndicats de l'État - CGT, n° 440291 ; Fédération CFDT des Finances et autres, n° 440325, jonction)

(42) V. aussi, rejetant un recours fondé notamment sur ce que l'ordonnance précitée du 15 avril 2020 permettrait de placer d'office les agents en congés annuels à des dates fixées unilatéralement ce qui porterait une atteinte grave et manifestement illégale au droit aux congés annuels payés faute de la consultation préalable du conseil commun de la fonction publique et d’une habilitation du gouvernement par le législateur à fixer des règles relatives aux congés des agents publics : ord. réf. 12 mai 2020, Syndicat UATS-UNSA, n° 440252.

(43) V. également, rejetant le recours dirigé contre l'article 13 de l’ordonnance dispensant, sous condition, les projets de textes réglementaires de toute consultation préalable obligatoire prévue par une disposition législative ou réglementaire, à l'exception de celles du Conseil d’État et des autorités saisies pour avis conforme, au double motif que la dispense en cause trouve son fondement non dans les dispositions contestées mais dans les dispositions du II de l'article 11 de la loi du 23 mars 2020, et que, de toute façon, cette dispense est sans incidence sur le droit aux congés des agents relevant du champ d'application de l'ordonnance du 15 avril 2020 : ord. réf. 12 mai 2020, Confédération générale du travail - CGT et autres, n° 440419.

(44) Voir encore le rejet d’un recours dirigé contre ces mêmes dispositions et fondé sur le défaut de consultation du conseil commun de la fonction publique, la méconnaissance du droit au respect de la vie privée, du droit au repos et aux loisirs ainsi que du principe d'égalité. : ord. réf. 19 mai 2020, Fédération des personnels des services publics et des services de santé Force ouvrière, n° 440459.

 

45 - Covid-19 - Fonctionnaires et agents publics des directions interdépartementales des routes et d'autres services publics placés sous la tutelle du ministère de la transition écologique - Demande de définition des activités essentielles à la vie de la nation - Plans de continuité d'activité en temps d’épidémie - Documents uniques d'évaluation des risques professionnels - Demandes d’harmonisation et d’actualisation sur l’ensemble du territoire - Rejet.

Des organisations syndicales demandaient, outre la fourniture de masques adéquats aux agents concernés, que soit élaborée une définition précise de la notion d’activités essentielles à la vie de la nation et, en conséquence, l’harmonisation et l’actualisation des plans de continuité d'activité en temps d’épidémie ainsi que, subsidiairement, l’actualisation des documents uniques d'évaluation des risques professionnels. 

Le juge du référé liberté du Conseil d’État rejette leur requête sur chacun des deux chefs principaux de demandes.

Tout d’abord, il est répondu que quelle que puisse être l'étendue de l'appui qui lui est apporté par le plan de continuité d'activité, chaque chef de service conserve la charge de veiller à la sécurité et à la protection de la santé des agents placés sous son autorité. Ainsi, la circonstance que la crise sanitaire en cours aurait révélé un besoin d'harmonisation et d'actualisation des plans de continuité mis en œuvre à cette occasion ne saurait caractériser aucune carence de l'administration portant une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie des agents.

Ensuite, s’agissant des documents uniques d'évaluation des risques professionnels, il résulte des dispositions des art. L. 4121-1 et L. 4121-3 ainsi que de celles des art. R. 4121-1, 4121-2 et 4121-4 du code du travail que le virus SARS-CoV2, alors même qu'il n'a pas à ce jour été ajouté à la liste des agents biologiques pathogènes établie en application de l'article R. 4421-4 du code du travail, figurant au sein des dispositions du code du travail relatives à la prévention des risques biologiques, est susceptible d'être ainsi qualifié, au même titre que d'autres coronavirus mentionnés sur cette liste, et qu'en tout état de cause, son apparition peut, eu égard à son caractère pathogène et particulièrement contagieux, être regardée comme correspondant au recueil d'une information supplémentaire intéressant l'évaluation d'un risque dans une unité de travail, imposant dès lors la mise à jour du document unique. Si, cependant, cette mise à jour,  bien qu'engagée, n'est pas à ce jour achevée, compte tenu de la procédure lourde qu'elle comporte, il résulte de l'instruction que le ministre a néanmoins mis en œuvre son obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale à l'égard des agents, notamment concernant ses obligations de prévention, d'information et d'adaptation de l'organisation, en leur diffusant des consignes sanitaires, conformes aux mesures nationales et au protocole émis par le ministère du travail, et en les transmettant au comité ministériel d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. La circonstance que la mise à jour des documents uniques est déjà engagée mais pas encore achevée pour certains d'entre eux ne dispense nullement le ministère de mettre en œuvre les obligations de prévention, d'information et de formation, ainsi que d'organisation et de déploiement des moyens adaptés qui sont les siennes. Or, faute de défaillance de sa part constatée sur ce point, il ne saurait découler de cette situation une carence de l'administration portant une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie des agents.

(ord. réf. 18 mai 2020, Fédération de l'équipement, de l'environnement, des transports et des services - Force ouvrière (FEETS - FO) et autres, n° 440358)

 

46 - Militaire - Demande d’annulation d’une décision administrative par voie de référé liberté - Non-versement de sa solde - Demande de congé de longue durée - Invocation d‘une situation de harcèlement - Rejet de l’appel.

Le juge des référés du Conseil d’État était saisi d’un appel dirigé contre le rejet, par le tribunal administratif de Toulon d’une demande en référé liberté que lui avait transmise la présidente de la CAA de Marseille.

La partie du recours tendant à l'annulation de la décision par laquelle le paiement de sa solde a été suspendue et à la restitution des sommes qui, du fait de l'intervention de cette décision, ne lui ont pas été versées du 22 janvier au 30 avril 2020, avait été rejetée par le premier juge comme ne relevant pas de son office. Ce rejet et ce raisonnement sont confirmés en appel, le juge du référé liberté, comme tout autre juge de référé, demeure un juge du provisoire (cf. les termes dont use l’art. L. 511-1 CJA).

La partie du recours tendant, à la fois, à la suspension de l'exécution de la décision interrompant le versement de la solde du requérant, au réexamen de sa demande de congé de maladie de longue durée et à ce qu’il soit mis fin à la situation de harcèlement moral dont il se prévaut, avait été rejetée par le premier juge des référés pour défaut d'urgence, absence d'identification claire des mesures de nature à mettre fin au harcèlement moral, harcèlement qu’il jugeait non établi. Le juge d’appel confirme cette ordonnance. Il estime, d’une part, que l’invocation par le requérant du droit à mener une vie familiale normale, des charges qui seraient les siennes chaque mois, mais qu’il n’établit pas, et du montant du solde débiteur de son compte bancaire à la date du 21 avril 2020, sans fournir d'autre justificatif des difficultés financières qu'il allègue, et d'autre part, que la circonstance que le harcèlement moral dont il fait état durerait depuis plusieurs années et a déjà donné lieu à diverses procédures contentieuses ne permettent pas  de juger que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif a considéré qu'il ne justifiait pas de l'urgence qu'il y aurait à prendre les mesures qu'il demande.

(ord. réf. 18 mai 2020, M.X., n° 440538)

 

47 - Covid-19 - Fonction publique hospitalière - Heures supplémentaires - Autorisation donnée aux établissements hospitaliers de déplafonner les heures supplémentaires autorisées - Mesure d’organisation du service - Compétence du Conseil d’État en premier et dernier ressort - Rejet.

(ord. réf. 26 mai 2020, Syndicat CGT de l'hôpital Beaujon AP-HP, n° 439209) V. n° 3

 

48 - Fonctionnaire de police - Fonctionnaire en poste à Marseille - Candidature à un emploi au sein de la police municipale de Bordeaux - Controverse juridique entre administrations d’État et locale sur les conditions du recrutement - Procédure de recrutement suspendue ou abandonnée - Absence d’atteinte à une liberté fondamentale - Rejet du référé liberté.

Le requérant, fonctionnaire de la police nationale à Marseille, a suivi une procédure qui devait normalement conduire à son recrutement dans la police municipale à Bordeaux. Celle-ci est interrompue par suite d’une divergence d’interprétation des textes applicables (notamment sur l’art. L. 511-2 code de la sécurité intérieure). La direction générale de la police nationale conditionnait le détachement de l’intéressé à son agrément préalable par le préfet et par le procureur de la République, la commune estimait, pour sa part, que le détachement devait être prononcé avant qu'elle puisse procéder à la demande d'agrément, puis à la nomination du demandeur dans l'emploi qui lui était destiné.

L’intéressé saisit, en vain, le juge du référé liberté tant en première instance qu’en appel. En effet, dès lors qu’il n’est pas privé de son emploi au sein de la police nationale et que sa famille peut le rejoindre à Marseille, aucune atteinte n’est portée à une liberté fondamentale dont il pourrait se prévaloir, ainsi que l’a pertinemment jugé le premier juge des référés.

(ord. réf. 25 mai 2020, M. X., n° 440707)

 

49 - Enseignant de l’enseignement supérieur - Recrutement - Respect du principe d’impartialité - Recrutement dans le cadre de compétences communes à un très petit nombre de spécialistes - Avis défavorable, pour défaut d‘impartialité, du conseil d‘administration d’une université à une liste de candidats à un emploi établie par un conseil académique - Annulation.

La requérante obtient l’annulation de l’avis défavorable émis par le conseil d’administration de l’université de Bordeaux, pour cause de défaut d‘impartialité, au classement des candidats établi par le conseil académique compétent et dans lequel elle figurait au titre d’un emploi de professeur des universités à pourvoir en histoire du droit.

Le Conseil d’État retient le faible nombre de spécialistes de la discipline pour estimer que n’est pas établi en l’espèce le défaut d’impartialité allégué par le conseil d’administration de l’université, à savoir que la requérante « et les membres du comité de sélection ont participé ensemble, à plusieurs reprises, à divers colloques ou journées d'étude consacrés à l'histoire du droit, que plusieurs des membres du comité de sélection étaient membres du comité de rédaction d'une revue relative à l'histoire du droit dont Mme X. est la rédactrice en chef ou avaient publié avec elle des contributions dans différents ouvrages et que Mme X. a également publié une contribution dans un ouvrage dont la publication était dirigée par un membre du comité de sélection. Par ailleurs, il est soutenu que Mme X. aurait figuré sur la même liste de membres élus au Conseil national des universités que deux membres du comité de sélection. Les liens résultant de ces relations professionnelles entre Mme X. et les membres du comité de sélection, dans une discipline qui compte peu de spécialistes, ne pouvaient à eux seuls, dans les circonstances de l'espèce, être regardés comme révélant une collaboration scientifique dont l'étroitesse aurait fait obstacle à ce que ces membres participent régulièrement au comité de sélection pour se prononcer sur les mérites de la candidature de Mme X. »

La délibération attaquée est annulée en ce qu’elle est fondée sur une erreur d’appréciation.

On ne peut se défaire d’un certain sentiment mitigé devant un dossier qui, comme beaucoup d’autres en matière de recrutements universitaires, est susceptible d’interprétations passablement divergentes.

(29 mai 2020, Mme X., n° 424367)

 

50 - Adjointe territoriale du patrimoine - Refus de promotion dans le cadre d'emplois des assistants territoriaux de conservation du patrimoine - Allégation de discrimination pour motif d’appartenance et d’activités syndicales - Analyse du juge - Rejet.

Il s’agit ici d‘une affaire délicate où une fonctionnaire territoriale qui n’a pas fait l’objet de la promotion interne qu’elle sollicite depuis une vingtaine d’années veut faire dire par le juge qu’elle est victime d’une discrimination à raison de ses fonctions de secrétaire syndicale. Après rejet par le tribunal administratif de la demande d’annulation présentée par l’intéressée puis cassation de ce jugement et réitération par les premiers juges de la solution contenue dans leur précédent jugement, le Conseil d’État casse à nouveau, pour vice de procédure, ce second jugement ; il se trouve donc conduit à statuer définitivement sur le fond du litige (cf. art. L. 821-2 CJA).

Sa décision est intéressante en ce qu’elle illustre le degré de finesse dans l’analyse de ces toujours délicates affaires de discrimination où la preuve, tout en jouant un rôle capital est en même temps aussi difficile à rapporter par le demandeur que l’est la « non-preuve » par le défendeur. D’où une solution balancée du juge qui impose à chacune des deux parties d’établir, chacune pour sa part, qu’elle a subi une discrimination ou qu’elle n’a rien fait en ce sens.

Le juge détaille ici longuement les indices en faveur de l’existence d’une discrimination puis, de façon tout aussi détaillée, les arguments de défense de l’administration pour repousser les apparences de discrimination. Nous avouerons être dubitatifs au terme de cette analyse.

Au total, la requérante est déboutée.

(29 mai 2020, Mme X., n° 422294)

 

Libertés fondamentales

51 - Covid-19 - Liberté d’aller et de venir - Détermination du moyen de transport utilisé - Licéité de l’usage de la bicyclette - Absence d’interdiction en droit - Rejet.

Usant de la procédure de l’art. L. 521-1 CJA, le requérant demandait la suspension de  l'exécution de la décision d'interdire aux adultes d'utiliser une bicyclette pour les déplacements prévus au 5° du I de l'article 3 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19, révélée par la publication, sur le site internet du gouvernement, de la réponse à une question intitulée « Puis-je continuer de faire une sortie en vélo ? ».

Comme il l’avait déjà indiqué dans une précédente décision (ord. réf. 30 avril 2020, Fédération française des usagers de la bicyclette, n° 440179 ; cf. notre chronique d’avril 2020 au n° 44), le juge rappelle que l'usage, pour un déplacement qu'autorise la disposition précitée, d'un moyen de déplacement particulier, notamment d'une bicyclette, ne saurait, à lui seul, caractériser une violation de l'interdiction qu'elle édicte.

Constatant ensuite, qu’il résulte de l'instruction que le gouvernement a adopté sur son site, à la date où est rendue la présente ordonnance, une position strictement conforme au principe susrappelé, il juge que désormais devenues sans objet, les conclusions de la requête ne peuvent qu’être rejetées.

En réalité, le contenu du site du gouvernement était bien, au moment où le requérant a introduit sa demande (20 et 25 avril 2020), celui qu’il décrit dans son recours, cependant, en cours d’instance, exécutant la décision précitée du Conseil d’État, le premier ministre a modifié ce contenu conformément à ce que le juge lui avait enjoint.

(ord. réf. 4 mai 2020, M. X., n° 440173) V. aussi cette Chronique, avril 2020, n° 44

 

52 - Covid-19 - Principe de neutralité de l’action publique - Labellisation d'articles de presse sur un site officiel du gouvernement - Ingérence dans plusieurs libertés fondamentales dont celle de la presse - Rejet.

(ord. réf. 8 mai 2020, Syndicat national des journalistes, n° 440388) V. n° 1

 

53 - Covid-19 - Liberté fondamentale d’aller et de venir - Liberté personnelle de déplacement - Liberté de circulation dans l’Union européenne - Limitation de cette liberté à un rayon de cent kilomètres - Différence de traitement entre nationaux et ressortissants étrangers - Caractère prétendument aléatoire des décisions susceptibles d’être prises - Rejet.

Le requérant sollicitait du juge des référés qu’il ordonne au premier ministre la suspension de l'exécution de l'article 3 du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire ou sa mise en conformité avec la directive 2004/38/CE du 29/04/2004.

Le recours est rejeté.

Le juge estime tout d’abord que l’art. 3 litigieux ne viole pas le droit fondamental à la liberté de circulation dans l'Union européenne tel qu'il est notamment garanti par l'article 45 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la directive 2004/38/CE du 29 avril 2004, du fait que, notamment, il interdit aux Français situés à plus de 100 km d'un aéroport international ou d'une frontière de sortir de France pour se rendre dans un autre État membre car si ces dispositions restreignent la liberté personnelle de circulation, elles n'ont pas pour objet, ni d'ailleurs pour effet, d'empêcher l'accès à tout aéroport (cf. l’art. 5 du même texte), cet article 3 n'a pas davantage pour objet, par lui-même, de réglementer ou d'interdire la sortie du territoire national, ni de restreindre le droit de circulation des citoyens de l'Union désireux de se rendre dans un autre État membre.

Pas davantage la disposition critiquée n’introduit par elle-même des différences entre personnes situées dans les mêmes conditions de résidence : elle ne crée donc pas par voie de conséquence une rupture d'égalité devant la loi, en particulier la loi pénale. Quant à l’argument selon lequel ces dispositions autoriseraient l'intervention de « mesures aléatoires » compte tenu du pouvoir d'appréciation laissé aux préfets de département et du classement des départements en zone rouge ou verte par l'annexe 2 au décret en litige, il est également rejeté : le préfet peut adopter des conditions de déplacement plus restrictives à l'intérieur d'un département lorsque les circonstances locales l'exigent, ces mesures plus restrictives ne sont pas « aléatoires ». Au reste, il est toujours possible d’en saisir la juridiction administrative.

Également, il ne ressort ni des dispositions de l'article 3 qui s'appliquent à tous les départements sans distinction, ni des allégations du requérant que les Français situés dans les départements classés en zone rouge en vertu de l'annexe 2 au décret seraient plus exposés aux sanctions pénales, en particulier celles prévues à l'article L. 3136-1 du code de la santé publique, que les Français résidant dans les départements classés en zone verte compte tenu des restrictions de déplacement prévues.

Enfin, il ne saurait être soutenu que l'article 3 introduirait une rupture d'égalité entre les Français et les étrangers dès lors que ces derniers entrant sur le territoire national pourraient circuler sans restriction tandis que les Français souhaitant sortir du territoire national ne pourraient le faire sans se prévaloir d'un des motifs énoncés à cet article et seraient les seuls à subir les sanctions pénales en cas de manquement aux interdictions ou obligations édictées par l'article 3 du décret. Une telle distinction entre Français et étrangers ne ressort pas des dispositions de l'article 3 contesté, ni d'ailleurs des autres dispositions du décret, dès lors que les règles énoncées à cet article s'appliquent à toute personne cherchant à se déplacer de « son lieu de résidence » situé dans un des départements.

Le juge ajoute, pour faire bonne mesure et l’on sera plus dubitatif sur ce point, qu’« un étranger entrant sur le territoire national et cherchant à rejoindre un lieu de résidence situé dans un département se trouve placé dans une situation différente (de) celle d'une personne déjà installée en France et se déplaçant depuis son lieu de résidence.

(ord. réf. 25 mai 2020, M. X., n° 440565)

 

54 - Covid-19 - Cas de la Guadeloupe - Mise en quarantaine des personnes arrivant sur ce territoire insulaire - Quarantaine dans un lieu dédié - Atteintes à des libertés fondamentales - Atteintes proportionnées et justifiées - Rejet.

L’organisation requérante demandait en appel l’annulation du rejet par le juge des référés de première instance de sa demande de suspension de l'exécution de l'arrêté par lequel le préfet de la Guadeloupe a décidé le placement en « quarantaine » stricte, pour une durée de quatorze jours, des personnes entrant en Guadeloupe en provenance de Paris, de Fort-de-France et de Cayenne, hors cas de transit, dans une structure d'hébergement hôtelière. 

Le juge rappelle que les mesures que les autorités compétentes prennent pour prévenir ou limiter les effets de l'épidémie de Covid-19, si elles peuvent limiter l'exercice des droits et libertés fondamentaux, c’est à la condition qu’elles soient nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif de sauvegarde de la santé publique qu'elles poursuivent.

Le juge vérifie d’abord le caractère nécessaire de la mesure attaquée. Il note que 52 % des cas confirmés de contamination par le virus sont liés à des arrivées de personnes venant de l'extérieur de la Guadeloupe et que le confinement de ces arrivants est une alternative au confinement généralisé du fait de l’insularité. La mesure lui apparaît nécessaire.

Concernant son caractère adapté et proportionné, dans la mesure où le confinement dans domicile, mesure existant jusqu’alors, n’était qu’imparfaitement respecté, le juge estime que la quarantaine de quatorze jours en un lieu assigné satisfait cette double exigence.

Enfin, d’une part, la dispense de cette mesure au profit des personnels sanitaire et de l’État arrivant sur l’île ne semble pas excessive au regard de l’objectif à atteindre et, d’autre part, il est constant que les personnes sous quarantaine ont un accès normal aux soins, en cas de nécessité, comme au juge.

La requête est rejetée.

(5 mai 2020, Ordre des avocats au barreau de la Guadeloupe, de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, n° 440288)

 

55 - Covid-19 - Contrôle du respect des règles de confinement - Utilisation de drones par la préfecture de police de Paris - Capture et utilisation d’images - Recueil de données à caractère personnel - Respect de la vie privée - Annulation de l’ordonnance de rejet.

(ord. réf. 18 mai 2020, Association " La Quadrature du Net ", n° 440442 ; Ligue des droits de l’homme, n° 440445, jonction) V. n° 72

 

56 - Covid-19 - Prolongation de la durée légale de la détention provisoire - Atteintes à diverses libertés fondamentales - Absence de rétroactivité de l’acte attaqué - Prorogation des délais de détention provisoire - Rejet.

Le requérant, actuellement en détention provisoire, demande la suspension, sur le fondement de l’art. L. 521-1 CJA (référé suspension), d’une part, de l'exécution de l'article 16 de l'ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi d’habilitation du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19, et, d’autre part,  de l'exécution de la circulaire du 26 mars 2020 (direction des affaires criminelles et des grâces) présentant les dispositions de l’art. 16 précité. 

Sa requête est rejetée pour un triple motif.

D’abord, l’ordonnance est conforme aux termes du d) du 2° du I de l'article 11 de la loi d’habilitation du 23 mars 2020 en ce qu’elle permet la prolongation de ces mesures au vu des seules réquisitions écrites du parquet et des observations écrites de la personne intéressée et de son avocat.

Ensuite, l’ordonnance s'est bornée à allonger les délais de détention provisoire en matière correctionnelle et criminelle sans apporter d'autre modification aux règles du code de procédure pénale qui régissent le placement et le maintien en détention provisoire. Elle a, en outre, précisé que ces prolongations ne s'appliquent qu'une seule fois au cours de chaque procédure et rappelé qu'elles s'entendent sans préjudice de la possibilité pour la juridiction compétente d'ordonner à tout moment, d'office, sur demande du ministère public ou sur demande de l'intéressé, la mainlevée de la mesure.

Enfin, l’ordonnance s'appliquant à des détentions provisoires en cours ou débutant à la date de sa publication, elle est dépourvue de portée rétroactive.

Par suite, n’existe pas de doute sérieux quant à la légalité de l’art. 16 de l’ordonnance attaquée tant au regard du droit à la sûreté garanti par les articles 2 de la Déclaration de 1789, 5 de la CEDH et 6 de la Charte des droits fondamentaux de l'UE et qu’à celui du principe de sécurité juridique ou encore au regard du moyen tiré de la méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice ; pas davantage, cet article  ne viole l'interdiction de soumettre quiconque à des traitements inhumains ou dégradants. 

Pour ce qui est de la circulaire, se bornant à expliciter l’ordonnance et à en décrire les conséquences nécessaires, il n’existe pas davantage de doute sérieux sur sa légalité par rapport à l'article 16 de l'ordonnance du 25 mars 2020, au droit à la sûreté et au droit au respect de la présomption d'innocence, garanti notamment par l'article 48 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE et par la directive du 9 mars 2016.

On comparera cette décision avec la solution inverse retenue par la chambre criminelle de la Cour de cassation qui voit dans ces dispositions matière à QPC (arrêts n° 974, X. c/ Proc. gén. près la Cour de Paris, - n° 20-81.910 -   et n°977, X. c/ Proc. gén. près la Cour de Grenoble, - n° 20-81.971 - du 26 mai 2020) et qui écrit, concernant l’art. 16 querellé par rapport aux exigences de l’art. 5 de la Convention EDH :

 « 38. D’une part, l’article 16 maintient, de par le seul effet de la loi et sans décision judiciaire, des personnes en détention, au delà de la durée du terme fixé dans le mandat de dépôt ou l’ordonnance de prolongation, retirant ainsi à la juridiction compétente le pouvoir d’apprécier, dans tous les cas, s’il y avait lieu d’ordonner la mise en liberté de la personne détenue. 

39. D’autre part, ce même texte conduit à différer, à l’égard de tous les détenus, l’examen systématique, par la juridiction compétente, de la nécessité du maintien en détention et du caractère raisonnable de la durée de celle-ci.

40. Or, l’exigence conventionnelle d’un contrôle effectif de la détention provisoire ne peut être abandonnée à la seule initiative de la personne détenue ni à la possibilité pour la juridiction compétente d’ordonner, à tout moment, d’office ou sur demande du ministère public, la mainlevée de la mesure de détention. »

(ord. réf. 6 mai 2020, M. X., n° 440166)

 

57 et 58 - Covid-19 - Liberté des cultes - Célébration publique du culte - Demande d’annulation de dispositions désormais abrogées - Non-lieu à statuer.

Il était demandé au juge, d’une part, d’annuler ou d’enjoindre au premier ministre d’abroger le IV de l'article 8 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire et d’autre part, d’annuler ou d'enjoindre au premier ministre d'abroger le III de l'article 8 du décret n° 2020-545 du 11 mai 2020, d'autoriser le culte public en édictant les actes réglementaires, circulaires et lignes directrices nécessaires à cet effet, et ce sur l'ensemble du territoire national.

La requête est rejetée car les dispositions contestées ayant été abrogées, respectivement par les décrets n° 2020-545 et n° 2020-548 du 11 mai 2020, leur objet a disparu ; il n’y a donc plus lieu de statuer sur ces demandes.

(ord. réf. 18 mai 2020, Association Civitas, n° 440361 ; Association Civitas, n° 440511, deux espèces, jonction)

(58) Dans le même sens : ord. réf. 18 mai 2020, Association cultuelle Fraternité sacerdotale Saint-Pierre et autres, n° 440519 ; ord. réf. 18 mai 2020, Association Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l'identité française et chrétienne (AGRIF) et autres, n° 440512

 

59 à 63 - Covid-19 - Liberté des cultes - Liberté fondamentale - Célébration publique du culte - Composante de la liberté de culte - Étendue en période d’épidémie - Conciliation entre liberté et protection de la santé publique - Injonction au premier ministre.

Les associations et personnes requérantes, dont les huit requêtes sont jointes, contestaient les modalités retenues par le gouvernement selon lesquelles peuvent être organisées les cérémonies religieuses, notamment dans les établissements de culte, en période d’épidémie. La réponse du juge, qui repose sur un fondement normatif un peu cahotant (I), est plutôt embarrassée (II).

 

I - La hiérarchie des normes applicables

Les requérants résidant ou agissant, les uns en Alsace-Moselle, les autres dans le reste de la France, le juge est ainsi conduit à se prononcer de façon différenciée en fonction des normes distinctement applicables à chacun de ces deux ensembles territoriaux, soit brevitatis causa, d’une part la convention du 26 messidor an IX conclue entre le Pape Pie VII et le gouvernement consulaire pour ce qui regarde l’Alsace-Moselle, et d’autre part la loi du 9 décembre 1905 pour le reste du territoire français.

Deux observations doivent être faites au sujet de la curieuse conception de la hiérarchie des normes dont fait usage ici le juge du référé liberté du Conseil d’État.

En premier lieu, en retenant comme support de son raisonnement, tout à la fois, cette dernière loi, qui ne concerne que la liberté de culte, et l’art. 10 de la Déclaration de 1789 comme l’art. 9 de la Convention EDH, qui visent, elles, notamment, la liberté de religion, opère sur le plan normatif un amalgame discutable qui oublie que la loi de 1905 est strictement subordonnée aux deux autres textes, surtout à la Convention EDH en tant que s’y incorpore l’immense jurisprudence développée sur ce point par la Cour de Strasbourg.

En second lieu, en écrivant : «(…) l’article 1er de la convention passée à Paris le 26 messidor an IX, entre le Pape et le gouvernement français, qui est applicable aux catholiques d'Alsace et de Moselle, dès lors que la convention a été promulguée et rendu exécutoire, avec ses articles organiques, comme lois de la République par la loi du 18 germinal an X relative à l'organisation des cultes (…) », le juge soulève une importante difficulté juridique qui recouvre en réalité deux questions bien différentes, étant rappelé que si la loi de 1905 est applicable à tous les cultes, il n’en va pas de même en Alsace-Moselle.

D’une part, la loi de 1905 ne s’appliquant pas en Alsace-Moselle, il fallait déterminer la base juridique régissant ces départements en matière de liberté religieuse, d’autre part, et c’est là une tout autre question, il convenait de déterminer la hiérarchie des normes applicables.

Le juge des référés rappelle ici l’applicabilité de la convention entre le Saint-Siège et la France conclue le 15 juillet 1801, celle-ci ayant la nature juridique de traité international. Il indique également que cette convention est entrée en vigueur lors de sa promulgation, le 8 avril 1802, ainsi que les articles organiques, cette loi qualifiant la convention et lesdits articles de « lois » de la république.

Il y a là une erreur juridique.

Si les articles organiques sont un texte unilatéralement édicté par la France et peuvent bien être dits « lois » puisque le législateur en a décidé ainsi, en revanche, ce n’est pas le cas de la convention qui est un concordat donc un traité international. Les articles organiques ne peuvent donc pas « faire jeu égal » avec ce dernier et cela d’autant plus qu’ils n’ont pas le même objet (la convention ne régit que des rapports d’États concernant exclusivement le culte catholique, les articles organiques concernent, d’abord, les cultes catholiques et protestants puis, plus tard, juif) et qu’ils ont été pris contre l’assentiment du Pape.

Il suit de là qu’en tant que loi le texte de ces articles, pour ce qui regarde le seul culte catholique, ne peut en aucun cas valoir effet de droit en tout ce qui pourrait contredire, atténuer, modifier ou autre, les dispositions de la convention de 1801. Il est regrettable que, pour apprécier la régularité des décisions prises par le pouvoir de police en ce domaine, en période d’épidémie, le juge se soit fondé indifféremment sur l’un et l’autre textes alors qu’ils ne sont pas du tout ni homothétiques ni compatibles entre eux.

 

II - Le contrôle délicat exercé par le juge

Le juge qualifie de fondamentale - au sens et pour l’application de l’art. L. 521-2 du CJA - la liberté de culte et pose ensuite l’affirmation centrale de son ordonnance « Telle qu'elle est régie par la loi (i.e. la loi de 1905), cette liberté ne se limite pas au droit de tout individu d'exprimer les convictions religieuses de son choix dans le respect de l'ordre public. Elle comporte également, parmi ses composantes essentielles, le droit de participer collectivement, sous la même réserve, à des cérémonies, en particulier dans les lieux de culte. La liberté du culte doit, cependant, être conciliée avec l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé. »

L’affirmation est doublement importante. Elle manifeste très clairement, en premier lieu, que les réunions cultuelles ne sont pas des réunions au sens du droit commun régissant la liberté de réunion, ce qui invalide en réalité le IV de l'article 8 du décret du 23 mars 2020 et le  III de l'article 8 du décret du 11 mai 2020, tous deux prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire en tant qu’ils opèrent une assimilation complète de la réunion cultuelle à une réunion. Ceux-ci échappent cependant à la censure car ils étaient abrogés au moment où le juge a statué.  

L’affirmation rapportée ci-dessus manifeste aussi clairement, en second lieu, que la liberté religieuse n’est en rien assimilable à la liberté de conscience.

Au moins dans le cas du culte catholique, les cérémonies cultuelles sont donc une des « composantes essentielles » de la liberté religieuse, « essentielles », c’est-à-dire non pas « importantes » mais qui font partie de l’essence de cette liberté, laquelle, sans cela, ne saurait exister.

Analysant la requête dont il était saisi, le juge devait vérifier l’urgence à y statuer et l’atteinte grave à la liberté fondamentale ainsi rappelée.

Il estime tout d’abord qu’il y a bien urgence car la situation a notablement changé depuis le décret du 23 mars 2020 : si les fidèles peuvent se rendre individuellement dans les lieux de culte, ils ne peuvent ni s'y rassembler ni s'y réunir, à l'exception - très limitée au demeurant - des cérémonies funéraires. Les fidèles ne peuvent ainsi participer à des cérémonies non funéraires qui s'y tiennent à huis clos que par le biais de retransmissions audiovisuelles, y compris pour les importantes fêtes qui ont eu lieu au printemps dans les trois religions réunissant le plus grand nombre de fidèles en France. Par suite et eu égard à l'amélioration de la situation sanitaire ayant justifié le déconfinement, la condition d'urgence caractérisée, qui est prévue par divers textes ici applicables, doit être regardée comme remplie.

Il estime ensuite qu’il est porté une atteinte grave à la liberté de culte au terme d’une analyse très pragmatique.

 

A- Le caractère provisoirement justifié des mesures gouvernementales à l’endroit des cultes

Il relève d’abord qu’il est certain que tout rassemblement de personnes dans un lieu clos, restreint et  d’une durée prolongée, est de nature à favoriser la propagation d’un virus  - qui se transmet par voie respiratoire - en particulier dans le cadre de cérémonies de culte, qui sont des rassemblements ou des réunions exposant les participants à un risque de contamination, d’autant qu'elles s'accompagnent de prières récitées à haute voix ou de chants, de gestes rituels impliquant des contacts, de déplacements, ou encore d'échanges entre les participants, y compris en marge des cérémonies elles-mêmes. Il indique ensuite que les effets des facteurs de risque précités peuvent, toutefois, être atténués par les règles de sécurité qui sont appliquées au cours des rassemblements et réunions. Enfin, il rejette l’argument du ministre défendeur selon lequel un rassemblement religieux réunissant plus d'un millier de participants venus de toute la France entre le 17 et le 24 février 2020 près de Mulhouse a provoqué un nombre important de contaminations car, à cette date n’étaient pas connues ni diffusées les mesures de prévention à prendre. De tout ceci résulte donc la nécessité de réglementer l’accès aux réunions cultuelles.

Toutefois, pour justifier des mesures plus sévères envers les cultes qu’envers d’autres activités sociales, le juge use d’une formulation particulièrement malheureuse lorsqu’il écrit que « les établissements de culte (…)  ne peuvent être regardés comme assurant l'accès à des biens et services de première nécessité au sens (des) dispositions (relatives aux Covid-19) ». Que dans un État laïque, à tout le moins neutre, le service du spirituel puisse être exclu a priori et sans aucune démonstration, comme par un postulat, de la catégorie des biens et services de première nécessité, n’est pas sans soulever de délicats problèmes dont le moindre n’est certainement pas celui du statut respectif du corps et de l’âme, dualité qu’en bonne laïcité l’on ne peut ni cautionner ni critiquer : le silence eut été ici plus sage que le fourvoiement.

 

B- La critique des décisions gouvernementales à l’endroit des cultes

L’examen in concreto des décisions contestées conduit le juge à leur censure.

D’abord, par comparaison, il constate que de nombreuses activités sociales présentant des risques certains comparables (transports de voyageurs, magasins de vente et centres commerciaux, établissements d’enseignement, bibliothèques) sont autorisées (sous réserve d’un minimum de 4m2 par personne), à la différence de la solution retenue pour les cultes.

Ensuite, on ne peut comparer les interdictions édictées en dehors des lieux de culte avec celles relatives à ces derniers alors qu’est en cause ici une liberté fondamentale.

Enfin, est relevé le fait, essentiel aux yeux du juge, que l'interdiction de tout rassemblement ou réunion dans les établissements de culte, n’est motivée ni par une éventuelle difficulté à élaborer des règles de sécurité adaptées aux activités en cause - certaines institutions religieuses ayant présenté des propositions en la matière depuis plusieurs semaines - ni par le risque que les responsables des établissements de culte ne puissent en faire assurer le respect ou que les autorités de l'État ne puissent exercer un contrôle effectif en la matière, ni encore par l'insuffisante disponibilité, durant cette première phase, du dispositif de traitement des chaînes de contamination.

L'interdiction générale et absolue imposée par le III de l'article 10 du décret contesté, de tout rassemblement ou réunion dans les établissements de culte, alors que des mesures d'encadrement moins strictes sont possibles, revêt un caractère disproportionné au regard de l'objectif de préservation de la santé publique et constitue ainsi, eu égard au caractère essentiel de cette composante de la liberté de culte, une atteinte grave et manifestement illégale à cette dernière.

Il convient d’insister sur la formulation particulière de l’injonction qui est prononcée « en l'absence d'alternative pour sauvegarder la liberté de culte ». Le premier ministre doit modifier les dispositions du III de l'article 10 du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020, en prenant les mesures strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu applicables en ce début de « déconfinement », pour encadrer les rassemblements et réunions dans les établissements de culte. Un délai de huit jours, nécessaire à la concertation avec les différents cultes, lui est accordé.

On notera au passage (cf. point 15 de l’ordonnance) le rappel de la jurisprudence selon laquelle les propos ministériels tenus devant les assemblées parlementaires ne sont pas susceptibles d’être déférés au juge dès lors qu’ils ne se traduisent pas par des décisions.

(ord. réf. 18 mai 2020, M. X. et autres, n° 440366 ; Association Civitas, n° 440380 ; Parti chrétien-démocrate et autre, n° 440410 ; Association cultuelle Fraternité sacerdotale Saint-Pierre et autres, n° 440531 ; Association Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l'identité française et chrétienne (AGRIF), n° 440550 ; M. X., n° 440562 ; Association La Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, n° 440563 ; Mme X., n° 440590, jonction)

(60) V. dans le même sens mutatis mutandis, renvoyant d’ailleurs expressément à la décision ci-dessus mais refusant d’apercevoir dans le cas de l’espèce une urgence à statuer, à propos du culte musulman et de la célébration de la fête de l'Aïd : ord. réf. 22 mai 2020, Association de défense des droits de l'homme - Collectif contre l'islamophobie en France (ADDH-CCIF) et Mme X., n° 440757.

(61) Réponse comparable à un requérant contestant l’art. 1er du décret du 11 mai 2020 car l'obligation de respecter une distanciation sociale en tous lieux et en toutes circonstances lui interdit concrètement de vivre avec sa famille d'une façon normale, interdit le déroulement normal des offices religieux et porte ainsi des atteintes graves et immédiates à sa vie privée et à sa liberté religieuse, qui ne sont pas justifiées par le but poursuivi par le décret contesté. Sans être sans objet, son recours a reçu sa réponse dans la décision ci-dessus commentée : ord. réf. 20 mai 2020, M. X., n° 440656.

(62) Idem concernant la demande d’une requérante s’estimant abusivement empêchée d’assister aux cérémonies de l’Ascension : ord. réf. 20 mai 2020, Mme X., n° 440655 ou celle tendant aux mêmes fins émanée d’un requérant : ord. réf. 20 mai 2020, M. X., n° 440654

(63) Et encore, dans le même sens, répondant à plusieurs requérants demandant qu’il soit enjoint au premier ministre et au ministre de l'intérieur de prendre, pendant la durée de l'état d'urgence sanitaire, toutes mesures nécessaires pour rétablir la liberté des cultes afin, notamment que les fêtes de l'Aïd el-Fitr, de l'Ascension et de Chavouot puissent se dérouler ainsi que les messes et cultes pour les chrétiens, prières du vendredi pour les musulmans, prières du Chabbat pour les juifs, le rejet de cette requête par : ord. réf. 20 mai 2020, M. X. et autres, n° 440653

 

64 à 67 - Covid-19 - Sécurité sanitaire d’un établissement pénitentiaire - Masques et gants, distanciation et dépistage - Conditions de distribution des repas aux détenus - Injonction à la ministre et non-lieu.

 L'ordre des avocats du barreau de Martinique et vingt-deux personnes détenues au centre pénitentiaire de Ducos ont obtenu du juge des référés du tribunal administratif qu’il soit fait injonction à la ministre de la justice et au directeur de ce centre pénitentiaire, d’une part,  de distribuer des masques chirurgicaux et des gants aux détenus, lorsqu’ils sont en contact avec des détenus issus d'autres cellules, et d’autre part, de distribuer des masques non sanitaires et des gants aux auxiliaires distribuant des repas et, enfin, de se doter de tests de dépistage, en nombre suffisant, pour permettre le dépistage des personnes ayant été en contact direct avec une personne présentant des symptômes de Covid-19. Le juge a rejeté le surplus des conclusions dont il était saisi. Le Conseil d’État était saisi d’un appel de la ministre intéressée tendant à l’annulation de cette ordonnance en tant qu'elle ordonne la distribution de masques chirurgicaux aux personnes détenues et la mise à disposition d'un nombre suffisant de tests pour permettre le dépistage de l'ensemble des personnes ayant été en contact direct avec une personne présentant des symptômes de Covid-19. Il était également saisi d’un appel de l'Ordre des avocats au barreau de Martinique dirigé contre la même ordonnance en tant qu'elle n’ordonne la distribution aux auxiliaires pénitentiaires en charge de la distribution des repas que de masques non sanitaires et non de masques chirurgicaux.

Le juge des référés du Conseil d’État relève qu’à ce jour il n’existe aucun cas révélé ou suspecté de Covid-19 au sein de ce centre pénitentiaire dont la population totale représente 102% des places disponibles et où, au sein de celle-ci, le quartier maison d’arrêt comporte un taux d’occupation de 130%.

Relatant les efforts entrepris depuis le début de la crise sanitaire dans l’ensemble des prisons françaises et spécifiquement au centre Ducos, le juge examine les deux grandes revendications : masques et tests de dépistages.

Pour les masques, il constate que compte tenu des modalités de fonctionnement d’un tel centre : pratique des portes ouvertes, accès à la cour-promenade, contacts avec les détenus des autres cellules et le personnel auxiliaire de service de distribution des repas, visites de l’extérieur, etc., et en dépit de ce qui a été déjà fait, « l'absence de fourniture d'un masque de protection non sanitaire aux personnes détenues afin qu'elles puissent le porter le temps des échanges avec le ou les intervenants extérieurs révèle, de manière caractérisée, une carence de nature à justifier, eu égard aux libertés fondamentales invoquées, qu'il soit enjoint à la ministre de la justice et au chef d'établissement du centre pénitentiaire de Ducos de fournir, à compter du 11 mai 2020, un masque de protection non sanitaire aux personnes détenues appelées à se rendre à un " parloir avocat ", une commission de discipline ou un entretien avec un conseiller pénitentiaire d'insertion et de probation. Ce masque devra être distribué par l'administration pénitentiaire à l'occasion d'un tel contact et lui être remis à son issue. »

Pour les tests, le juge considère que, d’une part, en l’état d’absence de cas avérés connus dans le centre, et d’autre part, compte tenu du protocole mis en place en cas d’apparition d’un tel cas ou d’une suspicion, il n’y a pas lieu d’ordonner la réalisation systématique de tests.

(ord. réf. 7 mai 2020, Ordre des avocats au barreau de la Martinique et autres, n° 440151)

(65) V. aussi, assez comparable mutatis mutandis, dans le cas d’un référé liberté intenté par un détenu  à la maison d’arrêt du centre pénitentiaire de Béziers, invoquant la carence de l'administration en ce qui concerne son placement en cellule individuelle, la fourniture, en quantité suffisante, de produits d'hygiène et d'entretien, de savon et de gel hydro-alcoolique, de masques de protection, de gants ainsi que de tests de dépistage, le nettoyage des locaux et du linge, les modalités de distribution des repas et le recours aux fouilles, également rejeté compte tenu des mesures déjà prises par l’administration pénitentiaire et/ou en cours : ord. réf. 11 mai 2020, M. X., n° 440338 ;

(66) V. également, largement comparable dans son argumentation et dans sa solution, à propos de diverses demandes à caractère sanitaire émanées d’un détenu du centre pénitentiaire de Joux-la-Ville invoquant plusieurs problèmes de santé d’ailleurs pris en charge par l’administration pénitentiaire : ord. réf. 14 mai 2020, M. X., n° 440413 ;

(67) V. encore, en tous points semblable, à propos de demandes faites par un détenu au centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil : ord. réf. 15 mai 2020, M. X., n° 440367, n° 440368 et n° 440369.

 

68 - Covid-19 - Liberté d’aller et de venir - Loisirs - Accès aux plages - Atteintes excessives - Obligation de ne tenir compte que des circonstances locales - Rejet.

Le requérant, qui réside à Deauville, faisait valoir que ne seraient pas nécessaires pour garantir la santé publique et seraient disproportionnées aux risques sanitaires les dispositions du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 en tant que, par le II de son article 9, elles interdisent l’accès aux plages, plans d'eau et lacs. Il demandait au juge du référé liberté d'enjoindre au premier ministre de modifier cet article.

La requête est bien évidemment rejetée car l'interdiction de l'accès aux plages, aux plans d'eau et aux lacs, a été décidée dans le souci d'éviter les concentrations humaines et statiques, caractéristiques de ces lieux en période de printemps et vecteurs de diffusion de l’épidémie de Covid-19.

Cette mesure d'interdiction ne porte pas à la liberté d'aller et venir une atteinte justifiant l’intervention du juge du référé de l’art. L. 521-2 CJA, compte tenu de l'impératif d'éviter la reprise de l'épidémie pendant la phase de déconfinement progressif. Le rejet est donc prononcé sans qu’il y ait lieu d’apprécier l’existence éventuelle de la condition d’urgence.

(ord. réf. 22 mai 2020, M. X., n° 440534)

 

69 - Expérimentation de l’algorithme Datajust - Traitement automatisé de données à caractère personnel relatives à l’indemnisation du préjudice corporel par les juridictions - Accès et durée limités - Caractère expérimental - Absence de création d’un algorithme - Défaut d’urgence - Rejet.

La société requérante demandait au juge des référés d'ordonner la suspension de l'exécution du décret n° 2020-356 du 27 mars 2020 portant création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé DataJust, la condition d'urgence étant, selon elle, remplie tant en raison de ses effets sur le droit à la protection de la vie privée et sur le principe de la réparation intégrale du préjudice, que de sa méconnaissance du règlement (UE) n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, portant ainsi atteinte aux intérêts des avocats défendant les victimes de préjudices corporels et, enfin, à l'absence d'intérêt public à l'exécuter avant qu'il ne soit statué au fond.

Pour rejeter cette demande de suspension le juge retient tout d’abord  que le traitement automatisé de données à caractère personnel DataJust, a pour finalité le développement d'un algorithme devant servir à la réalisation d'évaluations rétrospectives et prospectives des politiques publiques en matière de responsabilité civile ou administrative, à l'élaboration d'un référentiel indicatif d'indemnisation des préjudices corporels, à l'information des parties et à l'aide à l'évaluation du montant de l'indemnisation à laquelle les victimes peuvent prétendre afin de favoriser un règlement amiable des litiges, ainsi qu'à l'information ou à la documentation des juges appelés à statuer sur des demandes d'indemnisation des préjudices corporels.

Ce traitement est constitué de données extraites des décisions de justice rendues en appel entre le 1er janvier 2017 et le 31 décembre 2019 par les juridictions administratives et les formations civiles des juridictions judiciaires dans les contentieux portant sur l'indemnisation des préjudices corporels.

Il comporte certes de nombreuses données à caractère personnel, touchant notamment à l'identité et à la santé des personnes physiques mais, d’une part, l'autorisation de le réaliser n’a été donnée que pour une durée de deux ans et, d’autre part, durant cette période,  seuls auront accès aux données à caractère personnel et aux informations enregistrées dans le traitement, et encore « à raison de leurs attributions et dans la limite du besoin d'en connaître », les agents du ministère de la justice affectés au service chargé des développements informatiques du secrétariat général du ministère de la justice individuellement désignés par le secrétaire général et les agents du bureau du droit des obligations individuellement désignés par le directeur des affaires civiles et du sceau.

Dans ces conditions et eu égard au petit nombre des personnes composant le service qui gère cette opération, à la limitation stricte de la durée de conservation des données ainsi qu’à son caractère expérimental, le développement d'un algorithme dont la mise en œuvre n’est pas réalisée ni accordée par le décret attaqué, ne crée point une situation d’urgence justifiant, par elle-même, la suspension de l’acte administratif litigieux, sans qu’il soit besoin d’examiner le moyen tiré de ce que la décision de créer ce traitement contreviendrait  au règlement (UE) du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données.

Il semble contestable de parler de « politiques publiques en matière de responsabilité civile ou administrative » comme si un tel objet - d’ordre strictement et indéfiniment subjectif - pouvait donner lieu à des politiques publiques c’est-à-dire à une prétention à diriger et organiser le futur d’individus. Pareillement, invoquer une durée de deux années pour minimiser la portée de Datajust, alors que ce laps de temps permet de recueillir un nombre considérable de données privées, n’est pas raisonnable.

(ord réf. 26 mai 2020, Société C... Avocat Victimes et Préjudices et autre, n° 440378)

 

Police

 

70 - Covid-19 - Attestation obligatoire de déplacement - Principe d’interprétation stricte du droit pénal - Risque de verbalisation abusive - Rejet.

L’intéressé avait saisi le juge d’un référé tendant à la suspension de l'exécution du modèle d'attestation dérogatoire au principe de l'interdiction des déplacements (fixé au II de l'article 3 du décret du 20 mars 2020) au motif qu’en imposant l'indication de l'heure de départ de la résidence de confinement cette disposition serait illégale car susceptible de générer une verbalisation pénale abusive et méconnaîtrait le principe d'interprétation stricte du droit pénal.

Usant de la procédure expédiente de l’art. L. 522-3 CJA, le juge, sans examiner l’existence d’une éventuelle urgence à statuer, rejette la demande dirigée contre une décision sur la légalité de laquelle n’existe aucun doute sérieux.

(ord. réf. 7 mai 2020, M. X., n° 440264)

 

71 - Covid-19 - Police de la chasse - Ouverture de la chasse - Dispositions dérogatoires au principe de suspension des délais en période d’urgence sanitaire - Rejet.

L’association requérante demande la suspension de l’exécution de l'article 2 du décret n° 2020-453 du 21 avril 2020 - portant dérogation au principe de suspension des délais pendant la période d'urgence sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19 -, en particulier de ses 1°, 2°, 6° et 7°.

Il résulte de l'article 7 de l'ordonnance du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période que : « Sous réserve des dispositions de l'article 12, les délais prévus pour la consultation ou la participation du public sont suspendus jusqu'à l'expiration d'une période de sept jours suivant la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 susvisée ». L'article 9 de la même ordonnance permet que : « Par dérogation aux dispositions des articles 7 et 8, un décret détermine les catégories d'actes, de procédures et d'obligations pour lesquels, pour des motifs de protection des intérêts fondamentaux de la Nation, de sécurité, de protection de la santé, de la salubrité publique, de sauvegarde de l'emploi et de l'activité, de sécurisation des relations de travail et de la négociation collective, de préservation de l'environnement et de protection de l'enfance et de la jeunesse, le cours des délais reprend.

Pour les mêmes motifs, un décret peut, pour un acte, une procédure ou une obligation, fixer une date de reprise du délai, à condition d'en informer les personnes concernées ».

C’est dans ce cadre juridique que le décret attaqué du 21 avril 2020 portant dérogation au principe de suspension des délais pendant la période d'urgence sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19, prévoit, en son article 2 : « En application du second alinéa de l'article 9 de l'ordonnance du 25 mars 2020 susvisée (…) reprennent leur cours, sept jours à compter de la publication du présent décret, les délais des procédures suivantes : 1° La procédure d'adoption, sur le fondement des dispositions de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, de l'arrêté relatif à la mise en place à titre expérimental de mesures d'effarouchement de l'ours brun dans les Pyrénées pour prévenir les dommages aux troupeaux ; 2° La procédure d'adoption, sur le fondement des dispositions de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, de l'arrêté de dérogation à la protection des bouquetins en cœur de massif du Bargy ; (...) 6° La procédure de consultation du public préalable à l'édiction, sur le fondement des articles L. 424-2 et R. 424-1 et suivants du code de l'environnement, des arrêtés préfectoraux fixant les dates d'ouverture et fermeture de la chasse; 7° La procédure de consultation du public préalable à l'édiction, sur le fondement des articles L. 425-8, R. 425-1-1 et R. 425-2 du code de l'environnement, des arrêtés préfectoraux arrêtant le prélèvement minimum et maximum de grand gibier ».

Le juge des référés du Conseil d’État rejette le recours dont il est saisi en tant qu’il est dirigé contre les 1°, 2°, 6° et 7° précités. Il relève tout d’abord, ce qui semble avoir été perdu de vue par l’association demanderesse, que ces dispositions ont pour seul objet de permettre, par exception à la suspension générale des délais prévus pour la consultation ou la participation du public, la reprise du cours des délais des procédures d'adoption de certains actes administratifs ayant eux-mêmes une incidence sur l'environnement et soumis à ce titre à participation du public, et qu'elles n'ont par elles-mêmes aucune incidence sur l'environnement.

Par suite sont rejetés les moyens tirés de la non-consultation du Conseil national de la chasse et de la faune sauvage (cf. article L. 421-1 A, code l'env.) et du Conseil national de la protection de la nature (cf. art. L. 134-2, R. 134-20 et L. 411-2 du code préc.), tout comme celui de l’absence de contreseing du ministre de l’agriculture sur le décret contesté.

Semblablement ne saurait prospérer l’argument selon lequel les dispositions contestées n’entrent dans aucun des motifs énumérés à l’art. 9 de l'ordonnance du 25 mars 2020, pour lesquels il peut être dérogé à l'article 7 de cette ordonnance, dès lors que les actes susceptibles d'être pris au terme des procédures dont le cours est repris, concernent la sauvegarde de l'emploi et de l'activité, pour ce qui est de l'effarouchement de l'ours brun dans les Pyrénées, la protection de la santé et la sauvegarde de l'emploi et de l'activité, pour ce qui est du prélèvement de bouquetins porteurs de la brucellose dans le massif du Bargy, la sauvegarde de l'emploi et de l'activité, pour ce qui est de l'ouverture anticipée de la chasse pour réguler les populations notamment de sangliers, de cervidés et de blaireaux, enfin, la protection de l'environnement et la sauvegarde de l'emploi et de l'activité, pour ce qui est de la fixation des quotas de prélèvement de grand gibier.

Les autres moyens, pas ou faiblement démontrés, sont également rejetés.

(ord. réf. 15 mai 2020, Association pour la protection des animaux sauvages, n° 440462)

 

72 - Covid-19 - Contrôle du respect des règles de confinement - Utilisation de drones par la préfecture de police de Paris - Capture et utilisation d’images - Recueil de données à caractère personnel - Respect de la vie privée - Annulation de l’ordonnance de rejet.

Les associations requérantes demandaient au juge d’appel du référé liberté du Conseil d’État d’annuler l’ordonnance du premier juge rejetant - pour défaut d’atteintes aux libertés fondamentales qu’elles invoquaient - leur demande tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de police de Paris de cesser d'utiliser le dispositif visant à capter des images par drones, à les enregistrer, à les transmettre et à les exploiter aux fins de faire respecter les mesures de confinement en vigueur à Paris pendant la période d'état d'urgence sanitaire.

Le juge du Conseil d’État annule l’ordonnance contestée.

Pour admettre l’existence d’une urgence à statuer, le juge retient le nombre de personnes susceptibles de faire l'objet d’un tel mode de surveillance, ses effets ainsi que la fréquence et le caractère répété de ces mesures litigieuses.

S’agissant de déterminer l’existence d’une atteinte grave aux libertés fondamentales invoquées, le juge rappelle tout d’abord la légitimité du recours à un tel dispositif, au regard tant de la doctrine d'usage telle qu'elle a été formalisée par la fiche du 14 mai 2020 que de la pratique actuelle formalisée dans cette note, en raison de l’impératif de sécurité publique. En soi, l’usage de ce moyen et des techniques qui l’accompagnent ne contrevient pas aux libertés fondamentales.

Cependant, en raison de sa finalité, ce dispositif de surveillance ressortit au champ d'application matériel de la directive du 27 avril 2016 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d'enquêtes et de poursuites en la matière ou d'exécution de sanctions pénales, et à la libre circulation de ces données, laquelle s’applique, aux termes de son article 1er aux traitements de données à caractère personnel institués " y compris [pour] la protection contre les menaces pour la sécurité publique et la prévention de telles menaces ". Or les données susceptibles d'être collectées par le moyen de drones doivent être regardées comme revêtant un caractère personnel, alors même que le ministère de l’intérieur assure que les données ainsi collectées ne revêtent pas un caractère personnel en raison des règles et précautions prises par la note du 14 mai 2020, car il résulte de l'instruction que les appareils en cause qui sont dotés d'un zoom optique et qui peuvent voler à une distance inférieure à celle fixée par la note précitée sont susceptibles de collecter des données identifiantes et ne comportent aucun dispositif technique de nature à éviter, dans tous les cas, que les informations collectées puissent conduire, au bénéfice d'un autre usage que celui actuellement pratiqué, à rendre les personnes auxquelles elles se rapportent identifiables. Il s’ensuit donc que ce dispositif de surveillance constitue un traitement au sens de la directive de 2016.

La création et le fonctionnement de ce fichier relèvent donc des dispositions de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés qui sont applicables aux traitements compris dans le champ d'application de cette directive. Ce fichier ne pouvait pas, par suite, être instauré sans l'intervention préalable d'un texte réglementaire en autorisant la création et en fixant les modalités d'utilisation devant obligatoirement être respectées ainsi que les garanties dont il doit être entouré, texte devant être précédé d’un avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Est ainsi établie l’atteinte par ce procédé aux libertés fondamentales.  La cessation immédiate de l’usage de drones à cette fin et selon les modalités actuelles est ordonnée.

Le juge prononce en conséquence une injonction alternative : soit l’État prend un texte réglementaire, après avis de la CNIL, autorisant, dans le respect des dispositions de la loi du 6 janvier 1978, la création d'un traitement de données à caractère personnel, soit l’État dote les appareils utilisés par la préfecture de police de dispositifs techniques de nature à rendre impossible, quels que puissent en être les usages retenus, l'identification des personnes filmées.

(ord. réf. 18 mai 2020, Association " La Quadrature du Net ", n° 440442 ; Ligue des droits de l’homme, n° 440445, jonction)

 

73 - Covid-19 - Tenue des foires et marchés - Fêtes foraines - Interdiction - Demande de réouverture - Rejet.

Les organisations requérantes demandaient au juge du référé liberté du Conseil d’État, d'ordonner la suspension de l'exécution des dispositions de l'article 7 du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 dont l'alinéa 1er interdit " tout rassemblement, réunion ou activité (...) mettant en présence de manière simultanée plus de dix personnes " et, à titre subsidiaire, d'autoriser les fêtes foraines réunissant, de manière simultanée, 1 500 personnes. Elles invoquent l’urgence née de l’atteinte grave et manifestement illégale ainsi portée à la liberté du commerce et de l'industrie car les forains se trouvent dans l'incapacité totale d'exercer leur métier et ne disposent d'aucune perspective d'avenir ni de certitude d'obtenir des dérogations d'exercice auprès des maires et des préfets et le fait que les mesures prises par le gouvernement ne sont plus ni nécessaires ni proportionnées au vu de l'évolution de la situation actuelle de crise sanitaire ainsi que le caractère peu probable d'une seconde vague estivale de contamination. Enfin, elles se prévalent à cet égard des dérogations d'ouverture dont bénéficient actuellement certains marchés ouverts et celles dont bénéficieront certains parcs à thème avec des attractions à partir du 12 juin prochain, alors que les conditions d'exercice de ces activités sont proches de celles exercées par les forains.

Le recours est rejeté selon une motivation un peu trop « passe-partout » nous semble-t-il. Qu’on en juge : «  Eu égard aux circonstances exceptionnelles au vu desquelles le décret attaqué a été pris et qui ont conduit le législateur à déclarer puis prolonger l'état d'urgence sanitaire jusqu'au 10 juillet 2020, à l'intérêt public qui s'attache aux mesures prises, qui restreignent les déplacements pour lutter contre la reprise de la propagation du virus du Covid-19 pendant la période de déconfinement, et, enfin, à la conciliation entre les droits et libertés et l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé, il est manifeste que les associations requérantes, qui ne font état d'aucune circonstance particulière de nature à justifier une intervention à très bref délai du juge des référés, ne remplissent pas la condition d'urgence requise par l'article L. 521-2 du code de justice administrative ». On regrettera qu’il ne soit pas répondu à l’argument tiré du traitement plus souple d’activités présentant des risques comparables et, surtout, qu’il soit avancé que le juge du référé urgent ne pourrait pas ordonner de mesures significatives exécutables à bref délai.

(ord. réf. 28 mai 2020, Union de défense active des forains (UDAF) et France Liberté Voyage, n° 440837)

 

Professions réglementées

 

74 - Chirurgien-dentiste salarié - Non-accomplissement de son obligation de jour de garde - Sanction disciplinaire - Absence de volonté de se soustraire à ses obligations de permanence - Annulation.

Est irrégulière la sanction infligée par une instance ordinale à un chirurgien-dentiste salarié du fait qu’il s’est soustrait un jour à son obligation d’assurer son tour de garde alors qu'il ressortait des pièces du dossier que son employeur avait refusé de mettre à sa disposition les moyens propres à lui permettre d'assurer effectivement sa garde dans le centre de santé où il exerce comme salarié et qu'il en avait informé par avance, plusieurs fois, le conseil départemental de l'ordre des chirurgiens-dentistes en vue qu'une solution puisse être trouvée. Dès lors, il ne pouvait être regardé comme s'étant délibérément abstenu de participer à la permanence des soins dentaires.

(29 mai 2020, M.X., n° 422956)

 

75 - Société civile professionnelle (SCP) de vétérinaires - Sanction disciplinaire - Appel de la décision l’infligeant - Impossibilité d’aggravation sur appel de la personne sanctionnée - Notion de peine aggravée - Réduction de la durée de la peine mais extension de son champ territorial d’application - Rejet.

A la suite d’infractions aux règles régissant la vente de médicaments vétérinaires, une SCP et l’un de ses associés font l’objet d’une sanction, finalement ramenée de six à quatre mois, de suspension temporaire du droit d'exercer la profession de vétérinaire, assortie d’un sursis pour trois de ces mois mais avec extension du champ géographique de cette sanction du ressort de la chambre régionale de discipline de Normandie à l'ensemble du territoire national. Les intéressés se pourvoient en cassation contre ces décisions du conseil national de l’ordre au motif qu’elles aggravent la sanction prononcée en première instance.

Le juge rappelle le principe général du droit disciplinaire et d’ordre public, qui n’est pas propre aux sanctions applicables aux seules professions libérales mais concerne toutes les sanctions professionnelles relevant du droit public, selon lequel une sanction infligée en première instance par une juridiction disciplinaire ne peut pas être aggravée par le juge d'appel lorsqu'il n'est régulièrement saisi que du recours de la personne frappée par la sanction.

En l’espèce se posait précisément la question de savoir si la juridiction d’appel (i. e. le conseil national de l’ordre) avait aggravé ou non la sanction prononcée par les premiers juges. Ces derniers avaient ordonné une suspension d’exercer pendant six mois, assortie d’un sursis de trois mois, applicable dans le ressort territorial de la juridiction, soit la Normandie. En appel, la durée de la suspension avait été réduite de six à quatre mois, avec durée inchangée du sursis, mais étendue à la France entière. La sanction avait-elle été aggravée ? Pour résoudre la difficulté le juge de cassation propose de retenir la définition suivante : « la gravité d'une sanction d'interdiction prononcée par la juridiction disciplinaire s'apprécie au regard de son objet et de sa durée, indépendamment des modalités d'exécution de la sanction, notamment de l'octroi éventuel d'un sursis ou de la fixation de son champ géographique d'application ». En conséquence, la requête est rejetée.

On peut ne pas être d’accord avec la solution et estimer que l’octroi d’un sursis, partiel ou total, a bien, sur le plan disciplinaire, une signification certaine : condamner avec sursis ou sans sursis n’est pas du tout équivalent surtout dans les matières déontologiques. Semblablement, étendre d’une région à la France entière une suspension temporaire du droit d’exercer une profession libérale participe bien de la « peine » infligée et donc de son quantum, elle en est, par suite, une aggravation. 

(29 mai 2020, Société civile professionnelle X.-Y., n° 421569)

 

76 - Chirurgiens-dentistes - Titres et mentions pouvant figurer sur les plaques et imprimés professionnels - Autorisation préalable obligatoire du Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes - Refus par ce dernier de reconnaitre la qualité de membre titulaire de la Société française d'orthopédie dento-faciale (SFODF) - Erreur d’appréciation - Annulation et injonction à l’ordre de reconnaitre ce titre.

Le conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes ayant refusé de reconnaître le titre de membre titulaire de la Société française d'orthopédie dento-faciale (SFODF) et ayant décidé que la mention de ce titre ne peut figurer sur les plaques et imprimés professionnels des chirurgiens-dentistes, la SFODF demande au Conseil d’État l’annulation de ces décisions. Le conseil national de l’ordre a justifié ces refus sur le fait que ce que ce titre ne sanctionne aucune formation dispensée par la SFODF, que ses critères d'obtention ne répondent à aucun « référentiel professoral ou référentiel métier » et que, par suite, sa mention sur les plaques et imprimés professionnels des chirurgiens-dentistes est dépourvue d'intérêt pour les patients. 

Pour recevoir le recours et annuler les décisions litigieuses le juge relève qu’il : «  ressort des dispositions de son statut et de son règlement intérieur (…) que la SFODF exerce, dans une discipline reconnue et pratiquée par des chirurgiens-dentistes, une mission de veille scientifique et pratique, d'étude, d'expertise et de diffusion des connaissances, qu'elle dispose de moyens d'action adaptés à cette mission et que, contrairement à ce que soutient en défense le Conseil national de l'ordre de chirurgiens-dentistes, l'obtention du titre de membre titulaire de la SFODF est subordonnée à une appréciation portée sur la qualité des travaux des candidats par les instances dirigeantes de l'association ».

Le conseil de l’ordre défendeur a ainsi commis une erreur d’appréciation en estimant que la mention du titre de membre titulaire de la SFODF n'apportait pas une information pertinente aux patients et était dépourvue d'intérêt pour eux.

(29 mai 2020, Société française d'orthopédie dento-faciale (SFODF), n° 419449)

 

77 - Vétérinaires - Société de participations financières de vétérinaires - Aptitude à être inscrite sur la liste spéciale prévue à l'article R. 241-106 du code rural et de la pêche maritime - Refus d’inscription - Erreur de droit - Cassation sans renvoi.

Commet une erreur de droit le conseil national de l’ordre des vétérinaires qui, pour refuser l’inscription d’une société de participations financières de profession libérale de vétérinaires par actions simplifiées sur la liste spéciale prévue à l'article R. 241-106 du code rural et de la pêche maritime, argue de ce qu’il résulterait des dispositions du II de l'article 31-1 de la loi du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, que celles-ci ne permettraient qu'à des personnes physiques exerçant la profession de vétérinaire de détenir la majorité du capital et des droits de vote d'une société de participations financières de profession libérale de vétérinaires et qu'au cas d'espèce, la majorité du capital social de la société de participations financières de profession libérale de vétérinaires du Mittelberg est détenue, non par une personne physique, mais par la société par actions simplifiée du Mittelberg. 

En effet, il résulte tant de l’art. 31-1 de la loi du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé que de l’art. L. 241-17 du code rural et de la pêche maritime, que les sociétés de participations financières de profession libérale de vétérinaires peuvent être constituées entre des personnes exerçant la profession de vétérinaire et détenant la majorité du capital et des droits de vote et que ces personnes - contrairement à ce qu’a jugé le Conseil national -, peuvent être tant des personnes physiques que des personnes morales. 

(29 mai 2020, M. X. et société de participations financières de profession libérale de vétérinaires par actions simplifiées du Mittelberg, n° 416413)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

78 - Directeurs généraux des chambres de commerce et d’industrie - Régime de gestion de ces agents - Méconnaissance par un décret du champ d’application de l’art. 34 de la Constitution - Demande de renvoi d’une QPC - Rejet.

Les deux organisations requérantes, au soutien de leurs requêtes tendant à l'annulation du décret n° 2019-1227 du 26 novembre 2019 relatif aux règles de gestion des directeurs généraux agents publics des établissements publics du réseau des chambres de commerce et d'industrie, soulevaient une QPC à l’encontre de l’art. L. 711-6 du code de commerce, sur la base duquel a été pris le décret attaqué, en tant qu’il méconnaît l'art. 34 de la Constitution, selon lequel la détermination des principes fondamentaux du droit du travail et du droit syndical relève du législateur ainsi que les principes constitutionnels, issus du Préambule de la Constitution de 1946, de liberté syndicale et de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail, le principe d'égalité, le principe de liberté contractuelle et d'intangibilité des contrats, ainsi que l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intangibilité de la loi.

Le Conseil d’État rejette les recours en QPC et en refuse donc le renvoi motifs pris de ce que :

1°  conformément à la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où est affecté un droit ou une liberté que la Constitution garantit, ce qui n’est pas le cas en l’espèce où n’est pas concernée la détermination collective des conditions de travail, ce qui ne saurait, par suite, affecter les principes énoncés au huitième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

2° les dispositions contestées ne méconnaissent ni le principe d'égalité devant la loi, ni la liberté contractuelle.

3° la méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intangibilité de la loi ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité.

(27 mai 2020, Association des directeurs généraux des chambres de commerce et d'industrie, n° 437859 ; Syndicat des directeurs généraux des établissements du réseau des chambres de commerce et d'industrie, n° 437862, jonction)

 

79 - Covid-19 - Élections municipales 2020 - Organisation du second tour de scrutin - Dispositions des I, III et IV de l'article 19 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 - Droits et libertés garantis par la Constitution - Principe de sincérité du scrutin - Renvoi d’une QPC au Conseil constitutionnel.

(25 mai 2020, M. X. et autres, n° 440217) V. n° 34

 

80 - Art. L. 480-14 du code de l’urbanisme - Défaut de permis ou d’autorisation de construire, d’aménager ou de démolir - Saisine du juge judiciaire en vue de faire ordonner la démolition ou la mise en conformité d'un ouvrage édifié ou installé sans l’autorisation requise - Prescription de l’action civile - Atteinte au droit de propriété - Question présentant un caractère sérieux - Renvoi d’une QPC.

(29 mai 2020, M. X., n° 436834) V. n° 96

 

Santé publique

 

81 et 82 - Covid- 19 - Mesures de réquisition de masques sanitaires - Imprécisions portant atteinte à plusieurs libertés fondamentales - Rejet.

Les demandeurs, trois médecins et un pharmacien, sollicitent que soit ordonnée, sur le fondement de l’art. L. 521-2 CJA, la suspension de l'exécution des dispositions de l'article 12 du décret du 23 mars 2020 et d'enjoindre à l'État de prendre, sans attendre, de nouvelles dispositions précisant et encadrant plus strictement le droit de réquisition des masques car, en l’état, les dispositions contestées sont entachées d'imprécisions qui dissuadent les personnes susceptibles de vendre des masques au public et aux personnels soignants qui en manquent de le faire, ce qui porterait atteinte au droit au respect de la vie, à la liberté d'entreprendre, à la liberté du commerce et de l'industrie et au droit de propriété.

Le juge rejette, en ses trois chefs, la demande des requérants.

En premier lieu, est relevé le fait que « la réquisition d'un bien mobilier est considérée comme effectuée en propriété. Le moyen invoqué ne saurait être retenu alors, au surplus, que les modèles de masques en cause ne sont, pour la plupart, pas réutilisables ». Il ajoute encore que si les préfets sont habilités, en cas de nécessité, à ordonner la réquisition de masques (cf. l’art. 12-1 du décret du 23 mars 2020 précité) tel n’est pas le cas des maires, la police spéciale de l’urgence sanitaire ne leur appartenant pas en vertu d’une jurisprudence récente du Conseil d’État (ord. réf. 17 avril 2020, Commune de Sceaux, n° 440057 ; V. cette chronique, avril 2020 n° 43).

En deuxième lieu, répondant à l’argument selon lequel la notion de stocks serait imprécise en ce qu’elle ne permet pas de savoir si les stocks en cause sont ceux qui étaient constitués sur le territoire national à la date de l'entrée en vigueur du texte ou bien ceux qui le sont à tout instant, le Conseil d’État juge que le renvoi que le III de l’art. 12 du décret précité fait aux I et II est très précis quant à l’énumération des réquisitions qui sont couvertes. Le moyen, manquant en droit, est rejeté.

En troisième lieu, alors qu’il était soutenu que les dispositions contestées auraient dû préciser s'il est autorisé, notamment pour les pharmacies d'officine, de vendre les masques qui ne font pas l'objet de réquisitions, le juge rejette le moyen dès lors que les dispositions contestées par les requérants « n'ont ni pour objet ni pour effet d'interdire la vente, pour les modèles en cause, des masques qui ne sont pas réquisitionnés ».

(ord. réf. 5 mai 2020, M. X. et autres, n° 440229)

(82) V. aussi, très comparable, le rejet d’un recours tendant à ce que soient attribués en quantités suffisantes, au personnel soignant, au besoin par réquisition, des masques, des sur-blouses et des lunettes de protection, avec cette importante précision que l’insuffisance caractérisée de ces matériels ne suffit pas, par elle-même, à établir une carence manifeste des pouvoirs publics de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale : ord. réf. 22 mai 2020, Syndicat Jeunes Médecins, n° 440321.

 

83 - Covid-19 - Étrangers - Centre de rétention de Vincennes - Mesures sanitaires - Étrangers détectés positifs au Covid-19 - Respect de la quatorzaine - Rejet et admission partiels.

Les organisations et individus requérants avaient obtenu du juge des référés de première instance, par voie de référé liberté, qu’il soit enjoint aux autorités compétentes, respectivement aux articles 1er, 2 et 3 de son ordonnance, de ne pas placer d'étrangers en rétention dans ce centre durant une période de quatorze jours (art. 1er), d'isoler et de confiner toute personne placée dans ce centre qui présenterait des symptômes de contamination par le virus Covid-19, en lui permettant un accès aux soins (art. 2) et de lever la rétention de tout étranger qui serait testé positif au Covid-19 en l'orientant vers un centre de l'Agence régionale de santé d'Ile-de-France (art. 3).

Ils ont saisi à nouveau ce juge sur le fondement de l'article L. 521-4 du CJA, de demandes tendant à ce qu'il modifie le dispositif de sa précédente ordonnance pour qu’il soit fait droit à leurs conclusions initiales.

Le préfet de police, pour sa part, a demandé au cours de cette seconde instance qu'il soit mis fin à l'injonction de lever la rétention des étrangers testés positifs au Covid-19 formulée à l'article 3 de la même ordonnance.

Le juge des référés ayant fait droit partiellement à cette dernière demande en mettant fin à cette injonction pour deux étrangers retenus et testés positifs au Covid-19 et ayant rejeté à la fois le surplus des conclusions du préfet ainsi que celles des autres requérants, le ministre de l'intérieur relève appel, à titre principal, des articles 1er et 3 de la première ordonnance et, à titre subsidiaire, de la seconde ordonnance en tant qu'elle a rejeté le surplus de ses conclusions.

Les conclusions du ministre dirigées contre l’article 1er de la première ordonnance sont rejetées pour non-lieu à y statuer dès lors que l’injonction qu’elle prononce interdit le placement des étrangers en rétention dans le centre de rétention administrative de Vincennes durant une période de quatorze jours, celle-ci ayant pris fin le 29 avril 2020. Cette injonction avait donc cessé de produire ses effets à la date de la présente ordonnance, d’où le non-lieu prononcé.

Les conclusions dirigées contre l’art. 3 précité de la première ordonnance sont admises, le ministre de l'intérieur soutenant à bon droit qu'eu égard aux mesures prises pour assurer la sécurité sanitaire du centre de rétention administrative de Vincennes, le maintien dans les lieux des étrangers testés positifs au Covid-19 ne saurait être regardé, contrairement à ce qu’a estimé le juge des référés en ses deux ordonnances, comme portant une atteinte grave et manifestement illégale au droit des intéressés et des autres personnes retenues dans le centre ou y intervenant au respect de la vie, au droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants ou au droit de recevoir les traitements et les soins appropriés à leur état de santé. Le juge retient aussi que les étrangers demeurant actuellement encore en rétention administrative (191 sur l'ensemble du territoire, dont 17 à Vincennes), présentent un risque particulier de troubles à l'ordre public. Toutefois, pour parvenir à répondre à ce moyen, le juge devait lever un obstacle procédural. Les défendeurs soutenaient que l'injonction prononcée par le juge des référés se bornait à reprendre les termes d'une « instruction » du ministre des solidarités et de la santé selon laquelle, en cas d'infection par le Covid-19, il y a lieu de procéder à la levée de la rétention de la personne concernée et d'envisager son orientation vers un centre d'hébergement dédié aux personnes atteintes de cette maladie. Ils estimaient, en conséquence que les conclusions dirigées contre cette injonction étaient irrecevables. L’argument est rejeté en ces termes : « la circonstance qu'une injonction prononcée par le juge administratif réitèrerait les termes d'une instruction administrative ne saurait, par elle-même, rendre irrecevables des conclusions d'appel tendant à son annulation ». La fin de non-recevoir est donc rejetée.

(ord. réf. 7 mai 2020, Ministre de l’intérieur, 440255)

 

84 et 85 - Covid- 19 - Régime de prescription de spécialités pharmaceutiques - Avis de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé - Données acquises de la science - Cas de l’hydroxychloroquine - Rejet.

Le requérant demandait la suspension d’exécution d’une part des dispositions du 2° de l'article 1er du décret du 25 mars 2020, qui introduisent un article 12-2 dans le décret du 23 mars 2020, et d’autre part, des dispositions de l'article 19 du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020.

Il s’agit d’un nouvel épisode de la saga de l’hydroxychloroquine dont l’univers semble aussi impitoyable que celui de la célèbre série Dallas

Sur le premier de ces textes le recours est rejeté car il a été abrogé par un décret du 11 mai 2020, antérieur donc au jour où est rendue la présente ordonnance.

Sur le recours dirigé contre le second texte, tous les moyens sont rejetés, l’efficacité de l’hydroxychloroquine n’ayant pas été encore établie et les protocoles actuellement adoptés ne répondant pas aux exigences ordinaires des essais pharmaceutiques et de laboratoire pour qu’en soient tirées des conclusions scientifiques pertinentes.

(ord. réf. 18 mai 2020, M. X., n° 440243)

(85) V. également, s’agissant d’un recours en vue de la suspension de l'arrêté du ministre des solidarités et de la santé du 13 janvier 2020 portant classement de l’hydroxychloroquine sur les listes des substances vénéneuses et donc interdiction de dispenser du Plaquenil en dehors d'une prescription médicale, cela en violation de diverses libertés fondamentales (droit à la vie, droit à la protection de la santé, droit d'accès aux soins, droit de recevoir les traitements et les soins appropriés à l’état de santé du patient, liberté de prescription des médecins, liberté de dispensation des pharmaciens et libre circulation des marchandises garantie par le droit de l'Union européenne), son rejet pour défaut de démonstration de l’urgence que présenterait une levée des précautions particulières qui entourent la prescription et la délivrance des médicaments contenant cette substance et qui ont été édictées dans l'intérêt de la santé publique : ord. réf. 29 mai 2020, M. X. et autres, n° 440631

 

86 - Demande de suspension temporaire de la vente sur internet de produits contenant de la nicotine - Distinction du tabac et de la nicotine en matière de dépendance - Rejet.

Était demandée la suspension de l'exécution de l'arrêté du 23 avril 2020 interdisant la vente par internet de spécialités contenant de la nicotine, cet arrêté, d’une part, reposant sur une confusion entre tabac et nicotine, alors que celle-ci n'entraîne aucune addiction, et d’autre part, portant une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie, dès lors qu'il incite les personnes concernées à se déplacer physiquement pour obtenir de la nicotine ou à consommer du tabac.

La demande est, sans grande surprise, rejetée en ses deux arguments.

Premièrement, l’arrêté attaqué ne repose pas sur la confusion entre nicotine et tabac contrairement à ce qui est allégué par le demandeur en référé.

Secondement, la restriction critiquée, en ce qu’elle est limitée aux possibilités de se procurer les substances en cause, est exactement appropriée au besoin de prévenir les risques de consommation excessive ou de mésusage des substituts nicotiniques et de garantir l'approvisionnement des personnes qui en ont besoin dans le cadre d'un sevrage tabagique.

Le demandeur n’est ainsi pas fondé à soutenir que la mesure prise ferait courir des risques excessifs aux personnes concernées ou bien les inciterait à consommer du tabac.

(ord. réf. 8 mai 2020, M. X., n° 440387)

 

87 - Covid-19 - Interruption volontaire de grossesse - Prescription de spécialités pharmaceutiques à base de l’antiprogestérone mifepristone et à base de prostaglandine misoprostol - Prescription en dehors du cadre de leur autorisation de mise sur le marché - Dérogation à l'article L. 5121-8 du code de la santé publique - Incompétence du ministre de la santé - Rejet.

Les trois associations demandaient par voie de référé la suspension de l’exécution du 3° de l'article 1er de l'arrêté du 14 avril 2020 du ministre de la santé complétant l'arrêté du 23 mars 2020 prescrivant les mesures d'organisation et de fonctionnement du système de santé nécessaires dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire et de leurs deux annexes afin de permettre la pratique des avortements en dehors des établissements de santé, par voie médicamenteuse, au-delà de la cinquième semaine de grossesse qui était jusqu’à cette date la limite réglementaire pour accomplir ces actes dans ces conditions, et ce jusqu’à la septième semaine. Elles invoquaient des motifs d’illégalité de forme (incompétence de l’auteur des actes attaqués et dérogations non conformes aux dispositions du code de la santé publique) et de fond (violation des conditions posées par l'art. L. 3131-16 du code de la santé publique, car les mesures en cause ne sont ni nécessaires ni proportionnées aux risques sanitaires encourus et aux circonstances de temps et de lieu ; mise en danger de la santé des femmes et particulièrement des mineures).

Leurs recours, joints, sont rejetés.

Le juge, replaçant les requêtes dans le contexte de la réglementation applicable aux avortements intervenant avant la fin de la douzième semaine de grossesse et à ceux réalisés par voie médicamenteuse, se prononce sur les divers moyens dont il est saisi.

Tout d’abord, il rejette l’argument tiré de l’incompétence du ministre de la santé pour prendre l’arrêté litigieux en lieu et place du premier ministre car cette mesure contribuerait à ralentir la progression de l’épidémie de Covid-19. Cette réponse se concilie mal avec le fait qu’en cours de procédure les parties avaient été avisées de ce que la décision du juge des référés du Conseil d’État était susceptible d'être fondée sur le moyen, relevé d'office, selon lequel certaines des dispositions de l'arrêté contesté pourraient être regardées comme entachées d'incompétence, faute d'avoir été édictées par le premier ministre, sur le fondement du 9° de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique. Il faut croire que la doctrine du juge a évolué encore que l’on puisse se demander en quoi la signature du premier ministre n’aurait pas permis d’aboutir aussi bien au moins au même résultat.

Ensuite, examinant la légalité interne de la décision attaquée, le juge rejette le moyen tiré de ce que l’autorisation donnée de pratiquer des avortements en dehors des établissements de santé après cinq semaines de grossesse et jusqu’à sept semaines ne serait ni strictement nécessaire et proportionnée aux risques sanitaires encourus, ni appropriée aux circonstances de temps et de lieu alors que le protocole, y compris en cas de téléconsultation a été validé par le Haut conseil de santé publique. Également n’est pas retenu l’argument tiré des risques encourus par les intéressées du fait d’un avortement médicamenteux, cette pratique existant dans plusieurs pays ni, non plus, celui fondé sur l’application de cette disposition aux mineures, le juge relevant qu’à leur égard sont maintenues les autres dispositions protectrices du code de la santé publique.

Semblablement est rejetée l’objection résultant de ce que les médicaments nécessaires à une interruption volontaire de grossesse par voie médicamenteuse faisant l'objet d'une prescription non conforme à l'autorisation de mise sur le marché sont délivrés par le pharmacien d'officine désigné par la patiente, au mépris des obligations déontologiques de celui-ci, car les dispositions contestées ne font pas, par elles-mêmes, obstacle au respect des devoirs déontologiques des pharmaciens énoncés aux articles R. 4235-1 et suivants du code de la santé publique. Pas davantage, n’est admise l’existence d’une « clause de conscience » au bénéfice des pharmaciens comme il en va pour les médecins et les sages-femmes, ces derniers se trouvant dans une situation différente.

L’absence d’indication concernant la cessation de l’application de ces mesures dérogatoires n’entache pas d’illégalité l’arrêté attaqué, l’article L. 3131-16 du code de la santé publique disposant qu’il est mis fin aux mesures prescrites en application de cet article « sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires » et la preuve qu’il en est d’ores et déjà ainsi n’étant pas rapportée.

(ord. réf. 22 mai 2020, Association Alliance Vita et l'association Juristes pour l'enfance, n° 440216 ; Association Pharmac'éthique, n° 440317, jonction)

 

88 - Référé suspension - Dispositifs médicaux pris en charge par la sécurité sociale - Modification des conditions de prise en charge - Doute sérieux - Urgence - Octroi du sursis.

(ord. réf. 8 mai 2020, Société Innov'sa, n° 440213) V. n° 9

89 - Covid-19 - Usage de fontaines à eau sur les lieux de travail - Interdiction ou recommandation de ne pas les utiliser - Préconisations fixées par des fiches-conseils du ministère du travail - Guides de recommandations établis par des organisations professionnelles - Rejet.

 (ord. réf. 29 mai 2020, Association française de l'industrie des fontaines à eau (AFIFAE), n° 440452) V. n° 32

 

Service public

 

90 - Covid -19 - Enseignement - Accueil des enfants des personnels de santé en milieu scolaire - Instructions contraires existantes ou supposées - Rejet.

Le requérant demande la suspension de l'exécution de la consigne d'isolement des enfants de soignants lors de leur retour à l'école à compter du 12 mai 2020, s'il est avéré qu'une telle consigne a été donnée par le Gouvernement. En l'absence d'une telle consigne, il demande au juge d'enjoindre à l'État de diffuser largement, notamment aux recteurs et directeurs d'écoles élémentaires, au plus tard le 12 mai 2020, une information quant à la nécessité d'accueillir les enfants de personnels de santé de manière identique aux autres élèves et, lorsqu'ils n'appartiennent pas aux groupes d'élèves pour lesquels les écoles sont rouvertes, quant à la nécessité de les accueillir dans les conditions prévues à l'article 10 du décret n° 2020-545 du 11 mai 2020.

Ces demandes sont rejetées car le juge constate, d’une part, qu’il n’existe aucune instruction du gouvernement contenant une telle consigne, et d’autre part, que le ministre de l’éducation a expressément rappelé la nécessité d’accueillir ces enfants compte tenu de la profession des parents.

Enfin, s’agissant de celles des conclusions du syndicat requérant tendant à ce qu'il soit enjoint au Gouvernement de prendre les mesures règlementaires garantissant l'accueil des enfants des personnels prioritaires dans toutes les communes, elles ne sont pas assorties des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé, ce qui entraîne leur rejet. 

(ord. réf. 12 mai 2020, Syndicat Jeunes médecins, n° 440460)

 

91 - Enseignement supérieur - École normale supérieure de Lyon - Irrégularité de la composition de son conseil d’administration - Risque d’illégalité subséquente de ses décisions - Urgence à statuer - Rejet.

La circonstance que la composition actuelle du conseil d’administration de l’École normale supérieure de Lyon serait irrégulière et risquerait d’entacher d’illégalité d’importantes décisions que ce dernier est amené à prendre prochainement ne caractérise pas une urgence justifiant l’intervention du juge du référé suspension car les incidences que pourrait avoir l'annulation des actes attaqués sur des décisions ultérieures, dont la date au surplus est à ce jour incertaine, ne sont pas, par elles-mêmes, de nature à caractériser une telle urgence.

(ord. réf. 19 mai 2020, M. X. et Mme Y., n° 440372)

 

92 - Covid-19 - Services funéraires à Mayotte - Interdiction de toilette mortuaire - Ensachage immédiat des corps - Absence de carence de l’agence régionale de santé (ARS) - Rejet.

Les requérants sollicitaient du juge du référé liberté du Conseil d’État l’annulation du rejet, par le juge des référés de première instance, de leur demande tendant à ce qu’il soit ordonné à l'ARS de Mayotte de communiquer, d'afficher dans les centres de soins et les centres de consultations périphériques, ainsi qu'en mairie avec une traduction en shimaore et en kibushi, et de mettre en application à Mayotte dans un délai de 24 heures un protocole de santé disposant que :

« Jusqu'au 30 juin 2020 :

- les soins de conservation définis à l'article L. 2223-19-1 du code général des collectivités territoriales sont interdits sur le corps des personnes décédées ;

- les défunts atteints ou probablement atteints de Covid-19 au moment de leur décès font l'objet d'une mise en bière immédiate. La pratique de la toilette mortuaire est interdite pour ces défunts ;

- les défunts doivent être placés dans des housses avant leur remise aux familles ou aux opérateurs funéraires par le Centre hospitalier de Mayotte ainsi que dans les dispensaires de l’archipel ;

- les défunts atteints ou probablement atteints de Covid-19 au moment de leur décès ne peuvent être transportés en dehors du département. Leur inhumation et obligatoire ».

Le recours est rejeté car le juge estime que l’ARS a toujours œuvré dans le souci de la protection de la santé soit au moyen de mesures ou d’actes, dont certains ne lui incombaient d’ailleurs pas, soit en rappelant les consignes particulières à la rédaction des certificats de décès (tant pour ce qui regarde leur forme que le délai de leur rédaction), soit en suscitant des réunions avec les diverses parties prenantes et en favorisant constamment la participation des entreprises funéraires. Dès lors aucune carence constitutive d’une atteinte à une liberté fondamentale ne saurait lui être reprochée ainsi que l’a, à juste titre, estimé le premier juge.

(ord. réf. 22 mai 2020, Sarl Transport Posthume de Mayotte et autres, n° 440438)

 

93 - Covid-19 - Référé de l’art. L. 523-1 CJA - Circulaire ministérielle relative à la réouverture des écoles et des établissements scolaires et aux conditions de poursuite des apprentissages - Ministre chef du service de l’éducation - Obligation pour lui de réglementer - Illégalité à se borner à recommander - Incompétence du juge de ce référé - Rejet.

(ord. réf. 11 mai 2020, Fédération des syndicats Sud Education, n° 440455) V. n° 15

 

Travaux publics et expropriation

 

94 - Droit de propriété - Travaux et constructions publics empiétant sur une propriété privée - Obligation de remettre les lieux en état - Absence de caractère automatique d’urgence d’une action en vue de protéger ou rétablir une liberté fondamentale - Annulation de l’ordonnance du premier juge.

(28 mai 2020, Commune de Morne-Vert, n° 440522) V. n° 7

 

Urbanisme

 

95 - Permis de construire - Lotissement - Recours en annulation du permis de lotir - Pourvoi en cassation - Référé suspension - Règles applicables devant le juge de cassation - Irrecevabilité - Rejet.

La société requérante avait demandé, en vain, aux premiers juges, l’annulation de l’arrêté municipal accordant un permis de construire valant division parcellaire et construction de vingt villas individuelles groupées à usage d'habitation, ainsi que la décision du maire rejetant le recours gracieux formé contre cet arrêté. Elle a saisi la cour administrative d’appel d’un appel à fin d’annulation du jugement de rejet. Cette demande a été transmise au Conseil d’État, le tribunal administratif ayant statué en premier et dernier ressort (art. R. 351-2 CJA).

Par une seconde requête, cette société a demandé au juge des référés de la cour d'ordonner la suspension de l'exécution du permis ainsi que de la décision rejetant son recours gracieux. Celle-ci a été, à son tour, transmise au Conseil d’État (art. R. 351-2 CJA).

Le Conseil d’État était donc saisi d’un pourvoi contre le premier jugement et d’un recours en référé suspension, ce dernier fait l’objet de la présente décision.

S’il estime que c’est à bon droit que lui a été transmis le recours dirigé contre le jugement, le Conseil d’État rappelle, en revanche, qu'une demande de suspension de l'exécution d'une décision administrative ne peut être présentée au juge des référés que si la juridiction dont il dépend est elle-même saisie d'une requête en annulation ou en réformation de cette décision. Il s’ensuit :

- d’une part, que des conclusions à fin de suspension ne sont pas recevables devant le Conseil d’État, juge de cassation, qui est saisi d'une requête dirigée contre la décision juridictionnelle attaquée devant lui et qui n'a pas à examiner la légalité ou le bien-fondé de la décision administrative contestée avant d'avoir, le cas échéant, annulé cette décision,

- et, d’autre part, qu’eu égard à l'office du juge de cassation, une telle impossibilité de lui soumettre une demande de suspension tant qu'il ne s'est pas prononcé sur la légalité de la décision juridictionnelle attaquée devant lui ne méconnaît pas les exigences du droit à un recours effectif.

(7 mai 2020, Société Provence Lotissements, 440279)

 

96 - Art. L. 480-14 du code de l’urbanisme - Défaut de permis ou d’autorisation de construire, d’aménager ou de démolir - Saisine du juge judiciaire en vue de faire ordonner la démolition ou la mise en conformité d'un ouvrage édifié ou installé sans l’autorisation requise - Prescription de l’action civile - Atteinte au droit de propriété - Question présentant un caractère sérieux - Renvoi d’une QPC.

Présente un caractère sérieux la question de savoir si les dispositions de l’art. L. 480-14 du code de l’urbanisme (selon lequel : «  La commune ou l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d'urbanisme peut saisir le tribunal de grande instance en vue de faire ordonner la démolition ou la mise en conformité d'un ouvrage édifié ou installé sans l'autorisation exigée par le présent livre, en méconnaissance de cette autorisation ou, pour les aménagements, installations et travaux dispensés de toute formalité au titre du présent code, en violation de l'article L. 421-8. L'action civile se prescrit en pareil cas par dix ans à compter de l'achèvement des travaux ».) portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, d’où son renvoi au Conseil constitutionnel.

(29 mai 2020, M. X., n° 436834)

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