Sélection de jurisprudence du Conseil d’État
Avril 2020
Du Covid-19 et de la gloire du référé : des difficultés de la fonction de juger.
La présente chronique de jurisprudence est tout entière dominée par le double effet de l’épidémie de Covid-19 et de l’utilisation massive des deux référés urgents, le référé liberté, très largement prédominant, et le référé suspension, moins fréquent.
Elle révèle l’aspect Janus de ces référés, d’une part, remarquables par leur aptitude à permettre une justice rapide, et d’autre part, faiblement adaptés à des contentieux très techniques et complexes.
D’où un certain sentiment d’inconfort intellectuel devant l’emploi de formules et de tournures jurisprudentielles stéréotypées, le recours à une rédaction argumentative davantage tournée vers la persuasion que vers la rectitude juridique, une soumission totale aux observations de comités « scientifiques », une acceptation permanente de choix gouvernementaux estimés a priori sinon bons du moins qu’il serait de mauvais goût de trop critiquer.
De là semble être née une « régulation » juridictionnelle de l’action gouvernementale devant l’adversité épidémique dans un sens sans doute par trop « union nationale ».
Si l’on peut comprendre la sidération de la justice devant ce phénomène par ailleurs mal connu en sa substance, il reste cependant qu’à trop vouloir légitimer les décisions des gouvernants de l’heure, par nature éphémères et intéressées, il ne faudrait pas que le prestige du juge en ressorte écorné.
Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse
1 - Covid-19 - Demande de suspension - Communiqué de presse d’une secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées - Acte faisant grief - Absence - Rejet.
L’organisation requérante demandait, d’une part, la suspension partielle de l'exécution du communiqué de presse du 16 mars 2020 du secrétariat d'Etat chargée des personnes handicapées, intitulé « Mesures pour les personnes en situation de handicap vivant à domicile et/ou accompagnées en établissement médico-social, dans le cadre de l'épidémie de covid-19, actualisées suites aux annonces du Premier ministre du 14 mars 2020 », et d’autre part, que soient accordées aux résidents des établissements sociaux et médico-sociaux, en application de diverses conventions internationales, les mêmes libertés qu’aux autres résidents sur le territoire national ainsi qu’un droit d’accès du contrôleur général des lieux de privation de liberté que sont devenus lesdits établissements du fait de ce communiqué.
La requête est rejetée faute que ce communiqué fasse grief dans la mesure où il ne comporte que des recommandations, laissant sauve la liberté de décision des chefs d’établissements en cette matière.
(ord. réf. 8 avril 2020, « Collectif pour la Liberté d'Expression des Autistes » (CLE Autistes), n° 439822)
2 - Covid-19 – Décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 – Demande de suspension – Rejet.
Le requérant, qui en demande par ailleurs l’annulation, sollicite la suspension d’exécution du décret du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire.
Cela lui est très logiquement refusé au motif que n’existe aucune urgence en l’espèce alors qu'un intérêt public particulièrement éminent s'attache à l'exécution des mesures prises par le décret litigieux, dans le contexte actuel de crise sanitaire et de mise sous tension des structures hospitalières. Au reste, doit être relevé le fait que cette requête, enregistrée le 25 mars 2020 et pour laquelle l’instruction est close depuis le 30 mars à midi, ne trouve son épilogue que plus de trois semaines plus tard… Il était sans doute urgent d’attendre…
(ord. réf. 22 avril 2020, M. X., n° 439787)
3 - Exécution des lois - Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 (art. L. 1110-3 c. santé pub.) - Décret d’application - Dépassement du délai raisonnable d’exécution - Annulation du refus implicite de prendre ce décret - Injonction sans astreinte de prendre ce décret sous neuf mois.
Constatation par le Conseil d’Etat que le décret qu’exigeait la loi du 21 juillet 2009 pour l’application de l’art. 1110-3 du code de la santé publique n’ayant pas été pris à la date di 9 avril 2020, le délai raisonnable à cet effet est expiré. Il est enjoint au premier ministre de le prendre sous neuf mois.
(9 avril 2020, Conseil national de l'ordre des médecins, n° 428680)
4 et 5 - Covid-19 – Circulaire rappelant le cadre légal de l'utilisation d’un médicament – Demande d’injonction en ce sens au premier ministre – Principe du caractère toujours facultatif de la prise de circulaires – Rejet.
Le syndicat requérant demandait par voie de référé liberté qu’il soit enjoint au premier ministre de publier une circulaire rappelant le cadre légal de l'utilisation du Rivotril, médicament pouvant être utilisé dans le traitement du Covid-19.
On retiendra de cette décision, par ailleurs assez classique sur le fond en ce qu’elle traite du Covid-19, la réaffirmation par le Conseil d’État que l'administration n'est jamais tenue de prendre une circulaire visant à faire connaître l'interprétation qu'elle retient de l'état du droit en vigueur, sur lequel un tel acte demeure en outre sans effet. C’est pourquoi, la publication d'une circulaire n'est, par suite, pas au nombre des mesures susceptibles d'être ordonnées par le juge du référé liberté.
(ord. réf. 15 avril 2020, Syndicat Jeunes médecins, n° 439948 ;
(5) v. aussi, à propos du médicament Ritrovil, du même jour, avec identique rejet : ord. réf. M. X. et autres, n° 440029)
Collectivités territoriales
6 - Covid-19 - Application de l’état d’urgence sanitaire au territoire de la Polynésie française - Pouvoirs accordés au haut-commissaire de la république dans ce territoire - Rejet.
Le requérant, résidant en Polynésie française, demande que soit ordonnée la suspension de l'exécution des dispositions des 1° et 3° de l'article 1er du décret n° 2020-432 du 16 avril 2020 complétant le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, en tant que ces dispositions s'appliquent à la Polynésie française, ainsi que le 5° de ce même article en tant qu'il édicte, pour la Polynésie française, le a) du I de l'art. 14 du décret du 23 mars 2020. Il invoque, au soutien de sa requête en référé divers moyens d’irrégularité qui affecteraient le décret attaqué. En particulier, il critique l’étendue et les conditions juridiques de la dévolution de pouvoirs spécifiques à cet effet au haut-commissaire de la république en Polynésie française.
Aucun des moyens n’est - et ne pouvait d’ailleurs l’être - retenu par le juge qui rejette ainsi le recours.
(ord. réf. 23 avril 2020, M. X., n° 440152)
Contentieux
7 - Demandes des parties - Obligation du juge à leur égard - Interdiction de statuer infra petita et ultra petita - Annulation partielle sans renvoi.
Doit être annulée la partie d’un arrêt d’appel qui statue au-delà des conclusions qui lui étaient soumises en annulant la délibération d’un conseil municipal arrêtant le plan d’alignement d’une voie de la commune alors que ne lui était demandée que l’annulation de cette délibération en tant qu’elle portait plan d’alignement d’une autre voie.
(3 avril 2020, M. et Mme X., n° 431931)
8 - Covid-19 - Demande de suspension de l’exécution de décrets prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire - Référé suspension non assorti d’une requête en annulation - Irrecevabilité manifeste - Rejet.
Est manifestement irrecevable, et doit être rejetée selon la procédure expéditive de l’art. L. 522-3 CJA, la requête en référé suspension qui n’est pas accompagnée d’une demande d’annulation des décisions dont est sollicitée la suspension d’exécution.
(ord. réf. 8 avril 2020, M. X., n° 439837)
9 - Covid-19 - Médecin de ville - Interdiction d’administration d’un traitement à ses patients - Absence d’atteinte à sa situation personnelle - Absence d’urgence - Rejet.
Le requérant, qui est médecin de ville, demande la suspension de l'exécution du décret n° 2020-314 du 25 mars 2020 en ce qu'il interdit aux médecins de ville de prescrire à des malades de l'hydroxychloroquine et du lopinavir associé au ritonavir.
La requête est rejetée pour défaut d’urgence, selon la procédure expéditive de l’art. L. 522-3 CJA. Le juge relève en effet qu’il n’y a pas d’urgence à statuer tant en raison des circonstances exceptionnelles ayant motivé la prise de ce décret que de l’intérêt public qui s’attache au respect de la réglementation en matière de traitement médical comme de l’absence d’atteinte à la situation du requérant.
Un rejet pour défaut d’intérêt à agir eu sans doute été préférable.
(ord. réf. 29 avril 2020, M. X., n° 440130)
10 - Covid-19 – Pouvoirs du juge du référé liberté – Demande d’injonction d’adopter des mesures économiques structurelles – Demande n’entrant pas dans les pouvoirs et missions de ce juge des référés – Rejet.
Les requérants demandaient au juge d’enjoindre aux autorités responsables de prendre diverses mesures économiques et financières comme, par exemple, l’interdiction de la distribution de tout dividende sur les résultats 2019 pour plusieurs catégories de sociétés, celle de procéder, pour certaines, à une opération de rachat de ses propres actions, la consignation des dividendes non encore distribués, la création d’une contribution exceptionnelle à l’effort de solidarité, l’affection à des financements préfixés du sole disponible à la Caisse des Dépôts et Consignations à la fin de la période de confinement, etc.
De telles demandes sont bien évidemment rejetées par le juge saisi dès lors que les « demandes ainsi présentées (…) ne visent pas tant à assurer, par des mesures provisoires décidées en urgence, la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle il serait portée une atteinte grave et manifestement illégale par une personne morale de droit public, en l'occurrence l'Etat, qu'à obtenir la mise en place d'une série de mesures structurelles ayant pour objet et pour effet de modifier le fonctionnement de l'économie française et notamment l'organisation de ses principales entreprises, y compris dans leurs relations avec leurs actionnaires comme avec leurs salariés ».
De telles mesures ne sauraient relever de la compétence du juge des référés.
(ord. réf. 21 avril 2020, M. X. et autres, n° 440024)
Contrats
Droit fiscal et droit financier public
11 - Covid-19 - Déclaration des revenus 2019 – Report de la date limite – Dates différentes selon le recours, ou non, à des experts-comptables - Illégalité – Absence – Rejet.
Le requérant, avocat fiscaliste de son état, demandait, en référé liberté, qu’il soit fait injonction à plusieurs ministres de proroger les délais de dépôt de déclarations des revenus jusqu'au 31 juillet 2020 car, en l’état, il serait porté une atteinte grave et manifestement illégale au principe d’égalité du fait d’une différence de traitement injustifiée entre les contribuables selon que leurs déclarations professionnelles sont souscrites par un expert-comptable ou non, ces derniers disposant d’un délai plus court pour déposer leurs déclarations, et cela alors que le report des dates limites de dépôt des déclarations de revenus personnels demeure insuffisant.
Rejetant ce recours, le Conseil d’Etat rappelle, d’une part, que le requérant se trompe en indiquant les dates limites, celles-ci étant toutes reportées au 30 juin 2020, et d’autre part, la possibilité d’effectuer par internet la déclaration des revenus, d’utiliser entre un avocat et son client les voies téléphonique et informatiques, ce qui évite des déplacements dangereux pour la santé.
(ord. réf. 20 avril 2020, M. X., n° 439985)
Droit public de l’économie
12 - Investissements étrangers en France - Exercice de certaines activités économiques - Autorisation préalable du ministre de l’économie - Renseignements exigés dans la demande d’autorisation - Prise de contrôle d’une société par une autre - Rejet.
Les requérants demandaient au Conseil d’Etat d’annuler l’arrêt confirmatif de la cour administrative d’appel ayant rejeté leur recours en annulation du jugement déclarant légale l’autorisation ministérielle donnée à la prise de contrôle d’une société par une autre.
Leur pourvoi est rejeté.
L’art. L. 151-3 du code monétaire et financier donne compétence au ministre de l’économie pour donner l’autorisation préalable aux investissements étrangers en France qui concernent une activité qui soit participe à l’exercice de l’autorité publique soit porte sur l’un des domaines limitativement énumérés au I de ce texte.
Pour contester l’autorisation donnée à un fonds d’investissement dont la société gestionnaire est spécialisée dans les investissements en crédit et en capital ainsi que dans les opérations de rachat et capital-développement, les demandeurs reprochaient notamment au ministre de n’avoir pas fait toutes les vérifications d’identité nécessaires concernant l’investisseur.
Le Conseil d’Etat, rejetant ce moyen, apporte cette importante précision que si la demande d’autorisation doit indiquer les nom et adresse de l'investisseur et, s'il s'agit d'une personne morale, les renseignements permettant de déterminer les personnes physiques ou les collectivités publiques qui la contrôlent en dernier ressort, en revanche aucun texte ou principe n’impose que soit précisée l'identité de tous les investisseurs participant à ce fonds.
Enfin, eu égard aux garanties offertes par l’investisseur et à son expérience, il n’apparait point qu’en accordant cette autorisation le ministre défendeur ait commis une erreur manifeste d’appréciation
(3 avril 2020, M. et Mme X., n° 422580)
13 - Autorité des marchés financiers - Refus d’user de son pouvoir d’injonction envers des actionnaires d’une société - Contestation - Ordre de juridiction compétent - Juridiction judiciaire - Rejet pour incompétence ratione materiae.
Le Conseil d’Etat estime que le litige opposant une société financière à l'Autorité des marchés financiers, relatif à la légalité de la décision par laquelle cette dernière refuse de faire droit à la demande de cette société tendant à ce qu'elle fasse usage des pouvoirs d'injonction, qu'elle tient de l'article L. 621-14 du code monétaire et financier, à l'encontre de certains actionnaires d’une autre société détenant plus de 30 % de son capital ou de ses droits de vote afin qu'ils déposent une offre publique d'acquisition obligatoire visant les titres de la société requérante, relève de la compétence du juge judiciaire ainsi que les conclusions tendant à la réparation du préjudice que la société estime avoir subi du fait de cette décision.
(3 avril 2020, Société Financière Taulane, n° 422178)
14 - Covid-19 - Régulation des marchés de l’électricité et du gaz naturel - Fournisseurs alternatifs d’électricité - Délibération de la Commission de régulation de l’électricité (CRE) - Activation d’une clause de force majeure - Baisse de la consommation électrique des secteurs tertiaire et industriel - Mise en péril alléguée d’entreprises - Absence d’urgence - Rejet.
La présente décision illustre l’ébranlement économique provoqué par l’épidémie de Covid-19.
Les associations requérantes demandaient, pour l’essentiel, la suspension de l'exécution de la délibération de la CRE du 26 mars 2020 portant communication sur les mesures en faveur des fournisseurs prenant en compte des effets de la crise sanitaire sur les marchés d'électricité et de gaz naturel, en tant que cette délibération porte sur « l'évolution du cadre de l'ARENH (pour « Accès Régulé à l’Electricité Nucléaire Historique ») » et, notamment, donne une interprétation des conditions d'invocation de la force majeure et refuse de transmettre à Réseau de transport d’électricité (RTE) l'évolution des volumes d'ARENH livrés par la société EDF aux fournisseurs concernés liée à une demande d'activation de la clause de force majeure.
La crise sanitaire, en réduisant très fortement l’activité d’un grand nombre d’entreprises des secteurs industriel et tertiaire, a entraîné une baisse de la consommation d'électricité en France de l'ordre de 15% en moyenne par rapport au niveau habituellement constaté au mois de mars. Celle-ci s'est accompagnée d'une forte baisse des prix de l'électricité sur les marchés de gros.
En conséquence, le chiffre d'affaires des fournisseurs d'électricité a baissé de façon importante et, pour ceux d’entre eux qui avaient acheté par avance, à prix fixe, les quantités d'électricité qu'ils estimaient nécessaires à l'approvisionnement de leurs clients disposent d'un surplus d'électricité qu'ils doivent, ne pouvant la stocker, vendre sur le marché à un prix inférieur à celui auquel ils l'ont achetée. Il en va notamment ainsi des fournisseurs ayant exercé les droits qu'ils tiennent du mécanisme d'accès régulé à l'énergie nucléaire historique, qui ont acquis, dans les conditions prévues par les accords-cadres qu'ils ont conclus avec EDF des quantités fixées à l'avance pour l'année 2020 au prix de 42 euros par MWh alors que ce prix est tombé en mars 2020 à 21 euros.
Certains fournisseurs ont invoqué l’existence d’un cas de force majeure tel qu’il est défini à l’art. 10 du modèle annexé à l'arrêté du 12 mars 2019 portant modification de l'arrêté du 28 avril 2011 pris en application du II de l'article 4-1 de la loi n° 2000-108 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité (« La force majeure désigne un événement extérieur, irrésistible et imprévisible rendant impossible l'exécution des obligations des Parties dans des conditions économiques raisonnables ») et demandé la mise en œuvre des stipulations de l'article 13 de ces accords-cadres qui prévoit que l'exécution de l'accord-cadre pourra être suspendue, notamment, en cas de survenance d'un événement de force majeure, tel que défini à l'article 10, et que, dans cette hypothèse, « la suspension prend effet dès la survenance de l'événement de force majeure et entraîne de plein droit l'interruption de la cession annuelle d'électricité et de garanties de capacité ».Ils ont donc souhaité qu’il fût mis fin en tout ou partie, pendant la durée de la crise sanitaire, aux livraisons des volumes d'électricité qu'ils ont acquis par avance auprès d'EDF et de leur permettre, en cas de suspension partielle, de ne pas acquérir la part d'électricité excédant la demande de leur clients, voire, en cas de suspension totale, d'acquérir sur le marché, à un prix inférieur à celui fixé dans le cadre de l'ARENH, les volumes nécessaires à la satisfaction de cette même demande. Ils ont demandé à la CRE de tirer les conséquences de leur volonté d'activer la clause de force majeure en modifiant à due concurrence les quantités d'électricité devant être injectées par EDF sur le réseau en application du mécanisme de l'ARENH, que cette commission notifie à EDF et au gestionnaire public de réseau en application de l'article R. 336-19 du code de l'énergie.
La CRE, par sa délibération du 26 mars 2020, a indiqué le refus d’EDF de considérer qu’existait en l’espèce une situation de force majeure au sens de l’art. 10 précité, qu’elle ne pouvait que constater le désaccord entre les parties contractantes, dit qu’à ses yeux, d’une part, la force majeure ne trouverait à s'appliquer que si l'acheteur parvenait à démontrer que sa situation économique rendait totalement impossible l'exécution de l'obligation de paiement de l'ARENH, et d’autre part, que les conséquences d'une suspension totale des contrats ARENH en raison de l'activation des clauses de force majeure seraient disproportionnées, créant en outre un effet d'aubaine pour les fournisseurs au détriment d'EDF qui irait à l'encontre des principes de fonctionnement du dispositif, qui reposent sur un engagement ferme des parties sur une période d'un an. Par suite, la CRE a décidé de ne pas transmettre à RTE une évolution des volumes d'ARENH livrés par EDF aux fournisseurs concernés liée à une demande d'activation de la clause de force majeure.
C’est la délibération dont la suspension est demandée au Conseil d’État dans le présent litige.
En premier lieu, le Conseil d’Etat relève que cette délibération comporte seulement, d’abord, le constat du désaccord entre EDF et certains fournisseurs, ensuite l'interprétation qu'elle retient des dispositions réglementaires de l'article 10 du modèle d'accord-cadre définissant la force majeure et déterminant les conditions de son invocation et, enfin, son analyse des conséquences sur le marché de l'électricité d'une suspension totale des contrats conclus pour la mise en œuvre de l'ARENH du fait de l'activation des clauses de force majeure. Il s’agirait là de « considérations d'ordre général (qui) ne constituent pas le motif de son refus ».
En deuxième lieu, il est jugé que la divergence d'interprétation opposant les associations requérantes à la CRE au sujet de la portée des dispositions des articles 10 et 13 précités n’entraine donc pas une impossibilité générale et définitive de mise en œuvre effective de la clause de suspension d'exécution des contrats pour cause de force majeure, mais seulement le report de cette mise en œuvre jusqu'à ce que, pour chacun des fournisseurs concernés, le juge compétent apprécie, au cas par cas, si les conditions posées par l'article 10 sont réunies. Il relève, au passage, n’être pas lié par l'interprétation de l'article 10 donnée par la CRE.
Enfin, à supposer que les pertes mettent en péril l’existence des fournisseurs à l’horizon de quelques mois, cela ne confère pas à la demande des requérantes une urgence telle que ne puisse pas être suivie la procédure normale devant le juge compétent au fond. Au reste, précise encore le juge, il est loisible aux différentes parties, appliquant les dispositions de l’art. 19 des accords-cadres, de négocier des modalités dérogatoires de mise en œuvre des obligations des parties tenant compte des circonstances particulières liées à la crise sanitaire.
(ord. réf. 17 avril 2020, Association française indépendante de l'électricité et du gaz (AFIEG) et Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE), n° 439949)
Droit social et action sociale
15 - Sécurité sociale - Compétence exclusive des États de l’UE - Obligation de respecter les règles du droit de l’Union - Droit de la concurrence - Organisme sans but lucratif placé sous le contrôle de l’État - Exclusion- Rejet.
Rappels, d’une part, de ce que le droit de l'Union européenne ne porte pas atteinte à la compétence des États membres pour aménager leur système de sécurité sociale et d’autre part, de ce que les États membres doivent, dans l'exercice de cette compétence, respecter le droit de l'Union européenne, notamment les règles de concurrence entre entreprises.
Toutefois, « un organisme chargé de la gestion d'un régime de sécurité sociale, poursuivant une fonction à caractère social dépourvue de tout but lucratif, ne peut être regardé comme une entreprise au sens du traité, dès lors que ce régime met en œuvre le principe de solidarité et est soumis au contrôle de l'État ».
(9 avril 2020, M. X., n° 431886)
16 - Covid-19 – Employés des entreprises métallurgiques – Demande de clarification entre celles indispensables ou non pour la lutte contre l’épidémie – Demandes de diverses mesures de protection et de garantie – Rejet.
La Fédération requérante demande qu’il soit enjoint à l'Etat, d'une part, de dresser la liste, par secteurs d'activités, des entreprises de la métallurgie essentielles à la Nation, et d'ordonner la fermeture des entreprises métallurgiques non essentielles à la Nation, d'autre part, de prendre des mesures spécifiques de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs qui continueront à travailler au sein des entreprises essentielles à la Nation, tant en termes de matériels de protection et de tests à réaliser par les services de santé au travail, qu'en termes d'instructions strictes aux employeurs et de moyens de contrôle du respect de ces instructions.
Le recours est évidemment rejeté en ses deux branches.
D’abord, l’intrication du tissu industriel permet difficilement de pratiquer le tri demandé d’autant qu’existent des possibilités de variation, une activité devenant par la suite essentielle. Ensuite, les mesures déjà prises par les pouvoirs publics, le fonctionnement normal des instances représentatives et le renforcement des pouvoirs de l’inspection de travail permettent déjà des réponses aux demandes formulées par la requérante excluant l’urgence seule susceptible de fonder l’intervention du juge u référé liberté.
(ord. réf. 18 avril 2020, Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT (FTM-CGT), n° 440012)
Élections
17 - Covid-19 - Demande par voie de référé liberté de la suspension du décret convoquant les électeurs aux élections municipales et communautaires des 15 et 22 mars - Premier tour s’étant déroulé avant que le juge ne statue - Non-lieu à statuer.
Le requérant demandait, par voie de référé liberté, la suspension de la décision de maintenir la tenue des élections municipales les 15 et 22 mars 2020, alors que l'épidémie de covid-19 ne saurait être éradiquée d'ici 48 heures et qu'il est fait interdiction aux personnes fragiles de voir leurs proches, porte une atteinte grave et manifestement illégale au principe d'égalité devant le devoir électoral, à la souveraineté populaire et à la sincérité du scrutin.
Curieusement, non seulement le Conseil d’Etat ne s’est pas prononcé dans le délai de 48 heures, mais a attendu plus de trois semaines pour constater que dès lors que le premier tour s’était déroulé, il n’y avait plus lieu de statuer sur la requête.
(ord. réf. 7 avril 2020, M. X., n° 439512)
Environnement
18 - Éoliennes terrestres - Régime du décret du 29 novembre 2018 - Principe de non-régression - Atteinte - Absence - Principe du double degré de juridiction - Délais de procédure devant la cour administrative d’appel - Cristallisation des moyens - Rejet.
Les organisations demanderesses soutenaient qu’il avait été porté atteinte au principe de non-régression, principe cardinal du droit de l’environnement par les dispositions du décret du 29 novembre 2018 relatif aux éoliennes terrestres, à l'autorisation environnementale et portant diverses dispositions de simplification et de clarification du droit de l'environnement.
Leur recours est, très logiquement, rejeté.
D’une part, ce décret ne contient pas de dispositions de nature à affaiblir la protection de l’environnement telle qu’elle résulte du droit positif ; par suite, ne saurait être invoqué à leur encontre une quelconque violation du principe de non-régression.
D’autre part, toujours à l’appui de ce que ce décret porterait atteinte à ce dernier principe, étaient développés plus sieurs aspects de la procédure contentieuse, dont aucun ne pouvait emporter la conviction du juge. Ainsi, de l’invocation d’une atteinte au principe du double degré de juridiction, lequel n’existe pas sans texte, le caractère obligatoire du ministère d’avocat dans un matière de plein contentieux, la compétence de premier et dernier ressort attribuée aux cours administratives d’appel pour statuer sur les litiges de cette nature ou encore le délai de deux mois accordé pour répondre au premier mémoire en défense, assorti de la cristallisation automatique des moyens au terme de ce délai, aucune autre cristallisation ne pouvant être exigée par le juge avant ce terme, etc. Pas davantage n’est-il porté atteinte par le décret attaqué à l’exigence du respect du principe du caractère contradictoire de la procédure contentieuse.
(3 avril 2020, La demeure historique, n° 426941 ; Association Fédération environnement durable et autres, n° 427388, jonction)
Fonction publique et agents publics
19 - Lieutenant pénitentiaire - Attribution d’un logement par nécessité absolue de service - Refus - Demande d’indemnisation pour obligation de se loger à proximité d’un centre pénitentiaire - Refus - Illégalité - Confirmation du jugement d’annulation.
Est confirmé le jugement condamnant l’administration pénitentiaire à verser à un agent auquel elle n’a pas attribué de logement par nécessité absolue de service, à l’indemniser de l’obligation où il s’est trouvé, pour pouvoir se déplacer, conformément à la réglementation applicable lors des services d’astreinte, en un quart d’heure maximum de sa résidence au centre pénitentiaire qu’il dirige.
(3 avril 2020, M. X., n° 423905)
20 - Covid-19 - Circonstances exceptionnelles - - Épreuves de classement des auditeurs de justice à l’issue de leur scolarité à l’École nationale de la magistrature (ENM) - Règles dérogatoires - Possibilité de déroger par ordonnance de l’art. 38 à des dispositions législatives ou réglementaires non à des dispositions relevant d’une loi organique (solution implicite) - Rejet.
Saisi d’un référé suspension de l’exécution de l'article 5 de l'ordonnance n° 2020-351 du 27 mars 2020 relative à l'organisation des examens et concours pendant la crise sanitaire née de l'épidémie de covid-19, s’agissant du concours de sortie de l’ENM, le Conseil d’Etat rejette la demande.
Décidant qu’eu égard aux circonstances, n’est pas irrégulière la mesure consistant à prévoir que l’épreuve de grand oral se déroulerait en visio-conférence pour les vingt-cinq derniers élèves-auditeurs de justice ne l'ayant pas passé avant le confinement, le Conseil d’Etat relève toutefois qu’il n’en est ainsi que parce qu’il n’est pas dérogé à celles des dispositions régissant cette épreuve qui sont de nature organique.
(ord. réf. 3 avril 2020, M. X., n° 439865)
21 - Covid-19 - Administration pénitentiaire - Demandes de protection en masques, gants et gel - Limitation des promenades et des « portes ouvertes » - Rejet.
(ord. réf. 8 avril 2020, Syndicat national pénitentiaire Force ouvrière - personnels de surveillance, n° 439821)
Cette décision a été rapportée dans cette Chronique dans le n° spécial de mars 2020 consacré au Covid-19
22 - Covid-19 - Garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l’Etat - Compétence du législateur (art. 34 de la Constitution) - Droit à congé des fonctionnaires et agents publics - Détermination des périodes de congés - Rejet.
La fédération requérante demandait au juge des référés d'ordonner la suspension de l'exécution de l'ordonnance n° 2020-430 du 15 avril 2020 relative à la prise de jours de réduction du temps de travail ou de congés dans la fonction publique de l'Etat et la fonction publique territoriale au titre de la période d'urgence sanitaire. Au soutien de sa requête la requérante faisait valoir qu'en permettant de placer d'office les agents en congés annuels à des dates fixées unilatéralement, les dispositions critiquées portent une atteinte grave au droit au respect de la vie privée et au droit au repos et aux loisirs et qu'une telle atteinte est manifestement illégale, notamment faute pour le législateur d'avoir habilité le Gouvernement à fixer des règles relatives aux congés des agents publics.
Le Conseil d’Etat rejette la requête en rappelant que s’il résulte des dispositions de l’art. 34 de la Constitution que figure au nombre des « garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l’Etat » l’institution des différents droits à congé, en revanche la détermination des périodes au cours desquelles les congés annuels peuvent être pris ainsi que la possibilité de ne pas tenir compte, à cet égard, en particulier en raison des nécessités du service, des demandes des agents, ne relève que de la compétence du pouvoir réglementaire. Le président de la république était donc compétent pour prendre, sans habilitation préalable du législateur, la décision attaquée.
(ord. réf. 27 avril 2020, Fédération des personnels des services publics et des services de santé Force ouvrière, n° 440150)
Libertés fondamentales
23 - Covid-19 - Personnes sans abri ou en habitat de fortune ou en habitat indigne - Référé liberté - Demande de mesures sanitaires urgentes (masques et gants) et de dépistage systématique - Fourniture d’hébergements individuels ou autres - Rejet.
(ord. réf. 2 avril 2020, Fédération nationale droit au logement et autres, n° 439763)
Cette décision a été rapportée dans cette Chronique dans le n° spécial de mars 2020 consacré au Covid-19
24 - Covid-19 - Personnes démunies ou en situation de précarité - Bénévoles s’en occupant - Demandes de mise à l’abri, de fournitures d’équipement et de soins - Demande de création d’un enregistrement dématérialisé des demandes d’asile - Demande de gratuité de l’accès au téléphone et à internet - Demandes de protection sanitaire des bénévoles - Rejet.
(ord. réf. 9 avril 2020, Association Mouvement citoyen Tous Migrants et autres, n° 439895)
Cette décision a été rapportée dans cette Chronique dans le n° spécial de mars 2020 consacré au Covid-19
25 à 31 - Covid-19 - Déroulement et durée des détentions provisoires et des assignations à résidence sous surveillance électronique - Règles dérogatoires - Articles 15, 16 et 17 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 - Circulaire de la garde des sceaux du 26 mars 2020 - Rejet.
Les organisations requérantes demandaient la suspension, d’une part, de l’exécution de l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, en ce qu'elle concerne les prolongations de plein droit de la durée de la détention provisoire prévues par l'article 16 de l'ordonnance, de la durée des délais de comparution immédiate ou encore d’assignation à résidence, et, d’autre part, de l’exécution de la circulaire du 26 mars 2020 (Justice) la commentant.
Si le rejet était attendu, eu égard aux habitudes du Conseil d’État en ces sortes d’affaires, il n’en est pas moins sérieusement discutable en ce qu’est admise une mesure générale et absolue alors qu’il s’agit d’un domaine où ne doivent exister que des décisions strictement individuelles éminemment dépendantes de chaque individu et de son dossier.
L’autorisation globale accordée au gouvernement dans une situation de panique législative ne dispensait pas le juge, qui nous avait habitué à mieux, d’encadrer strictement une atteinte aussi exorbitante aux droits des individus. De plus, la motivation selon laquelle ces dispositions auraient été prises afin « de permettre la continuité de l'activité des juridictions pénales essentielle au maintien de l'ordre public », laisse rêveur en raison du peu de rapports entre la mesure discrétionnaire de prolongation et le but recherché et, en tout cas, en raison de l’absence de proportionnalité entre eux et par rapport à l’épidémie à combattre.
(ord. réf. 3 avril 2020, Union des jeunes avocats de Paris (UJA de Paris), n° 439877 ; Association des avocats pénalistes (ADAP), n° 439887 ; Conseil national des barreaux, association Conférence des bâtonniers de France et d'outre-mer et ordre des avocats au barreau de Paris, n° 439890 ; Union des jeunes avocats de Paris (UJA de Paris), n° 439898, jonction ;
(26) v. aussi, du même jour, avec solution identique, à propos d’un recours en référé suspension dirigé contre les articles 4, 5, 13, 14, 16, 17, du dernier alinéa de l'article 24 et de l'article 30 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020, en tant qu’ils modifient nombre de règles de procédure pénale, autorisent les prolongations des gardes à vue des mineurs âgés de seize à dix-huit ans, le cas échéant sans présentation de la personne devant le magistrat compétent, les prolongations automatiques de la durée des détentions provisoires et de celle des comparutions immédiates, etc. : ord. réf., Syndicat des avocats de France, n° 439894. Cette décision appelle, comme la précédente, d’expresses réserves ;
(27) v. aussi, très voisine, à propos d’une personne incarcérée sollicitant de la chambre de l’instruction sa remise en liberté, la décision sur référé : 4 avril 2020, M. X., n° 439921 ;
(28) v. encore, toujours rejetant, dans le cadre d’un recours en suspension de l'exécution de la circulaire précitée du 26 mars 2020 de la garde des sceaux : ord. réf., 10 avril 2020, Union des jeunes avocats de Paris, n° 439901 ;
(29) ou encore, s’agissant de la demande de suspension de l'exécution des articles 7, 8, 9, 13 et du 2° du II de l'article 15 de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 : ord. réf., 10 avril 2020, Syndicat des avocats de France, n° 439903 ;
(30) v. également, avec solution très comparable, à propos d’une demande de suspension de l'exécution de l'article 9 et des articles 13 à 19 de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale : ord. réf., 10 avril 2020, Conseil national des barreaux et autres, n° 439883
(31) v., à la fois sur divers aspects de la procédure pénale affectés par l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020, l'article 4 de l'ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 ordonnance et la circulaire (Justice) du 26 mars 2020 présentant les dispositions de l'ordonnance du 25 mars 2020 précitée et sur de nombreux griefs de légalité externe, évidemment rejetés : ord. réf. 22 avril 2020, Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, Conseil national des barreaux, ordre des avocats au barreau de Paris et association Conférence des bâtonniers de France et d'outre-mer, n° 440039)
32 - Covid-19 - Liberté d’aller et de venir - Droit au respect de la vie privé - Droit à mener une vie familiale normale - Exercice de la liberté personnelle - Décret n° 2020-357 du 28 mars 2020 relatif à la forfaitisation de la contravention de la 5ème classe réprimant la violation des mesures édictées en cas de menace sanitaire grave et de déclaration de l'état d'urgence sanitaire - Absence d’atteinte au principe de légalité des délits et des peines - Absence de disproportion manifeste entre les faits retenus et les sanctions prévues - Rejet.
Ce référé liberté portait essentiellement sur la légalité de la forfaitisation de la contravention de 5ème classe prévue en cas de non-respect notamment des restrictions ou interdictions de circulation des personnes et des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par décret ainsi qu’aux interdictions de sortir du domicile, sauf pour des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé.
La requête est - comme attendue - rejetée en tous ses chefs sans examen de la condition d’urgence et selon la procédure expédiente de l’art. L. 522-3 CJA
(ord. réf. 4 avril 2020, M. X., n° 439888)
33 - Covid-19 - Liberté d’aller et de venir - Limitation spatiale des déplacements - Limitation temporelle des activités physiques - Rejet.
Le Conseil d’Etat était saisi d’un référé liberté dirigé contre les dispositions du 5° du I de l'article 3 du décret du 23 mars 2020 en tant qu'elles restreignent la durée et la distance des déplacements liés à l'activité physique individuelle des personnes, respectivement à une heure quotidienne et dans un rayon maximal d'un kilomètre autour du domicile. Rejetant - comme cela est logique - cette demande, le juge relève que la condition d’urgence exigée par le texte de l’art. L. 521-2 CJA n’est pas remplie en l’espèce, eu égard, d'une part, aux circonstances exceptionnelles qui ont conduit le législateur à déclarer l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois et aux vues desquelles les dispositions contestées ont été prises, d'autre part, à l'intérêt public qui s'attache à l'exécution des mesures de confinement, dans le contexte actuel de saturation des structures hospitalières.
(ord. réf. 30 avril 2020, M. X., n° 440267)
34 et 35 - Covid-19 - Détenu - Demande de protections contre l’épidémie - Absence d’atteinte grave et manifestement illégale - Rejet.
L’intéressé, détenu au centre pénitentiaire de Fresnes, avait sollicité, en vain, du juge des référés du tribunal administratif qu’il ordonne à l’administration de lui fournir un masque, une paire de gants ainsi qu'une solution hydroalcoolique et de prendre toute mesure pour assurer sa protection, notamment en faisant respecter une distance sanitaire entre co-détenus. Il saisit le Conseil d’Etat. Sa requête est rejetée car l’instruction de son dossier contentieux ne montre aucune carence des autorités responsables de nature à porter atteinte de manière grave et immédiate à une liberté fondamentale.
En effet, les services du ministère de la justice ont pris les mesures afin de limiter les mouvements à l'intérieur des établissements pénitentiaires et de réduire les flux de circulation entre l'intérieur et l'extérieur ; semblablement ils ont demandé qu’il soit strictement veillé au respect des règles de sécurité sanitaire à l'intérieur de ces établissements ; également, a été établi un protocole relatif au signalement et à la détection des cas symptomatiques par une note du 6 avril 2020 et actualisée l’organisation de la réponse sanitaire par les unités sanitaires en milieu pénitentiaire en collaboration avec les services pénitentiaires ; enfin, il est assuré que toute personne correspondant à un cas confirmé ou à un cas symptomatique dont la prise en charge médicale ne justifie pas une hospitalisation fait l'objet d'un confinement sanitaire aux conditions ordinaires requises.
(ord. réf. 14 avril 2020, M. X., n° 439899 ;
(35) v. largement comparable, avec même solution, sur la demande d’un détenu à la maison d’arrêt de Grasse : 21 avril 2020, M. X., n° 440007)
36 - Covid-19 – Liberté d’aller et de venir hors du domicile – Droit aux soins (administration de l’hydroxychloroquine) – Atteinte grave et manifeste – Rejet.
Le requérant sollicitait du juge la suspension de l'exécution, d'une part, des dispositions réglementaires interdisant les déplacements hors de son domicile jusqu'au 11 mai 2020, et d'autre part, de celles restreignant l'administration de l'hydroxychloroquine à certaines catégories seulement de patients hospitalisés atteints par le covid-19.
Sans surprise, ce référé suspension est rejeté en ses deux demandes, la première (déplacements) car il n’y a pas urgence à statuer, la seconde (hydroxychloroquine) car il n’y a pas de douteux sérieux quant à la juridicité de la décision contestée.
(ord. réf. 20 avril 2020, M. X., n° 440119)
37 - Covid-19 – Personnes en EHPAD – Accès aux soins hospitaliers- Admission en réanimation – Droit de visite des familles pour les personnes en fin de vie - Prise en charge à domicile des personnes atteintes du Covid-19 – Tests et diagnostics post-mortem – Rejet.
(ord. réf. 15 avril 2020, Association Coronavictimes, n° 439910) V. n° 52
38 - Covid-19 – Avocats – Conditions d’exercice de la profession – Fourniture de masques et hydrogel en quantité suffisante – Choix de santé publique faits par le gouvernement – Office du juge du référé liberté - Rejet.
Dans ces deux affaires jointes les barreaux requérants demandaient, par voie de référé liberté, l’un et l’autre, n des termes et modalités légèrement différents, qu’il soit fait injonction à l'Etat de fournir à leurs membres des masques de protection, gants, blouses de protection et gels hydro alcooliques dans l'exercice de leurs missions.
Rejetant ces actions en référé le juge relève qu’en raison de l’épidémie de Covid-19, ont été adaptées tant l'activité des juridictions judiciaires en matières civile et pénale, les règles des procédures civile et pénale que l’organisation des services judiciaire ; en particulier, des règles d’hygiène et sanitaires strictes et protectrices régissent désormais les gardes à vue au moyen de gestes barrière. Enfin, les pouvoirs publics ayant choix de fournir en masques et autres, de façon prioritaire, les personnels de santé, même si l’approvisionnement en gel hydroalcoolique est devenu moins difficile, l’office du juge des référés ne lui permet que de prendre des mesures réalisables à très bref délai. A cet égard et de ce fait, ne peut en l’espèce être relevée dans l’attitude et les décisions en cause aucune carence portant, de manière caractérisée, une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées justifiant que le juge des référés ordonne les mesures de sauvegarde demandées.
(ord. réf. 20 avril 2020, Ordre des avocats au barreau de Marseille, n° 439983 ; Ordre des avocats au barreau de Paris, n° 440008, jonction)
39 - Covid-19 - Interdiction de se déplacer portant atteinte au droit de propriété - Récolte de bois de chauffe - Absence d’interdiction - Rejet.
Le requérant contestait l’atteinte à son droit de propriété portée par l’interdiction de se déplacer alors que, propriétaire d’un bois situé à proximité de son domicile, il ne peut s’y rendre, en cette fin de période hivernale, pour y procéder à la récolte de bois de chauffage.
Sa requête est rejetée car, d’une part, il n’existe nulle interdiction de se rendre dans sa propriété pour y récolter le bois nécessaire à ses besoins en chauffage et, d’autre part, le préfet du département a expressément autorisé, le 15 avril 2020, la récolte du bois.
(ord. réf. 29 avril 2020, M. X., n° 440195)
40 - Covid- 19 - Droit d’asile - Enregistrement des demandes d’asile - Fermeture des guichets d’enregistrement des demandes d’asile (GUDA) - Plateforme téléphonique de fixation des rendez-vous aux GUDA - Rejet des appels pour l’essentiel.
Les requérants ont saisi le juge du référé liberté du Conseil d’Etat d’un appel dirigé contre l’ordonnance du 21 avril 2020, par laquelle le juge des référés de première instance a enjoint, tant à l’autorité préfectorale qu’à l’OFII de prendre à bref délai un certain nombre de mesures.
A la première, il a été enjoint de rétablir dans un délai de cinq jours et jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire, de façon adaptée au flux de la demande et, dans les conditions sanitaires requises, un nombre suffisant de guichets uniques pour demandeur d’asile permettant de traiter ce flux.
Au second, il était enjoint de procéder sans délai à la réouverture de sa plateforme téléphonique permettant de fixer des rendez-vous en guichet unique pour les demandeurs d’asile, en fonction du nombre de demandes et de la capacité d’accueil des guichets rouverts.
Après avoir, une nouvelle fois, rappelé que le droit d’asile est une liberté fondamentale au sens et pour l’application de l’art. L. 521-2 du CJA, le juge précise les exigences découlant de la transposition de la directive 2013/33/UE du 26 juin 2013 : octroi au demandeur d’asile d’une autorisation provisoire de séjour et, en fonction de ses ressources, des conditions d’accueil lui permettant de satisfaire à ses besoins jusqu’à ce qu’il ait été statué sur cette demande.
Le juge opère deux constats sévères.
Tout d’abord, il constate que si le ministre de l’intérieur a bien précisé dans une circulaire du 16 mars 2020 qu’en période d’urgence sanitaire l’accueil des demandeurs d’asile figurait au nombre des missions qui devaient continuer à être assurées, en réalité les guichets des départements d’Ile-de-France ont suspendu leur activité le 17 mars, et celui de Paris, le 27 mars.
Ensuite, il constate que si aux termes de l’ordonnance n° 439895 du 9 avril 2020, le Conseil d’Etat avait estimé qu’en l’espèce il n’était pas porté d’atteinte grave et manifestement illégale au droit d’asile c’était en raison de l’assurance donnée par le ministre de l’intérieur, dans le cadre de l’instance de référé ayant donné lieu à cette ordonnance, d’une part, de la poursuite de l’enregistrement des demandes des personnes vulnérables, d’autre part, d’un recensement par les préfectures, en lien avec les associations et les Structures de premier accueil des demandeurs d’asile (SPADA), des personnes qui manifesteraient l’intention de présenter une demande d’asile. En réalité, et en dépit de ce que ledit ministre a assuré concernant une « permanence » qui serait assurée en préfecture, dans le cadre du complément d’instruction ordonné dans la présente affaire, il apparaît que le recensement prévu ci-dessus n’a pas « été effectivement mis en œuvre ».
Examinant les faits, le juge rejette les deux arguments avancés en défense : l’absence d’agents en nombre suffisant pour effectuer les enregistrements et l’impossibilité de respecter les mesures de distanciation physique car de telles limitations ne résultent pas de l’instruction écrite, des débats en audience publique et des éléments complémentaires fournis par le ministre de l’intérieur à la suite du complément d’instruction ordonné par le juge des référés à l’issue de l’audience.
Concluant qu’en l’espèce est établie la carence de l’Etat à mettre en œuvre l’enregistrement des demandes d’asile, et en priorité celles émanant des personnes les plus vulnérables, qui peuvent être identifiées avec l’aide des associations, le juge, rejetant pour l’essentiel les appels dont il est saisi, enjoint au ministre de l’intérieur de rétablir en Ile-de-France, sous cinq jours, l’enregistrement des demandes d’asile, en priorité de celles émanant des personnes présentant une vulnérabilité particulière, et à l’OFII de rétablir dans cette mesure le fonctionnement de sa plateforme téléphonique.
(ord. réf. 30 avril 2020, Ministre de l’intérieur, n° 440250 ; Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), n° 440253, jonction)
Police
41 - Épidémie de Covid-19 - Police sanitaire - Fermeture des marchés (couverts et de plein air) et des commerces sédentaires - Dérogations préfectorales possibles -Mesures et possibilités de dérogation proportionnées - Légalité - Rejet.
(ord. réf. 1er avril 2020, Fédération nationale des marchés de France, n° 439762)
Cette décision a été rapportée dans cette Chronique dans le n° spécial de mars 2020 consacré au Covid-19
42 - Épidémie de Covid-19 - Police sanitaire - Caractère injustifié des mesures de lutte contre le Covid-19 - Atteinte à l’économie et aux libertés fondamentales - Rejet.
Faisant montre d’originalité, la requérante a saisi le Conseil d’État d’un référé liberté pour le voir ordonner toutes mesures utiles pour éviter l'endettement des ménages car les mesures prises pour lutter contre l’épidémie de Covid-19 paralysent la vie économique et portent une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et venir, à la liberté de réunion, à la liberté d'entreprendre, à la liberté d'expression, à la liberté du travail, au droit au logement ainsi qu'aux principes d'égalité et de fraternité.
Le Conseil d’État, un tantinet agacé, rejette le recours - ce qui n’est guère surprenant - en se fondant sur la procédure expéditive de l’art. L. 522-3 CJA motif pris qu’en raison des circonstances exceptionnelles existant actuellement, de la durée limitée dans le temps des mesures visées et de l’intérêt général qui s’y attache, il n’existe aucune urgence particulière à y statuer.
L’infliction d’une amende pour recours abusif n’aurait, semble-t-il, pas été de trop…
(ord. réf. 16 avril 2020, Mme X., n° 440060)
43 - Covid-19 – Police sanitaire instituée par la loi du 23 mars 2020 – Police spéciale de l’État – Exclusion de la police générale du maire sauf conditions spéciales – Absence en l’espèce – Rejet.
Sur recours d’une association, les premiers juges ont annulé l’arrêté du maire de Sceaux subordonnant les déplacements dans l'espace public des personnes de plus de dix ans au port d'un dispositif de protection buccal et nasal. La commune saisit le Conseil d’État en alléguant, d’une part, que sa population est plus âgée que la moyenne, avec 25 % de personnes de plus de 60 ans contre 19 % dans le reste de l'Ile-de-France, que les espaces verts, qui représentent le tiers de la superficie communale, ont été fermés et que les commerces alimentaires qui demeurent ouverts sont concentrés dans une rue piétonne du centre-ville dont la largeur n'excède pas quatre mètres en certains endroits, rendant ainsi difficile le strict respect des gestes de distanciation sociale.
Le Conseil d’État rejette le recours de la commune au terme du raisonnement suivant.
La loi du 23 mars 2020 dite d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19, aurait, selon le juge, institué au profit des autorités étatiques des pouvoirs exclusifs de police sanitaire qui constituent une police spéciale.
Le maire, titulaire des pouvoirs de police générale, ne peut édicter des mesures de lutte contre l’épidémie qu’à la double condition qu'elles soient exigées par des raisons impérieuses propres à la commune et qu'elles ne soient pas susceptibles de compromettre la cohérence et l'efficacité des mesures prises par l'État dans le cadre de ses pouvoirs de police spéciale.
Les arguments avancés par la commune au soutien de la juridicité de l’arrêté municipal querellé ne satisfont pas, selon le juge, aux deux conditions ci-dessus rappelées : « ni la démographie de la commune de Sceaux ni la concentration de ses commerces de première nécessité dans un espace réduit, ne sauraient être regardées comme caractérisant des raisons impérieuses liées à des circonstances locales propres à celle-ci et qui exigeraient que soit prononcée sur son territoire, en vue de lutter contre l'épidémie de covid-19, une interdiction de se déplacer sans port d'un masque de protection ».
Autant dire qu’il sera très difficile à un maire désireux de prendre des mesures de police plus contraignantes en la matière, de le faire.
(ord. réf. 17 avril 2020, Commune de Sceaux, n° 440057)
44 - Covid-19 - Liberté d’aller et de venir - Détermination du moyen de transport utilisé - Bicyclette - Absence d’interdiction en droit - Communication erratique des pouvoirs publics - Injonction d’information correcte du public.
La fédération demanderesse sollicitait du juge du référé liberté notamment qu’il enjoigne au premier ministre, au ministre de l’intérieur et à la ministre des sports, de publier, dans les vingt-quatre heures à compter du prononcé de sa décision, sur leurs sites internet, sur leurs comptes sur réseaux sociaux (Twitter et Facebook) et par voie d’affichage, un communiqué autorisant expressément l’utilisation du vélo pour tous les motifs de déplacement indiqués dans l’article 3 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020, en spécifiant clairement que le vélo à titre d’activité physique individuelle, est autorisé, et en retirant toute information contraire.
La requérante exposait avoir relevé une pratique illégalement restrictive et incohérente de la part des autorités de police en matière d’utilisation des bicyclettes, notamment des verbalisations abusives et des fermetures anormales de pistes cyclables.
Le juge, au visa de l’art. 3 du décret du 23 mars 2013 - pris sur l’art. L. 3131-15 du code de la santé publique, introduit dans ce code par la loi du 23 mars 2020 d'urgence - et prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid 19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, modifié et complété à plusieurs reprises, constate qu’en droit, il résulte de ses termes mêmes que l’usage, pour un déplacement qu’il autorise, d’un moyen de déplacement particulier notamment d’une bicyclette, ne saurait, à lui seul, caractériser une violation de l’interdiction qu’il édicte.
Toutefois, il relève qu’en fait, ainsi que le soutient la fédération requérante, malgré l’existence d’une position de principe permettant l’utilisation de la bicyclette sous certaines conditions, « plusieurs autorités de l’Etat continuent de diffuser sur les réseaux sociaux ou dans des réponses à des « foires aux questions », l’information selon laquelle la pratique de la bicyclette est interdite dans le cadre des loisirs et de l’activité physique individuelle « à l’exception des promenades pour aérer les enfants où il est toléré que ceux-ci se déplacent à vélo, si l’adulte accompagnant est à pied », ainsi qu’un pictogramme exprimant cette même interdiction ». Et le juge d’estimer que la faculté de se déplacer en utilisant un moyen de locomotion dont l’usage est autorisé constitue, au titre de la liberté d'aller et venir et du droit de chacun au respect de sa liberté personnelle, une liberté fondamentale dont le respect peut être assuré par la voie du référé liberté.
Il estime également que si un cycliste s’estimant verbalisé à tort peut, devant le juge judiciaire, contester l’infraction qui leur est reprochée, la faculté reconnue à l’administration, d’exécuter d’office les mesures prescrites en application du décret du 23 mars 2020 est de nature à conduire, en cas d’interdiction de déplacement opposée, à tort, à raison du seul usage d’une bicyclette, à ce que le cycliste contrôlé soit tenu de descendre de son véhicule et de poursuivre son trajet à pied.
Dans ces conditions, il est jugé, « compte tenu de l’incertitude qui s’est installée, à raison des contradictions relevées dans la communication de plusieurs autorités publiques, sur la portée des dispositions de l’article 3 du décret du 23 mars 2020, particulièrement en ce qui concerne l’activité physique, quant à l’usage de la bicyclette et des conséquences de cette incertitude pour les personnes qui utilisent la bicyclette pour leurs déplacements autorisés, l’absence de diffusion publique de la position gouvernementale (…) doit être regardée, en l’espèce, comme portant une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ». Le juge des référés enjoint donc au premier ministre de rendre publique, sous vingt-quatre heures, par un moyen de communication à large diffusion, la position en question.
En revanche, sont rejetées pour des motifs de droit du contentieux, d’une part, les conclusions contestant la fermeture de plusieurs pistes cyclables par des décisions préfectorales et demandant le prononcé d’une injonction de les rouvrir, les tribunaux administratifs étant seuls compétents à cet effet en premier ressort, et d’autre part, les conclusions tendant à ce qu’il soit enjoint à juridiction judiciaire d’interrompre toutes les poursuites engagées contre les cyclistes ayant fait l’objet d’un procès-verbal d’infraction aux dispositions de l’article 3 du décret du 23 mars 2020, le juge administratif ne pouvant adresser une injonction à l’autorité judiciaire.
(ord. réf. 30 avril 2020, Fédération française des usagers de la bicyclette, n° 440179)
Professions réglementées
45 et 46 - Covid-19 - Notaires - Forme des actes notariés - Actes notariés à distance - Urgence sanitaire - Violation de la loi (code civil) - Absence - Rejet.
Le demandeur, qui exerce la profession de notaire, sollicite la suspension d’exécution du décret du 3 avril 2020 autorisant l'acte notarié à distance pendant la période d'urgence sanitaire.
Il excipe en particulier de ce que cette modalité contreviendrait aux dispositions de l’art. 1371 du Code civil selon lequel « l'acte authentique fait foi (…) de ce que l'officier public dit avoir personnellement accompli ou constaté. (…) » car elle permet l'établissement de l'acte notarié sur support électronique.
Le Conseil d’Etat rejette le recours au motif « qu'il ne résulte d'aucune disposition législative que la mission du notaire instrumentaire ne puisse être accomplie que dans le cas d'une comparution physique des parties ».
(15 avril 2020, M. X., n° 439992 ;
(46) v. aussi, à propos du rejet de la demande de suspension de l’exécution de ce décret faite par un notaire au motif qu’il génère des risques de fraude liés à l'absence de comparution physique des parties et à la circonstance que n'est pas imposée l'utilisation d'un système de visioconférence homologué par l'Agence nationale pour la sécurité des systèmes d'information : ord. réf. 23 avril 2020, M. X., n° 440131)
47 - Covid-19 - Débitants de tabacs - Demande de distribution de masques et autres matériels de protection - Rejet.
Le requérant, exploitant d’un commerce de tabac-presse, commerce dont l’ouverture au public a été maintenue, demande qu’il soit fait injonction à l’Etat de prendre toutes mesures utiles pour fournir des masques anti-projection et/ou de protection respiratoire ainsi que tous autres matériels de protection (surblouses, charlottes, surchaussures, gels hydroalcooliques) aux gérants et personnels des bureaux de tabac-presse, notamment en les incluant sur la liste des professionnels susceptibles de bénéficier de la distribution des matériels de protection issus du stock national ou provenant des mesures de réquisition de biens prises dans le cadre de sa stratégie de lutte contre l'épidémie de covid-19.
Le juge rejette chacune de ces deux demandes pour des motifs différents. Concernant la distribution prioritaire des masques et alors que la requête a été formée le 21 avril, il relève qu’en raison de l’insuffisance des stocks l’Etat a été conduit à fixer des priorités au nombre desquelles ne se trouvent pas les personnes travaillant dans un débit de tabacs vendant de la presse mais qu’une distribution tout public a commencé le 27 avril avec mise en vente de ces équipements. De là résulte l’absence d’atteinte manifeste à une liberté fondamentale.
Concernant les autres matériels réclamés, l’absence de précisions sur ce point dans la requête conduit à rejeter ce chef de demande.
(ord. réf. 29 avril 2020, M. X., n° 440202)
Santé publique
48 - Covid-19 - Doses nécessaires au traitement de l’épidémie par hydroxychloroquine et azithromycine - Organisation de tests de dépistage - Cas particulier de la Guadeloupe - Annulation partielle de l’ordonnance de référé.
(4 avril 2020, Centre hospitalier universitaire de la Guadeloupe (CHU), n° 439904 ; ministre des solidarités et de la santé, n° 439905, jonction)
Cette décision a été rapportée dans cette Chronique dans le n° spécial de mars 2020 consacré au Covid-19
49 - Covid-19 - Demande d’accroissement de la production de masques et de réalisations de tests de dépistage - Demande de nationalisation de deux entreprises œuvrant dans le secteur des réponses à l’épidémie - Rejet.
Le Conseil d’Etat était, à nouveau, saisi, d’une part de demandes tendant à voir le juge ordonner aux pouvoirs publics d’accroitre considérablement la distribution de masques ainsi que le nombre de tests de dépistage du Covid-19, d’autre part, la nationalisation ou le rachat de deux entreprises françaises en difficulté, l’une parce qu’elle serait la seule à produire de la chloroquine, et l’autre car elle serait la seule à produire les bouteilles contenant l'oxygène nécessaire pour alimenter les appareils de réanimation.
Ces requêtes sont évidemment rejetées.
Les deux premières car l’Etat fait déjà beaucoup pour rattraper son retard et que le juge des référés ne peut satisfaire, à très bref délai, une demande d’augmentation de capacité de distribution et de tests.
Les deux dernières supposent la mise en œuvre de procédures dont la durée excède notablement le bref délai dans lequel doivent intervenir des mesures ordonnées par voie de référé urgent.
(ord. réf. 7 avril 2020, M. X., n° 439806 ; ce qui constitue une réitération à la fois de : ord. réf. 29 mars 2020, Parti « Debout la France » et autre, n° 439798 et de : ord. réf. 6 avril 2020, M. X., n° 439950)
50 et 51 - Covid-19 - Traitement des malades à l’hydroxychloroquine - Traitements autorisés à un stade trop tardif - Demande de suspension d’un décret - Rejet.
Le Conseil d’État persiste et signe.
Saisi à nouveau par des requérants dont il avait rejeté un précédent recours en référé (cf. ord. réf. 28 mars 2020, Syndicat des Médecins Aix et Région (SMAER) et autres, n° 439726 : Voir le n° spécial de mars 2020 de cette Chronique consacré au Covid-19), le Conseil d’Etat ne retient pas l’argumentation nouvelle développée par les requérants. Ceux-ci qui, originairement, sollicitaient l’application du traitement par hydroxychloroquine associé à l’azithromycine aux personnes atteintes du Covid-19, soutenaient, dans cette dernière affaire, que les dérogations au refus d’un tel traitement étaient inutiles ou dangereuses car elles ne concernaient que des malades à un stade avancé et grave de la maladie où ce traitement est considéré par certains spécialistes comme inadapté.
Pour rejeter cette argumentation, le Conseil d’État s’aventure sur un terrain délicat. Dans l’ordonnance précitée du 28 mars 2020 il avait retenu l’analyse du Haut Conseil de la santé publique - organisme qui n’a ni les compétences d’un spécialiste ni celles d’un laboratoire et qui n’existe que par le choix d’hommes politiques sans compétences épidémiologiques connues -, lequel estimait alors qu’en l’état la preuve n’était pas établie d’une pertinence médicale à recourir à cette association de l’hydroxychloroquine et de l’azithromycine dès l’apparition des premiers symptômes. Était donc préconisé le recours à cette association uniquement pour les seules formes sévères du Covid-19. Opposer deux incertitudes pour faire triompher l’une d’elles était déjà un choix dangereux.
Dans les présentes espèces, le Conseil d’Etat prend acte - sans le dire - du renversement de la doctrine de ce Haut Conseil, celui-ci optant désormais pour l’usage de cette association « le plus rapidement possible », pour rejeter à nouveau les requêtes.
En somme les requérants sont déboutés le 28 mars, pour avoir eu raison trop tôt et la semaine suivante parce qu’ils ont convaincu plus ou moins un Haut conseil plus sensible aux exigences de l’opinion publique qu’à la stricte méthodologie scientifique.
Les juges devraient prendre garde à ne pas se laisser instrumentaliser par « le comité Gustave, le comité Théodule ou le comité Hippolyte » (Ch. De Gaulle, 25 septembre 1963).
(7 avril 2020, Syndicat des Médecins Aix et Région (SMAER) et autres, n° 439937 ; Syndicat des Médecins Aix et Région (SMAER) et autres, n° 439938, deux espèces ;
(51) sur la « saga » du Plaquenil et de l’hydroxychloroquine combinée à l’azithromycine et leurs déboires contentieux au Palais-Royal, v. aussi : ord. réf. 22 avril 2020, M. et Mme X., n° 439951 ; M. X. et autres, n° 440009 ; Union générale des travailleurs de Guadeloupe, n° 440026 ; M. X. et autres, n° 440058, quatre espèces)
52 et 53 - Covid-19 – Personnes en EHPAD – Accès aux soins hospitaliers- Admission en réanimation – Droit de visite des familles pour les personnes en fin de vie - Prise en charge à domicile des personnes atteintes du Covid-19 – Tests et diagnostics post-mortem – Rejet.
Les requérants sollicitaient du juge du référé liberté qu’il ordonne diverses mesures en faveur des personnes atteintes du Covid-19 ou susceptibles de l’être. Toutes ces demandes sont rejetées.
Ainsi ils demandent que soit prévu l'accès des personnes résidant en EHPAD aux soins dispensés par les établissements de santé, les requérants soutenant qu’en l’état elles risquent d'en être arbitrairement privées car elles n’y seraient plus admises. Le moyen est rejeté car, en l'état de l'instruction, il n'est pas établi qu'il y aurait une pratique générale de refus d'admission dans les établissements de santé des personnes résidant dans les EHPAD atteintes par une infection pouvant être attribuée au Covid-19.
La réponse est identique concernant l'admission en réanimation dont il est prétendu que les critères en ont été rendus plus été rendus plus stricts au détriment, notamment, des patients les plus âgés, en raison d'une anticipation d'une éventuelle saturation des structures de réanimation. En effet, l’instruction montre, en l’état, à défaut d'éléments circonstanciés produits par les requérants, qu’il n'est pas établi que les décisions médicales d'admission en réanimation reposeraient de manière générale sur des critères qui auraient été rendus plus stricts du fait de l'anticipation d'une éventuelle saturation de l'offre de soins de réanimation en raison de l'épidémie de Covid-19 ou qui, en isolant le critère de l'âge, discrimineraient, au sein des patients atteints d'une infection due au Covid-19, ceux qui sont les plus âgés.
Le juge examine ensuite le moyen critiquant la prise en charge des personnes atteintes d'une infection liée au Covid-19 à leur domicile ou dans un EHPAD du fait qu’il n'existe aucun décompte des décès survenus à domicile imputables au Covid-19, ce qui entrainerait l’absence de soins leur garantissant une " fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance ", alors qu'elles encourent le risque de mourir d'étouffement, en raison de la survenue d'un syndrome de détresse respiratoire aiguë. Il est jugé, tant au regard des textes intervenus que des mesures préconisées ou prises, qu’il n'est pas établi, en l'état de l'instruction, que les pouvoirs publics n'aient pas pris, au plan général, des mesures en vue de faciliter l'accès par les personnes malades, en EHPAD ou à domicile, souffrant d'une infection susceptible d'être imputée au Covid-19, à des soins palliatifs.
Concernant l’argument tiré de l’absence de reconnaissance aux résidents des EHPAD du droit de recevoir la visite d'un de leurs proches avant leur décès, le juge le rejette au motif qu’existent, à certaines conditions qu’il rappelle et lorsque cela est possible, une faculté de dérogation à cette interdiction précisément en ce cas précis.
Enfin, est encore rejetée la demande de réalisation de tests post-mortem de diagnostic d'infection par le Covid-19 motif pris de ce que, d’une part, par deux avis, des 24 et 31 mars 2020, a été annoncée une opération générale de dépistage dans les EHPAD.
En bref, il ne résulte des décisions des pouvoirs publics aucune carence susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à un droit ou une liberté fondamentale.
(ord. réf. 15 avril 2020, Association Coronavictimes, n° 439910 ;
(53) v. aussi, du même jour, avec rejet, à propos d’un recours en injonction tendant à ce que soient prises envers les résidents, personnels et intervenants dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), les mesures réglementaires de dépistage systématique et régulier ainsi que de fourniture et du matériel de protection : ord. réf., Union nationale des syndicats FO Santé privée et autres, n° 440002)
54 - Covid- 19 - « Protocole du Dr Marik » - Traitement à base de vitamine C - Demande diffusion de ce protocole en milieu médical et hospitalier - Rejet.
Les requérants, médecins libéraux, considèrent que l'absence de diffusion par le ministre de la santé à l'ensemble des équipes médicales du protocole proposé par le Dr Marik (traitement par association d’hydrocortisone, de vitamine C et de thiamine dans le traitement des chocs septiques et sepsis sévères) est constitutive d'une carence caractérisée et demandent au juge d’enjoindre au ministre de la santé d’opérer cette diffusion.
La requête est évidemment rejetée nonobstant l’invocation du droit de toute personne de recevoir, sous réserve de son consentement libre et éclairé, les traitements et les soins appropriés à son état de santé, tels qu'appréciés par le médecin.
Le Conseil d’Etat estime, d’une part, qu’en l’état d’absence de traitement connu pour traiter le Covid-19, d’autre part, de l’avis du Haut Conseil de la santé publique, du 23 mars 2020, selon lequel « il incombe à tout prescripteur (de prendre) en compte l'état très limité des connaissances actuelles et (d’être) conscient de l'engagement de sa responsabilité lors de la prescription de médicaments dans des indications hors autorisation de mise sur le marché, en dehors du cadre d'essais cliniques et des recommandations » et, enfin, de la réitération, par un avis du 8 avril 2020 relatif à la prise en charge de ces patients à domicile ou en structure de soins qu' « à ce jour, aucune prescription de traitement à effet antiviral attendu n'est recommandée en ambulatoire en dehors d'essais cliniques », la demande des requérants, qui ne repose pas sur des études dont la valeur scientifique serait établie ne peut être accueillie.
En outre, il n’est même pas soutenu que des établissements hospitaliers envisageraient d'expérimenter ce « protocole » et en seraient empêchés.
(ord. réf. 22 avril 2020, X. et autres, n° 440117)
55 - Covid-19 – Pollution de l’air – Facteur aggravant du Covid-19 – Mesures insuffisantes en matière d’épandage agricole et autres pratiques agricoles polluantes – Cas des particules PM10 et PM2,5 – Rejet sous réserve.
L’Association requérante entend voir condamner l’Etat à raison de sa carence à réduire les épandages agricoles et les autres activités agricoles polluantes car en polluant l’air - au moyen des particules PM10 et PM2,5 - ils contribuent à la propagation du Covid-19.
Sont invoquées au soutien de cette demande diverses études réalisés sur ce sujet par différents pays.
Le Conseil d’Etat, après une analyse approfondie de ces études dont il relève la faible adéquation à la question posée et leurs incertitudes scientifiques, et le constat des contrôles et efforts effectivement réalisés en France, rejette la requête.
Toutefois, ce rejet n’est prononcé – le fait est notable - que « sous réserve que l'Etat assure strictement les obligations, y compris préventives », qui lui incombent en assurant « une surveillance quotidienne des niveaux de pollution à la fois au plan central et au plan local, de faire preuve d'une vigilance particulière dans le contexte actuel d'état d'urgence sanitaire en veillant à ce que soit pris, au besoin préventivement en cas de menace avérée de franchissement des seuils, des mesures propres à éviter la survenue ou au moins à réduire la durée des épisodes de franchissement des seuils, notamment en limitant les pratiques agricoles polluantes, l'activité agricole demeurant, en raison de la très forte diminution des pollutions liées à l'industrie et aux transports, la principale source d'origine humaine d'émission de particules PM10 et PM2,5 avec celle provenant du secteur résidentiel, à plus forte raison dans la période actuelle d'épandage ».
D’une certaine façon, quoique de façon indirecte, la demanderesse obtient de facto satisfaction.
(ord. réf., 20 avril 2020, Association nationale pour la préservation et l'amélioration de la qualité de l'air (" RESPIRE "), n° 440005)
56 - Covid-19 – Détenu en maison d’arrêt – Demande de mesures sanitaires et autres de protection – Rejet.
Le requérant, détenu à la maison d’arrêt de Rouen, avait demandé par voie de référé liberté, en vain en première instance, le bénéfice de diverses mesures de protection contre l’épidémie de Covid-19 (telles que : masques, gels hydroalcooliques, nettoyage renforcé des locaux, dépistages systématiques, lavage des draps, distribution de savon, etc.). Il saisit le Conseil d’État, également en vain.
Au terme d’une analyse longue, précise et détaillée, le juge estime qu’au vu des mesures générales et particulières déjà adoptées ou en voie de l’être, ne se rencontre en l’espèce aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
(ord. réf. 22 avril 2020, M. X., n° 440056)
Urbanisme
57 - Permis de construire - Qualité pour demander un permis de construire - Théorie de l’apparence - Annulation - Régime procédural général du pourvoi en cassation - Combinaison avec les règles procédurales spécifiques à la contestation de diverses autorisations d’urbanisme - Application en l’espèce - Rejet.
La ville de Paris demandait au Conseil d’Etat l’annulation du jugement prononçant l’annulation d’un permis de construire qu’elle avait accordé.
C’est l’occasion pour le juge de rappeler, d’abord, le régime procédural, logique mais complexe, qui est celui du pourvoi en cassation en cette matière quand lui est déféré un jugement fondé sur une pluralité de motifs (I), ensuite, le caractère réel de la demande de permis, le juge du permis n’ayant pas à se prononcer sur certains incidents dont la connaissance appartient au juge judiciaire (II).
I. La pluralité des motifs et l’office du juge de cassation
Tout d’abord, le principe est simple : lorsque le juge de cassation est saisi d’un pourvoi dirigé contre une décision de justice fondée sur une pluralité de motifs dont l'un est erroné, il doit accueillir le pourvoi sauf si le motif irrégulier en cause est surabondant.
Parce qu’il est le juge de cassation, il ne lui appartient pas de rechercher si la décision juridictionnelle contestée eût été la même dans le cas où son auteur se serait fondé sur les autres motifs.
Ensuite, l’exception est connue, elle concerne le jugement ou l’arrêt ayant prononcé une annulation sur recours pour excès de pouvoir : dans ce cas, dès lors que l'un quelconque des moyens retenus par le juge du fond suffit à justifier la solution retenue, le pourvoi doit être accueilli. Il existe cependant deux exceptions et une condition préalable à cette solution elle-même dérogatoire.
Les deux exceptions sont celle où la décision, justifiée au fond, aurait été rendue dans des conditions irrégulières et celle où l’irrégularité ayant justifié l’annulation pour excès de pouvoir est régularisable. On sait que cette seconde hypothèse se rencontre fréquemment désormais en droit de l’urbanisme
La condition préalable résulte de ce que l'autorité de chose jugée s'attache aux motifs qui sont le soutien nécessaire du dispositif de la décision juridictionnelle déférée : pour cette raison, en effet, l’office du juge de cassation lui impose de ne prononcer ce rejet qu’après avoir, préalablement, censuré celui ou ceux de ces motifs qui étaient erronés.
Enfin, dans le cas particulier du droit de l’urbanisme et spécialement des dispositions de l’art. L. 600-4-1 du code de l'urbanisme qui font obligation à la juridiction saisie d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un acte pris en matière d’urbanisme de se prononcer « sur l'ensemble des moyens de la requête qu'elle estime susceptibles de fonder l'annulation ou la suspension (…) », on comprend que cette règle trouve un champ d’application privilégié en cas de pluralité des motifs du jugement déféré à la cassation du fait de l'obligation légale de se prononcer sur l'ensemble des moyens susceptibles de fonder l'annulation.
Il est fait application de cette solution au cas de l’espèce où le juge de cassation, tout en admettant fondés deux des quatre motifs retenus par les premiers juges en annule deux autres.
II. La qualité du pétitionnaire du permis de construire
On sait qu’en cette matière, appliquant la théorie de l’apparence, le juge administratif n’exerce qu’un contrôle restreint sur l’aptitude d’une personne à solliciter un permis de construire.
La présente espèce est une bonne illustration de cette attitude.
Tout d’abord, il est jugé que le pétitionnaire qui fournit l'attestation prévue à l'article R. 431-5 du code de l'urbanisme selon laquelle il remplit les conditions fixées par l'article R. 423-1 du même code doit être regardé comme ayant qualité pour présenter sa demande. Le juge fait seulement exception à cette solution seulement en cas de fraude.
Ensuite, lorsque la demande de permis porte sur un terrain soumis au régime juridique de la copropriété, elle peut être régulièrement présentée par son propriétaire, son mandataire ou par une ou plusieurs personnes attestant être autorisées par lui à exécuter les travaux, alors même que la réalisation de ces travaux serait subordonnée à l'autorisation de l'assemblée générale de la copropriété. En ce dernier cas, il appartient aux copropriétaires qui le souhaitent de porter leur action en contestation de la qualité du pétitionnaire pour effectuer une telle demande, devant le juge judiciaire. Pour autant, cette contestation entre personnes privées concernant des droits et obligations de droit privé n’a pas pour effet d'irrégularité la demande d'autorisation d'urbanisme litigieuse sauf à démontrer, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, l’existence d’une fraude.
(3 avril 2020, Ville de Paris, n° 422802)
58 - Permis de construire - Espace remarquable -Intérêt à agir - Conditions - Agrandissement d’une habitation existante - Caractère d’extension de l’urbanisation - Absence - Rejet.
De cette affaire, où s’entremêlent trois pourvois dirigés contre trois arrêts d’une cour administrative d’appel, il convient de retenir deux points, l’un de contentieux de l’urbanisme (I), l’autre de fond du droit de l’urbanisme (II).
I. Le premier point porte sur la contestation de l’intérêt à agir de l’un des requérants. On sait que l’une des tendances lourdes du contentieux de l’urbanisme a été de réduire fortement la notion d’intérêt à agir afin de fermer le prétoire à un certain nombre d’actions contentieuses abusives, dilatoires ou guère justifiées. Pour cela est désormais exigé du demandeur l’indication de l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, en fournissant tous éléments établissant que cette atteinte est non pas certaine mais qu’elle est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien. En retour, le défendeur, s'il entend contester l'intérêt à agir du requérant, doit apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité.
Précisément, en l’espèce l’intérêt pour agir de l’un des requérants était contesté car il est propriétaire d'un terrain non construit qu’il n’occupe pas ni n'exploite. Cette argumentation est rejetée dès lors qu’il est, comme ici, démontré que la construction projetée est, eu égard à ses caractéristiques et à la configuration des lieux en cause, de nature à affecter directement les conditions de jouissance de son bien.
II. Le second point est relatif à une notion invoquée de très nombreuses fois lorsqu’est en cause un projet de construction dans la zone littorale dans la mesure où, aux termes du I de l’art. L. 146-4 c. urb., « L'extension de l'urbanisation doit se réaliser soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l'environnement ».
Ici, le permis de construire accordé concernait l’agrandissement, portant sur 42 mètres carrés, d’une construction déjà existante, d’une superficie de 105 mètres carrés. Une telle extension ne constitue point une extension de l’urbanisation prohibée au sens et pour l’application de l’article précité du code de l’urbanisme.
Tous les pourvois sont rejetés.
(3 avril 2020, M. X., Commune de l’Ile-de-Batz et autres, n° 419139)
59 - Plan d’occupation des sols (POS) - Remise en vigueur du fait d’une annulation - Délai de caducité - Loi ELAN - Délai de vingt-quatre mois - Point de départ - Avis.
Saisi pour avis par un tribunal administratif sur le fondement des dispositions de l’art. L. 113-1 du CJA, le Conseil d’État devait répondre à deux questions :
1°/ Le délai de vingt-quatre mois au terme duquel est acquise la caducité d’un POS (cf. art. L. 174-6 c. urb.), est-il applicable lorsque, d’une part, ce POS est remis en vigueur du fait d'une annulation, et d’autre part, l'annulation d'un plan local d'urbanisme, d'un document d'urbanisme en tenant lieu ou d'une carte communale est intervenue avant le 25 novembre 2018, date d'entrée en vigueur de la loi du 23 novembre 2018 (dite loi ELAN) ?
2°/ En cas de réponse affirmative à la première question, le délai de vingt-quatre mois doit-il commencer à courir à compter de l'annulation du plan local d'urbanisme, du document d'urbanisme en tenant lieu ou de la carte communale, ou bien à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi ELAN ?
Le Conseil d’Etat après avoir cité l'article L. 174-6 du code de l'urbanisme (« L'annulation ou la déclaration d'illégalité d'un plan local d'urbanisme ou d'un document d'urbanisme en tenant lieu ou d'une carte communale intervenant après le 31 décembre 2015 ayant pour effet de remettre en application le document immédiatement antérieur, en application de l'article L. 600-12, peut remettre en vigueur, le cas échéant, le plan d'occupation des sols immédiatement antérieur.
Le plan d'occupation des sols immédiatement antérieur redevient applicable pour une durée de vingt-quatre mois à compter de la date de cette annulation ou de cette déclaration d'illégalité. Il ne peut durant cette période faire l'objet d'aucune procédure d'évolution.
A défaut de plan local d'urbanisme ou de carte communale exécutoire à l'issue de cette période, le règlement national d'urbanisme s'applique sur le territoire communal »), constate que faute de dispositions contraires expresses, ce texte, issu de la loi du 23 novembre 2018 précitée, était donc, conformément au droit commun, immédiatement applicable et qu’il est ainsi entré en vigueur le 25 novembre 2018, un jour après la publication de la loi au Journal Officiel.
Si après l’annulation d’un plan local d'urbanisme, d’un document d'urbanisme en tenant lieu ou d’une carte communale, le POS qui leur est immédiatement antérieur est remis en vigueur mais seulement pour une durée de vingt-quatre mois à compter de la décision d'annulation ou de la déclaration d'illégalité, l’esprit et la logique de cette loi, qui ne comporte aucune rétroactivité, conduisent à décider que le délai de vingt-quatre mois court à compter de l’entrée en vigueur de cette loi.
(Avis, 3 avril 2020, M. X. c/maire des Mathes, n° 436549)
60 - Permis de construire - Permis non destiné à un usage principal d’habitation - Inapplicabilité de l’art. R. 811-1-1 CJA - Recours contre le jugement constituant un appel - Renvoi à la cour administrative d’appel.
L’art. R. 811-1-1 CJA confère compétence en premier et dernier ressort au tribunal administratif pour se prononcer sur les recours dirigés contre les permis de construire relatifs aux immeubles à usage principal d’habitation lorsqu’ils sont délivrés sur le territoire de communes où le marché foncier est très tendu. Seul un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat est alors possible contre les jugements rendus sur le fondement de cette disposition. En l’espèce, il est jugé que la construction litigieuse étant destinée à différents usages dont moins de la moitié de la surface de plancher est à usage d'habitation, le permis contesté ne peut être regardé comme relatif à un bâtiment à usage principal d'habitation. Le recours contre le jugement constituait donc un appel devant être porté devant la cour administratif d’appel à laquelle il est renvoyé.
(9 avril 2020, Syndicat des copropriétaires de la copropriété Brotteaux An 2000 - Immeuble A - 18, rue de la Gaîté, et autres, n° 434531)