Conseil d’État et Covid-19 : Une épidémie de référés
Ordonnances de référé
11 mars 2020, Association de défense des libertés constitutionnelles (ADELICO), n° 439434
22 mars 2020, Syndicat Jeunes médecins, n° 439674
27 mars 2020, Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI) et autres, n° 439720
28 mars 2020, Mme X. et autres, n° 439693
28 mars 2020, Syndicat des médecins d’Aix et région (SMAER) et autres, n° 439726
28 mars 2020, M. X. et autres, n° 439765
1er avril 2020, Fédération nationale des marchés de France, n° 439762
2 avril 2020, Fédération nationale Droit au logement et autres, n° 439763
4 avril 2020, Centre hospitalier universitaire de la Guadeloupe, n° 439904 ; ministre des solidarités et de la santé, n° 439905
8 avril 2020, Syndicat national pénitentiaire force ouvrière – personnels de surveillance, n° 439821
8 avril 2020, Section française de l’observatoire international des prisons, n° 439827
9 avril 2020, Association mouvement citoyen tous migrants et autres, n° 439895
Bien que la présente chronique ne porte que sur le mois de mars 2020, il a paru plus cohérent pour une vue d’ensemble, s’agissant du Covid-19, de regrouper dans une même rubrique les douze premières décisions qui sont à cheval sur les mois de mars et d’avril.
Il fallait s’attendre à ce que l’épidémie de cette forme grave du coronavirus qu’est le Covid-19 se répande sous forme contentieuse au Conseil d’État. Pression médiatique, peurs et angoisses, impatience turbulente de l’opinion, vision idyllique de la fonction du référé se combinent pour une hypertrophie procédurale le plus souvent sans effets. Fréquemment les requérants usent d’une voie de droit qui n’est pas appropriée aux buts qu’ils poursuivent. En cas de pénurie de masques ou de moyens d’effectuer des dépistages sanguins et alors qu’il n’existe aucune réponse possible à bref délai car le temps pour fabriquer les premiers ou pour réaliser les seconds est nécessairement long, l’utilisation de la voie du référé est dérisoirement vouée à l’échec car fait précisément défaut une solution praticable dans un très court temps.
Il convient de rappeler que les référés dits urgents, tels le référé suspension ou le référé liberté, le sont en un double sens : il faut certes qu’existe une situation urgente justifiant la saisine de ce juge particulier qui statue vite mais il faut aussi - et ce point est souvent oublié des requérants - que le défendeur, c’est-à-dire la puissance publique, dispose du moyen de mettre très rapidement en œuvre une solution. Ceci résulte de ce que le prononcé de mesures d’urgence doit avoir un effet utile non un caractère purement incantatoire. Faute que cette seconde condition soit remplie, le juge des référés est singulièrement démuni comme on le voit ci-après.
C’est pourquoi, il faut le souligner car ce n’est pas si fréquent, les ordonnances ici rapportées visent et citent le plus souvent les dispositions de l’article L. 511-1 du code de justice administrative qui définissent les missions du juge des référés et leur philosophie.
Enfin, la voie du référé n’est pas la seule pouvant être retenue : à moyen terme, la recherche de responsabilité devant le juge administratif pourrait être davantage fructueuse tout comme la voie pénale le cas échéant.
Les douze ordonnances sont placées dans l’ordre chronologique où elles ont été rendues.
1 - 11 mars 2020, Association de défense des libertés constitutionnelles (ADELICO), n° 439434
L'association requérante demandait par voie de référé liberté la suspension des effets d’une instruction du ministre de l’intérieur relative aux modalités d'exercice du droit de vote par procuration, ou toute mesure emportant sa rectification, en tant que le point 4.5 de celle-ci, consacré à l'établissement des procurations au domicile du mandant, en vue de la « lutte contre la propagation du Covid-19 », recommande, dans la perspective des élections municipales des 15 et 22 mars 2020, que soit prévue, dans les établissements d'hébergement collectif accueillant des personnes vulnérables, « la désignation des directeurs de ces établissements, ou d'un agent désigné par l'officier de police judiciaire et le juge, comme délégués d'un officier de police judiciaire afin de recevoir les demandes de procuration des personnes vulnérables qui y sont hébergées » et fait mention des « procurations ainsi établies ».
Le recours est rejeté en ses deux moyens.
D’une part, aucune disposition du code électoral n'interdit que le directeur d'un établissement sanitaire ou social puisse être délégué par l'officier de police judiciaire, avec l'agrément du magistrat qui a désigné cet officier, pour recueillir, à la demande de l'électeur, le formulaire et les pièces nécessaires à l'établissement d’une procuration électorale. L’instruction ministérielle attaquée, qui se borne à souligner l'existence de cette faculté et à en recommander l’usage dans le contexte très particulier de l'épidémie de coronavirus Covid-19 pour éviter les contacts entre les personnes vulnérables hébergées dans un tel établissement et les personnes extérieures à cet établissement, ne porte aucune atteinte aux dispositions du code électoral.
D’autre part, cette instruction ne comporte aucune dérogation aux dispositions du code électoral selon lesquelles la personne qui recueille, à la demande de l'électeur, le formulaire de procuration et les pièces nécessaires à son établissement, 1° ne peut être, à défaut d'avoir la qualité d'officier ou d'agent de police judiciaire compétent pour établir la procuration, qu'une personne déléguée par l'officier de police judiciaire et agréée par le magistrat qui a désigné ce dernier et 2° n'a pas compétence pour établir elle-même la procuration. Compte tenu, en outre, des précisions apportées par le directeur des affaires civiles et du Sceau, le mardi 10 mars 2020 au soir, soit la veille du jour où a été rendue l’ordonnance, à l'ensemble des procureurs généraux près les cours d'appel et des procureurs de la République près les tribunaux de grande instance, en vue de leur diffusion aux officiers et agents de police judiciaire habilités à établir des procurations, il ne saurait être soutenu que cette instruction porte une atteinte grave et manifestement illégale à la libre expression du suffrage.
2 - 22 mars 2020, Syndicat Jeunes médecins, n° 439674
Cette ordonnance, la première rendue en période de confinement, l’a été avec toute la solennité désirable : en formation collégiale, un dimanche en début de soirée, précédée d’une courte déclaration du Président de la Section du contentieux devant le Palais-Royal, siège du Conseil d’État.
Le syndicat requérant juge insuffisantes les mesures de confinement pour enrayer l’épidémie de Covid-19 décidées par le premier ministre, en raison notamment des exceptions qu’elles prévoient, de ce qu’elles font l’objet d’interprétations contradictoires et du fait qu’elles sont inégalement appliquées.
Il considère que cette carence des autorités constitue une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie et à la santé de la population, en particulier de l’ensemble des personnels soignants particulièrement exposés aux contaminations. En conséquence, il demande au juge des référés d’enjoindre au premier ministre et au ministre de la santé de décider : 1) l’interdiction totale de sortir de son lieu de confinement, sauf autorisation délivrée par un médecin pour motif médical, 2) l’arrêt des transports en commun, 3) l’arrêt des activités professionnelles non vitales, 4) la mise en place d’un ravitaillement à domicile de la population dans des conditions sanitaires visant à assurer la sécurité des personnels chargés de ce ravitaillement, et 5) la prise de mesures propres à assurer la production massive de tests de dépistage et à permettre le dépistage de tous les professionnels de santé.
I. Avant d’examiner ces demandes, le juge, comme il le fera par la suite dans la plupart des autres demandes de référés relatives au même sujet, rappelle les quatre données de droit essentielles à prendre en considération.
Tout d’abord, s’agissant de l’exercice d’un pouvoir de police, sanitaire ici, sont reprises les jurisprudences combinées Labonne (8 août 1919, n° 56377, Rec. p. 737) et Maire de Néris-les-Bains (18 avril 1902, n° 04749, Rec. p. 275), auxquelles s’ajoutent ici les dispositions de l’art. L. 3131-1 du code de la santé publique.
Ensuite, est une liberté fondamentale au sens du référé liberté, le droit au respect de la vie, rappelé à l’art. 2 de la Convention EDH.
Également, comme nous l’indiquions en préambule, le juge du référé liberté ne peut ordonner que les mesures d'urgence qui lui apparaissent de nature à sauvegarder, dans un délai de quarante-huit heures, la liberté fondamentale à laquelle il est porté une atteinte grave et manifestement illégale.
Enfin, en quatrième et dernier lieu, le caractère manifestement illégal de l’atteinte doit s’apprécier notamment en tenant compte des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente et des mesures qu’elle a, dans ce cadre, déjà prises.
II. Le juge procède ensuite à l’examen de chacune des trois catégories de demandes, étant observé au passage l’importance de l’oralité des débats propre à ces référés urgents d’autant plus qu’y sont traitées des affaires complexes, aux données mouvantes.
S’agissant de la demande de confinement total de la population, elle est rejetée car impossible à réaliser de facto et risquant de compromettre, du fait qu’elle entrainerait une livraison généralisée des produits de première nécessité, d’autres activités sociales ou sanitaires éminentes, voire de porter atteinte à des droits ou libertés fondamentaux.
S’agissant du renforcement des mesures déjà en vigueur ou décidées, le juge se convainc, par suite des échanges qui ont eu lieu au cours de l’audience, que ceux-ci font apparaitre l’ambiguïté de la portée de certaines dispositions.
Ceci le conduit à ordonner au premier ministre de préciser davantage, sous quarante-huit heures, ce qu’il faut entendre par la trop vague expression « déplacements pour motif de santé », par la trop étendue autorisation de « déplacements brefs, à proximité du domicile, liés à l'activité physique individuelle des personnes, à l'exclusion de toute pratique sportive collective, et aux besoins des animaux de compagnie » et, enfin, par l’autorisation du fonctionnement des marchés ouverts, sans autre limitation que l’interdiction des rassemblements de plus de cent personnes dont le maintien paraît autoriser dans certains cas des déplacements et des comportements contraires à la consigne générale.
En revanche, il ne retient pas l’argument tiré du non-respect des « gestes barrières » par la population, relevant que cela n’est pas le fait des pouvoirs publics qui ont, au contraire, édicté des règles contraignantes, de plus en plus sévères, pénalement sanctionnées à l’encontre des contrevenants.
S’agissant des tests de dépistage, le juge relève, pour rejeter ce chef de demande, que l’insuffisance de matériel disponible contraint à sélectionner les personnes bénéficiaires de ces tests et que les autorités responsables ont commandé ou fait accélérer la fabrication des éléments nécessaires pour accroître considérablement leur nombre.
3 - 27 mars 2020, Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI) et autres, n° 439720
On ne reviendra pas sur la présentation structurelle de la décision, assez semblable à la décision précédente comme aux suivantes.
Les organisations requérantes demandaient au juge d’ordonner, dans le contexte de l’épidémie causée par la propagation du virus Covid-19, la fermeture temporaire de l’ensemble des centres de rétention administrative figurant sur la liste établie par l’arrêté du 30 mars 2011 modifié, jusqu’à la levée des mesures de confinement décidées pour lutter contre cette épidémie.
Leur requête est, sans surprise, rejetée.
On notera qu’au nombre des mesures que peut prendre le juge du référé liberté, celui-ci se reconnaît le pouvoir d’ordonner, à titre provisoire, des mesures d’organisation du service placé sous l’autorité en cause, ce qui n’est pas rien en l’état d’une traditionnelle réserve du juge pour intervenir en cette matière.
De nombreuses libertés fondamentales relevant d’une protection par la voie du référé liberté sont énumérées dans cette décision : le droit au respect de la vie, le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants ainsi que le droit de recevoir les traitements et les soins appropriés à son état de santé, la liberté d'aller et venir et le droit de chacun au respect de sa liberté personnelle.
Enfin, est rappelée par une incise la limite des pouvoirs du juge des référés « à qui il n’appartient pas de se prononcer sur l’opportunité des décisions de l’autorité administrative ni de juger de la cohérence de ces décisions avec d’autres actions menées par les pouvoirs publics. »
Après avoir rappelé les faits, notamment les chiffres, relatifs à l’épidémie de Covid-19, la vitesse et l’ampleur de sa propagation, ainsi que les premières mesures d’interdiction ou de fermeture décidées par les pouvoirs publics dans un contexte chaotique dans la gestion des restrictions de déplacement ou de fermetures des frontières y compris entre les États de l’Union européenne, le juge énumère les dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) applicables ainsi que ceux relatifs à la rétention administrative.
Le juge indique ensuite qu’aux termes du premier alinéa de l’article L. 554-1 de ce code : « Un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L'administration doit exercer toute diligence à cet effet ». Il se livre à une analyse serrée des données de fait afin de circonscrire parfaitement la portée de la demande dont il est saisi, notant : « Il résulte de l’instruction que le nombre de personnes retenues dans les centres de rétention administrative a diminué dans des proportions très importantes depuis que l’épidémie de Covid-19 a atteint la France. Le nombre des personnes nouvellement placées en rétention s’est, de même, très substantiellement réduit et devrait être marginal dans la période à venir. Alors que les 26 centres de rétention ont une capacité d’accueil totale d’un peu plus de 1 800 places, ils ne comptaient ainsi que de l’ordre de 350 personnes retenues à la fin de la semaine du 16 mars 2020 et seulement 152 personnes à la date du 26 mars 2020. A cette dernière date, 9 centres de rétention ne comptaient aucun étranger retenu, 5 centres comptaient moins de 5 étrangers retenus et 5 centres comptaient entre 6 et 16 étrangers retenus. Seuls deux centres dépassaient ce dernier effectif, avec 37 personnes retenues au Mesnil-Amelot, pour une capacité de 120 places si elles sont regroupées dans un seul des deux centres situés dans cette localité, et 53 personnes retenues à Vincennes, pour une capacité de 237 places ».
Partant de là, le juge n’en est que plus à l’aise pour juger, d’une part, que les requérants n’établissent pas un danger pour les personnes retenues dès lors qu’elles bénéficient des informations, des mesures d’hygiène et de distanciation ainsi que le cas échéant des soins nécessaires pour faire face à l’épidémie, et d’autre part, que ces centres de rétention eux-mêmes ne constituent aucunement « en soi, dans les circonstances que connaît la France, un facteur d’évolution de l’épidémie susceptible de traduire une atteinte grave et manifestement illégale à ces libertés fondamentales ».
Enfin, examinant le cas particulier des étrangers susceptibles de faire l’objet d’une mesure d’assignation à résidence et pour lesquels en conséquence l’éloignement du territoire français demeure une perspective raisonnable, le juge affirme que s’ils peuvent être placés en rétention, c’est à la seule fin de permettre l’exécution, dans les délais les plus brefs possibles, de la mesure d’éloignement du territoire dont ils font l’objet. Ils ne peuvent donc être placés ou maintenus en rétention que pour le temps strictement nécessaire à leur départ. C’est pourquoi serait illégal le placement ou le maintien en rétention d’étrangers faisant l’objet d’une mesure ordonnant leur éloignement du territoire français lorsque les perspectives d’éloignement effectif du territoire à brève échéance sont inexistantes. Toutefois, le juge constate qu’il a été possible de procéder, dans la période récente, à des éloignements du territoire, en dépit des restrictions mises par de nombreux États à l’entrée sur leur territoire de ressortissants de pays tiers et de la très forte diminution du volume des transports aériens.
De plus, la loi donne au juge des libertés et de la détention compétence pour mettre fin à la rétention lorsqu’elle ne se justifie plus pour quelque motif que ce soit.
De tout ceci découle l’absence d’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
4 - 28 mars 2020, Mme X. et autres, 439693
Une infirmière, un collectif d’infirmiers libéraux et 64 infirmiers, estimant insuffisantes les mesures prises par l’État, dans le cadre de l’épidémie de Covid-19, en matière de mise à disposition aux personnels soignants des matériels de protection et en particulier des masques, y voient une carence caractérisée des autorités qui constitue une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie, au droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants, au droit à la protection de la santé, au droit de recevoir les traitements et les soins les plus appropriés à son état de santé, à la liberté d’entreprendre et à la liberté du commerce.
Ils demandent au juge du référé liberté d’enjoindre à l’État de prendre toutes mesures utiles, pour fournir des matériels de protection aux professionnels de santé, et notamment aux infirmiers libéraux.
D’emblée est rejetée, car il n’existe pas de difficultés à cet égard, la demande concernant les matériels de protection autres que les masques.
S’agissant des masques, le juge examine leur approvisionnement puis leur distribution.
En ce qui concerne l’approvisionnement en masques, le juge analyse et décrit l’état des stocks (117 millions au début de la pandémie), les efforts d’accroissement de la fabrication (6 à 8 millions par semaine), les importations en cours (24 millions par semaine), en particulier les masques FFP2. Il conclut qu’il n’y a n’a donc pas lieu d’ordonner d’autres mesures de réalisation plus rapide.
En ce qui concerne la distribution des masques, là encore, sont examinés les efforts entrepris pour approvisionner les professionnels, notamment dans le domaine de la santé et de l’hébergement des personnes âgées, à raison de 70 millions de masques et il est noté que lors de chacune des deux dernières semaines, chaque médecin ou infirmier de ville pouvait retirer 18 masques.
Cependant, le juge reconnaît que les masques distribués sont ceux de type FPP2, qui doivent être changés au moins toutes les huit heures et qu’ils sont encore, au jour où il statue, en quantité insuffisante, pour que ceux-ci soient aussi portés par les patients pris en charge. Ceci ne justifie cependant pas que le juge des référés prenne les mesures préconisées par les requérants car elles ne pourraient pas être utilement mises en œuvre à bref délai pour augmenter le volume de masques disponible, ces mesures étant, au demeurant, pour certaines d’entre elles, déjà effectives.
Ce dernier moyen relevait, le cas échéant, nous semble-t-il, d’une action en responsabilité
5 - 28 mars 2020, Syndicat des médecins d’Aix et région (SMAER) et autres, n° 439726
Les organisations requérantes, estimant que les mesures prises par l’État, dans le cadre de l’épidémie de Covid-19, sont insuffisantes en matière de mise à disposition de masques aux personnels soignants et à la population, de mise en œuvre des tests de dépistage du coronavirus, et d’autorisation de recourir au traitement à base d’hydroxychloroquine, y voient une carence caractérisée qui constituerait une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie, au droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants, au droit à la protection de la santé, au droit de recevoir les traitements et les soins les plus appropriés à son état de santé, à la liberté d’entreprendre et à la liberté du commerce, ainsi qu’au principe de précaution.
En conséquence, les requérants demandent au juge d’enjoindre à l’État de prendre toutes mesures utiles : 1) pour fournir des masques FPP2 et FPP3 aux médecins et professionnels de santé en veillant à leur information et des masques chirurgicaux aux malades et à la population générale, 2) pour procéder massivement à des tests de dépistage notamment par l’intermédiaire des laboratoires de biologie médicale, et 3) pour fournir et autoriser les médecins et hôpitaux à prescrire et administrer aux patients à risque un traitement à base d’hydroxychloroquine.
Le juge examine successivement ces trois demandes et les rejette.
Sur les masques, il est distingué entre les professionnels de santé et la population.
Pour les professionnels de santé, l’analyse du juge reprend fidèlement celle conduite dans la décision précédente rendue le même jour et, pour ce qui est du non-respect des gestes barrières par une partie de la population, le juge réitère le raisonnement mené dans sa décision du 22 mars in fine. Il aboutit à la même conclusion que précédemment : le rejet sur ce point de la requête.
Pour le reste de la population, l’absence de précisions de la part des demandeurs et le caractère limité des stocks actuellement disponibles conduisent au rejet du moyen. Ce dernier, comme dans la décision précédente, aurait dû être présenté dans le cadre d’une action en responsabilité pour autant que fussent établies l’existence d’une faute et la réalité du préjudice.
Sur le dépistage, est relevée « une insuffisante disponibilité des matériels » qui ne permet pas de retenir la demande des organisations requérantes, eu égard aux pouvoirs qui sont ceux du juge du référé liberté ; en effet, aucune mesure ne pourrait être prise par lui qui mette fin, à bref délai, à cette pénurie.
Sur la demande de traitement à base d’hydroxychloroquine, la décision rapportée en fait son morceau de choix en raison du tohu-bohu médiatique autour de ce produit qu’une opinion publique versatile, ignorante et excitée a tantôt porté aux nues tantôt dénigrée.
Le juge rappelle qu’en France les médicaments ne peuvent être prescrits que s’ils font l’objet d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) sauf exceptions très limitées et rigoureusement encadrées. De plus, la demande d’un tel traitement repose sur la publicité faite à l’expérience réalisée par un institut hospitalier, où sont associées l’hydroxychloroquine et l’azithromycine, expérience dont certains aspects ont pu être discutés au regard des canons ordinaires de l’expérimentation scientifique. De plus, sont testés également d’autres produits et selon d’autres protocoles, étant rappelé qu’à l’heure actuelle n’existe aucun médicament efficace reconnu contre le Covid-19.
Le juge retient encore, et ceci est essentiel dans son raisonnement, que le premier ministre, d’une part, a joué du pouvoir administratif de dérogation ou d’autorisation temporaire en faveur de l’hydroxychloroquine, pour son expérimentation comme pour sa distribution par les pharmacies d’hôpitaux et, à un moindre degré car plus sévèrement encadrée, par les pharmacies d’officine, et, d’autre part, a pris diverses mesures protectrices dont l’interdiction d’exportation de ces deux médicaments. Enfin, et en tout état de cause, il n’est pas de l’office du juge des référés d’ordonner sans délai la production et la constitution de stocks d’hydroxychloroquine et d’azithromycine puisque cela ne serait pas matériellement possible.
La requête est rejetée.
6 - 28 mars 2020, M. X. et autres, n° 439765
La demande des requérants étant très semblable à celle ayant fait l’objet la précédente décision, les deux décisions, d’ailleurs du même jour, sont largement identiques.
Les requérants demandaient au juge des référés d’ordonner la suspension de l’exécution de l’article 12-2 du décret du 23 mars 2020, d’enjoindre au ministre chargé de la santé de saisir l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé d'une demande d'élaboration à très bref délai d'une recommandation temporaire d'utilisation destinée à sécuriser l’usage du Plaquenil (nom du sulfate d’hydroxychloroquine commercialisé par le laboratoire Sanofi) en dehors des indications de son autorisation de mise sur le marché et d’enjoindre au gouvernement de prendre les mesures nécessaires à la production et à la constitution de stocks d’hydroxychloroquine et d’azithromycine.
Le rejet était certain en raison de ce qui a été dit ci-dessus au sujet de la décision Syndicat des médecins d’Aix et région (SMAER) et autres.
7 - 1er avril 2020, Fédération nationale des marchés de France, n° 439762
La fédération requérante demandait au juge des référés d’ordonner la suspension de l’exécution des dispositions du III de l’article 8 du décret du 23 mars 2020 aux termes desquelles : « La tenue des marchés, couverts ou non et quel qu'en soit l'objet, est interdite. Toutefois, le représentant de l'État dans le département peut, après avis du maire, accorder une autorisation d'ouverture des marchés alimentaires qui répondent à un besoin d'approvisionnement de la population si les conditions de leur organisation ainsi que les contrôles mis en place sont propres à garantir le respect des dispositions de l'article 1er et de l'article 7 » et d’enjoindre à l’État d’autoriser la tenue des marchés couverts et de plein air, sur l’ensemble du territoire national.
Dès sa lecture il était assez évident que cette requête ne pouvait pas prospérer, le juge y appliquant sa grille d’analyse désormais habituelle en cette matière de la gestion publique du Covid-19.
Le juge retient les éléments suivants.
Tout d’abord, la prohibition, à titre de principe, de la tenue de marchés, au reste juridiquement fondée sur une disposition législative (cf. art. L. 3131-15, notamment 5°, 6° et 10°, du code de la santé publique), est une mesure cohérente avec les autres mesures prises quant aux rassemblements et autres, ainsi qu’avec ce que l’on sait des conditions de propagation du virus Covid-19 (obligation de distance minimale, respect des barrières).
Ensuite, le décret attaqué réserve aux préfets la possibilité de déroger à l’interdiction générale d’ouverture des marchés en fonction des circonstances locales et des mesures de protection/précaution pouvant être prises. Cet aspect doit être souligné car il est au rebours de la tradition juridique qui, d’ordinaire, permet aux autorités locales de police d’aggraver mais non d’atténuer les mesures nationales de police (Maire de Néris-les-Bains, cité au 1.). Et le Conseil d’État enfonce le clou si l’on peut dire, en observant que ces arrêtés dérogatoires d’autorisations de tenue de marchés sont nombreux et que leur nombre va croissant.
D’où cette conclusion qui met en relief qu’il s’agit ici fondamentalement de mesures de police : « (…) les dispositions litigieuses, dont il ne résulte pas de l’instruction qu’elles entraîneraient un phénomène d’afflux dans les magasins d’alimentation sédentaires, ménagent un juste équilibre entre la nécessité de garantir la santé publique et la satisfaction des besoins d’approvisionnement de la population. Il s’ensuit qu’il ne résulte pas de l’instruction que serait méconnue l’obligation posée par l’article L. 3131-15 du code de la santé publique précité que les mesures prises sur son fondement soient strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu ».
8 - 2 avril 2020, Fédération nationale Droit au logement et autres, n° 439763
Les organisations requérantes, estimant que les mesures prises par l’État dans le cadre de l’épidémie de Covid-19 sont insuffisantes pour assurer une protection efficace aux personnes sans domicile ou ne bénéficiant que d’un logement indigne, y compris les étrangers dont la demande d’asile a été rejetée, sollicitent du juge des référés qu’il ordonne à l’État d’assurer un confinement de ces personnes dans des conditions d’hébergement adéquates y compris par le recours à des réquisitions d’appartements en location meublée touristique et de chambres d’hôtels vacants, en fournissant notamment aux personnels accompagnants les garanties nécessaires en particulier par la distribution prioritaire de masques de protection et en procédant à un dépistage systématique du public pris en charge et travaillant dans des structures qui organisent un hébergement en collectif.
Sur le premier point, le juge relève que diverses mesures ont été prises concernant l’hébergement des personnes sans domicile (report jusqu’au 31 mai de la trêve hivernale et de la fermeture des places d’hébergement normalement ouvertes seulement pendant l’hiver, recours à des nuitées d’hôtel et à des structures d’hébergement touristique, utilisation de structures d’accueil provisoires telles que des gymnases ou des salles polyvalentes, réquisition d’immeubles vacants) ont eu pour effet de porter en fin mars 2020 les capacités d’hébergement pour les personnes sans domicile à près de 170 000 places contre 157 000 avant la présente crise, auxquelles s’ajoutent près de 200 000 places en logement adapté.
Si les organisations requérantes ne contestent pas ces chiffres ni la réalité de l’effort réalisé par les services de l’État, elles soutiennent que cet effort demeure encore insuffisant. Le Conseil d’État observe, d’abord, que les capacités d’hébergement ainsi mobilisées n’ont jamais été aussi importantes et seront encore accrues à brève échéance, et ensuite que sur un total de 1300 places disponibles dans les centres d’hébergement à peine 20% sont actuellement occupées. Enfin, si l’utilisation de gymnases n’est guère appropriée à ces populations et aux exigences du confinement, il ne s’agit là que d’un expédient temporaire destiné à faire face à un afflux dans une situation d’extrême urgence.
Le cas des personnes trouvées à la rue est traité sans verbalisation et avec recours au « SAMU social ».
Enfin, toutes informations sur les précautions sanitaires et les mesures d’hygiène à prendre sont fournies aux intéressés.
Il suit de là que n’existe en l’espèce, s’agissant des conditions actuelles d’hébergement des personnes sans domicile fixe aucune atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie et à la protection de l’intégrité physique et psychique de ces personnes, justifiant la fermeture des lieux d’hébergement collectif existants et la réquisition d’appartements ou de chambres d’hôtel que demandent les organisations requérantes.
Sur le second point, le juge rejette également l’argumentation des demanderesses.
S’agissant de la distribution de masques de protection, s’il est exact que dans le cadre d’une stratégie de gestion maîtrisée des stocks en période de forte tension due à l’évolution de l’épidémie, les travailleurs sociaux ne sont pas au nombre des personnes prioritaires, toutefois ceux-ci se sont vus reconnaître la possibilité d’importer, avec l’appui de l’État (décret n° 2020-281 du 20 mars 2020 modifiant le décret n° 2020-247 du 13 mars 2020 relatif aux réquisitions nécessaires dans la lutte contre le virus Covid-19), et de distribuer par leurs propres réseaux les masques nécessaires.
Dans ces conditions, il n’est pas porté une atteinte grave et manifestement illégale à leur droit à la vie et au respect de leur intégrité physique.
S’agissant de la mise en place d’un dépistage systématique des personnes accueillies dans des structures collectives ou y travaillant, le juge note que la faible capacité dont disposent les services ont contraint à ne pas instaurer un tel dépistage mais que cette capacité va croître progressivement de telle sorte que les conclusions en ce sens aux fins d’injonction ne peuvent qu’être rejetées le juge ne pouvant ordonner des mesures qui ne seraient pas utiles à très court terme en l’état des moyens existants.
9 - 4 avril 2020, Centre hospitalier universitaire de la Guadeloupe, n° 439904 ; ministre des solidarités et de la santé, n° 439905
La particularité de l’ordonnance ci-rapportée vient de ce qu’elle ne résulte pas d’une saisine directe du Conseil d’État mais d’un appel formé devant lui contre un jugement sur référé liberté rendu le 27 mars 2020 par le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe.
Ce dernier avait enjoint au CHU de la Guadeloupe et à l’agence régionale de santé (ARS) de la Guadeloupe, de passer commande des doses nécessaires au traitement des patients atteints du Covid-19 par hydroxychloroquine et azithromycine, tel que proposé par l’institut hospitalo-universitaire Méditerranée infection, et de tests de dépistage du Covid-19 en nombre suffisant pour couvrir les besoins présents et à venir de la population de l’archipel guadeloupéen.
Le CHU de la Guadeloupe et le ministre des solidarités et de la santé relèvent appel de cette ordonnance par deux requêtes en annulation de ladite ordonnance qui sont jointes par le juge d’appel.
I. Préalablement, le juge des référés apporte deux précisions dont la première n’est qu’un rappel mais la seconde constitue une vraie nouveauté.
D’abord, il rappelle que si, en principe, le juge du référé liberté est un juge de l’urgence et du provisoire dont les ordonnances ne prescrivent normalement que des mesures provisoires, celles-ci peuvent néanmoins revêtir un caractère définitif lorsqu’il ne peut en aller autrement dans les circonstances de droit et de fait de l’espèce.
Ensuite, c’est la nouveauté, qu’il exprime ainsi : « (…) si l’autorité administrative est en droit, lorsque des incertitudes subsistent quant à l’existence ou à la portée de risques pour la santé des personnes, de prendre des mesures de protection sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées, l’existence de telles incertitudes fait, en principe, obstacle à ce que soit reconnue une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, justifiant que le juge des référés fasse usage des pouvoirs qu’il tient de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ». Autant dire qu’à l’énoncé d’une telle position de principe, l’annulation de l’ordonnance des premiers juges devenait certaine.
La chose nous semble discutable en période de circonstances exceptionnelles où l’urgence à lutter contre la mort et l’absence de traitement avéré d’un mal peuvent justifier le recours à des solutions médicales dont le caractère aberrant n’est pas certain, pour autant que le patient, dûment et clairement informé, ait accepté son emploi. Par a contrario, l’interdiction faite au patient d’exercer sa liberté de choix éclairée puisqu’il est fait défense au médecin de l’écouter, nous paraît, elle, de nature à constituer une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
II. Le juge passe à l’analyse du fond de la requête après avoir décrit la situation sanitaire de la Guadeloupe au regard du Covid-19 ainsi que les mesures, générales et particulières, qui y ont été prises par les pouvoirs publics.
Concernant le traitement des patients atteints de Covid-19 et les commandes d’hydroxychloroquine et d’azithromycine, le juge des référés du Conseil d’État réitère la position déjà adoptée dans ses deux précédentes décisions du 28 mars 2020 sur le sujet (cf. n° 5 ci-dessus, req. n° 439726, points 12 et suivants ; n° 6 ci-dessus, req. n° 439765, points 5 et suivants).
En particulier, il rappelle l’obligation d’une autorisation de mise sur le marché pour qu’un médicament puisse être prescrit et utilisé ainsi que l’existence, limitée souvent aux pharmacies d’hôpitaux, d’une autorisation dérogatoire temporaire. Il a été usé de cette faculté en l’espèce par le premier ministre. Toutefois, il n’existe pas au jour du jugement attaqué et à celui de la présente décision de protocole scientifique validant sérieusement comme traitement du Covid-19 l’association de l’hydroxychloroquine et de l’azithromycine. C’est pourquoi ne saurait être considérée comme illégale la position de prudence adoptée par les autorités étatiques sanitaires. Il n’existe donc de ce fait aucune carence caractérisée tant du chef du CHU de Guadeloupe que de celui du directeur de l’ARS de Guadeloupe qui justifierait la reconnaissance d’une atteinte à une liberté fondamentale.
Concernant les commandes de tests de dépistage du Covid-19, le juge explique que les capacités restreintes de la France pour pratiquer ces tests ont conduit les pouvoirs publics à établir un ordre de priorité mais que, pour être en mesure d’éviter de nouvelles contagions à l’issue du confinement, ils prennent toutefois les dispositions nécessaires pour accroître les capacités de dépistage, notamment par le développement de tests sérologiques, reposant sur la recherche d’anticorps, dont la fiabilité doit cependant encore faire l’objet d’évaluations. Cette stratégie est en cours d’élaboration.
Par ailleurs, les stocks actuels du CHU de Guadeloupe et d’autres hôpitaux de la région ainsi que les commandes en cours, sans couvrir tous les besoins à venir de la population de la Guadeloupe, tels qu’ils pourront être appréciés dans la perspective de la fin du confinement, ne révèlent pas que le CHU et l’ARS auraient porté, par une carence caractérisée, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
Le recours est rejeté.
10 - 8 avril 2020, Syndicat national pénitentiaire force ouvrière – personnels de surveillance, n° 439821
Il a souvent été indiqué dans cette chronique l’importance croissante prise par les débats oraux dans la procédure de référé. Cette tendance est pleinement confirmée par la circonstance que le juge, dans la présente affaire, relève à plusieurs reprises soit l’acceptation par les requérants des données et des faits fournis par l’administration pénitentiaire, soit l’abandon ou la rectification de leurs prétentions initiales.
De sorte qu’à bien des égards la procédure du référé urgent, surtout celle du référé liberté, joue un peu le rôle d’une justice de paix, tempérant parfois les fougueuses demandes et prétentions assénées dans l’urgence (cf. par ex. les points 13, 18, 19 de la décision).
Le syndicat requérant demande au juge du référé liberté du Conseil d’État d’ordonner, dans le contexte de l’épidémie causée par la propagation du virus Covid-19, que soient prises différentes mesures propres à assurer une protection suffisante des personnels pénitentiaires à l’égard des risques de contamination par ce virus.
Le juge, après avoir rappelé le cadre juridique et factuel, examine, comme il l’a fait dans plusieurs des décisions précédemment rapportées, les mesures générales déjà prises par les pouvoirs publics pour faire face à l’épidémie, il y ajoute les mesures spécifiques qu’il a également édictées concernant ceux de leurs agents exerçant leurs fonctions dans l’univers carcéral : limitation, à partir du 27 février 2020, des circulations humaines entre prisons et extérieur ainsi qu’à l’intérieur des prisons, rappel du strict respect des règles de sécurité sanitaire, suspension à compter de la note du 17 mars, d’une part, des activités incompatibles avec les exigences de distanciation, d’autre part, des visites aux parloirs, parloirs familiaux et unités de vie familiale et des entretiens avec les visiteurs de prison.
En outre, il est rappelé qu’il incombe aux chefs d’établissements, en sus de l’application de ces mesures, de prendre toutes celles rendues nécessaires par la situation locale propre à chacun d’eux.
Le juge relève une nette diminution du nombre de personnes détenues en deux semaines (de 72 575 le 16 mars à 65 757 le 2 avril) et indique l’existence, chez les détenus de 63 cas de Covid-19 et de 697 confinements sanitaires, et, chez les 35 000 agents, de 377 cas confirmés ainsi que de 1512 cas symptomatiques.
La requête est enfin examinée sur trois points.
D’abord, en ce qui concerne la demande de distribution de masques, aucune urgence n’apparait qui justifierait l’usage des pouvoirs de référé tant en raison d’une note du 31 mars qui a mis à la disposition de l’administration pénitentiaire un stock important de 260 000 masques et prévu la distribution journalière de 17 600 masques, soit deux masques par jour par agent et par journée de travail. En outre, la liste des catégories d’agents éligibles à l’attribution des masques n’est pas figée et peut évoluer soit nationalement soit par établissement en fonction des situations locales.
Ensuite, au cours de l’audience, le syndicat requérant a admis qu’étaient satisfaites ses demandes relatives à la distribution de gants et de gel hydroalcoolique.
Enfin, la demande de définition de manière plus stricte, à l’échelle nationale, des règles encadrant l’organisation et le déroulement des promenades ainsi que la demande de suspension du régime dit « portes ouvertes », qui permet la libre circulation des détenus dans l’enceinte de l’établissement pendant les périodes quotidiennes où sont ouvertes les portes des cellules, sont rejetées car, s’agissant de la première de ces demandes, les précautions déjà prises et d’autres pouvant intervenir ultérieurement ne la rendent pas nécessaire et, s’agissant de la seconde demande, sa satisfaction n’apparaît point, pour l’heure, nécessaire.
L’examen minutieux des éléments de fait, l’attention prêtée aux arguments et défense des parties, le souci de pacifier le débat donnent le sentiment d’avoir produit, dans l’urgence, une décision sereine et d’acceptation aisée.
11 - 8 avril 2020, Section française de l’observatoire international des prisons et autres, n° 439827
Au plan procédural, il faut retenir de cette décision qu’elle traduit bien la souplesse de la procédure de référé qui conduit le juge à faire du « sur-mesure » à la fois en dépit et à cause de l’urgence.
Ainsi, au cas présent, les requêtes ont été déposées les 29 mars et 2 avril, une audience a été organisée dès le 3 avril à 10 heures ; au terme de celle-ci la clôture de l’instruction a été différée d’abord au 6 avril à 15 heures, puis au 7 avril à 22 heures et l’ordonnance a été rendue le lendemain.
Les requérants demandaient au juge du référé liberté d’ordonner, dans le contexte de l’épidémie causée par la propagation du virus Covid-19, toutes mesures qu’il estimera utiles afin de faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales portées aux libertés fondamentales des personnes détenues qu’ils invoquent.
Selon une technique rédactionnelle rodée et éprouvée le juge rappelle d’abord l’état général de la situation et des mesures prises pour lutter contre l’épidémie, réitérant les chiffres donnés dans l’affaire précédente sur la diminution du nombre de détenus et leur état sanitaire au regard du Covid-19.
Sont alors examinées les nombreuses différentes demandes.
La demande d’élargissement des dispositifs de libération des personnes détenues et de réduction du nombre d’entrées en détention est rejetée car elle suppose la prise de dispositions législatives.
La demande relative aux conditions matérielles de détention est rejetée en ses trois composantes, à savoir, d’une part, l’application aux détenus de règles et mesures d’hygiène, d’autre part, la distribution aux personnes détenues de masques de protection, de la diffusion d’un mode d’emploi permettant la fabrication de masques ainsi que des matériaux nécessaires à leur confection et enfin, la mise en place des dépistages systématiques du Covid-19. Le juge considère que les mesures déjà prises, la fermeté et la répétition des consignes d’hygiène et sanitaires, l’application stricte de l’obligation de distanciation, la limitation des déplacements et contacts intra-pénitentiaires, etc. ne permettent de parler ni d’urgence ni de menace grave et immédiate qui justifierait l’intervention du juge des référés. Au reste, un protocole a été convenu en cours d’audience entre les demandeurs et l’administration pénitentiaire qui a été immédiatement mis en œuvre le 6 avril.
Le recours désormais systématique, en cette période, à des mesures alternatives aux fouilles entraine le rejet du recours sur ce point.
Enfin, la demande de maintien des liens familiaux et personnels des personnes détenues et des échanges avec leurs avocats semble déjà satisfaite aux yeux du juge, d’une part par l’augmentation, par doublement, du crédit téléphonique mensuel attribué aux détenus afin qu’ils puissent appeler les membres de leurs familles, et d’autre part, par la possibilité de rencontrer leurs défenseurs, à condition de respecter les mesures d’hygiène et sanitaires ordinaires, et/ou de leur téléphoner. Là encore, aucune menace grave et immédiate ne permet d’user des pouvoirs du juge des référés.
12 - 9 avril 2020, Association mouvement citoyen tous migrants et autres, n° 439895
Cette décision présente la particularité, outre son contenu sur le fond, de soulever une QPC.
Les organisations requérantes sollicitaient du juge du référé liberté un certain nombre de décisions compte tenu de ce que, selon elles, les mesures prises par l’État dans le contexte de l’épidémie de Covid-19 pour préserver les droits des personnes en situation de précarité ainsi que leur protection et celles des personnes les accompagnant sont insuffisantes.
D’une part, elles demandent le renvoi d’une QPC concernant le 2° de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique.
D’autre part, elles demandent qu’injonction soit faite au premier ministre d’organiser le dépistage systématique des personnes en situation de précarité et des bénévoles s’occupant d’eux, de mettre à leur disposition des équipements de protection individuelle contre le Covid-19, de prendre les mesures pour les mettre à l’abri dans des locaux adaptés, de mettre en place une procédure dématérialisée pour l’enregistrement des demandes d’asile et l’ouverture à leur bénéfice des droits afférents, d’organiser un plan national d’aide à toutes les personnes démunies pour répondre à leurs besoins, notamment en termes de produits, de soins et de moyens de communication, de mettre à disposition des associations les ressources nécessaires au maintien de leurs activités dans des conditions adaptées à la situation, d’ouvrir les droits à une couverture maladie à toutes les personnes se trouvant en France au cours de l’épidémie, ainsi que d’autoriser les déplacements des personnes en situation de précarité nécessaires pour accéder aux aides dont elles ont besoin.
Le juge rappelle ce qu’est l’office du juge des référés, notamment en présence d’une demande de renvoi d’une QPC, les caractéristiques de l’épidémie et la lutte déjà entreprise à son encontre.
Puis, passant à l’examen de l’ensemble des moyens et demandes, il les rejette tous.
La QPC est rejetée car les limitations aux déplacements en dehors du domicile édictées, sur la base du 2° de l’article L. 3131-15, par le décret du 23 mars 2020 sont définies avec une précision suffisante, sont limitées « aux seules fins de garantir la santé publique », « strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu », et qu’ « il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires ». Elles ne sont donc pas, contrairement à ce qui est soutenue par la requête, entachées d’incompétence négative. Le renvoi au Conseil constitutionnel est refusé.
Le juge répond ensuite, de façon détaillée et avec un grand souci pédagogique qui laisse deviner la volonté de convaincre les organisations demanderesses, aux cinq questions principales.
En premier lieu, il se prononce sur la demande de dépistage systématique des personnes en situation de précarité et des bénévoles s’occupant de ces personnes, et la mise à leur disposition d’équipements de protection individuelle contre le Covid-19.
Le juge reconnait - comme l’administration - qu’en l’état des stocks et des données scientifiques les travailleurs sociaux ne sont pas couverts par les mesures de distribution et que l’utilisation de masques chirurgicaux dans la population non malade n’est pas à l’ordre du jour. Toutefois, les associations, avec l’aide des pouvoirs publics, peuvent acquérir des masques de protection, y compris importés ou destinés, sous réserve de validation, à un usage non sanitaire : il existe aujourd’hui 85 solutions proposées par 45 entreprises. Le moyen ne peut, dans ces conditions, être retenu.
Pour ce qui est des dépistages, des mesures ont été prises pour une progression constante de leur nombre dans les meilleurs délais dans la perspective de la sortie du confinement et, en outre, un dépistage systématique n’est pas préconisé le Haut Conseil de la santé publique. Le moyen ne peut qu’être rejeté tant au regard des circonstances de fait qu’à celui des pouvoirs qui sont ceux du juge des référés.
En deuxième lieu, pour ce qui concerne l’hébergement des personnes en situation de précarité, le juge rappelle des données chiffrées déjà avancées dans des décisions de référé antérieures (allongement de la durée de la trêve hivernale et de la fermeture des places d’hébergement ouvertes pendant l’hiver, accueils accrus dans des hôtels et des structures d’hébergement touristique, ouverture de structures d’accueil provisoires telles que des gymnases ou des salles polyvalentes, réquisition d’immeubles vacants), et relève l’accroissement du nombre de places offertes ainsi que la poursuite des efforts entrepris pour en développer encore le nombre. De plus, des informations, des places de lits et plusieurs lieux sont consacrés aux consignes sanitaires ainsi qu’à l’accueil des personnes symptomatiques.
Là aussi n’existe, en l’état, nulle atteinte grave et manifestement illégale au droit à l’hébergement d’urgence et au respect de la vie, justifiant que soient ordonnées d’autres solutions par le juge des référés.
En troisième lieu, est abordée la question, difficile, de l’enregistrement des demandes d’asile. Depuis la suspension, à partir 17 mars 2020, de l’activité des guichets uniques pour demandeurs d’asile (GUDA) des préfectures, en raison de l’impossibilité de respecter les « gestes barrière » lors de l’enregistrement des demandes d’asile, ces enregistrements se poursuivent, en liaison avec les associations, dans les cas relevant d’une urgence particulière. Ceci se fait de façon identique dans les États de l’Union, dans le respect des directives européennes.
La dématérialisation de la procédure, demandée par les requérantes, s’avère impossible à organiser selon le ministère de l’intérieur, notamment car il faut effectuer le relevé d’empreintes digitales. Des facilités sont toutefois assurées (émission de « chèques services », absence de mesure d’éloignement quand la personne n’a pas été en mesure de déposer sa demande d’asile, traitement particulier des personnes qui avaient pré-enregistré une demande d’asile dans une structure de premier accueil pour demandeurs d’asile (SPADA) ou qui ont d’une façon ou d’une autre manifesté l’intention d’en présenter une, permanences, y compris téléphoniques, assurées pour tous ces cas par l’Office français de l’immigration et de l’intégration).
En l’état, compte tenu des éléments qui précèdent, n’apparait aux yeux du juge des référés aucune atteinte dont la gravité justifierait que soient ordonnées d’autres mesures. Le moyen est rejeté.
En quatrième lieu, ce qui concerne la mise en place d’un plan national d’aide à toutes les personnes démunies et la mise à disposition des associations des ressources nécessaires au maintien de leurs activités dans des conditions adaptées à la situation, le juge, en l’état actuel des efforts déjà fournis et qui se poursuivent (cellule de crise chargée de piloter et coordonner les actions en faveur des personnes en situation de précarité, distribution de produits alimentaires et d’accès à l’eau, aux installations sanitaires et aux biens essentiels à l’hygiène, création du dispositif « chèques services » dont 60 000 personnes bénéficient déjà, création d’une plateforme numérique en lien avec le monde associatif pour permettre à des bénévoles de se manifester, mobilisation des étudiants en travail social, prolongation, par l’ordonnance du 25 mars 2020, du bénéfice du RSA pour éviter les ruptures de droits soit des bénéficiaires qui ne pourraient se manifester en raison de la situation sanitaire soit des bénéficiaires étrangers titulaires de titres de séjour, dont la validité a en outre été prolongée de 90 jours), estime que n’est pas justifiée la demande de décisions urgentes à prendre par voie de référé en même temps qu’est rejetée la demande d’accès gratuit téléphonique et à internet.
En cinquième lieu, en raison des décisions déjà prises et appliquées effectivement qui ne démontrent aucune carence, la demande d’ouverture de droits à une couverture maladie à toutes les personnes se trouvant en France au cours de l’épidémie est rejetée.
Le juge relève en particulier en ce sens : l’ouverture des droits à la protection maladie universelle (PUMA) toujours possible, la prolongation des droits à la protection complémentaire en matière de santé lorsque ces droits expirent entre le 12 mars et le 31 juillet 2020 (ordonnance du 25 mars 2020), l’assouplissement des conditions d’accès à l’aide médicale d’État (AME) pendant la période d’urgence sanitaire, la prorogation du bénéfice de cette aide et l’élargissement de la prise en charge des soins urgents pour les personnes ne bénéficiant ni de l’AME ni de la PUMA.
En sixième lieu, enfin, est rejetée la demande portant sur les autorisations de déplacement des personnes en situation de précarité car le 4° de l’art. 3 du décret du 27 mars 2020, autorise les déplacements pour l'assistance des personnes vulnérables, de sorte que ces dérogations couvrent les déplacements des salariés et bénévoles des associations d’aide aux personnes en situation de précarité.
Par ailleurs, ces personnes peuvent, au titre du 2° de cet article, se déplacer pour l’accès à des distributions de denrées alimentaires ou de produits essentiels, et pour percevoir les prestations qui leur sont réservées, enfin, instruction a été donnée de ne procéder à aucune verbalisation des personnes sans domicile fixe.
Il résulte de là qu’aucune atteinte grave n’a été portée de ce chef, dans les circonstances particulières nées de la lutte contre l’épidémie de Covid-19, à une liberté fondamentale.