Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Mars 2020

 

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse  

 

1 - Assistants maternels - Période de formation - Soumission à des vaccinations normalement facultatives - Arrêté ministériel fixant cette obligation - Incompétence - Annulation.

La ministre des solidarités et de la santé ne tient d'aucune autre disposition législative une habilitation lui conférant le pouvoir de soumettre les assistants maternels suivant une période de formation en milieu professionnel à des vaccinations non obligatoires.

En exigeant du futur assistant maternel stagiaire, par l’arrêté litigieux, la production, préalablement au commencement de sa période de formation en milieu professionnel, un certificat médical attestant qu'il est à jour de ses vaccinations recommandées, la ministre a pris un acte illégal car entaché d’incompétence. Et cela alors même que l'organisation et le financement de la formation des assistants maternels agréés relèvent des départements et que, dans certains départements, la période de formation en milieu professionnel puisse ne pas revêtir de caractère obligatoire.

(4 mars 2020, Ligue nationale pour la liberté des vaccinations, n° 426633)

 

2 - Charte de déontologie des membres de la juridiction administrative - Nature juridique et portée - Décision susceptible de recours - Application aux anciens membres des juridictions - Rejet.  

A l’occasion d’un recours dirigé contre la décision du vice-président du Conseil d’État adoptant une Charte de déontologie des membres de la juridiction administrative, le juge donne un certain nombre d’indications utiles.

Tout d’abord est ainsi précisée la place de la Charte dans la hiérarchie des normes : « (…) la charte de déontologie des membres de la juridiction administrative, qui n'a pas pour objet de se substituer aux principes et dispositions textuelles, notamment statutaires, régissant l'exercice de leurs fonctions, a vocation, outre à rappeler les principes et obligations d'ordre déontologique qui leur sont applicables, à préconiser des bonnes pratiques propres à en assurer le respect. Pour apprécier si le comportement d'un membre de la juridiction administrative traduit un manquement aux obligations déontologiques qui lui incombent, les bonnes pratiques ainsi recommandées sont susceptibles d'être prises en compte, sans pour autant que leur méconnaissance ne soit, en elle-même, constitutive d'un manquement disciplinaire. »

Ensuite, le juge se prononce sur la légalité du texte dans son ensemble puis sur celle de son paragraphe 16.

 

S’agissant du texte de la charte pris dans sa globalité, il est déclaré légal.

Il résulte des dispositions de l’art. L. 131-4 du CJA que le vice-président du Conseil d’État avait bien compétence pour édicter une charte de déontologie, lui donner le contenu qu’elle revêt et la rendre applicable également aux anciens membres des juridictions administratives.

Le requérant ne saurait soutenir que la compétence dévolue au vice-président du Conseil d'État pour établir la charte de déontologie des membres de la juridiction administrative méconnaîtrait le principe d'impartialité des juridictions et le droit à un recours juridictionnel effectif et serait ainsi entaché d’inconstitutionnalité, dès lors que le vice-président préside la juridiction susceptible d'être appelée à statuer sur la légalité de cette charte et que, compte tenu de ses prérogatives à l'égard des membres du Conseil d'État, il est en mesure d'exercer une influence sur les membres de la formation de jugement.

En effet, le Conseil constitutionnel (20 octobre 2017, M. X., déc. n° 2017-666 QPC) a déclaré l'article L. 131-4 du CJA conforme à la Constitution. Le moyen d'inconstitutionnalité ne peut donc qu'être écarté.

De plus, s’impose à tout membre des juridictions administratives le principe général de procédure lui interdisant de participer au jugement d'un recours dirigé contre une décision administrative ou juridictionnelle dont il est l'auteur ou à l'élaboration de laquelle il a participé.

Enfin, les garanties statutaires entourant la gestion et le déroulement des carrières de ces agents excluent que les prérogatives reconnues à leur égard au bénéfice du vice-président du Conseil d’État puissent porter atteinte à leur indépendance.

 

S’agissant plus spécifiquement des dispositions du paragraphe 16 de la charte, elles sont également déclarées légales.

Selon ces dispositions notamment : « en outre, il convient pour les intéressés (i.e. les anciens magistrats administratifs), pendant une durée de cinq ans, de s'abstenir de présenter des requêtes ou mémoires, de paraître à l'audience, devant la juridiction dont ils ont été membres. Les anciens vice-présidents et présidents de section du Conseil d’État, ainsi que les anciens présidents-adjoints et présidents de chambre de la section du contentieux observent cette pratique pendant une durée de dix ans, à compter de la fin de ces fonctions ; il en va de même des anciens chefs de juridiction devant la juridiction qu'ils ont présidée », ce sont là des « recommandations sur les bonnes pratiques qui se déduisent de ces principes et qui sont issues, le plus souvent, d'une longue tradition ».

Ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet de réglementer la profession d'avocat et ne comportent point une interdiction mais, dans le silence du droit positif, invitent à adopter une attitude de prudence.

Par ailleurs, les durées préconisées par les recommandations de bonnes pratiques litigieuses ne sont pas entachées d’erreur manifeste d’appréciation.

(25 mars 2020, M. X., n° 411070) V. aussi le n° suivant

 

3 - Charte de déontologie des membres de la juridiction administrative - Nature juridique et portée - Décision susceptible de recours - Application aux anciens membres des juridictions - Rejet.  

Le syndicat demandeur sollicitait l’annulation de la décision par laquelle le vice-président du Conseil d’État a, par une décision du 16 mars 2018, modifié la charte de déontologie des membres de la juridiction administrative, en remplaçant, au sein du chapitre IV de la charte intitulé « Devoir de réserve dans l'expression publique », dans sa rubrique « Bonnes pratiques », le paragraphe 47 par de nouveaux paragraphes numérotés 47 à 47-6 portant sur l'usage des réseaux sociaux sur Internet.

Comme il le fait dans la décision rapportée au numéro précédent, le Conseil d’État rappelle la nature juridique et l’objet de cette charte.

Après avoir écarté les moyens de légalité externe, le juge examine ceux de légalité interne qui sont également rejetés.

Répondant à une première critique du syndicat requérant, le Conseil d’État juge qu’en recommandant aux membres de la juridiction administrative de faire preuve de réserve dans l’usage de réseaux sociaux surtout ceux non protégés, de s’abstenir de toute politique pouvant rejaillir sur l’institution et d’être vigilants dans leur propos sur l’actualité juridique et administrative, le vice-président du Conseil d’État n’a pas porté à la liberté d’expression une atteinte contraire aux exigences de la Déclaration des droits de 1789 ou à celles de la Convention EDH.

Une deuxième critique portait sur le fait que l’auteur de la modification litigieuse recommande aux membres de la juridiction administrative qui utilisent les réseaux sociaux de ne pas mentionner leur qualité de magistrat ou de membre du Conseil d'État lorsqu'ils renseignent leur profil sur un réseau social à vocation non professionnelle ou de faire en sorte que cette révélation ne soit pas possible.

Le juge rappelle que ceci n’interdit nullement l’utilisation de ces moyens et l’inscription de ces magistrats sur les réseaux sociaux mais les incite à se prémunir contre le risque que des propos publiés sur les réseaux sociaux reçoivent une diffusion excédant celle qui avait été initialement envisagée par leur auteur et puissent exposer ce dernier, dans le cas où leur diffusion rejaillirait sur l'institution, à devoir répondre d'un éventuel manquement à leur obligation de réserve.

Par suite, ces recommandations de bonnes pratiques ne portent pas une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression des membres de la juridiction administrative.

Enfin, c’est en vain que le syndicat critique la recommandation, « compte tenu du caractère présumé public et de la spécificité des réseaux sociaux numériques », « de ne pas utiliser ces supports aux fins de commenter l'actualité politique et sociale », cette préconisation de prudence ne portant pas, elle non plus, une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression de ses destinataires.

Sans surprise, l’ensemble de la requête était voué à l’échec car un magistrat ou ancien magistrat n’est pas tout à fait un citoyen comme les autres s’agissant de l’exercice de ses fonctions, de la mise en avant de sa qualité et de la réception de ses propos par l’opinion.

(25 mars 2020, Syndicat de la juridiction administrative, n° 421149) V. aussi le n° précédent

 

4 - Projet environnemental - Principe d’impartialité de l’administration active - Directives européennes du 27 juin 2001 et du 13 décembre 2011 - Interprétation par la CJUE - Séparation fonctionnelle entre auteur de l’avis et auteur de la décision - Exigence d’autonomie de décision de certaines autorités administratives - Cassation avec renvoi.

Les requérants ont demandé l’annulation pour excès de pouvoir d’un arrêté préfectoral ayant autorisé une société à exploiter onze aérogénérateurs sur le territoire de plusieurs communes

Leur demande est rejetée en première instance et en appel. Ils se pourvoient en cassation.

Pour rejeter l’appel dont les requérants l’avaient saisie, la cour administrative d’appel avait estimé que les exigences posées par les articles 6 de la directive 2001/42/CE du 27 juin 2001 et de la directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011 avaient, par principe, été satisfaites en l’espèce dès lors que l'avis de l'autorité environnementale avait été émis par le préfet de région et que la décision attaquée avait été prise par le préfet de département.

Or il résulte de la jurisprudence de la CJUE interprétant ces articles 6 (20 octobre 2011, Department of the Environment for Northern Ireland contre Seaport (NI) Ltd et autres, aff. C-474/10) que, si leurs dispositions ne font pas obstacle à ce que l'autorité publique compétente pour autoriser un projet soit en même temps chargée de la consultation en matière environnementale, elles imposent cependant que, dans une telle situation, une séparation fonctionnelle soit organisée au sein de cette autorité, de manière à ce que l'entité administrative concernée dispose d'une autonomie réelle, impliquant notamment qu'elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui soient propres, et soit ainsi en mesure de remplir la mission de consultation qui lui est confiée en donnant un avis objectif sur le projet concerné.

L’arrêt est cassé motif pris de ce qu'il ressortait des pièces du dossier soumis à la cour que la même direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement avait à la fois instruit la demande d'autorisation et préparé l'avis de l'autorité environnementale.

(25 mars 2020, M. et Mme X., n° 427556)

 

5 - Communication des documents administratifs - Contenu des documents - Procédure à suivre selon que le contenu des documents est fixé complètement ou non par un texte - Conditions de communicabilité du contenu des documents par ailleurs communicables - Erreur de droit - Cassation avec renvoi au tribunal.

Les requérantes ont sollicité du premier ministre la communication de l'intégralité du dossier relatif à la cession au secteur privé de la participation majoritaire de l'État dans le capital de la société Aéroports de Lyon, notamment « les pièces de la mise en concurrence, la réponse des candidats, le choix du candidat, le cahier des charges et toute pièce se rapportant aux conditions de la vente des actions ». Après avis favorable de la CADA « sous réserve de l'occultation des informations protégées par le secret industriel et commercial, en l'espèce les mentions et données relatives à la situation économique et financière des entreprises candidates, notamment les bilans, comptes de résultat et les éléments relatifs au chiffre d'affaires et au niveau d'activité, ainsi que les données révélant les stratégies commerciales, procédés techniques et savoir-faire de ces sociétés », le commissaire aux participations de l'État de l'Agence des participations de l'État (APE) a communiqué aux requérantes le cahier des charges de la procédure de cession, les cinq avis rendus par la Commission des participations et des transferts, notamment celui qui présente les projets industriels et commerciaux des deux acquéreurs candidats, ainsi que l'arrêté fixant les modalités de transfert au secteur privé de la participation majoritaire de l'État au capital de la société Aéroports de Lyon et précisant le prix par action retenu. L'APE a cependant indiqué qu'il ne lui était pas possible de communiquer les offres des candidats au motif qu'elles étaient protégées par le secret industriel et commercial.

Leur demande d’annulation de ce refus ayant été rejetée en première instance, les intéressées se pourvoient en cassation, conduisant le Conseil d’État à se prononcer sur deux questions distinctes mais étroitement liées relatives à la communication des documents administratifs.

 

I - Sur la notion de communicabilité

La faculté qu’a le juge administratif d'ordonner avant dire droit la production, par les administrations compétentes, des documents dont le refus de communication constitue l'objet même du litige, ne constitue pour lui une obligation que si l'état de l'instruction ne lui permet pas de déterminer le caractère légalement communicable ou non de ces documents ou d'apprécier les modalités de cette communication.

Il convient toutefois de distinguer deux situations pour l’application de cette ligne générale.

Lorsque tous les éléments d'information que doit comporter un document administratif sont définis par un texte, le juge administratif, saisi d'un litige relatif au refus de le communiquer, peut, sans être tenu d'en ordonner la production, décider si, eu égard au contenu des informations qui doivent y figurer, il est, en tout ou partie, communicable.

Lorsque le contenu d'un document administratif, - comme c’était le cas dans la présente affaire s’agissant d’un contrat de vente de titres détenus par l'État -, n'est défini par aucun texte, le juge ne saurait, au seul motif qu'il est susceptible de comporter des éléments couverts par un secret que la loi protège, décider qu'il n'est pas communicable, sans avoir au préalable ordonné sa production, hors contradictoire, afin d'apprécier l'ampleur des éléments protégés et la possibilité de communiquer le document après leur éventuelle  occultation.

 

II - Sur l’étendue du droit à communication

Le juge rappelle que le droit à la communication des documents administratifs ne se confond pas avec un droit d'accès aux informations contenues dans ces documents.

Il censure pour erreur de droit la décision querellée car il reproche au juge du fond d’avoir jugé légal un refus de communication au seul motif que les éléments qu'il estimait communicables figuraient dans les différents avis de la commission des participations et des transferts et que ces avis étaient publics et avaient été transmis aux requérants.

Le Conseil d’État décrit ainsi ce qu’aurait dû être la démarche du juge. « Il lui appartenait de rechercher si, dès lors que les éléments d'information non communicables contenus dans les offres étaient très nombreux ( …) et qu'il était possible de se procurer les éléments communicables autrement, la communication des offres après occultation des éléments non communicables pouvait être, dans les circonstances particulières de l'espèce, légalement refusée sur le fondement du dernier alinéa de l'article L. 311-2 du code des relations entre le public et l'administration aux termes duquel : « L'administration n'est pas tenue de donner suite aux demandes abusives (...) » au motif qu'elle ferait peser sur l'administration une charge excessive, eu égard aux moyens dont elle dispose et à l'intérêt que présenterait, pour les requérants, le fait de bénéficier, non de la seule connaissance des éléments communicables, mais de la communication des offres occultées elles-mêmes ».

Le jugement querellé est cassé et l’affaire est renvoyée au tribunal qui l’avait jugée.

(27 mars 2020, Association contre l'extension et les nuisances de l'aéroport de Lyon Saint-Exupéry (ACENAS) et autre, n° 426623)

 

6 - Agences de l’eau - Pouvoir réglementaire - Autorité détentrice de ce pouvoir - Conseil d’administration de chaque agence - Cassation avec renvoi.

Le Conseil d’État était saisi du litige opposant le syndicat requérant à une agence de l’eau à propos de la décision de son conseil d’administration de modifier la " fiche action " 1-2-c1 de son programme pluriannuel d'intervention approuvé pour la période 2013-2018, relative aux conditions d'éligibilité aux aides relatives aux études de sol et de filières d'assainissement non collectif réalisées soit préalablement à des réhabilitations de ces installations, soit à l'occasion de réhabilitations d'habitations neuves.

Dans sa réponse et pour les besoins de la résolution du litige, le Conseil d’État décide, :

- d’une part, qu’il résulte des dispositions des articles L. 213-8-1, L. 213-9-1, L. 213-9-2, R. 213-32 et R. 213-39 du code de l'environnement que les agences de l'eau disposent d'un pouvoir règlementaire pour déterminer, dans la limite des missions qui leur sont fixées par la loi, les domaines et conditions de leur action et définir les conditions générales d'attribution des concours financiers qu'elles peuvent apporter aux personnes publiques et privées sous forme de subventions, de primes de résultat ou d'avances remboursables.

- d’autre part que l’organe qui, au sein de chaque agence, dispose du pouvoir réglementaire, est le conseil d’administration.

Cette réponse aurait pu, peut-être, résulter d’une décision de Section.

(11 mars 2020, Syndicat professionnel des industries et entreprises françaises de l'assainissement autonome (IFAA), n° 426366 ; du même jour, avec solution identique : Société Abas, n° 426367)

 

7 - Revenu de solidarité active (RSA) - Contrôle des bénéficiaires - Droit de communication - Conditions d’exercice - Garanties offertes aux bénéficiaires - Moment de leur mise en œuvre - Irrégularité - Substitution à la décision irrégulière d’une décision prise après exercice d’un recours administratif préalable obligatoire - Cassation partielle avec renvoi au tribunal administratif.

(18 mars 2020, Département de la Loire, n° 424413) V. n° 66

 

8 - Procédure consultative - Consultation préalable du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel (art. L. 232-3 CJA) - Absence de consultation avant la prise d’un décret - Décret se bornant à tirer les conséquences nécessaires d’une loi - Rejet.

L'article L. 232-3 du CJA dispose notamment que : « Le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel connaît des questions intéressant le fonctionnement et l'organisation des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel dans les conditions prévues par le présent article ou par un décret en Conseil d'État. (...). / (...) Il est également consulté sur toute question relative à la compétence, à l'organisation et au fonctionnement des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel (...) ».

Le Conseil d’État déduit ici de ce texte que ce Conseil « doit être consulté sur les projets de décrets qui, ne se bornant pas à tirer les conséquences nécessaires de dispositions législatives, affectent la compétence des tribunaux administratifs ou des cours administratives d'appel ou sont susceptibles d'avoir une incidence significative sur l'organisation ou le fonctionnement de ces juridictions ».

C’est pourquoi il rejette le recours formé par les syndicats requérants contre les dispositions du décret du 12 décembre 2018 portant modification du CJA pour l'application des titres Ier et III de la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie qu’ils estimaient avoir été prises irrégulièrement car sans consultation préalable du Conseil précité.

En effet, il considère que toutes les dispositions critiquées de ce décret se bornent à tirer les conséquences nécessaires de la loi pour l’application de laquelle elles ont été prises.

(25 mars 2020, Syndicat de la juridiction administrative et Union syndicale des magistrats administratifs, n° 427737)

 

9 - Renvoi préjudiciel de l’autorité judiciaire - Allocation de veuvage - Caractère rétroactif en cas de demande dans l’année suivant le décès - Absence de ce caractère au-delà - Différence de traitement injustifiée au regard de la finalité de cette allocation - Déclaration d’illégalité.

Le Conseil d’État était saisi d’une question préjudicielle portant sur la légalité de l'article D. 356-6 du code de la sécurité sociale au regard du principe d'égalité, en tant qu'il réserve l'attribution rétroactive de l'allocation de veuvage qu'il institue aux seules demandes déposées dans l'année suivant le décès du conjoint.

Lorsqu’une telle demande est formulée plus d’un an après le décès, l’allocation n’est versée qu’à compter du mois au cours duquel elle est déposée.

Ne trouvant à cette différence de traitement aucune justification d’intérêt général en rapport avec l’objet de l’institution de cette allocation, le Conseil d’État estime que le pouvoir réglementaire a créé en l’espèce une différence manifestement disproportionnée au regard de la différence de situation entre les demandes formulées dans l’année et celles déposées plus tard, dès lors que les conditions pour en bénéficier étaient réunies au moment du décès.

(13 mars 2020, Mme X., n° 430371)

 

10 - Recours pour excès de pouvoir - Recours contre un refus d’abroger une décision - Décision ayant cessé de produire effet avant que le juge statue - Non-lieu à statuer - Rejet.

(2 mars 2020, M. X. et autres, n° 422651) V. n° 18

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques

 

11 - Commission nationale Informatique et Libertés (CNIL) - Droit au déréférencement - Portée et limites - Interprétation de la CJUE - Application - Annulation de la délibération du 10 mars 2016 de la formation restreinte de la CNIL.

La société Google Inc. avait saisi le juge d’un recours tendant à l'annulation de la délibération du 10 mars 2016 par laquelle la formation restreinte de la CNIL a prononcé à son encontre une sanction, rendue publique, de 100 000 euros. Le Conseil d’État a sursis à statuer sur cette demande jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union se prononce sur plusieurs questions préjudicielles relatives au déréférencement dont il l’avait saisie.

La CJUE a répondu à ce renvoi préjudiciel (24 septembre 2019, Google LLC contre CNIL, aff. C-507/17).

C’est donc sur la base de ces réponses que le Conseil d’État rend la présente décision qui se signale à l’attention du lecteur par l’ouverture (II) qu’elle comporte en dépit de l’annulation qu’elle prononce (I).

 

I. Il convient de rappeler que la société requérante contestait une décision de la présidente de la CNIL la mettant en demeure, lorsqu'elle fait droit à une demande d'une personne physique tendant à la suppression de la liste des résultats, affichée à la suite d'une recherche effectuée à partir de son nom, de liens menant vers des pages web, d'effectuer cette suppression sur toutes les extensions de nom de domaine de son moteur de recherche. La société ne s'étant pas conformée, dans le délai imparti, à cette mise en demeure, la CNIL a prononcé à son encontre une sanction, rendue publique, de 100 000 euros.

La CJUE, dans son arrêt précité, répondant à l’une des questions posées par le Conseil d’État, a dit pour droit que : « l'article 12, sous b), et l'article 14, premier alinéa, sous a), de la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995 [...], ainsi que l'article 17, paragraphe 1, du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil, du 27 avril 2016, [...] doivent être interprétés en ce sens que, lorsque l'exploitant d'un moteur de recherche fait droit à une demande de déréférencement en application de ces dispositions, il est tenu d'opérer ce déréférencement non pas sur l'ensemble des versions de son moteur, mais sur les versions de celui-ci correspondant à l'ensemble des États membres et ce, si nécessaire, en combinaison avec des mesures qui, tout en satisfaisant aux exigences légales, permettent effectivement d'empêcher ou, à tout le moins, de sérieusement décourager les internautes effectuant une recherche sur la base du nom de la personne concernée à partir de l'un des États membres d'avoir, par la liste de résultats affichée à la suite de cette recherche, accès aux liens qui font l'objet de cette demande ».

Or la CNIL, dans la décision attaquée, a sanctionné la société Google Inc. au motif qu'elle refuse, lorsqu'elle fait droit à une demande de déréférencement, d'effectuer ce déréférencement sur l'ensemble des noms de domaine de son moteur de recherche et qu’elle se borne à supprimer les liens en cause des seuls résultats affichés en réponse à des recherches menées depuis les noms de domaine correspondant aux déclinaisons de son moteur de recherche dans les États membres de l'Union européenne. La formation restreinte de la CNIL a par ailleurs estimé insuffisante la proposition complémentaire dite de « géo-blocage » faite par la société Google Inc., après expiration du délai de mise en demeure, de supprimer la possibilité d'accéder, depuis une adresse IP réputée localisée dans l'État de résidence du bénéficiaire du « droit au déréférencement », aux résultats litigieux à la suite d'une recherche effectuée à partir de son nom, indépendamment de la déclinaison du moteur de recherche qu'a sollicitée l'internaute.

Il suit de là qu’en décidant ainsi la CNIL a commis une erreur de droit dans son interprétation des dispositions précitées du droit de l’Union.

 

II. Cependant, le Conseil d’État ne manque pas de relever que la CNIL fait valoir en défense, la circonstance que la CJUE, au point 72 de l'arrêt du 24 septembre 2019, a jugé « si (...) le droit de l'Union n'impose pas, en l'état actuel, que le déréférencement auquel il serait fait droit porte sur l'ensemble des versions du moteur de recherche en cause, il ne l'interdit pas non plus. Partant, une autorité de contrôle ou une autorité judiciaire d'un État membre demeure compétente pour effectuer, à l'aune des standards nationaux de protection des droits fondamentaux (...), une mise en balance entre, d'une part, le droit de la personne concernée au respect de sa vie privée et à la protection des données à caractère personnel la concernant et, d'autre part, le droit à la liberté d'information, et, au terme de cette mise en balance, pour enjoindre, le cas échéant, à l'exploitant de ce moteur de recherche de procéder à un déréférencement portant sur l'ensemble des versions dudit moteur ».

Édictant un mode d’emploi non pas nouveau mais précisé, le juge énonce que lorsqu’il est saisi d'une requête dirigée contre une sanction prononcée par la CNIL et constate que la décision contestée aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur un autre fondement que celui qu'a retenu l'autorité de sanction, il peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée.

Une condition essentielle est toutefois posée pour qu’il en soit ainsi. Il faut que la personne sanctionnée ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée. Une telle substitution relevant de l'office du juge, celui-ci peut y procéder soit à la demande des parties soit de sa propre initiative, au vu des pièces du dossier, mais sous réserve, dans ce dernier cas, d'avoir au préalable mis les parties à même de présenter des observations sur ce point.

Revenant à l’espèce, le Conseil d’État retient qu’il ne résulte, en l'état du droit applicable, d'aucune disposition législative que le déréférencement ordonné par la CNIL pourrait excéder le champ couvert par le droit de l'Union européenne pour s'appliquer hors du territoire des États membres de l'Union européenne. Enfin, il résulte des termes mêmes de l’arrêt de la CJUE qu'une telle faculté ne peut être ouverte qu'au terme d'une mise en balance entre, d'une part, le droit de la personne concernée au respect de sa vie privée et à la protection des données à caractère personnel la concernant et, d'autre part, le droit à la liberté d'information. Or la CNIL, pour constater par sa délibération du 10 mars 2016 l'existence de manquements persistants et reprocher à la société Google Inc. d'avoir méconnu l'obligation de principe de procéder au déréférencement portant sur l'ensemble des versions d'un moteur de recherche, n'a pas effectué une telle mise en balance.

Dès lors, il n'y a pas lieu de faire droit à la substitution de base légale demandée en défense par la CNIL.

On peut penser qu’il y a là pour la CNIL une indication précieuse pour l’avenir lorsqu’elle sera amenée à prendre des décisions similaires à celle que la présente décision annule.

(27 mars 2020, Société Google Inc., n° 399922)

 

12 - Traitements de données à caractère personnel - Fichier des personnes en soins psychiatriques sans consentement - Mise en relation de deux traitements ayant, à son tour, la nature d’un traitement - Fichier destiné à prévenir les radicalisations à caractère terroriste - Fichier intéressant la sûreté de l’État - Fichier ne relevant des dispositions de la directive dite RGDP - Rejet.

Des réponses du juge aux nombreux arguments développés par les organisations requérantes il faut surtout retenir celles relatives au régime juridique des croisements de fichiers

Était demandée l’annulation du décret du 6 mai 2019 modifiant le décret du 23 mai 2018 autorisant les traitements de données à caractère personnel relatifs au suivi des personnes en soins psychiatriques sans consentement.

Le texte attaqué organise une mise en relation de deux traitements existants, le fichier HOPSYWEB, qui concerne les personnes en soins psychiatriques sans consentement, et le fichier FSPRT qui concerne la radicalisation à caractère terroriste.

Le Conseil d’État pose en principe qu’une telle mise en relation, qui consiste en réalité à rapprocher les données contenues dans ces deux traitements, constitue à son tour un traitement.

Le régime applicable en ce cas dépend de la finalité poursuivie par cette mise en relation qui peut soit être la même finalité que celle poursuivie par l’un des deux traitements rapprochés soit une autre finalité. En l’espèce cette mise en relation vise à prévenir la radicalisation à caractère terroriste.

Il découle de là que ce nouveau traitement consistant en la mise en relation entre deux traitements existants poursuit la même finalité que le traitement dit FSPRT et qu’il est, en conséquence, soumis au même régime juridique, à savoir celui institué au titre IV de la loi du 6 janvier 1978 intéressant la sûreté de l'État et la défense. C’est donc en vain que les organisations requérantes se prévalent des dispositions du titre II de cette loi et de celles du règlement européen du 27 avril 2016 dit RGPD pour demander l’annulation du décret attaqué car elles ne lui sont pas applicables.

La solution retenue est particulièrement innovante et comble un vide certain de la réglementation interne comme européenne.

(27 mars 2020, Association Cercle de réflexion et de proposition d'actions sur la psychiatrie (CRPA), n° 431350 ; Ligue des droits de l’homme (LDH), n° 431530 ; MGEN Action Sanitaire et Sociale (MGEN ASS), n° 432306 ; Association Avocats, droits et psychiatrie, n° 432329 ; Conseil national de l'ordre des médecins (CNOM), n° 432378)

 

12 bis - Acte réglementaire - Décision du directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé - Mesure sans caractère général et impersonnel - Compétence juridictionnelle de droit commun - Renvoi au tribunal administratif.

Le directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a, par une décision du 2 avril 2019, interdit la mise sur le marché, la distribution, la publicité et l'utilisation de treize modèles d'implants mammaires produits par six fabricants et leur a ordonné de procéder au retrait des implants, cinq des fabricants de ces derniers étant concernés.

Le syndicat national de chirurgie plastique, esthétique et reconstructrice demande au Conseil d’État l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision.

Ce recours est rejeté car il a été porté directement devant le Conseil d’État en premier ressort (par application du 2° de l'article R. 311-1 du CJA) alors que, d’une part, il ne relève d’aucun des cas dérogatoires à l’ordre de compétence ratione materiae de droit commun des juridictions administratives, et que, d’autre part, la décision querellée n’a pas un caractère général et impersonnel, en ce qu’elle désignerait indéterminément des catégories d’implants -  ce qui lui aurait conféré une nature réglementaire - mais au contraire définit très précisément certains implants seulement au sein de diverses catégories d’implants.

Le dossier est donc renvoyé au tribunal administratif territorialement compétent par application des règles procédurales de droit commun.

(16 mars 2020, Syndicat national de chirurgie plastique, esthétique et reconstructrice, n° 431315 ; v. aussi, sur le sujet, du même jour : Société Polytech Health et Aesthetics GmbH, n° 433228)

Biens

 

13 - Protection du domaine public - Contraventions de grande voirie - Principe de motivation des décisions juridictionnelles - Étendue de cette obligation en cas de renvoi de l’affaire après cassation - Étendue en cas d’annulation du jugement par le juge d’appel statuant par ailleurs par voie d’évocation - Application du régime de la contravention de grande voirie - Cassation pour l’essentiel et rejet du pourvoi.

La présente décision est importante en ce qu’elle confirme et en ce qu’elle précise.

 

 I. La confirmation concerne un point de procédure, celui de la motivation des décisions de justice administrative (rappelé solennellement dans l’art. 9 CJA), ici examiné dans deux hypothèses.

Tout d’abord, après cassation, s’il est renvoyé aux juges du fond, ceux-ci demeurent saisis de l'ensemble des moyens soulevés depuis le début de la procédure et qui n'ont pas été expressément abandonnés. En l’espèce, la société Libb 2 avait soutenu, notamment, que le procès-verbal de contravention de grande voirie servant de base aux poursuites à son encontre n'avait pas de date certaine, n'était pas exact quant à la localisation des parcelles concernées, ni suffisamment précis quant à l'ampleur des extractions dont il lui était fait grief. Il incombait donc à la cour administrative d'appel de renvoi de répondre à ce moyen, qui n'était pas inopérant.

Ensuite, ce principe de motivation, impose qu’après avoir annulé un jugement de première instance pour irrégularité, le juge d'appel, qui statue alors sur la demande par la voie de l'évocation et donc, de ce fait, en qualité de juge de première instance, ne peut pas justifier son arrêt par simple référence au jugement annulé.

L’arrêt déféré est annulé.

 

II. Les précisions, nombreuses, éclairent un certain nombre de points du régime applicable aux contraventions de grande voirie. Le juge examine successivement la question de la prescription de l’infraction, celle de la matérialité de l’infraction, celle de l’existence d’une contravention, celle de la peine encourue et infligée et, enfin, celle de l’action domaniale.

S’agissant de la prescription, appliquant les dispositions du code de procédure pénale qui  énumèrent les actes de poursuite et d’instruction qui, seuls, peuvent interrompre la prescription, le Conseil d’État relève d’abord que l’interruption de la prescription vaut pour tous les auteurs de l’infraction même pour ceux qui ne sont pas visés par les actes de poursuites ou d’instruction ; il relève ensuite que l’infraction visée n’était pas prescrite à la date à laquelle les intéressés ont été condamnés à une amende par le tribunal administratif.

S’agissant de la matérialité des faits, celle-ci, au terme d’une analyse très précise des faits, est jugée établie.

S’agissant de l’existence de la contravention, le juge vérifie s’il existait bien, à la date de commission des faits, un texte instituant une contravention de grande voirie en telles circonstances. Les faits se déroulant en Nouvelle-Calédonie, est donc vérifiée l’existence d’une disposition y sanctionnant ces comportements. Tel est bien le cas.

Sur la peine, avant d’examiner si celle infligée aux requérants correspondait bien aux dispositions applicables, le juge apporte trois précisions importantes :

1° Aucune disposition applicable aux contraventions de grande voirie ne permet au juge administratif, dès lors qu'il a constaté la matérialité de ces infractions, de dispenser leur auteur de la condamnation aux amendes prévues par les textes et non frappées de prescription.

 2° Eu égard au principe d'individualisation des peines, il lui appartient cependant de fixer, dans les limites prévues par les textes applicables, le montant des amendes dues compte tenu de la gravité de la faute commise, qu'il apprécie au regard de la nature du manquement et de ses conséquences.

3° Le juge - contrairement à ce qu’avait jugé la cour - ne saurait légalement condamner plusieurs prévenus solidairement au paiement de la même amende.

Il constate enfin que le quantum est légal.

Sur l’action domaniale, qui tend donc à réparer le dommage subi par la dépendance domaniale affectée par la contravention, le juge rappelle qu’en principe il n'en remet pas en cause le montant, sauf si ce dernier présente un caractère anormal, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

(10 mars 2020, Société Libb 2, n° 430550 ; M. X., n° 430624, jonction)

 

14 - Domanialité publique - Question préjudicielle - Compatibilité entre domanialité publique et appartenance à une association syndicale de propriétaires - Principe - Distinction entre le régime de la loi du 21 juin 1865 et celui de l’ordonnance du 1er juillet 2004 - Effets sur l’appartenance de biens au domaine public - Cassation sans renvoi.

La double question préjudicielle renvoyée par une juridiction judiciaire au juge administratif était de savoir si des parcelles de terrain et les bâtiments qu’elles supportent font partie du domaine public et si, en conséquence, leur inclusion dans le périmètre d’une association syndicale libre (ASL) est compatible avec leur nature juridique.

 

Sur la question de l’appartenance au domaine public la réponse du juge est classique. D’une part, il est rappelé qu’un bien constituant antérieurement au 1er juillet 2006 une dépendance du domaine public en vertu des critères existants avant l’entrée en vigueur du code général de la propriété des personnes publiques le 1er juillet 2006 ne cesse pas d’appartenir au domaine public quand bien même il ne remplirait plus ou pas les critères désormais fixés par ce code à l’art. L. 2111-1. L’entrée en vigueur de ce code ne saurait valoir déclassement des biens antérieurement qualifiés comme dépendances du domaine public.

D’autre part, le juge examine si, en l’espèce et à cette date, les biens concernés satisfaisaient bien à ce qu’étaient alors les critères de la domanialité publique et conclut de cet examen que tel était bien le cas.

 

Sur la question de la compatibilité la réponse du juge est très importante en l’état on le sait, d’une jurisprudence posant en principe l’incompatibilité de la domanialité publique avec le statut légal (loi de 1965) de la copropriété des immeubles bâtis (Section, 11 février 1994, Compagnie d'assurances Préservatrice Foncière, n° 109564 ; 18 mai 1977, Époux X., n° 95541 ; 24 novembre 2014,  Société des remontées mécaniques Les Houches-Saint-Gervais, n° 352402 ; 19 juillet 2016, La Poste, n° 370630). Or le régime des ASL n’est pas sans rappeler celui de la copropriété.

D’emblée le Conseil d’État énonce dans un considérant de principe qui, à lui seul, eût justifié que fût rendue dans cette affaire une décision de Section : « Aucune disposition législative ou réglementaire, non plus qu'aucun principe ne fait obstacle à ce qu'une décision régulièrement prise par les organes compétents d'une association syndicale, conforme à l'objet de l'association tel que défini par ses statuts dans le respect de la loi, s'impose à une personne publique membre de cette association à raison d'une dépendance de son domaine public, alors même que cette personne publique n'en aurait pas approuvé l'adoption. »

Ensuite, il est jugé que durant la période d’application de la loi du 21 juin 1865 sur les associations syndicales, soit jusqu’au 1er juillet 2004, aucune disposition législative ou réglementaire ne faisait obstacle à ce que des personnes publiques soient membres d'une association syndicale de propriétaires à raison de biens constituant des dépendances de leur domaine public mais qu’en revanche, à compter de l’entrée en vigueur de la loi di 1er juillet 2004 sur les associations syndicales, le régime des associations syndicales est, devenu incompatible avec celui de la domanialité publique car l’art, 6 de l’ordonnance précitée de 2004 dispose : « Les créances de toute nature d'une association syndicale de propriétaires à l'encontre d'un de ses membres sont garanties par une hypothèque légale sur les immeubles de ce membre compris dans le périmètre de l'association », cette faculté de prise d’hypothèque est évidemment incompatible avec le principe d'inaliénabilité du domaine public.

Egalement, il résulte de cette succession de textes deux situations juridiques différentes selon la nature juridique des biens inclus dans le périmètre d’une association avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance de 2004.

Si les biens inclus dans le périmètre d'une association syndicale avant cette date n'appartenaient pas au domaine public d'une personne publique, ils ne peuvent plus, après cette date, en devenir une dépendance alors même qu'ils seraient affectés à l'usage direct du public ou qu'ils seraient affectés à un service public et auraient fait l'objet d'aménagements propres à leur conférer cette qualification.

Si les biens inclus dans ce périmètre appartenaient au domaine public avant le 1er juillet 2004 et dès lors que, comme indiqué plus haut, l'ordonnance du 1er juillet 2004 n’a pu avoir pour effet leur déclassement, ces biens continuent d'appartenir au domaine public et l'incompatibilité résultant des dispositions de l'article 6 de l’ordonnance avec le régime de la domanialité publique « a pour seule conséquence l'impossibilité pour l'association syndicale de mettre en œuvre, pour le recouvrement des créances qu'elle détient sur la personne publique propriétaire, la garantie de l'hypothèque légale sur les biens inclus dans le périmètre et appartenant au domaine public ».

La solution peut sembler complexe, c’est le prix d’une souplesse qui a l’avantage d’assurer la stabilité des situations antérieures acquises, d’autant que si la puissance publique estime trop gênantes les règles de l’association syndicale elle peut toujours procéder au déclassement des parcelles et des biens concernés.

Droit des propriétaires et domanialité publiques sont donc conciliés au prix d’une simple inopposabilité ou applicabilité à cette dernière du régime de l’hypothèque légale.

(10 mars 2020, Association syndicale des propriétaires de la cité Boigues et autres, n° 432555)

 

15 - Concessions funéraires - Concessions à temps - Expiration de la concession - Renouvellement - Délai - Expiration sans demande de renouvellement - Conséquences - Absence de privation du droit de propriété - Rejet d’une QPC.

Une personne conteste l’octroi par une commune d’une concession funéraire sur l’emplacement de la sépulture de sa fille et invoque à son encontre une QPC fondée sur la violation de droits ou libertés que la Constitution garantit.

Il résulte de dispositions du CGCT que lorsque vient à expiration la durée pour laquelle une concession à temps avait été octroyée sans que son renouvellement ait été demandé et le prix de celle-ci versé - malgré les informations données et recherches effectuées en ce sens, après un délai de deux ans suivant la date de cette expiration, d’une part, la concession fait retour dans le domaine public de la commune, d’autre part, les symboles et autres monuments funéraires qui n’auraient pas été retirés à cette même date, entrent dans le domaine privé communal.

Le requérant contestait la constitutionnalité de ces dispositions, arguant de ce qu’elles portent atteinte au droit de propriété tant du concessionnaire que des objets et monuments qu’il a édifiés.

Le Conseil d’État, relevant les précautions prises (écoulement de deux années après l’expiration de la durée de la concession, obligation pour le maire, par  tout moyen utile,  d'informer les titulaires d'une concession ou leurs ayants-droits de l'extinction de la concession et de leur droit à en demander le renouvellement dans les deux ans qui suivent), estime que ni le retour de la concession dans le domaine public communal ne peut constituer une privation du droit de propriété au sens de l’art. 17 de la Déclaration de 1789, ni l’entrée des superstructures funéraires dans le domaine privé communal ne peut être sérieusement considérée comme portant atteinte aux articles 2 (atteinte au droit de propriété) et 16 (garantie des droits) de cette Déclaration.

Une décision sans surprise.

(11 mars 2020, M. X., n° 436693)

 

Collectivités territoriales

 

16 - Dispositifs publicitaires à l’intérieur d’une agglomération - Notion d’agglomération - Détermination de la population d’une commune en l’absence de recensement officiel - Pouvoirs du maire - Notion et régime juridiques de la fixation par le maire de la population de la commune - Rejet.

La société requérante demandait l’annulation, d’une part, de la décision préfectorale la mettant en demeure de déposer ou de mettre en conformité sept dispositifs publicitaires situés sur le territoire de la commune d'Onet-le-Château, et d'autre part, des arrêtés municipaux portant mise en recouvrement de l'astreinte administrative résultant de la dépose tardive de ces dispositifs publicitaires ainsi que du titre exécutoire les accompagnant.

Sa requête ayant été rejetée par les juridictions du fond, la société se pourvoit, en vain, devant le juge de cassation.

La mise en demeure était fondée sur que les dispositifs publicitaires litigieux étaient implantés en méconnaissance des prescriptions des articles R. 581-31 ou R. 581-66 du code de l'environnement. Selon le premier de ces textes, les dispositifs publicitaires non lumineux, scellés au sol ou installés directement sur le sol sont interdits dans les agglomérations de moins de 10 000 habitants ne faisant pas partie d'une unité urbaine de plus de 100 000 habitants. Selon le second de ces textes, certaines pré-enseignes peuvent être implantées dans les agglomérations de moins de 10 000 habitants ne faisant pas partie d'un ensemble multi-communal de plus de 100 000 habitants, à la condition notamment que leurs dimensions n'excèdent pas 1 mètre en hauteur et 1,50 mètre en largeur.

Le juge est ainsi conduit à donner une définition de l’agglomération comme l’« espace sur lequel sont groupés des immeubles bâtis rapprochés », cette notion ne pouvant normalement  être appréhendée qu'à l'intérieur du territoire d'une seule commune.

Il convenait donc, pour l’application des textes invoqués par le préfet, de déterminer la taille de l’agglomération où se trouvaient implantés les dispositifs litigieux or il n’existait alors en l’espèce aucun chiffre de population authentifié.

Le juge considère qu’en cette circonstance c’est au maire qu’il appartient de fixer ce chiffre, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir. Cet acte - parce qu’il se borne à opérer une constatation - ne revêt aucun caractère réglementaire et les décisions individuelles prises sur cette base ne constituent point, au sens du droit du contentieux administratif, un acte ou opération complexe. Ceci exclut donc l’invocation d’une exception d’illégalité à l’encontre de l’acte fixant la population, formée dans les deux mois de la décision individuelle prise sur le fondement de cet acte.

Il est donc ainsi clairement rappelé que la décision est, en droit administratif, une opération de volonté destinée, par modification de l’ordonnancement juridique, à produire des effets de droit. Ceci distingue radicalement la vraie notion de décision des actes de droit souple.

(13 mars 2020, Société Afficion LCartel, n° 427207)

 

17 - Services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) - Activités exercées dans le cadre de leurs missions de service public par ces services - Activités exercées en dehors de leurs missions - Interventions sur appel d’un SAMU - Charge financière de ces interventions - Charge incombant au CHU dont relève le SAMU - Rejet.

Un arrêté du président du conseil départemental des Alpes-Maritimes a fixé le montant de la participation aux frais d'intervention du centre hospitalier universitaire de Nice lorsque le « centre 15 » sollicite le SDIS pour réaliser une intervention n'entrant pas dans ses missions propres.

Sur recours du CHU le tribunal a annulé cet arrêté, jugement confirmé en appel par la cour.

Le SDIS se pourvoit en cassation et son pourvoi est rejeté.

Le Conseil d’État rappelle qu’un SDIS est appelé à effectuer deux sortes d’interventions, les unes entrant dans ses missions de service public (principalement, aux termes du 4° de l’art. L. 1424-2 du CGCT : « Les secours d'urgence aux personnes victimes d'accidents, de sinistres ou de catastrophes ainsi que leur évacuation »), les autres y étant extérieures.

S’agissant de la charge financière de ces interventions, les SDIS ne doivent supporter que celles qui se rattachent directement aux missions de service public telles que définies à l’article précité du CGCT. Pour les autres interventions, il appartient aux SDIS de déterminer eux-mêmes les conditions d’une participation aux frais de la part des personnes qui en sont bénéficiaires.

Lorsque les SAMU, estimant leur intervention médicalement compatible et/ou nécessaire à l’évacuation et au transport des personnes,  font appel aux SDIS en dehors des cas ressortissant à leurs missions de service public, la charge financière de cette intervention incombe à l'établissement de santé siège des SAMU, dans des conditions fixées par une convention - distincte de celle que prévoit l'article D. 6124-12 du code de la santé publique en cas de mise à disposition de certains moyens - conclue entre le SDIS et l'établissement de santé et selon des modalités fixées par arrêté conjoint du ministre de l'intérieur et du ministre chargé de la sécurité sociale.

Le SDIS ne saurait donc rien réclamer d’autre à un SAMU que ce qui résulte de ces dispositions conventionnelles.

L’arrêté querellé était donc entaché d’illégalité et a été à bon droit annulé par les juges du fond.

(18 mars 2020, SDIS des Alpes-Maritimes, n° 425990)

 

Contentieux administratif

 

18 - Recours pour excès de pouvoir - Recours contre un refus d’abroger une décision - Décision ayant cessé de produire effet avant que le juge ne statue - Non-lieu à statuer - Rejet.

Des agents de la SNCF demandent au juge administratif l’annulation du refus implicite d’abroger une disposition statutaire fixant à trente ans l’âge limite pour le recrutement au cadre permanent qui leur a été opposé par le directoire de la SNCF et par la ministre des transports.

Le Conseil d’État, constatant que la disposition litigieuse a cessé de produire effet à compter du 1er janvier 2020, date à partir de laquelle la SNCF ne peut plus procéder à des recrutements sur le fondement des dispositions dont l'abrogation est demandée, prononce le non-lieu à statuer. 

(2 mars 2020, M. X. et autres, n° 422651)

 

19 - Pourvoi en cassation - Procédure d’admission des pourvois - Pourvoi dirigé contre un arrêt de cour d’appel ayant indument statué sur un jugement rendu en premier et dernier ressort - Application de la procédure d’admission des pourvois - Rejets partiels et cassations sans renvoi.

Réitération mieux précisée de la solution inaugurée par un arrêt de Section (15 février 2019, Mme X. c/ Pôle emploi, 416590) selon laquelle la procédure d'admission des pourvois en cassation est applicable à tout pourvoi en cassation devant le Conseil d’État y compris aux conclusions contre un jugement rendu en premier et dernier ressort sur lesquelles une cour administrative d'appel a statué, ces conclusions devant être regardées, après l'annulation de l'arrêt de la cour, comme des conclusions de cassation.

(27 mars 2020, Mme X., n° 431175 ; Ministre de l’action et des comptes publics, n° 431178)

 

20 - Ordonnance rejetant une QPC - Jugement au fond - Obligation de viser l’ordonnance de rejet - Omission - Jugement irrégulier - Cassation sans renvoi.

L'article R. 771-10 du code de justice administrative imposant au juge du fond de viser le refus de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité dans la décision qui règle le litige, le jugement qui ne vise pas l'ordonnance refusant cette transmission et qui ne la mentionne pas dans ses motifs est irrégulier et encourt de ce chef la cassation.

(5 mars 2020, Société civile immobilière F. Banny, n° 428695)

 

21 - Intervention volontaire en première et dernière instance ou en appel - Qualité pour se pourvoir en cassation - Moyens invocables - Distinction selon l’existence ou non de la qualité, pour l’intervenant, de former tierce opposition à défaut d’intervention - Rejet.

Dans un litige portant sur l’octroi d’un permis de construire 352 logements dans une zone boisée proche du littoral, une association saisit le Conseil d’État, à titre principal, d’un pourvoi en cassation et, à titre subsidiaire, d’une intervention volontaire pour le cas où lui serait dénié le droit à se pourvoir.

C’est l’occasion pour le juge de rappeler les principes applicables en la matière.

En premier lieu, le justiciable qui est intervenu devant la cour administrative d'appel ou, le cas échéant, devant le tribunal administratif statuant en premier et dernier ressort, a qualité pour se pourvoir en cassation contre l'arrêt ou le jugement rendu contre les conclusions de son intervention. Il en est ainsi aussi bien dans le cas où son intervention a été admise ou non par le tribunal que dans le cas où il interjette appel du jugement ayant refusé d'admettre son intervention.

En second lieu, s’agissant des moyens que ce justiciable peut soulever devant le juge de cassation, il convient de distinguer selon qu’il aurait eu, ou non, qualité, à défaut d'intervention de sa part, pour former tierce opposition. Dans le premier cas, s’il aurait pu former tierce opposition, il peut contester tant la régularité que le bien-fondé de l'arrêt ou, le cas échéant, du jugement rendu en premier et dernier ressort attaqué. Dans le second cas, où il n’aurait pas pu former tierce opposition, il n'est recevable à invoquer que des moyens portant sur la régularité de l'arrêt ou du jugement attaqué relatifs à la recevabilité de son intervention ou à la prise en compte des moyens qu'elle comporte, tout autre moyen devant être écarté par le juge de cassation dans le cadre de son office.

(11 mars 2020, Comité de défense des intérêts locaux de Balaguier, Le Manteau, L'Eguillette, n° 419862) V. aussi au n° 98

 

22 - Jurisprudence Préfet de l’Eure (30 mai 1913) - Faculté pour l’administration de demander au juge le prononcé d‘une mesure qu’elle pourrait décider elle-même - Absence - Exception lorsque la demande est fondée sur un contrat - Notion d’« action en justice ayant son origine dans un contrat » - Evaluation par une personne publique du préjudice qu’elle a subi du fait de pratiques anticoncurrentielles - Rejet.

La société requérante demandait au juge de cassation l’annulation de l’arrêt par lequel une cour administrative d’appel a confirmé sa condamnation à réparer le préjudice subi par un département du fait des pratiques anticoncurrentielles de cette société lors de la passation de deux marchés à bons de commande.

La réponse du juge au pourvoi est importante sur deux points.

En premier lieu, c’est le département qui avait saisi le juge d’une action en réparation et se posait donc la question de la recevabilité de son action alors que le département pouvait émettre un titre exécutoire à hauteur du préjudice qu’il estimait avoir subi et que, de ce fait, son action devait être considérée comme irrecevable en vertu du principe, constant depuis la décision Préfet de l’Eure (30 mai 1913, Préfet de l’Eure, n° 47115, Rec. p. 583), selon lequel l’autorité publique ne peut demander au juge ce qu’elle peut s’accorder directement à elle-même.

En réponse, le juge réitère la solution qu’il avait adoptée quatre ans plus tôt (24 févr. 2016, Département de l'Eure, no 395194) : l’irrecevabilité de principe est réaffirmée sous réserve d’une nouvelle exception, lorsque la créance trouve son origine dans un contrat. En l’espèce, le département avait introduit une action en responsabilité quasi-délictuelle contre une société coupable d'agissements dolosifs susceptibles d'avoir conduit une personne publique à contracter avec elle à des conditions de prix désavantageuses. Le juge, étendant le champ de l’exception née en 2016, voit dans cette action la recherche de la réparation d'un préjudice né du contrat lui-même car le préjudice invoqué résulte de la différence éventuelle entre les termes du marché effectivement conclu et ceux auxquels il aurait dû l'être dans des conditions normales ; celle-ci doit donc être considérée comme ayant son origine dans le contrat conclu entre le département et la société.

En second lieu, est apportée une très utile illustration de l’évaluation du préjudice causé par des pratiques anticoncurrentielles. Pour ce faire la personne publique se prétendant victime doit effectuer une comparaison entre les marchés passés pendant l'entente et une estimation des prix qui auraient dû être pratiqués sans cette entente, en prenant notamment en compte la chute des prix postérieure à son démantèlement ainsi que les facteurs exogènes susceptibles d'avoir eu une incidence sur celle-ci.

(27 mars 2020, Société Signalisation France, n° 420491 ; v. aussi, du même jour, confirmant la solution précédente mais y ajoutant ces deux précisions que : 1° la personne publique victime, à l'occasion de la passation d'un marché public, de pratiques anticoncurrentielles, peut, d’une part, mettre en cause la responsabilité quasi-délictuelle non seulement de l'entreprise avec laquelle elle a contracté, mais aussi des entreprises dont l'implication dans de telles pratiques a affecté la procédure de passation de ce marché, et d’autre part, demander au juge administratif leur condamnation solidaire ; 2° la société requérante condamnée solidairement avec d’autres en première instance et qui n’a présenté ni en première instance ni en appel de conclusions tendant à ce que soit déterminée la part de la contribution à la dette de chacune des sociétés condamnées solidairement ne peut prétendre en cassation que la cour administrative d'appel aurait entaché son arrêt d'erreur de droit en ne procédant pas à cette répartition : 27 mars 2020, Société Lacroix Signalisation, n° 421758 ; v. encore, du même jour, sur le même sujet : 27 mars 2020, Société Signaux Giraud, n° 421833)

 

23 - Procédure - Rédaction des jugements et arrêts - Contradiction entre les motifs et le dispositif d’un arrêt - Cassation avec renvoi.

Solution constante et inévitable : Est annulé pour contradiction entre ses motifs et son dispositif, l’arrêt d’une cour administrative d’appel qui, après avoir constaté qu’un tribunal administratif avait, à bon droit, décidé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur certaines des conclusions développées dans une affaire, annule notamment l’article 1er de son jugement qui constatait le non-lieu à statuer sur lesdites conclusions.

(27 mars 2020, Commune de Palavas-les-Flots, n° 432076) V. aussi, sur un autre aspect de cette décision, le n° 40

 

24 - Compétence en premier et dernier ressort du tribunal administratif - Demande pécuniaire ne revêtant pas le caractère d’une demande indemnitaire - Recours contre un tel jugement constituant un appel non un pourvoi - Compétence de la cour administrative d’appel - Renvoi à la cour.

Le requérant contestait ce qu’il estimait être l'insuffisance des sommes qui lui avaient été versées en application du décret du 25 août 2003 relatif à l'indemnité spécifique de service allouée aux ingénieurs des ponts, des eaux et des forêts et aux fonctionnaires des corps techniques de l'équipement. Ayant été débouté en première instance il a saisi le juge d’appel qui a renvoyé le dossier au Conseil d’État, estimant qu’il s’agissait en l’espèce d'une action indemnitaire au sens du 8° de l'article R. 811-1 du code de justice administrative, matière dans laquelle le tribunal statue en premier et dernier ressort sous réserve d’un pourvoi en cassation.

Le Conseil d’État annule ce renvoi car la demande d'un fonctionnaire ou d'un agent public tendant seulement - comme en l’espèce - au versement de traitements, rémunérations, indemnités, avantages ou soldes impayés, sans rechercher la réparation d'un préjudice distinct du préjudice matériel objet de cette demande pécuniaire, ne revêt pas le caractère d'une action indemnitaire au sens du 8° de l'article R. 811-1 précité.

Par suite, cette demande n’entrait pas dans le champ de l’exception procédurale et le recours contre le jugement querellé constitue un appel, relevant donc de la compétence de la cour administrative d’appel à laquelle l’affaire est renvoyée.

(10 mars 2020, M. X., n° 425889)

 

25 - Référé suspension - Appréciation de la condition d’urgence - Publications de presse - Société distributrice de journaux - Risque d’ouverture d’une procédure collective à son encontre - Urgence non établie - Rejet.

La présente décision, rendue dans le cadre d’un référé suspension, est intéressante en ce qu’elle porte sur l’appréciation de l’urgence dans un contexte assez particulier.

L'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) a suspendu pour une durée de six mois les délais de préavis des éditeurs qui entendent retirer la distribution d'un ou plusieurs titres de presse à la société Presstalis.

Les sociétés Marie Claire Album, Inter Edi, Avantages et Revue du Vin de France, qui, au sein du groupe Marie Claire, éditent plusieurs magazines mensuels et avaient décidé de rompre leurs relations contractuelles avec la société Presstalis, avec des préavis arrivant à terme au plus tard le 31 janvier 2020, demandent au juge des référés d'ordonner la suspension de cette décision en tant qu'elle leur est applicable.

Pour démontrer l’urgence à statuer sur leur demande les requérantes font valoir que l'ouverture d'une procédure collective est imminente pour la société Presstalis, dont la situation financière est très dégradée, et que la décision litigieuse leur fait courir le risque de pertes correspondant aux créances qu'elles détenaient sur cette société à la date où elle est intervenue (avance mensuelle de 2,25 %  versée à Presstalis au titre de la contribution exceptionnelle des éditeurs et existence d’un «encours client ») ou qui vont naître du fait de la poursuite des relations contractuelles que leur impose la décision dont la suspension est demandée.

La demande de référé est rejetée faute d’urgence démontrée.

Il est tout d’abord jugé que la décision litigieuse est en tout état de cause sans incidence sur le risque de perte des créances, déjà acquises à la date de son entrée en vigueur, qui pourrait naître de l'ouverture d'une procédure collective, la poursuite ou l'interruption des relations contractuelles avec la société Presstalis étant à cet égard indifférente.

Il est ensuite constaté que si la décision litigieuse a pour effet de prolonger la période pendant laquelle les requérantes sont tenues de verser à la société Presstalis une avance au titre de la contribution exceptionnelle précitée, d'une part, conformément au protocole de conciliation homologué par le tribunal de commerce, les avances ainsi consenties ne sont en tout état de cause remboursables, au plus tôt, qu'au 31 décembre 2023, d'autre part, les sommes en cause ne dépassent pas un montant global de 25 000 euros par mois. La décision litigieuse ne porte donc pas une atteinte grave et immédiate à la situation financière des sociétés requérantes.

Également, le risque, au demeurant éventuel, de perte d'un nouvel « encours client », ne peut être regardé comme caractérisant, au jour où le juge des référés statue, une atteinte grave et immédiate à la situation des sociétés requérantes et directement lié à la décision querellée.

Enfin, à supposer que l'éventuelle annulation de la décision litigieuse que pourrait prononcer le Conseil d’État ne leur permettrait pas d'obtenir la réparation du préjudice qui résulterait pour elles, en cas de procédure collective, de la perte des encours de créances sur la société Presstalis nés après son entrée en vigueur, ce préjudice, à le supposer existant et irréversible, n’empêcherait pas les sociétés requérantes « de demander réparation à l'État du préjudice susceptible de résulter des effets propres de la décision litigieuse ».

(Ord. réf. 18 mars 2020, Société Marie Claire Album, société Inter Edi, société Avantages et société Revue du Vin de France, n° 439208)

 

26 - Cour nationale du droit d’asile (CNDA) - Procédure - Productions postérieures à la clôture de l’instruction - Obligation de les viser - Absence - Cassation avec renvoi à la cour.

La CNDA étant une juridiction administrative, est tenue, comme toute juridiction administrative, de faire application des règles générales relatives à toutes les productions postérieures à la clôture de l'instruction.

Il lui incombe, dans tous les cas, de prendre connaissance des notes en délibéré et de les viser.

En l’espèce, les visas de sa décision ne comportaient pas mention de ce que les demandeurs avaient produit une note en délibéré la veille du jour où la cour a statué.

Cette irrégularité conduit à la cassation avec renvoi à la cour.

(25 mars 2020, Mme X. et M. Y., n° 430582)

 

27 - Procédure - Conclusions du rapporteur public - Absence - Application erronée de l’art. 1499 du CGI - Cassation du jugement et renvoi au tribunal administratif.

Est irrégulière la procédure suivie devant un tribunal administratif, sans conclusions du rapporteur public, alors que le litige portait sur la réduction des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties à laquelle la société requérante avait été assujettie à raison de son établissement de Grand-Quevilly, affecté à un usage industriel et dont la valeur locative avait été déterminée par application des dispositions de l'article 1499 du CGI.

En effet, il résulte de l’art. R. 732-1-1 CJA que seules sont dispensées de telles conclusions les audiences tenues sur les litiges relatifs à la taxe d'habitation et à la taxe foncière sur les propriétés bâties afférentes aux locaux d'habitation et à usage professionnel au sens de l'article 1496 CGI, non ceux portant sur ces taxes lorsqu’elles assujettissent des bâtiments à usage industriel.

La cassation était inévitable, ce qui n’empêche pas de regretter les chinoiseries d’une telle conception du contentieux administratif ; l’affaire est renvoyée à ce tribunal.

(25 mars 2020, Société Boréalis Chimie, n° 422195 ; v. aussi, du même jour avec identiques solutions : M. X., n° 434323 et n° 434324, deux espèces)

28 - TVA - Livraisons de biens réglées au moyen de bons à des opérateurs procédant à l'auto-liquidation de la TVA - Recours dirigé contre des commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques - impôts (BOFiP-impôts) contenant une interprétation de la loi fiscale - Délai de recours - Évolution - Régime - Application en l’espèce - Rejet au fond.

(Section, 13 mars 2020, Société Hasbro European Trading BV (HET BV), n° 435634) V. n° 51

 

29 - Fonction publique - Enseignants - Avancement à la hors-classe des professeurs agrégés du second degré - Rappels de traitement - Incidence d’une annulation prononcée par le juge - Décision créatrice de droits - Faculté de retrait ou d’abrogation limitée au délai raisonnable de quatre mois - Rejet.

Dans le présent litige, un enseignant contestait des ordres de reversement de rémunération émis à son encontre.

Le Conseil d’État rappelle que l'annulation, par une décision juridictionnelle devenue définitive, d'une annulation assortie le cas échéant d'une injonction faite à l'administration n'a pas pour effet par elle-même de faire disparaître la décision de l'administration prise en exécution de la première décision juridictionnelle, elle ouvre la faculté à l'autorité compétente de retirer ou d'abroger cette décision alors même que celle-ci serait créatrice de droits. Toutefois, le retrait ou l'abrogation de cette décision doit intervenir dans un délai raisonnable, qui en l'espèce ne peut excéder quatre mois à compter de la date à laquelle la décision annulant la première décision juridictionnelle a été notifiée à l'administration.

Le pourvoi ministériel contre l’arrêt de la cour administrative d’appel est rejeté en tant que cet arrêt se prononce sur diverses sommes versées à l’enseignant.

(11 mars 2020, M.X., n° 403560)

 

30 - Procédure contentieuse - Sanction disciplinaire - Sanction retirée - Demande de réparation du préjudice résultant de l’illégalité de la sanction - Retrait d’une décision ne valant pas preuve de son illégalité - Rejet.

Un officier de gendarmerie fait l’objet d’une sanction disciplinaire que son auteur retire à la suite du recours pour excès de pouvoir que cet officier a formé contre cette décision.

Il réclame alors la réparation du préjudice causé par l’illégalité de la décision retirée sans toutefois rapporter la preuve, qui lui incombait, de son caractère illégal.

Son recours à fins indemnitaires est rejeté : en effet, « si une sanction prise à l'encontre d'un agent public peut être légalement retirée par son auteur à tout moment, la décision de retirer celle-ci ne constitue pas, par elle-même, une preuve de son illégalité ».

(25 mars 2020, M. X., n° 426801)

 

31 - Contribuables d’une communauté urbaine - Recours contre des clauses d’un avenant à un contrat de concession pour le service public de distribution et de production d’électricité - Recours de tiers au contrat (Jurisprudence Département de Tarn-et-Garonne) - Appréciation de l’intérêt à agir - Conditions - Cassation avec renvoi.

Cette décision est importante à la fois pour le droit du contentieux administratif et pour celui des contrats administratifs, elle eût mérité les honneurs d’une décision de Section.

Des contribuables d’une communauté urbaine demandent l’annulation d’un avenant au contrat de concession pour le service public du développement et de l'exploitation du réseau de distribution d'électricité et de fourniture d'énergie électrique aux tarifs réglementés de vente qu’une communauté urbaine a conclu avec les sociétés EDF et ERDF, subsidiairement, d'annuler l'article 1er de cet avenant et une délibération du conseil communautaire et d'enjoindre à la communauté urbaine de résilier l'avenant litigieux ou de saisir le juge du contrat pour qu'il en constate la nullité, et, enfin, d'annuler les décisions ayant rejeté leurs recours gracieux.

Les conditions auxquelles doivent satisfaire les tiers à un contrat administratif désirant contester la validité de celui-ci ou de celles de ses clauses qui n’ont pas un caractère réglementaire (Ass. 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, n° 358994) sont bien connues. Elles sont rappelées ici.

S’agissant de requérants invoquant leur qualité de contribuables communautaires, il leur incombait d'établir que la convention ou les clauses dont ils contestaient la validité sont susceptibles d'emporter des conséquences significatives sur les finances ou le patrimoine de la collectivité. A cet égard, les requérants invoquaient deux arguments.

Tout d’abord, ils estimaient irrégulières les clauses litigieuses en ce qu’elles n'incluaient pas dans les biens de retour qui, en principe, reviennent gratuitement à l'autorité concédante à l'expiration de la concession, les dispositifs de suivi intelligent, de contrôle, de coordination et de stockage des flux électriques mentionnés à l'article 2 du cahier des charges modifié, alors que ces équipements leur paraissaient nécessaires à l'exploitation des compteurs Linky et, partant, au fonctionnement du service public.

Ensuite, ils contestaient également la validité des clauses relatives à l'indemnité susceptible d'être versée au concessionnaire en cas de rupture anticipée du contrat, dont ils estimaient que l'application pouvait excéder le montant du préjudice réellement subi par ce dernier et constituer de ce fait une libéralité prohibée.

La cour avait jugé que les requérants n’avaient pas d’intérêt à agir d’abord parce que le déploiement des dispositifs exclus de la liste des ouvrages concédés par l'article 2 du cahier des charges revêtait un caractère aléatoire et ensuite parce que la mise en œuvre de la clause relative à la rupture anticipée du contrat revêtait également un caractère incertain.

Le Conseil d’État annule cet arrêt précisément en ses deux points car ils sont entachés, chacun, d’une erreur de droit. La cour a commis une première erreur de droit en retenant comme dirimant le caractère éventuel ou incertain de la mise en œuvre de clauses car ce caractère est, par lui-même, dépourvu d'incidence sur l'appréciation de leur répercussion possible sur les finances ou le patrimoine de l'autorité concédante. Elle a commis une seconde erreur de droit en se fondant sur la spécificité des dispositions du code de l'énergie, dont l'article L. 111-52 fixe des zones de desserte exclusives pour les gestionnaires de réseaux publics et attribue de ce fait un monopole légal à la société Enedis, et sur la durée de la convention litigieuse, conclue pour trente ans, pour estimer que la mise en œuvre de l'indemnité pour rupture anticipée du contrat était trop hypothétique pour suffire à établir que les finances ou le patrimoine de la métropole s'en trouveraient affectés de façon significative. En effet, le Conseil d’État estime, sur ce second point, « qu'au vu des évolutions scientifiques, techniques, économiques et juridiques propres au secteur de l'énergie, des modifications d'une telle concession sont probables au cours de la période couverte par le contrat et pourraient notamment nécessiter la mise en œuvre des clauses critiquées ».

Les requérants tenaient bien de leur qualité de contribuables locaux intérêt à agir contrairement à ce qui avait été jugé en première instance et en appel.

(27 mars 2020, X. et autres, n° 426291)

 

32 - Condamnation sous astreinte - Liquidation provisoire - Liquidation définitive - Article L. 911-7 du code de justice administrative - Rejet d’une demande de liquidation provisoire par le tribunal - Incompétence d’une cour administrative d’appel pour procéder à cette liquidation - Cassation sans renvoi.

Dans une affaire très illustrative de ce que peut être la mauvaise volonté d’une collectivité locale à exécuter plusieurs décisions de justice, le Conseil d’État apporte une importante précision sur la procédure de liquidation d’astreinte.

Lorsque le jugement d’un tribunal administratif rejette une demande de liquidation provisoire d'une astreinte qu’il a précédemment prononcée, la cour administrative d'appel, saisi d'un appel contre ce jugement, ne peut pas se borner à prononcer une liquidation provisoire de l'astreinte sans en modifier le taux pour l'avenir car seul le tribunal est compétent pour procéder, d'office ou à la demande d'une partie, à une nouvelle liquidation de cette astreinte. En effet, il découle des dispositions des art. L. 911-7 et R. 921-7 du CJA qu’il n’appartient qu’à la juridiction qui a prononcé une astreinte ou qui l'a modifiée de la liquider.

(27 mars 2020, Ville de Marseille, n° 434228)

 

33 - Demande de produire un mémoire récapitulatif à peine de désistement d’office - Point de départ du délai fixé pour la production de ce mémoire - Jour du retrait du pli recommandé contenant cette demande - Annulation.

Le délai fixé par le juge pour la production, sous peine de désistement d'office, d'un mémoire récapitulatif en application de l'article R. 611-8-1 du CJA court, lorsque l'intéressé a retiré le pli recommandé contenant la demande dans le délai de conservation au guichet postal, à compter de la date de ce retrait.

Cette solution constitue au cas particulier une application de celle retenue pour la computation du délai de recours contentieux à compter du retrait au bureau de poste du pli recommandé contenant la décision attaquée (2 mai 1980, Saïd X. c/ Commune de Ranville, n° 18391).

(25 mars 2020, Mme X., n° 432717)

 

34 - Publication d’un arrêté préfectoral dans le « Recueil des actes administratifs » - Recueil mis en ligne - Absence d’affichage en mairie - Point de départ du délai de recours contentieux - Recours administratif formé après l’expiration du délai de recours contentieux - Irrecevabilité pour cause de forclusion- Cassation sans renvoi - Rejet.

Le 8 avril 2019, est publié dans le recueil des actes administratifs de la préfecture de Guadeloupe mis en ligne sur le site internet de la préfecture, dans la rubrique « Recueil des actes administratifs », un arrêté préfectoral interdisant la circulation sur une route forestière desservant des exploitations agricoles. Cette publication, réalisée dans des conditions garantissant la fiabilité et la date de la mise en ligne de tout nouvel acte, a fait courir à l’égard des intéressés le délai de recours contentieux à compter de cette date, alors même que l'arrêté en litige n'a pas été affiché en mairie avant le 29 avril 2019.

Il suit de là que ce délai était expiré quand, le 18 juin 2019, le syndicat a adressé au préfet un recours administratif tendant à l’annulation de cet arrêté. Ce dernier n’a donc pas pu proroger le délai du recours contentieux qui était expiré lorsque le juge a été saisi, le 13 août 2019, d’une demande d’annulation de l’arrêté litigieux. Ainsi le référé tendant à la suspension de celui-ci n’était donc pas tardif, comme jugé à tort par le tribunal administratif, mais non-fondé.

(27 mars 2020, Syndicat agricole des petits planteurs de Cadet Sainte-Rose, n° 435277)

 

35 - Étrangers - Audience devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) - Convocation - Délai non respecté - Intéressé absent - Avocat présent - Irrégularité - Cassation avec renvoi à la CNDA.

(27 mars 2020, Mme X., n° 431290) V. n° 77

 

35 bis - Procédure - Recours en appréciation de légalité - Dispositions à titre expérimental - Limitation aux opérations complexes - Limitation au seul examen de la légalité externe - Garanties de respect des droits des tiers suffisantes - Rejet.

Les syndicats requérants demandaient l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 4 décembre 2018 relatif à l'expérimentation des demandes en appréciation de régularité. Ce décret a été pris pour l'application de l'article 54 de la loi du 10 août 2018 dite « pour un État au service d'une société de confiance ».

En bref, ce texte décide que. à titre expérimental, - dans le ressort de quatre tribunaux administratifs -, le bénéficiaire ou l'auteur d'une décision administrative non réglementaire, n’ayant pas la nature d’un décret, entrant dans l'une des catégories définies par cet article, peut saisir le tribunal administratif d'une demande tendant à apprécier la légalité externe de cette décision.

Aucun des moyens soulevés ne parvient à convaincre le Conseil d’Etat qui, bien entendu, s’agissant d’un texte dont il est plus ou moins à l’origine, rejette le recours.

La disposition litigieuse n’est pas inconstitutionnelle, le Conseil constitutionnel l’ayant jugé à propos des parties de cet article qui lient la contestation (28 juin 2019, Union syndicale des magistrats administratifs et autre, n° 2019-794 QPC).

Ensuite, l’expérimentation est limitée à quatre tribunaux, à la seule légalité externe et elle ne met pas en cause la possibilité d'en contester, après l'expiration du délai de recours, la légalité interne par la voie de l'exception d’illégalité, aux conditions habituelles de droit.

Également, la procédure mise en place ne porte point atteinte au droit des tiers ayant intérêt pour agir d’être informés de l'existence d'une procédure en appréciation de régularité portant sur cet acte ainsi que des voies et délais d’exercice de leur droit d’intervention.

Enfin, il n’est pas davantage porté atteinte au principe de l’égalité des armes tant au regard du demandeur, auteur ou bénéficiaire de l’acte à apprécier, qu’à celui des tiers.

(25 mars 2020, Union syndicale des magistrats administratifs et Syndicat de la juridiction administrative, n° 427650)

Contrats

 

36 - Marché public de conception-réalisation - Sous-traitance agréée - Octroi d’une avance forfaitaire - Résiliation du marché aux torts de l’entrepreneur - Réclamation du remboursement de l’avance forfaitaire - Demande d’annulation du titre exécutoire -

Dans le cadre d’un marché, ici de conception-réalisation, des avances sont accordées et versées à son titulaire sur le fondement des dispositions de l'article 87 de l’ancien code des marchés publics afin d’assurer, en lui fournissant de la trésorerie, le préfinancement de l'exécution des prestations qui lui incombent.

Le maître de l'ouvrage peut imputer, le cas échéant, le remboursement de ces avances par précompte sur les sommes dues au titulaire du marché à titre d'acomptes, de règlement partiel définitif ou de solde (art. 88 du code précité) ainsi que sur celles dont a disposé à ce titre le sous-traitant bénéficiaire du paiement direct (art. 115 du même code).

Par suite en cas de résiliation du marché avant que l'avance puisse être remboursée par précompte sur les prestations dues, le maître d'ouvrage peut obtenir le remboursement de l'avance versée au titulaire du marché ou à son sous-traitant sous réserve des dépenses qu'ils ont exposées et qui correspondent à des prestations prévues au marché et effectivement réalisées.

Toutefois, lorsque, comme au cas de l’espèce, la résiliation du marché a été prononcée pour faute du titulaire du marché, le remboursement de l'avance par le sous-traitant ne fait pas obstacle à ce que celui-ci engage une action contre le titulaire du marché et lui demande, le cas échéant, réparation du préjudice que cette résiliation lui a causé à raison des dépenses engagées en vue de l'exécution de prestations prévues initialement au marché.

Commet donc une erreur de droit la cour administrative d’appel  qui estime, dans ces circonstances, que le maître d'ouvrage ne pouvait obtenir le remboursement de l'avance qu'il avait versée à la société sous-traitante par précompte sur les sommes dues au sous-traitant, sur le fondement des dispositions des dispositions des articles 88 et 115 du code des marchés publics, dès lors que cette société n'avait pas exécuté, ne serait-ce que partiellement, les prestations qui lui avaient été confiées. En effet, l’unique fondement possible du remboursement des avances par le sous-traitant, à raison d'une absence totale ou partielle de réalisation de ses prestations, repose sur les seuls articles 88 et 115 du code alors applicable au litige alors même que le marché résilié n'aurait pas été exécuté.

(4 mars 2020, Société Savima, n° 423443 ; du même jour, dans ce même litige, avec identique solution : Société Alu Couleur, n° 423447)

 

37 - Marchés publics - Sujétions techniques imprévues - Indemnisation - Cas des marchés à prix unitaires - Difficultés d’exécution nées d’une faute dans l’exercice du pouvoir de direction et de contrôle de l’État - Réparation - Rejet pour l’essentiel - Cassation sur un point mineur et renvoi.

La décision rapportée rappelle les solutions à donner à deux situations fréquemment rencontrées dans l’exécution des marchés publics.

En premier lieu, il est rappelé que si ne peuvent être regardées comme des sujétions techniques imprévues que des difficultés matérielles rencontrées lors de l'exécution d'un marché, présentant un caractère exceptionnel, imprévisibles lors de la conclusion du contrat et dont la cause est extérieure aux parties, en revanche, s'agissant, comme en l’espèce, d'un marché à prix unitaires, leur indemnisation par le maître d'ouvrage n'est pas subordonnée à un bouleversement de l'économie du contrat.

En second lieu, l’entrepreneur qui se prétend victime de préjudices du chef des difficultés matérielles rencontrées dans l'exécution d'un marché peut en obtenir réparation s’il établit qu'elles sont imputables à une faute de la personne publique commise notamment dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché, dans l'estimation de ses besoins, dans la conception même du marché ou dans sa mise en œuvre.

(25 mars 2020, Ministre de la transition écologique et solidaire, n° 427085)

 

38 - Marchés publics - Travaux supplémentaires - Travaux refusés par avance par le maitre d’ouvrage - Travaux en partie demandés par un organisme autre que le maitre d’ouvrage - Preuve non établie du caractère indispensable de ces travaux au regard des règles de l’art - Rejet.

Le litige opposait une société au département de la Loire-Atlantique au sujet de travaux supplémentaires qu’elle avait réalisés. Sa demande ayant été en partie rejetée en première instance et la cour administrative d'appel ayant refusé de faire application au cas de l’espèce de la théorie des travaux supplémentaires, la société se pourvoit.

Le pourvoi est rejeté par le Conseil d’État qui approuve la cour d’avoir rejeté la demande de paiement de travaux supplémentaires notamment sur deux points.

En premier lieu, la cour avait relevé que le département de la Loire-Atlantique avait fait connaître par courrier à la société qu’il ne rémunèrerait pas toutes prestations supplémentaires fournies sans commande expresse de sa part et sans avenant. Dès lors que la demanderesse n’établissait pas avoir réalisé ces travaux avant réception du courrier précité, elle ne pouvait se prévaloir du bénéfice de l’application de la théorie des travaux supplémentaires.

En second lieu, la société prétendait qu'une partie des prestations supplémentaires en litige, réalisées dans le cadre du marché conclu par le département de la Loire-Atlantique, auraient été réalisées à la demande de la sous-commission d'aménagement foncier de la commune de Saint-Etienne de Montluc. La cour a, sans erreur de droit, jugé que, quand bien même les membres de cette sous-commission appartiendraient par ailleurs à la commission communale d'aménagement foncier instituée en application de l'article L. 121-16 du code rural et de la pêche maritime, cette circonstance, à la supposer établie, n'était pas de nature à conférer, par elle-même, à ces prestations un caractère indispensable à l'exécution du marché dans les règles de l'art.

(27 mars 2020, Société Géomat, n° 426955)

 

39 - Contribuables d’une communauté urbaine - Recours contre des clauses d’un avenant à un contrat de concession pour le service public de distribution et de production d’électricité - Recours de tiers au contrat (Jurisprudence Département de Tarn-et-Garonne) - Appréciation de l’intérêt à agir - Conditions - Cassation avec renvoi.

(27 mars 2020, X. et autres, n° 426291) V. n° 31

 

40 - Convention d’occupation du domaine public - Résiliation pour motif d’intérêt général - Besoin de stationnement des véhicules d’un maison de retraite déjà pourvue de places dans un parking - Absence d’un tel motif - Injonction de reprendre les relations contractuelles - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

La commune requérante avait conclu le 8 juillet 2014, pour quinze ans, avec une société, une convention d’occupation du domaine public communal en vue d'y exploiter une activité de location de bateaux sans permis et une activité de restauration. Au mois de mai 2017 la société a été informée de la volonté de la commune de résilier la convention. Après retrait de sa décision, le maire l’a réitérée en août 2017 en invoquant l’utilisation de cette dépendance domaniale pour les besoins en stationnement des véhicules de la maison de retraite voisine.

Saisi par la société, le tribunal administratif a, d'une part, constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions relatives à la première résiliation et a, d'autre part, rejeté les conclusions de la société contestant la validité de la seconde résiliation et tendant à la reprise des relations contractuelles ainsi qu'à l'indemnisation du préjudice qu'elle estimait avoir subi.

Sur l’appel de cette dernière, la cour administrative d'appel, après avoir annulé le jugement du tribunal administratif, a, pour l’essentiel, ordonné la reprise immédiate des relations contractuelles dans le cadre de la convention initiale. Elle a estimé que le motif invoqué par le maire, soit l’utilisation de la dépendance domaniale litigieuse pour le stationnement des véhicules du personnel d'une maison de retraite relevant du centre communal d'action sociale implantée à proximité, ne pouvait justifier la résiliation de la convention dès lors que la commune disposait déjà d'un parc de stationnement municipal à proximité, au sein duquel dix-sept places de stationnement avaient été prévues à l'usage exclusif de la maison de retraite, que les difficultés de stationnement rencontrées par le personnel de la maison de retraite n'étaient pas établies par les pièces du dossier et qu'en outre, aucun élément ne permettait d'établir une modification significative de la fréquentation touristique du quartier depuis 2014.

Contre cet arrêt la commune se pourvoit.

Le Conseil d’État casse sur ce point l’arrêt déféré en se fondant sur deux motifs que l’on peut ne pas approuver.

Tout d’abord, est posé le principe d’une appréciation in abstracto et non pas in concreto de l’intérêt général justificatif de la résiliation d’une convention d’occupation du domaine public : il suffit qu’une commune invoque un besoin de places de stationnement pour qu’ipso facto il y ait là un intérêt général. C’est la porte ouverte à tous les abus et l’instauration pour les bénéficiaires d’autorisations domaniales d’une insécurité juridique du plus vilain effet à l’heure où sont vantés les mérites d’une « rentabilisation » du domaine des collectivités publiques ; c’est aussi une prime accordée à l’imprévoyance : comment le maire pouvait-il ignorer dix-huit mois plus tôt les besoins - s’ils existaient réellement - de la maison de retraite ?

Ensuite, est reprochée à la cour la recherche des besoins et des moyens de stationnement sur le territoire de la commune pour déterminer si la résiliation était fondée ou non. Là aussi on regrettera la position du Conseil d’État dans un dossier qui ne nous semble pas très éloigné d’un détournement de pouvoir et/ou de procédure…

(27 mars 2020, Commune de Palavas-les-Flots, n° 432076) V. aussi au n° 23

 

Droit fiscal et droit financier public

 

41 - Institution d’une retenue à la source pour la perception de certains impôts - Cas des bénéfices industriels et commerciaux - Traitement moins favorable que celui des revenus des salariés - Demande de renvoi d’une QPC - Rejet, la question n’étant pas sérieuse.

La requérante contestait par voie de QPC la constitutionnalité de dispositions fiscales prises à l’occasion de l’institution d’une retenue généralisée à la source. Elle estimait que le E du II de l'article 60 de la loi du 29 décembre 2016 de finances pour 2017 méconnaît les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en ce que, d'une part, les titulaires de bénéfices non commerciaux sont placés dans une situation moins favorable que les salariés pour l'appréciation du caractère exceptionnel ou non du bénéfice réalisé en 2018 et, d'autre part, que les titulaires de tels bénéfices maintenus à un niveau constant de 2015 à 2019 n'ont pas à justifier du caractère non exceptionnel par nature de leurs revenus à la différence de ceux dont les revenus augmentent en 2018.

Le Conseil d’État juge que la question ne revêt pas un caractère sérieux justifiant le renvoi au Conseil constitutionnel.

Tout d’abord, le Conseil d’État indique la finalité de ce mécanisme fiscal différencié. Il s’agit, par-là, de tenir compte de la possibilité qu'ont les travailleurs indépendants de procéder à des arbitrages sur les recettes et les charges servant à la détermination de leur bénéfice et ainsi de maximiser leur bénéfice en 2018, c’est pourquoi le caractère non exceptionnel du bénéfice de 2018 est apprécié non sur une seule année mais sur une période pluriannuelle.

D’où le régime suivant applicable au contribuable soumis aux impositions visées :

1°/ s’il réalise, au titre de l'année 2018, un bénéfice supérieur au plus élevé des montants de ses bénéfices de 2015, 2016 ou 2017, le crédit d'impôt de modernisation du recouvrement dont il peut bénéficier est plafonné au niveau du montant le plus élevé de ces trois années, la différence étant réputée constituer un revenu exceptionnel.

2°/ si son bénéfice au titre de 2019 est plus élevé que celui de 2018, le bénéfice de 2018 est réputé ne plus être exceptionnel de sorte qu'il est octroyé de plein droit au contribuable un crédit d'impôt complémentaire effaçant l'intégralité de l'impôt qu'il a acquitté au titre de 2018 sur ce bénéfice.

3°/ si son bénéfice de 2019 est inférieur à son bénéfice de 2018 mais supérieur au plus élevé des bénéfices réalisés en 2015, 2016 et 2017, il lui est également octroyé de plein droit un crédit d'impôt complémentaire, limité à la différence entre le bénéfice le plus élevé des trois années de référence et le bénéfice réalisé en 2019. De plus, dans cette dernière hypothèse, il peut présenter une réclamation à l'administration fiscale pour obtenir un complément de crédit d'impôt pour éliminer la totalité de l'impôt sur le revenu au titre de son bénéfice de 2018, sous réserve qu'il établisse que la part du bénéfice de cette année supérieure aux quatre années de référence correspond à un surcroît d'activité.

Ensuite, le Conseil d’État relève qu’en se fondant sur la comparaison du bénéfice net de quatre années de référence et non sur le chiffre d'affaires pour déterminer le caractère exceptionnel des revenus de 2018, le législateur s'est fondé sur un critère objectif et rationnel en rapport avec l'objet de la loi.

Répondant à une objection de la requérante selon laquelle  les modalités de détermination du bénéfice net soumis à l'impôt ne tiennent pas compte des particularités de certaines charges, en particulier les charges sociales qui sont calculées sur la base des revenus de l'année antérieure à celle de l'année de déduction, à la différence de celles des salariés, le juge estime que les travailleurs indépendants ne se trouvent pas, pour la détermination du montant de ce crédit d'impôt, dans une situation identique à celle des salariés qui ne peuvent pas arbitrer en faveur d'un niveau de revenu plus élevé en 2018.

Ce raisonnement nous semble faire fi de la présomption constitutionnelle d’innocence et de la présomption civile de bonne foi en faveur d’une présomption irréfragable de maximisation des bénéfices 2018. La non-confiance dans le citoyen, ici sous sa forme de contribuable, atteint un niveau étonnant.

Également, le juge rappelle que le crédit de modernisation du recouvrement tend à éliminer l'impôt dû sur les revenus non exceptionnels de 2018.

Enfin, si ces dispositions sont moins favorables pour un travailleur indépendant ayant des revenus croissants sur toute la période de référence que pour celui ayant des revenus constants sur cette même période, cette différence de traitement, qui vise à prévenir un arbitrage en faveur d'une maximisation du bénéfice net de 2018 pour l'octroi du crédit d'impôt, est fondée sur des critères objectifs et rationnels en fonction du but poursuivi. La possibilité d'obtenir un complément de crédit d'impôt effaçant tout impôt sur le bénéfice de 2018 si le contribuable établit l'existence d'un surcroît d'activité permet en toute hypothèse de démontrer le caractère non exceptionnel du bénéfice non commercial de 2018, même s'il est apprécié rétrospectivement.

En l’absence de toute atteinte aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques, la QPC soulevée ne peut pas être regardée comme sérieuse, elle n’est donc pas transmise.

(5 mars 2020, Mme X., n° 436723)

 

42 - Impôts et/ou taxes locaux - Taxe sur les surfaces commerciales - Assiette de la taxe - Montant total du chiffre d’affaires annuel - Surfaces dédiées aux opérations de vente - Cas des ventes par internet - QPC pour atteinte au principe d’égalité devant l’impôt - Rejet.

L’art. 3 de la loi du 13 juillet 1972 modifiée institue une taxe sur les surfaces commerciales assise sur la surface de vente des magasins de commerce de détail. Celle-ci est calculée en tenant compte, d’une part, du chiffre d’affaires réalisé annuellement, et d’autre part de la surface de vente qu’ils comportent.

La fédération requérante estimait inconstitutionnelles ces dispositions législatives car inadaptées aux trois situations : commerces classiques, commerces comportant une partie de ventes classiques et une autre consacrée au retrait des marchandises achetées via internet, commerces n’effectuant que des ventes par internet. En effet, les surfaces dédiées au retrait des achats en ligne de sont pas comptabilisées pour le calcul de la taxe. De la sorte, elle estimait contraire au principe d’égalité les deux premiers alinéas du paragraphe n° 330 des commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques, par lesquels le ministre a fait connaître son interprétation des dispositions de l'article 3 de la loi du 13 juillet 1972 en ce qui concerne le chiffre d'affaires à retenir pour déterminer le taux de la taxe sur les surfaces commerciales. Elle en sollicitait l’annulation au moyen d’un recours pour excès et soulevait, à l’encontre de la disposition législative précitée, une QPC.

Le recours est rejeté et ce rejet est très discutable.

Pour rejeter ces recours, le Conseil d’État, recourant à un subterfuge bien connu et trop habituel, énonce que : « ces deux types d'entreprises, dont l'une seulement exerce une activité de vente de détail au moyen de surfaces de vente et se trouve, à ce titre, soumise à la taxe sur les surfaces commerciales, sont dans des situations objectivement différentes au regard des dispositions en cause, qui déterminent le taux de la taxe sur les surfaces commerciales. La différence de traitement qui leur est applicable est en rapport avec l'objet des dispositions en cause ». C’est ignorer l’obsolescence du texte légal que de raisonner ainsi.

À l’origine, le législateur de 1972 a retenu, comme l’une des composantes de la taxe qu’il instituait, les surfaces de vente que ces commerces possèdent car il a estimé, empiriquement, qu’existait une certaine corrélation entre ces surfaces et la part qu’elles prenaient alors au volume du chiffre d’affaires réalisé. Internet a bouleversé la donne sans que la loi soit réellement revue ; pire, les surfaces consacrées au retrait des marchandises commandées en ligne, sont exclues du calcul de la taxe, enfin, d’où sort cette idée saugrenue qu’une vente sur internet n’est pas faite « au détail » ?...

Le raisonnement de la requérante était loin d’être dépourvu de pertinence.

Le résultat, injuste, du raisonnement du juge aboutit en premier lieu à ce que le taux de la taxe soit assis sur le chiffre d’affaires réalisé sur les seules surfaces de vente au détail, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que ces ventes sont ou non réalisées dans des locaux dont la surface est prise en compte dans l'assiette de la taxe.

Il aboutit également, en second lieu, à ce que soient incluses dans ce chiffre d'affaires les ventes relatives à des marchandises vendues par cet établissement sur internet et dont le client prend livraison dans un espace dédié du magasin, dont les surfaces ne sont, elles-mêmes, pas prises en compte dans l'assiette de la taxe.

En revanche, ces règles ne s’appliquent pas aux espaces de retrait des ventes réalisées sur internet lorsque le commerce en cause recourt exclusivement à ce mode de vente…

(10 mars 2020, Fédération des entreprises du commerce et de la distribution, n° 436879)

 

43 - Cession d’immeuble par une entreprise à une société civile de placement immobilier (SCPI) - Taux réduit de l’impôt sur les sociétés applicable à la plus-value réalisée à l’occasion de cette cession - Obligation de conserver l’immeuble pendant au moins cinq ans - Amende en cas de manquement - Taux excessif de l’amende - Annulation de la disposition litigieuse.

Les entreprises qui cèdent un immeuble à une SCPI bénéficient d'un taux réduit de l'impôt sur les sociétés applicable à la plus-value résultant de cette cession, sous réserve que l’immeuble soit conservé au moins cinq ans par la cessionnaire (art. 210 E du CGI). Le non-respect de cette obligation est sanctionné par une amende (cf. le I, 1er alinéa, de l'article 1764 du CGI).

Le litige à l’origine de cette importante décision portait sur le caractère excessif du taux de ladite amende.

Celle-ci est fixée au quart de la valeur d’acquisition de l’immeuble.

Le Conseil d’État considère que si l’assiette de l’amende est en rapport direct avec le manquement qu’elle sanctionne, en revanche son taux de 25% est disproportionné par rapport à la gravité du manquement qu'elle réprime compte tenu de ce que l'avantage fiscal dont bénéficient le cédant et le cas échéant, indirectement, le cessionnaire, s'élève seulement à la différence entre le taux réduit de 19 % et le taux normal de l'impôt sur les sociétés, appliquée à la plus-value imposable.

Par suite ce taux porte une atteinte disproportionnée, au regard de l'objectif poursuivi, au droit au respect des biens garanti par les stipulations de l'article 1er du protocole additionnel à la convention EDH.

Est donc prononcée l’annulation du paragraphe n° 110 des commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques - impôts le 3 octobre 2018 sous la référence BOI-CF-INF-20-10-20, qui réitère les dispositions du premier alinéa du I de l'article 1764 du code général des impôts.

(10 mars 2020, Société civile de placement à capital variable (SCPI) Primopierre, n° 437122)

 

44 - Plan d’épargne d’entreprise - Régime fiscal - Conditions d’application - Existence de versements irréguliers - Déchéance du régime applicable - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

(27 mars 2020, M. et Mme X., n° 429549) V. n° 62

 

45 - Activité libérale - Formation professionnelle continue - Exonération de TVA - Conditions pas ou plus remplies - Conséquence - Effets non rétroactifs - Délivrance d’une attestation - Nature juridique et effet - Abrogation possible - Exception de fraude possible - Rejet.

L’art. 261 du CGI (à son 4, 4°, a), transposant une directive du 28 novembre 2006 (art. 132) relative au système commun de TVA et exonérant de ce dernier impôt les prestations de services et les livraisons de biens qui leur sont étroitement liées, effectuées dans le cadre  « de la formation professionnelle continue », subordonne le bénéfice de cette exonération à la délivrance, par l'autorité administrative compétente, d'une attestation reconnaissant que l’organisme intéressé remplit les conditions fixées pour exercer son activité dans le cadre de la formation professionnelle continue. Les textes déterminent les formes et conditions de délivrance de cette attestation ainsi que le contrôle des déclarations (art. 202 A à 202 D inclus de l’annexe II au CGI).

La difficulté soumise au juge concernait la détermination du régime applicable lorsqu’un contrôle révèle que l’attestation a été délivrée à une personne qui soit ne remplissait pas dès l’origine les conditions légales et réglementaires pour bénéficier de l’exonération soit a cessé de les remplir.

Pour résoudre la difficulté le juge rappelle trois principes : 1°/ L’administration est tenue de délivrer l’attestation sollicitée lorsqu’elle estime satisfaites les exigences des textes et cette délivrance vaut ipso facto droit à l’exonération de TVA ; 2°/ Cette attestation constitue une décision créatrice de droits pour son bénéficiaire bien qu'elle n'émane pas de l'administration chargée d'établir, de recouvrer et de contrôler la TVA et qu’ainsi elle ne saurait constituer ni une prise de position opposable sur le fondement de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales, ni un agrément régi par les articles 1649 nonies et 1649 nonies A du CGI ; 3°/ Excepté en cas de fraude, l'administration ne peut, si elle n'a pas procédé au retrait de l'attestation pour illégalité dans les quatre mois de sa délivrance, que l'abroger et mettre fin à ses effets pour l'avenir, lorsqu'elle constate que l'une des conditions auxquelles elle est subordonnée n'est pas ou plus remplie, notamment que l'activité exercée par l'organisme n'entre pas dans le champ de la formation professionnelle continue. L'administration ne peut, en revanche, remettre en cause les effets que l'attestation a produits antérieurement

Il suit de là que, constatant à l’occasion d’un contrôle, l’absence de conformité de l’activité exonérée aux textes, l’administration peut prononcer l’abrogation de l’attestation et supprimer le bénéfice de l’exonération de TVA mais seulement pour les actes ou opérations postérieurs à la notification de la décision d’abrogation.

Il est relevé en l’espèce que  l'attestation ne valant que pour les opérations effectuées dans le cadre de la formation professionnelle continue, l'administration fiscale, qui constate, à l'occasion d’un contrôle, que l'organisme a appliqué l'exonération de taxe à des opérations autres que celles correspondant à l'activité au titre de laquelle il a obtenu l'attestation, est fondée à procéder, dans le délai de reprise déterminé par l'article L. 176 du livre des procédures fiscales, au rappel des droits éludés à raison de ces opérations.

(10 mars 2020, Société Institut français de kinésiologie appliquée (IFKA), n° 437592)

 

46 - Impôt sur les bénéfices industriels et commerciaux - Sort des provisions pour la détermination du bénéfice net - Cas de la provision constituée pour un emploi non conforme à sa destination ou devenue sans objet - Cas de la provision ne satisfaisant pas dès l’origine aux règles permettant sa déductibilité - Conséquences sur l’inscription au bilan - Cassation avec renvoi.

Le Conseil d’État juge qu’une cour administrative d’appel commet une erreur de droit en écartant comme inopérant le moyen tiré de ce que la provision en litige ne pouvait, à raison de son caractère non déductible, être réintégrée qu'aux seuls résultats du premier exercice non prescrit, soit l'exercice 2004, au motif que l'administration s'était bornée à reprendre cette provision devenue sans objet au cours de l'exercice clos en 2005, dans les résultats imposables de cet exercice.

En effet, il résulte du 5° du 1 de l'article 39 du CGI qu'une provision faisant l'objet d'un emploi non conforme à sa destination ou devenue sans objet au cours d'un exercice ou encore qui, ne satisfaisait pas, dès l'origine, aux conditions de déductibilité, doit être réintégrée au bilan de clôture de ce même exercice ou, si cet exercice est prescrit, dans les bilans des exercices non prescrits à l'exception du bilan d'ouverture du premier de ces exercices, ce qui, dans la dernière des trois hypothèses précitées, rend  sans objet la reprise ultérieure de cette provision pour emploi non conforme ou perte d'objet.

 (13 mars 2020, Société Groupe Courtois Automobiles, n° 421024)

 

47 - TVA - Vérification de comptabilité - Seconde vérification de comptabilité - Interdiction des doubles vérifications de comptabilité - Absence en cas de vérification de la déductibilité de la TVA déclarée après l’achèvement de la vérification précédente - Rejet.
La société requérante avait fait l'objet de deux vérifications de comptabilité, d’abord en 2012 puis en 2014. Lors de la première vérification, le contrôle a porté sur la TVA de la période du 1er octobre 2010 au 31 juillet 2012, lors de la seconde vérification, le contrôle a porté, d’une part, sur les bénéfices imposables à l'impôt sur les sociétés des exercices clos les 30 avril des années 2011, 2012 et 2013 et, d’autre part, sur la TVA de la période du 1er mai 2012 au 30 avril 2013. A l'issue de cette seconde vérification, l'administration a remis en cause la déduction d'un montant de TVA porté sur une déclaration souscrite au titre du mois d'août 2012 et correspondant à des opérations inscrites dans les comptes de la société au cours de l'exercice clos le 30 avril 2012.

La requérante, qui soutenait avoir fait l’objet, s’agissant d’une partie de la TVA au titre de 2012, d’une double vérification de comptabilité prohibée en droit fiscal (art. L. 51 du livre des procédures fiscales : « Lorsque la vérification de la comptabilité, pour une période déterminée, au regard d'un impôt ou taxe ou d'un groupe d'impôts ou de taxes est achevée, l'administration ne peut procéder à une nouvelle vérification de ces écritures au regard des mêmes impôts ou taxes et pour la même période. »), reprochait à la cour administrative d’appel d’avoir jugé que les dispositions de l'article L. 51 du LPF n'avaient pas été méconnues car la taxe litigieuse avait été déclarée postérieurement à la période contrôlée lors de la précédente vérification.

Le Conseil d’État, confirmant la tendance générale constante de sa jurisprudence en cette matière (V. notamment : 15 avril 1988, SA Etablissements Briatte Frères, n° 57399 ; 13 mai 1988, Haxaire, n° 49437), donne raison à la cour et rejette le pourvoi en relevant que les dispositions de l’art. L. 51 précité ne font pas obstacle à ce que l'administration puisse contrôler, au cours d'une seconde vérification de comptabilité, la déductibilité de la TVA déclarée postérieurement à l'achèvement d'une première vérification de comptabilité, quand bien même le fait générateur de la taxe ou son inscription en comptabilité auraient eu lieu au cours de la première période vérifiée.

(20 mars 2020, Sarl Marti la Madeleine, n° 420842)

 

48 - Contrôle fiscal - Vérification de comptabilité - Contribuable ayant choisi de réaliser lui-même les traitements nécessaires à l’exercice du contrôle - Comportement ultérieur présenté comme constituant une opposition à contrôle fiscal - Mise en œuvre de la procédure d’évaluation d’office - Erreur de droit - Cassation et renvoi.

Commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui qualifie d’opposition à contrôle fiscal l’attitude de la contribuable à laquelle avait été accordé un délai suffisant pour réaliser les traitements informatiques que l’administration fiscale lui avait réclamés en application de cahiers des charges qu’elle lui avait communiqués à cette fin et alors que, si elle rencontrait des difficultés pour cela, il lui était loisible de renoncer à effectuer elle-même ce travail.

En effet, il incombait à la cour de rechercher : 1°/ si la société requérante avait été informée de la possibilité qui lui était ouverte de renoncer à l'option prévue au b du II de l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales et de choisir l'une ou l'autre des deux autres options prévues par ces mêmes dispositions ; 2°/ si les traitements informatiques non réalisés par la société étaient nécessaires au contrôle de sa comptabilité.

On pourra juger particulièrement lourdes pour le juge et pour l’administration les exigences mises par le Conseil d’État pour une qualification régulière de l’opposition à contrôle fiscal mais il est vrai que les conséquences en sont conséquentes pour le contribuable.

(13 mars 2020, Société Pharmacie centrale de la gare, n° 421725)

 

49 - Cession de titres non admis à la négociation sur un marché réglementé - Détermination de la valeur unitaire du titre - Détermination par comparaison - Absence de prise en compte des différences entre les deux termes de la comparaison - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

Par suite d’une cession des titres d’une société anonyme à une société par actions simplifiée, donc non admis à la négociation sur un marché réglementé, l’administration avait fixé à 173,50 euros la valeur vénale unitaire des parts cédées par M. X., détenteur de 46,79% du capital de la SA. Celui-ci soutenait que leur valeur réelle était supérieure à cette estimation. La cour administrative d’appel, pour rejeter ce moyen, avait retenu que ce prix de cession était de toutes façons supérieur à celui de 171,23 euros retenu pour la valeur de celles des parts cédées par sa mère.

L’arrêt est cassé au motif que s’agissant de déterminer la valeur vénale de titres non admis à la négociation sur un marché réglementé, celle-ci doit être effectuée, par priorité, par référence au prix d'autres transactions intervenues dans des conditions équivalentes et portant sur les titres de la même société. Or le requérant soutenait l’absence d’équivalence entre les conditions des deux cessions : la spécificité des engagements qu'il avait pris par rapport à ceux pris par sa mère, par ailleurs détentrice de 51,10% du capital de la SA, et l'application d'une décote de minorité pour les autres actionnaires. La cour a commis une erreur de droit en n’examinant pas ces moyens de l’argumentation.

(16 mars 2020, M. X., n° 421057)

 

50 - Contrôle fiscal - Remise en cause du choix d’un taux réduit de TVA - Pratique antérieure de l’administration fiscale à cet égard ne valant pas prise de position formelle - Rappels de taxe assortis de la majoration pour manquement délibéré (art. 1729 du CGI) - Rejet.

Un restaurateur exerçant aussi une activité de traiteur avait appliqué à ses différentes prestations un taux réduit de TVA. Lors d’un contrôle, l’administration, considérant que l’activité de traiteur devait être assujettie au taux normal de TVA, a redressé en conséquence le restaurateur sur ce point et a cru devoir assortir cette décision d’une majoration de 40% pour manquement délibéré.

Le contribuable invoquait pour sa défense l'absence de remise en cause par l'administration de l'application du taux réduit de la TVA au cours de contrôles antérieurs.

Le juge de cassation, approuvant les juges du fond, rappelle qu’un comportement, même répété, de l’administration fiscale ne saurait constituer de sa part une prise de position formelle qui lui serait opposable (cf. art. L. 80 B du livre des procédures fiscales).

Surtout, et la solution est choquante sur ce dernier point, il est jugé que cette circonstance ne saurait, non plus, faire échapper le contribuable à l’application d’une majoration de 40%, qui est une pénalité pour manquement délibéré (cf. le a de l'art. 1729 CGI). La Cour EDH pourrait ne pas partager cette singulière solution du juge administratif.

(13 mars 2020, Société Le Relais de la Benerie, n° 423782)

 

51 - TVA - Livraisons de biens réglées au moyen de bons à des opérateurs procédant à l'auto-liquidation de la TVA - Recours dirigé contre des commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques - impôts (BOFiP-impôts) contenant une interprétation de la loi fiscale - Délai de recours - Évolution - Régime - Application en l’espèce - Rejet au fond.

Portant sur un litige de droit fiscal, la présente décision, rendue en Section, concerne l’ensemble du droit administratif et son importance tient à la fois à la solution qu’elle apporte en elle-même ainsi qu’à la technique contentieuse à laquelle elle recourt à cet effet.

Une société de droit néerlandais exerce une activité de fourniture de produits à des détaillants, certains établis en France, et consent à cet effet des bons de réduction aux consommateurs finaux qu'elle rembourse ensuite à ses propres clients lorsqu'ils sont utilisés comme moyen de paiement par lesdits consommateurs. Elle conteste l’interprétation de la loi fiscale en matière de TVA applicable telle qu’elle figure dans des commentaires administratifs officiels de l’administration fiscale.

Se posait une très importante et délicate question de délai de recours contentieux contre de tels actes administratifs.

Le régime de publication des instructions et circulaires a changé à partir du 1er janvier 2019 du fait du décret du 28 novembre 2018.

Jusqu’au 31 décembre 2018, les instructions, les circulaires ainsi que les notes et réponses ministérielles qui comportent une interprétation du droit positif ou une description des procédures administratives sont en principe publiés, lorsqu'ils émanent des administrations centrales de l'État, dans des bulletins ayant une périodicité au moins trimestrielle et comportant dans leur titre la mention « Bulletin officiel » (cf. art. R. 312-3 du CRPA).

Dans ce cadre, un arrêté du 7 septembre 2012, des ministres des finances et du budget, prévoit que les documents administratifs émanant de la direction générale des finances publiques et ayant trait aux impôts sont publiés, suivant une périodicité au moins trimestrielle, au Bulletin officiel des finances publiques - impôts, lequel peut être consulté sur le site internet « www.impots.gouv.fr ».

Pour ce qui est donc de la période s’achevant au 31 décembre 2018, il suit de ce qui précède que la mise en ligne sur un site internet accessible depuis l'adresse www.impots.gouv.fr, entre le 10 septembre 2012 et le 31 décembre 2018, d'une instruction, d'une circulaire ou de tout autre document comportant une interprétation du droit positif ou une description des procédures administratives, émanant de l'administration fiscale et inséré au BOFiP-impôts, constitue l'acte de publication prévu par les dispositions de l'article 7 de la loi du 17 juillet 1978 puis, à compter du 1er janvier 2016, par celles de l'article L. 312-2 CRPA.

En conséquence de ce qui précède et après avoir relevé que ces dispositions sont  toutes issues de textes législatifs ou réglementaires eux-mêmes publiés au Journal officiel de la République française, le Conseil d’État décide, en premier lieu, que la publication d'une décision administrative dans un recueil autre que le Journal officiel fait courir le délai du recours contentieux à l'égard de tous les tiers si l'obligation de publier cette décision dans ce recueil résulte d'un texte législatif ou réglementaire lui-même publié au Journal officiel de la République française. Il décide en second lieu, par voie de conséquence, que le délai réglementaire dont un contribuable dispose pour former un recours pour excès de pouvoir à l'encontre de tout commentaire par lequel l'autorité compétente prescrit l'interprétation de la loi fiscale, lorsque celui-ci a été inséré au BOFiP-impôts et mis en ligne sur un site internet accessible depuis l'adresse www.impots.gouv.fr entre le 10 septembre 2012 et le 31 décembre 2018, commence à courir au jour de cette mise en ligne.

Il s’agit là d’une nouvelle jurisprudence.

Comme on le sait, en principe le juge administratif fait application de la règle jurisprudentielle nouvelle à l'ensemble des litiges, quelle que soit la date des faits sauf si cette solution aurait pour effet de porter rétroactivement atteinte au droit au recours.

C’est pourquoi il est précisé que la règle de forclusion susénoncée, en ce qu’elle, « revient sur une jurisprudence constante (…) est de nature à porter atteinte au droit au recours. Elle ne saurait, par conséquent, fonder le rejet pour irrecevabilité d'un recours formé contre un commentaire publié entre le 10 septembre 2012 et le 31 décembre 2018 et présenté avant l'expiration d'un délai de deux mois suivant la date de lecture de la présente décision ».

Qui pourrait douter du pragmatisme de la jurisprudence administrative voire de son pur utilitarisme ? C’est là une parfaite illustration de ce que « juger l’administration c’est encore administrer ».

Depuis le 1er janvier 2019, en vertu du décret du 8 décembre 2018 relatif aux conditions de publication des instructions et circulaires, l'art. R. 312-3 précité est devenu l'article R. 312-3-1.

D’une part, l'article R. 312-8 du même code décide désormais que : « Par dérogation à l'article R. 312-3-1, les circulaires et instructions adressées par les ministres aux services et établissements de l'État sont publiées sur un site relevant du Premier ministre. Elles sont classées et répertoriées de manière à faciliter leur consultation. »

D’autre part, le premier alinéa de l'article R. 312-9 dispose : « Un arrêté du Premier ministre peut prévoir que, pour les circulaires et instructions intervenant dans certains domaines marqués par un besoin régulier de mise à jour portant sur un nombre important de données, la publication sur un site internet autre que celui qui est mentionné à l'article R. 312-8 produit les mêmes effets que la publication sur ce site. »

Enfin, l'article 1er de l'arrêté du Premier ministre du 10 septembre 2012 relatif à la mise à disposition des instructions et circulaires publiées au Bulletin officiel des finances publiques-impôts, dispose que la mise en ligne des circulaires et instructions sur le site « bofip.impots.gouv.fr » produit les mêmes effets que si elle avait été effectuée sur le site relevant du Premier ministre qui est mentionné à l'article 1er du décret du 8 décembre 2008 relatif aux conditions de publication des instructions et circulaires, devenu l'article R. 312-8 du code.

Pour ce qui est donc de la période ouverte à partir du 1er janvier 2019, en revanche et dès lors qu’elle est régie, comme on vient de le lire par des dispositions, toutes issues de textes législatifs ou réglementaires eux-mêmes publiés au Journal officiel de la République française, la mise en ligne d'une instruction, d'une circulaire ou de tout autre document émanant de l'administration fiscale sur le site « bofip.impots.gouv.fr » constitue l'acte de publication prévu à l'article L. 312-2 du CRPA et le délai réglementaire dont un contribuable dispose pour former un recours pour excès de pouvoir à l'encontre de tout commentaire par lequel l'autorité compétente prescrit l'interprétation de la loi fiscale, lorsque celui-ci a été mis en ligne, commence à courir au jour de cette mise en ligne.

Par suite, « la règle de forclusion susénoncée, qui se borne à tirer les conséquences de dispositions légales et réglementaires antérieures aux commentaires administratifs à l'égard desquels elle s'applique, et qui ne constitue pas un revirement de jurisprudence, ne porte pas rétroactivement atteinte au droit au recours. Rien ne fait obstacle, dès lors, à ce que le juge administratif en fasse application à tout litige intéressant des commentaires administratifs mis en ligne, dans les conditions décrites plus haut, quelle que soit la date à laquelle il en est saisi ».

Pour en revenir à notre affaire, si la société requérante ne peut se voir opposer d’exception de forclusion compte tenu de la date d’introduction de sa requête, elle succombe au fond pour des motifs techniques tirés de l’état de la jurisprudence de la CJUE (24 octobre 1996, Elida Gibbs Ltd contre Commissioners of Customs and Excise, aff. C-317/94) sur la question.

(Section, 13 mars 2020, Société Hasbro European Trading BV (HET BV), n° 435634)

 

52 - Bénéfices industriels et commerciaux - SCI - Qualification de marchand de biens - Critères - Application même en l’absence d’opérations pendant une année - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

Une SCI a pour objet « l'acquisition, la prise à bail, la mise en valeur de tous terrains, l'édification de bâtiments à usage d'habitation et accessoirement commercial, la construction ou l'achat de tous biens immobiliers et mobiliers, la propriété, l'administration et l'exploitation par bail ou location de biens immobiliers acquis ou édifiés par la société (...) éventuellement, la revente des ensembles immobiliers acquis ou édifiés par elle ». Elle a acquis deux immeubles puis, la même année, vendu l'un des deux lots du bâti du premier immeuble et le terrain à bâtir attenant et, enfin, après avoir créé douze lots dans le second immeuble, en a vendu quatre la même année et l’année suivante. A l'issue d’une vérification de sa comptabilité, l'administration fiscale a remis en cause le caractère civil de ses activités au motif qu'elle exerçait une activité de marchand de biens et l'a, en conséquence, assujettie à l'impôt sur les sociétés pour les années en cause. La SCI a contesté devant le juge l’impôt sur les sociétés mis à sa charge : déboutée en première instance elle a obtenu partiellement gain de cause en appel d’où le pourvoi du ministre.

Le Conseil d’État juge qu’il résulte des dispositions combinées de l'article 35 du CGI (dont le I dispose : « Présentent également le caractère de bénéfices industriels et commerciaux, pour l'application de l'impôt sur le revenu, les bénéfices réalisés par les personnes physiques désignées ci-après : 1° Personnes qui, habituellement, achètent en leur nom, en vue de les revendre, des immeubles (..) ») et du 2 de l'article 206 du CGI, définissant le champ d'application de l'impôt sur les sociétés (« (..) les sociétés civiles sont également passibles dudit impôt (..) si elles se livrent à une exploitation ou à des opérations visées aux articles 34 et 35 (..) »), que leur application est « subordonnée à la double condition que les opérations procèdent d'une intention spéculative et présentent un caractère habituel ».

Le juge précise que la condition d'habitude s'apprécie en principe en fonction du nombre d'opérations réalisées et de leur fréquence. A cet égard, la circonstance qu'au cours d'une année aucune opération mentionnée à l'article 35 du CGI n'ait été réalisée par une société civile ne suffit pas, à elle seule, à écarter l'application de ces dispositions pour cette année.

La cour a donc commis une erreur de droit en jugeant que la SCI ne relevait pas des dispositions précitées car, au cours de cette année, la société n'avait réalisé aucune opération de revente et s'était exclusivement livrée à des opérations de location de biens immobiliers ne relevant pas du champ d'application de l'article 35 du CGI. Cette dernière circonstance ne suffisait pas, à elle seule, à écarter l'application combinée de ces deux dispositions.

(18 mars, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 425443)

 

53 - Bénéfices industriels et commerciaux - Application de la théorie du bilan - Cas de la dissolution d’une filiale sans liquidation - Effet fiscal rétroactif - Conséquences pour la société confondante - Déduction d’une moins-value - Cassation avec renvoi.

Donnant satisfaction au ministre auteur du pourvoi, le Conseil d’État, dans une formulation de principe, énonce qu’il résulte des dispositions du 2 de l’art. 38 du CGI lequel est applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu du I de l'article 209 du CGI (selon lequel « Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés »), « qu'un bilan doit être établi à la date de clôture de chaque période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt et que ce bilan doit exprimer de manière régulière et sincère la situation de l'entreprise, telle qu'elle résulte à cette date des opérations de toute nature faites par l'entreprise. Si, parmi ces opérations, figure la dissolution sans liquidation d'une filiale, les conséquences de cette dissolution pour la société confondante doivent être reprises dans le bilan établi à la date de clôture de la période au cours de laquelle cette opération est intervenue, mais ne peuvent l'être dans le bilan précédent. Lorsqu'un effet rétroactif est attaché, sur le plan fiscal, à cette dissolution à une date déterminée, laquelle ne peut être antérieure à la date de clôture du bilan de l'exercice précédent, la société confondante est tenue de prendre en compte, au besoin au moyen de retraitements extra-comptables, toutes les conséquences de la date ainsi stipulée, à laquelle les effets de la fusion remontent ».

Or en l’espèce la cour avait jugé qu'il convenait de prendre en compte l'ensemble des éléments constituant le prix d'acquisition de titres annulés, y compris l'augmentation de capital intervenue après la date d'effet rétroactif de l'absorption et elle avait repris la moins-value résultant de l'annulation des titres de la filiale dissoute à hauteur de 18 592 484 euros. Elle a commis une erreur de droit car la société confondante est réputée s'être substituée fiscalement à la société absorbée à la date d'effet rétroactif et doit être regardée comme ayant reçu elle-même les apports pour leur valeur à la date où l'augmentation du capital est intervenue.

(18 mars 2020, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 426473)

 

 

54 - Impôt sur les sociétés - Réduction d’impôt pour dons - Conditions d’éligibilité - Admission en l’espèce - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

L'article 238 bis du code général des impôts CGI prévoit dans son I la possibilité d’une réduction d'impôt égale à 60 % de leur montant les versements, pris dans la limite de 5 pour mille du chiffre d'affaires, effectués par les entreprises assujetties à l'impôt sur le revenu ou à l'impôt sur les sociétés au profit d'œuvres ou d'organismes d'intérêt général ayant un caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel ou concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique, à la défense de l'environnement naturel ou à la diffusion de la culture, de la langue et des connaissances scientifiques françaises.

La société requérante se prévalait de ces dispositions pour avoir consenti des dons à une association dont l'objet est de promouvoir le sport automobile féminin en finançant l'activité des pilotes de sexe féminin. A la suite d'une vérification de comptabilité l’administration fiscale l’a assujettie à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés en estimant que la circonstance que le nom de l'entreprise versante ait été associé aux opérations réalisées par l’association donataire, remettait en cause la réduction d'impôt prévue à l'article 238 bis précité.

La cour administrative d’appel ayant donné gain de cause à la société, le ministre des finances se pourvoit, avec succès, en cassation.

Le Conseil d’État estime que si l’avantage fiscal consenti par les dispositions de l’art. 238bis précité n'est pas susceptible d'être remis en cause par la seule circonstance que le nom de l'entreprise versante soit associé aux opérations réalisées par l'organisme bénéficiaire du versement, il ne saurait toutefois être admis qu'à la condition que la valorisation du nom de l'entreprise ne représente, pour cette dernière, qu'une contrepartie très inférieure au montant du versement accordé.

L’arrêt d’appel est cassé pour n’avoir pas effectué l’examen de cette dernière condition.

(20 mars 2020, EURL M21 Fayard, n° 423664)

 

55 - TVA - Régime de la TVA ajoutée sur la marge - Ventes de terrains à bâtir - Terrains comportant un immeuble bâti à démolir en vue de la revente du terrain - Inapplicabilité des règles dérogatoires de calcul de la TVA - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

Cette décision comporte une importante précision concernant le taux dérogatoire de TVA applicable aux cessions de terrains à bâtir.

Il résulte des dispositions combinées du I de l’art. 257, du 2 du b de l’art. 266 et de l’art. 268 du CGI, ce dernier pris pour la transposition de l’art. 392 de la directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA, que les règles de calcul dérogatoires de la TVA qu'elles prévoient s'appliquent aux opérations de cession de terrains à bâtir qui ont été acquis en vue de leur revente et ne s'appliquent donc pas à une cession de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d'un terrain bâti, quand le bâtiment qui y était édifié a fait l'objet d'une démolition de la part de l'acheteur-revendeur.

(27 mars 2020, Sarl Promialp, n° 428234)

 

56 - Sociétés de personnes - Sociétés de capitaux - Imposition des premières selon le régime des secondes - Conditions d’exercice de l’option - Cas d’une Sarl à associé unique ou d’une société unipersonnelle - Rejet.

L'un des deux gérants d’une Sarl qui exploite un bar-restaurant a racheté la part de son associé. A la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a mis à la charge de celle-ci des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés au titre des trois exercices vérifiés et, à la charge du gérant, des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu à hauteur des résultats de la société Saint'E car ceux-ci ont été regardés comme des revenus distribués entre ses mains sur le fondement du c de l'article 111 du CGI. La société Le Saint'E et le gérant se pourvoient en cassation contre les arrêts, confirmatifs des jugements, rejetant leurs appels.

Le Conseil d’État rejette les pourvois au terme d’un rappel classique du droit et de la jurisprudence applicables.

Lorsqu’une société de personnes exerce l’option pour l'imposition selon le régime propre aux sociétés de capitaux, elle peut le faire de deux façons (cf. dispositions, d’une part, des art. 8 et 206  (point b du 3) du CGI et, d’autre part, des art. R. 123-1, R. 123-3 et R. 123-17 du code de commerce) : soit elle notifie cette option au service des impôts du lieu de son principal établissement, soit elle coche la case prévue à cet effet sur le formulaire remis au centre de formalités des entreprises (CFE) ou au greffe du tribunal de commerce dont elle dépend à l'occasion de la déclaration de sa création ou de sa modification.

Si ces dispositions ne dispensent pas de ces formalités les sociétés ou groupements mentionnés au 3 de l'article 206 du CGI qui opteraient pour leur assujettissement à l'impôt sur les sociétés (IS) alors qu'ils n'y étaient pas précédemment soumis, en revanche, il en va autrement dans l'hypothèse où une Sarl décide, au moment de la réunion de toutes ses parts entre les mains d'un associé unique, de demeurer assujettie à l'IS. C’est pourquoi, devenue alors une EURL, elle est réputée avoir régulièrement exercé l'option offerte au 3 de l'article 206 si elle a opté dans ses statuts, dans le délai prévu à la deuxième phrase du deuxième alinéa de l'article 239, pour l'assujettissement à l'IS, et si elle a, au titre du premier exercice clos après la réunion des parts dans une même main, déclaré ses résultats sous le régime de l'IS.

C’est bien ce qui s’est produit en l’espèce.

(20 mars 2020, M. X., n° 426850 ; Société Le Saint’E, n° 426857, jonction)

 

Droit public de l’économie

 

57 - Autorité des marchés financiers (AMF) - Manquements d’une personne à ses obligations - Sanctions - Possibilité de recourir à une composition administrative - Procédure - Homologation obligatoire par la commission des sanctions - Refus - Régime procédural de la décision de refus - Rejet.

L’Autorité des marchés financiers (AMF) a notifié à la société Arkéa direct bank des griefs tirés de la méconnaissance de diverses dispositions du code monétaire et financier ainsi que du règlement général de l'AMF. Elle a assorti la notification de ces griefs d'une proposition d'entrée en voie de composition administrative. Un accord a été conclu entre le secrétaire général de l'AMF et la société et validé ensuite par le collège de l'AMF.

Cependant, la commission des sanctions de l'AMF a refusé d'homologuer l'accord.

Le président de l'AMF et la société Arkéa direct bank, par deux recours distincts que le juge a joints, demandent au Conseil d'État l'annulation de cette décision et l'homologation de la composition administrative. À cet effet est invoqué d’abord un moyen critiquant la régularité de la décision puis un moyen critiquant son bien-fondé.  Ils sont tous deux rejetés.

 

I. Concernant la régularité de la décision refusant d’homologuer l’accord sur la composition administrative, celle-ci faisait l’objet de deux griefs : son absence de motivation et de respect du contradictoire.

S’agissant de la motivation, la décision distingue le refus d’homologation de la procédure de composition administrative.

Selon le Conseil d’État, la décision refusant l’homologation (qui est prise sur le fondement de l’art.  L. 621-14-1 du code monétaire) n’a pas à être motivée que ce soit en vertu des dispositions de l’art. L. 621-15 dudit code, lesquelles ne s’appliquent pas aux décisions de refus d’homologation, ou de celles de l’art. L. 211-2 du code des relations du public avec l’administration (CRPA), ce type de refus n’entrant dans aucune des catégories limitativement énumérées dans ce dernier texte. Toutefois, le juge déduit de l’examen de l’ensemble des dispositions du code monétaire et financier relatives à la composition administrative qu’elles imposent à la commission des sanctions de l'AMF, lorsqu'elle refuse d'homologuer un accord de composition administrative, d'indiquer, « même de manière succincte pour ne pas risquer de préjuger l'appréciation qu'elle portera ensuite sur le bien-fondé des griefs notifiés ou sur le quantum de la sanction éventuelle », quel est le motif qui justifie son refus. Cette façon de dire et le contenu de ce qui y est dit sont curieux, cela ressemble à une esquisse de motivation qui ne dévoilerait point la motivation. Étrange et guère admissible. Au fond il s’agit d’aménager un système de motivation (il faut le dire vite…) tel que la commission puisse néanmoins continuer son travail après avoir formulé la raison de son refus.

Il y a là une espèce de jeu de cache-cache plus puéril que subtil.

Appliquant sa propre ligne directrice au cas de l’espèce, le juge considère que la commission des sanctions, en estimant qu'il résultait de l'examen des pièces qui lui avaient été transmises que les griefs soulevaient des questions nouvelles sur le fond qui devaient être tranchées par elle, a satisfait à l'obligation telle qu’elle vient d’être décrite ci-dessus

S’agissant de l’éventuel non-respect de l’art. L. 121-1 CRPA, qui impose que les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, soient soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable, il est jugé que le refus d’homologation litigieux n'entre dans aucun des cas prévus par l'article L. 121-1 du CRPA  auxquels est applicable une procédure contradictoire préalable.

 

II. Concernant le bien-fondé de la décision refusant l’homologation de l’accord de composition administrative, le Conseil d’État rejette tout d’abord le grief tiré de ce que le pouvoir réglementaire n’ayant pas défini les critères sur lesquels doit se fonder la commission des sanctions pour homologuer une composition administrative, les décisions prises par cette dernière en cette matière sont nécessairement illégales. Le juge réfute l’argumentation en relevant que dès lors que la loi a reconnu à la commission des sanctions la faculté d'homologuer une composition administrative, sans imposer une homologation dès lors que certaines conditions seraient remplies, le pouvoir réglementaire n'a pas méconnu les dispositions dont il lui incombait de faire application en s'abstenant de fixer des critères qui s'imposeraient à la commission des sanctions lorsqu’elle est saisie d'une demande d'homologation.

Ensuite, le juge examine les pouvoirs de la commission des sanctions lorsqu’elle exerce sa prérogative d'homologation, notamment celui de s'assurer que, eu égard aux circonstances de fait, aux normes dont il est fait application et aux décisions qu'elle a déjà rendues dans des affaires similaires, l'accord de composition administrative n'est pas inapproprié au regard de l'exigence de répression des manquements commis par les professionnels concernés à leurs obligations définies par les lois, règlements et règles professionnelles. Notamment, il apparaît au juge qu’elle peut légalement fonder son refus d'homologuer une composition administrative sur la circonstance que les griefs notifiés soulèvent une question qui, par sa nouveauté et sa difficulté, justifie, au regard notamment de l'exigence de prévisibilité de l'application des normes régissant l'activité des professionnels concernés, qu'elle soit expressément tranchée à l'issue d'une procédure contradictoire menée devant la commission des sanctions elle-même.

C’est ce qui s’est passé dans la présente affaire, ce qui conduit au rejet des deux requêtes jointes.

(Assemblée, 20 mars 2020, Président de l'Autorité des marchés financiers (AMF), n° 422186 ; Société Arkéa direct bank, n° 422274, jonction)

 

58 - Opération de revitalisation de territoire - Autorisation d’exploitation commerciale - Projets d’extension de commerces - Droit préfectoral de suspension temporaire - Atteinte à la liberté d’entreprendre - Absence - Refus de renvoyer une QPC.

Le Conseil national des centres commerciaux estimait contraire à la liberté d’entreprendre  l'article L. 752-1-2 du code de commerce qui permet au préfet  de suspendre pour une période de trois années au plus, susceptibles d'être prorogée d’une année, l'enregistrement et l'examen par les commissions départementale d'aménagement commercial des demandes d'autorisation d'exploitation commerciale de projets de création ou d'extension des magasins de commerce de détail ou d'ensembles commerciaux excédant 1 000 m2 de surface de vente dont l'implantation est prévue à proximité d'un territoire couvert par une opération de revitalisation de territoire (cf. art. L. 303-2 du code de la construction et de l'habitation), au regard des seuls effets économiques susceptibles d'être attendus de ces projets sur les territoires faisant l'objet de cette opération et notamment sur la préservation du tissu commercial qui y existe.

Pour estimer n’y avoir pas lieu à renvoi de la QPC ainsi motivée, le Conseil d’État retient qu’il n’est pas interdit au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi. Il constate qu’il en est bien ainsi en l’espèce.

 En premier lieu,  une telle suspension ne peut intervenir, lorsque le projet suspendu se situe dans une zone couverte par une convention d'opération de revitalisation du territoire, mais hors des secteurs d'intervention de l'opération et seulement si, compte tenu de ses caractéristiques et de l'analyse des données existantes sur sa zone de chalandise, ce projet est de nature à compromettre les objectifs poursuivis par cette opération, au regard notamment du niveau et de l'évolution des taux de logements vacants, de vacance commerciale et de chômage dans les centres villes des territoires concernés par l'opération.

En second lieu, cette suspension peut également intervenir lorsque le projet est situé dans une commune qui n'a pas signé la convention mais qui est membre de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre signataire de cette convention ou d'un établissement public de coopération intercommunale limitrophe de celui-ci : en ce cas, le préfet ne peut légalement le suspendre que si, compte tenu de ses caractéristiques et de l'analyse des données existantes sur sa zone de chalandise, il est de nature à compromettre gravement les objectifs de l'opération, au regard des éléments mentionnés précédemment.

En outre, l’existence des conditions de consultation préalable et la durée limitée de la suspension possible, jointes aux considérations précédentes, permettent au Conseil d’État de conclure que les dispositions litigieuses ne portent pas, au regard de l'objectif d'intérêt général qui s'attache à un meilleur aménagement du territoire et, en particulier, à la lutte contre le déclin des centres-villes, une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre découlant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Il y a peut-être là une « lecture » par trop optimiste des choses…

(16 mars 2020, Conseil national des centres commerciaux, n° 434918)

 

59 - Droit de l’Union européenne - Régime des aides d’État - Obligation de notification préalable à la Commission européenne - Défaut de notification - Conséquences pour le juge national - Distinction entre la période précédant la décision de la Commission et celle la suivant - Distinction selon le sens de la décision de la Commission - Office du juge national saisi de la légalité du refus de récupérer une aide d’État non notifiée - Erreur de droit - Cassation partielle avec injonction.

La résolution nationale des litiges relatifs à des aides d’État au sens du droit de l’Union européenne revêt toujours un certain degré de complexité comme en témoigne la présente affaire.

Des délibérations de la région Île-de-France ont créé un dispositif d'aide pour l'amélioration des services de transports en commun routiers exploités par des entreprises privées ou en régie. Un syndicat de transporteurs de voyageurs a obtenu l’annulation, en première instance (en 2008), en appel (en 2010) et en cassation (en 2012), du refus d'abroger ces délibérations, motif pris de ce qu'elles avaient institué un régime d'aide d'État irrégulier en l'absence de notification préalable à la Commission européenne.

Puis, la région ayant implicitement refusé de récupérer intégralement ladite aide comme le lui demandaient deux entreprises de transports, ce refus implicite a été annulé et la cour administrative d’appel qui a enjoint à la région, dans un délai de neuf mois, de déterminer, pour chaque entreprise bénéficiaire, en tenant compte de la nature des investissements subventionnés et du type d'activité de transport ayant été exercée, les montants devant être restitués par cette entreprise ou la personne morale venant aux droits de celle-ci, puis de procéder à l'émission de titres de perception permettant la récupération de ces aides.

La région Île-de-France se pourvoit en cassation contre cet arrêt. Le Conseil d’État, n'annule la décision par laquelle la région a refusé de procéder à la récupération des aides qu’en tant seulement que cette récupération ne porte pas sur les intérêts et elle lui fait injonction de procéder sous six mois à cette récupération.

Cette décision est prise au terme du long raisonnement suivant.

Il convient préalablement de rappeler qu’en vertu du droit de l’Union et en vue de respecter le droit européen de la concurrence a été institué un régime particulier des aides d’État : d’une part, les États ont l’obligation de notifier à la Commission, préalablement à son instauration, le projet d’aide envisagée, et d’autre part, la Commission doit décider si cette aide est compatible ou non avec le droit de l’Union.

En premier lieu, en l’absence de notification préalable d’une aide, ce qui constitue toujours une irrégularité, deux cas peuvent se produire :

- soit la Commission constate la compatibilité de l’aide litigieuse et la sanction de l'illégalité résultant d'un défaut de notification préalable sera la mise à la charge de ses bénéficiaires du paiement des intérêts que l'entreprise aurait acquittés si elle avait dû emprunter sur le marché le montant de l'aide entre la date à laquelle elle lui a été versée et celle à laquelle a été rendue la décision de la Commission européenne au titre de la période d'illégalité (cf. règlement n° 794/2004 de la Commission du 21 avril 2004 sur la mise en œuvre du règlement n° 2015/1589 du Conseil portant modalités d'application de l'article 108 du TFUE).

- soit la Commission constate l’incompatibilité de l’aide non notifiée, la sanction consiste en la récupération de l’aide sur ses bénéficiaires.

En deuxième lieu, s’établit un partage des compétences entre la Commission, exclusivement compétente pour décider si une aide est ou non compatible avec le marché intérieur, et le juge national, tenu de sauvegarder, jusqu'à la décision finale de la Commission, les droits des justiciables en cas de violation de l'obligation de notification préalable des aides d'État à la Commission. Il en résulte que dans l’attente de la décision de la Commission ce n’est qu’à titre provisoire que ce dernier peut ordonner la restitution, par les entreprises en ayant bénéficié, des aides versées sur le fondement d'un régime d'aide non notifié.

En troisième lieu, lorsqu’un refus est opposé à une demande de récupération d'une aide d'État, dans le cas où celle-ci n'a pas fait l'objet d'une notification préalable à la Commission, sa légalité dépend bien évidemment de la décision de la Commission sur la compatibilité de l’aide avec le marché intérieur. Il s’ensuit que l’appréciation de la légalité de ce refus doit être appréciée par le juge national au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision.

(18 mars 2020, Région Île-de-France, n° 396651)

 

60 - Union européenne - Organisation commune du marché vitivinicole - Aide d’État irrégulière - Reversement - Délai de prescription applicable - Silence des textes - Principe de proportionnalité - Effets - Cassation et renvoi partiels.

Le litige né de ce que l’établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) a demandé à la société requérante de reverser l'aide qu'il lui a accordée, au titre du programme triennal de promotion des produits viticoles en vue de la promotion des vins sur les marchés tiers et a rejeté son recours gracieux conduit le Conseil d’État à appliquer deux fois le principe de proportionnalité.

En premier lieu, il fallait déterminer le délai de prescription applicable aux actions en récupération d’aides irrégulièrement perçues. La cour administrative, dans le silence des textes de l’Union sur ce point, avait jugé applicables les dispositions à caractère général de l'article 2224 du code civil issues de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile. Le Conseil d’État aperçoit dans cette solution une erreur de droit car, estime-t-il, « En l'absence d'un texte spécial fixant, dans le respect du principe de proportionnalité, un délai de prescription plus long pour le reversement des aides accordées, dans le cadre de l'organisation commune du marché vitivinicole, en vue de la promotion de la vente des vins sur les marchés tiers, seul le délai de prescription de quatre années prévu au premier alinéa du 1 de l'article 3 du règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 du 18 décembre 1995 (…) est applicable ». Il fallait oser dire applicable au marché vitivinicole une règle de prescription tirée du droit d’Euratom…

En second lieu, la cour avait fait application, pour déterminer le montant de la sanction, de l'article 5 bis de l'arrêté du 16 février 2009 définissant les conditions de mise en œuvre des mesures de promotion dans les pays tiers, éligibles au financement par les enveloppes nationales définies par le règlement (CE) n° 479/2008 du Conseil du 29 avril 2008 portant organisation commune du marché vitivinicole. Or le Conseil d’État juge qu’il y a là une erreur de droit car les dispositions de cet article prévoient l'application de sanctions déterminées selon une règle strictement arithmétique, exclusivement liée à la proportion du montant de l'aide dont le contrôle a révélé qu'il avait été indument perçu par rapport au montant de l'aide initialement retenu, sans que ne soit prise en considération, en dehors de la fourniture intentionnelle de données erronées dans la demande de paiement, la nature et la gravité des irrégularités qui ont été commises.

Par suite, la cour ne pouvait juger que l'arrêté litigieux ne méconnaît pas le principe de proportionnalité posé par l'article 98 du règlement (CE) n° 555/2008 de la Commission du 27 juin 2008.

(18 mars, Société Maison Ginestet, n° 420244)

 

Droit social et aide sociale

 

61 - Salarié d’une banque - Salarié protégé - Vérification des allégations portées contre ce salarié - Investigations excédant le champ nécessaire à l’enquête - Atteinte à la vie privée du salarié - Licenciement sur la base de faits ainsi recueillis - Irrégularité de l’autorisation de licenciement du salarié - Rejet du pourvoi.

Le client d’une banque porte des accusations contre l’un de ses salariés ayant la qualité de salarié protégé et exerçant les fonctions d’inspecteur fédéral. Pour instruire ces accusations, la banque a procédé à des investigations dont une partie, celle portant sur les comptes privés de son employé, n’était pas nécessaire pour l’établissement de la matérialité des faits.

Le licenciement de l’intéressé en raison de l’impossibilité d’être maintenu dans l’entreprise requérait l’avis favorable de l’inspection du travail en raison de sa qualité de salarié protégé ; cet avis ayant été négatif, le ministre du travail, saisi par l’entreprise, annula ce refus et autorisa le licenciement.

Sur requête du salarié, le tribunal administratif annula l’autorisation de licenciement et son jugement fut confirmé en appel.

Le Conseil d’État rejette le pourvoi en cassation dont l’a saisi la fédération requérante.

Il estime que, par suite des allégations d’un client de la banque concernant le comportement de ce salarié à son égard, il était loisible à celle-ci de mener en interne les investigations nécessaires pour établir la matérialité des faits, en revanche, elle ne pouvait étendre ces recherches à l’examen des comptes personnels privés de ce salarié, sans l’en informer et surtout alors que cela n’était pas nécessaire à l’instruction des indications données par le client. Ce que résume cette formule de principe retenue par le juge : « Lorsqu'un employeur diligente une enquête interne visant un salarié à propos de faits, venus à sa connaissance, mettant en cause ce salarié, les investigations menées dans ce cadre doivent être justifiées et proportionnées par rapport aux faits qui sont à l'origine de l'enquête et ne sauraient porter d'atteinte excessive au droit du salarié au respect de sa vie privée ».

Par suite, est illégal le licenciement fondé sur des éléments recueillis dans le cadre de cet examen intempestif de pièces. C’est sans erreur dans la qualification des faits et sans erreur de droit que les juges du fond ont estimé irrégulière la décision ministérielle autorisant le licenciement.

(2 mars 2020, Fédération du Crédit mutuel centre est Europe, n° 418640)

 

62 - Plan d’épargne d’entreprise - Régime fiscal - Conditions d’application - Existence de versements irréguliers - Déchéance du régime applicable - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

A la suite d’un contrôle fiscal a été remise en cause l'exonération d'impôt sur le revenu dont les intéressés prétendaient bénéficier, sur le fondement de dispositions du CGI, du chef d'une plus-value réalisée par M. X. dans le cadre du plan d'épargne d'entreprise (PEE) dont il était titulaire en sa qualité de salarié d’une société.

M. et Mme X. se pourvoient contre l’arrêt partiellement confirmatif.

La cour avait, en particulier, rejeté le moyen des requérants selon lequel l'irrégularité correspondant au transfert, en juillet 2002, sur le plan d'épargne de M. X., de titres qu'il détenait antérieurement, n'était pas de nature à rendre le fonctionnement de ce plan irrégulier dans son ensemble. La cour avait, au contraire, retenu la circonstance qu'à la date du 12 janvier 2004 à laquelle M. X. avait inscrit sur son plan les 102 titres qu'il a cédés le 28 juillet 2011 et qui ont donné lieu aux rectifications litigieuses, le compte fonctionnait irrégulièrement, dès lors qu'à cette date, les 377 titres transférés le 30 juillet 2002 y figuraient encore.

En décidant ainsi, la cour commettait une erreur de droit car l'irrégularité du transfert des 377 titres sur le plan n'avait pas d'incidence sur l'appréciation de la régularité de son fonctionnement dans son ensemble ni sur le bénéfice de l'exonération afférente aux revenus tirés des 102 titres en cause, mais seulement sur les revenus procédant de ces 377 titres litigieux.

Le Conseil d’État adopte le raisonnement suivant.

Les art. L. 3332-1 et suivants du code du travail font du plan d'épargne d'entreprise un mécanisme d'épargne collectif ouvrant aux salariés de l'entreprise la faculté de participer, avec l'aide de celle-ci, à la constitution d'un portefeuille de valeurs mobilières, c’est pourquoi le transfert, sur un plan d'épargne de titres acquis antérieurement à sa constitution n’est pas conforme à l’objet d’un tel plan.

Par ailleurs, selon les dispositions combinées des I et II de l'article 163 bis B et du III de l’art.150-0 A du CGI, les sommes versées par l'entreprise en application d'un plan d'épargne sont exonérées de l'impôt sur le revenu établi au nom du salarié ainsi que les revenus des titres détenus dans un tel plan d'épargne s'ils sont réemployés dans ce plan et frappés de la même indisponibilité que les titres auxquels ils se rattachent et sont définitivement exonérés à l'expiration de la période d'indisponibilité correspondante. Par suite, le régime d'imposition des gains nets retirés des cessions à titre onéreux des valeurs mobilières, droits sociaux et titres assimilés ne s’applique pas aux titres cédés dans le cadre de leur gestion par les plans d'épargne d’entreprises.

Le Conseil d’État en déduit que, pour bénéficier de ce régime fiscal, il faut et il suffit que la constitution du plan d'épargne d'entreprise et son fonctionnement soient conformes aux dispositions précitées du code du travail. En revanche, le caractère éventuellement irrégulier d’autres versements effectués sur ce plan ne fait pas obstacle à l’exonération des revenus et gains de cession des titres régulièrement issus du fonctionnement du plan.

(27 mars 2020, M. et Mme X., n° 429549)

 

63 - Renvoi préjudiciel de l’autorité judiciaire - Allocation de veuvage - Caractère rétroactif en cas de demande dans l’année suivant le décès - Absence de ce caractère au-delà - Différence de traitement injustifiée au regard de la finalité de cette allocation - Déclaration d’illégalité.

Le Conseil d’État était saisi d’une question préjudicielle portant sur la légalité de l'article D. 356-6 du code de la sécurité sociale au regard du principe d'égalité, en tant qu'il réserve l'attribution rétroactive de l'allocation de veuvage qu'il institue aux demandes déposées dans l'année suivant le décès du conjoint.

Lorsqu’une telle demande est formulée plus d’un an après le décès, l’allocation n’est versée qu’à compter du mois au cours duquel elle est déposée.

Ne trouvant à ce traitement différencié aucune justification d’intérêt général en rapport avec l’objet de l’institution de cette allocation, le Conseil d’État estime que le pouvoir réglementaire a institué en l’espèce une différence de traitement manifestement disproportionnée au regard de la différence de situation entre les demandes formulées dans l’année et celles déposées plus tard, dès lors que les conditions pour en bénéficier étaient réunies au moment du décès.

(13 mars 2020, Mme X., n° 430371)

 

64 - Contentieux sociaux - RMI et RSA - Reversement d’indu de RSA - Règles particulières de procédure contentieuse - Annulation par voie de conséquence - Recours recevable en dépit du caractère définitif de la décision explicite sur l’indu rendue à la suite du recours administratif préalable obligatoire formé par l’intéressée - Cassation avec renvoi.

Dans un litige en règlement d’intérêts patrimoniaux au sein d’un couple après un divorce, le Conseil d’État apporte d’importantes précisions procédurales dans le cadre de contentieux sociaux.

Tout d’abord, il est jugé que l'annulation d'un jugement statuant sur le bien-fondé d'un indu de RSA pour le recouvrement duquel ont été émis des titres exécutoires entraîne également son annulation en tant qu'il statue sur le rejet de la demande de remise gracieuse de cet indu. Il s’agit donc d’une annulation par voie de conséquence qu’il est de l’office du juge de plein contentieux de prononcer.

Ensuite, même lorsque la décision de récupération des allocations de RSA à raison de ce qu’elles ont été indument versées, confirmée sur recours gracieux, est devenue définitive, l'intéressé reste recevable, dans le délai prévu par le 2° de l'article L. 1617-5 du CGCT, à contester le bien-fondé de la créance à l'occasion de sa requête tendant à l'annulation des titres exécutoires émis pour son recouvrement.

(18 mars 2020, Mme X., n° 421911)

 

65 - Référé liberté - Liberté syndicale - Syndicat non représentatif - Différence de traitement avec les autres syndicats - Légalité - Rejet.

La circonstance que la directrice d’un centre hospitalier, dans le respect du décret n° 86-660 du 19 mars 1986, réserve aux seules organisations syndicales représentatives certaines facilités d'exercice des droits syndicaux, compte tenu de l'objet même de ces facilités, des nécessités du service ou de contraintes particulières et les refuse à une organisation syndicale non représentative ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté syndicale. Dès lors, est régulier son refus d'attribuer au syndicat requérant le bénéfice d'un téléphone sans fil numérique, de fournitures de bureau et d'un badge d'accès permanent, tout en permettant aux membres de ce syndicat l’accès à tous les locaux.

(Ord. réf. 16 mars 2020, Syndicat " Force Syndicale Hospitalière " (FSH), n° 439028)

 

66 - Revenu de solidarité active (RSA) - Contrôle des bénéficiaires - Droit de communication - Conditions d’exercice - Garanties offertes aux bénéficiaires - Moment de leur mise en œuvre - Irrégularité - Substitution à la décision irrégulière d’une décision prise après exercice d’un recours administratif préalable obligatoire - Cassation partielle avec renvoi au tribunal administratif.

Un allocataire du RSA demande notamment l’annulation de décisions lui supprimant le droit à son versement. Sont soulevées d’intéressantes et classiques questions de procédure administrative non contentieuse.

Les textes (code de l’action sociale et des familles/code de la sécurité sociale) qui ont confié aux caisses d'allocations familiales et aux caisses de mutualité sociale agricole le service du revenu de solidarité active (RSA), les autorisent à effectuer des contrôles relatifs à cette prestation d'aide sociale notamment par l’exercice d’un droit de communication pour contrôler la sincérité et l'exactitude des déclarations souscrites ou l'authenticité des pièces produites en vue de l'attribution et du paiement des prestations qu'ils servent (art. L. 114-19 CSS). Ce droit est assorti de garanties procédurales. Ainsi l’art. L. 114-21 du code de la sécurité sociale dispose que : « L'organisme ayant usé du droit de communication en application de l'article L. 114-19 est tenu d'informer la personne physique ou morale à l'encontre de laquelle est prise la décision de supprimer le service d'une prestation ou de mettre des sommes en recouvrement, de la teneur et de l'origine des informations et documents obtenus auprès de tiers sur lesquels il s'est fondé pour prendre cette décision. Il communique, avant la mise en recouvrement ou la suppression du service de la prestation, une copie des documents susmentionnés à la personne qui en fait la demande ».

Selon le Conseil constitutionnel (14 juin 2019, Mme Hanen S., décis. n° 2019-789 QPC), l'objet de l'article L. 114-21 du CSS est de permettre à la personne contrôlée de prendre connaissance des documents communiqués afin de pouvoir contester utilement les conclusions qui en ont été tirées par l'organisme de sécurité sociale.

Le Conseil d’État déduit de là qu’il incombe à l'organisme ayant usé du droit de communication, avant la suppression du service de la prestation ou la mise en recouvrement de l'indu, d'informer l'allocataire à l'encontre duquel est prise la décision de supprimer le droit au RSA ou de récupérer un indu de cette prestation, de la teneur et de l'origine des renseignements qu'il a obtenus de tiers par l'exercice de son droit de communication et sur lesquels il s'est fondé pour prendre sa décision. Cette obligation a pour objet de permettre à l'allocataire, notamment, de discuter utilement leur provenance ou de demander que les documents qui, le cas échéant, contiennent ces renseignements soient mis à sa disposition avant la récupération de l'indu ou la suppression du service de la prestation, afin qu'il puisse vérifier l'authenticité de ces documents et en discuter la teneur ou la portée.

C’est pourquoi la caisse d'allocations familiales ou la caisse de mutualité sociale agricole doivent mettre en œuvre cette garantie avant l'intervention de la décision de récupérer un indu de RSA, qui permet son recouvrement sur les prestations à échoir, ou de supprimer le service de cette prestation.

Ces règles étant rappelées, le juge relève qu’au cas d’espèce était contestée la décision d’un président de conseil départemental sur le recours administratif préalable obligatoire formé par l'allocataire. Le principe en droit administratif est que la décision prise sur recours administratif ou hiérarchique, que celui-ci soit ou non obligatoire, se substitue toujours entièrement à la décision prise par l'organisme, ici celui chargé du service de la prestation, auteur de la décision primitive. En conséquence, l'allocataire ne pouvait utilement invoquer à l’appui de ses conclusions dirigées contre la décision du président du conseil général, la méconnaissance par la caisse de cette obligation de mise en œuvre de la garantie avant l’intervention de la décision de supprimer le RSA, d’autant que ce dernier a mis en œuvre cette garantie en temps utile avant l'intervention de sa propre décision, remédiant ainsi à l’irrégularité précédemment commise.

(18 mars 2020, Département de la Loire, n° 424413)

 

Élections

 

67 - Élections municipales et communautaires des 15 et 22 mars 2020 - Circulaire du ministre de l’intérieur relative aux nuances politiques des candidatures à ces élections - Classement d’un parti politique à l’extrême-droite - Référé suspension - Rejet.

 La formation politique requérante demandait la suspension de l'exécution de la circulaire du 3 février 2020 du ministre de l'intérieur attribuant des nuances politiques aux candidats aux élections municipales et communautaires des 15 et 22 mars 2020 en tant, d'une part, qu'elle restreint l'attribution des nuances politiques aux candidatures présentées dans les seules communes de 3 500 habitants ou plus et chefs-lieux d'arrondissement et, d'autre part, qu'elle prescrit le rattachement de la nuance politique « Rassemblement National » au bloc de clivages « extrême droite ».

Le juge du référé suspension du Conseil d’État, qui s’était déjà prononcé sur cette circulaire (cf. cette Chronique, janvier 2020 n° 36), est réuni à nouveau, comme pour l’ordonnance du 31 janvier 2020, en formation collégiale.

Ayant admis implicitement l’urgence à statuer, le juge ne trouve dans l’argumentation de la requérante aucun moyen de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la circulaire attaquée.

(Ord. réf., formation collégiale, 10 mars 2020, Association Rassemblement national, n° 439273 ; V. aussi, sur le caractère non réglementaire de la décision attribuant une nuance politique à un candidat à ces élections municipales et donc sur l’absence de compétence directe du Conseil d’État pour en connaitre en premier ressort : Ord. réf. 13 mars 2020, M. X., Élect. mun. de Saint-André de La Réunion, n° 439396)

 

68 - Élections municipales des 15 et 22 mars 2020 - Vote par procuration - Établissements hébergeant des personnes vulnérables - Épidémie de Covid-19 - Instruction ministérielle instaurant des règles dérogatoires de recueil des procurations - Absence de violation du code électorale et d’atteinte à la libre expression du suffrage - Rejet.

(Ord. réf. 11 mars 2020, Association de défense des libertés constitutionnelles (ADELICO), n° 439434) V. chronique consacrée au Covid-19

 

Environnement

 

69 - Émissions de gaz à effet de serre - Taxe sur ces émissions - Incompatibilité entre la loi française instituant cette taxe et le droit de l’Union - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

EDF demandait au juge d’ordonner à l’État la restitution de la taxe, dont elle s’est acquittée, due par les personnes exploitant des installations émettant des gaz à effet de serre, lorsqu'elles ont reçu, en exécution du plan national d'affectation, au moins 60 000 quotas. Le tribunal administratif a ordonné la restitution de la taxe. La juridiction d’appel a confirmé ce jugement en estimant que les dispositions de l'article 18 de la loi du 28 décembre 2011 instituant cette taxe étaient incompatibles avec l'article 10 de la directive du 13 octobre 2003, duquel résulte la règle de gratuité. À cet effet, elle a retenu que si la définition de l'assiette de la taxe, au II de l'article 18 de la loi de finances pour 2012, ne créait pas de lien direct entre son montant et le nombre des quotas affectés à titre gratuit à chaque redevable, il n'en allait pas de même du mécanisme de plafonnement, prévu au III du même article, qui, facteur déterminant dans la liquidation de l'impôt, devait être regardé comme établissant une telle corrélation. La cour en a déduit que la taxe devait être regardée comme ayant le caractère d'une charge prélevée au titre de l'affectation des quotas et qu’elle était donc irrégulière par rapport à l’art. 10 précité tel qu’interprété par la jurisprudence de la CJUE (17 octobre 2013, Iberdrola, SA e.a. c/ Administración del Estado e.a., aff. C-566/11, C-567/11, C-580/11, C-591/11, C-620/11 et C-640/11). Selon cet article 10 (« Pour la période de cinq ans qui débute le 1er janvier 2008, les États membres allocationnent au moins 90 % des quotas à titre gratuit ») et selon cette jurisprudence les quotas d'émission affectés gratuitement doivent l'être sans aucune contrepartie, qu'il s'agisse du paiement direct d'un prix ou du prélèvement ultérieur d'une charge.

Le ministre de l’action et des comptes publics se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

Le Conseil d’État commence par observer que l’art. 10 précité et la jurisprudence qui l’interprète ne font pas obstacle à l'adoption de mesures susceptibles d'influer sur les implications économiques de l'utilisation des quotas, à la condition de ne pas porter atteinte à l'objectif, que poursuit l'institution du système d'échange, d'une réduction des émissions de gaz à effet de serre dans des conditions économiquement efficaces et performantes.

Il indique ensuite que ni le II ni le III de l'art. 18 de la loi du 28 décembre 2011, qui assoient la taxe sur le seul chiffre d'affaires des redevables, affectataires de quotas d'émission, n'ont eu pour objet d'instituer une charge prélevée au titre de l'affectation des quotas.

En réalité, selon le Conseil d’État, le mécanisme de plafonnement, institué par le III de cet article, ne saurait, sans méconnaître les objectifs de l'article 10 de la directive, avoir un tel effet, mais, pour s’en assurer, la cour devait - et elle ne l’a pas fait - rechercher la proportion des redevables de la taxe pour lesquels ce mécanisme de plafonnement avait, dans les faits, trouvé à s'appliquer, examiner son incidence effective sur le montant de la taxe due par chacun d'entre eux et, enfin, apprécier cette incidence sur le produit total de l'imposition.

Elle a donc commis une erreur de droit en jugeant que, du seul fait de l’importance des corrections qui en résultaient pour les redevables concernés, le plafonnement constituait le critère principal du calcul de cette taxe, et que, partant, l'art. 18 de la loi du 28 décembre 2011 avait eu cet effet de créer une charge grevant l'affectation des quotas d'émission.

La cour devra donc réexaminer ce dossier.

(10 mars 2020, Ministre de l’action et des comptes publics c/ EDF, n° 431804 ; du même jour avec solution identique : Ministre de l’action et des comptes publics c/ société Total EetP France, n° 431805 ; Ministre de l’action et des comptes publics c/ société Total Marketing Services, n° 431806 ; Ministre de l’action et des comptes publics c/ société Total Petrochemicals France, n° 431807)

 

70 - Projet environnemental - Principe d’impartialité de l’administration active - Directives européennes du 27 juin 2001 et du 13 décembre 2011 - Interprétation par la CJUE - Séparation fonctionnelle entre auteur de l’avis et auteur de la décision - Exigence d’autonomie du pouvoir de décision de certaines autorités administratives - Cassation avec renvoi.

(25 mars 2020, M. et Mme X., n° 427556) V. n° 4

 

71 - Référé suspension - Produits phytopharmaceutiques - Utilisation à proximité des lieux habités - Distance minimale de sécurité - Absence d’urgence - Rejet.

Par des requêtes qui ont été jointes, les deux organisations requérantes demandaient la suspension, outre l’annulation, de l'arrêté du 27 décembre 2019 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques et modifiant l'arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l'article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime.

En bref, était critiquée l’instauration, dans l’art. 8 de l’arrêté litigieux, de distances de sécurité appropriées s'imposant aux utilisateurs de produits phytopharmaceutiques ou, à défaut, l’instauration de mesures de protection adaptées de l'usage de ces produits ; était également contestée l’absence, dans l’article 11 de la décision attaquée, de mesures transitoires ou une entrée en vigueur différée plus générale. 

On n’entrera pas, dans le cadre de cette Chronique, dans les détails de l’argumentation comme de la motivation de l’ordonnance de rejet.

Il convient cependant de la signaler au lecteur pour sa richesse intrinsèque, la précision minutieuse de l’analyse effectuée par le juge des référés et par la démonstration, apportée ici avec brio, de la capacité du juge administratif à conjuguer complétude et célérité, technicité et clarté.

 (10 mars 2020, Coordination rurale d’union nationale, n° 438592 ; Chambre départementale d’agriculture de la Vienne, n° 438594 ; Jonction)

 

72 - Police des eaux - Autorisation d’exploitation d’une centrale hydraulique - Schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) - Schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) - SAGE approuvés ou en cours d’élaboration à la date de promulgation de la loi du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques - Compatibilité du SAGE (et du plan d'aménagement et de gestion durable de la ressource en eau et des milieux aquatiques (PAGD) qu’il comporte)  par rapport au SDAGE - Portée - Cassation pour erreur de droit et renvoi.

(11 mars 2020, Société Valhydrau, n° 422704) V. n° 90

 

73 - Installations classées pour la protection de l’environnement - Création d’une cimenterie - Date d’appréciation par le juge de plein contentieux, du respect des règles de forme et de celles de fond - Office du juge en cas d’irrégularité du dossier de demande d’autorisation - Régularisation décidée par le juge spontanément ou sur demande (art. L. 181-18 c. env.) - Régimes distincts - Rejet du premier des pourvois joints.

Avait été contesté par plusieurs requérants l’arrêté préfectoral autorisant l’installation d’une cimenterie dans la zone portuaire de La Rochelle. Par suite des annulations prononcées en appel, le Conseil d’État est saisi de deux pourvois qu’il joint.

La décision est importante à trois titres : le rappel qu’elle comporte et les deux importantes précisions qu’elle apporte.

 

I. Il est rappelé qu’en matière d’installations classées pour la protection de l'environnement le juge est un juge de plein contentieux. À ce titre, il doit, en premier lieu, apprécier le respect des règles relatives à la forme et à la procédure régissant la demande d'autorisation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de délivrance de l'autorisation. En second lieu, il doit apprécier le respect des règles de fond régissant le projet en cause au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date à laquelle il se prononce, sous réserve du respect des règles d'urbanisme, qui s'apprécie par rapport aux circonstances de fait et de droit applicables à la date de l'autorisation.

Le juge indique, dans ce cadre procédural, que les obligations relatives à la composition du dossier de demande d'autorisation d'une installation classée relèvent des règles de procédure (sur ce point, avec en outre, cette précision que « Les inexactitudes, omissions ou insuffisances affectant ce dossier ne sont susceptibles de vicier la procédure et ainsi d'entacher d'irrégularité l'autorisation que si elles ont eu pour effet de nuire à l'information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative », voir :  13 mars 2020, SNC MSE Le Vieux Moulin, n° 414032).

 

II. Les deux précisions sont les suivantes.

Tout d’abord, si seules sont susceptibles de vicier la procédure et ainsi d'entacher d'irrégularité l'autorisation, celles des inexactitudes, omissions ou insuffisances affectant un dossier qui ont eu pour effet de nuire à l'information complète de la population ou qui ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative, il est loisible au juge du plein contentieux des installations classées car c’est là son office, de prendre en compte la circonstance, appréciée à la date à laquelle il statue, que de telles irrégularités ont été régularisées. En l’espèce, c’est sans erreur de droit que la cour a fait application, s'agissant de règles de procédure, des dispositions applicables à la date de délivrance de l'autorisation, alors même que les règles de composition du dossier avaient évolué à la date à laquelle elle a statué.

Ensuite, il découle des dispositions du 2°de l’art. L. 181-18 c. env., qui confèrent au juge le pouvoir d’ordonner la régularisation, dans un certain délai, d’un vice entrainant l’illégalité d’un acte lorsque celui-ci est susceptible de régularisation, deux situations bien distinctes selon que le juge est saisi ou non de conclusions en ce sens.

Lorsque le juge n'est pas saisi de telles conclusions, il peut toujours mettre en œuvre cette faculté sans y être tenu, en vertu de son pouvoir souverain d’appréciation qui ne peut donc pas être contrôlé en cassation.  Lorsque le juge est saisi de conclusions en ce sens, il est tenu de mettre en œuvre ses pouvoirs de régularisation pour autant que les vices en cause lui paraissent régularisables.

(11 mars 2020, Société Eqiom, n° 423164 ; Commune de Rivedoux-Plage et communauté de communes de l'Ile de Ré, n° 423165, jonction)

 

74 - Agences de l’eau - Pollution non domestique de l’eau - Emission d’un titre exécutoire pour la perception de la redevance due en cas de pollution - Publication au Journal officiel des seuls taux applicables - Annulation du titre exécutoire - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

Une société qui avait versé la taxe pour pollution non domestique de l’eau mise à sa charge, au moyen d’un titre exécutoire, par une agence régionale de l’eau, en a par la suite réclamé le remboursement ou, à tout le moins, que lui en soit accordée une remise gracieuse partielle. Elle a saisi la juridiction administrative du refus opposé à ses demandes.

Pour accueillir l’action en annulation dont la société l’avait saisie, la cour administrative d’appel a d’abord jugé qu’il résultait des dispositions du dernier alinéa de l'article L. 213-9-1 du code de l'environnement, que devaient être publiées au Journal officiel toutes les délibérations des agences de l’eau qui concourent à la détermination des taux des redevances. Elle a ensuite jugé que la publication de la liste des communes incluses dans les « unités géographiques cohérentes » en fonction desquelles des taux différenciés sont été votés devait, elle aussi, être faite au Journal officiel. Enfin, elle a constaté que la délimitation des zones de tarification nécessaires à la détermination du montant de la redevance pour l'année 2012 n'avait pas été publiée au Journal officiel et qu’en conséquence était dépourvue de base légale la redevance pour pollution de l'eau d'origine non domestique mise à la charge de la société requérante.

Sur pourvoi de l’agence régionale, le Conseil d’État casse cet arrêt pour erreur de droit au double motif, en premier lieu, que le dernier alinéa de l'article L. 213-9-1 du code de l'environnement n'impose la publication au Journal officiel que des seuls taux de redevance à l'exclusion de tout autre élément relatif notamment à leur champ d'application géographique et, en second lieu, que l'article R. 213-48-16 du même code ne prévoit pas de formalité de publicité particulière pour les délibérations qui déterminent les  « unités géographiques cohérentes ».

Il peut sembler anormal que les pollueurs potentiels ne puissent pas avoir une connaissance officielle de l’existence et de l’implantation des « unités géographiques cohérentes », c’est-à-dire des territoires qui sont potentiellement les lieux de taxation.

(20 mars 2020, Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse, n° 423027)

 

État-civil et nationalité - Étrangers

 

75 - Mariage posthume - Durée - Combinaison des art. 171 et 22 du code civil - Réclamation d’une pension de réversion du chef du défunt - Condition de durée du mariage - Absence - Rejet.

Le Conseil d’État déduit des dispositions combinées des art. 171 et 227 du Code civil, s’agissant de déterminer la durée du mariage en cas de mariage posthume, que celui-ci doit être regardé comme ayant été contracté à la date du jour précédant le décès du conjoint et cesse de produire effet le jour du décès.

Il suit de là que la requérante ne pouvait exiger l’octroi d’une pension de réversion du chef de son défunt époux, la condition de durée minimale du mariage faisant nécessairement défaut.

(2 mars 2020, Mme X., n° 421184)

 

76 - Réfugiés et apatrides - Décision de mettre fin à la reconnaissance de la qualité de réfugié par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) - Office de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) saisie d’un recours contre cette décision -

Le Conseil d’État souligne, avant d’en faire ensuite l’application, deux aspects importants de la procédure de reconnaissance à une personne de la qualité de réfugiée par la CNDA.

Tout d’abord, en sa qualité, ici, de juge de plein contentieux, la CNDA doit se prononcer elle-même sur le droit de l'intéressé à la qualité de réfugié ou au bénéfice de la protection subsidiaire d'après l'ensemble des circonstances de fait et de droit qui ressortent du dossier soumis à son examen et des débats à l'audience.

Ensuite, lorsqu’elle est saisie d’un recours dirigé contre une décision par laquelle le directeur général de l’OFPRA a, en application des stipulations du C de l'article 1er de la convention de Genève, mis fin au statut de réfugié dont bénéficiait un étranger, et qu'elle juge infondé le motif pour lequel le directeur général de l'Office a décidé de mettre fin à cette protection, il lui appartient de se prononcer sur le droit au maintien de la qualité de réfugié en examinant, au vu du dossier et des débats à l'audience, si l'intéressé relève d'une autre des clauses de cessation énoncées au paragraphe C de l'article 1er de la convention de Genève ou de l'une des situations visées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 711- 4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA).

Dans la présente affaire la Cour s’était bornée à faire droit à la requête du demandeur et à le rétablir dans sa qualité de réfugié en retenant que le motif de cessation retenu par la décision de l'OFPRA n’était pas fondé et en l’écartant sans rechercher si la qualité de réfugié du requérant devait lui être retirée par application de l'une des autres clauses de cessation énoncées au paragraphe C de l'article 1er de la convention de Genève ou des dispositions des 1°, 2° et 3° de l'article L. 711- 4 du CESEDA.

(27 mars 2020, OFPRA, n° 422738)

 

77 - Étrangers - Audience devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) - Convocation - Délai non respecté - Intéressé absent - Avocat présent - Irrégularité - Cassation avec renvoi à la CNDA.

La méconnaissance par la CNDA du délai de convocation à l’audience fixé par l'article R. 733-19 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) constitue une irrégularité même lorsque l’avocat de l’intéressé est présent à l’audience car ce délai est destiné à la fois à informer la partie de la date de l'audience afin de lui permettre d'y être présent ou représenté, mais aussi de lui laisser un délai suffisant pour préparer utilement ses observations.

L’arrêt est cassé et l’affaire renvoyée à la CNDA.

(27 mars 2020, Mme X., n° 431290)

 

Fonction publique et agents publics

 

78 - Pension de retraite des agents ayant servi dans un service actif de la police - Régime dérogatoire au droit commun - Conditions d’application - Cassation sans renvoi.

 L'article 95 de la loi du 29 décembre 1982 de finances pour 1983 a modifié la loi du 8 avril 1957 instituant un régime particulier de retraites en faveur des personnels actifs de police, pour y insérer un article 6 bis selon lequel : « A partir du 1er janvier1983, le calcul de la pension de retraite, ainsi que les retenues pour pension des personnels des services actifs de police, seront déterminés, par dérogation aux articles L. 15 et L.61 du code des pensions civiles et militaires de retraite, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État.

Pour permettre la prise en compte progressive de leurs indemnités de sujétions spéciales dans leur pension, la retenue pour pension supportée par les intéressés sera majorée de 0,5 p. 100 à compter du 1er janvier 1983, 1 p. 100 à compter du 1er janvier 1987 et 1,2 p. 100 à compter du 1er janvier 1991 ».

Ce régime est donc dérogatoire au droit commun des pensions civiles et militaires de retraite des agents de l’État, notamment à l’art. 15 du code régissant ces pensions. Le II de cet article prévoit que le fonctionnaire qui a occupé de façon continue, pendant au moins deux ans au cours des quinze dernières années d'activité, un emploi supérieur pour lequel la nomination est laissée à la décision du Gouvernement peut bénéficier d'une pension liquidée sur la base des derniers traitements ou soldes soumis à retenues, afférents à cet emploi.

Le demandeur se trouvait dans ce cas, ayant exercé au moins deux années dans les services actifs de police avant d’être versé dans le corps préfectoral au sein duquel il a achevé sa carrière. Ainsi, dès lors qu’il avait, à ce titre, perçu un traitement de base et l'indemnité de sujétions spéciales de police, tous deux soumis à retenue pour pension, le requérant avait droit au bénéfice d'une pension liquidée sur la base de ces deux éléments de rémunération, sous réserve de remplir les autres conditions fixées par le code des pensions civiles et militaires de retraite.

Or pour lui refuser le bénéfice des dispositions précitées de l’art. 6 bis, les premiers juges ont estimé, d’une part, que l'indemnité de sujétions spéciales de police n'est pas un élément du traitement au sens de l'article 20 de la loi du 13 juillet 1983, alors même qu'elle est soumise à retenue pour pension et d’autre part, que l'intéressé, qui a été titularisé en 2013 dans le corps des préfets, n'appartenait plus au corps de conception et de direction de la police nationale à la date de sa radiation des cadres.

Ce jugeant, a été commise une double erreur de droit.

(2 mars 2020, M. X., n° 414047)

 

79 - Principe d’égalité - Distinction entre pilotes d’avion de la sécurité civile et pilotes d’hélicoptères de la sécurité civile - Traitement différencié - Différences justifiées - Rejet.

Le syndicat requérant contestait deux décrets et deux arrêtés en ce qu’ils ont instauré ou maintenu, au bénéfice des pilotes d'avions et au détriment des agents navigants en hélicoptère de la sécurité civile, une différence de traitement qu’ils estiment injustifiée concernant l'indemnité de détachement opérationnel, la prime d'encadrement au forfait et la valorisation du travail effectué le samedi. Ils en demandent l’annulation au juge faute de l’avoir obtenue par la voie gracieuse de la part du ministre de l’intérieur.

Leur recours est rejeté car le juge aperçoit entre les deux catégories diverses différences justifiant un traitement différent sans porter atteinte au principe d’égalité entre agents publics.

En effet, relève le juge, « Si les personnels navigants du groupement d'hélicoptères de la sécurité civile peuvent être appelés à participer aux opérations de lutte contre les feux de forêt, cette participation ne constitue qu'une de leurs missions de secours d'urgence et de protection et s'inscrit dans le cadre d'un soutien logistique, seuls les avions de la sécurité civile ayant principalement en charge l'extinction des incendies. Compte tenu des différences existant entre ces deux catégories de personnels navigants de la sécurité civile en ce qui concerne tant leurs missions, leurs conditions de recrutement, les conditions d'exercice de leurs fonctions que la compensation financière des contraintes particulières qu'elles impliquent, l'autorité investie du pouvoir réglementaire n'a pas méconnu le principe d'égalité en refusant de mettre fin à la différence de traitement existant entre ces personnels en matière d'indemnité de détachement opérationnel, de prime d'encadrement au forfait et de valorisation du travail effectué le samedi ».

(25 mars 2020, Syndicat autonome du personnel navigant de la sécurité civile (SAPNSC), n° 429699)

 

80 - Fonction publique - Répression disciplinaire et répression pénale - Répressions distinctes - Présomption d’innocence en matière disciplinaire - Absence - Rejet.

Rappel d’un grand et classique principe, celui de l’indépendance du pénal et du disciplinaire nonobstant la règle selon laquelle le « criminel tient le civil en état ».

Il s’ensuit que lorsque sont engagées parallèlement, à propos de mêmes faits, une procédure disciplinaire et une procédure pénale, l'autorité investie du pouvoir disciplinaire ne méconnaît pas le principe de la présomption d'innocence en prononçant une sanction sans attendre que les juridictions répressives aient définitivement statué.

Pour constant et établi qu’il soit, ce principe gagnerait à être revisité en ce qu’il fait un peu trop bon marché de la présomption d’innocence dans un contexte où règne un certain arbitraire dans la mesure où l’autorité disciplinaire peut, à loisir, sanctionner ou non des faits identiques commis par des agents publics placés dans des situations identiques.

(25 mars 2020, Ministre des armées, n° 431240)

 

81 - Fonctionnaire de l’État - Sanction disciplinaire - Révocation - Assistant social ayant des relations sexuelles avec une personne dépendant de lui et en état dépressif - Sanction disproportionnée - Absence - Erreur dans l’appréciation juridique des faits - Cassation avec renvoi.

Un fonctionnaire, assistant social d'entreprise, a eu une relation sexuelle avec une salariée de l’entreprise, à son domicile, après avoir établi avec elle un dossier concernant la situation personnelle de cette dernière. Cette salariée était alors en situation de vulnérabilité, se trouvant en attente de reprise d'activité dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique, après avoir été placée en congé de longue maladie pour un état dépressif, et alors qu'elle connaissait des difficultés financières l'ayant conduite à solliciter à cette époque auprès de son employeur le bénéfice d'une aide financière afin de régler sa taxe d'habitation. Ce fonctionnaire était chargé, dans le cadre de ses fonctions d'assistant social d'entreprise, non seulement de participer à l'instruction de cette demande d'aide financière mais aussi d'accompagner la salariée en vue de sa reprise d'activité.

Il est révoqué de ses fonctions et conteste cette décision, en vain devant le tribunal administratif, avec succès en cause d’appel. La cour administrative ayant jugé qu'eu égard à la manière de servir de l'intéressé et à sa situation à la date de la décision attaquée, la sanction de la révocation était disproportionnée par rapport à la gravité de la faute commise.

Sur pourvois de l’employeur et de l’auteur de la décision de révocation, le Conseil d’État casse cet arrêt au motif que « eu égard à la gravité du manquement commis par (cet agent) aux obligations de probité et d'intégrité requises dans l'exercice de ses fonctions, toutes les sanctions moins sévères susceptibles de lui être infligées en application de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 (…) étaient, en raison de leur caractère insuffisant, hors de proportion avec les fautes qu'il avait commises ».

C’est donc par une inexacte appréciation juridique des faits que la cour a prononcé l’annulation de la sanction de la révocation.

Il s’agit, dans cette affaire exemplaire, de l’application d’un standard jurisprudentiel bien établi désormais et organisé autour de trois points. 

1° Le juge saisi doit rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

2° En principe, seul le caractère fautif des faits reprochés est susceptible de faire l'objet d'un contrôle de qualification juridique de la part du juge de cassation, l'appréciation du caractère proportionné de la sanction au regard de la gravité des fautes commises relève, pour sa part, de l'appréciation des juges du fond.

3° Toutefois, cette appréciation, normalement souveraine de la part des juges du fond, est susceptible d'être remise en cause par le juge de cassation quand la solution qu'ils ont retenue quant au choix, par l'administration, de la sanction, est hors de proportion avec les fautes commises (réitération de : 27 février 2015, La Poste, n° 376598 et n° 381828).

(27 mars 2020, Société Orange, n° 427868 ; Ministre de l’économie et des finances, n° 427985, jonction)

 

82 - Fonction publique - Enseignants - Avancement à la hors-classe des professeurs agrégés du second degré - Rappels de traitement - Incidence d’une annulation prononcée par le juge - Décision créatrice de droits - Faculté de retrait ou d’abrogation limitée au délai raisonnable de quatre mois - Rejet.

 (11 mars 2020, M.X., n° 403560) V. n° 29

83 - Radiation des cadres - Admission à la retraite pour invalidité - Invalidité non imputable au service - Illégalité de l’octroi d’une pension d’invalidité en l’absence d’imputabilité de cette dernière au service - Rejet du pourvoi du ministre.

 Il résulte de la combinaison, d’une part, des art. L. 27, 28, 29 et 31 du code des pensions civiles et militaires de retraite et, d’autre part, des art.  R. 4, 38 et 65 du même code, que la radiation des cadres en vue de l'admission à la retraite d'un fonctionnaire civil de l'État pour invalidité incombe au ministre dont relève l'agent et qu’elle est subordonnée à l'avis conforme du ministre chargé du budget Cette décision doit énoncer les circonstances susceptibles d'ouvrir droit à pension et viser les dispositions légales en cause.

Il appartient ensuite au ministre chargé du budget de procéder à la liquidation et à la concession de la pension de l'intéressé ou de la rente viagère d'invalidité.

Lorsque l’agent a été radié des cadres pour une invalidité qui n'a pas été regardée comme imputable au service, il ne peut lui être alloué une pension pour invalidité imputable au service et attribué une rente viagère d'invalidité.

Le Conseil d’État approuve le tribunal administratif d’avoir ainsi jugé et, en tout état de cause, d’avoir soulevé d'office un moyen qui est d'ordre public : tel est le cas du moyen selon lequel nul ne peut être contraint à payer une somme qu’il ne doit pas.

Le pourvoi de l’intéressé est, logiquement, rejeté.

(2 mars 2020, M. X., n° 417144)

 

84 - Enseignants titulaires - Maîtres de l’enseignement public et maîtres de l’enseignement privé - Droit à la formation - Application du principe d’égalité et respect concomitant des règles propres à l’enseignement privé - Rejet.

Un syndicat de l’enseignement privé demande l’annulation de décisions ministérielles ayant rejeté ses demandes tendant à la modification des articles 7 et 9 de la convention relative à la formation continue des maîtres de l'enseignement privé sous contrat, qu'il a conclue le 27 janvier 2017 avec la Fédération des associations pour la formation et la promotion professionnelles dans l'enseignement catholique (FORMIRIS).

 

I. Le Conseil d’État résout d’office, préalablement à l’examen du fond du litige, deux questions de procédure.

La première concerne la compétence de la juridiction administrative. Il est jugé que, eu égard aux clauses que comporte la convention du 27 janvier 2017, notamment en matière de contrôle par l'État des activités de la FORMIRIS, qui impliquent, dans l'intérêt général, qu'elle relève du régime exorbitant des contrats administratifs, cette convention constitue un contrat administratif relevant donc de la compétence de la juridiction administrative.

La seconde concerne la compétence de premier ressort du Conseil d’État. A cet égard il est relevé qu’en tant qu'elles précisent les conditions auxquelles sont soumises les demandes de formation, les stipulations de l'article 7 de la convention ont un caractère réglementaire. Il suit donc de là, en vertu du 2° de l'article R. 311-1 du CJA, la compétence directe du Conseil d’État pour statuer en excès de pouvoir sur les conclusions des requêtes dirigées contre ces clauses réglementaires arrêtées par le ministre de l'éducation nationale. En outre, bien que les dispositions de l’art. 9 de la convention n’aient pas un caractère réglementaire, leur contestation relève néanmoins, par l’effet de la connexité (art. R. 341-1 CJA), de la compétence directe du Conseil d’État.

 

II. Le recours portait, pour l’essentiel, sur l’illégalité consistant en l’application uniforme de règles en matière de formation aux maîtres relevant des deux catégories, publique et privée, d’établissements scolaires, au détriment des règles propre à l’enseignement privé. Cet argument est rejeté par le Conseil d’État.

Celui-ci note que si les règles générales en matière de formation applicables aux maîtres titulaires de l'enseignement public sont également applicables aux maîtres de l'enseignement privé sous contrat ayant le même niveau de formation, elles n'ont ni pour objet ni pour effet de supprimer toute différence de traitement dans la gestion de la situation respective de ces deux catégories d'enseignants, ni de rendre inapplicables les dispositions spécifiques propres aux seuls maîtres de l'enseignement privé sous contrat.

Il en fournit deux preuves, positive et négative.

Positivement, les maîtres habilités par agrément ou par contrat à exercer dans des établissements d'enseignement privé liés à l'État par contrat, bénéficient des mêmes droits en matière de formation que les maîtres titulaires de l'enseignement public dans le respect des règles qui leur sont propres. A cet égard, ils ont notamment droit, d'une part, à ce que le rejet d'une seconde demande portant sur une action de formation de même nature ne puisse être prononcé qu'après avis de la commission consultative compétente (art.  R. 914-10 du code de l'éducation), et, d'autre part, d'accéder aux formations prévues en faveur des personnes qui n'ont bénéficié au cours des trois années précédentes d'aucune formation dans la catégorie demandée, dans le respect des règles qui leur sont propres.

Négativement, demeure pour les maîtres de l’enseignement privé sous contrat l'obligation d'obtenir l'accord du responsable compétent de la FORMIRIS, laquelle relève des modalités de gestion qui leur sont spécifiques.

(18 mars 2020, Syndicat national de l'enseignement privé-Union nationale des syndicats autonomes (SNEP-UNSA), n° 422001 et n° 423530, jonction)

 

84 bis - Justice administrative - Décret du 12 décembre 2018 pris en application de la loi du 10 décembre 2018 pour une immigration maitrisée - Consultation du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel - Cas où sa consultation est obligatoire - Absence ici - Rejet.

Les syndicats requérants demandaient au Conseil d'État l'annulation du décret n° 2018-1142 du 12 décembre 2018 portant modification du code de justice administrative pour l'application des titres Ier et III de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie. Ils invoquaient de nombreux griefs à l’encontre de ce texte.

Ces griefs sont tous rejetés par leurs collègues du Conseil d’État.

En substance, il leur est, pour l’essentiel, répondu tout d’abord, que le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ne doit pas être consulté préalablement à l’édiction des décrets qui se bornent à tirer les conséquences nécessaires de dispositions législatives.

Ensuite, il est jugé, en revanche, que ce Conseil doit être consulté sur les projets de décrets qui, soit affectent la compétence des tribunaux administratifs ou des cours administratives d'appel, soit sont susceptibles d'avoir une incidence significative sur l'organisation ou le fonctionnement de ces juridictions.

Tel n’était pas le cas en l’espèce en dépit du nombre et de la nature des arguments développés au soutien du recours.

(25 mars 2020, Syndicat de la juridiction administrative et l'Union syndicale des magistrats administratifs, n° 427737)

 

84 ter - Concours d’accès à la fonction publique - Concours d’agrégation du second degré - Candidat atteint de dysorthographie, de dysgraphie, de dyslexie et de dyspraxie - Compensation du handicap par des mesures appropriées - Refus partiels du rectorat - Atteinte à l’égalité et à l’anonymat des candidats - Absence si des mesures idoines sont prises - Rejet.

Un candidat à l’agrégation d’histoire, atteint de dysorthographie, de dysgraphie, de dyslexie et de dyspraxie, a obtenu du juge du référé liberté d’un tribunal administratif l’annulation du refus du rectorat de l’académie de mettre en place la totalité des aménagements prescrits par le médecin agréé pour compenser son handicap. Le ministre de l’éducation nationale demande au Conseil d’Etat l’annulation de cette ordonnance.

Son recours est rejeté au terme du raisonnement suivant.

Tout d’abord, justifiant l’usage ici du référé liberté (cf. art. L. 521-2 CJA), le juge indique, répondant à un argument contraire du ministre que « si les conditions de déroulement d'un concours d'accès à la fonction publique ne portent pas par elles-mêmes, et alors même qu'elles seraient entachées d'une rupture d'égalité entre les candidats, atteinte à une liberté fondamentale au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, il en va différemment lorsqu'est en jeu le rétablissement de l'égalité entre les candidats au profit d'une personne atteinte d'un handicap par la mise en œuvre des adaptations prévues (par les textes) ».

Ensuite, alors que le ministre soutenait qu’en toute hypothèse les handicaps dont souffre le requérant sont incompatibles avec la fonction de professeur agrégé d'histoire, le Conseil d’Etat oppose à ce moyen, d’une part, la circonstance que le ministre n’a pas refusé de l’admettre à concourir et, d’autre part, que cette incompatibilité devait être apprécié dans les conditions légales et réglementaires (désignation d’un médecin agréé, organisation d’un comité médical et d’une commissions de réforme, vérification des conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics, etc.).

Enfin, parce que si l'orthographe n'est pas un critère d'évaluation des copies des candidats, une mauvaise orthographe peut cependant avoir un effet négatif sur la note attribuée, sont estimés insuffisants au cas d’espèce les seuls aménagements acceptés par l’administration (mise à disposition d'un ordinateur sans logiciel de correction orthographique et d'un secrétaire copieur, qui se bornerait à reproduire le texte produit par le candidat sous forme manuscrite), l’anonymat pouvant être assuré par le recours aux moyens préconisés et la mise en œuvre de ces derniers, loin de porter atteinte au principe d’égalité entre candidats à un concours, ne ferait que la rétablir au profit du requérant.

Reste tout de même, pour finir, que, comme le rappelle le juge, « il appartiendra en tout état de cause (au ministre) de se prononcer sur (l’)aptitude (du requérant) s'il vient à être reçu au concours ».

(13 mars 2020, M. X., n° 439468)

Libertés fondamentales - Protection des personnes

 

85 - Enseignement supérieur et grandes écoles - Institution de bourses d’excellence pour les étudiants poursuivant des études dans une grande école - Modification rétroactive des règles d’octroi de ces bourses entre la première et la seconde année d’études - Espérance légitime de continuer à percevoir la bourse - Atteinte disproportionnée à un « bien » au sens du premier protocole additionnel à la Convention EDH (art. 1er) - Rejet.

La collectivité territoriale requérante avait institué des bourses d’excellence pour permettre aux élèves le méritant la poursuite d’études supérieures puis, trois ans plus tard, en raison du coût de cette mesure, elle a profondément modifié les conditions d’octroi.

Un élève, auquel une telle bourse avait été octroyé pour entreprendre des études à l’École des Mines de Saint-Etienne, apprit, au terme de sa première année d’études et alors qu’il était admis en deuxième année, que la bourse ne lui serait plus servie. Il saisit le juge administratif d’un recours dirigé contre la délibération fixant de nouveaux critères et contre la décision de refus de versement de la bourse, en vain en première instance, avec succès en appel. La collectivité se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

Le Conseil d’État donne raison à la cour.

Il résultait de la délibération instituant la bourse que l’étudiant ayant accompli sa première année de scolarité admis dans l’année suivante d’études, était assuré du renouvellement de la bourse. Par ailleurs, l'article 1er du protocole additionnel à la convention EDH a pour objet de protéger le respect des biens des personnes. Si le renouvellement possible d’une bourse n’est pas, à strictement parler, un « bien » et n’est donc pas une créance certaine, « l'espérance légitime d'obtenir une somme d'argent doit être regardée comme un bien au sens de ces stipulations qui ne font en principe pas obstacle à ce que le législateur adopte de nouvelles dispositions remettant en cause, fût-ce de manière rétroactive, des droits patrimoniaux découlant de lois en vigueur ayant le caractère d'un bien au sens de ces stipulations, à la condition cependant de ménager un juste équilibre entre l'atteinte portée à ces droits et les motifs d'intérêt général susceptibles de la justifier ».

Pour juger atteint ici le juste équilibre précité, le juge de cassation, comme le juge d’appel, estime que le motif avancé par la collectivité,  tiré du coût financier du mécanisme des bourses d’excellence qu’elle avait institué, ne suffisait pas à justifier l'application de la nouvelle condition de ressources à des étudiants qui s'étaient engagés dans un cursus scolaire sous l'empire du dispositif créé en 2012, lequel conduisait à prendre en charge une grande partie du coût de leurs études et de leurs frais, et qui se retrouvaient, du fait d'une disposition intervenue quatre mois seulement avant le début de l'année scolaire 2015-2016, privés de cette aide financière.

La rétroactivité de la mesure, faute, par exemple, de disposition transitoire, portait une atteinte excessive à l’espérance légitime de voir cette bourse continuer à être versée à ceux l’ayant déjà obtenue.

(2 mars 2020, Province Sud de la Nouvelle-Calédonie, n° 416833)

 

86 - Soins psychiatriques sans consentement - Contentieux - Compétence du juge judiciaire - Rejet du pourvoi.

Saisi par un requérant d’un recours dirigé contre la décision d’un directeur de CHU ayant refusé de retirer la décision prononçant son admission en soins psychiatriques sans son consentement, le Conseil d’État avait renvoyé au Tribunal des conflits le soin de déterminer l’ordre de juridiction compétent pour en connaître.

Le Tribunal a jugé (9 décembre 2019, M. H.-D. c/ Centre hospitalier universitaire de Toulouse, n° 4174) que depuis l'entrée en vigueur des dispositions des articles L. 3211-12, L. 3211-12-1 et L. 3216-1 du code de la santé publique issues de la loi du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge, la juridiction judiciaire est seule compétente pour apprécier non seulement le bien-fondé mais également la régularité d'une mesure d'admission en soins psychiatriques sans consentement et les conséquences qui peuvent en résulter. Le Conseil d’État, confirmant la solution retenue par les juges du fond, en déduit que toute action relative à une telle mesure devant être portée devant la juridiction judiciaire, celle-ci est seule compétente en l’espèce, d’où le rejet du pourvoi.

(4 mars 2020, M. X., n° 428518)

 

87 - Traitements de données à caractère personnel - Fichier des personnes en soins psychiatriques sans consentement - Fichier destiné à prévenir les radicalisations à caractère terroriste - Mise en relation de deux traitements ayant, à son tour, la nature d’un traitement - Fichier intéressant la sûreté de l’État - Fichier ne relevant pas des dispositions de la directive dite RGDP - Rejet.

(27 mars 2020, Association Cercle de réflexion et de proposition d'actions sur la psychiatrie (CRPA), n° 431350 ; Ligue des droits de l’homme (LDH), n° 431530 ; MGEN Action Sanitaire et Sociale (MGEN ASS), n° 432306 ; Association Avocats, droits et psychiatrie, n° 432329 ; Conseil national de l'ordre des médecins (CNOM), n° 432378) V. n° 12

 

 

88 - Étranger - Statut de réfugié - Abrogation - Champ d’application du c) du F de l’art. 1er de la Convention Genève du 28 juillet 1951 - Exclusions - Actes terroristes - Rejet.

Un Sri-Lankais s’étant vu refuser par l’OFPRA le maintien de la reconnaissance de sa qualité de réfugié, conteste cette décision devant la Cour nationale du droit d’asile et, ayant été débouté, se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État relève en premier lieu qu’aux termes du c) du F de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative aux réfugiés, les dispositions de cette Convention ne sont pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser « qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies ». Il relève ensuite que l’article L. 711-4, al. 2 du CESEDA dispose que l'OFPRA peut « mettre fin à tout moment, de sa propre initiative ou à la demande de l'autorité administrative, au statut de réfugié lorsque : (.../...) 3° Le réfugié doit, compte tenu de circonstances intervenues après la reconnaissance de cette qualité, en être exclu en application des sections D, E ou F de l'article 1er de la convention de Genève, du 28 juillet 1951 ». L'application de cette clause d'exclusion n’est nullement subordonnée à l'existence d'un danger actuel pour l'État d'accueil.

Il énonce alors que « Les actes terroristes ayant une ampleur internationale en termes de gravité, d'impact international et d'implications pour la paix et la sécurité internationales peuvent être assimilés à des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies au sens du c) du F de l'article 1er de la convention de Genève. Il en va ainsi des actions de soutien à une organisation qui commet, prépare ou incite à la commission de tels actes, notamment en participant de manière significative à son financement ».

Le requérant, par un jugement définitif du tribunal correctionnel de Paris, a été reconnu coupable et condamné à une peine de quatre années d'emprisonnement pour  « participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme, financement d'entreprise terroriste et extorsions par la violence, menace ou contrainte de signature, promesse, secret, fonds, valeur ou bien » du fait de sa fonction de collecteur de fonds pour  le comité de coordination Tamoul France (CCTF), association dissoute pour « association de malfaiteurs et extorsion en relation avec une entreprise terroriste et financement d'une entreprise terroriste » en raison de ses liens avec le mouvement sri-lankais des Tigres Libérateurs de l'Eelam Tamoul (LTTE).

Par suite, la décision de l’OFPRA de priver le requérant de sa qualité de réfugié est régulière, d’où le rejet du recours dirigé contre celle-ci et cela alors même que le requérant avait purgé la peine d'emprisonnement à laquelle il avait été condamné et qu'il ne représentait aucune menace pour l'ordre public, ces circonstances ne pouvant faire obstacle à l'application à son endroit de la clause d'exclusion prévue par le c) du F de l'article 1er de la convention de Genève précitée.

(13 mars 2020, M. X., n° 423579)

 

89 - Étrangers - Reconnaissance de la qualité de réfugié - Conditions - Absence en l’espèce - Cassation et renvoi devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA).

L’OFPRA demandait la cassation d’une décision de la CNDA ayant reconnu la qualité de réfugiées à deux enfants mineures à la demande de leur mère.

Le Conseil d’État accueille le pourvoi.

Il rappelle d’abord, qu’en vertu des dispositions du A, 2° de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et du protocole signé à New-York le 31 janvier 1967, une personne, pour prétendre à la qualité de réfugié, doit être regardée comme privée de la protection d'un pays dont elle a la nationalité car elle est contrainte de renoncer à se prévaloir de cette protection pour une raison valable fondée sur une crainte justifiée de persécution.

Il note ensuite que la CNDA, en accordant la qualité de réfugiées aux deux filles présentées par leur mère, a commis une erreur de droit car elle s'est fondée sur le fait que, bien que possédant la nationalité canadienne, pays à l'égard duquel elles ne faisaient état d'aucune crainte, elles ne pouvaient pas se prévaloir de la protection de ce pays en raison de ce que leur mère, qui n'a pas la nationalité canadienne, n'avait pas « vocation à retourner » dans ce pays. La Cour aurait dû rechercher, préalablement, s'il était établi que cette dernière n'était pas en mesure d'y séjourner.

(13 mars 2020, OFPRA, n° 426701)

 

Police

 

90 - Police des eaux - Autorisation d’exploitation d’une centrale hydraulique - Schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) - Schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) - SAGE approuvés ou en cours d’élaboration à la date de promulgation de la loi du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques - Compatibilité du SAGE (et du plan d'aménagement et de gestion durable de la ressource en eau et des milieux aquatiques (PAGD) qu’il comporte)  par rapport au SDAGE - Portée - Cassation pour erreur de droit et renvoi.

La  fédération départementale de pêche et de protection du milieu aquatique de l'Isère et l'association agréée de pêche et de protection du milieu aquatique du Valbonnais « La Truite de La Bonne » ont demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 6 mai 2013 du préfet de l'Isère portant règlement d'eau relatif à l'exploitation, pour une durée de trente-cinq ans, de l'énergie de la rivière La Bonne au profit d'un aménagement hydroélectrique sur cette rivière à Valjouffrey, au bénéfice de la société Valhydrau. Si en première instance leur demande a été rejetée, elle a, en revanche, été positivement accueillie en cause d’appel et l’arrêté préfectoral y a été annulé.

Le Conseil d’État, saisi d’un pourvoi de la société bénéficiaire de l’arrêté litigieux, casse l’arrêt d’appel.

Deux questions de droit devaient être tranchées.

 

I. La première question était relative à la difficulté soulevée par l’absence de règlement dans un SAGE régi par la loi de 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques et, par suite, à l’applicabilité d’un tel SAGE après l’entrée en vigueur de la loi de 2006 précitée.

Il faut rappeler ici que, pour chaque bassin ou groupement de bassins, l'art. L. 212-1 du code de l'environnement prévoit l’institution d’un schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) qui :

1°/ fixe des objectifs de qualité et de quantité des eaux ainsi que les orientations permettant d'assurer une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau ;

2°/ détermine à cette fin les aménagements et les dispositions nécessaires.

Ce document peut être complété, si besoin est, pour un périmètre géographique donné, par un schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) qui doit être compatible avec le SAGE et qui comporte obligatoirement un plan d'aménagement et de gestion durable de la ressource en eau et des milieux aquatiques (PAGD) ainsi qu’un règlement, qui peut prévoir les obligations définies au II de cet article de l’art. L. 212-5-1 du code e l’environnement.

 Si le XI de l'art. L. 212-1 et de l'art. L. 212-5-2 c. env., impose que les décisions administratives prises dans le domaine de l'eau doivent être compatibles avec le SDAGE et avec le PAGD du SAGE, en revanche, les décisions administratives prises au titre de la police de l'eau sur le fondement des articles L. 214-1 et suivants du même code, doivent être conformes au règlement du SAGE et à ses documents cartographiques, dès lors que les installations, ouvrages, travaux et activités en cause sont situés sur un territoire couvert par un tel document.

C’est ici qu’intervient la difficulté signalée plus haut.

La loi de 2006 précitée dispose (cf. art. L. 212-10 c. env.) dans son I. qu’« Un projet de schéma d'aménagement et de gestion des eaux arrêté par la commission locale de l'eau à la date de publication du décret prévu à l'article L. 212-11 peut être approuvé selon la procédure prévue par les dispositions législatives et réglementaires antérieures pendant un délai de trois ans à compter de cette même date. Le schéma approuvé constitue le plan d'aménagement et de gestion durable de la ressource défini au I de l'article L. 212-5-1. » Le décret auquel se réfère cette disposition est celui du 14 août 2007.

Le II. de cet article est ainsi conçu : « Les schémas d'aménagement et de gestion des eaux approuvés à la date de promulgation de la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 précitée ou en application du I du présent article sont complétés dans un délai de six ans à compter de la promulgation de ladite loi par le règlement prévu au II de l'article L. 212-5-1, approuvé selon la procédure fixée par l'article L. 212-6 ».

Interprétant cet art. L. 212-10 et en faisant l’exégèse, le Conseil d’État estime tout d’abord qu’il a pour objet de permettre que les SAGE déjà approuvés ou en cours d'élaboration lors de la promulgation de la loi du 30 décembre 2006 relèvent du régime prévu par cette loi pour les futurs SAGE. Il considère ensuite qu’il ne résulte ni des dispositions du II de l'article L. 212-10 ni d'aucune autre disposition qu'un SAGE approuvé conformément au I de cet article et constituant dès lors un PAGD cesserait d'être applicable faute d'avoir été complété, dans le délai prévu au II du même article, par l'adoption d'un règlement.

Or les pièces du dossier de cette affaire établissent que le projet de SAGE du Drac et de la Romanche a été adopté par la commission locale de l'eau le 27 mars 2007 et approuvé par un arrêté interpréfectoral du 13 août 2010, dans le délai prévu par les dispositions du I de l'article L. 212-10 c. env., mais qu’il n'a pas été complété, dans le délai prévu au II de cet article, par un règlement. Il se déduit des observations ci-dessus que ce SAGE a valeur, à compter de son entrée en vigueur, de PAGD pour les sous-bassins considérés, les décisions administratives prises dans le domaine de l'eau étant donc soumises à une obligation de compatibilité à son égard. La légalité de la décision attaquée dépendait ainsi du respect de la condition de compatibilité.

 

 II. La seconde question était relative à la notion et donc à l’appréciation de la de compatibilité. D’emblée le Conseil d’État adopte une position très différente de celle de la cour administrative d’appel. Pour lui, le juge administratif, pour apprécier cette compatibilité, doit rechercher, dans le cadre d'une analyse globale le conduisant à se placer à l'échelle du territoire pertinent pour apprécier les effets du projet sur la gestion des eaux, si l'autorisation ne contrarie pas les objectifs et les orientations fixés par le schéma, en tenant compte de leur degré de précision, sans rechercher l'adéquation de l'autorisation au regard de chaque orientation ou objectif particulier. Or c’est précisément cette dernière attitude qui avait été adoptée par la cour. En effet, pour annuler l'arrêté attaqué, elle s’était fondée, sur la seule interdiction de tout nouvel aménagement énoncée par le point 1.c. de l'objectif n° 8 du SAGE du Drac et de la Romanche. Elle a ainsi commis une erreur de droit en se fondant sur la non-adéquation de l'arrêté litigieux avec un objectif particulier du SAGE et non sur une analyse globale à l'échelle du territoire pertinent et au regard de l'ensemble des objectifs et orientations fixés par le schéma.

(11 mars 2020, Société Valhydrau, n° 422704)

 

Professions réglementées

 

91 - Médecin - Participation à un groupement de coopération sanitaire (GCS) - Refus d’autorisation par le Conseil national de l‘ordre des médecins (CNOM) - Incompétence de ce Conseil et compétence du directeur de l’autorité régionale de santé (ARS) - Rejet.

Un médecin se voit refuser par le CNOM l’autorisation d’exercer une demi-journée par semaine dans le cadre d’un groupement de coopération sanitaire (GCS) de moyens constitué entre un établissement de santé et un professionnel de santé libéral.

Le CNOM a pris cette décision en vertu des pouvoirs qu’il tient de l'article R. 4127-85 du code de la santé publique (CSP), lequel prévoit que l'ouverture, par un médecin libéral, d'un site d'exercice distinct de celui de sa résidence professionnelle habituelle, est subordonné à l'autorisation préalable de l'instance ordinale.

Toutefois, il résulte des articles L. 6133-1, L. 6133-3, L. 6133-6 et R. 6133-1 du CSP que le directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) dispose seul de la compétence pour approuver la convention constitutive d'un GCS de moyens entre un établissement de santé et un professionnel de santé libéral. Or cette convention précise notamment l'identité de ses membres ainsi que les conditions d'intervention des professionnels médicaux libéraux. Il s'ensuit que l'activité exercée dans le cadre d'un tel groupement par un médecin libéral qui en est membre n’est pas au nombre des compétences que ce code attribue aux instances ordinales.

Doit donc être confirmée l’annulation par la cour administrative d’appel d’une décision rendue incompétemment par le Conseil demandeur à la cassation.

 (2 mars 2020, Conseil national de l'ordre des médecins (CNOM), n° 418219)

 

92 - Médecins - Procédure disciplinaire - Composition de la juridiction disciplinaire - Absence d’irrégularité - Cassation de la décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins et renvoi à celle-ci.

Commet une erreur de droit la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins qui juge irrégulière la composition de la chambre disciplinaire de première instance au motif qu'y a siégé un membre du conseil départemental de l'ordre des médecins l'ayant saisi de la plainte, alors qu'elle relevait que ce membre n'avait pas pris part à la délibération au terme de laquelle il avait été décidé de porter plainte.

(25 mars 2020, M. X., n° 415755)

 

93 - Chirurgiens-dentistes - Remboursements des soins - Tarification différente des remboursements selon que les soins sont dispensés par des praticiens conventionnés ou par des praticiens non-conventionnés - Atteinte au principe de libre choix du praticien - Atteinte à la liberté d'exercice et à la liberté contractuelle des praticiens - Non-respect du principe d’égalité - Absence - Rejet.

Les requérants, chirurgiens-dentistes, demandaient l’annulation de la décision implicite par laquelle le premier ministre et le ministre des solidarités et de la santé ont rejeté leur demande tendant à l'abrogation de l'arrêté interministériel (affaires sociales, DOM-TOM, économie et finances, agriculture) du 9 mars 1966 fixant les tarifs d'honoraires des praticiens et auxiliaires médicaux applicables en l'absence de convention pour les soins dispensés aux assurés sociaux.

En bref, il était soutenu que la différence entre les taux de remboursements des soins selon qu’ils sont effectués par des praticiens conventionnés ou par des praticiens non-conventionnés étant considérable, elle portait atteinte au principe du libre choix du praticien par le patient, nécessairement dissuadé par les débours restant à sa charge, par suite, il était également porté atteinte à la liberté d’exercice des praticiens, - cet exercice ne pouvant concerner, pour eux, qu’une faible partie de la population -, comme à leur liberté contractuelle sauf à passer sous les fourches caudines de la tarification conventionnée. Enfin, l’ampleur de l’écart entre les deux taux de remboursement serait telle qu’elle constitue une violation du principe d’égalité.

Le Conseil d’État balaie (c’est à dessein qu’est employé ici ce verbe) prestement ces arguments au moyen d’une motivation classique.

L’acceptation, ou non, de participer à la convention résulte d'un choix librement exercé par le professionnel.  Dès lors que les médecins qui sont conventionnés sont soumis au respect d'un ensemble étendu d'obligations à l'égard des organismes et des assurés sociaux, ce qui n’est pas le cas pour les praticiens non conventionnés, les deux catégories ne sont pas dans une situation comparable. Semblablement, les patients qui choisissent librement de s’adresser à des praticiens hors convention le font librement et en connaissance de cause quant au remboursement.

Il n’y a donc, du fait d’une tarification différenciée très marquée des remboursements, nulle atteinte ni au principe d’égalité entre praticiens ni au principe d’égalité entre patients. Les uns et les autres sont libres de se conventionner ou de s’adresser à un praticien conventionné.

(18 mars 2020, Association CCDELI38 Support et autres, n° 424958)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

94 - Article 7 de la Charte de l’environnement - Art. L. 311-5 du code l’énergie - Exploitation d’une installation produisant de l’électricité - Information et participation du public - Absence - Renvoi au C.C.

Le Conseil d’État juge nouvelle et de caractère sérieux la question de savoir si les dispositions  de l'article L. 311-5 du code de l'énergie ne portent pas atteinte à l’art. 7 de la Charte de l’environnement - compte tenu de ce que l'autorisation d'exploiter une installation de production d'électricité est susceptible d'avoir une incidence directe et significative sur l'environnement, eu égard notamment au choix du mode de production d'électricité à laquelle cette décision procède -, particulièrement s’agissant  des principes d'information et de participation du public en matière environnementale garantis par cet article faute de prévoir une procédure d'information et de consultation du public, l'article L. 120-1-1 du code de l'environnement, devenu l'article L. 123-19-2 du même code, n'étant pas en vigueur à la date du litige. La question est renvoyée au Conseil constitutionnel.

(4 mars 2020, Association Force 5, n° 434742)

Responsabilité

94 bis - Responsabilité hospitalière - Erreur de diagnostic - Accident vasculaire cérébral - Perte de chance - Evaluation - Erreur de droit - Cassation.

Faisant droit à la requête de l’ONIAM tendant à l’annulation de l’arrêt que l’Office contestait, le Conseil d’Etat juge que commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui estime que l'erreur de diagnostic commise par un centre hospitalier et l'omission consécutive de prescrire de l'aspirine à la victime lui avait causé un préjudice de perte de chance de 10% d'éviter la récidive, quelques jours plus tard, de cet accident vasculaire cérébral. En effet, la cour est parvenue à ce pourcentage en se fondant sur ce que la prescription d'aspirine permet d'éviter en moyenne 65 % des récidives d'accident vasculaire cérébral et sur ce que le risque général de récidive de ce type d'accident est évalué à 15 %.

C’est donc par suite d’une erreur de droit que, sur la base de ses propres constatations, la cour n’a pas retenu que sans l’erreur de diagnostic, la récidive avait 65 % de chances de ne pas se produire.

(18 mars 2020, Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), n° 422999)

Sport

 

95 - Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) - Autorité publique indépendante - Détention d’un pouvoir disciplinaire - Pouvoir de poursuite appartenant au collège - Pouvoir de sanction appartenant à la commission des sanctions - Organisme non juridictionnel exerçant des pouvoirs juridictionnels - Conséquences - Office du juge administratif - Réformation et extension du champ d’application de la décision attaquée.

Un sportif, licencié de cyclocross, qui avait été inscrit par un préleveur agréé et assermenté de l'AFLD sur la liste des coureurs soumis à un contrôle antidopage, ne s’y est pas présenté. L'organe disciplinaire d'appel de lutte contre le dopage de la Fédération sportive et gymnique du travail a prononcé à son encontre la sanction d'interdiction de participer pendant quatre ans aux manifestations sportives organisées ou autorisées par cette fédération et a transmis le dossier à l'AFLD, notamment en vue d'étendre les effets de la sanction aux activités relevant d'autres fédérations sportives.

La commission des sanctions de l'AFLD a réformé la décision de la Fédération sportive et gymnique du travail et prononcé à l'encontre de l’intéressé une sanction d'interdiction de participer pendant quatre ans aux manifestations sportives organisées ou autorisées par cette fédération ainsi qu'à leur organisation et à leur déroulement, complétée par une sanction financière de 2 000 euros et par la publication d'un résumé de sa décision sur le site Internet de l'AFLD et sur ceux de la Fédération sportive et gymnique du travail et de la Fédération française de cyclisme.

La présidente de l'AFLD saisit le Conseil d’État d’un recours contre cette décision en tant qu'elle ne limite l'interdiction prononcée qu’aux manifestations relevant de la seule Fédération sportive et gymnique du travail.

La réponse du juge est importante sur deux points au moins qui retiendront particulièrement l’attention des juristes et des spécialistes sportifs : le statut de la commission des sanctions de l’AFLD et le sort de la sanction litigieuse.

 

I. Sur la commission des sanctions de l’AFLD

 

Tout d’abord, est rappelée l’organisation interne de l’AFLD particulièrement concernant la distinction entre le collège (qui exerce des fonctions de poursuite) et la commission des sanctions (qui exerce des fonctions de sanction). Ensuite, en raison de l’indépendance fonctionnelle dont jouit cette commission afin d’assurer son impartialité, le Conseil d’État décide que, se prononçant sur d'éventuelles sanctions « et alors même qu'elle ne constitue pas une juridiction, (elle) est investie, compte tenu de l'objet de son intervention ainsi que de sa composition et de son fonctionnement, de fonctions de jugement ». Si l’on reconnaît bien là les critères utilisés habituellement par le Conseil d’État pour détecter la nature juridictionnelle d’un organisme, on hésite devant la complication instaurée par la reconnaissance d’une fonction juridictionnelle à une entité non juridictionnelle. On a carrément vu plus simple…

Enfin, de cette qualification des décisions de la commission des sanctions, le juge tire cette conséquence qu’elle ne peut se voir reconnaître la qualité de partie dans les litiges portant sur les décisions de sanction qu'elle a prises. Tel est notamment le cas lorsque, comme en l’espèce, est en cause une requête introduite par la présidente de l'AFLD. Ceci n’empêche nullement cependant, conformément au droit commun procédural, que le juge administratif, dans le cadre de ses pouvoirs d'instruction, appelle en la cause la commission des sanctions en qualité d'observateur, ce qui la dispense alors du ministère d’avocat.

 

 

II. Sur la sanction prononcée.

 

Ce point de la décision commentée est une parfaite illustration des pouvoirs qui sont ceux du juge de la pleine juridiction.

Dans la mesure où l’objet du recours était de faire juger le caractère insuffisant de la sanction infligée en l’espèce au cycliste, le juge devait donc se prononcer sur son quantum ce qui n’est pas forcément une appréciation aisée.

Pour fonder sa décision, le juge retient ici qu’il s’agissait d’un coureur expérimenté n’ignorant ni ses obligations ni leur sanction possible en cas de non-respect et que son comportement constitue « un manquement caractérisé à l'éthique sportive et à la règlementation de la lutte contre le dopage, susceptible de compromettre la bonne tenue de l'ensemble des compétitions cyclistes ».

Il estime qu’en conséquence, après avoir relevé ces éléments, la commission des sanctions de l’AFLD ne pouvait pas limiter comme elle l’a fait la sanction infligée sans porter atteinte à l'effet utile du dispositif de lutte antidopage.

C’est pourquoi, donnant satisfaction à la demande contenue dans la requête de la présidente de l’AFLD, mais soucieux de respecter le principe de proportionnalité, il décide que s’il n'y a pas lieu d'étendre l'interdiction prononcée à l'encontre de l’intéressé aux manifestations des fédérations sportives qui n'organisent pas de compétitions de cyclisme, il y a lieu, en revanche, de l'étendre à celles qui sont organisées ou autorisées par la Fédération française de cyclisme, la Fédération française de cyclotourisme, la Fédération française de triathlon, la Fédération sportive et culturelle de France, la Fédération française du sport d'entreprise et l'Union française des œuvres laïques d'éducation physique, ainsi qu'aux entraînements y préparant, mais en en limitant la durée à celle qui reste à courir.

En outre, est ordonnée la mention de la présente décision présente décision, en sus des sites internet de l'AFLD, de la fédération sportive et gymnique du travail et de la fédération française de cyclisme, comme déjà décidé par la commission des sanctions, sur les sites internet des autres fédérations pour lesquelles l'interdiction s'applique.

(20 mars 2020, Présidente de l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), n° 429427)

 

96 - Football - Championnat de France de Ligue 2 - Classement final - Relégation d’un club en National 1 - Acte non réglementaire - Absence de compétence du Conseil d’État en premier et dernier ressort - Renvoi au tribunal administratif.

Le club requérant demandait au Conseil d’État l’annulation pour excès de pouvoir de la décision par laquelle le conseil d'administration de la Ligue de football professionnel a homologué le classement final du championnat de France de Ligue 2 pour la saison 2018-2019 le reléguant en National 1.

Pour dire le recours porté à tort directement devant lui, le Conseil d’État rappelle que la décision arrêtant le classement d'une compétition sportive ne constitue pas un acte réglementaire et, par suite, n'entre pas dans le champ du 2° de l'article R. 311-1 du CJA qui confère au Conseil d’État compétence pour connaître en premier et dernier ressort : « (...) 2° Des recours dirigés contre les actes réglementaires des ministres et des autres autorités à compétence nationale et contre leurs circulaires et instructions de portée générale ».

L’affaire est renvoyée au tribunal administratif de Paris dans le ressort duquel a son siège la Ligue auteur de la décision attaquée.

(25 mars 2020, Société AS Béziers, n° 432533)

 

Urbanisme

 

97 - Permis de construire une terrasse temporaire sur le domaine public maritime - Terrasse érigée durant six mois chaque année - Installation « liée aux pratiques balnéaires » - Commerce existant depuis plus de cinquante ans - Annulation du permis reposant sur une inexacte qualification juridique des faits - Cassation avec renvoi.

Commet une erreur dans la qualification juridique des faits la cour administrative d'appel qui, pour juger irrégulier l’octroi d’un permis de construire temporaire sur le domaine public maritime délivré à une structure de restauration située sur une plage, estime que cette dernière ne devait pas être regardée comme « une installation liée aux pratiques balnéaires » au sens de l'article N 2 du règlement du PLU communal alors qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que le restaurant de plage exploité par la société requérante participe depuis plus de cinquante ans à l'animation de la plage sur laquelle il est implanté.

Il faut saluer le triomphe, ici, du bon sens et de l’équité.

 (2 mars 2020, SARL Resto Plage, n° 411056)

 

98 - Permis de construire - Loi littoral - Urbanisation des espaces proches du rivage - Caractère limité de l’urbanisation - Application des dispositions du PLU - Existence d’un SCoT - Effets - Rejet.

Dans un litige portant sur l’octroi d’un permis de construire 352 logements dans une zone boisée proche du littoral, se posait la question de savoir quelle incidence avait sur ce permis l’existence d’un schéma de cohérence territoriale (SCoT).

Le Conseil d’État rappelle le principe issu de ce qu’étaient alors  les dispositions combinées  du II de l'article L. 146-4 et du I de l'article L. 111-1-1 du code de l'urbanisme, dont la  substance est désormais reprise, respectivement, aux articles L. 121-13 et L. 131-1 de ce code : une opération conduisant à étendre l'urbanisation d'un espace proche du rivage ne peut être légalement autorisée que si elle est, d'une part, de caractère limité, et, d'autre part, justifiée et motivée dans le plan local d'urbanisme (PLU) selon les critères retenus par les dispositions précitées.

Dans le cas où existe un SCoT ou quelque autre des schémas figurant au II de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme, le caractère limité de l'urbanisation qui résulte de  l’opération envisagée  s'apprécie en tenant compte des dispositions de ce schéma lorsqu’ il comporte des dispositions qui, à la fois, sont suffisamment précises et compatibles avec les dispositions législatives précitées et précisent les conditions de l'extension de l'urbanisation dans l'espace proche du rivage dans lequel l'opération est envisagée.

(11 mars 2020, Confédération Environnement Méditerranée, n° 419861 ; Comité de défense des intérêts locaux de Balaguier, Le Manteau, L'Eguillette, n° 419862, jonction) V. aussi au n° 21

 

99 - Permis de construire - Participation du pétitionnaire d’un permis de construire pour non-réalisation d’aires de stationnement - Nature juridique de cette participation - Obligation en résultant pour la commune - Preuve de la satisfaction de l’obligation par la commune - Cassation avec renvoi.

Le code de l’urbanisme prévoit que le pétitionnaire d’un permis de construire a l’obligation de réaliser des aires de stationnement en rapport avec les besoins de stationnement qui vont résulter de la construction qu’il entend édifier. Lorsqu’il ne peut réaliser lui-même ces aires il doit verser à la commune une participation selon le barème fixé par le conseil municipal (art. L. 421-3 c. urb.) sous un plafond légal variant chaque année le 1er novembre en fonction de l’indice INSEE de la construction.

Il est fait obligation à la commune d’affecter les sommes ainsi obtenues à la réalisation, dans les cinq ans, d’un parc public de stationnement. A défaut, peut être demandée la restitution de la participation assortie des intérêts ayant couru depuis son versement.

C’est ce qui est arrivé en l’espèce et a donné lieu au litige objet de la présente décision, s’agissant de déterminer le régime de la preuve par la commune de l’affectation effective de chacune des participations reçues à la réalisation du parc de stationnement.

La cour administrative d’appel avait estimé que, faute qu'elle ait été précisément retracée dans les documents budgétaires de la commune, cette dernière ne rapportait pas la preuve, qui lui incombait, de l’affectation de la participation versée. Elle a, en conséquence, ordonné à la commune sa restitution.

Pour casser cet arrêt, sur pourvoi de la commune, le Conseil d’État - après avoir rappelé que « la participation pour non-réalisation d'aires de stationnement doit être regardée, non comme une imposition, mais comme une participation que la loi (…) autorise la commune à percevoir sur le bénéficiaire du permis de construire à raison des équipements publics dont la réalisation est rendue nécessaire par la construction » - a jugé que si cette preuve d’affectation des sommes versées doit être en principe établie par les documents budgétaires de la commune, dans le respect du cadre budgétaire et comptable applicable, « la commune peut cependant en justifier par tout moyen ».

L’arrêt déféré est donc cassé pour erreur de droit.

(11 mars 2020, Commune d’Arpajon, n° 421445)

 

100 - Urbanisme commercial - Avis de la Commission nationale d’aménagement commercial (CNAC) - Nature juridique - Acte préparatoire - Acte insusceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir - Recours irrecevable - Rejet.

Si les actes de la CNAC en matière de permis de construire d’une installation commerciale ont longtemps eu le caractère de décisions, il résulte désormais depuis l’entrée en vigueur, le 15 février 2015, de l'article L. 425-4 du code de l'urbanisme, qu’ils ne constituent plus que des avis. Ils ont donc le caractère d'un acte préparatoire à la décision prise par l'autorité administrative sur la demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale. Seule cette dernière décision - de caractère explicite ou implicite selon les cas - est susceptible de recours contentieux sans qu’il y ait lieu de s’arrêter au point de savoir si l'avis de la CNAC a été favorable ou défavorable au projet.

C’est donc sans erreur de droit qu’en l’espèce il a été jugé par la cour administrative d’appel que la requête formée par la demanderesse contre l'avis défavorable de la CNAC était dirigée contre un acte insusceptible de faire l'objet d'un recours et donc qu’elle était manifestement irrecevable. 

(25 mars 2020, Société « Le Parc du Béarn », n° 409675 ; v. cependant la solution retenue durant la période transitoire précédant l’application des nouvelles dispositions, par la décision du 25 mars 2020, Société Guignard Promotion, n° 416731, dans les deux cas où 1°) la décision prise sur la demande de permis de construire est intervenue avant le 15 février 2015 et où 2°) la commission départementale d'aménagement commercial ayant été saisie d'une demande d'autorisation d'aménagement commercial avant le 15 février 2015, l'autorité administrative n'a pas encore été saisie d'une demande de permis de construire à la date à laquelle la CNAC s'est prononcée défavorablement sur le projet.  

Dans ces deux hypothèses, seul l'acte par lequel la CNAC s'est prononcée défavorablement peut faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif en tant qu'acte valant refus d'autorisation commerciale. Dans ces cas, et par exception à la règle nouvelle entrée en vigueur le 15 février 2015, le permis de construire ne peut corrélativement faire l'objet d'un recours qu'en tant qu'il vaut autorisation de construire.)

 

101 - Permis de construire - Projet portant atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants (art. R. 111-27 c. urb.) - Projet n’affectant que l’ensoleillement - Inapplicabilité de l’art. R. 111-27 c. urb. - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

Le permis de construire un immeuble de 39 logements est annulé par un tribunal administratif pour violation des dispositions de l’art. R. 111-27 c. urb. car son implantation aurait pour conséquence, en raison d'une baisse de l'ensoleillement, d'altérer les conditions de fonctionnement d’après les principes architecturaux dits bioclimatiques selon lesquelles elle a été réalisée en 1987, d'une maison implantée à proximité.

Relevant que cet article permet éventuellement de prohiber ou de n’accorder que sous réserve de prescriptions particulières les permis portant sur des projets permettant d’édifier des « constructions (qui), par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales. »,  le Conseil d’État juge à raison  que le tribunal  a commis une erreur de droit sur le sens et la portée de ce texte.

Toutefois, cette décision doit attirer l’attention sur le régime juridique des atteintes à l’ensoleillement. Celles-ci ne sont guère sanctionnées par les juges lorsqu’elles sont invoquées. Le développement de préoccupations d’économies d’énergie dans la conception et la construction nouvelles des immeubles, fondées précisément sur la captation au mieux de l’ensoleillement, devraient conduire à des modifications de la jurisprudence. En ce cas, en effet, le régime d’ensoleillement s’incorpore si substantiellement à l’édifice qu’il ne peut plus être traité comme un simple élément de confort, d’esthétique ou d’agrément mais participe à la fonctionnalité même de l’ouvrage. De plus, lorsque de tels édifices ont été construits avec l’apport de subventions en relation avec ces préoccupations d’ensoleillement, la diminution significative de celui-ci au regard des objectifs initialement poursuivis est de nature à engager la responsabilité du concepteur, du constructeur et du propriétaire de l’immeuble « occultant ».

(13 mars 2020, Société Cogédim Grand Lyon, n° 427408)

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