Sélection de jurisprudence du Conseil d'État
Mai 2023
Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse
1 - Décision faisant grief - Courrier d’un maire à une préfète - Demande de communication d’analyses sanitaires - Refus - Annulation.
Par un courrier du 16 novembre 2017 le maire de Maincy a interrogé la préfète de Seine-et-Marne sur les actions engagées par la préfecture pour évaluer la pollution persistante liée à la présence de poussières de dioxine sur le territoire de sa commune due à l'ancien incinérateur. Puis, par un second courrier, du 11 décembre 2017, le maire a demandé à la préfète de lui transmettre le résultat d'analyses ainsi que, sur le fondement des dispositions de l'article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales relatives à son pouvoir de police, pour solliciter son assistance afin de prendre toutes mesures nécessaires à la protection de la population.
Contrairement à ce qu’avaient jugé les juridictions du fond, le Conseil d’État considère que, eu égard au contexte dans lequel il s'inscrivait, ce courrier du maire doit être regardé comme sollicitant la préfète, qui avait compétence pour ce faire dans le cadre de ses pouvoirs de police résultant des art. L. 2212-1 et L. 2215-8 du CGCT, pour que des analyses complémentaires du risque sanitaire soient menées et que des mesures de protection de la population soient le cas échéant prises, de sorte que la réponse qui lui a été adressée par la préfète le 6 février 2018, faisant état des analyses déjà effectuées, révélait un refus de faire droit à la demande de la commune, susceptible d'être contesté devant le juge administratif.
C’est donc par une qualification inexacte des faits que la cour administrative d’appel a rejeté le recours de la commune motif pris de ce que, contenant une simple information à l'attention du maire, le courrier en réponse de la préfète de Seine-et-Marne du 6 février 2018 n'avait pas le caractère d'une décision faisant grief susceptible de recours.
(10 mai 2023, Commune de Maincy, n° 456488)
2 - Lettre de la Caisse des dépôts et consignations - Suspension du paiement des frais pédagogiques d’un organisme de formation - Acte faisant grief - Qualification inexacte des faits - Annulation de l’arrêt d’appel.
Qualifie inexactement les faits de l’espèce et encourt l’annulation l’arrêt jugeant que ne fait pas grief la lettre par laquelle la Caisse des dépôts et consignations informe la requérante « que, compte tenu des pratiques frauduleuses récurrentes que les investigations conduites sur ses demandes de paiements au titre de ce droit à la formation avaient mises en évidence, ayant donné lieu à un signalement au procureur de la République, elle suspendait le paiement des frais pédagogiques que son organisme avait présentés ou présenterait au titre de ces formations et qu'en conséquence, elle ne pourrait davantage donner une suite favorable aux demandes de prises en charge de financement pour les formations assurées par celui-ci. »
(12 mai 2023, Sarl Formaeco, n° 462789)
3 - Prix des médicaments - Refus d’accorder la hausse demandée du prix de médicaments - Baisse unilatérale de leur prix - Décisions du Comité économique des produits de santé - Obligation de motivation - Rejet.
(12 mai 2023, Société Teofarma, n° 461115 et n° 461176)
V. n° 115
4 - Désignation d’un membre du gouvernement en qualité de garde des sceaux - Demande d’annulation - Acte de gouvernement - Incompétence de la juridiction administrative - Rejet.
Saisi d’une demande d’annulation du décret nommant, parmi les membres du gouvernement, M. Éric Dupont-Moretti en qualité de garde des sceaux, le Conseil d’État la rejette car la juridiction administrative ne saurait connaître de la légalité des actes relatifs aux rapports d'ordre constitutionnel institués entre le président de la république, le premier ministre et le gouvernement, au nombre desquels figure le décret relatif à la composition du Gouvernement. C’est le rappel d’une solution classique en matière d’acte de gouvernement.
(24 mai 2023, M. B., n° 465976)
(5) V. aussi, rejetant pour défaut d’intérêt pour agir de son auteur, le recours en annulation du décret du 2 juin 2022 pris en application de l'article 2-1 du décret du 22 janvier 1959 relatif aux attributions des ministres, qui établit une liste des actes relevant des attributions du garde des sceaux, ministre de la justice, dont celui-ci ne connaît pas et qui sont exercées par le premier ministre : 24 mai 2023, M. A., n° 466446.
Audiovisuel, informatique et technologies numériques - Intelligence artificielle
6 - Antenne de téléphonie mobile - Couverture du territoire national - Intérêt public - Justificatif de l’urgence - Suspension ordonnée.
Rappel, dans le cadre d’un référé suspension dirigé contre un arrêté municipal refusant l’installation d’une antenne de téléphonie mobile, que eu égard à l'intérêt public qui s'attache à la couverture du territoire national par le réseau de téléphonie mobile tant 3G que 4G et à la finalité de l'infrastructure projetée, la condition d'urgence doit être regardée comme remplie.
(11 mai 2023, Société ATC France, n° 464106)
Biens et Culture
7 - Vente d’une parcelle du domaine privé communal - Appel à candidatures - Promesse unilatérale de vente sous réserve d’obtention d’un permis de construire - Caducité - Cession à un tiers - Caractère parfait de la vente antérieure - Erreur de droit - Annulation.
Une commune lance un appel d’offres en vue de la cession d’une parcelle de son domaine privé et retient, par une délibération du 1er octobre 2015, l’offre de M. C. avec lequel elle conclut, le 30 décembre 2015, une promesse unilatérale de vente courant jusqu'au 30 septembre 2016 pour un prix de 668 000 euros, sous réserve de l'obtention par celui-ci, dans ce délai, d'un permis de construire un ou plusieurs bâtiments à usage d'habitation individuelle ou collective. Faute pour ce dernier de justifier dans ce délai avoir obtenu un permis de construire, la commune, par délibération du 31 janvier 2017, a cédé la parcelle à M. A. au prix de 467 000 euros.
M. C. se pourvoit en cassation de l’arrêt qui a confirmé le rejet de sa demande d’annulation de la délibération du 31 janvier 2017.
Le requérant soutient que cette délibération n'a pas pu légalement procéder à la vente à M. A. de la parcelle litigieuse en raison du caractère créateur de droits à son profit de la délibération du 1er octobre 2015. Pour rejeter cette argumentation la cour avait relevé que la promesse unilatérale de vente consentie à l'intéressé le 30 décembre 2015 était devenue caduque, faute d'obtention d'un permis de construire dans le délai imparti.
Le Conseil d’État est à la cassation au visa des art. 1582 (« La vente est une convention par laquelle l'un s'oblige à livrer une chose, et l'autre à la payer ») et 1583 (« (la vente) est parfaite entre les parties, et la propriété acquise de droit à l'acheteur à l'égard du vendeur, dès qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n'ait pas encore été livrée ni le prix payé ») du Code civil. Il tire de là que la cour a commis une erreur de droit pour n’avoir pas recherché si la délibération du 1er octobre 2015 retenant l'offre de M. C. parmi celles formées par les différents candidats à l'acquisition, dont elle a relevé qu'elle « avait autorisé cette vente à M. C. », traduisait, eu égard à ses termes, l'existence d'un accord entre la commune et ce dernier sur la chose et le prix de nature à caractériser une vente parfaite.
En l’espèce, la vente pourrait sembler être une obligation conditionnelle (cf. art. 1304 C. civ.) puisque dépendant de la réalisation d’un événement futur - le permis de construire n’existe pas au moment de la vente - et incertain - on ne sait pas si le permis de construire sera ou non accordé. Cette condition serait donc ici suspensive puisque l’accomplissement de la condition rend l’obligation pure et simple, à la différence de l’obligation résolutoire où l’accomplissement de la condition entraîne l’anéantissement de l’obligation (cf. art. 1304, 1304-3 à 1304-7 C. civ.). Toutefois, il est de principe que les conditions liées à une autorisation administrative, tel, comme en l’espèce, l’octroi d’un permis de construire, ne sont suspensives de l’obligation que dans le cas où l’autorisation est une condition de la validité du contrat car elle lui donne alors son plein effet (ainsi d’un arrêté de lotir qui exerce un effet rétroactif sur le contrat), tel n’est pas le cas ici où l’obtention d’un permis de construire n’est point une condition de la validité de l’acte de vente ainsi qu’il résulte des dispositions précitées du Code civil (Sur ces points, voir : J.-C. Ricci et F. Lombard, Droit administratif des obligations, Sirey, LMD, 2018, p. 424 et s., spécialt § 840).
(12 mai 2023, M. C., n° 465482)
8 - Expulsion d’occupants sans titre du domaine public - Procédure de l’art. L. 521-3 du CJA - Dispense de la tenue d’une audience publique - Gravité de la mesure - Obligation de permettre des observations orales - Annulation.
Dans une instance en expulsion d’occupants sans titre du domaine public fondée sur les dispositions de l’art. L. 521-3 du CJA, le Conseil d’État rappelle à nouveau que si ce texte institue un référé pour lequel n’est pas prévue la tenue d’une audience publique, toutefois, s’agissant d’une demande d'expulsion d'un occupant du domaine public, le juge doit, eu égard au caractère quasi-irréversible de la mesure qu'il peut être conduit à prendre, aux effets de celle-ci sur la situation des personnes concernées et dès lors qu'il se prononce en dernier ressort, mettre les parties à même de présenter, au cours d'une audience publique, des observations orales à l'appui de leurs observations écrites.
Faute que cela ait eu lieu en l’espèce, l’ordonnance est frappée de cassation.
Pour la bonne cause certes, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une réécriture partielle de la loi par le juge.
(12 mai 2023, Société Gaumar et M. B., n° 467034)
Contrats
9 - Contrats publics - Pratiques anticoncurrentielles - Action en réparation du préjudice subi par la personne publique - Modification du régime de la prescription - Participation à l’action anti-concurrentielle d’organes de la collectivité - Point de départ du délai de la prescription - Rejet.
La région d'Île-de-France a lancé un programme de rénovation et de reconstruction des lycées dont elle a la charge et conclu, entre 1988 et 1997, 241 marchés publics, dont 101 marchés d'entreprises de travaux publics (les célèbres et vilipendés METP), pour un coût global de 23,3 milliards de francs, soit plus de 3,5 milliards d'euros.
D’une part, par un arrêt du 27 février 2007, devenu définitif, la cour d'appel de Paris a confirmé la condamnation de plusieurs préposés d'entreprises attributaires de ces marchés ainsi que d'élus et autres personnes, dont le président du conseil régional d'Île-de-France, tous reconnus coupables notamment de participation personnelle et déterminante à une entente anticoncurrentielle en vue de l'attribution de ces marchés et condamné les intéressés à verser à la région d'Ile-de-France, partie civile, la somme de 100 000 euros à titre de réparation de son préjudice moral.
D’autre part, parallèlement à la procédure pénale, le Conseil de la concurrence, qui s'était saisi d'office de faits portant sur 90 de ces marchés, a sanctionné, par une décision confirmée par un arrêt devenu définitif, de la cour d'appel de Paris, l'entente anticoncurrentielle mise en place par les entreprises attributaires des marchés en cause, retenant l'implication de plusieurs sociétés de travaux publics et infligé à la plupart d'entre elles des sanctions pécuniaires.
La région d'Île-de-France a ensuite engagé une action en responsabilité à l'encontre de ces entreprises devant le tribunal de grande instance de Paris en vue d’obtenir réparation de son préjudice matériel résultant de ces pratiques. Le Tribunal des conflits a jugé, par une décision du 16 novembre 2015, que cette action relevait de la compétence de la juridiction administrative.
Le tribunal administratif a estimé prescrite l’action à fins indemnitaires de la région mais la cour administrative d’appel a jugé le contraire, retenu la responsabilité de certaines entreprises pour les deux tiers du préjudice subi et celle de la région pour un tiers et ordonné une expertise en vue que soit évalué le préjudice.
Le Conseil d’État était saisi de deux pourvois, celui, principal, des entreprises condamnées et celui, incident, de la région contestant l’admission de sa responsabilité partielle.
C’est la modification des règles de la prescription en matière civile par la loi du 17 juin 2008, spécialement des art. 2224 et 2270-1 du Code civil, combinées à celles gouvernant l’action en dommages et intérêts du fait de pratiques anticoncurrentielles, régies par notamment par les art. L. 481-1 et L. 482-1 du code de commerce, issus d’une ordonnance du 9 mars 2017, qui sont au cœur du débat puisque, comme l’indique la narration ci-dessus, les faits se sont étendus sur une période commençant avant la loi de 2008 et s’achevant après. Ensuite, devait être réglée la question des responsabilités et de leur partage.
Le juge de cassation approuve entièrement la solution retenue par la cour administrative d’appel.
I - Tout d’abord, concernant la prescription.
Le juge rappelle que la réforme du Code civil introduite par la loi précitée de 2008 a eu pour effet de ramener de dix ans à cinq ans la prescription des actions personnelles ou mobilières, à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. Par ailleurs, depuis l’entrée en vigueur des dispositions de l’ordonnance du 9 mars 2017, relative aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles, s’appliquent les dispositions de l'art. L. 482-1 du code de commerce selon lesquelles le délai de prescription de cinq ans « commence à courir du jour où le demandeur a connu ou aurait dû connaître de façon cumulative :
1° Les actes ou faits imputés à l'une des personnes physiques ou morales mentionnées à l'art. L. 481-1 et le fait qu'ils constituent une pratique anticoncurrentielle ;
2° Le fait que cette pratique lui cause un dommage ;
3° L'identité de l'un des auteurs de cette pratique.
Toutefois, la prescription ne court pas tant que la pratique anticoncurrentielle n'a pas cessé.
(...) ».
Le Conseil d’État déduit de cet ensemble législatif que le délai de prescription « ne peut commencer à courir avant la date à laquelle la personne publique a eu connaissance de manière suffisamment certaine de l'étendue des pratiques anticoncurrentielles dont elle a été victime de la part des titulaires des marchés. Dans l'hypothèse où le préjudice de la personne publique résulte de pratiques auxquelles ses organes dirigeants ont participé, de sorte qu'en raison de leur implication elle n'a pu faire valoir ses droits à réparation, la prescription ne peut courir qu'à la date à laquelle, après le remplacement de ses organes dirigeants, les nouveaux organes dirigeants, étrangers à la mise en œuvre des pratiques anticoncurrentielles, acquièrent une connaissance suffisamment certaine de l'étendue de ces pratiques. »
En effet, l’un des éléments-clés de ce dossier vient de ce qu’une partie des membres des organes dirigeants de la région étaient complices, sinon même instigateurs, des pratiques anti-concurrentielle dommageables pour la collectivité.
Appliquant ces éléments au cas de l’espèce, le Conseil d’État approuve tout d’abord la cour d’avoir jugé, sans erreur de droit, ni dénaturation des pièces du dossier, que si la région a soutenu, dans son assignation formée devant le tribunal de grande instance en février 2010, que le point de départ du délai de prescription était le 9 octobre 1996, elle ne saurait se voir opposer les termes de cette assignation dans l’instance dont la cour administrative d’appel a été saisie.
Il l’approuve également d’avoir considéré, sans erreur de droit, que l'autorité de la chose jugée au pénal, qui ne s'impose, en principe, aux autorités et juridictions administratives qu'en ce qui concerne les constatations de fait que les juges répressifs ont retenues et qui sont le support nécessaire de leurs décisions, devait être écartée en l’espèce car n’était pas revêtue de l’autorité de chose jugée au pénal la date retenue par l'arrêt du 27 février 2007 de la cour d'appel de Paris comme point de départ du délai de prescription de l'action publique du fait qu’elle ne constitue pas une constatation de fait.
Enfin, c’est encore sans erreur de droit ou contradiction des motifs et en vertu de son pouvoir d’appréciation souveraine non entaché de dénaturation, que la cour a jugé qu'aucune des circonstances qu'elles a énumérées, antérieures à la décision du 9 mai 2007 du Conseil de la concurrence, et notamment pas celle tenant à l'implication d'élus et agents de la région dans la mise en œuvre de l'entente, ne permettait d'établir que la région aurait eu connaissance de manière suffisamment certaine de l'étendue des pratiques anticoncurrentielles dont elle a été victime, pour en déduire que la prescription décennale de l'action en responsabilité contre les titulaires des marchés en cause n'a commencé à courir qu'à compter de cette date et qu'ainsi l'action de la région n'était pas prescrite lorsqu'elle a saisi la juridiction judiciaire en février 2010, ce qui a eu pour effet d'interrompre la prescription, puis a estimé que certains élus et agents de la région, en favorisant les pratiques anticoncurrentielles, avaient commis des fautes non détachables du service, engageant la responsabilité de la région et donc susceptibles d'exonérer partiellement de leur responsabilité les requérantes.
II - Ensuite, concernant la question des responsabilités.
La cour est approuvée d’avoir jugé :
- sans erreur de qualification juridique, que les requérantes avaient participé à la constitution et au fonctionnement de l'entente anticoncurrentielle et que les fautes qu'elles avaient commises présentaient un lien direct avec l'éventuel surcoût supporté par la région ;
- sans avoir inexactement qualifié les faits de l’espèce, que les fautes commises par les personnels de la région n’étaient pas détachables du service, et, sans dénaturation des faits dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation, que ces fautes étaient de nature à exonérer les requérantes d'un tiers de leur responsabilité à l'égard de la région.
(Section, 9 mai 2023, Société Gespace France, n° 451710 ; Sociétés Spie Batignolles et Spie Opérations et Mme C., n° 451839 ; Société Nord France Boutonnat, n° 451862, jonction)
(10) V. aussi très voisine de l’espèce précédente avec des protagonistes différents en sus de la région d’Île-de-France : Section, 09 mai 2023, Société Eiffage Construction et Société Fougerolle, n° 451817 ; Société de participations et de gestions immobilières (SPGI), n° 451836 ; M. F., n° 451899
Droit du contentieux administratif
11 - Exécution des décisions du juge administratif - Notion - Exécution tardive ne justifiant pas la liquidation d’une astreinte - Rejet.
Par une décision du 15 avril 2022 (n° 452905, cf. cette Chronique, avril 2022, n° 11), le Conseil d'État, après voir annulé la décision implicite par laquelle le premier ministre a refusé de prendre le décret d'application du cinquième alinéa de l'art. 75 de la loi du 4 mars 2002, en tant qu'il est relatif à la profession de chiropracteur, a enjoint à celui-ci de prendre ce décret dans un délai de six mois à compter de la notification de la décision et a prononcé à l'encontre de l'Tat une astreinte de 500 euros par jour de retard.
Constatant, sur avis de la section du rapport et des études du Conseil d’État, que le décret du 30 décembre 2022 relatif à la formation continue des chiropracteurs, a été publié au Journal officiel de la république française le 31 décembre 2022, soit soixante-dix-huit jours après l’expiration du terme qu’il avait fixé, le juge considère cependant que sa décision a été exécutée et qu’il n’y a pas lieu, dans ces circonstances, eu égard aux diligences accomplies, de procéder à la liquidation de l'astreinte prononcée à l'encontre de l'État.
Regrettons que ces 78 jours s’ajoutent aux 19 années s’étant écoulées entre la date de la loi et celle de la demande adressée par l’association requérante au premier ministre par sa lettre du 2 février 2021…
(04 mai 2023, Association française de chiropraxie, n° 452905)
12 - Notion de décision faisant grief - Courrier d’un maire à une préfète - Demande de communication d’analyses sanitaires - Refus - Décision faisant grief - Annulation.
(10 mai 2023, Commune de Maincy, n° 456488)
V. n° 1
13 - Recours en révision - Recours ouvert contre les décisions de refus d’admission des pourvois en cassation - Recours non ouvert contre certaines décisions juridictionnelles - Rejet.
Dès lors que le recours en révision peut être formé contre les décisions de refus d'admission des pourvois en cassation (art. R. 822-3 CJA), ainsi de la présente affaire, ne peut qu'être écarté le moyen tiré de ce que l'art.R. 834-1 du CJA, fixant les cas d’ouverture du recours en révision, méconnaîtrait les art. 6, paragraphe 1, et 13 de la convention EDH, en n'ouvrant pas la voie du recours en révision aux décisions des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel et aux décisions non-contradictoires du Conseil d'État.
(11 mai 2023, Société Armos, n° 462226)
14 - Octroi de la qualité de réfugiée par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) - Demande de révision par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) - Annulation.
(11 mai 2023, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 462259)
V. n° 85
15 - Productions postérieures à la clôture de l’instruction - Obligation de viser une note en délibéré - Règle générale applicable devant toutes les juridictions administratives - Cour nationale du droit d’asile (CNDA) - Omission - Annulation.
Rappel, à nouveau, de l’obligation, pour tout juge administratif - donc aussi pour la CNDA - saisi de productions, telle une note en délibéré, parvenues après la clôture de l’instruction et avant la lecture de la décision, d’en prendre connaissance et de les viser.
L’arrêt de la Cour est ici cassé pour n’avoir pas visé une note en délibéré remplissant les conditions de procédure requises pour l’être.
(11 mai 2023, M. A., n° 462237)
16 - Litige en réparation d’un préjudice imputable au service - Recours gracieux - Décision implicite de rejet - Décision explicite purement confirmative - Forclusion - Rejet.
Dans un litige en imputabilité au service d’une maladie, une fonctionnaire territoriale, après avoir formé, le 12 janvier 2016, un recours gracieux contre la décision du président du conseil départemental de reconnaître cette imputabilité et que ce recours a été rejeté par une décision implicite, a saisi la commission départementale de réforme. Après avis négatif de cette dernière, le président du conseil départemental a, par un second arrêté, réitéré son refus.
L’intéressée se pourvoit contre l’arrêt par lequel la cour administrative d'appel a rejeté son appel formé contre le jugement du tribunal administratif rejetant sa demande de reconnaissance d'imputabilité au service de sa maladie au motif que sa demande de première instance était tardive et par conséquent irrecevable.
La cour avait jugé que le silence gardé par le président du conseil départemental sur le recours gracieux de la requérante formé le 12 janvier 2016 avait fait naître une décision implicite de rejet le 14 mars 2016, laquelle ne pouvait être contestée que jusqu'au 17 mai 2016. Elle a relevé que le second arrêté, du 26 octobre 2016, du président du conseil départemental rejetant explicitement le recours gracieux de la requérante n'avait pas, en l'absence de demande ou circonstances de fait ou de droit nouvelles, rouvert un délai de recours contre la décision implicite de rejet du 14 mars 2016 qui était devenue définitive à cette date. Elle en a déduit que le recours contentieux formé par Mme A. le 3 mai 2017 devant le tribunal administratif de Nancy était tardif.
Le Conseil d’État rejette le pourvoi en l’absence d’erreur de droit de la cour : d’une part, en sa qualité d’agent titulaire de la fonction publique en activité, la requérante ne saurait se prévaloir de l'absence d'accusé de réception de son recours gracieux du 12 janvier 2016 par l'administration, et d’autre part, la seconde décision, du 26 octobre 2016, du président du conseil départemental était purement confirmative de sa décision implicite de rejet du 14 mars 2016, elle ne pouvait donc pas rouvrir le délai de recours contentieux.
(15 mai 2023, Mme A., n° 463055)
17 - Expulsion d’occupants sans titre du domaine public - Procédure de l’art. L. 521-3 du CJA - Dispense de la tenue d’une audience publique - Gravité de la mesure - Obligation de permettre des observations orales - Annulation.
(12 mai 2023, Société Gaumar et M. B., n° 467034)
V. n° 8
18 - Référé suspension - Appréciation de l’urgence - Requérant ayant tardé à saisir le juge - Aggravation brusque d’une situation non établie - Rejet.
Dans le cadre d’un litige portant sur le refus de reconnaître l’imputabilité au service de la pathologie affectant le requérant à la suite d’une chute sur son lieu de travail, ce dernier a saisi le juge des référés d’une demande de suspension d’exécution des arrêtés refusant de reconnaître cette imputabilité.
Il se pourvoit en cassation de l’ordonnance rejetant sa requête et son pourvoi est rejeté pour défaut d’urgence : il n’a saisi le juge des référés de trois arrêtés du 11 août 2021 et de quatre arrêtés du 15 novembre 2021 que le 9 novembre 2022 et s’il allègue une dégradation subite de sa situation financière, celle-ci ne ressort pas des pièces du dossier soumis au juge des référés.
(12 mai 2023, M. D., n° 469276)
19 - Référé liberté - Appréciation de l’urgence particulière à ce référé - Demande d’injonction en vue de la modification d’un décret - Régime de l’aide juridictionnelle devant le tribunal de police - Défaut d’urgence - Rejet.
Parce qu’est proche l’échéance de son jugement devant le tribunal de police, le requérant demande au Conseil d’État, par voie de référé liberté, d'enjoindre au ministre de la justice, au ministre de l'économie, ainsi qu'à la première ministre, de modifier et/ou de compléter, par toutes voies de droit, le décret du 28 décembre 2020 portant application de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, afin d'octroyer un droit à l'aide juridictionnelle au bénéfice des administrés faisant l'objet d'une contravention de la 1ère à la 4ème classe devant les tribunaux de police, et au bénéfice des administrés en phase précontentieuse, en vue de l'introduction d'un recours administratif préalable obligatoire avant saisine d'une juridiction administrative.
Pour justifier de l’urgence à statuer, le demandeur invoque, outre la proximité de l’audience devant le tribunal de police, sans d’ailleurs en préciser la date, qu’à défaut il serait porté atteinte au droit à un recours effectif. Ces éléments n’établissent en rien en quoi ses intérêts seraient gravement compromis faute pour le juge saisi d’avoir statué dans les quarante-huit heures.
L’urgence au sens de l’art. L. 521-2 CJA n’est pas n’importe quelle urgence.
(15 mai 2023, M. B., n° 473638)
20 - Référé liberté - Demande de suspension de la décision de limitation des soins et de communication du dossier médical de la patiente - Défaut d’urgence particulière - Recours partiellement sans objet - Rejet.
La requérante a saisi le juge du référé liberté du tribunal administratif d’une requête en vue, d’une part, que soit suspendue la décision d’un centre hospitalier de limiter les soins qui y sont donnés à sa mère, d’autre part, que lui soit communiqué le dossier médical de sa mère.
Elle interjette appel de l’ordonnance de rejet de ces deux demandes. Le Conseil d’État rejette à son tour ces demandes.
D’abord, s’agissant des soins, la requête, introduite devant le Conseil d’État le 09 mai 2023, était déjà sans objet puisque la mère de la requérante est décédée le 17 avril 2023. Ensuite, s’agissant de la communication du dossier médical, manque en tout état de cause l’établissement de l’urgence particulière qui contraindrait le juge administratif du référé liberté à statuer en quarante-huit heures.
(15 mai 2023, Mme C., n° 473669)
21 - Sursis à exécution des décisions juridictionnelles - Condition de conséquences difficilement réparables - Absence - Rejet.
La cour administrative d'appel de Marseille a, sur requête de la société Cathédrale d’images, par son arrêt du 28 novembre 2022, mis fin à compter du 1er novembre 2023 à l'exécution de la convention de délégation du service public relative à la gestion des carrières de Bringasses et de Grands Fonds conclue le 23 avril 2010 entre la commune des Baux-de-Provence et la société Culturespaces.
Arguant de ce que la conclusion d'une nouvelle convention ou la reprise en régie du service représente pour son budget une charge importante, la commune a saisi le Conseil d’Tat d’un sursis à l’exécution de cet arrêt. Il est rejeté motif pris de ce que ces circonstances ne sont pas de nature à établir que l'exécution de l'arrêt est susceptible d'entraîner pour la commune des conséquences difficilement réparables malgré le différé d'exécution qu'il prononce.
On signale que par une décision du même jour (n° 470156 et n° 471042) le Conseil d’État a refusé l’admission du pourvoi de la commune des Baux-de-Provence contre l’arrêt du 28 novembre 2022 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille a annulé, à compter du 1er novembre 2023, la convention de délégation de service public signée le 19 janvier 2018 entre la commune et la société Culturespaces, relative à la conservation, la valorisation, la gestion et l'exploitation culturelle et touristique du château des Baux-de-Provence.
(12 mai 2023, Commune des Baux-de-Provence, n° 471041)
22 - Action en réparation du préjudice résultant de l’exécution tardive d’un jugement - Jugement rétablissant une personne dans son droit au versement du revenu de solidarité active (RSA) - Contentieux ne concernant pas des prestations, allocations ou droits attribués au titre de l'action sociale - Compétence d’appel de la cour administrative d’appel - Renvoi à cette cour.
Une action en responsabilité tendant à l'indemnisation du préjudice résultant du retard de l'administration à exécuter un jugement statuant sur un litige relatif à des prestations, allocations ou droits attribués au titre de l'action sociale au sens du 1° de l'art. R. 811-1 du CJA ne constitue pas elle-même un litige portant sur de telles prestations. Elle n'est donc pas au nombre des litiges visés au 1° de cet article pour lesquels le tribunal administratif statue, par exception, en dernier ressort.
C’est à tort que le requérant a cru devoir se pourvoir en cassation devant le Conseil d’État. Il y a donc lieu de le renvoyer à la cour administrative d’appel, seule compétente pour recevoir son appel.
(12 mai 2023, M. B., n° 469019)
23 - Demande de renvoi « automatique » au Conseil constitutionnel d’une QPC dont le renvoi au Conseil constitutionnel a été refusé par la Cour de cassation - Décision ne relevant pas de l’organisation du service public de la justice - Irrecevabilité manifeste - Rejet.
Cette affaire ressemble à ces sottisiers délirants ou loufoques parfois donnés à nos étudiants dans un souci pédagogique ou de vérification des connaissances.
Le demandeur s’est vu refuser par la Cour de cassation - le 21 juin 2021 - la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité qu’il lui avait posée et qu’elle a jugée irrecevable. Il porte ce refus devant le juge des référés du Conseil d’État aux fins qu’il décide le renvoi « automatique » de cette question au Conseil constitutionnel.
Au lieu de rejeter ce recours pour incompétence manifeste avec, à la clé, une amende pour avoir abusé du prétoire, ou encore pour forclusion, le juge du référé liberté du Palais-Royal, s’appuyant sur la distinction célèbre entre organisation et fonctionnement du service public de la justice, estime n’être pas dans le premier, cas seule hypothèse où il serait compétent.
Le recours est rejeté comme manifestement irrecevable.
(10 mai 2023, M. A., n° 473483)
24 - Référé « mesures utiles » - Contrats souscrits à la Caisse d’épargne - Demande d’exécution et de paiement de ces contrats - Incompétence manifeste de la juridiction administrative - Rejet.
Ne relève manifestement pas de la compétence de la juridiction administrative la requête en référé introduite sur le fondement de l’art. L. 521-3 du CJA (référé « mesures utiles ») tendant à ce que le juge des référés du Conseil d’État fasse procéder à l’exécution et au paiement de deux contrats souscrits à la Caisse d’épargne.
(10 mai 2023, Mme B., n° 473563)
25 - Récusation des juges - Récusation de l’un des présidents-adjoint de la section du contentieux du Conseil d’État - Mutation d’un magistrat en qualité de président d’un tribunal administratif - Absence d’impartialité - Rejet.
Le requérant demande l’annulation de l'arrêt du 24 mars 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 9 avril 2021 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 30 janvier 2019 par lequel le vice-président du Conseil d’État a muté M. E. en qualité de président du tribunal administratif de Paris, ainsi que la décision du 15 mai 2019 par laquelle le vice-président du Conseil d’État a rejeté son recours gracieux contre cette décision.
Au soutien de sa demande, M. C. fait d’abord valoir que M. D., président-adjoint de la section du contentieux, se trouve dans une situation de subordination hiérarchique vis-à-vis du vice-président du Conseil d’État, cette circonstance n'est pas de nature à mettre en doute son impartialité dès lors que, ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2017-666 QPC du 20 octobre 2017, quelles que soient les prérogatives du vice-président du Conseil d’État sur la nomination ou la carrière des membres de la juridiction administrative, les garanties statutaires reconnues à ces derniers aux titres troisièmes des livres premier et deuxième du code de justice administrative assurent leur indépendance à son égard.
Ensuite, le requérant ne fait état d'aucun élément permettant d'établir que M. D. entretiendrait des liens personnels avec le vice-président du Conseil d’État de nature à mettre en cause son impartialité.
Enfin, le rejet de précédentes requêtes de M. C. et par des motifs que celui-ci critique, par des décisions rendues par le Conseil d’État, statuant au contentieux sous la présidence de M. D., est insusceptible d'établir un manque d'impartialité de ce dernier.
D’où le rejet de la requête en récusation.
(23 mai 2023, M. C., n° 474384)
(26) V. aussi, rejetant la requête tendant à l’annulation, d'une part, du décret du président de la république du 21 avril 2022 portant nomination de M. D. en qualité de président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, ensemble la décision par laquelle le vice-président du Conseil d’État a rejeté son recours gracieux contre ce décret, et, d'autre part, le décret du président de la république portant nomination de Mme G. en qualité de présidente du tribunal administratif de Melun, ensemble la décision par laquelle le vice-président du Conseil d’État a rejeté son recours gracieux contre ce décret. L’argumentation au soutien de ces demandes est la même que celle décrite au point précédent et elle est, identiquement, rejetée : 23 mai 2023, M. E., n° 474385.
27 - Recours en interprétation - Article R. 113-5 du code des relations entre le public et les administrations - Application au régime de la délivrance d’un passeport - Rejet.
Le recours par lequel il est demandé directement au Conseil d’État d'interpréter un acte administratif est subordonné à l'existence d'un différend né et actuel, susceptible de relever de la compétence du juge administratif, dont la résolution est subordonnée à l'interprétation demandée.
Or les dispositions de l'art. R. 113-5 du code des relations entre le public et les administrations, qui ne sont au demeurant pas applicables à la délivrance d'un passeport, ne régissent pas les conditions dans lesquelles l'autorité administrative est habilitée à demander à un citoyen français ayant la qualité de binational de justifier de sa seconde nationalité.
Il suit de là que la requête en vue de l’interprétation par le juge d’un acte réglementaire sans rapport avec le différend dont se prévaut le demandeur doit être rejetée.
(24 mai 2023, M. B., n° 457958)
(28) V. aussi, rappelant qu’un recours en interprétation d'une décision juridictionnelle n'est recevable que s'il émane d'une partie à l'instance ayant abouti au prononcé de la décision dont l'interprétation est sollicitée et dans la seule mesure où il peut être valablement argué que cette décision est obscure ou ambiguë. Tel n’est pas le cas d’une décision du Conseil d’État (23 novembre 2022, Mme D., M. et Mme A. c/ commune de Neuilly-sur-Seine, n° 441184) énonçant « que la hauteur majorée d'une construction, dont le volume constructible a lui-même été majoré, ne saurait être supérieure à la hauteur maximale fixée en valeur absolue dans le règlement du plan local d'urbanisme » car elle n’est ni obscure ni ambiguë. La requête est rejetée pour irrecevabilité : 24 mai 2023, Commune de Neuilly-sur-Seine, n° 469950.
29 - Recours en annulation d’un décret portant attributions d’un ministre - Requérant sans intérêt pour agir contre cette décision - Rejet.
(24 mai 2023, M. A., n° 466446)
V. n° 5
30 - Permis de construire accordé dans une zone de tension entre offre et demande de logements - Régime contentieux temporaire dérogatoire (art. R. 811-1-1 CJA) - Interprétation stricte - Condition non remplie - Compétence d’appel de la cour administrative d’appel - Renvoi en conséquence.
(24 mai 2023, Société Ilana El, n° 466755)
V. n° 124
31 - Règlement de la compétence à l’intérieur de l’ordre administratif de juridiction (art. R. 351-3 CJA) - Litige opposant une collectivité territoriale ultra-marine à un centre hospitalier en matière de financement du service public hospitalier - Compétence du tribunal administratif dans le ressort duquel a son siège l’autorité publique auteur de la décision contestée - Renvoi au tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Le centre hospitalier requérant a demandé au tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon l’annulation des délibérations de la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon relatives au financement, pour les années 2017 à 2020, de l'EHPAD et de l'unité de soins de longue durée dont ce centre assure la gestion, de l’arrêté du président de la même collectivité fixant le montant du forfait dépendance de l'EHPAD pour l'année 2021 ainsi que de celui fixant le montant de la dotation dépendance de l'unité de soins de longue durée pour l'année 2021, du refus du président de la collectivité territoriale d'initier la démarche de contractualisation du centre hospitalier et de l'arrêté du président de la collectivité territoriale du 7 octobre 2021 ordonnant la réalisation d'une mission de contrôle administratif sur le fonctionnement du centre hospitalier.
Par deux ordonnances, la présidente de ce tribunal a, par application de la procédure prévue à l’art. R.351-3 du CJA, renvoyé au président de la section du contentieux du Conseil d’État, ou au magistrat à ce délégué, la question de la détermination de la juridiction administrative compétente pour connaître de ce litige.
Le juge relève d’abord que si l'art. L. 351-1 du code de l'action sociale et des familles prévoit que les litiges relatifs au financement des établissements et services sanitaires, sociaux et médico-sociaux relèvent en premier ressort de la compétence des tribunaux interrégionaux de la tarification sanitaire et sociale, il résulte cependant de l'art. L. 531-1 du même code que ces dispositions ne sont pas applicables à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Il constate ensuite que si l'art. R. 351 du même code, relatif aux sièges et au ressort des tribunaux interrégionaux de la tarification sanitaire et sociale, prévoit que celui de Nantes a dans son ressort Saint-Pierre-et-Miquelon, ces dispositions ne sont justifiées que par la compétence qu'exerce le tribunal interrégional de la tarification sanitaire et sociale pour trancher les désaccords éventuels entre l’État et le département en cas de compétence conjointe, sur le fondement de l'art. L. 314-1 du même code, lui-même applicable à Saint-Pierre-et-Miquelon. Il s’ensuit que ces dispositions réglementaires n'ont donc pas pour effet, et ne sauraient d'ailleurs avoir légalement pour objet, de donner compétence au tribunal interrégional de la tarification sanitaire et sociale de Nantes pour connaître des présents litiges.
La connaissance du litige est donc renvoyée au tribunal de Saint-Pierre-et-Miquelon dès lors que l’art. L. 311-1 du CJA fait des tribunaux administratifs, en premier ressort, les juges de droit commun du contentieux administratif.
(24 mai 2023, Centre hospitalier François Dunan, n° 468457)
32 - Avis de droit - Décision à objet pécuniaire - Retenue sur traitement d’un agent public - Nature du contentieux né de cette décision - Office du juge - Caractère d’ordre public - Réponse en ce sens.
Le tribunal administratif de Versailles a, sur recours de l’intéressée, annulé la décision du 6 juillet 2020 par laquelle le directeur de la plateforme industrielle courrier de la Poste de Paris-Sud-Wissous a indiqué à cette dernière qu'il allait opérer des retenues sur ses traitements pour absence de service fait à la suite de l'exercice de son droit de retrait et lui a enjoint de rembourser à Mme H. les sommes qui avaient été retenues. Saisie d’un appel de la société anonyme (SA) La Poste dirigé contre ce jugement, la cour administrative d'appel de Versailles, avant d’y statuer, a décidé de soumettre au Conseil d’État les deux questions suivantes :
1°) Un recours en annulation contre une lettre par laquelle l'administration informe un agent public que des retenues pour absence de service fait vont être effectuées sur ses traitements en raison de l'exercice injustifié de son droit de retrait et tendant à ce qu'il soit enjoint à l'administration de lui rembourser la somme prélevée, relève-t-il par nature, en totalité, du plein contentieux ou constitue-t-il, en totalité, un recours pour excès de pouvoir ou relève-t-il à la fois de l'excès de pouvoir et du plein contentieux ?
2°) Dans l'hypothèse où le tribunal a méconnu tout ou partie de son office quant à la nature du recours porté devant lui, cette question doit-elle être soulevée d'office par la cour au titre de la régularité de la décision juridictionnelle contestée et communiquée aux parties en application de l'art. R. 611-7 du CJA ?
Exerçant sa fonction de régulateur suprême de la justice administrative, le Conseil d’État répond en trois étapes à la première question posée dans une formulation qui est de principe même si elle confirme une jurisprudence bien établie se situant dans une ligne très orthodoxe envers la doctrine de Laferrière sur ce sujet, que : « La nature d'un recours exercé contre une décision à objet pécuniaire est fonction, hormis les cas où il revêt par nature le caractère d'un recours de plein contentieux, tant des conclusions de la demande soumise à la juridiction que de la nature des moyens présentés à l'appui de ces conclusions. »
Ensuite, il est précisé qu’en dépit de ce que le recours dirigé contre un titre de perception relève par nature du plein contentieux, la lettre informant un agent public de ce que des retenues pour absence de service fait vont être effectuées sur son traitement ne peut à cet égard être assimilée à une telle décision lorsqu'elle ne comporte pas l'indication du montant de la créance ou qu'elle émane d'un organisme employeur qui n'est pas doté d'un comptable public. En ce cas, les conclusions tendant à l'annulation de cette décision et du rejet du recours gracieux formé contre celle-ci doivent être regardées comme présentées en excès de pouvoir. Ainsi, la nature du contentieux peut subir l’effet du non-respect d’une règle relative à la forme ou au contenu de la décision attaquée ou encore du fait de l’existence ou non dans la structure de décision d’un comptable public. Si la solution est assez logique elle comporte cependant une dose regrettable de complexité.
Également, il est indiqué - et l’on ne regrettera pas cette simplification - que les conclusions à fin d’injonction de remboursement, lesquelles relèvent du plein contentieux, accompagnant le recours en annulation n'ont pas pour effet de donner à l'ensemble des conclusions le caractère d'une demande de plein contentieux.
Enfin, répondant à la seconde question posée, le juge du Palais-Royal rappelle qu’est d'ordre public la méconnaissance par le juge de tout ou partie de son office en raison d'une erreur quant à la nature du recours concernant la lettre informant un agent public de ce que des retenues pour absence de service fait vont être effectuées sur son traitement.
Il faut saluer ce bel effort de clarification et redire combien la procédure d’avis de droit de l’art. L. 113 du CJA est précieuse.
(25 mai 2023, Mme H., n° 471035)
33 - Suspension d’exécution d’un refus de recrutement dans la police nationale - Condition d’âge - Moment de son appréciation - Erreur de droit - Annulation de la suspension.
M. A. a subi avec succès les épreuves de sélection pour être recruté en qualité d'adjoint de sécurité de la police nationale au titre des « cadets de la République ». Il a été informé que son recrutement ne pourrait intervenir car il avait dépassé l'âge limite de 30 ans. Il a formé un recours en annulation de cette décision assorti d’un référé suspension, auquel le juge des référés du tribunal administratif a fait droit par une ordonnance contre laquelle le ministre de l'intérieur se pourvoit en cassation.
Le juge des référés s’est fondé, pour ordonner la suspension du refus, sur ce que l'art. R. 411-8 2° du code de la sécurité intérieure ne précisant pas à quelle date s'apprécie la condition d'âge maximal, celle-ci pouvait être appréciée à la date du dépôt de candidature à un recrutement en qualité de cadet de la République. Le juge de cassation juge qu’une erreur de droit est à la base de ce jugement. Selon lui il convient d’abord de relever que l’art. R. 411-8 du code précité dispose que « Nul ne peut être recruté en qualité d'adjoint de sécurité : (...) 2° S'il est âgé de moins de dix-huit ans ou de plus de trente ans ; (...) » et que l’art. R. 411-9 dudit code précise que : « Les adjoints de sécurité sont recrutés par contrat écrit, pour une durée de trois ans renouvelable une fois par reconduction expresse, conclu, au nom de l’État (...) ». D’où il conclut que les conditions d'âge posées par l'article R. 411-8 doivent être appréciées à la date de prise d'effet du contrat de recrutement conclu en application de l'article R. 411-9. L’ordonnance attaquée est annulée pour erreur de droit.
Statuant au fond pour régler le litige et cette fois en qualité de juge des référés, le Conseil d’État estime que l’urgence alléguée n’étant pas établie du fait que le demandeur, qui a indiqué travailler comme « assistant moniteur de tennis » puis est présentement bénéficiaire du RSA, la requête est rejetée sans qu’il y ait lieu d’examiner l’existence de la seconde des deux conditions nécessaires à l’octroi d’une suspension d’exécution d’acte en référé.
(26 mai 2023, ministre de l’intérieur, n° 467838)
34 - Visa d’entrée sur le territoire français - Recours en injonction de délivrance de visa pour une enfant mineure - Incompétence du Conseil d’État en première instance - Rejet.
(ord. réf. 23 mai 2023, M. A., n° 473659)
V. n° 66
Droit fiscal et droit financier public – Comptabilité publique
35 - Convention fiscale franco-allemande - Territorialité de l’imposition - Biens et revenus immobiliers - Revenus n’ayant pas ce caractère - Gestion prétendue anormale - Abus de droit - Annulation et rejet partiels.
La convention franco-allemande du 21 juillet 1959, comme la plupart des conventions de cette nature conclues par la France, stipule en son art. 3 que sont imposables dans l’État contractant où ces biens sont situés les revenus provenant des biens immobiliers et que la notion de bien immobilier se détermine d'après les lois de l’État contractant où est situé le bien considéré. Sont des biens immobiliers au sens de cet article les droits auxquels s'appliquent les dispositions du droit privé concernant la propriété foncière, les droits d'usufruit sur les biens immobiliers, etc.
En revanche, l'art. 10 de cette convention dispose que les intérêts et autres produits des obligations, bons de caisse, prêts et dépôts ou de toutes autres créances, assortis ou non de garanties hypothécaires, ne sont imposables que dans l’État contractant dont le bénéficiaire est le résident.
En l’espèce, la société Parilease, spécialisée dans les opérations de crédit-bail et appartenant au groupe fiscalement intégré dont la société-mère est la société BNP Paribas, a conclu des contrats de cession-bail avec deux sociétés de droit allemand, Bayer et Heidelberger.
L'administration fiscale a considéré n’être pas en présence de revenus immobiliers soumis aux dispositions de l’art. 3 de la convention précitée ce qui les aurait fait relever du système d’imposition allemand. Elle a, en conséquence, soumis à l'impôt sur les sociétés les revenus tirés de ces contrats, qu'elle a qualifiés de financiers et donc assujettis au régime fiscal tel que régi par l’art. 10 de la convention fiscale. Elle a, en outre, qualifié d'acte anormal de gestion la stipulation d'intérêts calculés à des taux inférieurs aux taux du marché au profit des sociétés Bayer et Heidelberg et a imposé les libéralités correspondantes comme des revenus distribués à ces sociétés. Enfin, elle a soumis les flux correspondants à retenue à la source, sur le fondement de l'article 119 bis du CGI. Les sociétés requérantes se pourvoient en cassation de l’arrêt d’appel confirmatif du jugement rejetant leurs prétentions.
Tout d’abord, le juge de cassation annule l’arrêt déféré à sa censure pour avoir jugé que le ministre devait être regardé comme ayant apporté la preuve que les opérations en cause, d'apparence immobilière, dissimulaient en réalité une activité de financement dépourvue de lien avec un immeuble, et que le montage, qui avait pour but de bénéficier d'une double exonération découlant de l'application des articles 3 et 10 de la convention franco-allemande, était constitutif d'un abus de droit au sens de l'art. L. 64 du livre des procédures fiscales. En effet, pour qu’il y ait « abus de droit » et donc pour que soient déclarés inopposables à l’administration fiscale les actes constitutifs d’un tel abus, il faut, selon une formule jurisprudentielle classique et constante, que ces actes aient un caractère fictif ou que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'aient pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.
L’annulation de l’arrêt est fondée sur l’erreur de droit résultant de l’absence de recherche par la cour du point de savoir si les auteurs des contrats en cause avaient recherché le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ni s'ils avaient pu être inspirés par un autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que la société, si elle n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.
Au passage, il faut relever, ce qui n’est pas d’une orthodoxie totale au regard des règles du droit international des traités et conventions, que le Conseil d’État estime possible, et le cas échéant, nécessaire cette recherche de l’intention du contribuable même dans l’hypothèse où, comme ici, la norme dont le contribuable recherche le bénéfice procède d'une convention fiscale bilatérale ayant pour objet la répartition du pouvoir d'imposer en vue d'éliminer les doubles impositions et que cette convention ne prévoit pas explicitement l'hypothèse de fraude à la loi.
Réglant l’affaire au fond, le Conseil d’État juge que l’administration fiscale a eu raison d’écarter la nature immobilière des revenus litigieux (1) mais qu’elle a eu tort de qualifier comme constituant un abus de droit (2) et comme un acte anormal de gestion (3) le montage financier en cause.
Il faut ici rappeler que bien que rejetant l’existence d’un abus de droit, le juge est tenu par le principe que, l'administration ne pouvant renoncer à appliquer la loi fiscale, elle est en droit à tout moment de justifier l'impôt sur un nouveau fondement légal qu'elle a compétence liée pour appliquer. Or en l’espèce, il est demandé au juge, dans l'hypothèse d'un règlement au fond de l'affaire et si l'existence d'un abus de droit par fraude à la loi n'était pas retenue, de requalifier les contrats litigieux en contrats de financements avec intérêts.
1 - Pour dire que les revenus litigieux n’étaient pas de caractère immobilier le juge retient que cela résulte du montage financier retenu par les parties contractantes.
Les contrats litigieux, qui consistaient en des contrats de cession d'usufruit et de crédit-bail conclus par la société Parilease, l'un avec la société Bayer, l'autre avec la société Heidelberger, avaient pour objet, pour la première, d'accorder aux secondes des financements s'élevant respectivement à 184 800 000 euros et 75 105 000 euros, garantis par le transfert temporaire de l'usufruit d'immeubles.
Si le code civil allemand ne subordonne pas la cession de l'exercice de l'usufruit, par l'usufruitier, au consentement préalable du propriétaire, la section 7 de la partie 2 de la convention de cession-bail conclue entre la société Parilease et la société Heidelberger stipule que « l'usufruitier n'est pas habilité à céder l'exercice de l'usufruit à un quelconque tiers sans le consentement écrit préalable du propriétaire », sauf si le contrat de crédit-bail est résilié et si le preneur « n'a pas payé la valeur de résiliation en temps voulu ». Le préambule du contrat de crédit-bail adossé à cette convention énonce, par ailleurs, qu'il « n'y aura aucune cession réelle de l'utilisation des biens au bailleur et que l'usage économique reste au preneur ». Si l'option d'achat n'est pas exercée par la société Heidelberger, celle-ci peut prolonger la durée de location jusqu'à l'expiration des droits d'usufruit.
De plus, la clause B7 du contrat conclu entre les sociétés Parilease et Bayer, prévoit que le bailleur n'est pas habilité à céder l'exercice de l'usufruit sans l'accord préalable du preneur. Le bailleur n'est, par ailleurs, pas autorisé à transformer ou à modifier la propriété, sauf si la durée du crédit-bail a expiré. La clause C5 stipule quant à elle que le preneur « a le droit de faire toute modification y compris la destruction de certains immeubles » sans le consentement du bailleur si les coûts de ces « modifications sont inférieurs à 25% du paiement de l'usufruit et/ou (...) ne diminuent pas la valeur de la propriété » et « si le preneur souhaite abandonner les parties de la propriété pendant la durée, le bailleur devra abandonner l'usufruit concernant lesdites parties : à condition, toutefois, que (i) le preneur propose au bailleur d'étendre le présent contrat à une propriété alternative se trouvant en Allemagne raisonnablement similaire à et de valeur équivalente ou supérieure à la partie de la propriété devant être abandonnée ou (ii) le preneur paie la valeur normale de résiliation basée sur la valeur au prorata de la partie de la propriété devant être abandonnée ». En vertu de la clause C15.2, si le preneur n'exerce pas son option d'achat au terme de la durée du crédit-bail, il bénéficie d'un droit de préférence en cas de cession à un tiers.
Enfin, d'une part, en vertu de l'article 3.3 du contrat de crédit-bail conclu avec la société Heidelberger, la détermination des loyers est calculée selon un taux d'intérêt de 45 points de base en dessous du taux d'intérêt de référence, correspondant à la moyenne des cours des titres échangés sur les taux d'intérêt divulgués sur l'écran Icapeuro de Reuters pour les taux de 1 à 10 ans. D'autre part, la clause A1 du contrat conclu avec la société Bayer définit le « taux d'intérêt du crédit bail » comme « i) le taux swap en euro amortissable chaque semestre applicable pendant dix ans avec une durée de vie moyenne de 5,5 ans ... tiré de la courbe du taux d'intérêt indiquée sur la page ICAE de Bloomberg ou sur la page ICAPEUR de Reuters moins (...) (ii) la marge », cette marge étant égale à 50 points de base. Par ailleurs, les contrats prévoient, en cas de remise en cause de la double exonération des revenus versés par les sociétés allemandes à la société Parilease, soit une majoration des taux d'intérêt, soit leur résiliation.
On voit bien que, par l’ensemble des stipulations qui y sont contenues, les contrats en cause s’éloignent complètement du régime allemand de l’usufruit et c’est bien parce que les restrictions apportées à l'exercice du droit d'usufruit de la société Parilease sont telles que les contrats doivent être regardés comme ayant une substance essentiellement financière et non immobilière. Les revenus tirés de ces contrats par la société Parilease, à hauteur des intérêts et à l'exclusion des loyers et amortissements comptabilisés, ne constituaient donc pas des « revenus de biens immobiliers » au sens de l'article 3 de la convention fiscale franco-allemande, ce qui les aurait fait relever du droit allemand mais des « intérêts et autres produits des obligations, bons de caisse, prêts et dépôts ou de toutes autres créances » au sens de l'article 10 de la même convention, qui les fait relever du régime fiscal français.
2 - Pour rejeter l’existence d’un abus de droit, le juge retient que les contrats litigieux, ci-dessus décrits, eu égard à leur objet, qui a été effectivement mis en œuvre et que l'administration n'a d'ailleurs pas écartés pour procéder au redressement contesté, ne peuvent être regardés comme ne répondant à aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que la société, si elle n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, compte tenu de sa situation ou de ses activités réelles. Ils ne constituaient pas un montage artificiel dépourvu de toute substance économique et ne pouvaient pas conduire à regarder les opérations litigieuses comme contraires aux objectifs poursuivis par les États signataires de la convention fiscale franco-allemande. Il en résulte que ces actes n'étaient pas constitutifs d'un abus de droit au sens de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales.
3 - L’administration ne peut qualifier d’« acte anormal de gestion » que celui par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt, à charge pour elle d'établir les faits sur lesquels elle se fonde pour invoquer ce caractère anormal. En l’espèce, le ministre soutient que les taux d'intérêt prévus par les contrats conclus par la société Parilease sont insuffisants au regard de taux de référence calculés, soit en les majorant de 100 points de base comme le prévoient les stipulations contractuelles en cas de modification des hypothèses fiscales, soit en fonction du niveau de solvabilité des sociétés Heidelberger et Bayer et qu’ainsi cette société aurait décidé de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt. Le juge estime, au contraire, qu’en prévoyant, compte tenu des hypothèses fiscales qu'elle avait retenues, les taux d'intérêts stipulés aux contrats, la société Parilease ne peut être regardée comme ayant décidé, à la date de la signature des actes en cause, de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt. Faute pour le ministre d’avoir établi que les contreparties que la société Parilease a retirées des opérations de cession-bail seraient inexistantes ou insuffisantes au regard de l'avantage consenti aux sociétés allemandes, de sorte que la société aurait, en concluant ces contrats, commis un acte anormal de gestion, l’imposition à ce titre est, contrairement à ce qu’il soutient, illégale.
(03 mai 2023, Société BNP Paribas et société Parilease, n° 434441)
36 - Casinos - Établissements thermaux et hôteliers - Abattement supplémentaire pour dépenses à caractère immobilier - Agrément préfectoral et décision du directeur régional des finances publiques - Régimes contentieux - Contrôle par le juge de cassation de la qualification juridique des faits comme constituant une dépense à caractère immobilier - Annulation partielle.
L'article 34 de la loi du 30 décembre 1995 dans la version que lui a donnée la loi du 29 décembre 2014 de finances rectificative pour 2014 permet aux casinos de bénéficier d'un abattement supplémentaire de 5 p. 100 sur le produit brut des jeux correspondant aux dépenses d'acquisition, d'équipement et d'entretien à caractère immobilier qu'ils réalisent dans les établissements thermaux et hôteliers leur appartenant ou appartenant à une collectivité territoriale et dont ils assurent la gestion.
Le bénéfice de cet abattement est subordonné à un agrément préfectoral et il est accordé par le directeur (départemental ou régional) des finances publiques. L’éventuel recours contre la décision préfectorale relève du contentieux de l’excès de pouvoir tandis que celui formé contre la décision fiscale relève du contentieux de la pleine juridiction, ou plein contentieux. Il suit de là que la partie de l’arrêt frappé de cassation portant sur le recours dirigé contre la décision fiscale est entachée d’erreur de droit pour avoir traité ce recours comme étant un recours pour excès de pouvoir.
Sur le fond, le juge rejette le recours en tant qu’il est dirigé contre la partie de l’arrêt ayant jugé que les dépenses d'installation de chantier, de nettoyage, de démolition, de prestations intellectuelles, de travaux préparatoires de dépose et repose de sanitaires, d'autres déposes et de curage ne constituaient pas, au sens et pour l’application de l’art. 34 de la loi de 1995 précitée, « des dépenses d'acquisition, d'équipement et d'entretien à caractère immobilier ». En revanche, il accueille le recours en tant qu’il conteste la partie de l’arrêt d’appel qui a exclu de cette dernière catégorie la dépense de refixation d'une volige car elle porte sur un accessoire ou un complément de travaux de gros œuvre.
Il convient de relever cet important aspect de la décision qui confère au juge de cassation le pouvoir de contrôler la qualification juridique des faits s’agissant de l’appréciation portée par les juges du fond sur le caractère de dépenses d'acquisition, d'équipement et d'entretien à caractère immobilier ouvrant droit au bénéfice de l’abattement supplémentaire maximum de 5% au titre des sommes exposées par les établissements et dans les conditions visés par l'article 34 de la loi du 30 décembre 1995
(03 mai 2023, Société des Hôtels et Casino de Deauville, n° 452696)
37 - Taxe sur la valeur ajoutée - Professeur de théâtre - Attestation de l’administration fiscale - Prise de position formelle (art. L. 80B, LPF) - Erreur de droit - Annulation.
A l’appui de son recours en décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels il a été assujetti au titre de la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015, le contribuable, directeur d'un cours de théâtre privé dans lequel il enseigne, fait valoir une attestation en date du 16 décembre 2013 par laquelle le contrôleur des finances publiques compétent certifie qu'il n'est pas assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée du fait de son activité de professeur de théâtre.
Sa demande est partiellement rejetée en première instance et en appel au motif que ce document n'était pas susceptible de constituer une prise de position formelle au sens de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales.
Sur pourvoi du contribuable le juge de cassation - réitérant une jurisprudence rendue sur la version précédente de ce texte législatif (8 septembre 1999, Sarl société d'exploitation des établissements Madej, n° 161330) - annule l’ordonnance d’appel pour erreur de droit en estimant « que cette attestation avait été délivrée au requérant, à sa demande, pour les besoins de son activité professionnelle à laquelle il était fait expressément référence » et qu’elle constituait bien ainsi une « prise de position formelle » au sens de l’art. L. 80B du LPF.
(04 mai 2023, M. B., n° 453366)
38 - Contentieux fiscal - Contestation d’assiette de la taxe d’aménagement - Exigence d’une réclamation préalable à l’administration fiscale - Absence - Irrecevabilité - Rejet.
Rappel d’une exigence du contentieux fiscal prévue à l’art. R.190-1 du livre des procédures fiscales : le contribuable désirant contester devant le juge administratif l'assiette de la taxe d'aménagement doit, à peine d'irrecevabilité, former une réclamation préalable auprès du service territorial de la direction générale des finances publiques avant le 31 décembre de la deuxième année suivant l'émission du premier titre de perception ou du titre unique.
(12 mai 2023, ministre des finances, de l’économie…, n° 464199)
39 - Déficits fonciers - Déductibilité des frais de travaux de reconstruction - Notion de reconstruction - Accessoire indissociable de tels travaux - Absence de recherche de ce caractère - Annulation.
Le I de l’art. 31 du CGI permet de déduire certaines charges de la propriété pour la détermination du revenu net.
En l’espèce, la cour administrative d’appel a considéré qu’en 2011 et 2012 les contribuables avaient effectué des travaux portant sur le gros œuvre et que s’agissant des travaux de réfection de l'installation électrique, du chauffage, des menuiseries, des peintures, des sols et de l'isolation, réalisés en 2013 et 2014, ils étaient indissociables des travaux sur le gros œuvre effectués en 2011 et 2012 de sorte que l'ensemble ainsi formé sur ces quatre années, présentant comme caractéristiques à la fois d'être « important » et d'affecter dans certains cas le gros œuvre de l'immeuble dont cette société était propriétaire, devait être regardé comme procédant d'une unique opération de reconstruction.
Pour annuler ce raisonnement, le Conseil d’État reproche à la cour de s’être fondée sur ce que les travaux de gros œuvre entrepris en 2011 et 2012 avaient rendu possibles des travaux de second œuvre réalisés en 2013 et 2014, sans rechercher si les premiers de ces travaux avaient eux-mêmes la nature de travaux de reconstruction dont les seconds auraient été l'accessoire indissociable au sens et pour l’application des dispositions précitées du CGI selon lesquelles : « Les charges de la propriété déductibles pour la détermination du revenu net comprennent :
1° Pour les propriétés urbaines :
a) Les dépenses de réparation et d'entretien (...)
b) Les dépenses d'amélioration afférentes aux locaux d'habitation, à l'exclusion des frais correspondant à des travaux de construction, de reconstruction ou d'agrandissement (...) ».
Or le Conseil d’État considère que sont des travaux de reconstruction ceux qui comportent la création de nouveaux locaux d'habitation ou qui ont pour effet d'apporter une modification importante au gros œuvre, ainsi que les travaux d'aménagement interne qui, par leur importance, équivalent à des travaux de reconstruction. Pour ces derniers, le juge estime que des travaux d'aménagement interne, quelle que soit leur importance, ne peuvent être regardés comme des travaux de reconstruction que s'ils affectent le gros œuvre ou s'il en résulte une augmentation du volume ou de la surface habitable.
(12 mai 2023, M. et Mme A., n° 464489)
40 - Prix de cessions immobilières nettement inférieurs à la valeur vénale des logements cédés - Fonctions d’un contribuable lui permettant de connaître cette minoration - Erreur sur ces fonctions - Dénaturation - Annulation.
Une cour administrative d’appel juge fondée l’affirmation par l’administration fiscale qu’une société a eu l’intention d’octroyer et un contribuable de recevoir une libéralité résultant de cessions d’appartements à un prix nettement inférieur à leur valeur vénale. Elle s’appuie pour cela sur les fonctions salariales exercées par ce dernier au sein de la société en charge de la gestion du programme immobilier qu’elle réalise, donc directement impliqué dans la gestion de ce programme et qui ne pouvait de ce fait ignorer que le prix de cession des logements qu'il avait acquis était significativement inférieur à leur valeur vénale.
Sur pourvoi, Conseil d’État est à la cassation de cet arrêt qui repose sur une dénaturation des pièces du dossier en ce que le contribuable était seulement agent de service et non , comme l’a qualifié la cour, chargé de la gestion du programme immobilier.
(12 mai 2023, MM. Christian et Stéphane A., n° 465663)
41 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères et de traitement des déchets - Prélèvement destiné à couvrir les dépenses engendrées par ce service public - Inclusion dans les dépenses de fonctionnement à ce titre du coût des services centraux celles directement liées aux besoins dudit service - Erreur de droit et insuffisance de motivation - Annulation.
Dans un litige relatif à la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, le Conseil d’État, réitérant une solution constante, reproche à un tribunal administratif d’avoir inclus dans le montant des dépenses directement générées par les besoins de ce service public une certaine somme parce qu’elle correspondait à « des coûts de structure » sans rechercher si elle constituait une quote-part du coût des directions ou services transversaux centraux de la métropole, établie sur la base d'une comptabilité analytique produite au dossier et correspondant à la fraction de ces dépenses directement exposée pour les besoins du service de collecte et de traitement des déchets.
(12 mai 2023, Société Les Chandons, n° 466775)
42 - Plus-values professionnelles - Régime d’exonération (art. 238 quindecies du CGI) - Cession partielle de droits sociaux - Condition non satisfaite - Erreur de droit - Annulation.
Commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui, pour dire des contribuables fondés à demander la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux, ainsi que des pénalités correspondantes, auxquelles ils ont été assujettis à raison de la plus-value réalisée lors de la cession, de droits sociaux d’une société, retient que cette plus-value était, contrairement à ce que soutenait l'administration, imposable selon le régime des plus-values professionnelles et sur ce qu'elle bénéficiait de l'exonération prévue à l'art. 238 quindecies du CGI. En effet, les contribuables n'ayant cédé qu'une partie des droits sociaux qu'ils détenaient dans la société, les conditions de mise en œuvre des dispositions de l'art. 238 quindecies précité n'étaient pas satisfaites dès lors que le III de cet article concerne la cession de « l’intégralité des droits ou parts détenus par le contribuable (…) ».
(12 mai 2023, M. et Mme A., n° 467294)
Droit public de l'économie
43 - Autorité des marchés financiers - Recours contre une décision de la commission des sanctions de cette autorité - Société ayant agi dans son intérêt propre au détriment de celui des porteurs - Défaut de mention du taux de rotation élevé des portefeuilles gérés par une société - Obligation pour la commission des sanctions d’aggraver la sanction prononcée.
Le président de l'Autorité des marchés financiers demandait l’annulation de l’avertissement prononcé par la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers à l’encontre de la société Skylar France en ce qu'elle a écarté les griefs tirés de la méconnaissance par celle-ci des intérêts des investisseurs.
Le Conseil d’État juge d’une part, que, contrairement à ce qu'a retenu la commission des sanctions, il était suffisamment établi que la société Sylar France avait privilégié son intérêt au détriment de celui des porteurs, par suite, elle ne pouvait, sans méconnaître les art. L. 533-10 du code monétaire et financier et 314-3 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers ni entacher sa décision d'erreur d'appréciation, écarter le grief tiré de ce que Skylar France avait privilégié son intérêt au détriment de celui de ses clients, et d’autre part, que cette commission a écarté à tort le grief tiré du défaut de mention de l'application d'un taux de rotation élevé des portefeuilles dans les prospectus des fonds gérés par Skylar France. En revanche, est rejeté le moyen du requérant tiré de ce que la commission n’a pas retenu le grief tiré du défaut de fourniture d'un commentaire personnalisé sur la gestion mise en œuvre et d'absence de détail des performances dans les rapports de gestion sous mandat.
En conséquence, le juge décide que la sanction prononcée à l'encontre de la société Skylar France et de M. B., son président et unique actionnaire, doit être aggravée par une publication de manière non anonyme, pendant trois ans à compter de cette décision, de la décision de la commission des sanctions et de la présente décision, sur le site internet de l'Autorité des marchés financiers.
Le pouvoir ainsi exercé de réformation de la décision contestée atteste l’ampleur des pouvoirs détenus par le juge de la pleine juridiction.
(24 mai 2023, président de l'Autorité des marchés financiers, n° 449983)
44 - Avis de droit - Décision à objet pécuniaire - Retenue sur traitement d’un agent public - Nature du contentieux né de cette décision - Office du juge - Caractère d’ordre public - Réponse en ce sens.
(25 mai 2023, Mme H., n° 471035)
V. n° 32
45 - Demande en référé suspension - Pourvoi en cassation - Décision attaquée entièrement exécutée - Pourvoi devenu sans objet - Rejet.
La requérante a demandé, en vain, la suspension de la décision préfectorale accordant le concours de la force publique en vue de l'exécution du jugement d’un tribunal judiciaire ordonnant son expulsion du logement qu'elle occupe. Elle se pourvoit en cassation de l’ordonnance de rejet. L’expulsion a lieu avant que ne se prononce le juge de cassation : le pourvoi est donc devenu sans objet et il n’y a plus lieu d’y statuer.
(25 mai 2023, Mme A., n° 471269)
Droit social et action sociale – Sécurité sociale
46 - Récupération d’indu de RSA - Rétablissement personnel - Amende - Indu d’origine frauduleuse - Absence de caractère de « dette ayant pour origine des manœuvres frauduleuses commises au préjudice des organismes de protection sociale » - Annulation.
Aux termes de l'article L. 711-4 du code de la consommation, dans sa version applicable aux faits de l’espèce : « Sauf accord du créancier, sont exclues de toute remise, de tout rééchelonnement ou effacement :
(...) 3° Les dettes ayant pour origine des manœuvres frauduleuses commises au préjudice des organismes de protection sociale énumérés à l'article L. 114-12 du code de la sécurité sociale.
(...) L'origine frauduleuse de la dette est établie soit par une décision de justice, soit par une sanction prononcée par un organisme de sécurité sociale dans les conditions prévues aux articles L. 114-17 et L. 114-17-1 du code de la sécurité sociale ». L le juge déduit des travaux préparatoires à l’adoption de l’art. 116 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 dont est issue la réserve édictée au 3° de l’art. 711-4 du code de la consommation précité, combinés avec les dispositions des art. L. 262-13, L. 262-16, L. 262-24 et L. 262-46 du code de l’action sociale et des familles, avec celles de l’art. L. 741-1 du code de la consommation et, enfin, avec celles des art. L. 114-12, L. 114-17 et L. 114-17-1 du code de la sécurité sociale, que méconnaît le champ d’application de la loi (en l’occurrence le 3° précité de l’art. L. 711-4), le jugement estimant que le demandeur ne pouvait pas se prévaloir, pour s’opposer aux indus de revenu de solidarité active mis à sa charge, de l'ordonnance du juge du tribunal d'instance de Chartres ayant conféré force exécutoire au plan de rétablissement personnel recommandé par la commission de surendettement, au motif que les indus en cause trouvaient leur origine dans l'absence de déclaration injustifiée de ses salaires par le requérant, ayant donné lieu à une sanction prononcée dans les conditions prévues à l'article L. 114-17 du code de la sécurité sociale.
En jugeant ainsi, le tribunal administratif a méconnu le champ d'application du 3° de l'article L. 711-4 du code de la consommation.
En effet, les dettes tenant à un versement indu de revenu de solidarité active ne peuvent être regardées, quelle que puisse être leur éventuelle origine frauduleuse, comme relevant de la catégorie des « dettes ayant pour origine des manœuvres frauduleuses commises au préjudice des organismes de protection sociale énumérés à l'article L. 114-12 du code de la sécurité sociale » au sens du 3° de l'article L. 711-4 du code de la consommation et, à ce titre, exclues de l'effacement qu'entraîne le rétablissement personnel sans liquidation judiciaire rendu exécutoire par le juge de l'exécution sur toutes les dettes non professionnelles du débiteur, arrêtées à la date de l'ordonnance conférant force exécutoire à la recommandation de la commission de surendettement des particuliers.
Rappelons que le moyen tiré de la méconnaissance du champ d’application de la loi est d’ordre public.
(12 mai 2023, M. B., n° 461606)
47 - Hébergement d’urgence - Limite des capacités de mise à l’abri - Annulation.
Voilà encore un énième épisode de l’interminable et dramatique saga de l’hébergement des personnes, la plupart étrangères, en situation d’urgence.
Il faut encore une fois rappeler que les procédures de référé, spécialement le référé suspension et le référé liberté, ne sont pas les bonnes à tout faire du contentieux administratif. Séduisantes pour les requérants par leur célérité, ceux-ci, et leurs avocats, en usent et en abusent à leurs risques et périls. Ces voies de droit ne peuvent servir que pour ce à quoi elles sont destinées. Toute situation dramatique, inhumaine, glaciale par son caractère tragique, ne relève pas ipso facto d’un traitement par le référé et, disons-le, même d’un traitement contentieux tout court car, au vrai, il ne s’agit pas d’une question proprement juridique même si l’on prend soin d’y plaquer un habillage juridique. Les capacités d’accueil de la France ne sont pas infinies et indéfiniment extensibles. Cette affaire en témoigne.
M. D., ressortissant bangladais, a obtenu le statut de réfugié en septembre 2020 et il dispose d'une carte de résident ; il a été rejoint en France, en février 2023, par Mme A. et leur enfant de six ans au titre de la réunification familiale. Ils ont obtenu du juge des référés de première instance qu’injonction soit faite au préfet de leur proposer un hébergement d'urgence. Sur appel, le juge des référés du Conseil d’État annule cette ordonnance en dépit de la gravité de la situation des demandeurs. Ainsi, relève-t-il que « Le 115 a (…) reçu, dans la seule journée du 20 avril 2023, 2 079 appels, mais seuls 687 ont obtenu une réponse et 971 personnes, dont 711 correspondant à des familles avec des enfants, ces derniers étant au nombre de 332 mineurs, n'ont pu se voir proposer de solution d'hébergement. De même, il résulte des précisions apportées à l'audience que du 1er au 7 mai 2023, sur les 493 enfants de moins de 6 ans concernés par une demande de prise en charge, 252 se sont trouvés sans solution. »
En l’espèce, où les intéressés disposent de moyens de subsistance, ceux-ci ne se trouvent donc pas dans la situation la plus grave et il est normal que soit d’abord assuré l’hébergement des personnes et des familles constituant des cas plus désespérés.
Enfin, cette solution demeure alors même que, comme indiqué pour la première fois en appel et pour regrettable que soit cette circonstance, le demandeur reconnu prioritaire depuis novembre 2021 dans le cadre de la procédure distincte du droit au logement opposable, ne s'est pas vu proposer à ce jour de solution à ce titre.
(ord. réf. 15 mai 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement, n° 473605)
(48) V. aussi, décidant que c’est à bon droit que le juge du référé liberté a, notamment, enjoint au département du Loiret d'attribuer à Mme M’mah A. un hébergement, dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de son ordonnance, au titre de l'art. L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles qui dispose : « Sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du conseil général : (...) 4° Les femmes enceintes et les mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans qui ont besoin d'un soutien matériel et psychologique, notamment parce qu'elles sont sans domicile. ».
Le département appelant faisait valoir que l’intéressée ne remplissait ni la condition d'urgence prévue par l'art. L.521-2 du CJA, ni les conditions prévues au 4° de l'art. L.222-5 du code de l'action sociale et de la famille, car elle ne justifiait ni son besoin de soutien psychologique ni son absence de ressources, et qu’elle avait contribué à la situation qu'elle dénonce, d'une part, en regagnant illégalement le territoire français après avoir été reconduite en Italie en application de la procédure « Dublin », d'autre part, en refusant, à une reprise au moins, une solution d'hébergement d'urgence, après avoir recouru dans un premier temps à des solutions d'hébergement alternatives chez des personnes privées. Le juge des référés du Conseil d’État fonde son rejet de l’appel sur ce que Mme A. est enceinte et accompagnée de ses deux enfants dont l'un a moins de trois ans, qui se sont vu reconnaître le statut de réfugié par deux décisions du 8 février 2023 et sur ce qu'elle ne dispose d'aucune autre ressource que les 180 euros mensuels qui lui sont versés par le département pour l'accès aux produits de première nécessité, enfin, qu'elle se trouvait, jusqu'à ce qu'un hébergement lui soit proposé en exécution de l'ordonnance attaquée du juge des référés du tribunal administratif d'Orléans, sans domicile ni solution d'hébergement pour elle-même et pour ses enfants.
Il est donc jugé que sont remplies en l’espèce, les conditions prévues au 4° de l'art. L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles ainsi que la condition d'urgence requise par l'art. L.521-2 du CJA : ord. réf. 30 mai 2023, Département du Loiret, n° 473995.
49 - Ressortissante tunisienne - Contrat « jeune majeur » - Nouvelle prise en charge refusée par le département - Annulation - Rejet.
Une ressortissante tunisienne née en 2005, entrée en France en juillet 2020, a fait l'objet d'un placement provisoire à l'aide sociale à l'enfance, puis, d’un jugement en assistance éducative rendu en 2020, le juge des enfants l'ayant confiée à la direction de la protection de l'enfance et de la jeunesse (DPEJ) du conseil départemental pour une durée de quatre mois, prolongée par une nouvelle ordonnance du 6 janvier 2021. Enfin, une procédure de tutelle d'Tat a été ouverte le 12 avril 2021 par le juge des tutelles des mineurs, l'assistance éducative étant en conséquence déclarée sans objet, la tutelle de Mme B. a fait l'objet d'une mainlevée le 25 octobre 2022. Par un nouveau jugement en assistance éducative du 3 janvier 2023, le juge des enfants du tribunal judicaire a placé à nouveau Mme B. sous la responsabilité de la DPEJ du conseil départemental. Le 22 février 2023, Mme B. a demandé au président du conseil départemental la conclusion d'un « contrat jeune majeur » pour terminer ses études d'esthétique dans un lycée. Par une décision du 10 mars 2023, le président du conseil départemental a refusé de faire droit à sa demande et l'a informée de la fin de sa prise en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance à compter du 27 mars 2023.
Le juge du référé liberté, saisi par l’intéressée, a suspendu cette décision et a enjoint cette autorité de réexaminer sa situation notamment en lui proposant un accompagnement comportant l'accès à une solution de logement adaptée, la prise en charge de ses besoins alimentaires et sanitaires ainsi qu'un suivi éducatif pour lui permettre de poursuivre sa scolarité au moins jusqu'à la fin de l'année scolaire en cours.
L’appel dirigé contre cette ordonnance est rejeté.
Le juge estime d’abord que le département n'apporte en appel aucun élément de nature à remettre en cause le constat du juge des référés selon lequel l’intéressée ne bénéficie d'aucun soutien familial réel, d'aucune ressource, ni d'aucune solution d'hébergement stable à compter du 27 mars 2023. Ensuite, il considère que c'est à bon droit que le juge des référés a estimé que les réserves pouvant être exprimées concernant le comportement de Mme B. lorsqu'elle était mineure ainsi que son manque d'investissement dans ses études ne pouvaient suffire, pour l'application des dispositions du 5° de l'art. L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles, à justifier qu'il soit mis fin à sa prise en charge par l'aide sociale à l'enfance.
Statuant sur un cas limite - ce que révèle l’incise « eu égard à l'ensemble des circonstances particulières de l'espèce » -, la décision conclut que, par son argumentation, le requérant ne justifie pas la remise en cause de l'appréciation du juge des référés aussi bien sur l'existence d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale résultant du refus de prolonger la prise en charge de Mme B., en sa qualité de jeune majeure, que sur l'urgence de cette prise en charge.
(ord. réf. 09 mai 2023, Président du conseil départemental du Val-de-Marne, n° 473601)
Élections et financement de la vie politique – Transparence et déontologie de la vie publique
50 - Élections municipales - Format anormal des bulletins de vote - Atteinte à la sincérité du scrutin - Annulation.
Altère la sincérité du scrutin la manœuvre consistant à imprimer des bulletins de vote sur des feuilles de papier dont les côtés mesuraient 148 mm x 210 mm, soit au format A5, et non, comme l'exigent les dispositions de l'art. R. 30 du code électoral, sur des feuilles de 105 mm x 148 mm, soit de format A6.
Cette irrégularité, en provoquant un gonflement des enveloppes électorales, a été de nature à permettre l'identification du sens du vote des électeurs au moment où ils introduisaient leur enveloppe dans l'urne. Elle conduit à l’annulation des opérations électorales.
(04 mai 2023, M. I., élections municipales complémentaires d’Ercourt, n° 469492)
51 - Élections départementales - Appel d’un jugement en contestation des résultats électoraux - Qualité pour agir en cas de rejet de la protestation en première instance - Intervention tardive à cette instance - Rejet.
Selon un principe constant du contentieux électoral tout électeur est recevable à contester les résultats d’une élection et, en cas d’annulation de celle-ci, à interjeter appel, tel n’est pas le cas lorsque les premiers juges ont rejeté la protestation : dans cette hypothèse seuls les protestataires de première instance ont qualité pour former appel. Toutefois, celui qui, en première instance, était intervenu à l’instance tardivement n’a pas qualité pour interjeter appel.
(15 mai 2023, M. C., élections départementales du canton de Noisy-le-Grand, n° 462074)
52 - Élections à l’assemblée de la Polynésie française - Référé « mesures utiles » - Demande d’injonction tendant à la proclamation des résultats de cette élections - Requête sans objet - Rejet.
Par une étrange requête le demandeur a saisi le juge des référés du Conseil d’État sur le fondement de l’art. L. 521-3 CJA (référé « mesures utiles ») aux fins qu’il appelle à la cause le haut-commissaire de la république en Polynésie française et qu’il enjoigne notamment au président de l'assemblée de la Polynésie française, de proclamer les résultats de l'élection des représentants à cette assemblée du 30 avril 2023, sous astreinte d'un million de francs Pacifique par heure de retard à compter du prononcé de l'ordonnance à intervenir.
Les demandes sont rejetées, le juge relevant que la « commission de recensement des votes a proclamé publiquement, le 1er mai 2023, les résultats définitifs du second tour pour (cette élection) (…). Les résultats de cette élection ont ensuite été publiés, par arrêté du président de l'assemblée de la Polynésie française (…) du 3 mai 2023 prenant acte de l'élection des représentants à l'assemblée de la Polynésie française, au Journal officiel de la Polynésie française le 4 mai 2023. »
Il suit de là, avec évidence, que cette requête, introduite le 15 mai 2023, était déjà dépourvue d’objet lors de son dépôt au Conseil d’État et que les conclusions qu’elle contient sont irrémédiablement irrecevables.
L’infliction d’une amende pour abus du prétoire n’aurait pas été malvenue en la circonstance.
(16 mai 2023, M. B., n° 474130)
53 - Élections professionnelles dans la fonction publique - Arrêté d’organisation d’opérations électorales - Élections s’étant déroulées - Recours devenu sans objet - Non-lieu à statuer - Rejet.
Les organisations requérantes demandaient l’annulation de l’arrêté du 9 mars 2022 portant dérogation à l'utilisation du vote électronique en vue du prochain renouvellement général des instances de dialogue social dans la fonction publique de l’État et de l'instruction du 2 décembre 2022 relative à l'organisation des scrutins de comités sociaux d'administration de proximité des directions départementales interministérielles.
Le recours est rejeté car il est devenu sans objet du fait que les élections se sont déjà déroulées.
En effet, s’il est possible de contester au moyen d'un recours tendant à l'annulation des opérations électorales concernées la légalité des actes attaqués qui sont relatifs à l'organisation du scrutin, en revanche, le recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation de ces actes est, après la tenue du scrutin, devenu sans objet. Il n’y a donc pas lieu d’y statuer.
(12 mai 2023, Union fédérale des syndicats de l’État CGT (UFSE-CGT), l'Union syndicale Solidaires Fonction publique et la Fédération syndicale unitaire (FSU), n° 469412)
Environnement
54 - Betteraves sucrières - Traitement par produits interdits sauf conditions particulières - Absence - Annulation.
Cette affaire est un nouvel épisode de la « guerre de la betterave sucrière » suscitée par l’emploi de substances chimiques destinées à assurer la protection sanitaire de ces plantes mais toxique pour les abeilles en particulier.
Les requérantes demandaient l’annulation, d’une part, de l'arrêté interministériel (agriculture et transition écologique) du 5 février 2021 autorisant provisoirement l'emploi de semences de betteraves sucrières traitées avec des produits phytopharmaceutiques contenant les substances actives imidaclopride ou thiaméthoxame et, d’autre part, pour certaines d’entre elles, l’annulation de l'arrêté interministériel du 31 janvier 2022 autorisant provisoirement l'emploi de semences de betteraves sucrières traitées avec des produits phytopharmaceutiques contenant les substances actives imidaclopride ou thiaméthoxame et précisant les cultures qui peuvent être semées, plantées ou replantées au titre des campagnes suivantes.
L’art. 53 du règlement n° 1107/2009 du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques dispose dans son 1. qu’un État membre peut autoriser, pour une période n'excédant pas cent vingt jours, la mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques en vue d'un usage limité et contrôlé, lorsqu'une telle mesure s'impose en raison d'un danger qui ne peut être maîtrisé par d'autres moyens raisonnables. Toutefois, la CJUE a dit pour droit que ces dispositions ne permettent pas à un État membre d'autoriser la mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques en vue du traitement de semences, ainsi que la mise sur le marché et l'utilisation de semences traitées à l'aide de ces produits, dès lors que la mise sur le marché et l'utilisation de semences traitées à l'aide de ces produits ont été expressément interdites par un règlement d'exécution (19 janvier 2023, Pesticide Action Network Europe e.a., aff. C-162/21).
Deux règlements d’exécution (2018/783 et 2018/785 du 29 mai 2018) ont interdit la mise sur le marché et l'utilisation de semences traitées à l'aide des deux substances actives imidaclopride et thiamétoxame, sauf aux fins de culture dans des serres permanentes, tout au long de leur cycle de vie, de sorte que la culture obtenue ne soit pas replantée à l'extérieur.
Dès lors que les ministres défendeurs ne soutiennent pas que des cultures de betteraves sucrières seraient pratiquées sous serre tout au long de leur cycle de vie, il s’ensuit qu’ils ne pouvaient pas, sans illégalité, par les arrêtés attaqués, se fonder sur les dispositions de l'article 53 du règlement de l’Union n° 1107/2009 pour autoriser l'emploi de semences de betteraves sucrières traitées avec des produits contenant de l'imidaclopride ou du thiaméthoxame.
Les arrêtés contestés sont annulés.
(03 mai 2023, Association Agir pour l'environnement et autres, n° 450155 et n° 461199 ; Association CRIIGEN et autres, n° 450287 ; Association Générations futures et autres, n ° 450932, n° 451271 et n° 451380 ; Union nationale de l’apiculture française, n° 450933 et n° 451272)
55 - Action pour le climat - Gaz à effet de serre - Objectif de réduction d’émissions fixé par la loi et le droit de l’Union - Stratégie bas carbone - Procédure d’examen de l’exécution effective d’une décision du Conseil d’Tat - Complément d’injonction ordonné.
Nouvel épisode de l’« affaire du siècle », inépuisable saga contentieuse.
Avec grande constance dans la fermeté, sûreté et sérénité d’analyse et beaucoup de pédagogie, le Conseil d’État persiste et signe, forçant l’effort toujours un peu vacillant du politique, sensible qu’il est à d’autres sirènes.
On se souvient que dans une décision très remarquée du (1er juillet 2021, Commune de Grande-Synthe et M. A., n° 427301) le Conseil d’État avait annulé le refus implicite opposé par le président de la république, le premier ministre et la ministre de la transition écologique à la demande de la commune de Grande-Synthe de prendre toutes mesures utiles permettant d'infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national afin d'assurer sa compatibilité avec les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixés à l'art. L. 100-4 du code de l'énergie et à l'annexe I du règlement communautaire du 30 mai 2018 relatif aux réductions annuelles contraignantes des émissions de gaz à effet de serre par les États membres de 2021 à 2030 contribuant à l'action pour le climat afin de respecter les engagements pris dans le cadre de l'accord de Paris. Le juge avait également enjoint au premier ministre de prendre de telles mesures avant le 31 mars 2022.
La commune de Grande-Synthe, le premier ministre ayant opposé un refus implicite de prendre les mesures supplémentaires qu’elle préconise pour permettre d'infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national afin d'assurer sa compatibilité avec les objectifs de réduction de ces émissions, a saisi le Conseil d’État, sur le fondement des art. L. 911-5 et R. 931-2 du CJA, de trois demandes tendant à l’annulation de ce refus et au prononcé d'une astreinte.
Après que la section du rapport et des études, ayant exécuté les diligences lui incombant, a transmis ces demandes d'exécution au président de la section du contentieux, celui-ci a ouvert une procédure juridictionnelle d'exécution.
Ainsi, outre le fond, soit la lutte contre le réchauffement climatique, cette décision est très importante par la description minutieuse et complète des voies et moyens du juge pour assurer l’exécution effective de ses décisions, spécialement ses injonctions. Nous pensons que jamais le juge n’était allé aussi loin dans l’investigation et dans l’analyse.
A) Le dispositif théorique
1 - Tout d’abord, à travers la description de l’office du juge de l’exécution, le Conseil d’État fournit un modèle théorique et méthodologique pour permettre cette investigation et pour effectuer cette analyse, décrivant d’abord ainsi l’objet de son office « Au cas d'espèce, le Gouvernement doit, pour démontrer la correcte exécution de la décision du 1er juillet 2021, justifier que les mesures prises, ainsi que les mesures qui peuvent encore être raisonnablement adoptées pour produire des effets dans un délai suffisamment court, permettent que la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national soit compatible avec l'atteinte des objectifs précédemment mentionnés, fixés à l'échéance 2030 (…). »
2 - Puis, le juge expose comment il va procéder pour apprécier l’état et le degré d’exécution : « (…) le juge de l'exécution prend en considération tous les éléments recueillis lors de l'instruction contradictoire permettant de s'assurer, avec une marge de sécurité suffisante, et en tenant compte des aléas de prévision et d'exécution, que les objectifs fixés par le législateur pourront être atteints. »
3 - Enfin, le juge indique les quatre étapes de cette appréciation ; il lui revient « (…) en premier lieu, d'examiner si les objectifs intermédiaires ont été atteints à la date à laquelle il statue et dans quelles conditions, en tenant compte, le cas échéant, des événements exogènes qui ont pu affecter de manière sensible le niveau des émissions constatées. En deuxième lieu, (…) de prendre en compte les mesures adoptées ou annoncées par le Gouvernement et présentées comme de nature à réduire les émissions de gaz à effet de serre mais également, le cas échéant, les mesures susceptibles d'engendrer au contraire une augmentation notable de ces émissions. En troisième lieu, (de) prendre en considération les effets constatés ou prévisibles de ces différentes mesures et, plus largement, l'efficacité des politiques publiques mises en place, au regard des différentes méthodes d'évaluation ou d'estimation disponibles, y compris les avis émis par les experts, notamment le Haut conseil pour le climat (…), pour apprécier la compatibilité de la trajectoire de baisse des émissions de gaz à effet de serre avec les objectifs assignés à la France. Au regard de l'ensemble de ces éléments, il appartient, en dernier lieu, au juge de déterminer, dans une perspective dynamique, et sans se limiter à l'atteinte des objectifs intermédiaires, mais en prenant en compte les objectifs fixés à la date de sa décision d'annulation, si, au vu des effets déjà constatés, des mesures annoncées et des caractéristiques des objectifs à atteindre ainsi que des modalités de planification et de coordination de l'action publique mises en œuvre, les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixés à l'échéance de 2030 peuvent, à la date de sa décision, être regardés comme raisonnablement atteignables. »
Au terme de ce bilan, deux situations peuvent se présenter : soit « le juge de l'exécution estime que des éléments suffisamment crédibles et étayés permettent de regarder la trajectoire d'atteinte de ces objectifs comme respectée, il peut clore le contentieux lié à l'exécution de sa décision » ; soit, à l’inverse, le juge estime que, la trajectoire d'atteinte de ces objectifs n’a pas été respectée et, en ce cas, « il lui appartient d'apprécier l'opportunité de compléter les mesures déjà prescrites ou de prononcer une astreinte, en tenant compte pour ce faire tant des circonstances de droit et de fait à la date de sa décision que des diligences déjà accomplies par l'administration pour procéder à l'exécution de la décision du 1er juillet 2021, ainsi que de celles qui sont encore susceptibles de l'être. »
B) L’examen de la situation concrète
Le juge applique strictement le canevas de contrôle qui vient d’être rappelé.
1 - En premier lieu, sont appréciés les niveaux d'émissions de gaz à effet de serre relevés jusqu'à la date de la présente décision, le juge constatant que « Sous réserve de la confirmation de (…) données provisoires pour l'année 2021 puis pour l'année 2022, ces éléments mettent en évidence que les parts annuelles indicatives d'émissions prévues pour le 2e budget carbone pour les années 2019, 2020 et 2021, (…) ont été respectées et que celle prévue pour l'année 2022 pourrait l'être également. Sur la période 2019-2021, il en résulte un rythme de diminution annuel moyen des émissions de gaz à effet de serre de l'ordre de - 1,9 %. »
2 - En deuxième lieu, sont étudiées les mesures adoptées ou annoncées, mises en avant par le Gouvernement pour justifier de l'exécution de la décision dans les secteurs des transports (30% des émissions en 2021), du bâtiment, résidentiel comme tertiaire (18% des émissions), de l’activité agricole (19% des émissions), de l’activité industrielle (19% des émissions), des déchets (3% des émissions), ainsi que les financements alloués à l’ensemble de ces mesures et à la transition écologique.
3 - En troisième lieu, et c’est un point évidemment très important, est appréciée la compatibilité de ces mesures et du pilotage des politiques publiques mis en place avec la trajectoire de diminution des émissions de gaz à effet de serre. Le juge met en balance les efforts faits, les critiques qui y sont adressées, le constat du Haut conseil pour le climat et le rehaussement des exigences de l’Union européenne en cette matière.
De tout ceci, découle la conclusion tirée par le juge en ces termes : « Cependant, si (le Gouvernement) fait valoir que ces mesures permettront d'atteindre ces objectifs de réduction des émissions, d'une part, l'évaluation prospective qu'il a produite repose sur des hypothèses de modélisation qui ne sont pas vérifiées à ce stade et ne permettent pas de considérer comme suffisamment fiables les résultats avancés, d'autre part, les conclusions de cette évaluation apparaissent en contradiction avec l'analyse par objectifs sectoriels de la stratégie nationale bas carbone menée par le Haut conseil pour le climat, laquelle n'a été remise en cause, dans sa méthodologie ou les conclusions auxquelles elle aboutit, par aucune des parties.
Dans ces conditions, et compte tenu notamment du renforcement de l'ampleur des réductions de gaz à effet de serre attendues par les 3ème et 4ème budgets carbone par rapport au niveau constaté jusqu'ici, il demeure des incertitudes persistantes, qui n'ont pas été levées par l'instruction contradictoire menée, complétée par la séance orale d'instruction, quant à la capacité des mesures prises à ce jour et des modalités de coordination stratégique et opérationnelle de l'ensemble de l'action publique mises en œuvre, à rendre suffisamment crédible l'atteinte d'un rythme de diminution des émissions territoriales de gaz à effet de serre cohérent avec les objectifs de réduction fixés pour 2030 par les dispositions législatives nationales ou par le droit de l'Union européenne pertinents.
Il en résulte qu'en l'état de l'instruction, la décision du 1er juillet 2021 ne peut être regardée comme complètement exécutée. Dans ces circonstances, et compte tenu notamment des diligences déjà accomplies par le Gouvernement ainsi que de celles qui sont encore susceptibles de l'être, il y a lieu, en l'état, de compléter l'injonction prononcée par cette décision en édictant, sur le fondement des articles L. 911-5 et R. 911-32 du code de justice administrative, les mesures complémentaires nécessaires pour en assurer l'exécution complète, sans qu'il soit besoin par ailleurs de prononcer une astreinte. »
Cette décision est assortie de l’obligation pour le premier ministre de prendre ces mesures complémentaires avant le 30 juin 2024 et de produire, à échéance du 31 décembre 2023, puis au plus tard le 30 juin 2024, tous les éléments justifiant de l'adoption de ces mesures et permettant l'évaluation de leurs incidences sur ces objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Cette décision constitue une véritable mise en tutelle du pouvoir exécutif dans son action climatique.
(10 mai 2023, Commune de Grande-Synthe et autres, n° 467982)
56 - Permis d’implantation d’éoliennes - Dégradation de la qualité d’un paysage remarquable - Préservation d’espaces caractéristiques du patrimoine montagnard - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation et renvoi.
L’arrêt confirmatif par lequel une cour administrative d’appel a rejeté le recours formé par les demanderesses contre trois décisions par lesquelles le préfet de la Loire a accordé trois permis de construire à la SAS Monts du Forez Énergie pour la construction d'un poste de livraison, d'un local technique et d'un mât de mesure, pour la construction d'une éolienne, et enfin pour la construction de quatre autres éoliennes est annulé pour double dénaturation des pièces du dossier soumis au juge.
D’une part, pour écarter le moyen tiré de ce que le préfet aurait entaché d'erreur manifeste son appréciation sur le respect par les permis de construire litigieux de l'art. R. 111-27 du code de l’urbanisme, la cour a jugé que le projet prévoit une implantation des ouvrages dans l'alignement de la crête du Grand Caire, selon un espacement régulier, créant ainsi une ligne de fuite propre à en atténuer l'impact visuel sur les paysages environnants et que les reliefs boisés et dômes environnants participent à éviter des ruptures d'échelle, de sorte qu'il n'en résulterait pas d'effet d'écrasement. Or le juge de cassation considère qu’eu égard à l'implantation des éoliennes projetées et à la dégradation de la qualité du paysage remarquable du site en résultant en dépit des éléments mis en avant pour justifier l'atténuation de leur impact visuel, la cour ne pouvait, sans dénaturer les pièces du dossier qui lui étaient soumises, estimer que la décision du préfet de la Loire était exempte d'erreur manifeste d'appréciation.
D’autre part, la cour ne pouvait pas davantage, sans dénaturer les pièces du dossier, au regard de ce qui vient d’être dit, écarter le moyen tiré de la méconnaissance de l'art. L. 122-9 du code de l'urbanisme par les arrêtés attaqués alors que ce dernier dispose que : « Les documents et décisions relatifs à l'occupation des sols comportent les dispositions propres à préserver les espaces, paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard ».
(24 mai 2023, Association Vent du Haut-Forez, communes de Chalmazel-Jeansagnière, de la Chamba, de La Côte-en-Couzan et de Saint-Didier-sur-Rochefort, n° 455072)
57 - Arrêté relatif à l’emploi des gluaux pour la capture des grives et des merles destinés à servir d'appelants - Arrêté relatif à l’emploi de pantes pour la capture de l'alouette des champs - Arrêté relatif à l’emploi de la tenderie aux vanneaux et de la tenderie aux grives - Arrêté relatif à l’emploi de matelotes pour la capture de l'alouette des champs - Non-lieu ou annulation selon les cas.
Les requérantes demandaient l’annulation du refus du premier ministre d’abroger les arrêtés du 17 août 1989 qui autorisent divers modes de capture d’oiseaux estimés contraires au droit de l’Union.
Sont tout d’abord déclarés sans objet les recours dirigés contre ces arrêtés en tant qu’ils sont relatifs à la capture de l'alouette des champs respectivement au moyen de pantes et de matoles puisqu’ils ont été abrogés par l'art. 9 de l'arrêté du 4 octobre 2022 relatif à la capture de l'alouette des champs à l'aide de pantes dans les départements de la Gironde, des Landes, du Lot-et-Garonne et des Pyrénées-Atlantiques et par l'art. 9 de l'arrêté du 4 octobre 2022 relatif à la capture de cet oiseau à l'aide de matoles dans les départements des Landes et du Lot-et-Garonne. En effet, si ces arrêtés ont le même objet que les arrêtés querellés du 17 août 1989 qu'ils abrogent, ils procèdent à des modifications substantielles des conditions dans lesquelles les procédés de chasse traditionnelle sur lesquels ils portent sont autorisés. Par suite, sont devenus sans objet en tant que dirigés contre le refus d’abroger les arrêtés de 1989, les recours n° 459403, n° 460530 et n° 460152.
Ensuite, s’agissant des autres recours, concernant la tenderie aux vanneaux et la tenderie aux grives, les refus d’abroger les arrêtés de 1989 sont annulés pour contrariété aux dispositions de l’art. 9 de la directive du 30 novembre 2009 tel qu’interprété par la CJUE (17 mars 2021, One Voice et Ligue pour la protection des oiseaux, aff. C-900/19).
Les chasseurs dépités se consoleront en visionnant à nouveau, désopilant, « Le Cri du cormoran le soir au-dessus des jonques ».
(24 mai 2023, Ligue française pour la protection des oiseaux, n° 459400 ; Ligue française pour la protection des oiseaux, n° 459403 ; Ligue française pour la protection des oiseaux, n° 459405 ; Ligue française pour la protection des oiseaux, n° 459409 ; Association ornithologique et mammalogique de Saône-et-Loire, n° 460452 ; Ligue française pour la protection des oiseaux, n° 460530)
58 - Ours brun dans les Pyrénées - Régime d’effarouchement - Condition d’urgence non satisfaite - Rejet.
Était demandée la suspension de l'exécution de l'arrêté du 4 mai 2023 des ministres de l'agriculture et de la transition écologique relatif à la mise en place de mesures d'effarouchement de l'ours brun dans les Pyrénées pour prévenir les dommages aux troupeaux, à l'exception de son article 7 abrogeant l'arrêté du 20 juin 2022.
La requête est rejetée pour défaut de satisfaction de la condition d’urgence car le juge estime que l'arrêté litigieux, qui fixe les conditions d'octroi des dérogations à l'interdiction de perturbation intentionnelle des ours bruns et les modalités de leur mise en œuvre, n'a ni pour objet ni pour effet, par lui-même, d'autoriser les mesures d'effarouchement des ours, une telle autorisation ne pouvant résulter que de la décision prise par le préfet en application des dispositions de l'art. R. 411-6 du code de l'environnement.
(30 mai 2023, Association One Voice, n° 474050)
État-civil et nationalité
59 - Retrait d’un décret de naturalisation - Motifs - Rejet.
C’est sans illégalité que le premier ministre retire le décret de naturalisation d’un ressortissant camerounais pour avoir menti au cours de la procédure sur le nombre de ses enfants, en déclarant quatre alors qu’il était le père de trois autres.
(11 mai 2023, M. E., n° 464406)
(60) V. aussi, admettant la légalité du retrait du décret de naturalisation d’une ressortissante ivoirienne pour dissimulation de sa situation maritale dès lors qu’elle n’a pas déclaré, au cours de la procédure de naturalisation, son mariage avec un ressortissant ivoirien demeurant à l’étranger, ne le faisant qu’après intervention du décret de naturalisation : 11 mai 2023, Mme A., n° 467149.
61 - Refus d’acquisition de la nationalité française - Infractions diverses - Rejet.
Est légal le refus d’autoriser la naturalisation d’un ressortissant tunisien fondé sur ce que l’intéressé, en 2017, 2018 et 2020, respectivement :
1° a été reconnu coupable, par ordonnance pénale du tribunal de grande instance de Chambéry, de faits de conduite d'un véhicule à moteur sous l'empire d'un état alcoolique et de port sans motif légitime d'arme blanche ou incapacitante de catégorie D, faits pour lesquels, il a été condamné à 300 euros d'amende, à la suspension de son permis de conduire pendant trois mois et à la confiscation d'armes ;
2° a dû s'acquitter d'une amende de 450 euros sur composition pénale pour des faits de conduite d'un véhicule malgré la suspension administrative de son permis de conduire ;
3°enfin, a été reconnu coupable par le tribunal correctionnel de Chambéry de récidive de port sans motif légitime d'arme blanche ou incapacitante de catégorie D, ainsi que de violence avec usage ou menace d'une arme sans incapacité et de transport sans motif légitime d'arme blanche ou incapacitante de catégorie D, entraînant sa condamnation à un an d'emprisonnement avec sursis, à une interdiction de détenir une arme soumise à autorisation pendant cinq ans et à la confiscation des biens ou instruments ayant servi à commettre l'infraction.
Eu égard à la gravité des faits ainsi qu'à leur caractère répété et récent, et alors même que l'intéressé aurait eu un comportement ultérieur satisfaisant, le premier ministre, par son décret du 18 mars 2022 portant refus d’acquisition de la nationalité française, n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article 21-4 du Code civil en estimant que ces faits rendaient l’intéressé indigne d'acquérir la nationalité française :
(11 mai 2023, M. B., n° 465165).
Étrangers
62 - Obligation de quitter le territoire français, fixation du pays de destination et interdiction temporaire de retour en France - Absence d’attaches sérieuses en France - Maintien de liens avec le pays d’origine - Rejet.
Le représentant de l’État dans les collectivités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, par un arrêté du 17 mars 2023, a obligé le requérant à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. Le requérant demande, par voie de référé liberté, outre la suspension de l’exécution de ces décisions, qu’injonction soit faite à leur auteur de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de l'ordonnance à intervenir, en troisième lieu, d'ordonner la restitution de son passeport et, en dernier lieu, d'enjoindre au représentant de l’État, en cas d'éloignement effectif, de mettre en œuvre son retour à Saint-Martin.
Le requérant interjette appel de l’ordonnance qui a rejeté l’ensemble de ses demandes.
Le juge des référés du Conseil d’État rejette l’appel.
Si M. B. soutient vivre depuis 2013 en concubinage avec Mme C., ressortissante française née en 1949, qui est handicapée et requiert sa présence au quotidien, ces affirmations ne sont pas corroborées par les pièces du dossier : hébergé de façon épisodique chez cette personne, il n’établit pas l’état concubinaire et l’existence d’une relation de couple si ce n’est pas des témoignages de complaisance de son entourage ; de plus, il a déclaré être célibataire, lors de son audition par les services de la police aux frontières le 25 juillet 2016 et aux termes de la fiche de renseignements qu'il a remplie le 8 novembre 2019 à l'occasion de sa demande de titre de séjour. Enfin, M. B., âgé de 54 ans, a vécu l'essentiel de sa vie dans son pays d'origine et ne prouve pas y être dépourvu d'attache, alors qu'il résulte de l'instruction qu'il a effectué à destination de celui-ci, pendant plusieurs années et encore en 2019, plusieurs virements au bénéfice de son frère. Dans ces conditions, l'arrêté litigieux - contrairement à ce qui est soutenu - ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de sa vie privée et familiale.
(ord. réf. 08 mai 2023, M. B., n° 473705)
63 - Obligation de quitter le territoire français et interdiction temporaire de retour - Personne pouvant recevoir des soins médicaux appropriés dans son pays - Conjointe y résidant - Absence d’atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale - Rejet.
Confirmant l’arrêt frappé de cassation, le Conseil d’État rejette le recours formé par un ressortissant bangladais, signalé au fichier Système d’information Schengen (SIS), contre deux arrêtés du préfet de police de Paris lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai avec interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.
Tout d’abord, il est établi que le requérant pourrait recevoir des soins médicaux appropriés dans son pays d’origine. Ensuite, quand bien même il prétend avoir tissé des liens en France du fait de son insertion professionnelle, il reste que son épouse vit au Bangladesh.
Ni son état de santé ni le respect de sa vie privée et familiale ne peuvent donc être invoqués à l’encontre des arrêtés préfectoraux qu’il attaque.
(25 mai 2023, M. B., n° 461647)
64 - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) - Effet dès la lecture de la décision de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) - Prétendue méconnaissance des droits de la défense et du principe du contradictoire - QPC - Rejet de la demande de transmission.
La requérante soutient que les dispositions de l’art. L. 542-1 du CESEDA portent atteinte à des droits ou libertés reconnus par la Constitution en ce qu'elles prévoient que le droit du demandeur d'asile de se maintenir sur le territoire français prend fin à la date de lecture en audience publique de la décision de la CNDA statuant sur le recours formé contre une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, méconnaissant ainsi les droits de la défense et le principe du contradictoire garantis par l'article 16 de la Déclaration de 1789, la convention EDH, le 2 de l'art. 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et les principes généraux du droit communautaire.
La demande de transmission est rejetée pour deux motifs.
En premier lieu, l’OQTF est une mesure de police non une sanction à caractère punitif, par suite est inopérant le moyen tiré de ce que les dispositions querellées méconnaîtraient les droits de la défense et le principe du contradictoire garantis par la Constitution, en ce qu'elles privent l'étranger dont la demande d'asile a été rejetée de la possibilité de présenter des observations et de faire valoir des éléments nouveaux avant l'adoption d'une telle mesure.
En second lieu, ne sauraient être invoquées les dispositions la convention EDH, la charte des droits fondamentaux de l'Union et les principes généraux du droit communautaire car ces engagements internationaux et ces principes « ne sont pas au nombre des droits et libertés garantis par la Constitution » et ne peuvent donc pas être invoqués au soutien d’une QPC. Cette seconde partie de la décision est discutable dans tous les cas où les droits et principes qui y sont visés constituent en même temps des droits et principes figurant dans la Constitution ou déduits de celle-ci par la jurisprudence interne.
Elle entre d’ailleurs sur ce point directement en contradiction avec le principe d’équivalence des protections et/ou des garanties issu notamment de la décision d’Assemblée Société Arcelor Atlantique et Lorraine et autres (8 février 2007, n° 287110).
(25 mai 2023, Mme A., n° 471735)
65 - Avis de droit - Étranger - Demande de titre de séjour - Notion d’avis « émis à l’issue d’une délibération » - Délibération du collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) - Procédure applicable - Réponse en ce sens.
Interrogé par deux tribunaux administratifs sur des questions voisines relatives au mode de statuer du collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) et au statut des décisions en résultant, le Conseil d’État indique ceci.
La loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France et ses textes d'application ont prévu une procédure particulière aux termes de laquelle le préfet statue sur la demande de titre de séjour présentée par l'étranger malade.
Selon cette procédure, en premier lieu, un médecin de l’OFII autre que ceux composant le collège de trois médecins devant rendre leur avis au préfet, établit un rapport médical relatif à l'état de santé du demandeur, après avoir, le cas échéant, convoqué l’intéressé pour examen et fait procéder aux examens estimés nécessaires.
En deuxième lieu, au vu de ce rapport, est rendu un avis par trois médecins du service médical de l'Office, qui se prononcent en répondant par l'affirmative ou par la négative aux questions figurant à l'article 6 précité de l'arrêté du 27 décembre 2016, notamment sur les points de savoir si l'état de santé du demandeur nécessite ou non une prise en charge médicale, si le défaut de prise en charge peut ou non entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur son état de santé, si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays dont le ressortissant étranger est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, enfin la durée prévisible du traitement.
En troisième lieu, compte tenu de ce qui précède cet avis commun constitue une garantie pour l’étranger malade.
Enfin, les médecins signataires de l'avis ne sont pas tenus, pour répondre aux questions posées, de procéder à des échanges entre eux en dépit de l’emploi par les textes de l’expression « avis émis à l’issue d’une délibération » car l'avis résulte de la réponse apportée par chacun à des questions auxquelles la réponse ne peut être qu'affirmative ou négative. Il suit de là que la circonstance que, dans certains cas, ces réponses n'aient pas fait l'objet de tels échanges, oraux ou écrits, est sans incidence sur la légalité de la décision prise par le préfet au vu de cet avis.
(25 mai 2023, M. C., n° 471239 ; M. B., n° 471465)
66 - Visa d’entrée sur le territoire français - Recours en injonction de délivrance pour une enfant mineure - Incompétence du Conseil d’État en première instance - Rejet.
Le juge du référé liberté du Conseil d’État n’est manifestement pas compétent pour connaître directement d’un référé tendant à ce qu’il enjoigne à l'administration compétente de délivrer un visa d'entrée sur le territoire de la république française à la fille mineure du requérant afin qu'elle vienne du Cameroun en France pour vivre avec lui.
Il résulte en effet des dispositions de l’art. R. 312-18 du CJA que : « Les litiges relatifs aux décisions individuelles prises en matière d'autorisations de voyage et de visas d'entrée sur le territoire de la république française relevant des autorités consulaires ressortissent à la compétence du tribunal administratif de Nantes. (...) ».
(ord. réf. 23 mai 2023, M. A., n° 473659)
67 - Médecin algérienne - Accueil en France en qualité de stagiaire par un centre hospitalier - Demande de titre de séjour en préfecture - Nécessité d’un visa de travail temporaire - Délivrance par les autorités consulaires françaises en Algérie - Confirmation de l’ordonnance de rejet.
La requérante, médecin de nationalité algérienne souhaitant exercer en France, a conclu une convention en vue de son accueil en qualité de stagiaire associé pour une durée de six mois renouvelable à compter du 1er novembre 2022. Cette convention a fait l'objet d'un avis favorable du ministère de l'intérieur. Elle est arrivée en France, accompagnée de ses trois enfants, à l'été 2022, sous couvert d'un visa de court séjour dit « visa touristique de type C » et elle a, le 25 novembre 2022, sollicité par courriel un rendez-vous en sous-préfecture en vue de l'obtention d'un titre de séjour.
Informée par cette dernière de la nécessité, avant de pouvoir commencer son stage, d’obtenir un visa de travail temporaire auprès d'une autorité consulaire française en Algérie, l’intéressée a saisi le tribunal administratif d’un référé aux fins d’injonction au préfet de lui délivrer un formulaire de demande de titre de séjour et un récépissé du dépôt de cette demande une fois celle-ci effectuée.
Elle relève appel de l'ordonnance par laquelle ce juge a rejeté sa demande. L’appel est rejeté.
Comme jugé en première instance, il résulte des dispositions de l’art. L. 312-2 du CESEDA que le visa de long séjour à des fins de travail temporaire que doit détenir la requérante pour effectuer régulièrement son stage auprès d’un centre hospitalier ne peut pas être délivré par les services préfectoraux et doit faire l'objet d'une demande auprès d'autorités consulaires françaises en Algérie, ainsi d’ailleurs que les services de la sous-préfecture l’ont indiqué à l’intéressée trois jours après avoir été saisis et qu’ils l'ont expliqué aux services administratifs du centre hospitalier.
C’est à bon droit que, jugeant qu’il n’était pas porté en l’espèce une atteinte grave à une liberté fondamentale, le juge des référés, a rejeté la demande dont il était saisi.
(ord. réf. 25 mai 2023, Mme A., n° 474333)
Fonction publique et agents publics – Agents des services publics
68 - Fonction publique territoriale - Sanction disciplinaire - Possibilité de retenir des faits antérieurs à la nomination de l’agent - Conditions - Motivation insuffisante - Annulation.
Réitérant un certain courant jurisprudentiel ancien (Section, 5 décembre 1930, Sarrail, n° 3130, D. 1931.3.58, concl. Rivet) mais pas isolé (6 juillet 2016, Mme Maurice et autres, n° 392728), le juge administratif pose en principe : « Lorsque l'administration estime que des faits, antérieurs à la nomination d'un fonctionnaire mais portés ultérieurement à sa connaissance, révèlent, par leur nature et en dépit de leur ancienneté, une incompatibilité avec le maintien de l'intéressé dans la fonction publique, il lui revient, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, d'en tirer les conséquences en engageant une procédure disciplinaire en vue de procéder, à raison de cette incompatibilité, à la révocation de ce fonctionnaire. »
Toutefois, cette possibilité n’est pas sans garde-fou et, en l’espèce, est annulé un arrêt de cour d’appel infirmant le jugement ayant annulé la révocation d’un fonctionnaire pour des faits antérieurs à sa nomination dans la fonction publique et assorti cette annulation d’une injonction de réintégration.
Le juge a estimé en premier lieu que ne pouvait être retenue contre l’intéressé la consultation du dossier d'un bénéficiaire par fraude d'une allocation versée par le département et à l’égard duquel aucune charge n'a été retenue à l'issue de l'enquête judiciaire qui avait été diligentée après la découverte de fraudes aux prestations sociales versées par le département.
Il a considéré en second lieu, que ne pouvaient pas davantage fonder légalement la décision de révocation les faits que cet agent, né en 1989 : 1°/ a été condamné en 2008, par un tribunal correctionnel à raison d'un vol avec violence n'ayant pas entraîné d'incapacité de travail, commis au préjudice d'un magasin pour un montant de 485 euros, à une peine de deux ans de prison dont un an avec sursis, puis 2°/ a été condamné par un autre tribunal correctionnel, en 2012, pour avoir tenté de pénétrer sans autorisation dans un établissement pénitentiaire en s'y présentant avec une pièce d'identité qui n'était pas la sienne, à une peine de trente jours-amende.
Le juge considère, avec mansuétude, que ces condamnations - dont l'administration a pris connaissance en 2014, qui ont donné lieu, pour la seconde, à une dispense d'inscription au bulletin n° 2 du casier judiciaire de l'intéressé et, pour la première, à un effacement de ces mentions par jugement du 15 mai 2012 -, eu égard à l'ancienneté des faits ayant justifié la première condamnation et à leur nature, ayant d'ailleurs conduit l'autorité judiciaire à retenir en 2012 que leur gravité ne justifiait pas ou plus de mention des condamnations correspondantes au bulletin n° 2 du casier judiciaire, n'affectaient pas à elles seules le bon fonctionnement ou la réputation du service dans des conditions justifiant la révocation de l'intéressé par l'arrêté attaqué du 26 avril 2017.
(03 mai 2023, M. A., n° 438248)
69 - Corps des inspecteurs d’académie-inspecteurs pédagogiques régionaux - Création d’un échelon spécial au sein de la hors classe de ce corps - Rétroactivité illégale - Demande irrecevable.
L’intéressé, inspecteur hors classe de l'éducation nationale, a fait valoir ses droits à la retraite à compter du 1er octobre 2015. Un arrêté du 19 février 2016 a inscrit 54 agents au tableau d'avancement à l'échelon spécial du grade d'inspecteur de l'éducation nationale hors classe au titre de l'année 2015.
Constatant ne pas figurer dans cette liste, il a contesté en vain la légalité de cette omission et se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel confirmatif de ce rejet.
Pour dire ce recours irrecevable, le Conseil d’État relève que le décret du 30 décembre 2015 a créé, au sein de la hors classe du corps des inspecteurs de l'éducation nationale, un échelon supplémentaire dit « échelon spécial », l’art. 7 de ce décret dispose que « des tableaux d'avancement à l'échelon spécial sont établis, l'un au titre de l'année 2015, l'autre au titre de l'année 2016, à compter de la date d'entrée en vigueur des dispositions de l'article 16 du décret du 18 juillet 1990 dans leur rédaction issue du présent décret ». Or aucune disposition de nature législative n’a donné à ce décret un effet rétroactif : le tableau d’avancement de l’année 2015 pour la promotion à l'échelon spécial du grade d'inspecteur de l'éducation nationale hors classe était donc illégal et le demandeur ne pouvait pas s’en prévaloir, d’autant qu’il a été admis à la retraite au cours de cette même année et qu’ainsi le tableau d’avancement attaqué ne lui cause aucun préjudice de carrière. Son recours est rejeté pour irrecevabilité.
(03 mai 2023, M. B., n° 451350)
70 - Conseil de discipline - Avis sur un licenciement - Partage des voix - Sens de l’avis - Rejet de la proposition de licenciement - Annulation.
L’administration ayant envisagé le licenciement d’un agent pour insuffisance professionnelle, a saisi le conseil de discipline. Quatre de ses membres ont voté en faveur du licenciement et quatre autres se sont abstenus.
L’intéressé a obtenu la suspension en référé de la mesure de licenciement et le ministre de la justice se pourvoit en cassation de cette ordonnance.
C’est l’occasion pour le juge de cassation de rappeler, à titre préliminaire, que, d’une part, si en matière disciplinaire il existe une échelle de sanctions entre lesquelles l'autorité ayant le pouvoir disciplinaire peut choisir, en revanche, en cas d'insuffisance professionnelle, la seule mesure qui peut intervenir est l'éviction de l'intéressé, d’autre part, dans la circonstance qu’un conseil de discipline ne se prononce pas en faveur du licenciement, l’autorité administrative peut néanmoins y procéder.
En l’espèce, en l’état du partage des voix, le conseil de discipline doit être regardé comme ayant été consulté et comme ne s'étant pas prononcé en faveur de la proposition de licenciement qui lui était soumise. Il n’y a là nulle ambiguïté sur le sens de son avis contrairement à ce qu’a jugé la juridiction des référés pour ordonner la suspension.
Par ailleurs, n’est pas retenue l’existence d’un doute sérieux qui serait tiré d’une irrégularité de la procédure suivie devant le conseil de discipline.
(03 mai 2023, garde des sceaux, n° 466103)
71 - Agent public territorial - Enseignant au conservatoire de musique - Révocation - Comportement inapproprié avec ses élèves - Annulation et rejet.
Une collectivité publique se pourvoit en cassation d’une ordonnance de référé suspendant l’exécution de l’arrêté portant évocation d’un enseignant d’un conservatoire de musique pris par le président de cette collectivité.
Le juge de cassation annule l’ordonnance de suspension et rejette, au fond, la demande qu’avait présentée en première instance l’intéressé.
Il est d’abord reproché au premier juge d’avoir - au prix d’une erreur de droit - estimé remplie la condition d’urgence en se fondant seulement sur ce que l'arrêté litigieux privait l’enseignant de l'emploi d'assistant spécialisé d'enseignement artistique titulaire qu'il exerce au conservatoire de Pau depuis 27 ans et de près de 30 % de ses ressources financières et qu'il a des dépenses incompressibles mensuelles, alors qu’il lui incombait de rechercher si, compte tenu de l'argumentation présentée en défense par la communauté d'agglomération Pau Béarn Pyrénées, relative aux troubles que la réintégration de l'intéressé occasionnerait, la suspension demandée était susceptible de porter à des intérêts publics une atteinte de nature à faire regarder la condition d'urgence comme n'étant pas remplie.
Par ailleurs sont rejetés, comme non établis, les griefs tirés, l’un, de ce que le président de la communauté d’agglomération se serait cru en situation de compétence liée envers l’avis du conseil de discipline, l’autre de ce que la décision de révocation était insuffisamment motivée. En effet, celle-ci mentionne bien qu'il est reproché à cet enseignant un comportement inapproprié à l'égard de plusieurs de ses élèves se caractérisant notamment par des gestes déplacés et des contacts physiques répétés sans lien avec l'enseignement du piano.
Sur ces deux points, l’ordonnance de référé est jugée entachée de dénaturation des faits de l’espèce.
(05 mai 2023, Communauté d’agglomération Pau Béarn Pyrénées, n° 462141)
(72) V. aussi, et à l’inverse, annulant une ordonnance de référé rejetant le recours d’un technicien de laboratoire tendant à la suspension de sa révocation de la fonction publique. Cette annulation procède du double motif, d’une part, qu’existe une urgence en l’espèce du fait que la décision de révocation prive l’agent, demandeur d’emploi non indemnisé depuis janvier 2023, et de son emploi d'agent titulaire de la fonction publique et de son traitement, portant ainsi à sa situation une atteinte grave et immédiate, alors que son employeur ne soutient pas que sa réintégration porterait atteinte au bon fonctionnement du service et, d’autre part, qu’existe un doute sérieux sur la légalité de cette décision en ce qu’elle est fondée sur une faute unique - les violences commises par le requérant le 16 décembre 2021 à l'encontre d'un collègue, qui ont entrainé pour celui-ci cinq jours d'arrêt de travail -, alors que durant cette altercation les violences ont été réciproques, et que les états de service du requérant sont bons depuis près de douze ans, la sanction paraissant, en l’état du dossier, disproportionnée : 04 mai 2023, M. B. c/ groupe hospitalo-universitaire Hôpitaux universitaires Henri Mondor, n° 470035.
73 - Fonctionnaire - Accident de trajet - Appréciation du taux d’incapacité permanente partielle (IPP) - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation.
Est jugé entaché de dénaturation des pièces du dossier le jugement qui, pour rejeter un recours contre un refus d’indemnisation d’un accident de trajet relève « qu’il résulte de l'instruction, et notamment de l'avis de la commission de réforme du 19 novembre 2019, que le taux d'incapacité permanente partielle (IPP) lié aux séquelles de la fracture malléole interne qui a affecté la cheville droite de M. A. doit être évalué à 10 % dont 5 % imputables à un état antérieur » alors que cette commission, dans ses avis du 19 novembre 2019 et du 30 juin 2020, a constaté la consolidation au 19 juin 2019 de l'état du requérant résultant de son accident du 26 avril 2017 avec taux d'incapacité permanente partielle évalué à 10%, relevé l'existence d'un état antérieur prédominant évalué à 5% non imputable, qu'elle a distingué du taux de 10 % imputable à l'accident de service, et conclu à l'éligibilité du requérant à l'allocation temporaire d'invalidité.
(12 mai 2023, M. A., n° 463753)
74 - Relèvement du minimum de traitement dans la fonction publique - Principe général du droit à un salaire minimum - Augmentation de traitement pour avancement d’échelon - Rejet.
Rappel de ce qu’en vertu d’un principe général du droit, applicable à tout salarié et dont s'inspire l'art. L. 3231-2 du code du travail, les agents publics ont droit à un minimum de rémunération qui, en l'absence de disposition plus favorable pour la catégorie de personnel à laquelle l'intéressé appartient, ne saurait être inférieur au salaire minimum de croissance défini à l'art. L. 3231-2 de ce code.
Il suit de là que, contrairement à ce que soutient le requérant, ne comportant aucune disposition de caractère statutaire, le décret attaqué, qui porte relèvement du minimum de traitement dans la fonction publique, n’avait pas à être soumis à la consultation préalable du Conseil commun de la fonction publique et qu’il ne méconnaît pas davantage, par lui-même, la règle instituée par le dernier alinéa de l'art. L. 522-2 du code général de la fonction publique, selon laquelle tout avancement d'échelon se traduit par une augmentation de traitement.
(12 mai 2023, Syndicat CGT Finances publiques, n° 465173)
75 - Agent public cessant ses fonctions pour une activité privée lucrative - Directeur général des services d’une commune - Appréciation de la compatibilité - Avis négatif de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) - Rejet.
Le demandeur, directeur général des services d’une commune chef-lieu de département après avoir été celui d’une commune voisine, a souhaité opérer une reconversion professionnelle pour devenir directeur de la société Pierre et Finance. La HATVP a émis un avis négatif sur cette demande du fait du risque pénal en résultant au regard des art. 432-12 et 432-13 du code pénal.
La Haute autorité a notamment fondé son avis sur ce que M. D. avait visé le projet de délibération soumis à l'approbation du conseil municipal d'Ensisheim au cours de sa séance du 14 janvier 2021, autorisant le maire de cette commune à céder à la société MDB plusieurs parcelles appartenant à la commune en vue d'y construire un pôle santé et sur ce que cette société était détenue par un unique actionnaire qui possédait également, par l'intermédiaire d'une société holding, la société Pierre et Finance que M. D... entendait rejoindre.
Le requérant demande l’annulation de cet avis ; sa requête est rejetée.
D’abord, c’est par une exacte application de l’art. L. 124-12 du code général de la fonction publique que la Haute autorité a estimé que l'interposition d'une société holding entre l'actionnaire détenant la société Pierre et Finance et la société MDB ne faisait pas obstacle à l'application des dispositions de l'art. 432-13 du code pénal.
Ensuite, la circonstance, invoquée par le requérant, qu'il n'aurait rendu qu'un avis de nature technique sur le projet de création d'une maison médicale, et que la décision de céder des parcelles de la commune à la société MDB, prise sur le fondement, notamment, de considérations d'opportunité, relevait de la seule compétence du conseil municipal, n’empêche pas que la Haute Autorité a fait une inexacte application de l'art. L. 124-12 du code général de la fonction publique en estimant qu'un tel avis était de nature à entrer dans le champ des dispositions de l'art. 432-13 du code pénal.
Enfin, c’est sans inexactitude dans sa qualification des faits que la Haute autorité a estimé qu’existait un risque pénal du fait que l’intéressé a rendu un avis en tant que directeur général des services, sur le projet de délibération autorisant le maire d'Ensisheim à conclure un contrat avec la société MDB alors même que le demandeur fait valoir que la création d'une maison médicale a été envisagée avant sa prise de fonction et que l'opération a été instruite par le service des domaines et sous la responsabilité d'une personne chargée de l'urbanisme au sein de la commune.
(12 mai 2023, M. D., n° 468470)
76 - Enseignant-formateur d’un centre de formation d’apprentis - Agent chargé de fonctions représentatives - Licenciement pour claque sur le thorax d’un élève récalcitrant - Faits qualifiés exactement - Confirmation de l’annulation du licenciement - Rejet.
L’association requérante demandait l’annulation de l’arrêt confirmant le jugement d’un tribunal administratif annulant le licenciement d’un enseignant dans un centre d’apprentissage pour avoir giflé le thorax d’un élève âgé de près de dix-huit ans. Le pourvoi est rejeté car le juge de cassation estime que la cour administrative d’appel n’a pas inexactement qualifié les faits de l’espèce en jugeant que les faits incriminés n’avaient pas une gravité suffisante pour justifier son licenciement. En effet, l’enseignant avait, lors d'un cours dispensé à une classe de terminale dans un centre de formation d’apprentis, donné une claque sur le thorax d'un élève-apprenti qui avait fait usage à plusieurs reprises de son téléphone portable pendant le cours et avait persisté dans ce comportement en dépit du rappel à l'ordre qu'il lui avait adressé, en accompagnant ce geste de l'avertissement qu'il allait le « dépouiller ». La cour en a déduit que le caractère fautif du manquement de l’enseignant à ses obligations professionnelles étant établi, cette faute n'était pas d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement de l'intéressé dès lors, notamment, que ces faits avaient été commis en réaction à l'attitude provocatrice et insolente de l'élève-apprenti et s'inscrivaient dans un contexte de tensions constaté au sein de l'établissement entre les formateurs et les élèves-apprentis, que la demande formulée lors de deux entretiens d'évaluation en 2014 et 2016 par l’enseignant de suivre une formation à la gestion des rapports conflictuels était demeurée sans réponse de la part de son employeur à la date à laquelle les faits litigieux étaient survenus, que l’enseignant n'avait fait l'objet d'aucune sanction durant les vingt-cinq ans passés au sein du Centre de formation pour adultes (CFA) et qu'il ne s'était jusqu'alors jamais vu reprocher, dans l'exercice de ses fonctions, des faits de même nature que ceux en litige.
(16 mai 2023, Association PROMETA, n° 460677)
77 - Nomination directe dans la magistrature - Condition de diplôme - Absence - Rejet.
C’est sans erreur manifeste d’appréciation que pour refuser à la requérante l’accès direct à la magistrature, la commission d’avancement a retenu qu’en dépit du fait qu’en sa qualité d’adjointe administrative de 2ème classe ayant exercé successivement, entre 2009 et 2016, au conseil général du Val de Marne, à la cour administrative d'appel de Paris et à la Cour des comptes, celle-ci ne pouvait faire valoir qu’un succès en première année de droit et un DUT en « techniques de commercialisation » au lieu de l'accomplissement d'une formation d'une durée au moins égale à quatre années d'études après le baccalauréat dans un domaine juridique.
En outre, l’intéressée ne satisfaisait plus, au moment de sa demande, à la condition d’âge.
(24 mai 2023, Mme A., n° 461066)
(78) V. aussi, jugeant que c’est sans erreur manifeste d’appréciation - compte tenu de l'avis défavorable rendu par les chefs de la cour d'appel d'Aix-en-Provence - que le Conseil supérieur de la magistrature - qui dispose d’un large pouvoir d’appréciation - a rendu un avis non conforme sur la candidature de la requérante présentée par le garde des sceaux en vue de sa nomination à titre temporaire au tribunal judiciaire de Nice alors même qu’elle est titulaire d'une maîtrise de droit, d'un DEA de droit privé et du doctorat en droit de l'université de Nice, qu’elle fait valoir qu'elle a enseigné entre 1995 et 1999 et qu'elle a exercé comme avocate pendant neuf ans, puis comme juriste-consultant au sein du même cabinet pendant quatre ans, de sorte que ses compétences juridiques seraient établies et qu’elle produit aussi des témoignages attestant de ses qualités dans l’exercice de ses fonctions : 24 mai 2023, Mme A., n° 462246.
On a vu des décisions rendues au terme d’un raisonnement plus convaincant étant donnés les faits ici rapportés.
79 - Fonction publique hospitalière - Fixation du temps de travail et organisation du temps de travail - Absence d’atteinte au droit au repos et à la protection de la santé, au respect de la vie privée et familiale - Rejet.
Contrairement à ce qui est soutenu par la requérante les articles 1er à 3 du décret du 30 novembre 2021 relatif au temps de travail et à l'organisation du temps de travail dans la fonction publique hospitalière, ne portent pas atteinte au droit au repos et à la protection de la santé ainsi qu’au droit au respect de la vie privée et familiale aussi bien car, d’une part, ils ne conduisent pas, par eux-mêmes, à généraliser le recours à une amplitude maximale de journée de travail de 12 heures autorisé à titre dérogatoire, lorsque les contraintes de continuité du service public l'exigent en permanence et, d’autre part, l’annualisation du temps de travail, qui a pour objet d’assurer la continuité du fonctionnement du service public de santé, ne déroge ni aux dispositions relatives aux temps de repos quotidien et hebdomadaire, ni à la durée maximale hebdomadaire de travail, fixées par les art. 6 et 9 du décret du 4 janvier 2002.
Par ailleurs ne peut être retenu le moyen selon lequel les art. 1er et 2 de ce décret du 30 novembre 2021 ne respecteraient pas les dispositions de l'art. 36 du décret du 3 décembre 2021 relatif aux comités sociaux d'établissement des établissements publics de santé, des établissements sociaux, des établissements médico-sociaux et des groupements de coopération sanitaire de moyens de droit public dès lors que ces dernières ont été édictées postérieurement au décret attaqué.
(25 mai 2023, Fédération SUD Santé Sociaux, n° 460965)
80 - Avis de droit - Décision à objet pécuniaire - Retenue sur traitement d’un agent public - Nature du contentieux né de cette décision - Office du juge - Caractère d’ordre public - Réponse en ce sens.
(25 mai 2023, Mme H., n° 471035)
V. n° 32
81 - Enseignement supérieur - Professeur des universités - Faits de harcèlement - Suspensions temporaires des fonctions - Illégalité de la première, légalité de la seconde - Annulation et rejet partiels.
Le requérant, professeur des universités, dirige l'unité de formation et de recherche en sciences et techniques des activités physiques et sportives de l'université Caen Normandie. Il a fait l'objet, le 18 novembre 2020, de la part du président de son université, d'une mesure de suspension d'une durée maximale d'une année, avec maintien de son traitement. Puis, à la suite de son placement en congé de maladie ordinaire, pour la période du 5 au 30 juillet 2021, le président de l'université a pris un nouvel arrêté de suspension pour une durée de deux mois, sans privation de traitement, à compter du 23 août 2021.
L’enseignant demande l'annulation de ces deux décisions ainsi que de la décision rejetant le recours gracieux qu'il avait formé contre le premier arrêté.
Le Conseil d’État rappelle qu’eu égard à la nature de l'acte de suspension des fonctions et à la nécessité d'apprécier, à la date à laquelle cet acte a été pris, la condition de légalité tenant au caractère vraisemblable de certains faits, il appartient au juge de l'excès de pouvoir de statuer au vu des informations dont disposait effectivement l'autorité administrative au jour de sa décision et non pas au jour où statue ce juge.
De là s’ensuit que les éléments nouveaux qui seraient, le cas échéant, portés à la connaissance de l'administration postérieurement à sa décision, ne peuvent, alors même qu'ils seraient relatifs à la situation de fait prévalant à la date de l'acte litigieux, être utilement invoqués au soutien d'un recours en excès de pouvoir contre cet acte.
Faisant application de cette règle contentieuse à la première des deux décisions attaquées, soit la suspension ordonnée par l’arrêté du 18 novembre 2020, le juge en prononce l’annulation motif pris de ce que, pour la prendre, le président de l’université ne s’est fondé que sur un signalement transmis, le 13 novembre 2020, par une enseignante rapportant les déclarations que lui aurait faites, début octobre 2020, Mme B., selon lesquelles M. Davenne, chargé de superviser ses travaux de thèse, aurait commis à son encontre des agissements susceptibles d'être regardés comme constitutifs d'une situation de harcèlement sexuel et moral à son encontre. En outre, ce seul signalement, d’ailleurs non produit au dossier, relate des propos tenus par Mme B. à raison de faits, dont l'autrice du signalement n'a pas été témoin et qui n'étaient, à la date de l'arrêté litigieux, corroborés par aucun autre élément porté à la connaissance du président de l'université à la date de son arrêté.
En revanche, concernant le second arrêté de suspension, celui du 23 août 2021, le juge constate « que lors de son audition, le 9 mars 2021, en présence de la directrice par intérim des ressources humaines, de la responsable de la direction des affaires juridiques, de la vice-présidente en charge des ressources humaines et du médecin du travail, Mme B. a dénoncé des faits de " harcèlement moral et sexuel " qui auraient été commis à son encontre par M. Davenne. (que) Mme B. a réitéré ses propos dans un témoignage circonstancié qu'elle a rédigé, le 16 mars 2021, faisant état de comportements déplacés et ambigus de M. Davenne à son égard, ayant eu lieu à plusieurs reprises. Par suite, et même si la matérialité de certains des faits est contestée par M. Davenne, le président de l'université de Caen Normandie a pu, en l'état des éléments alors portés à sa connaissance, estimer que les faits imputés à M. Davenne revêtaient un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité. Eu égard à ce caractère suffisant de vraisemblance et de gravité et compte tenu du retentissement de ces allégations au sein de l'université, il n'a, par suite, pas fait une inexacte application des dispositions de l'article L.951-4 du code de l'éducation en prenant, le 23 août 2021, la mesure attaquée. »
Ceci montre combien est délicate dans les affaires de cette nature l’appréciation du juge comme au reste la détermination de la conduite à tenir pour l’autorité hiérarchique.
(26 mai 2023, M. Davenne, n° 468850 et n° 468851, jonction)
82 - Militaire - Général de division de la gendarmerie nationale - Suspension de ses fonctions - Contestation de la mesure de suspension fondée sur la privation d’une partie de sa rémunération - Absence de situation d’urgence - Rejet.
Un général de division de la gendarmerie nationale, qui a fait l’objet d’une mesure de suspension de ses fonctions pour une durée maximale de quatre mois, a demandé au juge des référés du Conseil d’État que soit ordonnée la suspension de l’exécution de cette mesure au motif qu’elle le prive d’une partie de sa rémunération, soit son indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise. Pour rejeter la demande, le juge relève que le requérant n'apporte aucun élément tenant tant à ses revenus qu'à ses charges personnelles et familiales, non plus qu'à son épargne et sa trésorerie, permettant de considérer qu'il se trouverait, de ce fait, placé dans une situation financière telle qu'en résulterait pour lui une situation d'urgence au sens des dispositions de l'art. L. 521-1 du CJA.
Par suite, la condition relative à l’existence d’un moyen propre à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée n’est donc pas examinée.
(09 mai 2023, M. B., n° 473707)
Libertés fondamentales
83 - Droit de propriété - Énonciations portées au cadastre - Régime foncier de la Polynésie française - Rejet.
Saisi d’un litige en responsabilité du fait de mentions portées au cadastre de la Polynésie française s’agissant de certaines parcelles, le juge rappelle un principe constant du droit français selon lequel « Les énonciations cadastrales, par elles-mêmes et quelle que soit leur ancienneté, ne constituent pas un titre de propriété. »
Ensuite, dans le cas spécial de la Polynésie française, le juge estime en premier lieu que dans le cadre des opérations de rénovation du cadastre, les énonciations cadastrales peuvent être rectifiées à la diligence de l'administration lorsqu'elles sont entachées d'inexactitude, sans que soit ainsi tranchée une question relative au droit de propriété. Lorsqu'une contestation sérieuse portant sur la propriété d'une parcelle est portée à la connaissance de l'administration dans le cadre de telles opérations, cette dernière peut légalement se borner à faire état du litige et à mentionner les personnes concernées par ce dernier et susceptibles de se voir reconnaître la qualité de propriétaire.
Il considère, en second lieu, que dans l’hypothèse où l'administration est saisie, postérieurement à l'achèvement des opérations de rénovation du cadastre, d'une demande tendant à la rectification des énonciations portées sur les documents cadastraux relatives à la situation juridique d'une parcelle et qu'un litige s'élève sur le droit de propriété de cette parcelle, elle est tenue de se conformer à la situation de propriété telle qu'elle a été constatée pour l'élaboration des documents cadastraux et ne peut que refuser la rectification demandée tant qu'une décision judiciaire ou un accord entre les intéressés n'est pas intervenu.
(04 mai 2023, SCI Pora-Pora et Mme A., n° 462404)
84 - Droit d’asile - Ressortissante ivoirienne invoquant des mutilations sexuelles - Certificats médicaux contradictoires - Octroi de l’asile - Pouvoir souverain d’appréciation de la Cour nationale du droit d’asile exempt d’erreurs - Rejet.
Une ressortissante ivoirienne, représentée par sa mère, s’est vu reconnaître la qualité de réfugiée par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) du fait de son exposition à la pratique de l'excision en cas de retour en Côte d'Ivoire. L’OFPRA demande l’annulation de l’arrêt de la Cour pour dénaturation des pièces du dossier, erreur de droit concernant la charge de la preuve, méconnaissance des règles gouvernant l’office de la CNDA.
Le pourvoi est rejeté dans un contexte très particulier.
Un certificat médical, produit par l’intéressée, établi le 15 octobre 2020 par deux médecins du Centre Hospitalier Sud Francilien, a constaté que l'intéressée présentait des stigmates de mutilation sexuelle. Puis, le certificat médical établi le 22 avril 2021, par un médecin légiste de l'Hôtel Dieu à Paris, a conclu à l'absence de mutilation sexuelle.
La Cour a estimé que ce second certificat contredisait les conclusions du précédent certificat et ne permettaient pas d'exclure la possibilité d'une erreur lors de l'élaboration de ce dernier, elle a considéré que l'absence de mutilation sexuelle de l'intéressée devait être tenue pour établie, et que ses craintes d'être exposée à une excision tenues pour fondées compte tenu de son environnement familial et du contexte qui prévaut en Côte d'Ivoire.
Approuvant la solution retenue par la Cour, le Conseil d’Tat juge que si le certificat médical du 22 avril 2021 concluant à l’absence de mutilation sexuelle de l'intéressée devait être regardé, eu égard aux garanties attachées aux conditions de son élaboration, comme revêtu d'une valeur probante particulière, la Cour s'est bornée, pour faire néanmoins prévaloir les certificats médicaux produits par l'intéressée, à évaluer, au terme d'une appréciation souveraine, la réalité des risques invoqués par la demanderesse en prenant en compte l'ensemble des pièces produites à l'appui de ses prétentions. Ce faisant, et contrairement à ce que soutient l'Office, la Cour, qui n'était pas tenue d'ordonner une mesure supplémentaire d'instruction ou d'expertise, a rendu un arrêt exempt de tout vice tel que rappelé plus haut.
(11 mai 2023, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 458952)
85 - Octroi de la qualité de réfugiée par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) - Demande de révision par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) - Annulation.
L’OFPRA a formé devant la CNDA un recours en révision de sa décision annulant le rejet par l’Office de la demande d'asile présentée par Mme B. et reconnaissant à celle-ci la qualité de réfugiée. Ce recours ayant été rejeté, l’Office se pourvoit.
Pour annuler le rejet du recours en révision, le Conseil d’État retient que la Cour a insuffisamment motivé sa décision de rejet. En effet, d’un côté l’OFPRA faisait valoir que compte tenu de l'obligation de se présenter en personne lors d'une demande de visa et du prélèvement nécessaire des empreintes dactyloscopiques, Mme B. n'avait pas pu simultanément se trouver le 6 janvier 2016 à Luanda pour solliciter un visa de la part des autorités consulaires portugaises et être détenue en République démocratique du Congo. De l’autre côté, la Cour avait répondu que les dispositions du règlement (CE) n° 810/2009 n'imposaient pas une prise de rendez-vous « dans tous les cas », et qu'il pouvait « être dérogé à l'exigence de se présenter en personne pour demander un visa », tout en relevant que l'OFPRA n'avait pas produit un relevé des empreintes digitales de l'intéressé contemporain de sa demande de visa. Elle en avait conclu que les faits relevés par sa décision du 27 juin 2018 n'étaient pas « nécessairement incompatibles avec le fait que le père de l'intéressé lui ait obtenu un visa portugais à Luanda alors qu'elle était en détention en République démocratique du Congo ».
Cependant, à juste raison, le Conseil d’État relève que la Cour ne motive pas suffisamment sa décision dès lors que Mme B. ne contestait pas que ses empreintes figuraient bien dans le système d'information sur les visas, ni n'affirmait que leur recueil avait eu lieu antérieurement au 6 janvier 2016 et que l'Office soutenait pour sa part que l'affirmation selon laquelle le père de l'intéressée avait confié à un tiers le soin de présenter une demande de visa, affirmation peu crédible, n'était pas étayée.
(11 mai 2023, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 462259)
86 - Bâtiments pénitentiaires - Mesures de sécurité, d’hygiène et de respect de la dignité des personnes dans un centre pénitentiaire - Injonctions diverses.
Les organisations requérantes interjettent appel d’une ordonnance par laquelle le juge du référé liberté, saisi de plusieurs dizaines de demandes d’injonctions envers le ministre de la justice concernant des mesures urgentes à prendre au centre pénitentiaire de Saint-Etienne - La Talaudière, s’il a fait droit à certaines de leurs demandes, ne les a pas toutes admises.
Le juge des référés du Conseil d’État rend une ordonnance d’une exceptionnelle longueur en raison du nombre et de la diversité des demandes dont il était saisi s’agissant :
- des mesures de sécurité (fonctionnement des trappes de désenfumage, mesures provisoires destinées à prévenir les risques d'incendie, mesures provisoires destinées à prévenir les risques d'inondation et d'électrocution, organisation d'une nouvelle visite par la commission de sécurité de l'arrondissement de Saint-Etienne),
- des mesures relatives aux conditions de détention en cellules (équipement des cellules, travaux de réfection des cellules du quartier disciplinaire, travaux de cloisonnement des sanitaires dans les cellules du bâtiment A et dans deux cellules du quartier des femmes, mesures relatives à l'hygiène personnelle, à l'accès aux douches collectives et à leur entretien),
- des mesures relatives à certaines cours de promenade (travaux de nettoyage de ces cours, mesures relatives aux points d'eau, aux urinoirs et à l'installation de divers équipements dans les cours promenades utilisées dans le quartier des hommes, cours promenades du quartier disciplinaire),
- des mesures relatives aux dispositifs téléphoniques, mesures relatives à l’unité sanitaire en milieu pénitentiaire (USMP),
- des conditions de travail des personnes détenues dans la zone des ateliers,
- de la gestion des parloirs « avocat ».
(ord. réf. 15 mai 2023, Section française de l'observatoire international des prisons (OIP-SF) et Association des avocats pour la défense des droits des détenus (A3D), n° 472994)
87 - Détenue - Fouille intégrale systématique de sa personne - Conditions de détention - Rejet.
Il est ici interjeté appel de l’ordonnance de référé par laquelle le premier juge a rejeté les prétentions de la demanderesse tendant à voir revues les conditions de fouille intégrale auxquelles elle est soumise ainsi que diverses modalités de sa détention.
L’appel est rejeté d’abord concernant le régime de fouille corporelle en raison de la circonstance que ce régime a été imposé à l’intéressée, qui avait rejoint les rangs de l'Tat islamique en Syrie en 2014 et a été successivement mariée à deux hommes impliqués dans des actes terroristes, n'est rentrée en France que le 20 octobre 2022, où elle a été mise en examen pour participation à une entente ou à un groupement formé en vue de la préparation d'un ou plusieurs attentats terroristes et incarcérée, afin de l'empêcher de se procurer, lors de ses contacts avec des personnes extérieures à l'établissement pénitentiaire, des objets qu'elle pourrait utiliser pour commettre des actes violents à l'encontre du personnel pénitentiaire. L’amélioration apparente de son comportement a conduit à maintenir, pendant une durée limitée, jusqu'à la fin du mois de juin 2023, un régime de fouilles intégrales qui a donné lieu à une dizaine de fouilles depuis le début du mois d'avril, la plupart au retour de parloirs. Ceci n'apparaît pas, compte tenu de son comportement dans un passé encore récent et à condition, comme l'a relevé l'auteur de l'ordonnance attaquée, que le rythme des fouilles de sa cellule demeure mesuré, comme portant une atteinte grave et manifestement illégale au droit de Mme B. de ne pas subir de traitements inhumains et dégradants.
L’appel est rejeté ensuite concernant les conditions de détention, d’une part, la détenue en reconnaissant elle-même l’amélioration, d’autre part, elle est, pour l’essentiel, assujettie au même régime de détention que les autres détenus.
(ord. réf. 30 mai 2023, Mme B., n° 474090)
88 - Droit d’asile - Régime du traitement des demandes d’asile à Mayotte - Application de l’art. 73 de la Constitution - Rejet.
Rejetant, en ses divers moyens, un recours dirigé contre le décret n° 2022-211 du 18 février 2022 portant adaptation de certaines dispositions relatives aux modalités de traitement des demandes d'asile à Mayotte et rectifiant les dispositions applicables en Guadeloupe, en Guyane et à la Martinique, le Conseil d’État souligne que l'art. 73 de la Constitution permet l’adaptation dans les départements et les régions d'outre-mer, des lois et des règlements du fait des caractéristiques et des contraintes particulières de ces collectivités.
En raison de la multiplication par neuf, entre 2015 et 2021, du nombre de demandes d'asile à Mayotte motivées par des considérations purement économiques qui ne relèvent donc pas du droit d'asile, il a fallu prévoir une accélération du traitement des demandes d'asile sur ce territoire notamment en réduisant les délais impartis aux demandeurs pour saisir l'OFPRA et lui transmettre les éléments complémentaires nécessaires à l'instruction de leur demande. Ce faisant, le décret attaqué n'est entaché ni d'erreur de droit ni d'erreur d'appréciation au regard de l'article 73 de la Constitution.
(24 mai 2023, Cimade service œcuménique d'entraide et autre, n° 463397)
Police
89 - Permis de conduire - Perte de validité - Demande de suspension du retrait du permis - Appréciation de l’urgence à suspendre - Annulation.
Cette décision du juge des référés se signale à l’attention en ce qu’elle annule le rejet d’une demande de suspension du retrait d’un permis de conduire, ce qui est assez inhabituel au Palais-Royal.
Classiquement, un automobiliste s’est vu notifier une décision référencée « 48 SI » par laquelle le ministre de l'intérieur a prononcé l'invalidité d'un permis de conduire et une injonction tendant à ce qu'il soit restitué.
L’intéressé a saisi, en vain, le juge du référé suspension du tribunal administratif, celui-ci estimant non remplie cette demande tant en raison des exigences de la sécurité routière qu’en raison du caractère répété des infractions commises.
Le juge de cassation reproche à cette ordonnance de n’avoir pas recherché si ces infractions présentaient un caractère suffisant de gravité commettant ainsi une erreur de droit.
Dans une formulation assez solennelle sinon de principe, le juge énonce que, dans le cadre d’un référé suspension à fin de restitution du permis, « la condition d'urgence, qui doit s'apprécier objectivement et globalement, tient compte, d'une part, de l'atteinte grave et immédiate portée notamment à l'exercice de la profession du conducteur et, d'autre part, de la gravité et du caractère répété des infractions au code de la route commises par l'intéressé sur une brève période, ainsi que des exigences de protection et de sécurité routière. »
En l’espèce, il est jugé que la décision attaquée porte une atteinte grave et immédiate à la situation professionnelle de l’intéressé, qui exerce la profession de menuisier et gérant unique d'une société à responsabilité limitée et qui utilise quotidiennement, sans alternative, son véhicule professionnel pour se rendre sur les chantiers dans le cadre de son activité.
Dans les circonstances de l'espèce, les infractions d'excès de vitesse inférieurs à 20 km/heure par rapport à la vitesse maximale autorisée reprochées à l'intéressé, constatées pour la plupart au même endroit sur une route en ligne droite dont la vitesse maximale autorisée est ultérieurement passée de 90 km/heure à 80 km/heure, et ayant conduit à chaque fois à des retraits d'un point du capital de points de l'intéressé, si elles étaient répétées, ne présentaient pas, dans les circonstances de l'espèce, un caractère de gravité qui justifierait de ne pas regarder comme remplie la condition d'urgence.
C’est là un glissement important dans la manière d’apprécier les motifs et les conditions du retrait de permis de conduire pour les juger justifiées dans le cas où le comportement infractif manifesterait une dangerosité du conducteur : l’accumulation d’infractions dont aucune ne revêt un grand caractère de gravité ne fait pas naître, au total, une gravité plus grande.
(04 mai 2023, M. A., n° 461895)
90 - Permis de conduire délivré à l’étranger - Demande d’échange avec un permis français - Preuve de sa validité et de son authenticité - Régime applicable - Annulation.
Est annulée l’ordonnance rejetant la demande d’un ressortissant tunisien d’échanger son permis de conduire tunisien contre un permis français au motif qu’elle repose sur une dénaturation des pièces du dossier en ce qu’elle juge que les documents fournis par le requérant « ne présentaient pas par eux-mêmes des garanties suffisantes de validité et d'authenticité du titre ». C’est l’occasion de rappeler « qu'en cas de doute sur la validité et l'authenticité du titre dont l'échange est demandé, le préfet compétent fait procéder à son analyse avec l'aide d'un service spécialisé en fraude documentaire et peut la compléter en consultant par la voie diplomatique l'autorité étrangère qui a délivré le titre. L'intéressé peut, lors de l'instruction de sa demande par l'administration comme à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir contre une décision refusant l'échange, apporter la preuve de la validité et de l'authenticité de son titre par tout moyen présentant des garanties suffisantes. Cette possibilité lui est ouverte, même dans le cas où l'autorité étrangère, consultée par le préfet, n'a pas répondu. »
(25 mai 2023, M. B., n° 462968)
91 - Police de la protection des animaux de compagnie - Lutte contre la maltraitance animale - Cas des associations sans refuge - Refus de transmission d’une QPC.
Le décret du 18 juillet 2022, relatif à la protection des animaux de compagnie et des équidés contre la maltraitance animale, pris notamment pour l’application de l’art. L. 214-6-6 du code rural, dans la version que lui a donnée l'art. 10 de la loi du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et à conforter le lien entre les animaux et les hommes, définit notamment les informations essentielles devant figurer dans le contrat d'accueil de l'animal de compagnie et précise les modalités de délivrance du certificat vétérinaire prévu par ces dispositions.
En particulier, l’art. L. 214-6-6 du code rural, pour les associations avec refuge, ainsi que l’art. L. 214-6-5 du même code pour les associations sans refuge, établissent les obligations leur incombant dans le recours au placement d'animaux de compagnie auprès d’accueillants.
Dans un litige en annulation du décret du 18 juillet 2022 en tant qu'il s'applique aux associations sans refuge mentionnées à l'art. L. 214-6-5 précité, l’association requérante, qui est une association sans refuge, soulève l’inconstitutionnalité de cette dernière disposition en ce qu’elle méconnaîtrait l'objectif à valeur constitutionnelle de protection de la santé et en ce qu’elle porterait atteinte à la liberté d’entreprendre.
Le Conseil d’État refuse de transmettre la QPC car, d’une part, contrairement à ce qui est soutenu, les dispositions contestées ont entouré la faculté donnée aux associations sans refuge d'avoir recours au placement d'animaux domestiques de garanties de nature à assurer la protection de la santé humaine, dans des conditions qui sont adaptées au fait que ces associations n'ont vocation à accueillir et à prendre en charge de tels animaux qu'en petit nombre et de manière temporaire exclusivement en vue de leur placement, et, d’autre part, car les dispositions qui se bornent à permettre à des associations sans refuge de procéder au placement d'animaux de compagnie et à définir les conditions d'exercice de cette activité ne portent pas atteinte à la liberté d’entreprendre de ces associations.
(05 mai 2023, Association Animalia - Refuge et Sanctuaire, n° 469131)
(92) V. aussi, à propos du refus de restitution à sa propriétaire d’un chien jugé dangereux de 2ème classe et classé comme tel l’arrêté municipal autorisant sa détention ayant été abrogé : 25 mai 2023, Mme A. c/ commune d’Aulnay-sous-Bois, n° 461191.
(93) V. encore et a fortiori s’agissant d’un chien dangereux de 1ère catégorie pour lequel aucune autorisation de détention n’a été accordée : 25 mai 2023, Mme A. c/ commune d’Aulnay-sous-Bois, n° 461196.
94 - Police des installations classées pour la protection de l'environnement - Création de compost à partir de boues de stations d’épuration - Mise en demeure de respecter la réglementation - Nuisances olfactives - Suspension de l’activité d’une entreprise de traitement - Absence de disproportion de la mesure - Rejet.
La société requérante, qui exploite une activité d'élaboration de compost à partir de boues de stations d'épuration et qui est, comme telle, soumise à la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement, a fait l’objet d’une mise en demeure par arrêté préfectoral du 20 août 2015 pour non-respect de certaines dispositions de l'arrêté ministériel du 12 juillet 2011 autorisant son fonctionnement, lui prescrivant de produire une étude de faisabilité technique des travaux à réaliser pour canaliser les odeurs qu'elle émet dans un délai d'un mois et de réaliser ces travaux dans un délai de quatre mois.
Par un second arrêté, du 19 octobre 2015, faute de cette étude et de ces travaux, le préfet a suspendu l'activité de la Socété Lombricorse.
Celle-ci se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif du jugement de rejet de sa demande d’annulation de ces deux arrêtés.
Le pourvoi est rejeté car c’est sans erreur de droit que, d’une part, la cour a jugé - au regard des dispositions de l’art. L. 171-8 du code de l'environnement - que la mesure de suspension n’était pas disproportionnée en raison du non-respect des mises en garde adressées à la société par les inspecteurs de l'environnement, particulièrement entre 2014 et 2015, puis de celle adressée à l'exploitant par le préfet le 20 août 2015 en vue que soit rétabli le fonctionnement régulier de l'exploitation et que, d’autre part, elle a également jugé, sans erreur de droit, non disproportionnée cette suspension du chef des nuisances olfactives significatives pour le voisinage portant atteinte à l'environnement et à la santé publique.
(10 mai 2023, Société Lombricorse, n° 447189)
95 - Police des manifestations - Survol photographique d’une manifestation par drones - Défaut d’urgence - Rejet.
Les organisations requérantes ont interjeté appel, le 1er mai 2023, de l’ordonnance en référé liberté (L. 521-2 CJA) par laquelle le premier juge a rejeté leur recours tendant à la suspension d’exécution de l'arrêté du préfet de la Gironde du 28 avril 2023 autorisant la captation, l'enregistrement et la transmission d'images au moyen de caméras installées sur des aéronefs le 1er mai 2023 à Bordeaux.
L’appel est rejeté car les demandeurs n’établissent pas en quoi, à la date du 6 mai 2023, existerait encore une urgence à statuer sur la conservation, dans les conditions déterminées par les dispositions de l'art. L. 242-4 du code de la sécurité intérieure, des données enregistrées le 1er mai à Bordeaux sur le fondement de l’arrêté préfectoral querellé.
Encore une fois, c’est d’une urgence de caractère particulier que traite l’art. L. 521-2 du CJA et même d’une double urgence : à saisir le juge et, ce juge saisi, à ce qu’il statue très rapidement avec quelque efficacité en vue de la solution de cette partie du litige.
Le référé liberté est, et doit demeurer, une procédure d’exception dont les conditions strictes de déclenchement doivent être respectées.
(ord. réf. 06 mai 2023, Association de la défense des libertés constitutionnelles (ADELICO) et Syndicat des avocats de France (SAF), n° 473714)
(96) V. aussi, avec même solution concernant une manifestation du 1er mai au Havre en ce que l’ordonnance de référé ne suspend que partiellement un arrêté préfectoral dont le contenu est similaire à celui du préfet de Gironde mentionné ci-dessus : ord. réf. 06 mai 2023, M. C., Mme A., Association de défense des libertés constitutionnelles (ADELICO) et Syndicat des avocats de France (SAF), n° 473716.
(97) V. également, rejetant, en l’absence de doute sérieux sur sa légalité, malgré la nature et le nombre de moyens soulevés, et sans avoir à examiner la condition d’urgence, une demande de suspension de l’exécution du décret n° 2023-283 du 19 avril 2023 relatif à la mise en œuvre des traitements d'images au moyen de dispositifs de captation installés sur des aéronefs pour des missions de police administrative : ord. réf. 24 mai 2023, M. B. et Association de la défense des libertés constitutionnelles (ADELICO), n° 473547.
(98) V. encore la décision ci-dessous.
99 - Police des manifestations - Interdiction de toute manifestation ou de tout rassemblement aux abords du 76ème Festival de Cannes - Absence d’atteinte manifestement illégale à la liberté de manifester - Rejet.
Il était demandé au juge du référé liberté du Conseil d’État d’annuler l’ordonnance rendue en première instance rejetant le recours tendant à la suspension de l'exécution de l'arrêté du 15 mai 2023 du préfet des Alpes-Maritimes portant interdiction de manifester ou de se rassembler dans un périmètre donné au sein de la commune de Cannes, pendant le 76ème festival international du film.
L’appel est rejeté.
Le juge opère un double rappel particulièrement bien venu.
D’abord, le respect de la liberté de manifestation, qui a le caractère d'une liberté fondamentale au sens des dispositions de l'art L. 521-2 du CJA, doit être concilié avec la sauvegarde de l'ordre public et il appartient à l'autorité investie du pouvoir de police, lorsqu'elle est saisie de la déclaration préalable prévue à l'art. L. 211-1 du code de la sécurité intérieure ou en présence d'informations relatives à un ou des appels à manifester, d'apprécier le risque de troubles à l'ordre public et de prendre les mesures de nature à prévenir de tels troubles, au nombre desquelles figure, le cas échéant, l'interdiction de la manifestation, si une telle mesure est seule de nature à préserver l'ordre public.
Ensuite, il indique - ce qui est souvent perdu de vue - que « La seule circonstance qu'un évènement annoncé soit susceptible d'être l'occasion de troubles majeurs à l'ordre public, y compris en présence d'une menace terroriste, n'est pas de nature à justifier en toute circonstance une interdiction générale de manifester dans ses abords, dès lors que l'autorité administrative dispose des moyens humains, matériels et juridiques de prévenir autrement les troubles en cause que par une telle interdiction. »
En l’espèce, le préfet a interdit, du 16 mai 2023 à minuit au dimanche 28 mai 2023 à 6 heures, par un arrêté du 15 mai 2023, pris sur le fondement de l'art. L. 211-4 du code la sécurité intérieure, toute manifestation ou tout rassemblement sur le territoire de la commune de Cannes, dans une zone comprenant les abords du Palais des Festivals et une partie du Boulevard de la Croisette où se concentrent les établissements accueillant les différents événements.
Sur ce, le juge relève en premier lieu que ce Festival a le caractère d'un évènement international, pendant lequel viennent à Cannes, en provenance du monde entier, des centaines de personnalités de la culture, de l'économie et de la politique, et qui rassemble dans un périmètre restreint les 40 000 festivaliers et les journalistes accrédités, les 230 000 spectateurs attendus sur la durée du festival. En outre, pendant le festival, le boulevard de la Croisette et les rue attenantes font l'objet d'une concentration humaine exceptionnelle, le jour comme la nuit. Il n’est pas contesté qu’existe donc un « haut risque en termes de terrorisme » et une résurgence de la délinquance de droit commun.
Le juge relève aussi qu’en vue d’assurer la sécurité du Festival l’État mobilise chaque jour une centaine de policiers de la sécurité publique, quatre compagnies républicaines de sécurité, une quinzaine de motards CRS pour piloter les cortèges, une quarantaine de gendarmes chargés de la lutte anti-drone, de la surveillance et de la gestion des axes d'accès et de la surveillance maritime, une équipe de déminage présente 24h/24, une équipe d'intervention du RAID et de tireurs postés sur des points hauts, des moyens dédiés du Service départemental d’incendie et de secours et du SAMU pour assurer la prise en charge de victimes, des agents des services de renseignement, une quinzaine de militaires de la force Sentinelle, cinq équipes cynophiles avec des chiens détecteurs d'explosifs.
Enfin, le préfet, en ayant aussi instauré pour la durée du festival deux périmètres de protection au sein desquels l'accès et la circulation des personnes sont réglementés, autorisé le recours à une caméra installée sur un aéronef et la première ministre ayant soumis par décret toute personne accédant, à un autre titre que celui de spectateur ou de participant, à une liste d'établissements et d'installations situés dans la commune de Cannes, à un avis préalable de l'autorité administrative, n’ont pas porté à la liberté de manifester une atteinte qui est manifestement illégale.
Cela d’autant plus que ce périmètre interdit est très restreint : il n'interdit pas de manifester plus loin sur la Croisette.
(ord. réf. 24 mai 2023, Association de défense des libertés constitutionnelles (ADELICO), Syndicat des avocats de France, Syndicat de la magistrature et Mme A., n° 474297)
100 - Police des loyers - Encadrement des loyers - Loi du 23 novembre 2018 - Loi n’emportant pas décision d’encadrement des loyers - Rejet.
Dans le cadre d’un recours en annulation du décret du 2 septembre 2021 fixant le périmètre du territoire de la métropole Bordeaux Métropole sur lequel est mis en place le dispositif d'encadrement des loyers prévu à l'article 140 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, l’organisation requérante, entre autres moyens, soulève celui tiré de la violation par cette loi de la convention EDH, spécialement son art. 140 s’agissant du droit de propriété (art. 14 de la Convention).
Pour rejeter ce grief le Conseil d’État retient que l'art. 140 de la loi du 23 novembre 2018 a entendu doter les établissements publics de coopération intercommunale, au titre de la compétence en matière d'habitat qu'elles exercent librement, d'un outil supplémentaire pour exercer cette compétence. Cette dernière compétence n’appartient donc qu’à eux et il ne saurait être soutenu que dès lors que la mise en œuvre de ces dispositions législatives peut avoir pour conséquence qu'un encadrement des loyers soit mis en place dans un territoire présentant des caractéristiques identiques à celles d'un autre territoire dans lequel aucun encadrement ne sera appliqué, faute de demande de la collectivité concernée, l’article précité introduirait une discrimination incompatible avec les stipulations combinées de l'art. 14 de la convention EDH et de l'art. 1er de son premier protocole additionnel. En effet, cette différence ne résulterait que du choix fait par chaque collectivité de mettre en œuvre une politique d'encadrement des loyers ou de ne pas le faire, et non pas des dispositions de l'art. 140 de la loi du 23 novembre 2018 elles-mêmes.
(25 mai 2023, Union nationale des propriétaires immobiliers 33, n° 458153)
(101) V. aussi, pour une solution identique sur ce point : 25 mai 2023, Union nationale des propriétaires immobiliers 69, n° 458155.
(102) V. encore, identique aux précédents : 25 mai 2023, Union nationale des propriétaires immobiliers 34, n° 458156.
103 - Police des débits de boissons - Infraction de détention par une discothèque de bonbonnes de protoxyde d’azote - Absence de répétition de l’infraction - Fermeture de l’établissement - Suspension ordonnée - Confirmation et rejet.
A la suite de la découverte dans une discothèque, le 30 avril 2022, d’environ trois cents bonbonnes de protoxyde d'azote, substance dont la vente ou la mise à disposition à titre gratuit sont interdites par l'art. L. 3611-3 du code de la santé publique, et la gérante de l'établissement ayant indiqué avoir développé une pratique commerciale consistant à offrir une bonbonne à tout client achetant une bouteille d'alcool, un arrêté préfectoral a ordonné le 23 novembre 2022 la fermeture de cet établissement pour une durée de six mois.
Le ministre de l’intérieur se pourvoit en cassation de l’ordonnance suspendant, sur le fondement de l’art. L. 521-1 du CJA, la décision de fermeture.
Son recours est rejeté, le Conseil d’État adoptant le raisonnement du juge des référés de première instance.
En premier lieu, l’ordonnance est suffisamment motivée en ce qu’elle juge de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de l'arrêté litigieux le moyen tiré de l'absence de possibles troubles à l'ordre public à la date de cet arrêté.
En second lieu, le juge n’a pas dénaturé les pièces du dossier en se fondant, pour dire qu’existait un doute sérieux sur la légalité de la décision de fermeture, sur ce qu'aucune nouvelle infraction aux lois et règlements relatifs aux débits de boissons et aux restaurants, en particulier aux règles relatives à la vente et à la distribution de protoxyde d'azote, n'a plus été relevée à l'encontre de l'établissement depuis le mois de mai 2022, également sur ce que, selon les constats d'huissier effectués les 25 et 29 octobre 2022, la présence d'aucune bonbonne de protoxyde d'azote ni d'aucun matériel permettant la consommation de cette substance n'a été relevée dans l'établissement, y compris pendant une période d'ouverture et, enfin, sur ce que, dans le cadre de la procédure contradictoire préalable suivie en application de l'art. L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration, la société Alebenaxe a souscrit auprès de l'administration l'engagement de mener des actions de prévention consistant à informer, selon diverses modalités, les clients de l'établissement des risques attachés à la consommation de cette substance.
Au reste, il convient de rappeler qu'une mesure de fermeture d’un tel commerce ne peut avoir pour objet que de prévenir la continuation ou le retour de désordres liés au fonctionnement de l'établissement, non de sanctionner un état de fait antérieur et depuis disparu.
(25 mai 2023, Société Alebenaxe, n° 470301)
104 - Police des armes et munitions - Refus de classer un lanceur de balles de défense et ses munitions dans une certaine catégorie - Urgence et existence d’un doute sérieux - Suspension ordonnée.
La société requérante demandait que soit suspendue l’exécution de la décision implicite par laquelle le ministre de l’intérieur a refusé de classer le lanceur de balles de défense (LBD) « POK 44 » en catégorie C, 3° et sa munition « KOT 44 » en catégorie C, 8°, en application de l'article R. 311-2 du code de la sécurité intérieure.
Pour ordonner la suspension sollicitée, le juge des référés du Conseil d’État retient tout d’abord l’existence d’une urgence à statuer en raison des éléments suivants.
La société requérante a investi de manière significative en recherche et développement pour mettre au point une première arme, qui a finalement été classée en catégorie A2, ce qui n'a pas permis une commercialisation suffisante pour couvrir les dépenses opérées. Elle a, en conséquence, été placée en redressement judiciaire le 22 avril 2022. Pour éviter une liquidation judiciaire, elle a souhaité modifier cette arme pour obtenir un classement en catégorie C3 de nature à en permettre une plus large commercialisation ce qui apparaît essentiel à l'équilibre financier de la société et à sa survie éventuelle. D’où sa demande de classement litigieuse sur laquelle, six mois après, elle n’a reçu aucune réponse alors que la prolongation de la période d'observation octroyée par le tribunal de commerce doit s'achever cet été, une audience étant prévue le 25 août prochain. Cette société ne dispose, à ce jour, d'aucune perspective d'examen de ses demandes, le ministre de l'intérieur se bornant à indiquer, à la suite de sa sollicitation lors de l'audience publique, que le plan de charge du centre de recherches et d'expertise de la logistique (CREL) est particulièrement lourd - alors même que seules trois demandes de classement de LBD, dont celle de la société Redcore, sont en attente - et ne lui permet pas d'opérer l'expertise technique que le ministre considère être nécessaire. Si le ministre propose d'avoir recours à un prestataire extérieur pour effectuer les tests sous le contrôle du CREL, une décision de classement n'est envisagée qu'entre la mi-septembre et fin novembre 2023, soit près d'un an après la première demande de la société requérante et en outre postérieurement à l'échéance connue de la procédure de redressement judiciaire. En outre, comme le ministre ne peut sérieusement soutenir que la suspension de l'exécution des décisions en litige porterait atteinte à l'impératif de sauvegarde de l'ordre public, aucune expertise préalable n'ayant pu encore évaluer la dangerosité de l'arme, la décision que la société sollicite ayant précisément pour objet de conduire l'administration à procéder, dans des délais raisonnables, à l'instruction de ses demandes et à statuer, au regard des critères fixés par les dispositions y relatives du code de la sécurité intérieure, sur les classements sollicités en recueillant le cas échéant l'avis, lequel n'est au demeurant pas obligatoire, des experts techniques mentionnés à l'art. R. 311-3 du code de la sécurité intérieure.
Ensuite, le juge estime que sont propres à créer un doute sérieux les moyens tirés de ce que les refus implicites des demandes de classement sont entachés d'erreur d'appréciation et méconnaissent le principe d'égalité et les règles de la concurrence, dès lors que, d'une part, le lanceur « POK 44 » dont elle demande l'inscription présente un canon lisse et un calibre 44/83 BE similaires à l'arme de force intermédiaire de calibre 44/83 à canon lisse fabriquée et commercialisée par la société Verney-Carron sous l'appellation flash-Ball modèle compact, classé au 3 de la catégorie C par l'arrêté du 30 avril 2001 relatif au classement de certaines armes et munitions, et que, d'autre part, la munition dont elle demande l'inscription respecte la norme CIP pour le calibre 44/83 comme la munition à projet non métallique de calibre 44/83 commercialisée par la société Verney-Carron sous l'appellation « 44/83 BE », classée au 8° de la catégorie C par le même arrêté de 2001.
D’où la suspension ordonnée de la décision de refus, un délai d’un mois étant laissé au susdit ministre pour classer l’arme en question en catégorie C3 et ses munitions en catégorie C8.
(ord. réf. 30 mai 2023, SAS Redcore, n° 473632)
Professions réglementées
105 - Médecin - Suspension en raison d’une pathologie rendant dangereux l’exercice de ses fonctions - Formation du Conseil de l’ordre statuant au titre de ses pouvoirs de police - Rejet.
Dans un litige où, sur demande d’un directeur général d’une agence régionale de santé en vue qu’un médecin soit suspendu du droit d'exercer la médecine en raison d'un état pathologique rendant dangereux l'exercice de sa profession, le Conseil d’État rappelle la nature du pouvoir exercé en ce domaine par la formation restreinte d’un conseil régional ou interrégional ou du Conseil national de l'ordre des médecins.
C’est une fonction de police ainsi qu’il résulte des dispositions de l’art. R. 4124-3 du code de la santé publique, d’où il suit que l’intéressé ne peut utilement soutenir que les droits de la défense tels que garantis par les stipulations de l’art. 6 § 1 de la Convention EDH, auraient été méconnus lors de la procédure en cause.
(26 mai 2023, M. A., n° 469062)
(106) V. aussi, rejetant le pourvoi d’un médecin anesthésiste-réanimateur dirigé contre la décision de la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins le suspendant du droit d'exercer la médecine pour une durée de six mois et subordonnant la reprise de son activité professionnelle aux résultats d'une nouvelle expertise en raison d'une suspicion d'état pathologique rendant dangereux l'exercice de sa profession du fait de son addiction à l’alcool : 26 mai 2023, M. A., n° 467020.
(107) V. également, rejetant le pourvoi d’un médecin ophtalmologiste dirigé contre la décision de la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins qui a prolongé la mesure de suspension prise à son encontre sur le fondement de l'art. R. 4124-3 du code de la santé publique pour une durée de trois ans et qui a subordonné la reprise de son activité professionnelle aux résultats d'une nouvelle expertise car en dépit de son hospitalisation d’office en 2004 et de l’amélioration de son état de santé, il résulte de l'expertise réalisée le 17 mai 2022, qui mentionne « un trouble grave de la personnalité non pris en charge », que ce praticien présente un état pathologique persistant rendant dangereux l'exercice de sa profession : 26 mai 2023, M. A., n° 469542
(108) V. encore, rejetant le pourvoi d’une praticienne contre la décision de la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins la suspendant du droit d'exercer la médecine pour une durée de six mois et subordonnant la reprise de son activité au suivi d'une formation théorique et pratique en raison de ce que du fait de son abstention de suivre toute formation continue depuis de nombreuses années, elle présente des insuffisances professionnelles rendant dangereuse la pratique de la médecine générale et nécessitant une remise à niveau : 26 mai 2023, Mme B., n° 465253.
109 - Vétérinaire - Soins gratuits aux animaux dont les propriétaires sont sans ressources suffisantes - Manquement déontologique non visé par une plainte - Sanction - Rejet.
La chambre nationale de discipline de l’ordre des vétérinaires n’a pas entaché d’irrégularité sa décision de sanctionner une vétérinaire pour manquement déontologique à la règle édictée par l’art. R. 242-50 du code rural, selon laquelle les vétérinaires exerçant au sein des associations dont l'objet est la protection des animaux et habilitées à gérer des établissements dans lesquels les actes vétérinaires sont dispensés aux animaux des personnes dépourvues de ressources suffisantes, doivent s'assurer du respect de la gratuité des soins qu'ils dispensent et cela alors même que la plainte dont cette chambre a été saisie n'invoquait qu'un grief de refus de soins.
(26 mai 2023, Mme B., n° 459342)
110 - Professionnels du chien et du chat - Institution d’un certificat d’engagement et de connaissance - Délai entre la délivrance du certificat et la cession de l’animal - Coûts supplémentaires - Charge administrative - Rejet.
Le V de l'art. L. 214-8 du code rural a créé un certificat d'engagement et de connaissance délivré avant acquisition d'un animal de compagnie ainsi que ses modalités de délivrance et d'utilisation. Les requérants demandent la suspension d’exécution de l'instruction technique du 14 novembre 2022 afin de préciser le contenu de ce certificat.
La requête est rejetée pour défaut d’urgence sans examen de l’autre condition donnant ouverture à référé suspension et selon la procédure de l’art. L. 522-3 du CJA. Si les professionnels invoquent, au soutien de la demande de suspension, un surcroît de charge administrative, des coûts supplémentaires pour eux, les résultats d’un « sondage » auprès des adhérents, etc., le juge relève cependant que ces éléments ne sont pas de nature à justifier d'une situation d'urgence au sens des dispositions de l'art. L. 521-1 du CJA.
En outre, si le syndicat requérant soutiennent qu’est prévue une amende pour les contraventions de 4ème classe méconnaissant certaines dispositions dont l'instruction précise les conditions de mise en œuvre, ces sanctions ne trouvent leur source que dans la violation des textes législatifs et réglementaires applicables.
(ord. réf. 25 mai 2023, Syndicat national des professions du chien et du chat, n° 474194)
Responsabilité
111 - Responsabilité hospitalière - Prise en charge d’un accouchement - Rejet d’une demande d’expertise - Notification à une adresse indiquée - Délai ayant couru à la demande des requérants - Rejet.
Les demandeurs, un fils et sa mère, ont sollicité du juge des référés que soit ordonnée une expertise médicale sur le fondement des dispositions de l'art. R. 532-1 du CJA, aux fins de déterminer l'ampleur des préjudices en lien avec la faute commise selon eux par le centre hospitalier d'Avignon en ne procédant pas à une césarienne lors de la naissance de M. C., le 15 décembre 1997 dans cet établissement.
Cette demande a été rejetée faute d'utilité, dès lors qu'aucune demande indemnitaire ne pourrait être utilement présentée au juge administratif par les requérants, qui n'avaient pas contesté en temps utile le rejet de leur demande préalable du 25 septembre 2020.
Les demandeurs se pourvoient en cassation de l’arrêt d’appel confirmatif de cette ordonnance de rejet.
Pour confirmer l’arrêt attaqué, le juge de cassation relève d’abord que le courrier par lequel l'avocat de M. C. et de Mme C. avait demandé au centre hospitalier d'Avignon de saisir son assureur, « d'assumer sa responsabilité » et « de reconnaitre le lien direct entre le défaut de réalisation d'une césarienne » lors de la naissance de M. C. le 15 décembre 1997 et le préjudice invoqué, présentait, ainsi que jugé par la cour, alors même que les préjudices subis n'étaient ni détaillés ni chiffrés, le caractère d'une demande indemnitaire préalable au sens des dispositions de l'art. R. 421-1 du CJA.
Le juge rappelle ensuite qu’il incombe au destinataire d'une décision administrative qui soutient que l'avis de réception d'un pli recommandé portant notification de cette décision à l'adresse qu'il avait lui-même indiquée à l'administration n'a pas été signé par lui, d'établir que le signataire de l'avis n'avait pas qualité pour recevoir le pli en cause. En l’espèce, les demandeurs soutiennent que le rejet de leur demande par le centre hospitalier a été notifié au bureau de leur avocat à Avignon alors que la demande portait la mention « toutes les correspondances doivent être adressées à Arles ». Le juge confirme cependant que cette notification qui, d’une part, a été notifiée à l’adresse figurant sur la demande préalable du 25 septembre 2020 et d’autre part a fait l’objet d’un accusé de réception dont la qualité du signataire n’est pas discutée, a valablement fait courir le délai de deux mois dont les requérants disposaient pour contester le refus d’indemnisation opposé par la lettre recommandée du 19 janvier 2021, reçue le 22 janvier 2021.
Au surplus, c’est sans erreur de droit que le juge des référés et la cour ont rejeté le moyen tiré de ce que le délai de recours ne leur aurait pas été opposable en l'absence de connaissance de la nature et de l'étendue de leurs préjudices, alors qu'ils avaient eux-mêmes, par leur demande, fait courir ce délai de recours.
Par suite, c’est à bon droit qu’a été jugée inutile l’expertise sollicitée.
(04 mai 2023, M. C. et Mme C., n° 461655)
112 - Responsabilité - Préjudice subi par un fonctionnaire territorial - Imputabilité au service - Appréciation méconnaissant les termes du litige - Annulation.
Méconnaît les termes du litige dont la cour est saisie et encourt l’annulation, l’arrêt qui se prononce sur l’imputabilité au service d’une pathologie alors qu’était seule en discussion l’imputabilité d’un accident survenu à une date déterminée.
(15 mai 2023, Commune de Chécy, n° 455610)
113 - Réquisition de véhicules par l’administration - Indemnisations du chef de la réquisition et du chef des préjudices subis - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation.
Plusieurs de ses véhicules ayant fait l’objet d’une réquisition par les services de l’État, la société requérante a demandé réparation, d’une part, du chef de la réquisition des véhicules, d’autre part du chef des dommages survenus à ces véhicules.
La cour administrative d’appel a estimé, pour rejeter une partie des réclamations indemnitaires de la requérante, que celle-ci n'avait apporté aucun élément permettant de distinguer, parmi les préjudices dont elle avait demandé à être indemnisée, ceux qui ne l'auraient pas déjà été par la somme de 229 190 euros qui lui avait été versée par l’État le 21 décembre 2017.
Le juge de cassation annule cet arrêt pour dénaturation des pièces du dossier en relevant :
1° que dans le mémoire en défense produit par le ministre de l'intérieur devant la cour administrative d'appel, celui-ci distinguait, parmi les demandes de paiement adressées par la société à la préfète de Saint-Martin et Saint-Barthélemy le 21 novembre 2017, celles présentées au titre de la rétribution de la réquisition des véhicules de celles tendant à l'indemnisation des dommages subis par les véhicules concernés au cours de la période de réquisition, en précisant que ces dernières étaient distinctes des sommes qui lui étaient dues par l'Tat au titre de la réquisition des biens lui appartenant.
2° qu’il ressort également des mêmes pièces du dossier que dans son mémoire en défense produit devant le tribunal administratif, la préfète de Saint-Martin et Saint-Barthélemy avait précisé « qu'aucun paiement n'avait eu lieu concernant les dommages causés aux véhicules ».
(12 mai 2023, Société Grand Case Equipement Entreprise, n° 463880)
114 - Préjudice locatif causé à un bien à usage de bureaux - Proximité de dépôts de déchets - Carence du pouvoir de police - Absence de lien direct de causalité - Rejet.
La SCI demanderesse louait à la société La Poste Immo et à la société GDF Suez des locaux professionnels lui appartenant situés à Avignon sur un terrain voisin d'une déchetterie et d'une aire d'accueil des gens du voyage. Ayant dû consentir en 2014 une baisse de loyer à la société GDF Suez et, en mars 2016, la société La Poste Immo ayant résilié son bail et quitté les lieux, la SCI, estimant ces événements liés notamment à la présence récurrente de dépôts sauvages de déchets, dégradant l'environnement des locaux commerciaux de ces entreprises, ainsi qu’aux actes de vandalisme commis dans ces locaux, a demandé au tribunal administratif la condamnation de la commune d'Avignon à lui payer une certaine somme du chef des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de la carence du maire à faire usage de son pouvoir de police pour faire cesser ces atteintes à la tranquillité publique, à la salubrité publique et à la commodité du passage sur la voie publique.
Elle se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif qui, tout en jugeant que le maire a fait preuve de carence dans l'exercice de ses pouvoirs de police en matière de salubrité publique et de commodité du passage sur la voie publique, en raison de l'insuffisance tant de la surveillance des abords de la déchetterie que des diligences effectuées auprès de la communauté d'agglomération du grand Avignon, responsable de la collecte des déchets, cette carence ne présente pas de lien de causalité avec les préjudices invoqués.
Le pourvoi est rejeté car le Conseil d’État considère que la cour n’a pas inexactement qualifié les faits de l’espèce en constatant l’absence de lien direct de causalité entre la carence du maire et de la communauté d’agglomération et le préjudice subi alors que « la dégradation des lieux à l'origine de cette baisse résulte, selon les affirmations mêmes de la société, de l'existence de la déchetterie et d'un camp destiné aux gens du voyage ».
Le raison paraît quelque peu sophistique en ce que la cause du préjudice résulterait non de la carence du pouvoir de police mais de ce que le terrain est implanté à cet endroit, comme si devait être appliquée ici la théorie ou exception de « risque accepté » (cf. J.-C. Ricci et F. Lombard, Droit administratif des obligations, Sirey 2018, p. 323 § 583).
Reste que, sans cette carence manifeste, la déchetterie, mieux organisée et contrôlée et le camp, encadré et surveillé, n’auraient pas contribué à la grave dégradation de la capacité locative des biens en cause. Par application de la théorie de la cause adéquate, habituellement utilisée par le juge administratif, c’est cette seconde façon de voir qui est exacte non celle retenue ici qui ressemble davantage à la théorie de l’équivalence des conditions que rejette en principe toujours la jurisprudence administrative.
(25 mai 2023, SCI Marquette Famille, n° 454472)
Santé publique – Santé – Droit du médicament et des dispositifs médicaux
115 - Prix des médicaments - Refus d’accorder la hausse demandée du prix de médicaments - Baisse unilatérale de leur prix - Décisions du Comité économique des produits de santé - Obligation de motivation - Rejet.
Les litiges portaient sur deux décisions du Comité économique des produits de santé, la première, du 7 décembre 2021, refusant de faire droit à la demande de la société requérante d'augmentation du prix de vente de ses spécialités « Coumadine 2 mg, comprimés sécables (B/20) » et « Coumadine 5 mg, comprimés sécables (B/30) », la seconde, du 17 décembre 2021, diminuant de 10 % à compter du 1er février 2022 le prix de vente de ces mêmes spécialités.
La société Teofarma demande l’annulation assortie d’astreinte, ou le réexamen de ces deux décisions.
Les deux recours sont joints. Ils sont rejetés, aucun des moyens de forme ou de fond n’ayant réussi à convaincre le juge.
Ce qui retient l’attention, c’est l’affirmation par le Conseil d’État - qui conclut qu’il en a bien été ainsi en l’espèce - que l'art. R. 163-14 du code de la sécurité sociale prévoit que les décisions portant refus de modification du prix d'un médicament sont communiquées à l'entreprise avec la mention de leurs motifs. Il en va de même des décisions par lesquelles le Comité économique des produits de santé revoit à la baisse le prix de vente d'un médicament en application du II de l'article L. 162-16-4 du même code.
Cette interprétation, qui doit être approuvée, n’allait cependant pas de soi. En effet, l’obligation de motivation n’est expressément prévue qu’à l’art. R. 163-14 de ce code, cette disposition ne concernant pas le Comité économique. Par ailleurs, le II de l’art. L. 162-14-6 de ce code s’il énumère les sept critères sur lesquels ce Comité peut se fonder pour fixer le prix de vente au public des médicaments à un niveau inférieur ou baissé, par convention ou à défaut, n’impose pas une obligation de motivation. Reste que le législateur en opérant une énumération limitative de ces critères a, par là même, dressé la liste des motifs possibles des décisions prises en cette matière par le Comité économique et donc a décisivement délimité lesdits motifs. L’obligation de motivation se situe ainsi dans une logique peu discutable.
(12 mai 2023, Société Teofarma, n° 461115 et n° 461176)
Service public
116 - Association syndicale autorisée (ASA) - Régime des taxes syndicales - Inclusion de parcelles dans le périmètre syndical - Accomplissement incomplet ou défectueux des missions syndicales - Absence d’effet sur l’obligation au paiement des taxes - Rejet.
Le litige portait sur le paiement de taxes syndicales mises à la charge des propriétés incluses dans son périmètre par une association syndicale autorisée, laquelle constitue un établissement public administratif (cf. la célébrissime décision du Tribunal des conflits, du 9 décembre 1899, Consorts Ducornot c/ Association syndicale du canal de Gignac, n° 515, Rec. Lebon, p. 731 ; Sir. 1900.3.49, note M. Hauriou).
En préliminaire à l’examen du fond du litige le Conseil d’État rappelle qu’est irrecevable un moyen nouveau en cassation et qui n’est pas d’ordre public.
Tout d’abord, ces taxes visant non les propriétaires mais les propriétés incluses dans le périmètre syndical, elles sont dues tant que la propriété n’est pas distraite du périmètre.
Ensuite, si le défaut d'accomplissement par une ASA de ses missions peut être de nature à entraîner la décharge de taxes syndicales, la circonstance qu'une telle association n'accomplirait qu'incomplètement ses missions ou les accomplirait de manière défectueuse, ne saurait, en principe, conduire à accorder la décharge des taxes syndicales réclamées à un membre de l'association.
Il incombe au propriétaire, le cas échéant, de rechercher seulement la responsabilité du syndicat.
(05 mai 2023, M. C., n° 456227)
117 - Éducation nationale - Instance départementale chargée de la prévention de l'évitement scolaire - Composition - Traitement de données à caractère personnel - Rejet.
L’association requérante conteste sur deux points la juridicité du décret n° 2022-184 du 15 février 2022 relatif à l'instance départementale chargée de la prévention de l'évitement scolaire. Sa demande est rejetée.
En premier lieu, il est reproché à ce décret de ne pas prévoir, au sein de cette instance départementale, de représentants d'associations d'instruction en famille ou des parents d'élèves. Toutefois, cette composition étant directement fixée par la loi (cf. art. L. 131-5-2 du code de l’éducation), le moyen ne peut être utilement soulevé.
En second lieu, il est également soutenu que le décret attaqué méconnaîtrait l'art. 8 de la convention EDH, le règlement du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données et la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. L’objet de ce décret est de favoriser l'échange et le croisement d'informations entre les services municipaux, les services du conseil départemental, les organismes débiteurs de prestations familiales et les services de l’État, afin de repérer les enfants soumis à l'obligation scolaire qui ne sont pas inscrits dans un établissement d'enseignement public ou privé et qui n'ont pas fait l'objet d'une autorisation d'instruction dans la famille. Ainsi, les dispositions attaquées n'ont pour objet ni de créer de traitement de données à caractère personnel, ni de modifier les conditions d'utilisation de traitements existants.
Ce moyen ne peut pas davantage que le précédent être utilement soulevé.
(09 mai 2023, Association Les enfants d’abord, n° 463213)
118 - Éducation nationale - Collèges - Organisation des enseignements - Modifications - Rejet.
Les requérants contestaient la juridicité d’une part, de l'arrêté du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse du 7 avril 2023 modifiant l'arrêté du 19 mai 2015 relatif à l'organisation des enseignements dans les classes de collège, d’autre part, de l'arrêté du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse du 7 avril 2023 modifiant l'arrêté du 21 octobre 2015 relatif aux classes des sections d'enseignement général et professionnel adapté.
Ils en demandaient également la suspension d’exécution par voie de référé.
Ces deux recours sont joints et rejetés, aucun des moyens soulevés n’étant retenu par le juge.
Tout d’abord, alors que le syndicat requérant est membre du Conseil supérieur de l'éducation, il ne saurait soutenir qu’« il reviendra au ministère de l'éducation et de la jeunesse de produire l'avis visé du Conseil supérieur de l'éducation du 24 mars 2023 », tout en ne soutenant pas devant le juge que cet organisme n'aurait pas été consulté préalablement à leur édiction ou en ne contestant pas la régularité de cette consultation.
Ensuite, aucune disposition ne fait obstacle, contrairement à ce qui est soutenu, à ce qu'une matière ne soit enseignée qu'au cours de certaines années de scolarité du collège seulement et, notamment, qu'elle ne le soit qu'au cycle 4 correspondant aux classes de cinquième, quatrième et troisième, ni à ce qu'une heure d'enseignement qui relevait de l'enseignement commun soit supprimée et que soit concomitamment ajoutée une heure d'enseignement relevant des enseignements complémentaires.
Semblablement, les dispositions de l’art. L. 332-5 du code de l’éducation qui prévoient que la formation dispensée à tous les élèves des collèges comprend obligatoirement une initiation technologique, qu’elles soient appliquées seules ou en combinaison avec celles des art. L. 122-1-1 et L. 332-3 dudit code, n'imposent pas que l'initiation technologique soit dispensée au cours de chaque année composant la scolarité au collège.
Enfin, si l’art. L. 211-1 du code précité impose que les programmes ne peuvent entrer en vigueur que douze mois au moins après leur publication, sauf dérogation expresse du ministre chargé de l'éducation, après avis du Conseil supérieur de l'éducation, cette règle ne s’applique pas en l’espèce où ne sont en cause que la modification de l'organisation des formations, et en particulier, le volume horaire des enseignements, mais non les programmes au sens des dispositions de l’art. L. 211-1.
Aucun des moyens n’étant de nature à faire naître un doute sérieux sur la juridicité des textes attaqués, il y a lieu de rejeter le référé suspension sans examen de la condition d’urgence.
(ord. réf. 22 mai 2023, Syndicat national de l'enseignement Action et Démocratie et Association PAGESTEC, n° 474147 et n° 474149, jonction)
119 - Éducation nationale - École primaire - Harcèlement scolaire - Demande de changement d’établissement - Rejet.
Les requérants ont demandé au juge du référé liberté du tribunal administratif, d'une part, d'annuler les décisions en date des 21 et 27 mars 2023 par lesquelles le maire de Montmorency a refusé de faire droit à leur demande de dérogation à la carte scolaire pour leurs enfants D., E. et C., respectivement âgés de dix, huit et cinq ans, et, d'autre part, d'enjoindre à la rectrice de l'académie de Versailles d'affecter leurs enfants dans tout autre établissement que l'école élémentaire Jean de La Fontaine, qu'il plairait à la commune de Montmorency de déterminer.
Ils forment appel de l’ordonnance de rejet de ces demandes.
Ils essuient à nouveau un refus, cette fois de la part du juge des référés du Conseil d’État.
Le premier juge avait fondé son rejet de la requête pour défaut d’urgence car
- les violences, physiques ou verbales, survenues pendant le temps scolaire ou périscolaire, dont D. et E. auraient été victimes ou témoins et dont les requérants se prévalent, apparaissaient isolées, pour certaines relativement anciennes, sans avoir nécessité la mise en place d'un suivi médical ou psychologique particulier ni avoir eu de répercussion sur les résultats scolaires des enfants,
- une attention soutenue avait été portée aux sollicitations de la famille, tant par l'équipe pédagogique et éducative de l'école que par les services de l'éducation nationale et de la commune,
- un dispositif de vigilance rassemblant équipe enseignante et équipe périscolaire avec un bilan hebdomadaire ayant en particulier été mis en place après un incident ayant affecté D. en octobre 2021,
- l’enfant E. ayant, en dernier lieu, été changée de classe le 11 avril 2023 ainsi que ses parents en avaient fait la demande.
Le juge d’appel relève qu’à défaut de tout autre élément apporté par les parents pour démontrer le contraire, il ne peut que confirmer l’appréciation du premier juge sur le défaut d’urgence.
(ord. réf. 23 mai 2023, M. et Mme B., n° 478379)
Sport
120 - Infliction d’un point de malus à une équipe - Non-conformité du diplôme de son éducateur principal - Sursis à exécution ordonné - Décision entièrement exécutée - Erreur de droit - Annulation.
L’association requérante a demandé au juge des référés du tribunal administratif la suspension de l'exécution de la décision du 12 juillet 2022 par laquelle la commission d'appel du District du Var de football a confirmé la décision de sa commission de structuration des clubs d'infliger à l'équipe « moins de 14 ans » (U 14) de ce club un point de malus pour non-conformité du diplôme de son éducateur principal ainsi que la décision du 1er septembre 2022 par laquelle le District du Var de football a refusé de suivre la proposition du comité national olympique et sportif français de rapporter cette décision.
Le juge des référés a suspendu l'exécution des décisions des 12 juillet 2022 et 1er septembre 2022 et a enjoint d'inclure l'équipe « moins de 15 ans » (U15) du Racing FC Toulon au sein du championnat régional après lui avoir restitué le point retiré à l'issue de la saison 2021/2022.
Le District du Var de football se pourvoit en cassation de cette ordonnance.
Pour accueillir le pourvoi le juge de cassation retient une classique erreur de droit : le juge des référés ne pouvait statuer sur les litiges dont il était saisi, qui portaient sur la détermination des clubs appelés à participer au championnat régional organisé par la Ligue Méditerranée de football pour la saison 2022-2023, alors que toute décision relative à la détermination des clubs appelés à participer à ce championnat devait être regardée comme étant entièrement exécutée dès lors qu'il avait commencé, ce qui ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis et qu'il a d'ailleurs constaté.
Il n’y a jamais lieu à suspendre une décision entièrement exécutée puisque cela serait sans aucun effet utile.
(11 mai 2023, District du Var de football, n° 471249)
Urbanisme et aménagement du territoire
121 - Autorisation d’urbanisme délivrée en méconnaissance des dispositions applicables - Sursis à statuer en vue de sa régularisation - Conditions et régime de régularisation - Violation d’une règle devenue inapplicable lors de la nouvelle décision du juge - Régularisation impossible - Rejet.
La présente décision est d’une certaine importance.
L’on sait que l’illégalité, de fond ou de forme, d'une autorisation d'urbanisme peut être régularisée soit par la délivrance d'une autorisation modificative qui remplit certaines conditions ou si la règle méconnue par l'autorisation initiale a été entretemps modifiée ou si cette règle ne peut plus être regardée comme méconnue par l'effet d'un changement dans les circonstances de fait de l'espèce ou encore si intervient une décision administrative individuelle valant mesure de régularisation à la suite d'un jugement décidant de surseoir à statuer sur une demande tendant à l'annulation de l'autorisation initiale (Cf. art. L. 600-5-1 c. urb.).
Ici, le juge se trouvait dans un autre cas de figure, celui dans lequel le vice affectant l'autorisation initiale et qui a justifié le sursis à statuer, résulte de la méconnaissance d'une règle d'urbanisme qui n'est plus applicable à la date à laquelle le juge statue à nouveau sur la demande d'annulation, après l'expiration du délai imparti aux intéressés pour notifier la mesure de régularisation. En ce cas, il est jugé que cette circonstance est insusceptible, par elle-même, d'entraîner une telle régularisation et de justifier le rejet de la demande (cf. 03 juin 2020, Société Alexandra, n° 420736 ; v. cette Chronique, juin 2020, n° 169).
(04 mai 2023, Société Octogone, n° 464702)
122 - Certificat d’urbanisme négatif prétendu illégal - Action en responsabilité - Certificat négatif jugé régulier - Rejet.
Les requérants ont recherché la responsabilité d’une commune à raison du préjudice que leur aurait causé l’illégalité d’un certificat d’urbanisme négatif délivré par le maire de la commune. Ils se pourvoient contre l’arrêt jugeant régulier ce certificat négatif. Le pourvoi est rejeté.
La cour administrative d’appel avait jugé que le certificat d’urbanisme négatif ne méconnaissait pas les dispositions de l’art. UD I du règlement du plan local d'urbanisme de la commune car ces dispositions, éclairées par le rapport de présentation, si elles ne proscrivaient pas toute construction de logements dans ce secteur, elles y faisaient obstacle à une densification excessive de l'habitat et donc au projet litigieux, de construction de six maisons d'habitation sur une parcelle de 1 330 m2, qui en comportait déjà une.
Le Conseil d’Tat approuve ce raisonnement par un double motif.
D’abord, la cour, ce jugeant, n'a pas donné une portée normative aux éléments du rapport de présentation qu'elle a mentionnés et n’a pas estimé que la construction de logements était interdite, mais elle s’est bornée à prendre en considération les indications qu'il comportait en l'absence en particulier de précisions dans le règlement sur le caractère de la zone.
Ensuite, la cour - après avoir porté une appréciation souveraine exempte de dénaturation sur les faits et les pièces du dossier - a pu légalement déduire des dispositions du règlement ainsi éclairées par ces indications que si toute construction de logement n'était pas interdite dans cette zone, un projet tel que celui des époux B., eu égard à la densité de logements qu'il prévoyait, ne pouvait y être envisagé, sans que cette appréciation puisse être remise en cause par la circonstance que le règlement ait prévu, pour cette zone comme pour d'autres qu'un pourcentage des logements doit être affecté à des catégories de logements locatifs sociaux.
(11 mai 2023, M. et Mme B., n° 462554)
123 - Permis de construire des logements - Exception d’illégalité du classement d’une parcelle par le plan local d’urbanisme - Absence de moyen dirigé contre la partie du PLU remise en vigueur du fait de l’illégalité - Erreur de droit - Annulation.
Pour annuler le permis de construire des logements délivré par le maire de la commune requérante, le tribunal administratif s’était fondé sur l’exception d’illégalité soulevée par les demandeurs, tirée de ce qu’était illégal le classement, par le PLU, en zone UHb de la parcelle concernée par le projet.
Rappelant sa jurisprudence en matière d’exception d’illégalité dirigée contre une partie divisible d’un PLU, le Conseil d’État indique que l’annulation ou la déclaration d’illégalité - pour un ou plusieurs motifs non étrangers aux règles applicables au projet en cause - d’un tel document a pour effet de remettre en vigueur les dispositions du document immédiatement antérieur relatives à cette zone géographique et que c'est au regard de ces règles que doit être appréciée la légalité de l'autorisation. D’où cette conséquence, appliquée ici dans toute sa rigueur, que le moyen tiré de l'exception d'illégalité du document local d'urbanisme à l'appui d'un recours en annulation d'une autorisation d'urbanisme ne peut être utilement soulevé que si le requérant soutient également que cette autorisation méconnaît les dispositions pertinentes ainsi remises en vigueur.
Ce n’était pas le cas en l’espèce. C’est pourquoi le jugement litigieux est annulé.
(24 mai 2023, Commune de Jouars-Pontchartrain, n° 461192)
124 - Permis de construire accordé dans une zone de tension entre offre et demande de logements - Régime contentieux temporaire dérogatoire (art. R. 811-1-1 CJA) - Interprétation stricte - Condition non remplie - Compétence d’appel de la cour administrative d’appel - Renvoi en conséquence.
L’art. R.811-1-1 du CJA a prévu que les recours introduits entre le 1er décembre 2013 et le 31 décembre 2022 contre les permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d'habitation ou contre les permis d'aménager un lotissement lorsque le bâtiment ou le lotissement est implanté en tout ou partie sur le territoire d'une des communes situées en zone de tension entre offre et demande de logements sont jugés par le tribunal administratif statuant en premier et dernier ressort, seul un pourvoi en cassation étant alors possible.
Cette disposition déroge au droit commun qui ouvre à tout justiciable la voie de l’appel. Il en résulte qu’elle doit être interprétée restrictivement.
En l’espèce était contesté le jugement ayant annulé le permis de construire délivré à une société en vue de la surélévation d'un immeuble existant qui comportait avant travaux une surface de 1029 m2 dédiée à l'habitation et une surface de 1408 m2 dédiée aux bureaux et au commerce. Ainsi, ce permis de construire devant aboutir à la création d'une surface nouvelle de 511 m2 de bureaux, n’a pas pour objet la réalisation de logements supplémentaires. Son régime contentieux ne relève donc pas du mécanisme dérogatoire institué par l’art. R. 811-1-1 précité, l’action en cause constitue donc un appel qui doit être porté, conformément au régime de droit commun, devant la cour administrative d’appel à laquelle renvoie la présente décision.
(24 mai 2023, Société Ilana El, n° 466755)
125 - Demande d’annulation du permis de construire des logements et des places de stationnement - Prétendu défaut d’intérêt à agir - Motivation insuffisante et erreur de droit - Annulation.
La société ESCOTA, exploitante d’autoroute, avait demandé l’annulation d’un permis de construire trois logements et quatre places de stationnement délivré par la commune de Menton et son recours a été rejeté pour défaut d’intérêt lui donnant qualité pour agir contre cette décision.
Le jugement est cassé à bon droit.
Le tribunal s’était fondé, pour rejeter le recours de la société ESCOTA, sur ce que le chemin d’accès commun au terrain de la pétitionnaire et à celui d’ESCOTA appartenait au domaine public communal et que cette route était ouverte à la circulation publique d’où résultait l’absence de trouble de jouissance pour cette société.
Le Conseil d’État, pour annuler ce jugement, reproche aux premiers juges, alors que le terrain d'assiette du projet se situe en face d'un talus occupé au moins en partie par la société ESCOTA, dans le cadre d'une concession d'autoroute au titre de laquelle elle exploite l'échangeur autoroutier ainsi que la portion d'autoroute situés en contrebas et dans la continuité du talus, de n’avoir pas recherché si cette société ne justifiait pas d'un intérêt pour agir, d'une part, en ce que compte-tenu de l'occupation de ces terrains, la société ESCOTA pouvait être regardée comme un voisin immédiat et, d'autre part, du fait des éléments dont la société ESCOTA faisait état, relatifs notamment aux risques qu'un usage plus intensif du chemin ferait peser sur l'exploitation de l'ouvrage autoroutier situé en contrebas.
(25 mai 2023, Société ESCOTA, n° 463482)
126 - Convention de projet urbain partenarial (PUP) - Contrat de nature administrative - Contestation possible par un recours « Département de Tarn-et-Garonne » - Rejet.
La requérante demandait l’annulation ou la résiliation de la convention de projet urbain partenarial conclue le 3 octobre 2018 entre la communauté de communes du pays de Gex, aux droits de laquelle est venue la communauté d'agglomération du pays de Gex, et la société en nom collectif Eurocommercial Properties Taverny. Le tribunal administratif a annulé cette convention en tant qu'elle porte sur les travaux de dévoiement du réseau d'eau potable et prévoit à ce titre une contribution de la société d'un certain montant, ainsi que l'obligation pour la communauté de communes de réaliser le réseau correspondant.
Sur pourvoi, le Conseil d’État considère qu’il se déduit des dispositions de l’art. L. 332-11-3 du code de l’urbanisme qu’une telle convention de PUP a la nature d’un contrat administratif et que, par suite, sa validité peut être contestée par un tiers dans les conditions prévues par la décision d’Assemblée du 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne (n° 358994).
La solution est très innovante, très logique et doit donc être approuvée.
(01 juin 2023, Société Massonex, n° 464062)