Sélection de jurisprudence du Conseil d'État
Juillet-Août 2019
Actes et décisions
1 - Tarif d’une redevance – Délibération le fixant – Caractère non rétroactif – Délibération remédiant rétroactivement à une illégalité – Rétroactivité légale – Délibération augmentant rétroactivement le tarif antérieur – Rétroactivité illégale.
Le Conseil d’État tranche avec une certaine solennité un contentieux récurrent en confirmant la solution qui lui est habituellement donnée.
Lorsque la délibération d’une collectivité territoriale ou de l’établissement public de coopération fixant le tarif d’une redevance, telle, la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, est déclarée irrégulière se pose la question de la règle tarifaire à appliquer au service rendu pendant la durée d’application de la délibération entachée d’illégalité. Deux principes s’imposent. D’une part, une délibération de caractère rétroactif peut être prise par l’organe délibérant car il ne saurait être question de dispenser ceux qui en ont bénéficié de l’obligation de s’acquitter du paiement du service rendu. D’autre part, cette délibération rétroactive ne peut que remettre en vigueur le tarif existant à la veille de la décision déclarée irrégulière ; si la rétroactivité porte aussi sur le nouveau tarif appliqué, elle est irrégulière.
(11 juillet 2019, EARL Plaine de Vaucouleurs, n° 422577)
2 - Acte faisant grief – Notion – Commission nationale du débat public – Acte organisant un débat public ou refusant de l’organiser – Acte faisant grief – Acte fixant les modalités de ce débat – Acte ne faisant pas grief – Rejet.
Les actes par lesquels la Commission nationale du débat public décide ou refuse d'organiser un débat public ont le caractère de décisions faisant grief, en revanche ceux de ses actes qui sont relatifs aux modalités du débat ou de la concertation préalable, notamment le calendrier et les conditions de son déroulement, n'ont pas le caractère d'actes faisant grief.
(21 août 2019, Collectif des citoyens exposés au trafic aérien (COCETA), n° 430906 ; v. aussi, du même jour avec même requérante, pour le rejet du référé suspension : n° 430907)
3 - Aéroport de Notre-Dame-des-Landes – Arrêté de cessibilité – Retrait – Recours pour excès de pouvoir devenu sans objet – Non-lieu à statuer – Retrait d'un acte ayant reçu exécution – Même solution – Rejet.
Dans le cadre du foisonnant contentieux suscité par le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, des requérants sollicitent l'annulation pour excès de pouvoir de l’arrêté préfectoral déclarant cessibles des parcelles dont ils sont propriétaires. Leurs recours sont rejetés comme devenus sans objet en raison du retrait rétroactif de cet arrêté sans que fasse obstacle à cette solution, bien établie, la circonstance que cet arrêté a reçu exécution.
(21 août 2019, M. X. et autres, n° 406891 ; Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes (ACIPA) et autres, n° 406892 ; Association Bretagne vivante - SEPNB et autres, n° 406894)
4 - Instructions et circulaires non publiées – Abrogation (art. L. 312-2 CRPA) – Instruction d’un ministre en sa qualité de chef de service – Absence de publication – Inapplicabilité du mécanisme de l’abrogation – Rejet.
En principe (art. L. 312-2 CRPA) les instructions, les circulaires ainsi que les notes et réponses ministérielles qui comportent une interprétation du droit positif ou une description des procédures administratives ne sont opposables aux administrés que si elles ont été publiées - avant une certaine date - sur les supports prévus par les dispositions de la section 2 du chapitre II du titre Ier du livre III du code des relations entre le public et l'administration, à défaut elles sont réputées abrogées.
Dans le cadre du contentieux fourni suscité par l’autorisation pour les forces de l’ordre d’user du lanceur de balles de défense de 40 mm en vue d’assurer le maintien de l’ordre dans certaines circonstances, les organismes requérants estimaient que faute d’avoir été publiée dans les conditions susrappelées, l’instruction du ministre de l’intérieur des 27 juillet et 2 août 2017 devait être considérée comme abrogée et donc inapplicable.
Recourant à la vieille jurisprudence Jamart (Section, 7 février 1936, Rec. 172), le Conseil d’État considère que les dispositions invoquées ne sauraient recevoir application dans le cas où, comme en l’espèce, le ministre n’a agi qu’en qualité de chef de service s’adressant aux seuls agents placés sous son autorité, l’instruction en cause ne comportant pas de description des procédures administratives ni d'interprétation du droit positif.
Habile tour de passe-passe car les balles tirées ont bien un effet direct sur les administrés - c’est d’ailleurs leur fonction normale - et imaginer, en ce cas, que l’instruction n’a pas d’effet en dehors du cercle étroit de ses destinataires suppose un gros effort intellectuel…
(24 juillet 2019, Ligue des droits de l’homme, n° 427638 et n° 429621 ; Confédération générale du travail et autres, n° 428895 ; v. aussi, du même jour, comparable sur le fond, à propos de grenades GLI F4 : MM. X. et autres, n° 429741)
5 - Projet d’arrêté portant suspension de la chasse de certaines espèces – Obligation de consultation et de rédaction préalables d’une synthèse des avis exprimés – Délai à respecter – Non-respect – Privation d’une garantie pour les personnes ayant émis un avis – Nullité de l’arrêté ministériel subséquent.
En prévision de la suspension de la chasse de certains gibiers (ici la barge à queue noire et le courlis cendré) doit être organisée une consultation pour recueillir les observations du public et effectuer la synthèse des observations exprimées au cours de celle-ci. Un délai minimal de quatre jours doit être respecté entre le jour de la clôture de la consultation du public et celui de la prise de l’arrêté.
En l’espèce, ce délai n’a pas été respecté non plus que l’obligation d’effectuer la synthèse des 7780 commentaires exprimés au cours de la consultation. Le ministre affirme avoir fait réaliser une synthèse des mille premiers avis déposés et avoir été tenu par l’urgence à décider.
Appliquant la jurisprudence Danthony (Assemblée, 23 décembre 2011, n° 335033, p. 649), le Conseil d’État, constatant que le ministre n’invoque aucun motif sérieux à la violation des règles applicables et que ceci a privé les intéressés de la garantie de voir leurs avis dûment pris en considération à l'égard d'une décision ayant une incidence directe et significative sur l'environnement, annule l’arrêté litigieux.
(12 juillet 2019, Fédération nationale des chasseurs, n° 424600)
6 - Universités – Thèses soutenues – Titres de docteurs d’État délivrés – Demande, par le CNRS et une université, d’un rapport sur leurs qualités et conditions d’encadrement – Établissement d’un rapport – Absence de caractère décisoire – Divulgation non autorisée dans la presse – Responsabilité de l’administration à raison de cette divulgation – Absence.
Le CNRS et l’université de Bourgogne, dans le cadre d’une polémique suscitée par deux thèses soutenues par MM. X. devant cette dernière et ayant débouché sur l’attribution de titres de docteurs, ont décidé de confier aux sections compétentes du CNRS l’établissement d’un rapport sur les conditions d’encadrement et la qualité de ces thèses. À la suite de la publication dans la presse du contenu de ce rapport, MM. X. ont sollicité du juge administratif diverses mesures tant concernant ces décisions qu’en réparation des préjudices causés par celles-ci. La conformité de la publication au texte du rapport a été confirmée. Le Conseil d’État rend une décision surprenante peu susceptible d’emporter la conviction.
En premier lieu, pour justifier qu’il n’y a rien faire concernant d’une part la décision conjointe du CNRS et de l’université de recourir à une sorte d’ « expertise » et d’autre part l’établissement du rapport, il est prétendu que ce ne sont pas là des décisions, que celles-ci ne faisant pas grief les recours de MM. X. sont, de ce chef, irrecevables. Comment, d’abord, soutenir que l’expression publique d’un doute scientifique sur des thèses de doctorat, émané à la fois du CNRS et d’une université - puisqu’il y a recours à enquête au plus haut niveau scientifique - ne fait pas grief ? Angélisme ou aveuglement ?
Comment, ensuite, soutenir qu’un rapport très négatif puisse ne pas porter atteinte aux intéressés notamment dans leur réputation et dans leur carrière, dans un milieu aussi prodigieusement restreint ? Il faut être bien ignorant - ou feindre de l’être - des réalités d’un univers très vibrionnant.
En second lieu, il est expliqué que la responsabilité de l’administration ne saurait être engagée du chef de la divulgation - interdite - de ce rapport. Prétendument, l’administration n’en est pas l’auteur. Là encore se pose la question : angélisme ou aveuglement ? Surtout, la faute a consisté en l’espèce, a minima, sinon à divulguer, du moins à ne pas avoir été capable de prendre les mesures nécessaires à en empêcher la divulgation. De plus, se fonder sur les attestations des deux co-auteurs du délit pour en tirer la vérité des faits est assez surprenant.
Il ne reste plus aux intéressés que la saisine du juge pénal voire celle, plus incertaine, de la Cour EDH.
Bref, il faudra s’empresser d’oublier dette décision.
(24 juillet 2019, MM. X., n° 406927)
7 - Indus de revenu de solidarité active (RSA), d'aide exceptionnelle de fin d'année ou d'aide personnalisée au logement (APL) – Récupération – Décisions susceptibles de recours contentieux – Exigence, parfois, de recours administratif préalable obligatoire –Titre exécutoire – Mise en demeure de payer ce titre – Mesure préparatoire et non décisoire – Recours pour excès de pouvoir irrecevable.
Le régime des aides sociales gagnerait à être simplifié surtout que, son contentieux, relevant de la catégorie des contentieux sociaux, appelle une telle simplification.
Une personne se voit réclamer le paiement d’une somme au titre du RSA, de l’aide exceptionnelle de fin d'année ainsi que de l’APL qu’elle a indument perçus, l’organisme prestataire estimant qu’elle vit en état concubinaire et non comme personne isolée avec enfants à charge. L’intéressée, mise en demeure de payer les sommes mises à sa charge par plusieurs décisions, demande l’annulation de cette mise en demeure et du rejet implicite de sa demande préalable contre lesdites décisions.
La décision de récupération d’indu par laquelle l’organisme prestataire qui a constaté un indu de revenu de solidarité active, d'aide exceptionnelle de fin d'année ou d'aide personnalisée au logement doit être motivée et notifiée au bénéficiaire de l'allocation, avec indication des conditions matérielles de sa récupération et de celles de sa contestation.
Pour le RSA et l’APL, leur contestation contentieuse doit être précédée d'un recours administratif préalable obligatoire, non s’agissant de l’aide exceptionnelle de fin d'année
Faute qu’un recours ait été formé dans un délai de deux mois ou en cas de rejet de celui-ci, et sauf à ce que l'indu ait été remboursé, ait été récupéré par retenues sur les prestations à venir ou ait fait l'objet d'un titre exécutoire émis par l'ordonnateur de la personne publique pour le compte de laquelle la prestation est servie, l'organisme peut mettre l'allocataire en demeure de payer ce qu’il doit dans le délai d'un mois, puis, si cette mise en demeure reste sans effet dans ce délai, décerner une contrainte, laquelle est susceptible d'opposition devant le tribunal administratif dans le délai de quinze jours.
En conséquence, la mise en demeure intervenant après la notification de la décision de récupération de l'indu, constitue un acte préparatoire à la contrainte qui pourra être émise si l'allocataire ne rembourse pas la somme due. Par suite, si l'allocataire peut utilement se prévaloir, à l'appui d'une opposition à contrainte, de l'irrégularité de la mise en demeure qui lui a été adressée, celle-ci ne présente pas, en revanche, par elle-même, le caractère d'une décision susceptible de recours.
Le recours présenté par Mme X. devant le tribunal administratif était irrecevable ; il n’avait donc pas à être rejeté au fond. Le juge de cassation opère donc une substitution de motif, possible ici car elle n’appelle l’appréciation d’aucune circonstance de fait.
(10 juillet 2019, Mme X., n° 415427)
8 - Transfert d’un établissement pénitentiaire à un autre – Acte normalement insusceptible de recours pour excès de pouvoir – Exception en cas d’atteintes aux droits fondamentaux du détenu – Annulation de l’ordonnance.
Rappel de ce que : « Eu égard à leur nature et à leurs effets sur la situation des personnes détenues, les décisions refusant de donner suite à la demande d'une personne détenue de changer d'établissement ne constituent pas des actes administratifs susceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, sous réserve que ne soient pas en cause des libertés et des droits fondamentaux des personnes détenues. »
Application positive en l’espèce où est reconnue l’existence d’une atteinte à ces droits.
(24 juillet 2019, M. X., n° 428681)
Audiovisuel, informatique et technologies numériques
9 - Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) mettant en demeure la société France Télévisions de ne pas s’opposer à la reprise de ses programmes par une autre société en flux continu, sur son site Internet – Société proposant le visionnage de programmes de télévision en flux continu et en direct sur un site Internet – Société se prévalant de la qualité de distributeur de services – Obligation légale de diffusion de certains services de télévision pesant sur les distributeurs de services – Service devant être distribués auprès d’abonnés – Nécessité d’un contrat commercial avec paiement d’un prix – Absence en l’espèce – Annulation.
Le CSA a mis en demeure la Société France Télévisions de ne pas s'opposer à la reprise par la société Playmédia, sur son site Internet, des services qu'elle édite. La requérante demande l’annulation de cette décision au Conseil d’État qui saisit la CJUE de cinq questions préjudicielles. Après réponse de cette dernière (n° C-298/17 du 13 décembre 2018), le Conseil d’État constate :
1° / que la CJUE « a dit pour droit que le paragraphe 1 de l'article 31 de la directive " service universel " doit être interprété en ce sens qu'une entreprise qui propose le visionnage de programmes de télévision en flux continu et en direct sur Internet ne doit pas, en raison de ce seul fait, être regardée comme une entreprise qui fournit un réseau de communications électroniques utilisé pour la diffusion publique de chaînes de radio et de télévision. Il résulte de l'interprétation ainsi donnée par la Cour de justice de l'Union européenne que l'activité de la société Playmédia ne la fait pas rentrer dans le champ de l'obligation de diffusion prévue par l'article 31, paragraphe 1 de la directive " service universel ».
2°/ que, dans le même arrêt, la CJUE « a également dit pour droit que les dispositions de la directive " service universel " doivent être interprétées en ce sens qu'elles ne s'opposent pas à ce qu'un État membre impose, dans une situation telle que celle en cause au principal, une obligation de diffuser à des entreprises qui, sans fournir des réseaux de communications électroniques, proposent le visionnage de programmes de télévision en flux continu et en direct sur Internet. »
Le juge déduit de ces deux éléments qu’aux yeux du législateur national « La société Playmédia est, par son activité, susceptible de présenter le caractère d'un distributeur de services ».
Toutefois, la loi de 1986 (art. 34-2) subordonne l'obligation de diffusion à la condition que la distribution de services soit destinée à des abonnés, la notion d'abonnés s'entendant des utilisateurs liés au distributeur de services par un contrat commercial prévoyant le paiement d'un prix. En estimant que la société défenderesse remplissait cette condition, le CSA a erronément interprété cette disposition législative dès lors qu’en l’espèce l'accès au service n'était pas subordonné au paiement d'un prix.
La décision du CSA est annulée.
(24 juillet 2019, Société France Télévisions, n° 391519)
Biens
10 - Dons d’œuvres et d’objets par une association en vue de leur affectation à un musée public départemental – Convention de cession pour une durée illimitée d’œuvres et d’objets et de participation de l’association donatrice à la mission de service public de gestion du musée – Demande d’annulation de la convention – Délai d’exercice de cette demande calqué sur la durée de la convention – Vices non susceptibles de justifier l’annulation de la convention – Rejet.
(1er juillet 2019, Section, Association pour le musée des Iles Saint-Pierre et Miquelon, n° 412243 ; v. aussi, dans cette même affaire : T. C. 10 décembre 2018, n° 4140) V. n° 17
11 - Occupation du domaine public – Utilisation privative – Redevance – Cas des occupants irréguliers – Pouvoir du gestionnaire du domaine – Possibilité de fixer une redevance par comparaison avec un emplacement similaire ou avec une utilisation fournissant des avantages similaires – Cassation avec renvoi.
Un café qui occupe une contre-terrasse sur les Champs-Élysées a demandé l’annulation du titre exécutoire émis à son encontre par la ville de Paris au titre des droits de voirie additionnels afférents aux dispositifs de chauffage et d'écrans parallèles situés sur la contre-terrasse qu'il a installée à hauteur de son établissement. La cour administrative d’appel ayant confirmé le jugement annulant le titre exécutoire, la ville de Paris se pourvoit.
La cour avait jugé qu'il n'existait pas, dans la règlementation de la ville de Paris, de tarif applicable aux contre-terrasses et que donc la ville n'avait pas pu légalement fixer le montant des droits de voirie additionnels en se référant aux tarifs applicables aux terrasses ouvertes, parce que les contre-terrasses n'auraient été autorisées, contrairement aux terrasses, que pour une période limitée au cours de l'année civile.
Le Conseil d’État casse l’arrêt au double motif que la prétendue limitation dans le temps s’appliquant aux contre-terrasses ne résulte d’aucune disposition de l’arrêté municipal en cause et, surtout, que la cour a déchargé la société propriétaire du café du paiement de l’entier titre exécutoire « sans chercher à déterminer par référence à une utilisation du domaine procurant des avantages similaires, le cas échéant en faisant usage de ses pouvoirs d'instruction, le montant de droits additionnels permettant de tenir compte des avantages de toute nature procurés par l'utilisation irrégulière du domaine public par la société (demanderesse) ».
En effet, selon le Conseil d’État, tout d’abord, le gestionnaire du domaine public peut réclamer à tout occupant irrégulier d’une dépendance de ce domaine une indemnité calculée comme si l’occupation avait été régulière soit en comparaison avec le tarif applicable à l’occupation d’un emplacement similaire soit, à défaut, en déterminant ce qu’aurait été ce tarif en déterminant les avantages de toutes natures retirés de l’occupation de cette partie du domaine public. L’irrégularité de l’occupation n’affecte en rien le calcul de la redevance qui doit être pris comme un fait objectif lié à l’occupation d’un certain lieu ou à l’exercice d’activités similaires.
Dès lors qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que la ville de Paris se serait livrée à un calcul erroné pour parvenir à la somme énoncée dans son titre exécutoire, c’est à tort que la cour, à laquelle l’affaire est envoyée, a cru pouvoir annuler ledit titre.
(1er juillet 2019, Ville de Paris, n° 421403 ; voir, du même jour et pour une identique question : Ville de Paris, n° 421407)
12 - Usage du droit de préemption urbain – Demande en référé de la suspension de l’exercice du droit de préemption – Vendeur non appelé dans cette instance en référé – Pouvoirs du vendeur – Obligation du juge saisi d’un référé tendant à la suspension d’une décision de préemption d’appeler dans l’instance les intéressés – Méconnaissance de cette obligation – Conséquence sur la régularité de l’ordonnance de référé – Faculté ouverte au vendeur en cas de décision de suspension – Annulation sans renvoi de l’ordonnance de référé de première instance.
Dès lors que saisi d'un recours pour excès de pouvoir contre une décision de préemption, le tribunal administratif doit appeler dans l'instance la personne publique qui a exercé le droit de préemption ainsi que, le cas échéant, l'acquéreur évincé et le vendeur du bien préempté, il s’ensuit, par parallélisme, qu’il en va de même lorsque le juge des référés de ce tribunal est saisi d'une demande de suspension de l'exécution d'une telle décision. L’absence devant ce dernier juge de cet appel dans l’instance n’a pas pour effet d’entacher d’irrégularité l’ordonnance rendue ; toutefois, en ce cas et si le juge des référés a ordonné la suspension de l'exécution de la décision de préemption ou de certains de ses effets, l'acquéreur évincé ou le vendeur, peut saisir ce juge d'une demande tendant à ce qu'il modifie les mesures qu'il a ordonnées ou à ce qu’il y mette fin (cf. art. L. 521-4 CJA).
(24 juillet 2019, SCI Madeleine, n° 428552)
Collectivités territoriales
13 - Biens communaux – Section de commune – Vente de parcelles d’une section de commune (art. L. 2411-16 CGCT) à sa commune de rattachement – Irrégularité – Absence – Rejet.
Des habitants d’une section de commune contestent la décision et les conditions de la vente à sa commune de rattachement de parcelles appartenant à cette section de commune.
La décision apporte deux précisions principales.
Tout d’abord, la circonstance qu’un conseiller municipal, membre de cette section de commune et ayant participé au vote relatif à cette décision, soit susceptible de bénéficier d’une indemnité du chef de cette vente, tout comme tous les autres habitants placés dans la même situation, n’en fait pas un « conseiller intéressé » au sens et pour l’application de l’art. L. 2131-11 CGCT.
Ensuite, il n’est pas illégal qu’une section de commune vende tout ou partie de ses biens à sa commune de rattachement, l’art. L. 2411-16 du CGCT n’y faisant aucun obstacle.
(1er juillet 2019, M. X. et autres c/ Commune de Saint-Victor-sur-Arlanc, n° 410714)
14 - Compteurs d’électricité « Linky » – Propriété des compteurs – Compétence pour régir les règles d’utilisation et de police les concernant – Principe de précaution et ordre normal des compétences – Rejet.
Le conseil municipal de la commune de Saint Cast ayant demandé un moratoire au déploiement des compteurs " Linky " sur son territoire, le maire a décidé de refuser le déploiement de ces compteurs sur le territoire de la commune, il a rejeté le recours gracieux de la société Enedis dirigé contre cette décision ; cette dernière a demandé et obtenu son annulation. La commune se pourvoit en cassation contre l’arrêt d’appel.
Des divers points abordés dans cette décision on en retiendra deux principaux.
Tout d’abord, la commune requérante, qui est membre d’un syndicat départemental d’électricité auquel a été nécessairement transférée la compétence en matière d'organisation de la distribution d'électricité, n’est plus propriétaire des ouvrages des réseaux publics de distribution d'électricité. Elle ne dispose d’aucune compétence pour s’opposer à la pose des compteurs litigieux ou pour imposer des conditions à cette pose.
Ensuite, il n’appartient qu’aux autorités de l'État de veiller, pour l'ensemble du territoire national, non seulement au fonctionnement optimal du dispositif de comptage au vu notamment des exigences d'interopérabilité mais aussi à la protection de la santé publique par la limitation de l'exposition du public aux champs électromagnétiques, en mettant en œuvre des capacités d'expertise et des garanties techniques indisponibles au plan local.
Dès lors, si le maire peut prendre, pour la commune, les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, il ne saurait adopter sur le territoire de la commune des décisions portant sur l'installation de compteurs électriques communicants qui seraient destinées à protéger les habitants contre les effets des ondes émises.
Enfin, l’invocation du principe de précaution énoncé à l’art. 5 de la Charte de l’environnement, ne saurait justifier qu’une autorité publique excède son champ de compétence et intervienne en dehors de ses domaines d'attribution.
La commune n’est donc pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt attaqué.
(11 juillet 2019, Commune de Cast, n° 426060)
15 - Création d’une commune nouvelle par fusion de plusieurs communes – Composition du conseil municipal de la commune nouvelle – Vacance de sièges de conseillers municipaux – Impossibilité d’y nommer les suivants de liste.
En vertu de dispositions du code des collectivités territoriales, le conseil municipal d'une commune nouvelle issue de la fusion de plusieurs communes est composé, à titre transitoire jusqu'au premier renouvellement suivant la création de la commune nouvelle, des seuls conseillers municipaux en exercice lors de la fusion lorsque les anciens conseils municipaux l'ont décidé par délibérations concordantes. Pendant la période allant de la création de la commune nouvelle au premier renouvellement du conseil municipal suivant cette création, il n’est pas possible de pourvoir au remplacement par les suivants de liste des conseillers municipaux dont le siège devient vacant.
(24 juillet 2019, Préfet du Morbihan, n° 427192 ; V. également, du même jour : Préfet de la Haute-Savoie, n° 426468)
16 - Plan local d’urbanisme – Délibération d’un conseil municipal modifiant le plan local d’urbanisme (PLU) – Compétence en matière de PLU transférée à une métropole – Régime contentieux d’un recours introduit avant le transfert de compétence mais d’un appel formé postérieurement à celui-ci – Recevabilité de l’appel de la commune – Erreur de droit de l’arrêt d’appel en ce qu’il déclare irrecevable l’appel introduit par la commune – Cassation avec renvoi.
Un déféré préfectoral est dirigé contre une délibération modifiant le plan local d'urbanisme (PLU) prise par le conseil municipal d'une commune antérieurement au transfert de cette compétence à une métropole. La délibération ayant été annulé par le tribunal administratif, la commune interjette appel mais la CAA rejette cet appel pour irrecevabilité au motif que c’est à la métropole, créée entretemps, qu’appartient désormais la compétence en matière de PLU. Le Conseil d’État casse cet arrêt car il estime que, nonobstant ce transfert, la commune requérante demeure bien l’auteur de la décision attaquée par le déféré préfectoral.
On peut ne pas trouver cette solution très judicieuse ni très simplificatrice même si elle est fondée sur le fait que, partie à l’instance, ladite commune tirait de là qualité et intérêt pour former appel. La théorie de la succession aux compétences des personnes morales permettait une solution plus expédiente comme le montre la solution qu’avait retenue l’arrêt d’appel.
(12 juillet 2019, Commune de Corenc, n° 418818)
Contrats
17 - Dons d’œuvres et d’objets par une association en vue de leur affectation à un musée public départemental – Convention de cession pour une durée illimitée d’œuvres et d’objets et de participation de l’association donatrice à la mission de service public de gestion du musée – Demande d’annulation de la convention – Délai d’exercice de cette demande calqué sur la durée de la convention – Vices non susceptibles de justifier l’annulation de la convention – Rejet.
Une association fait don à un musée départemental - par un contrat à durée illimitée -, moyennant sa participation au service public assuré par celui-ci, d’objets et d’œuvres. Un contentieux s’étant élevé par la suite, l’association a demandé pour divers motifs l’annulation de ladite convention. Ceci soulevait trois questions, dont deux sont classiques, la troisième plus innovante.
La première portait sur la nature juridique du contrat litigieux et donc sur la détermination de l’ordre de juridiction compétent pour connaître de son contentieux ; en l’espèce le Tribunal des Conflits a jugé compétent l’ordre administratif à raison de la nature administrative de ce contrat.
La seconde question portait sur les conditions permettant l’annulation d’un contrat irrégulier, le juge rappelant ici une jurisprudence désormais classique (exigence de loyauté des relations contractuelles, rapport entre la nature de l'illégalité commise et l'objectif de stabilité des relations contractuelles, possibilité d’ordonner, moyennant régularisation(s), la poursuite de l'exécution du contrat, degré d’atteinte à l'intérêt général que porterait la résiliation du contrat, caractère illicite du contenu du contrat ou existence d’un vice d'une particulière gravité, etc.). C’est d’ailleurs sur ce fondement qu’est rejetée en l’espèce l’action de l’association demanderesse.
La troisième question, plus originale, était celle du délai pendant lequel l’un des contractants peut demander l’annulation du contrat, conclu en l’espèce pour une durée illimitée. La cour administrative d’appel avait estimé ce délai enfermé dans le délai de la prescription quinquennale prévue par l'article 2224 du code civil. Le Conseil d’État censure cette solution au motif que cette prescription n'était pas applicable à l'action en contestation de validité introduite par l'association requérante.
Il décide, adoptant une solution maximaliste mais logique, que l’action en annulation du contrat est ouverte aux parties au contrat pendant toute la durée d'exécution de celui-ci. Il serait possible de discuter des effets néfastes de cette solution pour la sécurité juridique mais s’agissant d’un acte subjectif affectant des droits subjectifs, elle ne nous semble guère critiquable.
(1er juillet 2019, Section, Association pour le musée des Iles Saint-Pierre et Miquelon, n° 412243 ; v. aussi, dans cette même affaire : T. C. 10 décembre 2018, n° 4140)
18 - Marché de construction d’une base urbaine de loisirs – Pénalités de retard – Détermination – Stipulations contractuelles – Dénaturation des clauses du marché – Cassation partielle et renvoi dans cette mesure à la juridiction d’appel.
Dénature une disposition d’un CCAP en matière de pénalités de retard l’arrêt qui se fonde sur le compte rendu d’une réunion de chantier pour dire fondées et justifiées les pénalités infligées à un entrepreneur par le maître de l’ouvrage au motif que des retards avaient été constatés tâche par tâche alors que les pénalités ne peuvent être appliquées, en vertu des stipulations du marché, que lorsque les délais intermédiaires tels que définis dans les plannings d'exécution sont dépassés.
(15 juillet 2019, Société Sogea Caroni, n° 422321)
19 - Appels d’offres en vue de la sélection des opérateurs chargés de réaliser un parc éolien en mer – Offre présentée par un consortium d’entreprises – Rejet de l’offre – Intérêt pour agir de l’un quelconque des membres du consortium – Illégalité d’un acte soulevée par voie d’exception contre des conclusions prises contre un second acte - Conditions – Critère ne figurant pas au cahier des charges de l’appel d’offres – Illégalité – Cassation partielle sans renvoi.
Suite à un appel d’offres comportant plusieurs lots en vue de la réalisation d’un parc d’éoliennes en mer au large de Saint-Brieuc, la candidature du consortium auquel appartenait la société requérante n’a pas été retenue. Celle-ci conteste l’attribution du lot en cause à une société concurrente. Déboutée en première instance et en appel, elle se pourvoit.
Le Conseil d’État tranche une première question en sens contraire de la solution des juges du fond : lorsque l’offre d’un consortium composé de plusieurs entités juridiques présentant une offre groupée pour un lot n’est pas retenue n’importe laquelle de ces entités peut contester le rejet de cette candidature comme l’attribution du lot à un concurrent.
Ensuite, après avoir rappelé qu’à l’occasion d’un recours en illégalité présenté contre une décision il n’est possible de soulever par voie d’exception l’illégalité d’un acte antérieur que si la seconde décision a été prise pour l'application de la première ou si cette dernière constitue la base légale de la seconde décision, le juge fait application de cette solution au cas de l’espèce. Le juge considère que si la décision qui, au terme de la procédure d'appel d'offres, retient une candidature pour l'exploitation d'une installation de production d'électricité précède nécessairement la décision qui constitue l'autorisation administrative d'exploiter une installation de production d'électricité, délivrée au candidat retenu, laquelle désigne le titulaire de cette autorisation et fixe le mode de production, la capacité autorisée et le lieu d'implantation de l'installation, et si la première de ces décisions rend possible l'édiction de la seconde, elle n'en constitue, pour autant, pas la base légale et la seconde décision n'est pas prise pour l'application de la première.
Par suite, la société requérante, évincée de l'appel d'offres ne peut utilement invoquer, à l'appui de ses conclusions dirigées contre cette autorisation d'exploiter, l'illégalité par voie d'exception de la décision ayant retenu la candidature d'une autre société au terme de l'appel d'offres. Elle ne peut d’ailleurs pas davantage, eu égard à l'objet respectif des décisions en cause, utilement critiquer au soutien de sa demande d'annulation de l'arrêté d'autorisation litigieux la procédure d'appel d'offres ayant conduit à retenir cette candidature.
Ce distinguo nous semble inutilement raffiné et peut être discuté.
Enfin, le recours à fins indemnitaires de la demanderesse est admis au motif que les ministres concernés ne pouvaient pas rejeter et/ou retenir une candidature en ajoutant un critère qui ne figurait pas parmi ceux énoncés limitativement dans le cahier des charges de l’appel d’offres.
(24 juillet 2019, Société Nass et Wind smart services, n° 416862 ; v. aussi, du même jour, dans le même dossier, l’analyse de l’intérêt à agir d’une association de protection de l’environnement contre l’attribution du lot n° 4 : Association Gardez les caps et GIE Tourcom Consovoyages, n° 418846)
20 - Réalisation d’un bâtiment pour le compte d’un département – Chantier arrêté – Coût de la prolongation de la location d’installations de chantier – Mise en place d’un dispositif d’étanchéité – Reconnaissance d’une responsabilité et d’un préjudice – Office du juge en ce cas – Cassation – Décision au fond.
Le Conseil d’État rappelle solennellement que « Le juge qui reconnait la responsabilité (d’une personne) et ne met pas en doute l'existence d'un préjudice ne peut, sans méconnaître son office ni commettre une erreur de droit, rejeter les conclusions indemnitaires dont il est saisi en se bornant à relever que les modalités d'évaluation du préjudice proposées par la victime ne permettent pas d'en établir l'importance et de fixer le montant de l'indemnisation. Il lui appartient d'apprécier lui-même le montant de ce préjudice, en faisant usage, les cas échéant de ses pouvoirs d'instruction. »
(15 juillet 2019, Département du Bas-Rhin, n° 417321)
Droit fiscal et droit financier public
21 - Prescription quadriennale – Rémunération des agents publics – Accomplissement du service – Restitution d’indu – Point de départ de la prescription – Détermination du fait générateur de la créance contestée – Règle applicable en l’absence de disposition particulière.
Le requérant, bénéficiaire d’une pension militaire d'invalidité, a fait l’objet d’une procédure en restitution d’un trop perçu au titre de cette pension ; un ordre de recettes est émis indiquant que cette somme serait recouvrée au moyen de retenues sur ses arrérages de pension à compter du mois d'août 1997. Par un courrier du 14 avril 2015, l’intéressé a adressé à l'administration une demande tendant au remboursement, pour la période de janvier 2002 à janvier 2015, de la somme annuelle qu'il estimait avoir été indument prélevée sur sa pension. L’administration ayant rejeté sa demande, il a saisi le tribunal administratif qui a ordonné le remboursement sollicité et, pour cela, rejeté l’exception de prescription quadriennale qu’entendait opposer le ministre de l'action et des comptes publics. Ce dernier se pourvoit en cassation. La question principale posée au juge était donc celle du calcul de cette prescription dont on sait qu’en vertu des dispositions de l’art. 3 de la loi du 31 décembre 1968, elle est éteinte le 31 décembre de la quatrième année qui suit celle au cours de laquelle s’est produit le fait générateur de la créance détenue sur une personne publique.
Des règles distinctes découlant des art. 1er et 3 de la loi précitée, dans la présente affaire, le juge tente de donner un ensemble de directives pour les divers cas qui se présentent.
S’agissant de l’application de l’art. 3, deux situations sont concernées.
En premier lieu, lorsque le litige opposant un agent public à son administration porte sur le montant de sa rémunération, le fait générateur de la créance se trouve en principe dans les services accomplis par l'intéressé. Le délai de prescription de la créance relative à ces services court à compter du 1er janvier de l'année suivant celle au titre de laquelle ces services auraient dû être rémunérés. La règle est la même lorsque le litige est relatif à un prélèvement indu sur la rémunération. Dans les deux cas, cette règle ne joue qu’à compter du jour où l'étendue de cette créance est connue dans toute son ampleur.
En second lieu, lorsque le préjudice allégué ne résulte que d'une décision individuelle explicite illégale, le fait générateur de la créance doit alors être rattaché non à l'exercice au cours duquel la décision a été prise, mais à celui au cours duquel elle a été valablement notifiée.
S’agissant de l’application de l’art. 1er, deux situations sont concernées.
En premier lieu, lorsqu'un litige oppose un ancien agent public à l'administration à propos d’une erreur qui ne tient qu’au versement de la pension, ne sont applicables que les règles fixées par cet art. 1er et non les dispositions particulières du code des pensions civiles et militaires de retraite ou du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre.
En second lieu, il se déduit de ce qui précède que le fait générateur de la créance est constitué par les échéances de cette pension. Par suite, le délai de prescription court à compter du 1er janvier de l'année suivant celle au cours de laquelle les arrérages correspondants auraient dû être versés. Comme au cas visé au point précédent, la règle est la même lorsqu’est en cause non une échéance de pension mais un prélèvement indu. Là encore, l’application de ces règles est subordonnée à la condition que la créance litigieuse soit connue dans toute son ampleur.
Il est donc jugé qu’en l’espèce c’est par suite d’une erreur de droit que le tribunal administratif a écarté l’exception de prescription quadriennale opposée par le ministre appelant au seul motif que le délai de prescription de la créance dont se prévalait l'intéressé courait, en vertu des dispositions de l'art. 1er de la loi de 1968, à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle était intervenu l'acte ayant régularisé sa situation,
En réalité, dès lors que le litige portait sur des sommes dues au requérant du fait du retard mis par l'administration à interrompre un prélèvement opéré sur sa pension, le délai de prescription courait à compter du 1er janvier de l'année suivant celle au cours de laquelle les arrérages correspondants auraient dû être versés, à la condition qu'à cette date, l'étendue de la créance pût être mesurée. L’action du ministre est accueillie à l’encontre de cette partie du jugement et la demande de l’intéressée pour la seule période non prescrite.
(1er juillet 2019, Section, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 413995)
22 - Imposition des intérêts perçus par une société par suite d’un prêt qu’elle a consenti – Existence de conventions bilatérales fixant la compétence étatique pour imposer des intérêts provenant l’autre État partie – Détermination de l’origine des intérêts – Intérêts rattachés à une dette contractée par un établissement stable du débiteur des intérêts –Intérêts devant être regardés comme provenant de l'État contractant où est situé cet établissement – Imposition des intérêts dans cet État, et crédit d'impôt équivalent dans l'autre État – Application dans le cas où les intérêts sont perçus par une société mère sur ses filiales à l’étranger donc au sein d’un même groupe – Erreur de droit – Cassation avec renvoi à la cour.
La société demanderesse a imputé sur ses cotisations d'impôt sur les sociétés dû au titre des exercices clos en 2005, 2006 et 2007 des crédits d'impôts correspondant à des retenues à la source auxquelles ont été soumis des intérêts qui lui ont été versés par ses succursales implantées en Chine, aux Philippines, en Inde, à Singapour et en Thaïlande en rémunération de prêts qui leur avaient été consentis par le siège français. Cette imputation de crédits d’impôt a été rejetée par l’administration fiscale, ce refus étant confirmé par les juges du fond. Elle demande, par son pourvoi, l’annulation de ces rejets et la restitution, d’une part, des cotisations d'impôt sur les sociétés correspondant aux crédits d'impôt qu'elle avait omis d'imputer au titre de son exercice clos en 2007, et, d'autre part, la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des pénalités correspondantes auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2005, 2006 et 2007.
Des conventions fiscales bilatérales ont été conclues en termes identiques entre la France et chacun de ces États en vue de prévenir les doubles impositions.
Leurs stipulations déterminent la compétence étatique pour imposer des intérêts provenant de l'un des deux États et versés à un résident de l'autre État. Pour ce faire, elles décident que les intérêts sont considérés comme provenant d'un État contractant lorsque le débiteur est un résident de cet État ou lorsqu'il a, dans cet État, un établissement stable pour lequel la dette donnant lieu au paiement des intérêts a été contractée et qui supporte la charge de ces intérêts. En conséquence, l'État dont proviennent les intérêts peut les imposer, la France accordant alors un crédit d'impôt d’un montant équivalent.
Pour refuser l’application de ces stipulations à la société requérante, la cour, alors même qu’elle avait qualifié d'intérêts au sens de ces conventions les sommes versées par les succursales au siège de la société, a cru devoir juger que ces stipulations lui étaient inapplicables, d'une part, du fait que les débiteurs des intérêts, qu'elle a identifiés comme étant les succursales, n'étaient pas des résidents des États dans lesquels ils étaient installés et, d'autre part, car il ne résultait pas de l'instruction que ces succursales auraient, dans ces États, un établissement stable ou une base fixe pour lequel la dette donnant lieu au paiement des intérêts aurait été contractée et qui supporterait la charge de ces intérêts.
Elle en a conclu que les intérêts en litige ne pouvaient être regardés comme provenant de l'autre État contractant, au sens de ces stipulations conventionnelles.
D’évidence, la société requérante, ainsi qu'elle le soutenait, devait être regardée comme débitrice de ces intérêts versés par ses succursales.
Tout aussi évidemment, la cour devait rechercher si cette société avait en Chine, aux Philippines, en Inde, à Singapour et en Thaïlande, par leur intermédiaire, des établissements stables pour lesquels les dettes donnant lieu au paiement des intérêts ont été contractées et qui supportent la charge de ces intérêts, de sorte que ces derniers devaient être considérés, pour l'application de ces stipulations, comme provenant de ces pays.
Faute d’avoir ainsi procédé, elle a commis une erreur de droit conduisant à la cassation de son arrêt et au renvoi de l’affaire devant elle.
Cette affaire fait partie de ces dossiers où l’observateur a le sentiment que la complexité et l’imbrication des règles fiscales aboutissent à égarer ceux mêmes qui sont chargés de dire le droit en ce domaine ; de la sorte, la solution du juge de cassation passe parfois pour aussi incertaine, par sa fragilité intellectuelle, que celle des juges du fond en raison du caractère échevelé du droit en cause.
(10 juillet 2019, Société BNP Paribas, n° 418108)
23 - Intérêts des sommes laissées ou mises à disposition d’une entreprise par une entreprise liée – Déductibilité du montant imposable – Détermination de l’existence des liens de dépendance – Taux d’intérêts comparé avec celui appliqué par des organismes prêteurs dans des conditions similaires de montant, de durée et de risque – Impossibilité de retenir le taux qui aurait été celui d’un emprunt obligataire.
Le Conseil d’État était interrogé sur le régime de déduction d’intérêts afférents à un prêt accordé entre entreprises liées pour l’application du a du I de l'article 212 du CGI, qui donne la possibilité à une entreprise de déroger à la limite prévue par les dispositions du 3° du 1 de l'article 39 du même code, si un contribuable est fondé à soutenir qu'il peut apporter la preuve de ce que le taux d'intérêt consenti par une société liée n'est pas supérieur à celui qu'il aurait pu obtenir d'établissements ou d'organismes financiers indépendants dans des conditions analogues, en se référant aux taux pratiqués par des sociétés tierces pour des emprunts obligataires.
Après avoir rappelé qu’en vertu de la définition légale (cf. le 12 de l’art. 39 du CGI) des liens de dépendance sont réputés exister entre deux entreprises lorsque l'une détient directement ou par personne interposée la majorité du capital social de l'autre ou y exerce en fait le pouvoir de décision ou lorsqu'elles sont placées l'une et l'autre sous le contrôle d'une même tierce entreprise, le juge examine la question posée.
Tout d’abord, les intérêts versés par une ou des entreprises se trouvant dans l’une de ces situations sont déductibles dans la limite de ceux calculés à un taux égal à la moyenne annuelle des taux effectifs moyens pratiqués par les établissements de crédit pour des prêts à taux variable aux entreprises d'une durée initiale supérieure à deux ans ou, s'il est plus élevé, au taux que l'entreprise emprunteuse aurait pu obtenir d'établissements ou d'organismes financiers indépendants dans des conditions analogues.
Ce taux s’entend de prêts que de tels établissements ou organismes auraient été susceptibles, compte tenu de ses caractéristiques propres, notamment de son profil de risque, de lui consentir pour un prêt présentant les mêmes caractéristiques dans des conditions de pleine concurrence.
En revanche, il ne peut être effectué de comparaison avec les taux servis par cette entreprise à ses créanciers dans le cadre d’emprunts obligataires.
La preuve du taux qu’auraient exigé les établissements susmentionnés incombe à l’entreprise contribuable qui peut la rapporter par tout moyen, éventuellement en tenant compte du rendement d'emprunts obligataires émanant d'entreprises se trouvant dans des conditions économiques comparables, lorsque ces emprunts constituent, dans l'hypothèse considérée, une alternative réaliste à un prêt intragroupe.
(Avis contentieux, 10 juillet 2019, SAS Wheelabrator Group, n° 429426 ; voir aussi, sur une question voisine mais à propos d’un prêt rémunéré : 24 juillet 2019, Mme X., n° 411382)
24 - Impôt sur le revenu – Bénéfices réalisés en France par une société non résidente – Régime de la retenue à la source (art. 115 quinquies CGI) – Liberté d’établissement – Obligation de traitement non discriminatoire par rapport aux sociétés résidentes – Absence en l’espèce de toute justification utile – Annulation de l’arrêt d’appel et renvoi.
Les dispositions de l'article 115 quinquies CGI ne permettent pas à une société non résidente réalisant des bénéfices en France d'établir, pour obtenir la restitution totale ou partielle de la retenue prélevée à la source, que ses distributions soumises provisoirement à retenue à la source ont été, en l'absence de désinvestissement des bénéfices dégagés par ses exploitations françaises, prélevées sur des bénéfices ne relevant pas de la compétence fiscale de la France. De telles dispositions ont donc pour effet d’instaurer un mode de calcul désavantageux de l'assiette de la retenue à la source pour les sociétés non résidentes réalisant des bénéfices en France par l'intermédiaire d'un établissement stable.
Une telle discrimination, interdite par le droit de l’Union européenne, ne peut être admise, sauf exceptions tirées de la préservation de la répartition du pouvoir d'imposer entre les États membres ou de la lutte contre l'évasion fiscale.
Le traitement discriminatoire susrappelé est de nature à gêner ou à rendre moins attrayant l'exercice par les opérateurs économiques établis dans un État membre de l’Union de leur liberté d'établissement sous la forme de création d'un établissement stable. Comme aucune des exceptions n’est applicable au cas de l’espèce, il en résulte l’inconventionnalité sur ce point de l'article 115 quinquies du CGI.
En jugeant le contraire la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit justifiant la cassation prononcée.
(10 juillet 2019, Société Cofinimmo, n° 412581)
25 - TVA sur les billets d’avion – Billets non utilisés ou dont le remboursement n’a pas été demandé – Billets remboursables non échangés, utilisés ou remboursés au cours de leur période de validité – Fait générateur de la TVA indépendant ou non de la participation au voyage ou de la demande d’échange ou de remboursement.
Le Conseil d’État approuve une cour administrative d’appel d’avoir jugé qu’était due par une compagnie aérienne la TVA afférente à des billets d’avion non utilisés qu’ils soient non remboursables ou remboursables/échangeables mais dont le remboursement ou l’échange n’a pas été demandé par le passager.
Cette solution est très discutable car on peut se demander où est la « valeur ajoutée » à un billet non utilisé ou dont le remboursement n’a pas été sollicité. À défaut de prestation on peine à déterminer où est la valeur ajoutée à ou par celle-ci. À moins qu’une fois de plus il faille y apercevoir une volonté forcenée de maximiser les rentrées fiscales sans égard pour le bon sens ou le réalisme économique.
(10 juillet 2019, Société anonyme Air France, n° 419398 ; v. aussi, du même jour avec solutions identiques : Société anonyme Hop ! Brit Air, n° 423126 ; Société Hop ! Régional, n° 423128)
26 - Taxe foncière sur les propriétés non bâties – Terrain situé en zone d’aménagement concerté (ZAC) – Terrain à bâtir – Assujettissement à la taxe – Rejet.
La société requérante a demandé en vain au tribunal administratif la réduction des cotisations de taxe foncière sur les propriétés non bâties à raison de parcelles acquises en sa qualité d'aménageur du " Parc d'activités de l'Est dijonnais ". Après annulation d’un premier jugement, le tribunal, statuant sur renvoi, a rejeté à nouveau sa demande. La société se pourvoit en cassation contre ce jugement.
Le Conseil d’État juge d’abord qu’un terrain destiné par son propriétaire à supporter des constructions doit être classé dans la catégorie des terrains à bâtir sauf si le propriétaire se trouvait, au 1er janvier de l'année d'imposition, dans l'impossibilité d'y édifier des constructions ou de les vendre à cette fin.
Il juge ensuite, non sans une certaine sévérité, que le propriétaire de terrains compris dans une ZAC ne peut être regardé comme étant dans l'impossibilité d'y édifier des constructions pour des raisons tirées des règles relatives au droit de construire, que la ZAC relève d'une zone urbaine ou d'une zone désignée comme étant à urbaniser, quand bien même, dans ce dernier cas, la délivrance d'autorisations individuelles d'urbanisme resterait subordonnée à la réception de travaux de viabilisation et d'aménagement non encore achevés.
Le Conseil en conclut donc que les parcelles acquises par un aménageur dans le cadre d'une ZAC, lorsqu'elles se situent, au 1er janvier de l'année d'imposition, dans une zone urbaine ou dans une zone désignée comme étant à urbaniser, doivent être classées dans la catégorie des terrains à bâtir, au sens et pour l'application de la législation applicable à la taxe foncière sur les propriétés non bâties, sauf pour leur propriétaire à établir qu'une partie d'entre elles a vocation à recevoir une autre affectation.
(1er juillet 2019, Société publique locale d'aménagement de l'agglomération dijonnaise (SPLAAD), n° 423609)
27 - Taxes et impôts locaux – Cotisation foncière des entreprises (CFE) – Détermination et définition du principal établissement – Erreur de droit – Annulation et renvoi.
L'article 1647 D du CGI institue une base minimum pour le calcul de la cotisation foncière des entreprises (CFE) applicable à celui des établissements dont le redevable dispose pour l'exercice de son activité professionnelle dans lequel il réalise son activité à titre principal.
L’administration, confirmée par les juges du fond, prétendait que la société requérante, ayant son siège social dans des locaux occupés par la société mère de son groupe, ce dernier constituait nécessairement son principal établissement. Elle était donc redevable de la CFE dans les rôles de la commune où se trouve ce siège.
Le Conseil d’État aperçoit dans ce raisonnement, à juste raison, une violation directe de l’art. 1647 D du CGI car il incombait au juge de rechercher si, parmi les établissements dont disposait la requérante pour les besoins de son activité professionnelle, les locaux en litige étaient ceux dans lesquels son activité s'exerçait à titre principal.
(10 juillet 2019, Société Coloralp, n° 413946 ; voir également, du même jour : Société Rhône Alpes Papiers Peints, n° 413947)
28 - Société de laboratoire d’analyses médicales – Demande d’option pour le régime d'intégration fiscale (art. 223 A et suivants du CGI) – Refus – Décision faisant grief – Contestation possible du refus par voie de recours pour excès de pouvoir – Annulation de l’arrêt d’appel ayant jugé le contraire – Cassation avec renvoi.
Une société de laboratoire d'analyses médicales a, en application de l'article 46 quater-0 ZD de l'annexe III au CGI, notifié au service des impôts son option pour le régime d'intégration fiscale prévu par les articles 223 A et suivants du même code. Cette option a été refusée au motif qu’elle n'en respectait pas les conditions légales. Elle a formé un recours pour excès de pouvoir contre ce refus. Si ce refus a été annulé par le tribunal administratif, la cour administrative d'appel de Lyon a annulé ce jugement et jugé irrecevable le recours pour excès de pouvoir de la société car cette décision de l’administration fiscale ne constituait pas un acte détachable de la procédure d'imposition à l'impôt sur les sociétés et ne pouvait pas, par suite, être contestée par la voie du recours pour excès de pouvoir. Le Conseil d’État casse cet arrêt en relevant que le refus opposé par l'administration à une demande d’option pour le régime de l’intégration fiscale au motif que l’entreprise en cause ne remplit pas les conditions pour en bénéficier « présente le caractère d'une décision faisant grief, eu égard aux effets qu'elle emporte pour cette société comme pour ses filiales. Compte tenu des enjeux économiques qui motivent l'option pour l'intégration fiscale et des effets notables autres que fiscaux qui sont susceptibles de résulter du refus opposé par l'administration pour les sociétés concernées, cette décision peut être contestée par la voie du recours pour excès de pouvoir, nonobstant la circonstance que les sociétés concernées pourraient ultérieurement former un recours de plein contentieux devant le juge de l'impôt en vue d'obtenir, le cas échéant, les restitutions d'impôt résultant de la constitution d'un groupe fiscal intégré. »
Décision importante qui ouvre ainsi un champ assez large à l’utilisation du contentieux de l’excès de pouvoir en matière fiscale mais fallait-il brouiller un peu plus la déjà complexe distinction des contentieux ?
(1er juillet 2019, Société Biomnis, n° 421460)
29 - Revenus de capitaux mobiliers - Assujettissement des résidents en France à la contribution sociale généralisée, à la contribution au remboursement de la dette sociale, au prélèvement social et à sa contribution additionnelle et au prélèvement de solidarité - Décharge accordée par les premiers juges - Confirmation en appel assortie d’un renvoi préjudiciel - Pourvoi du ministre des finances - Rejet.
M. X., retraité d’une activité professionnelle exercée en Suisse où il était obligatoirement affilié au régime suisse de sécurité sociale, a cotisé en 2015 auprès de compagnies d’assurances suisses au titre de la législation suisse sur la sécurité sociale sans demander à en être exonéré au profit d’une cotisation en France. Il s’ensuit que M. et Mme X. pouvaient se prévaloir du règlement européen du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale au motif qu'ils devaient être regardés comme soumis à la législation suisse de sécurité sociale. En jugeant ainsi la cour a, sans les dénaturer, souverainement apprécié les faits de l'espèce.
Il s’ensuit qu’en jugeant dans l’article 1er du dispositif de son arrêt que les intéressés devaient être exonérés de la contribution sociale généralisée, de la contribution au remboursement de la dette sociale, du prélèvement de solidarité et de la fraction du prélèvement social affectée au financement de la première section du Fonds de solidarité vieillesse n’a pas commis d’erreur de droit contrairement à ce que le ministre soutenait à l’appui de son pourvoi.
(1er juillet 2019, M. et Mme X., n° 422780)
30 - Sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés – Fusion – Échange de titres – Opération ayant la nature de cession de titres – Soumission au régime fiscal des plus-values et des moins-values – Confirmation de l’arrêt d’appel – Rejet.
Le Conseil d’État juge dans la présente affaire qu’en cas de fusion de deux sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés, l'échange de titres de participation détenus dans la société absorbée contre des titres nouvellement émis par la société absorbante présente, au sens du a septies du I de l'article 219 du CGI, le caractère d'une cession des titres de participation détenus dans la société absorbée. Il s’ensuit la soumission de cette opération au régime d’imposition des plus ou moins-values.
(10 juillet 2019, Société HighCo SA, n° 412964)
31 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères – Fixation d’un taux irrégulier car excessif – Délibération illégale – Impossibilité de substitution de la base légale de l’impôt – Application du seul taux établi par la délibération précédente – Rejet.
Il résulte des dispositions du III du second alinéa de l'article 1639 A du CGI, que dans le cas où la délibération d'une collectivité territoriale ou d'un établissement public de coopération intercommunale - ici la métropole de Lyon - ne peut plus servir de fondement légal à l'imposition, - ici la taxe d’enlèvement des ordures ménagères -, l’administration ne peut demander au juge de l'impôt que la substitution du seul taux fixé au titre de l'année immédiatement précédente.
En l’espèce, c’est donc à tort que le tribunal administratif a favorablement accueilli la demande de substitution de base légale faite par l'administration et tendant à ce qu'il soit fait application, pour l'établissement de la taxe due au titre de l'année 2015, des taux votés au titre d'années antérieures à l'année 2014. Seul le taux voté pour l’année 2014 était applicable.
(1er juillet 2019, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 427067)
32 - Impôts sur les sociétés – Contribution exceptionnelle à cet impôt frappant les grandes entreprises – Seuil de déclenchement de ce sur-impôt – Détermination de ce seuil – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.
La société demanderesse a pour objet social de procurer des revenus locatifs réguliers à des fonds d'investissement.
Par les dispositions contenues au I de l'article 235 ter ZAA du CGI, éclairées par les travaux préparatoires de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de laquelle elles sont issues, le législateur a voulu soumettre les grandes entreprises à une contribution supplémentaire, compte tenu de leurs capacités contributives plus fortes dès lors que leur chiffre d'affaires excède 250 millions d'euros. Ce seuil s'apprécie par référence aux recettes tirées de l'ensemble des opérations réalisées par le redevable dans le cadre de son activité professionnelle normale exercée en France et hors de France, quel que soit le régime fiscal du résultat des opérations correspondant à ce chiffre d'affaires.
Constatant que l’entreprise a procédé de façon récurrente à des cessions d’immeubles, lesquelles sont nombreuses et importantes, la cour administrative d’appel a estimé que ces opérations entraient dans le champ de son activité normale et que, par suite, les plus-values dégagées lors de ces cessions devaient être intégrées dans son chiffre d’affaires au sens et pour l’application des dispositions de l'article 235 ter ZAA du CGI.
Le Conseil d’État aperçoit une erreur de droit dans cette analyse faute que les juges aient recherché si ces cessions s'inscrivaient dans le modèle économique de l'entreprise. D’où la cassation de l’arrêt d’appel et le renvoi de l’affaire à cette cour.
(10 juillet 2019, Société IVG Institutional Funds GmbH, devenue Triuva Kapitalverwaltungsgesellschaft mbH, n° 412968)
33 - Plus-value résultant d’apport de parts à une société – Placement sous le régime de sursis d’imposition en l’attente d’un réinvestissement à caractère économique – Éléments pouvant être pris en considération à ce titre – Emprunt – Acquisition d’un terrain – Refus de principe – Erreurs de droit – Cassations partielles et renvoi à la juridiction d’appel dans cette limite.
Un couple de contribuables a apporté au capital d’une société les actions qu'il détenait dans une autre société et s’est placé sous le régime du sursis d’imposition en l’attente d’un réinvestissement à caractère économique de la plus-value réalisée.
La cour administrative voit son arrêt cassé sur deux points pour erreurs de droit en tant qu’elle a refusé purement et simplement d’apercevoir de tels réinvestissements, d’une part dans la conclusion d’un prêt, et d’autre part, dans l’acquisition d’un terrain.
Le Conseil d’État lui reproche, concernant l’emprunt, d’avoir rejeté son possible caractère de réinvestissement « alors qu'un prêt peut, au regard notamment de la qualité de l'emprunteur, de son objet et de ses modalités, s'analyser comme un investissement à caractère économique ».
Il lui reproche également, concernant l’acquisition d’un terrain, de n’avoir pas recherché quel était l'objectif poursuivi par cette acquisition.
C’est dans cette mesure que l’affaire est renvoyée à la cour administrative d’appel.
(10 juillet 2019, M. et Mme X., n° 411474)
34 - Impôts et taxes locaux – Détermination de la valeur locative de certains biens imposables – Taxe foncière sur les propriétés bâties – Détermination fondée sur la valeur hypothécaire – Impossibilité.
Commet une erreur de droit le tribunal qui, pour calculer la taxe foncière sur les propriétés bâties due sur des immeubles, se fonde sur le montant de deux hypothèques conventionnelles constituées sur lesdits immeubles. En effet, ainsi qu’il résulte de l’art. 2393 c. civ. « L'hypothèque est un droit réel sur les immeubles affectés à l'acquittement d'une obligation ». L’hypothèque ne couvrant ainsi que le montant d’une dette dont elle garantit le paiement, est sans rapport avec la valeur du bien immobilier qui la supporte. Elle ne peut donc pas être retenue pour déterminer la valeur de ce dernier.
(11 juillet 2019, Société Fiat Chrysler France, n° 413840)
35 - Impôt sur le revenu – Contribution exceptionnelle sur les hauts revenus – Convention fiscale franco-belge – Assujettissement d’une contribuable à cet impôt extraordinaire du chef de rachats opérés sur des contrats d'assurance sur la vie et des contrats de capitalisation – Résidence fiscale en Belgique – Erreur de droit – Cassation sans renvoi.
Violent l’art. 16 de la convention fiscale franco-belge le jugement et l’arrêt assujettissant une résidente fiscale belge à l’impôt exceptionnel sur les hauts revenus du chef de rachats opérés sur des contrats d'assurance sur la vie et des contrats de capitalisation. En effet, ayant transféré sa résidence fiscale en Belgique antérieurement aux rachats litigieux, la demanderesse est fondée à se prévaloir des stipulations de la convention précitée. Les dispositions combinées de ses art. 2 et 16 conduisent à décider que les produits attachés aux contrats de capitalisation et aux placements de même nature tels que les contrats d'assurance sur la vie, dont les modalités d'imposition sont définies à l'article 125-0 A du CGI, s'assimilent en principe à des revenus de créances au sens et pour l'application de l'article 16 précité de la convention. Par suite, les produits litigieux entrent dans les prévisions de cet article, en vertu duquel les produits de cette nature sont imposables dans l'État de résidence du contribuable, l'État de source conservant seulement le droit de soumettre ces produits à un impôt prélevé à la source. Or il résulte de l'instruction que la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus litigieuse n'a fait l'objet d'aucun prélèvement à la source mais a été recouvrée par voie de rôle l'année suivant la perception des revenus. Par suite, c'est en méconnaissance de l'article 16 de la convention que l'administration a assujetti l’intéressée à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus sur les produits en cause.
(10 juillet 2019, Mme X., n° 425148)
36 - Prescription quadriennale – Application aux créances nées du droit de l’Union européenne – Rejet.
C’est sans erreur de droit qu’une cour administrative d’appel juge que la règle de la prescription quadriennale s'applique de la même manière aux demandes en réparation fondées sur la méconnaissance du droit de l'Union européenne et à celles fondées sur la méconnaissance du droit interne et ne peut être regardée comme rendant excessivement difficile l'invocation du bénéfice des droits conférés par une directive.
(24 juillet 2019, M. X., n° 420206)
Droit public économique
37 - Droit de l’Union européenne – Liberté d’établissement des ressortissants de l’Union – Conditions de délivrance de la carte professionnelle de conducteur de taxi et de conducteur de " voiture de transport avec chauffeur " (VTC) – Prérogatives accordées en ce domaine aux chambres des métiers et de l’artisanat – Risque d’atteinte à la liberté d’établissement par le décret attaqué faute d’avoir prévu les garanties nécessaires – Injonction de prendre les mesures réglementaires à cet effet – Limites de l’annulation et de l’injonction prononcées.
Cette décision, très importante comme on le lit ci-après, aurait mérité les honneurs d’un arrêt de Section.
La Fédération requérante demande l’annulation du décret du 6 avril 2017 relatif notamment aux activités de transport public particulier de personnes en tant qu'il n'institue pas les garanties nécessaires pour prévenir les risques d'atteintes illégales, par les chambres de métiers et de l'artisanat, à la liberté d'établissement protégée par l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
Selon le décret attaqué, les chambres précitées sont en particulier chargées : « D'évaluer les conditions d'aptitude professionnelle prévues à l'article L. 3120-2-1 du code des transports par un examen. Un comité national comprenant notamment des représentants de l'État et des représentants des professionnels intervenant dans le secteur du transport public particulier de personnes effectue le bilan de la mise en œuvre de cet examen, dans des conditions définies par décret en Conseil d'État. Il peut formuler des recommandations (...) ».
De plus, « Le respect de la condition d'aptitude professionnelle mentionnée à l'article L. 3120-2-1 est constaté par la réussite à un examen, propre à chacune des professions du transport public particulier de personnes. Cet examen comprend des épreuves écrites d'admissibilité et une épreuve pratique d'admission dont le programme et les épreuves sont définis par un arrêté du ministre chargé des transports et du ministre chargé de l'économie. / Il est organisé dans les conditions prévues par les articles 24 à 24-2 et par le II de l'article 26 du code de l'artisanat ».
Enfin, l’article 10 du décret attaqué dispose en son art. 24 que : « Les chambres des métiers et de l'artisanat organisent les sessions d'examen dans le cadre d'un calendrier national fixé par l'assemblée permanente des chambres de métiers et de l'artisanat. Les chambres régionales de métiers et de l'artisanat assurent la coordination des examens au niveau régional et perçoivent les droits d'inscriptions mentionnés à l'article 24-1.
L'organisation des examens respecte les règles de confidentialité, d'impartialité et de déport fixées dans un règlement d'examen approuvé par l'assemblée permanente des chambres de métiers et de l'artisanat ».
Le Conseil d’État commence par déduire de ces diverses dispositions : « que si les chambres de métiers et de l'artisanat existant dans chaque région, qui sont des établissements publics administratifs, exercent déjà des compétences en matière d'accès à certaines professions artisanales et bénéficient d'une implantation sur l'ensemble du territoire, leur intervention dans la délivrance de la carte professionnelle nécessaire à l'exercice des professions de conducteur de taxi et de conducteur de " voiture de transport avec chauffeur " (VTC) peut conduire à porter une atteinte illégale à la liberté d'établissement, dans la mesure où peuvent siéger des membres exerçant les professions en cause, susceptibles d'avoir intérêt, ainsi que l'a souligné l'Autorité de la concurrence dans son avis n° 17-A-04 du 20 mars 2017, à restreindre l'accès à ces professions, en particulier celle de conducteur de VTC, et d'agir dans ce but en pesant sur la fréquence et l'organisation des examens, la teneur des sujets ou l'évaluation des capacités des candidats. ».
Ensuite, il estime qu’en l’espèce l’atteinte ainsi portée à la liberté d’établissement prévue et garantie par l’art. 49 du TFUE n’est pas justifiée par des raisons impérieuses d'intérêt général, qu’elle ne s'applique pas de manière non discriminatoire, qu’elle n’est pas propre à garantir la réalisation de l'objectif qu'elle poursuit et qu’elle va au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre.
Enfin, observant que n’est nullement en cause dans le présent litige l’évaluation, confiée à ces chambres, par le législateur, des conditions d'aptitude professionnelle des conducteurs de taxi et de VTC, l’illégalité dont s’agit réside uniquement dans le fait que le pouvoir réglementaire a omis de prendre les mesures nécessaires pour prévenir les risques susénoncés en n’encadrant pas l'exercice par ces chambres de la compétence que leur a confiée le législateur, afin d'assurer, notamment, une fréquence raisonnable des examens, le caractère adéquat et proportionné du contenu et de la difficulté des sujets et l'impartialité de l'évaluation des candidats. Aucune des mesures que comporte le décret attaqué (obligation de transparence en ce qui concerne le bilan des examens, institution d’'un comité national chargé d'assurer le suivi des examens et de réaliser le bilan de leur mise en œuvre) n’est de nature à satisfaire le respect du principe posé à l’art. 49 du TFUE.
Ainsi donc, l’illégalité du décret attaqué ne concerne que l’insuffisance de ses dispositions quant au respect du principe de la liberté d’établissement non le principe même de l'attribution aux chambres de métiers et de l'artisanat de la mission d'évaluer les conditions d'aptitude professionnelle des conducteurs de taxi et de VTC. Au reste, ce principe ne réside pas dans le décret attaqué.
Enfin, posant un principe déjà établi et réaffirmé ici avec vigueur, le Conseil d’État rappelle en deux propositions, d’une part, que « L'annulation partielle du décret attaqué ne saurait avoir pour effet de maintenir dans l'ordre juridique français une atteinte au principe de la liberté d'établissement qui est garanti par le droit de l'Union européenne. », et d’autre part qu’ « Il y a lieu, dans ces conditions, pour le Conseil d'État de préciser la portée de sa décision d'annulation par des motifs qui en constituent le soutien nécessaire. ». On a rarement vu rédaction plus pédagogique en style de vade-mecum.
En effet, le juge tire de là une injonction au pouvoir réglementaire de compléter, dans les six mois, le décret du 6 avril 2017 par des mesures permettant de prévenir les risques, au regard du respect de la liberté d'établissement, que présente l'intervention des chambres régionales de métiers et de l'artisanat dans la délivrance de la carte professionnelle nécessaire à l'exercice des professions de conducteur de taxi et de VTC. Il décide également que « dans l'attente que cette réglementation complémentaire soit édictée, il appartient aux autorités compétentes de continuer d'organiser les sessions d'examen permettant d'apprécier les conditions d'aptitude professionnelle des conducteurs de taxi et de VTC sur le fondement du décret du 6 avril 2017, en veillant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, à ce que cette évaluation soit effectuée dans le respect de ce qu'implique la liberté d'établissement découlant de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. ». En somme, une double exigence est posée : en premier lieu, celle de modifier le décret litigieux en le rendant plus conforme aux exigences du droit de l’Union, en second lieu, d’appliquer par anticipation ce que sera le futur contenu amélioré du décret.
On pourra gloser sur l’habituel balancement du juge entre le trop et le pas assez, entre l’affirmation solennelle et les retranchements tactico-pratiques ; reste, au total, une intelligente politique jurisprudentielle qui vaut, en réalité, mise au point définitive.
(5 juillet 2019, Fédération française du transport de personnes sur réservation, n° 413040)
Droit social et action sociale
38 - Allocation d’aide au retour à l’emploi – Retard dans son versement – Invocation d’un préjudice de ce fait – Conditions de la réparation.
Dans le cadre d’un litige né du retard mis par une commune à verser à une personne l’allocation d’aide au retour à l’emploi, le Conseil d’État rappelle que la décision par laquelle l'administration, rejetant une demande d'allocation, prive illégalement le demandeur d'une allocation à laquelle il avait droit est de nature à engager sa responsabilité, ou celle de l'administration pour le compte de laquelle l'allocation est versée, si elle lui a directement causé un préjudice.
Il indique également que le défaut de versement de l'allocation sollicitée a vocation à être réparé par le versement de la somme due en exécution de l'annulation de la décision illégale de refus, contestée dans le délai de recours contentieux, et ne peut par suite faire l'objet de conclusions indemnitaires.
Il précise enfin que l'intéressé peut demander réparation du préjudice matériel distinct pouvant en résulter, tel que le préjudice résultant du retard dans la perception de l'allocation ou, le cas échéant, des troubles dans ses conditions d'existence.
Naturellement, comme dans tout contentieux indemnitaire, il est possible à l'administration à laquelle incombe la charge de la réparation, d’invoquer l’existence d’un fait du demandeur comme cause d'atténuation ou d'exonération de sa responsabilité.
(8 juillet 2019, Mme X, n° 415009)
39 - Indus de revenu de solidarité active (RSA), d'aide exceptionnelle de fin d'année ou d'aide personnalisée au logement (APL) – Récupération – Décisions susceptibles de recours contentieux – Exigence, parfois, de recours administratif préalable obligatoire – Titre exécutoire – Mise en demeure de payer ce titre – Mesure préparatoire et non décisoire – Recours pour excès de pouvoir irrecevable.
(10 juillet 2019, Mme X., n° 415427) V. n° 7
40 - Indus de revenu de solidarité active (RSA) et d'aide exceptionnelle de fin d'année – Contrôle des déclarations – Agents de contrôle de droit privé non agréés et assermentés – Récupération – Constatations ne pouvant servir de base à des décisions de récupération d'indus – Cassation avec renvoi du jugement contraire.
Le Conseil d'État juge qu'il résulte des dispositions de l'art. L. 262-40 du code de l'action sociale et des familles, de l'art. L. 724-7 code rural et de la pêche et de l'art. L. 243-9 du code de la sécurité sociale " que tant l'absence d'agrément que l'absence d'assermentation des agents de droit privé désignés par les caisses de mutualité sociale agricole pour conduire des contrôles sur les déclarations des bénéficiaires du revenu de solidarité active sont de nature à affecter la validité des constatations des procès-verbaux ou des rapports qu'ils établissent à l'issue de ces contrôles et à faire ainsi obstacle à ce qu'elles constituent le fondement d'une décision déterminant pour l'avenir les droits de la personne contrôlée ou remettant en cause des paiements déjà effectués à son profit en ordonnant la récupération d'un indu. "
C'est donc à tort que les premiers juges ont écarté le moyen tiré du défaut d'agrément ou d'assermentation des agents de contrôle au motif que la décision de récupération de l'indu ne résultait pas d'un procès-verbal mais d'opérations de contrôle ayant donné lieu à l'établissement d'un rapport communiqué à la requérante et dépourvu de force probante particulière.
(31 juillet 2019, Mme X., n° 422451)
41 - Fermeture d’un site d’une société – Reclassement des salariés – Engagement oral de l’administration à une prise en charge partielle du coût d’une cellule de reclassement mise en place par la société – Refus de l’administration de signer la convention de coopération promise à la société – Caractère irrégulier du motif de refus invoqué – Annulation du refus d’indemnisation – Cassation avec renvoi.
À la suite de la fermeture d’un de ses sites, la société Kohler décide de mettre en place une cellule chargée de mettre en œuvre des actions de reclassement au profit de ses salariés. La réglementation prévoit la possibilité, largement discrétionnaire, pour l’État de participer au financement d’une telle cellule au moyen de la signature d’une convention de coopération déterminant notamment la nature des actions de reclassement, leur champ d'application, le calendrier de mise en œuvre, les modalités de suivi des interventions de la cellule ainsi que les modalités de coordination et de coopération avec le service public de l'emploi (art. R. 5111-1, R. 5111-2 et R. 5123-3 du code du travail).
En l’espèce, durant le conflit consécutif à l’annonce des licenciements et pour en favoriser le dénouement, le sous-préfet et le directeur adjoint du travail se sont engagés oralement le 1er juillet, puis le 5 juillet par un courriel du responsable de l'unité territoriale de Corrèze de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, à ce que l'État participe pour moitié au coût de la création et du fonctionnement "du point information conseil emploi et d'une antenne emploi dans le cadre d'une convention FNE - cellule de reclassement (...) ". La société requérante a mis en place une cellule de reclassement dès le 6 septembre et déposé un dossier de demande de convention de coopération afin que l'État participe au financement de cette cellule. Le préfet de la Corrèze a rejeté explicitement cette demande le 2 novembre puis, tacitement, le recours gracieux présenté contre ce refus.
La responsabilité de l’État est reconnue par le Conseil d’État du fait du préjudice causé par l’illégalité de la décision explicite de rejet du 2 novembre. En effet, si étendue que soit la marge d’appréciation de l’administration en cette matière, celle-ci ne pouvait pas refuser de signer la convention au motif que la cellule de reclassement, destinée à mettre en œuvre des actions d'urgence, a été créée ou même a commencé de fonctionner avant la conclusion d'une convention de coopération. Aucune disposition n’impose que la conclusion de la convention soit antérieure à la mise en place de la cellule.
La cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en refusant pour ce motif d’ordonner la réparation du préjudice subi par la société requérante.
(8 juillet 2019, Société Kohler France, n° 417702)
42 - Salarié protégé – Rétrogradation – Disparition de la qualité au titre de laquelle il a été élu – Conservation de son mandat – Rejet.
La circonstance qu'un salarié, membre élu d'une instance représentative du personnel cesse, en cours de mandat, d'appartenir au collège électoral qui l'a élu, n'est pas par elle-même de nature à mettre un terme à son mandat. Il n’en irait autrement qu’en cas de disposition expresse, de nature au moins réglementaire, en ce sens.
(10 juillet 2019, Société Banque de Tahiti, n° 416273)
43 - Salarié protégé – Licenciement pour faute – Conditions de légalité – Faute d’une particulière gravité justifiant le licenciement – Rejet.
Le licenciement des salariés protégés est subordonné à l’autorisation préalable de l'inspecteur du travail celui-ci devant vérifier que le licenciement n’a pas de rapports avec l’exercice des fonctions au titre desquelles le salarié bénéficie d’une protection exceptionnelle.
Lorsque le licenciement est motivé par un comportement fautif du salarié protégé, il incombe à l’administration du travail (inspecteur, ministre) d’apprécier si les faits reprochés sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables. En principe, ce ne peut être le cas lorsque le comportement reproché a eu lieu en dehors de l'exécution du contrat de travail, un tel comportement ne pouvant motiver un licenciement pour faute.
Il n’en va autrement que dans le cas où le comportement sanctionné manifeste la méconnaissance par l'intéressé d'une obligation découlant de son contrat.
En l’espèce, le salarié protégé avait utilisé les outils informatiques mis à sa disposition par l'employeur pour s'introduire dans la messagerie professionnelle d'un autre salarié sans l'accord de celui-ci et pour y détourner de la correspondance ayant explicitement un caractère personnel. Une telle attitude constitue une méconnaissance de l'obligation de loyauté découlant du contrat de travail. Il importe peu à cet égard que ces faits aient été commis en dehors des heures et du lieu de travail.
Un tel comportement constituant une violation des obligations découlant de son contrat de travail, était par suite susceptible de faire l'objet d'une sanction disciplinaire, et, parce qu’il revêtait un réel caractère de gravité, il était de nature à justifier son licenciement.
(10 juillet 2019, M. X c/ mission locale de la Haute-Garonne, n° 408644)
44 - Revenu de solidarité active (RSA) – Récupération d’indu – Amende infligée à un allocataire de RSA – Régime de ces décisions – Forme et recours – Annulation partielle.
À la suite d’un contrôle effectué par une caisse d'allocations familiales, la requérante s’est vue notifier, pour cause de récupération d’indu, une décision de récupération du RSA dont elle était allocataire. De plus, le président du conseil départemental lui a infligé une amende administrative. Enfin la caisse a mis fin à ses droits au RSA.
Sur recours de l’intéressée les premiers juges ont rejeté tous ses chefs de demande à l’encontre de ces trois décisions.
Le Conseil d’État, saisi d’un recours, apporte deux très utiles précisions.
D’une part, la décision de récupérer les paiements indus de RSA est au nombre de celles qui doivent être motivées (art. L. 211-2 CRPA) ; toutefois, si cela impose que cette décision comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement (nature de la prestation, montant des sommes réclamées, motif et période sur laquelle porte la récupération), elle n'est pas tenue de comporter les éléments servant au calcul du montant de l'indu.
D’autre part, il résulte des textes (art. L. 262-52 et art. L. 114-17, I, al. 7 du code de la sécurité sociale) qu'une amende administrative ne peut être infligée par le président du conseil départemental à un allocataire du RSA sans que ce dernier ait été mis en mesure de présenter ses observations écrites ou orales et, notamment, sans qu'il ait été fait droit à la demande d'audition qu'il aurait formée en vue de présenter des observations orales, alors même qu'il aurait également présenté des observations écrites. La position contraire sur ce dernier point adoptée par le tribunal administratif conduit à son annulation dans cette mesure.
Il faut regretter un formalisme excessif dont l’expérience montre la grande inutilité pratique sauf à faire du symbole une vertu juridique.
(8 juillet 2019, Mme X., n° 420732)
45 - Entreprise en liquidation judiciaire – Licenciement, par le mandataire liquidateur, d’un salarié protégé – Procédure à suivre par l’inspection du travail – Information sur l’ensemble des mandats détenus par le salarié.
Dans le cas particulier d'une entreprise placée en situation de liquidation judiciaire, le Conseil d’État juge, à propos de la procédure à suivre par l'administration sur une demande d’autorisation du licenciement d’un salarié protégé, que celle-ci doit, à peine d'illégalité de sa décision d'autorisation de licenciement, tenir compte, quelle que soit la façon dont ils sont portés à sa connaissance, de l'ensemble des mandats extérieurs à l'entreprise détenus par le salarié protégé, à la condition que ceux-ci aient été, postérieurement au placement en liquidation, portés à la connaissance du liquidateur, par le salarié lui-même ou par tout autre moyen, au plus tard à la date de l'entretien préalable au licenciement.
(24 juillet 2019, Me X., liquidateur judiciaire de la société Philippe Schiochet, n° 411058)
46 - Pensions de vieillesse – Assujettissement à des cotisations – Pensionné par l’État membre de l’Union où il réside et par un autre État membre – Régime applicable.
Le droit européen institue un principe général selon lequel l'État membre de résidence ne peut exiger le paiement de cotisations vieillesse lorsque l'assuré bénéficie d'une pension versée par un autre État membre.
Cependant, ce principe ne trouve à s'appliquer que sous réserve que l'assuré ne bénéficie pas également d'une pension versée par l'État membre de résidence.
En l’espèce, la requérante ne peut donc utilement invoquer le bénéfice de ce principe, dès lors qu'il ressort des pièces soumises aux juges du fond qu'elle était également titulaire de pensions de vieillesse de droit français
(24 juillet 2019, Mme X., n° 416662)
47 - Revenu minimum d’insertion (RMI) – Récupération d’indu – Solidarité entre les bénéficiaires – Application à un concubin – Cassation pour erreur de droit.
Le Conseil d’État, saisi d’un pourvoi dirigé contre une décision de la Commission centrale d'aide sociale, après avoir constaté que le revenu minimum d'insertion a pour objet de porter les ressources de l'ensemble du foyer à un niveau garanti, décide qu’alors même qu'un seul des membres du foyer a été désigné comme allocataire, les sommes qui ont été indument perçues au titre de l'allocation peuvent en principe être récupérées, en tout ou partie, tant auprès de l'allocataire que de son conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou concubin, lorsque cette personne a été prise en compte pour le calcul du revenu garanti.
Il déduit cette obligation pour le concubin de ce que le code civil, en cas de mariage ou de pacte civil de solidarité, décide que chacun des époux ou partenaires liés par un pacte civil de solidarité peut être, le cas échéant, appelé à répondre solidairement d'une telle dette.
En l’espèce, il est jugé que la Commission centrale d'aide sociale, qui a relevé que la personne désignée comme allocataire et son conjoint avaient tous deux signé la demande de RMI présentée pour un foyer composé de trois personnes ainsi que les déclarations trimestrielles de ressources et que le conjoint n'établissait pas que l'allocation aurait été perçue par la personne désignée comme allocataire uniquement, n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que la caisse d'allocation familiales avait pu décider de récupérer l'indu à l'encontre du conjoint, alors même que la demande de RMI avait été présentée par la personne désignée comme allocataire.
(24 juillet 2019, Mme X., n° 417399)
48 - Droit de séjour des citoyens de l’Union européenne – Qualité de travailleur – Existence en l’espèce – Cassation avec renvoi.
Pour contester la décision préfectorale refusant de leur délivrer un titre de séjour et prononçant à leur encontre une obligation de quitter le territoire français, M. et Mme X., qui avaient obtenu gain de cause en première instance mais échoué dans leurs prétentions sur appel de l’auteur de ces décisions, se pourvoient en invoquant la circonstance qu’ils ont bien la qualité de « travailleurs » au sens et pour l’application de la directive du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leur famille de circuler et de séjourner librement sur le territoire de l'Union européenne. La CAA avait estimé, les intéressés étant titulaires d’un contrat d’ « insertion par l’activité économique » (cf. art. L. 5132-1 c. travail), qu'un tel contrat, qui s'inscrit dans une politique sociale ayant pour objet de permettre à des personnes sans emploi, rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières, de s'insérer professionnellement dans l'activité économique, ne peut pas être regardé comme constituant l'exercice d'une activité professionnelle au sens des dispositions du 1° de l'article L. 121-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Réfutant cette analyse, le Conseil d’État commence par rappeler la définition jurisprudentielle du « travailleur » par la CJUE (1) puis, sur cette base, amplifie et complète cette conception (2).
(1) « Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que la notion de travailleur, au sens des dispositions précitées du droit de l'Union européenne, doit être interprétée comme s'étendant à toute personne qui exerce des activités réelles et effectives, à l'exclusion d'activités tellement réduites qu'elles se présentent comme purement marginales et accessoires. »
(2) « La relation de travail est caractérisée par la circonstance qu'une personne accomplit pendant un certain temps, en faveur d'une autre et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle touche une rémunération. Ni la nature juridique particulière de la relation d'emploi au regard du droit national, ni la productivité plus ou moins élevée de l'intéressé, ni l'origine des ressources pour la rémunération, ni encore le niveau limité de cette dernière ne peuvent avoir de conséquences quelconques sur la qualité de travailleur. »
La qualité de travailleur reconnue à M. et Mme X. conduit à la cassation de l’arrêt d’appel pour erreur de droit : la cour devra revoir sa copie.
(24 juillet 2019, M. et Mme X., n° 417572)
Élections
49 - Élections municipales – Élections partielles – Distribution d’un courrier en fin de matinée la veille du scrutin – Manœuvre de nature à altérer la sincérité du scrutin.
Le Conseil d’État décrit ainsi un comportement qu’il juge - et on le comprend - avoir été de nature à altérer la sincérité d’un scrutin municipal.
« Il résulte de l'instruction que le 24 novembre 2018, veille du premier tour de scrutin, en fin de matinée, les candidats de la liste " Union pour Montbrun " ont fait déposer, dans les boîtes aux lettres de la plupart des habitants de la commune, un tract faisant le bilan des réalisations de la municipalité en place depuis 2014, annonçant certains projets nouveaux et comportant diverses insinuations à l'encontre des candidats de la liste adverse, accompagné de leur profession de foi et d'un bulletin de vote au nom de leur liste, en méconnaissance des dispositions (…) de l'article L. 49 du code électoral. Eu égard au contenu pour partie nouveau de ce document, auquel les candidats adverses n'ont pu réagir utilement, au caractère général de sa distribution et à la circonstance que le dernier candidat élu a recueilli un nombre de voix égal à la majorité absolue, nécessaire pour être élu au premier tour, cette diffusion a été de nature à altérer la sincérité du scrutin. »
(17 juillet 2019, M. X. représentant unique des demandeurs, n° 428362)
Environnement
50 - Création d’une plate-forme de tri, transit, regroupement et prétraitement de déchets industriels dangereux – Police des installations classées – Combinaison entre dispositions du droit de l’environnement et dispositions du droit de l’urbanisme – Indépendance des législations - Rejet.
Parmi les griefs formulés par les requérants à l’encontre de l’autorisation préfectorale donnée à une société d’exploiter une plate-forme de tri, transit, regroupement et prétraitement de déchets industriels dangereux, ceux-ci invoquaient la circonstance que l'arrêté litigieux, pris au titre de la police des installations classées, serait incompatible avec le document d'orientations générales d’un schéma de cohérence territoriale (SCoT).
Le Conseil d’État, donnant son plein effet au principe discuté de l’indépendance des législations, indique : « (…) lorsqu'est en cause la légalité d'une décision relative à la police des installations classées au regard d'un des documents d'urbanisme visés à l'article L. 123-5, devenu l'article L. 152-1, du code de l'urbanisme, le juge doit se fonder, par exception au régime du contentieux de pleine juridiction dont relèvent en principe ces décisions, sur l'état du droit en vigueur à la date de cette décision, y compris s'agissant du schéma de cohérence territoriale si la compatibilité du plan local d'urbanisme avec ce schéma est contestée devant lui, (le législateur) n'a, en revanche, pas entendu étendre aux installations classées pour la protection de l'environnement la liste des opérations qui doivent être directement compatibles avec le document d'orientation et d'objectifs des schémas de cohérence territoriale. » C’est donc à bon droit que la cour administrative d’appel a jugé que le moyen soulevé par les requérants était inopérant.
(12 juillet 2019, Association " Sans nature pas de futur " et autres, n° 417177)
51 - Projet d’aménagement et de construction – Obligation de protection environnementale – Dérogation à l’obligation – Conditions cumulatives pour l’octroi de la dérogation – Contrôle du juge de cassation – Contrôle de la qualification juridique des faits – Existence – Confirmation de l’arrêt d’appel.
Un projet d'aménagement ou de construction d'une personne publique ou privée susceptible d'affecter la conservation d'espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats ne peut pas être autorisé.
Toutefois, à titre dérogatoire, il peut être autorisé dans l’unique cas où il répond, par sa nature et compte tenu notamment du projet urbain dans lequel il s'inscrit, à une raison impérative d'intérêt public majeur.
Cette condition ne suffit pas ; l’autorisation dérogatoire à un tel projet ne peut être accordée, eu égard aux atteintes portées aux espèces protégées appréciées en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, que si, d'une part, il n'existe pas d'autre solution satisfaisante et, d'autre part, cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.
Ces différentes conditions (intérêt public majeur, mesures compensatoires, impossibilité d’une autre solution et maintien convenable des espèces) sont cumulatives.
Le juge de cassation exerce un contrôle de qualification juridique sur l'existence d'une raison impérative d'intérêt public majeur de nature à justifier une dérogation. En l’espèce, il s’agissait d’un projet de construction d'un centre commercial et de loisirs destiné à favoriser l'animation urbaine dans la zone envisagée à travers des équipements commerciaux et des activités de services et de loisirs, à animer la concurrence et à contribuer à la satisfaction des besoins des consommateurs à la périphérie ouest de l'agglomération toulousaine, à limiter les déplacements de la clientèle vers d'autres pôles commerciaux et à répondre à l'évolution démographique de l'agglomération.
Opérant ici un contrôle normal sur cette qualification juridique, le juge constate que, en l’état, l'ouest toulousain est bien desservi en la matière. Il en déduit que la cour administrative d’appel en jugeant que, en dépit de la circonstance qu'il pourrait permettre la création de plus de 1 500 emplois, le projet ne répondait pas à une raison impérative d'intérêt public majeur, n'a pas donné aux faits qui lui étaient soumis une qualification juridique erronée. Cela d’autant plus qu’elle a relevé que l'arrêté attaqué ne permettait pas le maintien, dans un état de conservation favorable des populations de cinq espèces dans leur aire de répartition naturelle. Le projet contesté ne repose ainsi pas sur l'absence de solution alternative satisfaisante et ne répond pas à une raison impérative d'intérêt public majeur suffisante pour justifier les atteintes à la protection des espèces.
Le pourvoi est logiquement rejeté.
(24 juillet 2019, SAS PCE et SNC Foncière Toulouse Ouest, n° 414353)
52 - Centrale nucléaire – Avis de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) sur une anomalie détectée – Absence d’effets juridiques – Autorisation de remise en service de cette centrale malgré cette anomalie – Réserves de l’ASN – Contrôle plein et entier du juge.
Par un avis du 10 octobre 2017, l'ASN a indiqué que les anomalies détectées, consistant en ce que les composants des calottes du fond et du couvercle de la cuve du réacteur EPR de la centrale de Flamanville n'avaient pas les caractéristiques requises initialement lors de leur conception par le fabricant, en raison d'un excès de carbone dans l'acier, n'étaient pas de nature à remettre en cause la mise en service et l'utilisation de cette cuve, sous réserve du respect de différentes conditions. Puis, par une décision du 9 octobre 2018, l'ASN a autorisé, sous réserve du respect de certaines prescriptions, la mise en service et l'utilisation de cette cuve. Cet avis et cette décision sont attaqués par les organisations requérantes.
Le Conseil d’État rejette comme irrecevable l’action dirigée contre l’avis du 10 octobre 2017 car celui-ci ne produit par lui-même aucun effet juridique susceptible de faire grief aux associations requérantes.
Le Conseil examine ensuite de façon très détaillée la décision de l’ASN autorisant la remise en marche du circuit en cause. Il n’y trouve aucune illégalité, qu’il s’agisse des investigations effectuées par l’ASN, des préconisations qu’elle a imparties comme de sa surveillance constante dans le futur du comportement du réacteur nucléaire.
Les recours sont rejetés.
(24 juillet 2019, Association Réseau " Sortir du nucléaire " et autres, n° 416140 et n° 425780)
53 - Autorisation de défrichement – Prorogation de la durée de cette autorisation – Évaluation des incidences des projets – Absence en cas de prorogation – Rejet.
L’association requérante contestait la légalité d’un décret permettant de proroger de trois ans une autorisation de défrichement accordée pour cinq ans. Il invoquait divers moyens tous rejetés. Deux des moyens rejetés sont intéressants.
En premier lieu, le Conseil d’État rappelle que la prorogation d'une autorisation ne peut pas, au sens de la directive 2011/92/UE concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement (consistant en une d'évaluation environnementale et en la participation du public), être regardée comme l'autorisation d'un projet ; par suite, cette prorogation, contrairement à ce que soutient l’association ne saurait être soumise en tant que telle à une évaluation environnementale.
En second lieu, répondant à l’argument selon lequel une telle prorogation porterait atteinte au principe de non-régression applicable aux actes réglementaires (cf. le 9° du II de l'article L. 110-1 du code de l'environnement), le juge estime que celle-ci « n'a ni pour objet ni pour effet de modifier la consistance des opérations de défrichement antérieurement autorisées, dont dépendent les incidences environnementales de ces opérations. Si les dispositions issues du décret sont susceptibles de permettre au titulaire d'une autorisation de défrichement se trouvant dans l'une ou l'autre des situations prévues à cet article de mettre en œuvre l'autorisation au cours des neuvième et dixième années suivant sa délivrance, alors qu'en l'absence de ces dispositions, il aurait dû demander une nouvelle autorisation sur laquelle il aurait été statué au regard des circonstances de droit et de fait prévalant à la date de la décision de l'administration, ce seul fait n'implique pas une violation du principe de non-régression en matière de protection de l'environnement. »
(24 juillet 2019, Association France Nature Environnement Auvergne Rhône-Alpes (FNE AURA), anciennement dénommée Union régionale Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature (FRAPNA), n° 425973)
État-civil et nationalité
54 - Naturalisation – Père naturalisé français – Enfant né à l'étranger d'un contrat de gestation pour autrui – Refus de naturaliser l'enfant impossible en présence d'un acte de l'état-civil régulièrement établi à l’étranger – Possibilité de refuser la naturalisation du père pour un acte contraire au droit civil français.
Un homme de nationalité australienne fait une demande de naturalisation française pour lui et pour un enfant, puis, en cours de procédure, pour un second enfant. Le décret de naturalisation ne porte mention que du nom du demandeur non de ceux des enfants car, nés d'un contrat de location d'utérus, procédure interdite en France, leur mention sur l'acte de naturalisation paraissait illégale. Sur recours de la personne naturalisée, le Conseil d'État annule le refus d'inscrire les deux enfants mais énonce un principe important. D'une part, en vertu de l'art. 47 du code civil les actes d'état civil établis selon une loi étrangère sont pleinement valables en France dès lors qu'ils sont conformes à celle-ci et qu'ils ne sont pas entachés de fraude. En l'espèce, pour demander l'extension du bénéfice de la naturalisation aux deux enfants, le demandeur se prévalait d'actes de l'état-civil réguliers selon la loi de l'État du Colorado qui les a émis. Par suite, obligée de considérer ces enfants comme ceux du demandeur, l'administration ne pouvait pas, sans violer les dispositions de l'art. 22-1 du code civil, en refuser la naturalisation.
En revanche, et c'est là une précision importante, le ministre chargé des naturalisations pouvait, dans l'exercice du large pouvoir d'appréciation dont il dispose en la matière, refuser de faire droit à la demande de naturalisation du requérant en prenant en considération la circonstance que celui-ci avait eu recours à la gestation pour le compte d'autrui, prohibée en France par l'article 16-7 du code civil. Cette solution appelle des précisions sur le point de savoir si elle est applicable rétroactivement à un candidat à titre personnel à la naturalisation qui, l'ayant obtenue, voudrait, ensuite, en faire profiter des enfants acquis au moyen d'une convention de mère porteuse dont l'administration découvrirait l'existence et le contenu après le décret de naturalisation. La réponse, dans la logique de cette décision, devrait être positive sauf à considérer qu'en réalité cette faculté ne sera pas, concrètement, reconnue à l'administration pour les motifs que l'on imagine, à commencer le recours au subterfuge du principe de proportionnalité.
(31 juillet 2019, MM. X. et Y., n° 411984)
Fonction publique et agents publics
55 - Fonction publique locale – Mise en disponibilité pour convenance personnelle – Droit à réintégrer son cadre d’emploi d’origine – Réintégration devant intervenir dans un délai raisonnable en fonction des vacances d’emplois dans la collectivité d’origine ou, à défaut, par le CNFPT ou le centre de gestion local de la fonction publique territoriale – Préjudice causé par l’absence de réintégration – Cause directe – Détermination – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.
Commet une erreur de droit l’arrêt d’une cour administrative d’appel qui, pour juger que n’existe pas un lien direct de causalité entre les préjudices dont demande réparation une fonctionnaire communale non réintégrée à l’issue de sa disponibilité et la décision de la commune rejetant sa réintégration, se fonde sur ce qu'il ne résultait pas de l'instruction que la commune ait été en mesure de proposer à cette date un emploi correspondant à son grade. En effet, la commune n'avait produit en l’espèce aucun élément relatif aux postes sur lesquels l’intéressée aurait pu être réintégrée et sur leur indisponibilité mais s'était bornée à affirmer que celle-ci n'établissait pas que le refus d'intégration ne serait pas justifié au fond.
(1er juillet 2019, Mme X. c/ Commune de la Valette-du-Var, n° 421573)
56 - Groupement d'établissements (GRETA) – Licenciement illégal d’un formateur du GRETA – Charge de la réparation du fait de ce licenciement – Établissement support du GRETA – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.
Un agent public, formateur au sein d’un GRETA, sollicite réparation de la part de l’État de divers préjudices du chef de son licenciement. Sur pourvoi du ministre compétent, le Conseil d’État renverse sa jurisprudence antérieure et annule les décisions de justice déférées à sa censure.
De ce que les GRETA participent aux missions du service public de l’Éducation nationale et n’ont pas de personnalité juridique, le Conseil d’État en avait déduit que les actions dirigées contre un GRETA en matière de licenciement d’agents de ce GRETA devaient être dirigées contre l’État (17 décembre 1997, M. X. c/ ministre de l’éducation nationale, n° 146589). Dans la présente décision il juge que dès lors que les GRETA ont, parmi les établissements d’enseignement qu’ils regroupent, un « établissement support », c’est contre ce dernier, non contre l’État, que doivent être dirigées les actions contentieuses en la matière.
(24 juillet 2019, M. X., n° 417984)
57 - Fonction publique territoriale – Décision devant être soumise à l’avis d’une commission administrative paritaire – Absence de consultation de la commission – Recours de membres de cette dernière – Recevabilité – Condition – Rejet.
Rappel de ce que, d’une part, les membres d'une commission administrative paritaire sont recevables à demander l'annulation des décisions qui devaient être obligatoirement soumises à la consultation de celle-ci et d’autre part, ils peuvent invoquer tous moyens à l'appui de tels recours.
(24 juillet 2019, Mme X., n° 420590)
58 - Discipline des magistrats de l’ordre judiciaire – Avertissement – Mesure prise en considération de la personne – Absence de communication complète des pièces du dossier – Privation d’une garantie (jurisprudence Danthony) – Procédure irrégulière – Annulation de l’avertissement.
L’intéressée, vice-présidente au service de l'application des peines au sein d’un TGI, s’est vue infliger un avertissement par la première présidente de la cour d’appel pour avoir refusé, en l'absence du chef de juridiction empêché, de statuer sur une demande du procureur de la République de désignation en urgence d'un juge des libertés et de la détention.
Si l’avertissement ne constitue pas une sanction pour un magistrat de l’ordre judiciaire, il constitue cependant « une mesure prise en considération de la personne » (sur cette catégorie juridique, voir la décision de principe : CE Sect. 24 juin 1949, Nègre, Rec., p. 404). Celle-ci ne peut être prise qu’après communication à l’agent intéressé de son entier dossier administratif afin qu’il puisse utilement participer à l’entretien préalable à la décision le concernant.
En l’espèce, avaient bien été communiquées à l’intéressée les pièces figurant à son dossier ainsi que celles jointes à sa convocation à l’entretien préalable mais point le rapport adressé à la première présidente de la cour d'appel, établi par le président du tribunal de grande instance au sujet des faits survenus dans ce tribunal qui ont motivé le prononcé de l'avertissement. Cette incomplétude vicie la procédure en ce qu’elle prive la magistrate concernée d’une garantie. La décision d’avertissement est, très logiquement, annulée.
(24 juillet 2019, Mme X., n° 418061)
59 - Commission de réforme des agents publics et fonctionnaires – Commission médicale – Absence d’un médecin spécialiste de la pathologie en cause – Privation d’une garantie – Application de la jurisprudence Danthony – Cassation avec renvoi.
Rappel d’une évidence : l’absence, au cours de la réunion d’une commission de réforme devant statuer sur le cas d’un agent atteint d’une certaine pathologie, d’un médecin spécialiste de cette pathologie susceptible donner un avis éclairé sur le cas de cet agent, a pour effet de priver celui-ci d'une garantie (cf. Assemblée 23 décembre 2011, Danthony, n° 335033, p. 649) et d’entacher la procédure suivie devant la commission d'une irrégularité justifiant l'annulation de la décision attaquée.
(24 juillet 2019, Mme X., n° 417902)
60 - Agents publics – Procédure disciplinaire – Règles de forme et de procédure – Non-respect du délai minimum imposé pour une convocation – Application de la jurisprudence Danthony – Annulation sans renvoi.
L'article 2 du décret du 7 novembre 1989 relatif à la procédure disciplinaire applicable aux fonctionnaires relevant de la fonction publique hospitalière, prévoit que l’agent faisant l’objet d’une procédure disciplinaire est convoqué par le président du conseil de discipline, quinze jours au moins avant la date de la réunion de ce conseil, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Selon le Conseil d’État, appliquant ici la jurisprudence Danthony (Assemblée, 23 décembre 2011, n° 335033, p. 649), ce délai de quinze jours constitue pour l'agent concerné une garantie visant à lui permettre de préparer utilement sa défense.
Il en résulte que sa méconnaissance, comme ce fut le cas en l’espèce, a pour effet de vicier la consultation du conseil de discipline, sauf s'il est établi que l'agent a été informé de la date du conseil de discipline au moins quinze jours à l'avance par d'autres voies.
(24 juillet 2019, Mme X., n° 416818)
61 -Concours de recrutement de la fonction publique – Établissement d’une liste complémentaire des admis – Nomination de personnes figurant sur cette liste quand tous les admis figurant sur la liste principale ne peuvent être admis – Légalité – Rejet.
Lorsqu’à l’issue d’un concours externe et/ou interne de recrutement dans la fonction publique il est établi une liste définitive des admis sur une liste principale et sur une liste complémentaire, l’autorité compétente peut procéder à la nomination de candidats inscrits sur la liste complémentaire dans les situations où elle est légalement conduite à ne pas nommer l'ensemble des candidats admis.
(24 juillet 2019, M. X., n° 408538)
62 - Fonctionnaires et agents publics affectés dans un quartier difficile classé « prioritaire » – Bénéfice d’un droit de mutation prioritaire et d’un droit à un avantage spécifique d'ancienneté – Inscription d’un quartier sur la liste des quartiers prioritaires dans une ville – Régime de la loi du 21 février 1994 (art. 5) – Pouvoir de contrôle du juge – Habitants et revenus fiscaux à prendre en considération – Exclusion des agents publics – Décret d’application – Légalité – Rejet.
La loi du 26 juillet 1991 (art. 11) portant diverses dispositions relatives à la fonction publique dispose que : " Les fonctionnaires de l'État et les militaires de la gendarmerie affectés pendant une durée fixée par décret en Conseil d'État dans un quartier urbain où se posent des problèmes sociaux et de sécurité particulièrement difficiles, ont droit, pour le calcul de l'ancienneté requise au titre de l'avancement d'échelon, à un avantage spécifique d'ancienneté dans des conditions fixées par ce même décret ".
La requérante contestait le refus implicite du premier ministre d’abroger le décret portant application de cette loi, du 14 septembre 2015, rectifiant la liste des quartiers prioritaires de la politique de la ville, en tant qu'il exclut le poste comptable du centre hospitalier de Saint-Denis du périmètre de ces quartiers.
Après avoir rappelé que les quartiers urbains auxquels fait référence l'article 11 de la loi du 26 juillet 1991 sont les quartiers prioritaires de la politique de la ville mentionnés à l'article 5 de la loi du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, le juge apporte deux précisions d’importance.
Tout d’abord, il indique pour la première fois que le juge de l'excès de pouvoir exerce un contrôle normal sur l'inscription d'un quartier sur la liste des quartiers prioritaires de la politique de la ville mentionnée à l'article 5 de la loi n° 2014-173 du 21 février 2014.
Ensuite, sur le fond, il estime que, pour procéder à la délimitation des quartiers prioritaires de la politique de la ville, il y a lieu de tenir compte du nombre et des revenus fiscaux des personnes résidant dans la commune. Par suite, la population non résidente qui fréquente un secteur de la commune, et notamment les agents publics qui y sont affectés, ne peut légalement être prise en considération. Le recours est rejeté.
(1er juillet 2019, Mme X., n° 424794)
63 - Droits à pension d’un agent public – Renseignements erronés donnés par sa caisse de retraite – Action indemnitaire – Litige ne relevant pas de la matière des pensions – Absence de compétence du tribunal administratif statuant en premier et dernier ressort (solution implicite).
L’action indemnitaire introduite par un agent public à raison de renseignements erronées sur ses droits à pension qui lui auraient été délivrés par sa caisse de retraite ne constitue pas un litige en matière de pensions au sens du 7° de l'article R. 811-1 du CJA, sur lesquels le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort.
(10 juillet 2019, Mme X., n° 416754)
64 - Personnels de la police nationale – Aménagement du temps de travail – Règles fixées par le droit européen – Compatibilité de la réglementation française avec ce droit – Absence – Annulation.
Le Syndicat requérant ayant demandé l’annulation de l'article 1er du décret n° 2017-109 du 30 janvier 2017 modifiant le décret n° 2002-1279 du 23 octobre 2002 portant dérogations aux garanties minimales de durée de travail et de repos applicables aux personnels de la police nationale, le Conseil d’État (4 avril 2018, 5e et 6e ch. réunies, n° 409340) a saisi la CJUE de la question préjudicielle portant sur le point de savoir si les dispositions des articles 6 et 16 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail doivent être interprétées comme imposant une période de référence définie de manière glissante ou comme laissant aux États membres le choix de lui conférer un caractère glissant ou fixe.
Compte tenu de la réponse donnée à cette question par l’arrêt de la CJUE n° C-254/18 du 11 avril 2019, le Conseil d’État juge que « dès lors que les autorités françaises ont fixé la durée moyenne maximale de travail des fonctionnaires actifs de la police nationale au plafond de 48 heures hebdomadaires prévu par l'article 6 de la directive et étendu à six mois la période de référence utilisée pour le calcul de cette moyenne, en application de ses articles 17 et 19, seule l'utilisation de périodes de référence glissantes permet de garantir que la durée moyenne maximale hebdomadaire de travail de 48 heures est respectée au cours de toute période de six mois. Il suit de là que les dispositions de l'article 1er du décret attaqué doivent être annulées en tant qu'elles prévoient que la période de référence de six mois qu'elles définissent est une période fixe coïncidant avec un semestre de l'année civile. »
(24 juillet 2019, Syndicat des cadres de la sécurité intérieure, n° 409340)
65 - Concours de recrutement de professeurs de l’enseignement supérieur – Référé suspension – Appréciation particulière de l’urgence en l’espèce – Conditions d’établissement de l’irrégularité alléguée – Admission du référé.
L’intéressée, candidate pour le recrutement en qualité de professeur des universités dans la spécialité " Chirurgie plastique ; reconstructrice et esthétique ; brûlologie ", concours de type 1, demande la suspension de la décision du Conseil national des universités rejetant sa candidature ainsi que de l’arrêté ministériel assurant la publicité de cette décision.
Pour dire établie l’urgence à statuer, le juge relève, de façon inhabituelle dans la forme comme dans le fond, que « La brûlologie est une spécialité rare, ce qu'illustrent la faible fréquence des concours et le fait que celui auquel a participé Mme X. n'a suscité que deux candidatures. Mme X. ne peut exercer à l'heure actuelle aucune activité clinique en rapport avec sa spécialité et sa compétence demeure inemployée. Il n'est pas contesté, sans préjuger des résultats d'un concours régulier, que Mme X. présente les qualifications requises pour être nommée au grade de professeur des universités-praticien hospitalier (PUHP), et que sa carrière dans sa spécialité ne peut se développer qu'en passant ce concours. La suspension de la décision du jury ne donne certes aucune assurance à l'intéressée d'un succès au concours, mais permet au ministère d'organiser de nouvelles épreuves à bref délai. Dans la mesure où la personne retenue par le jury peut continuer à exercer ses fonctions cliniques et où la suspension n'a, ainsi que le ministère l'a confirmé à l'audience, d'effet que sur des enseignements qui ne commenceraient qu'à la prochaine rentrée universitaire, il n'est pas porté une atteinte excessive à l'intérêt public. Enfin, l'annulation dans plusieurs mois de la décision contestée, alors que son bénéficiaire aurait commencé une activité de PUPH, porterait atteinte de manière plus grave à ses intérêts. Dès lors, il y a lieu, au vu de l'ensemble des circonstances particulières à l'espèce, de regarder la lésion des intérêts dont se prévaut la requérante, au regard de la gravité des irrégularités dont est affectée la procédure suivie, comme constitutive d'une situation d'urgence au sens de l'article L. 521-1 du code de justice administrative. »
Ensuite, pour dire qu’existe un doute sérieux sur la régularité de la décision contestée, le juge retient que des maîtres de conférences étaient présents lors des délibérations ayant examiné le cas de la requérante et celui du candidat retenu ainsi qu’il résulte à la fois de messages échangés avec deux membres du jury et d’un constat d’huissier. Il s’agit là d’une violation manifeste du principe cardinal qu’un jury de la fonction publique ne peut être composé que de personnes ayant au moins le grade de l’emploi à pourvoir.
L’octroi de la suspension par voie de référé découle logiquement des circonstances de l’affaire.
(12 juillet 2019, Mme X., n° 432066)
66 - Fonctionnaire – Protection fonctionnelle contre les attaques – Diffamation par voie de presse – Exercice d’un droit de réponse par l’administration ou par l’agent – Conditions.
Cette décision concerne les conditions concrètes d’exercice de la protection fonctionnelle dont bénéficie un fonctionnaire lorsqu’il fait l’objet d’attaques diffamatoires par voie de presse. L’administration chargée de sa protection peut parfaitement exercer elle-même un droit de réponse. En revanche, le fonctionnaire diffamé ne peut le faire que s’il obtient à cet effet l’autorisation de son administration.
(24 juillet 2019, ministre de l'économie et des finances et autre, n° 430253 ; v. aussi, du même jour, sur la même affaire, le n° 430362)
67 - Mutation des fonctionnaires et agents publics – Résidence administrative – Délimitation – Absence de définition légale – Commune d’affectation – Commune de résidence administrative – Cassation.
Un sapeur-pompier professionnel initialement affecté à une caserne est ensuite muté dans une autre pour cause d’avancement. Contestant les conditions de la mutation et cette mutation elle-même, il saisit en vain tribunal et cour administratifs. Ceux-ci estiment en effet que l'autorité administrative n'ayant pas déterminé, à la date de la mesure litigieuse, les limites géographiques de la résidence administrative de l’intéressé, sa mutation n'emportait pas de changement de résidence car les deux communes, d’affectation initiale et de mutation, étaient membres de la communauté urbaine de Lyon.
Le juge de cassation accueille le pourvoi au terme du raisonnement suivant.
En l'absence de définition légale de la résidence administrative, il incombe à l’autorité administrative compétente de la déterminer. Normalement, la résidence administrative est constituée par la commune où se trouve le service auquel est affecté l'agent.
Toutefois, lorsque l'activité du service est organisée sur plusieurs communes, comme c’est le cas en l’espèce, l’autorité précitée indique à ses services quelles communes constituent une résidence administrative unique. En l’absence de cette délimitation, la résidence administrative s'entend, par défaut, de la commune où se trouve le service auquel est affecté l'agent.
(11 juillet 2019, M. X., n° 417168)
Hiérarchie des normes
68 - Transposition d’une directive de l’UE – Ordonnance de transposition du 20 décembre 2017 – Demande d’annulation et de remplacement par un texte conforme à la directive – Rejet.
Les organisations requérantes, estimant que l’ordonnance n° 2017-1717 du 20 décembre 2017 portant transposition de la directive européenne 2015/2302 relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées n’a pas correctement effectué cette transposition, à titre principal, en sollicitent l’annulation et son remplacement soit par une autre ordonnance soit par un projet de loi. Le recours est rejeté en tous ses moyens.
Tout d’abord, en instituant pour les professionnels qui vendent un forfait touristique une responsabilité de plein droit sauf s’ils apportent la preuve que le dommage est imputable au voyageur ou à un tiers, l'ordonnance a procédé à une exacte transposition de la directive et n'a pas, contrairement à ce qui est soutenu, institué en droit français une responsabilité des professionnels plus étendue que celle résultant des objectifs de la directive.
Ensuite, la portée donnée par le droit interne à la notion de « professionnels » est, en l’espèce, conforme aux objectifs de la directive s'agissant de la désignation du professionnel dont la responsabilité est susceptible d'être engagée.
Egalement, c’est sans erreur de droit que l’ordonnance a substitué au terme européen de « résiliation » celui de « résolution », la résiliation n’étant, selon l’art. 1229 du code civil (dans la version que lui a donnée l’ordonnance du 10 février 2016) qu’un cas particulier de résiliation ainsi qu’il en va dans le cas des contrats de voyage auxquels un terme est mis avant le début du voyage mais après versement de certaines sommes par le voyageur.
Enfin, ni l’ordonnance attaquée ni la directive qu’elle transpose ne méconnaissent, respectivement, la liberté d'entreprendre, garantie par la Constitution, et la liberté d'entreprise, garantie par l'article 16 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Le Conseil d’État, pour aboutir à cette conclusion a vérifié seulement si la directive dont l'ordonnance attaquée assure la transposition ne contrevenait pas à ce principe fondamental du droit de l'Union européenne.
(12 juillet 2019, Syndicat « Les entreprises du voyage et autres », n° 418394)
69 - Élection des représentants français au Parlement européen en 2019 – Contrariété à l’art.14 du traité sur l’UE – Méconnaissance du principe de proportionnalité dégressive – Violation de l’art. 55 de la Constitution – Rejet d’une demande renvoi d’une QPC.
Le demandeur soutenait que les dispositions de la loi du 22 mai 2019 relative à l'entrée en fonction des représentants au Parlement européen élus en France aux élections de 2019 sont contraires à l'article 14 du traité sur l'Union européenne, dès lors qu'elles méconnaissent le principe de proportionnalité dégressive prévu par cet article. Ce moyen est rejeté car, tiré du défaut de compatibilité d'une disposition législative aux engagements internationaux et européens de la France, il ne saurait, d’évidence, être regardé comme un grief d'inconstitutionnalité.
Le demandeur soutenait également que les dispositions législatives litigieuses sont contraires, pour le même motif, à l'article 55 de la Constitution. Ce moyen, qui tend en réalité à les critiquer au regard de la même stipulation conventionnelle, ne saurait non plus être utilement invoqué au soutien d'une question prioritaire de constitutionnalité.
(18 juillet 2019, M. X., n° 431143)
70 - Traités et accords internationaux – Accord fiscal franco-américain du 14 novembre
2013 (FATCA) – Condition de réciprocité – Décisions administratives d’exécution des dispositions inconditionnelles d’un traité – Contestation – Compatibilité entre accords internationaux – Actes d’application – Office du juge – Compatibilité avec les traités européens – Question préjudicielle – Date d’appréciation de la violation directe de la règle de droit – Incompétence, conditions d’examen.
Importante et, parfois, étonnante décision que celle présentement référencée.
Étaient, au principal, sollicitées par deux requêtes qui seront jointes les mesures suivantes :
- l’annulation de décisions implicites par lesquelles le ministre de l'action et des comptes publics a rejeté les demandes de l’association requérante tendant à ce qu'il soit procédé à l'abrogation, d'une part, de l'arrêté du 5 octobre 2015 portant création par la direction générale des finances publiques d'un traitement automatisé d'échange automatique des informations dénommé " EAI " et, d'autre part, de l'arrêté du 25 juillet 2017 modifiant l'arrêté précité ;
- ordonner cette abrogation sous astreinte ;
- l’annulation de la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande tendant à ce qu'il soit procédé à l'abrogation du décret n° 2015-907 du 23 juillet 2015 ;
- à titre subsidiaire, de poser à la CJUE la question préjudicielle de savoir si la réglementation nationale française, en tant qu’elle organise, de manière répétitive et non circonscrite aux seules hypothèses de lutte contre la criminalité, la collecte, le stockage, l'exploitation et le transfert, vers un État tiers, des données fiscales des contribuables résidant sur le territoire de l'État membre concerné mais possédant la nationalité de cet État tiers, est conforme aux art. 5, 45 et 46 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement ;
De cette longue décision on retient tout d’abord l’examen de la légalité externe des actes réglementaires attaqués, examen qui comporte une importante innovation jurisprudentielle dont la justification n’est pas forcément évidente (I), puis celui de leur légalité interne qui s’effectue plus calmement (II).
I - Sur la légalité externe
Après avoir rappelé le régime du recours en illégalité du refus d’abroger un acte réglementaire (recours direct en annulation dans les deux mois ou recours par voie d’exception d’illégalité mais alors seulement, en vertu d’une jurisprudence contestable [Assemblée, 18 mai 2018, Fédération des finances et affaires économiques de la CFDT (CFDT Finances), n° 414583, Rec. p. 188], lorsqu’est en cause la compétence de son auteur, l'existence d'un détournement de pouvoir ou la violation de la juridicité, non lorsqu’est seulement invoqué un vice de forme ou de procédure), le juge précise alors :
« 5. L'effet utile de l'annulation pour excès de pouvoir du refus d'abroger un acte réglementaire illégal réside dans l'obligation, que le juge peut prescrire d'office en vertu des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, pour l'autorité compétente, de procéder à l'abrogation de cet acte afin que cessent les atteintes illégales que son maintien en vigueur porte à l'ordre juridique. Il s'ensuit que, dans l'hypothèse où un changement de circonstances a fait cesser l'illégalité de l'acte réglementaire litigieux à la date à laquelle il statue, le juge de l'excès de pouvoir ne saurait annuler le refus de l'abroger. À l'inverse, si, à la date à laquelle il statue, l'acte réglementaire est devenu illégal en raison d'un changement de circonstances, il appartient au juge d'annuler ce refus d'abroger pour contraindre l'autorité compétente de procéder à son abrogation.
6. Il résulte du point 5 que lorsqu'il est saisi de conclusions aux fins d'annulation du refus d'abroger un acte réglementaire, le juge de l'excès de pouvoir est conduit à apprécier la légalité de l'acte réglementaire dont l'abrogation a été demandée au regard des règles applicables à la date de sa décision. »
Il découle donc de la partie que nous avons soulignée du point 6 susrapporté une évolution considérable. Jusqu’alors il était enseigné et au demeurant bien établi que l’une des différences séparant le contentieux de l’annulation (notamment celui de l’excès de pouvoir) et le contentieux de la pleine juridiction est que dans la première de ces deux branches du contentieux, le juge se place - pour décider - au jour où l’acte est pris tandis que dans la seconde il se place au jour où il statue.
Sauf erreur de notre part, en l’espèce il s’agissait bien d’un contentieux de l’annulation non de plein contentieux. De plus, cette différence était justifiée par cette considération maintes fois rappelée par des générations de commissaires de gouvernement alias rapporteurs publics, de juges et d’annotateurs d’arrêts que rien ne peut faire que ce qui fut, même un temps, illégal ne l’ait pas été.
Egalement, dans le même sens, allait la distinction de l’abrogation et du retrait rétroactif : l’acte illégal simplement abrogé demeurait illégal du jour de son édiction à celui de son abrogation, sa contestation contentieuse était donc possible pour cette période, tandis que l’acte retiré étant censé n’avoir jamais existé sa contestation était impossible.
La gravité des conséquences de la solution jurisprudentielle ici présentée résulte d’une erreur de perspective à laquelle le juge semble aujourd’hui de plus en plus insensible : il est un juge non un administrateur. Si un acte est illégal les justiciables doivent pouvoir le dénoncer et obtenir du juge qu’il en tire les conséquences ; s’il ne l’est pas il le dit. Toute autre manière de procéder est discutable et doit être tancée d’importance.
Ainsi, quand on lit au point 5 « L’effet utile de l’annulation pour excès de pouvoir »…, on demeure confondu. Pourquoi une annulation doit-elle avoir un « effet utile » ? Cet effet utile elle l’a automatiquement dès lors qu’elle est annulation. L’annulation d’un acte pour illégalité est la proclamation publique qu’il ne fallait pas le prendre ou le prendre de cette façon. Aller chercher sa portée pratique ou autre (par exemple, le fait qu’il puisse être repris à l’identique ou à peu près, etc…) est une considération d’administrateur non de juge. Ce qui serait, en revanche, plus intéressant ce serait de rechercher l’effet utile des décisions de justice, notamment par l’empêchement dans la plupart des cas de reprendre un acte illégal en faisant fi de son état peccamineux.
Enfin, cette solution produit l’effet désastreux d’avoir été prise pour sauver un acte de l’annulation dans un contentieux sensible et de haute portée symbolique. Où est alors le droit ?
Le point 7 est construit sur un paralogisme. Il est ainsi conçu : « S'agissant des règles relatives à la détermination de l'autorité compétente pour édicter un acte réglementaire, leur changement ne saurait avoir pour effet de rendre illégal un acte qui avait été pris par une autorité qui avait compétence pour ce faire à la date de son édiction. Un tel changement a, en revanche, pour effet de faire cesser l'illégalité dont était entaché un règlement édicté par une autorité incompétente dans le cas où ce changement a conduit, à la date à laquelle le juge statue, à investir cette autorité de la compétence pour ce faire. »
L’affirmation que contient la première phrase est tout à fait exacte et indiscutable ; malheureusement elle est doublement contradictoire avec ce qui précède.
1°/ Elle contredit la règle d’appréciation de la légalité au jour où le juge statue puisque, précisément, revenant à l’orthodoxie classique, elle fixe cette appréciation au jour de la prise de la décision.
2°/ Ceci est le contraire de la situation d’espèce où l’acte initial était non pas légal mais illégal.
La seconde phrase, qui est la reprise de la solution exposée aux points 5 et 6, souffre donc des critiques énoncées précédemment.
II. Sur la légalité interne
Étant rappelé que les actes critiqués se bornent à tirer les conséquences nécessaires des stipulations inconditionnelles de l'accord du 14 novembre 2013 pour l'application duquel ces actes réglementaires ont été pris, sont examinées deux questions importantes : celle de l’inapplicabilité de la convention litigieuse faute de réciprocité dans son application, celle de l’invalidité de certaines de ses stipulations.
S’agissant de la réciprocité, condition expressément énoncée à l’art. 55 de la Constitution et d’ailleurs très critiquée par les internationalistes, c’est la première fois qu’elle est analysée avec autant de précision dans les faits par le juge administratif (V. toutefois : Assemblée, 9 juillet 2010, Mme Souad Cheriet-Benseghir, n° 317747). On regrettera cependant qu’il ne soit pas mieux précisé dans cette décision que la réciprocité ne constitue pas une condition de validité du traité mais seulement une condition de sa supériorité par rapport à la loi, ainsi qu’il résulte d’ailleurs de la structure grammaticale de cette disposition constitutionnelle. En tout cas, la décision est, sur ce point, assez convaincante.
S’agissant de l’invalidité alléguée de certaines stipulations de l’accord franco-américain, le Conseil d’État réitère d’abord le considérant de principe qu’il avait placé dans sa décision Kandyrine de Brito Païva (Assemblée, 23 décembre 2011, n° 303678, Rec. p. 623, concl. J. Boucher) avant de rejeter le grief tiré de la méconnaissance du droit de l’Union européenne par l’accord international contesté. Après une analyse approfondie des textes ([directive (art. 1, 2)] et [règlement (art. 5, 45, 46 et 96)] européens du 27 avril 2016 relatifs à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d'enquêtes et de poursuites en la matière ou d'exécution de sanctions pénales, et à la libre circulation de ces données ; art. 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE), le juge conclut que les stipulations en cause ne portent atteinte à aucune des exigences et finalités de ces différents textes non plus qu’à celles de l’art. 8 de la Convention EDH et à celles de la convention n° 108 du Conseil de l'Europe pour la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personnel du 28 janvier 1981 qui subordonne l'autorisation d'un traitement de données à caractère personnel à l'existence d'une finalité légitime et à des modalités de collecte licites et loyales.
(19 juillet 2019, Association des Américains accidentels, n° 424216 et n° 424217 ; v. aussi, du même jour, avec même requérante mais sur une question voisine : n° 414780 ; v. également, réitérant la « doctrine » d’examen d’un excès de pouvoir au jour où le juge statue : 24 juillet 2019, Section française de l'Observatoire international des prisons, n° 424970)
71 - Réfugiés – Conditions matérielles d'accueil – Décret pris en exécution d'une loi Allégation de contrariété de cette loi aux objectifs d'une directive européenne – Annulation partielle – Régimes de droit et contentieux applicables.
Était contesté par les organisations requérantes le décret n° 2018-1359 du 28 décembre 2018 relatif aux conditions matérielles d'accueil des demandeurs d'asile, pris pour l'exécution de la loi u 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie. En particulier, était alléguée l'incompatibilité de certaines de ses dispositions avec les objectifs de la directive européenne du 26 juin 2013, spécialement ceux se déduisant de son article 20.
Le Conseil d'État, donnant raison sur ce point aux requérants, relève qu'il résulte de cette dernière disposition "que s'il est possible dans des cas exceptionnels et dûment justifiés de retirer les conditions matérielles d'accueil à un demandeur d'asile, d'une part ce retrait ne peut intervenir qu'après examen de la situation particulière de la personne et être motivé, d'autre part l'intéressé doit pouvoir solliciter le rétablissement des conditions matérielles d'accueil lorsque le retrait a été fondé sur l'abandon du lieu de résidence sans information ou autorisation de l'autorité compétente, sur la méconnaissance de l'obligation de se présenter aux autorités ou de se rendre aux rendez-vous qu'elle fixe ou sur l'absence de réponse aux demandes d'information. Il suit de là que les associations requérantes sont fondées à soutenir qu'en créant des cas de refus et de retrait de plein droit des conditions matérielles d'accueil sans appréciation des circonstances particulières et en excluant, en cas de retrait, toute possibilité de rétablissement de ces conditions, les articles L. 744-7 et L. 744-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans leur rédaction résultant de la loi du 10 septembre 2018, s'avèrent incompatibles avec les objectifs de la directive 2013/33/UE du 26 juin 2013. Il en résulte qu'elles sont fondées à demander l'annulation des dispositions des 12° et 14° de l'article 1er du décret du 28 décembre 2018, pris pour l'application de ces dispositions législatives. "
Ainsi, sont illégaux et doivent être annulés les 12° et 14° susindiqués.
Après avoir rappelé, d'une part, les pouvoirs du juge de l'annulation quant à la rétroactivité, ou non, de l'annulation prononcée du fait de la mise en balance de divers intérêts, d'autre part, le cas particulier du droit européen en cette matière, ce dernier ne pouvant admettre une telle modulation à l'effet rétroactif qu'"à titre exceptionnel", le Conseil d'État relève qu'en l'espèce, en dépit d'indications contraires sur ce point du ministre de l'intérieur, il n'existe pas de nécessité impérieuse justifiant de différer l'annulation des dispositions jugées illégales ou d'en réputer définitifs les effets passés.
Tirant les conséquences concrètes de ces affirmations, le juge décide : 1°/ que l'incompatibilité ainsi constatée de dispositions législatives avec le droit européen n'a pas pour effet par elle-même de faire disparaître rétroactivement ces dispositions législatives de l'ordonnancement juridique, ni, par suite, de rétablir dans cet ordonnancement les dispositions antérieures abrogées et remplacées par cette loi ; 2°/ que cette incompatibilité fait, en revanche, obstacle à ce que les autorités administratives compétentes adoptent, sur leur fondement, des décisions individuelles mettant fin aux conditions matérielles d'accueil dans des conditions contraires au droit de l'Union.
Enfin, sont précisées les conditions dans lesquelles l'autorité administrative compétentes doivent agir en cette matière dans l'attente de l'intervention des dispositions législatives de remplacement. La marche à suivre est ainsi fixée : " il reste possible à l'Office français de l'immigration et de l'intégration de refuser le bénéfice des conditions matérielles d'accueil, après examen de sa situation particulière et par une décision motivée, au demandeur qui a refusé le lieu d'hébergement proposé ou la région d'orientation. Il lui est également possible, dans les mêmes conditions et après avoir mis, sauf impossibilité, l'intéressé en mesure de présenter ses observations, de suspendre le bénéfice de ces conditions lorsque le demandeur a quitté le lieu d'hébergement proposé ou la région d'orientation ou n'a pas respecté les exigences des autorités chargées de l'asile, notamment de se rendre aux entretiens, de se présenter aux autorités et de fournir les informations utiles afin de faciliter l'instruction des demandes. Si le bénéfice des conditions matérielles d'accueil a été suspendu, le demandeur d'asile peut en demander le rétablissement à l'Office, qui devra apprécier la situation particulière du demandeur à la date de la demande de rétablissement au regard notamment de sa vulnérabilité, de ses besoins en matière d'accueil ainsi que, le cas échéant, des raisons pour lesquelles il n'a pas respecté les obligations auxquelles il avait consenti au moment de l'acceptation initiale des conditions matérielles d'accueil."
(31 juillet 2019, Comité inter-mouvements auprès des évacués (CIMADE) et autres, n° 428530, Comité inter-mouvements auprès des évacués (CIMADE) et autres, n° 428564)
Libertés fondamentales
72 - Inscription en université – Arrêté ministériel autorisant la mise en œuvre d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " Parcoursup " – Site internet « parcoursup.fr » – Charte du 6 décembre 2017 – Contestation – Rejet pour l’essentiel.
Un arrêté ministériel a autorisé la mise en œuvre d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " Parcoursup ", collectant les vœux d'inscription des élèves en première année d’études supérieures à la rentrée universitaire 2018/2019 et des renseignements susceptibles d'être ultérieurement utilisés pour traiter ces vœux.
Ces données devaient être recueillies au moyen d'un téléservice hébergé sur le site internet " parcoursup.fr ", ce dernier comportant également un contenu informatif destiné aux candidats à une préinscription dans la première année de l'enseignement supérieur.
Tout ceci a été consigné dans une " charte pour une mise en œuvre partagée des attendus des formations " du 6 décembre 2017, conclue entre les ministres chargés de l'enseignement supérieur et de l'éducation nationale et plusieurs représentants des universités, de grandes écoles et d'écoles d'ingénieurs. Cette charte comporte une annexe fixant des " attendus " nationaux pour plusieurs mentions de licence.
Parallèlement à ces diverses mesures, un projet de loi relatif à l'orientation et à la réussite des étudiants, qui modifiait la procédure d'inscription dans l'enseignement supérieur était en cours de discussion devant le Parlement, et avait déjà fait l'objet d'une discussion publique à l'Assemblée nationale, aux fins d'être rendu applicable aux inscriptions universitaires pour l'année 2018-2019 d’autant que le précédent système, dit " Admission Post-Bac ", avait été annulé par le Conseil d'État.
Les requérants invoquent divers griefs à l’encontre de cette nouvelle procédure d’inscription. Ils sont tous rejetés sauf l’un dont l’admission n’a qu’un caractère platonique.
Tout d’abord, s’agissant de l’atteinte qui serait portée aux obligations découlant de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, les arguments sont rejetés : il n’est, en l’espèce, porté atteinte à cette loi ni en ce qui concerne les finalités du traitement autorisé, ni en ce qui concerne la nature des données ainsi collectées, ni enfin en ce qui concerne la conservation des données collectées.
Quant aux autres critiques, elles sont également rejetées :
- Les dispositions du règlement n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE, n’étaient point encore applicables à la date des faits litigieux.
- La « charte » n’est pas un acte faisant grief et ne saurait, par suite, faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.
- Le contenu du site « parcoursup.fr » n’est pas, non plus, juridiquement critiquable, à la seule exception de celles des informations qui, fournies antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 8 mars 2018 relative à l'orientation et à la réussite des étudiants qui instaure ce nouveau dispositif, ne pouvaient pas encore être présentées sous une forme impérative mais seulement comme de simples informations sur un futur dispositif en cours d'adoption. Les divers requérants sont donc seulement fondés à demander l'annulation de contenus qu'en tant qu'ils n'ont pas été accompagnés, avant le 11 mars 2018, de mentions sur le site " parcoursup.fr " en soulignant le caractère non définitif. En revanche, ces requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation dans cette mesure de ces mêmes contenus en tant qu'ils ont figuré sur la partie publique de ce site après le 11 mars 2018, ni des autres contenus qu'ils désignent comme " la partie privée du site Parcoursup.fr ".
(10 juillet 2019, Groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE) du Sénat et autres, n° 417906 et Solidaires étudiant-e-s, syndicats de luttes (SESL) et autres, n° 418028, requêtes jointes)
73 - Régime du baccalauréat – Cas des écoles privées hors contrat – Régime partiellement différent des épreuves en vue de l’obtention du baccalauréat – Atteinte à la liberté de l’enseignement – Rejet.
Les requérantes contestaient un arrêté ministériel relatif aux modalités d'organisation du contrôle continu pour l'évaluation des enseignements dispensés dans les classes conduisant au baccalauréat général et au baccalauréat technologique. Cet arrêté a prévu un régime spécifique pour certaines épreuves conduisant à l’obtention du baccalauréat dont les requérantes considèrent qu’il méconnaît le principe d'égalité entre les candidats au baccalauréat, en ce qu'il prévoit une épreuve unique dite " de contrôle continu " pour les seuls élèves de l'enseignement privé hors contrat et qu'il fixe le centre d'examen dans l'académie du domicile non dans celle où est situé l’établissement. Ainsi se trouveraient violées l’égalité d’accès à l’enseignement supérieur et la liberté de l’enseignement.
Le Conseil d’État rejette l’ensemble des griefs.
Il retient que l’instauration d’un régime particulier d’épreuves, de barème, de calendrier et de lieu de passation aboutissant à la note de contrôle continu n’est pas contraire au principe d’égalité dans la mesure où ces écoles sont faiblement contrôlées.
En outre, les épreuves font l’objet d’une correction anonyme.
Si l’on peut comprendre les précautions ministérielles et leur large acceptation par le juge, il convient de reconnaître une certaine contradiction entre une liberté importante reconnue puis, en partie reprise au moment du baccalauréat. Il n’est guère satisfaisant d’avoir un système aussi profondément différencié qu’une simple péréquation, nationale ou académique, eût plus judicieusement remplacé. Enfin, parler d’anonymat quand les copies à corriger ne concernent nécessairement que cette catégorie d’établissements, est une gageure.
En réalité, même si l’on fait l’impasse sur un éventuel recours à la Convention EDH, la difficulté vient du refus d’un contrôle national pour accéder à l’enseignement supérieur et du double rôle que l’on fait tenir au baccalauréat : diplôme de fin d’études secondaires et premier diplôme délivré par l’université.
(24 juillet 2019, Fondation pour l'école, Fédération des parents d'élèves des écoles indépendantes et Mme X., n° 424260)
74 - Bioéthique – Recherches sur les embryons ou les cellules souches – Obligations de l’agence de biomédecine – Recueil obligatoire du consentement du couple auteur des embryons – Autorisation du protocole de recherche – Obligations limitées en ce cas de l’agence de biomédecine.
(5 juillet 2019, Fondation Jérôme Lejeune, n° 428838 ; Fondation Jérôme Lejeune, n° 428841, deux espèces jointes) V n° 128
75 - Interdiction définitive du territoire – Peine complémentaire à une peine principale d’emprisonnement – Arrêté préfectoral ordonnant la sortie du territoire – Référé liberté ordonnant le rapatriement en France de l’intéressé - Incompétence du juge administratif pour suspendre ou annuler une décision du juge judiciaire –Erreur de droit – Annulation de l’ordonnance.
Rappel de ce qu’aussi longtemps que la personne condamnée n'a pas obtenu de la juridiction qui a prononcé la condamnation pénale le relèvement de la peine d'interdiction du territoire, l'autorité administrative est tenue de pourvoir à son exécution, sous réserve que la décision fixant le pays de renvoi n'expose pas l'intéressé à être éloigné à destination d'un pays dans lequel sa vie ou sa liberté seraient menacées, ou il serait exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Les dispositions de l'article 130-1 du code pénal font également obstacle à ce que le juge des référés enjoigne à l'autorité administrative d'assurer le retour en France de l'étranger qui demeure sous le coup d'une interdiction judiciaire du territoire.
Dans le cas où le juge judiciaire relève la personne condamnée de l’exécution de la peine complémentaire mais où il est fait appel de ce jugement, l’appel ayant, normalement, un effet suspensif en matière délictuelle, il s’ensuit que durant le délai puis la procédure d’appel, le juge administratif n’est pas davantage compétent pour ordonner au préfet de ne pas exécuter la peine complémentaire, ici automatique, de surcroît.
C’est donc à tort que le juge des référés de première instance a cru pouvoir, par l’ordonnance attaquée, enjoindre au préfet d’organiser à bref délai le rapatriement de l’intéressé en France.
(Ord. réf. 10 juillet 2019, Ministre de l’Intérieur, n° 431586)
76 - Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) – Déclaration de situation patrimoniale d’une élue nationale – Manquements portant atteinte à son caractère exhaustif – Transmission au parquet – Appréciation de la Haute autorité assortissant son examen d’une déclaration de situation patrimoniale – Absence d’effets juridiques mais faisant grief – Analyses effectuées par la Haute autorité – Contrôle plein et entier du juge – Rejet.
À l’occasion de l’examen de la situation patrimoniale d’une élue nationale, la HATVP a, à la fois, constaté des manquements portant atteinte au caractère - qui doit être normalement exhaustif - de cette déclaration et accompagné ce constat d’une appréciation. Ces éléments sont contestés dans la présente décision d’assemblée.
Deux questions principales étaient posées.
La première portait sur la nature et le statut contentieux de l’ « appréciation » dont la HATVP a cru devoir assortir son examen de la déclaration de situation patrimoniale de l’intéressée. La HATVP estimait cette appréciation sans portée juridique et donc non susceptible d’être discutée au contentieux tandis que la requérante soutenait le contraire. Le Conseil d’État lui donne raison sur ce point en ces termes : « (…) cette prise de position d'une autorité administrative, qui est rendue publique avec la déclaration de situation patrimoniale (…), est de nature à produire, sur la personne du député qu'elle concerne, des effets notables, notamment en termes de réputation, qui au demeurant sont susceptibles d'avoir une influence sur le comportement des personnes, et notamment des électeurs, auxquelles elle s'adresse. Dans ces conditions, une telle prise de position doit être regardée comme faisant grief au député dont la déclaration de situation patrimoniale fait l'objet de l'appréciation ainsi rendue publique. Il s'ensuit que Mme X. est recevable à demander l'annulation de la délibération du 24 octobre 2018 relative à sa déclaration de situation patrimoniale. La fin de non-recevoir soulevée par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique doit donc être écartée ».
La seconde question portait sur la procédure suivie ou à suivre en la matière.
Tout d’abord, lorsque la HATVP constate des manquements à une déclaration de situation patrimoniale d’un député, si elle a l’obligation d’en informer le bureau de l’Assemblée nationale, en revanche, elle n’a à transmettre le dossier au parquet « que lorsqu'elle estime qu'il est suffisamment caractérisé que le manquement qu'elle a constaté procède d'une omission substantielle ou d'une évaluation mensongère. ». Cette dernière déduction nous semble discutable en ce qu’elle restreint par trop les possibilités d’action du parquet et confère des pouvoirs de « filtrage » bien excessifs à la HATVP qui n’appartient ni de près ni de loin à l’autorité judiciaire dont elle est strictement séparée.
Ensuite, étaient critiqués divers aspects de la procédure suivie en l’espèce, tous rejetés : le juge n’a pas relevé de possibilité de manquement à l'indépendance et à l'impartialité de la HATVP, il a constaté qu’avait été respecté le droit de la défense et estimé que c’était sans erreurs de droit et/ou de fait que la HATVP avait retenu des éléments portés à sa connaissance, sur sa demande, par l’administration fiscale, avait tenu compte de l’incendie ayant affecté un bien immobilier faisant partie du patrimoine en cause.
On regrettera cependant que le Conseil d’État ait cru devoir juger que la HATVP n’a pas commis d’erreur de droit en ne suspendant pas l'examen de la déclaration de situation patrimoniale de l'intéressée jusqu'à l'issue de la procédure pendante devant l'administration fiscale alors que cette dernière avait saisi la requérante d’une proposition de rectification portant notamment sur l'évaluation de sa situation patrimoniale et que celle-ci avait saisi la commission départementale de conciliation.
(Assemblée, 19 juillet 2019, Mme X., n° 426389)
77 - Demandeur d'asile en France – Reprise en charge par l'État responsable de sa demande – Acceptation implicite - Système Eurodac – Transfert – Pouvoirs du préfet – Respect du délai de deux mois (art. 23 du règlement UE du 26 juin 2013) – Effets d'une éventuelle annulation de l'arrêté préfectoral sur l'enregistrement, ou non, de la demande d'asile.
Saisi par un tribunal administratif de plusieurs questions techniques relatives au traitement des renvois de demandeurs d'asile vers le pays européen en charge du traitement de leur demande au vu du fichier Eurodac, le Conseil d'État y apporte des réponses d'une grande portée pratique et juridique.
La procédure en cause est fixée par le règlement européen du 26 juin 2013 dit Dublin III. Les questions étaient relatives aux pouvoirs et devoirs du préfet lorsque celui-ci estime que la demande d'asile en France est formulée par une personne qui relève en réalité d'un autre État membre de l'Union européenne en vertu de la procédure Eurodac (art. 21 du règlement précité).
La légalité de la décision préfectorale de transfert est subordonnée à la saisine et à l'acceptation préalables de l'État responsable.
Une première difficulté résidait dans le point de savoir si, pour attester de l'accomplissement de ces formalités, la préfecture doit impérativement produire l'accusé de réception Dublinet émis par le point d'accès national du réseau Dublinet (qui est, en France, au ministère de l'intérieur, la direction générale des étrangers) ou s'il lui est possible de faire par tous moyens la preuve de cet accomplissement. La réponse est positive.
Une seconde difficulté était liée aux effets d'une annulation de la décision préfectorale de transfert motif pris de ce que l'État requis n'a pas accepté la reprise en charge. Le juge indique qu'en ce cas la préfecture est tenue de réexaminer la situation du demandeur, non à la date de sa demande mais à celle de la décision d'annulation.
(Avis contentieux, 31 juillet 2019, M. X., n° 428761)
Police
78 - Débits de boissons – Police spéciale – Règles de calcul de la distance d’implantation entre les débits de boissons et les établissements protégés – Distance de 200 mètres – Rejet.
Les club, discothèque et association requérants contestent l’arrêté sub-préfectoral autorisant l’exploitation d’un dancing-discothèque avec licence IV au 83 quai Tabarly à Brest. Ils invoquent le non-respect de la distance minimale de 200 mètres devant séparer un tel commerce de certains édifices ou établissements et notamment, en vertu du 7° de l'article L. 3335-1 du code de la santé publique, des « Casernes, camps, arsenaux et tous bâtiments occupés par le personnel des armées de terre, de mer et de l'air ; ».
Toute la question était de savoir si, pour rejeter leur recours, la cour administrative d’appel s’était livrée à un calcul régulier de cette distance de 200 mètres. Pour y répondre, le Conseil d’État pose en principe qu’il ressort des règles nouvelles, telles qu’éclairées par les travaux préparatoires de la loi n°2007-1787 du 20 décembre 2007 relative à la simplification du droit, « que la distance entre un établissement protégé et un débit de boissons se mesure sur les voies de circulation ouvertes au public, suivant l'axe de ces dernières, entre et à l'aplomb des portes d'entrée ou de sortie les plus rapprochées de l'établissement protégé et du débit de boissons, la distance obtenue étant augmentée de la longueur de la ligne droite au sol entre les portes d'accès et l'axe de la voie et, le cas échéant, de la différence de hauteur entre le niveau du sol et celui du débit de boissons. » que la distance entre un établissement protégé et un débit de boissons se mesure sur les voies de circulation ouvertes au public, suivant l'axe de ces dernières, entre et à l'aplomb des portes d'entrée ou de sortie les plus rapprochées de l'établissement protégé et du débit de boissons, la distance obtenue étant augmentée de la longueur de la ligne droite au sol entre les portes d'accès et l'axe de la voie et, le cas échéant, de la différence de hauteur entre le niveau du sol et celui du débit de boissons. »
Appliquant cette interprétation aux faits de l’espèce, le Conseil d’État juge que l’arrêt attaqué n’encourt point les reproches qui lui sont adressés.
(1er juillet 2019, Société " Club et spectacles Artero ", société Guear et association " Club des discothèques Pointe de Bretagne ", n° 419287)
79 - Police générale de la circulation – Pouvoir du premier ministre – Étendue – Limitation de la vitesse sur les chaussées à deux voies sans séparateur central – Légalité – Rejet.
Après avoir rejeté l’argument selon lequel la dualité fonctionnelle du Conseil d’État, telle qu’elle est organisée par les textes, ne porte pas atteinte au principe d’impartialité, le juge ajoute trois précisions.
La première est bien connue et se situe dans le droit fil des décisions Labonne (8 août 1919, n) 56377) et Sarl Restaurant Nicolas (13 mai 1960, p. 324) : le Premier ministre détient le pouvoir d’édicter les mesures de police applicables à l'ensemble du territoire. En font partie les mesures relatives aux limitations de vitesse sur les routes.
La seconde est tout aussi célèbre : les autorités de police locale peuvent toujours, pour des motifs idoines, aggraver les mesures de police prises par l’autorité nationale (18 avril 1902, Maire de Néris-les-Bains, n° 04749, p. 275).
La troisième porte sur l’examen de la légalité de la mesure réduisant de 90 à 80 km/h la vitesse maximale autorisée pour les véhicules à moteur circulant sur les chaussées à deux voies sans séparateur central. Sans surprise le Conseil d’État estime cette mesure justifiée par les statistiques de mortalité sur lesdites routes ainsi que par la comparaison avec des mesures similaires prises dans d’autres pays.
(24 juillet 2019, Ligue de défense des conducteurs, n° 421603 ; M. X. et autres, n° 421651 ; Association Automobile-Club des Avocats, n° 421669 ; M. X., n° 421705 ; Région Auvergne-Rhône-Alpes, n° 423099 ; MM. X. et Y., n° 423487)
80 - Police sanitaire – Mise en vente sans autorisation ou autre de dispositifs médicaux – Fait justifiant ipso facto une mesure de retrait – Exception lorsqu’aucun risque n’est encouru pour la santé des patients – Annulation de l’ordonnance de référé attaquée.
La société CL Médical ayant mis sur le marché des dispositifs médicaux des gammes I-Stop, I-Stop Toms, Pelvi-Stop et Parie-Stop Stop qu’elle fabrique mais qui ne sont pas couverts par un certificat CE de conformité valide, ou fabriqués avant le 23 novembre 2016 et mis sur le marché à partir de cette date sans qu'ils soient couverts par un certificat CE de conformité valide, le directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a, d'une part, suspendu la mise sur le marché, la distribution, l'exportation et l'utilisation de ces dispositifs médicaux lorsqu’ils ont été fabriqués par cette société jusqu'au 31 janvier 2018 et non couverts par un certificat CE de conformité valide ou fabriqués avant le 23 novembre 2016 et mis sur le marché à partir de cette date sans qu'ils soient couverts par un certificat CE de conformité valide et, d'autre part, prescrit le retrait de ces dispositifs et la diffusion de la décision auprès de toute personne physique ou morale susceptible de détenir de tels produits. La société CL Médical a demandé au juge des référés du tribunal administratif la suspension de l'exécution de cette décision. Le tribunal l’a suspendue en tant qu'elle a pour effet le retrait des dispositifs médicaux considérés, jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur sa légalité, et rejeté le surplus des conclusions de la société.
Selon le Conseil d’État, il résulte des articles 2 et 18 de la directive 93/42/CEE du 14 juin 1993 et des articles L. 5312-2 et L. 5312-3 du code de la santé publique (CSP) que le constat de la mise sur le marché de dispositifs médicaux en l'absence d'autorisation, d'enregistrement ou de certification exigés par les dispositions législatives ou réglementaires applicables suffit en principe à justifier que l’ANSM ordonne leur retrait. Il relève toutefois qu’il peut en aller autrement, sous réserve de l'hypothèse de persistance de l'infraction, que dans le seul cas où il est établi que l'utilisation des dispositifs médicaux ainsi mis sur le marché n'est pas susceptible d'exposer les patients à un risque pour leur santé.
Le recours de l’ANSM est admis et l’ordonnance de référé annulée en les articles 1er, 2 et 4 de son dispositif.
(1er juillet 2019, Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, n° 427413)
81 - Police spéciale de la vente, du port et de la détention d’armes – Retrait d’agrément d’un armurier pour défaillance dans sa gestion d’un autre établissement d’armurerie – Rejet.
Une personne détentrice de l’agrément d’armurier, gestionnaire de deux commerces d’armes, s’est vue retirer son agrément pour ces deux établissements en raison de graves négligence dans sa gestion de l’un seulement d’entre eux. Elle conteste la légalité du retrait d’agrément pour celui des établissements dans lequel aucune négligence n’a été relevée. Le ministre de l’intérieur se pourvoit contre l’ordonnance de référé qui lui a donné satisfaction.
Le Conseil d’État, sévère, juge que « l'agrément d'un armurier présente un caractère personnel qui implique que puissent être prises en compte, pour en justifier le retrait, l'ensemble des circonstances propres à la personne de son détenteur et que l'administration puisse légalement, pour apprécier l'existence d'un risque pour l'ordre et la sécurité publics de nature à justifier le retrait d'un agrément relatif à un établissement, prendre en compte des défaillances dans la gestion d'un autre établissement confié au même gérant. »
(24 juillet 2019, Ministre de l’intérieur, n° 428818 ; même solution, du même jour, sur la demande de référé suspension du retrait d’agrément d’armurier : n° 428819)
82 - Débits de boissons – Répression de l’ivresse publique – Fermeture temporaire – Référé liberté – Atteinte excessive à la liberté du commerce – Absence – Rejet.
Le préfet de l'Isère a ordonné la fermeture administrative du débit de boissons " Bistrot Colette " pour une durée de deux mois au motif qu'un client qui avait consommé d'importantes quantités d'alcool dans l'établissement avait, quelques minutes après son départ, été à l'origine d'un très grave accident de la route occasionnant la mort du couple dont il avait percuté le véhicule, que le taux d'alcool relevé sur l'intéressé après l'accident était de 2,54 grammes par litre de sang, que le gérant ne contestait pas que la consommation d'alcool avait eu lieu au sein de son établissement et que, dès lors qu'il lui avait servi trois litres de bière, l'établissement ne pouvait ignorer que ce client était en état d'ivresse manifeste.
La société requérante, qui exploite cet établissement, avait sollicité par le moyen d’un référé liberté l’annulation de cette sanction, à tout le moins sa réduction.
Pour rejeter cette demande le juge de première instance avait estimé que s'il ne ressortait pas des fiches de recherche de l'état alcoolique de l'auteur de l'accident que ce dernier aurait présenté les signes de l'ivresse manifeste, il résultait de l'instruction que la prise de sang avait révélé un taux d'alcoolémie de 2,4 grammes d'alcool par litre de sang et qu'au cours des six heures que le client avait passé dans l'établissement, il avait consommé de fortes quantités d'alcool ayant admis, avant de se rétracter, avoir consommé six pintes de bière. Le juge a considéré que ces seuls faits révélaient, quelle qu'ait pu être l'apparence du comportement de ce client, une excessive consommation de boissons alcoolisées servies dans l'établissement. Il en a déduit qu'aucune atteinte grave et manifestement illégale à la liberté du commerce n'était démontrée.
Pour rejeter le recours contre cette ordonnance, le juge des référés du Conseil d’État n’a aperçu dans l’appel dont il était saisi aucun élément nouveau de nature à infirmer l’ordonnance de référé de première instance.
(5 juillet 2019, Sarl Ette, n° 431911)
83 - Police de la sécurité et des infractions routières – Radars embarqués sur des véhicules conduits par des opérateurs privés – Décisions – Existence – Incompétence du pouvoir réglementaire et du premier ministre – Absence – Délégation d’une mission de police à une personne privée – Absence – Violation des règles applicables aux salariés de droit privé comme au droit de la fonction publique – Absence – Rejet.
L’association requérante demande l’annulation, d’une part, d’une mesure adoptée par le Comité interministériel de la sécurité routière et d’un communiqué de presse publié sur le site Internet de la sécurité routière relatifs à la décision de déléguer la conduite de voitures équipées de radars à des opérateurs privés, et, d’autre part, de deux décisions implicites du premier ministre rejetant sa demande tendant à l'abrogation de la décision rendue publique à l'issue du comité interministériel de la sécurité routière du 2 octobre 2015, de déléguer la conduite de voitures équipées de radars à des opérateurs privés ainsi que de la décision implicite par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté sa demande tendant à l'abrogation de sa décision en fixant les conditions d'application, rendue publique par un communiqué de presse du 20 février 2017.
Le Conseil d’État rejette - comme il fallait s’y attendre - tous les arguments développés au soutien de ces deux requêtes jointes pour y être statué par une même décision.
Auparavant, le juge est conduit à préciser la notion de décision pour relever que tant la mesure prise par le Comité interministériel de la sécurité routière de confier à des personnes privées agréées l'utilisation des radars embarqués dans des véhicules banalisés que le communiqué de presse sur Internet de la mise en place de ladite mesure révèlent l’existence de décisions de nature réglementaire.
De telles décisions relevaient bien de la compétence du pouvoir réglementaire et, au sein de ses détenteurs, au premier ministre.
La décision du premier ministre, dans la mesure où elle se borne à adopter le principe de la délégation de la conduite de voitures équipées de radars à des entreprises privées au niveau national, n'a pas affecté par elle-même, en l'absence de définition suffisante des modalités de mise en œuvre de cette mesure, l'organisation et le fonctionnement des services de police et de gendarmerie. Par suite, elle n’avait pas à être précédée de la consultation du comité technique de réseau de la police nationale et de celle du comité technique de la gendarmerie nationale, contrairement à ce que soutenait l’association requérante.
Enfin, cette décision ne contrevient ni à l'interdiction de déléguer une mission de police à une personne privée, ni à celle du prêt de main-d’œuvre (art. L. 8241-1 c. trav.), ni, enfin, à l’obligation faite à l’administration par les dispositions de l’art. 43 de la loi du 11 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État, de signer avec des personnes privées des contrats ayant pour objet exclusif la mise à disposition de personnels.
La requête est rejetée.
(8 juillet 2019, Association 40 millions d'automobilistes, n° 419367 et n° 424410)
84 - Police des installations classées – Création d’une plate-forme de tri, transit, regroupement et prétraitement de déchets industriels dangereux – Combinaison entre dispositions du droit de l’environnement et dispositions du droit de l’urbanisme – Indépendance des législations – Rejet.
(12 juillet 2019, Association " Sans nature pas de futur " et autres, n° 417177) V. n° 50
85 - Police du permis de conduire – Suspension d’un permis de conduire pour raison médicale – Obligation de motivation – Nécessité, pour les médecins, de communiquer ce(s) motif(s) médical(aux) au titulaire du permis – Absence de communication – Annulation de la mesure – Rejet.
La décision par laquelle un préfet suspend ou annule un permis de conduire, ou restreint sa validité, au motif que son titulaire est atteint d'une affection médicale incompatible avec la conduite d'un véhicule présente le caractère d'une mesure de police et doit, par suite, être motivée.
Si le préfet ne peut que se référer, dans sa décision, pour en assurer la motivation, à l'avis qui lui a été communiqué par les médecins chargés du contrôle médical, lequel se borne à indiquer que le titulaire du permis de conduire est inapte à la conduite d'un véhicule, il incombe aux médecins, afin d'assurer le respect de l’obligation de motivation de la décision préfectorale, d'informer le titulaire des motifs médicaux sur lesquels ils se sont fondés. La circonstance que l’intéressé fasse valoir qu'il n'avait pas été mis en mesure de « contester utilement la décision, ne sachant pas quelle affection l'empêche de conduire » amène nécessairement à l’annulation de la décision préfectorale, les pièces du dossier n’établissant pas que le requérant avait été informé par les médecins chargés du contrôle médical des motifs médicaux de son inaptitude à la conduite faute pour l'administration d'avoir produit l'avis de la commission revêtu de la signature de l'intéressé indiquant qu'il a reçu cette information.
(24 juillet 2019, Ministre de l’intérieur, n° 420154)
86 - Police de la chasse – Gibier protégé – Projet d’arrêté portant suspension de la chasse de certaines espèces – Obligation de consultation et de rédaction préalables d’une synthèse des avis exprimés – Délai à respecter – Non-respect – Privation d’une garantie pour les personnes ayant émis un avis – Nullité de l’arrêté ministériel subséquent.
(12 juillet 2019, Fédération nationale des chasseurs, n° 424600) V. n° 5
Procédure contentieuse
87 - Tierce opposition – Association ayant des intérêts concordant avec ceux de la commune – Association pouvant être considérée comme représentée par la commune dans l’instance précédente – Rejet du pourvoi.
Une commune décide l’aliénation totale ou partielle de treize chemins ruraux et autorise son maire à accomplir les démarches nécessaires ainsi qu’à signer les actes à cet effet. Cette délibération est contestée en vain en première instance et en appel. L’Association requérante a formé tierce opposition devant la cour de son arrêt de rejet. Cette tierce opposition est rejetée et c’est contre ce rejet qu’elle se pourvoit.
Selon l’art. R. 832-1 CJA, « Toute personne peut former tierce opposition à une décision juridictionnelle qui préjudicie à ses droits, dès lors que ni elle ni ceux qu'elle représente n'ont été présents ou régulièrement appelés dans l'instance ayant abouti à cette décision. »
Or la société SCAF du 75 avait acquis, le 27 avril 2015, une parcelle de terrain appartenant à la commune et constituant l'emprise foncière du chemin rural n° 3 dont le conseil municipal de la commune avait décidé l'aliénation. Il en résultait donc qu’en sa qualité d'acquéreur de cette parcelle, la société SCAF du 75 avait des intérêts concordant avec ceux de la commune dans le litige contestant l'aliénation du chemin rural et devait être regardée comme ayant été représentée par la commune dans l'instance ayant statué sur ce litige. Par suite, la société requérante ne justifiait pas d'un intérêt propre, distinct de celui de la commune, à l'annulation du jugement du tribunal administratif et devait être regardée comme ayant été représentée dans l'instance d'appel par la commune. C’est à bon droit que la cour a rejeté sa demande de tierce opposition.
(1er juillet 2019, Association civile SCAF du 75, n° 420200)
88 - Irrecevabilité d’une requête – Absence de production, par le demandeur, de la décision attaquée – Production de cette décision par l’administration défenderesse – Annulation.
Commet une erreur de droit l’arrêt d’appel qui juge que c’est à bon droit que les premiers juges ont déclaré irrecevable une requête au motif qu’elle n’était pas accompagnée de la décision attaquée alors que cette dernière était jointe au mémoire en défense que l’administration a produit avant la date de clôture de l’instruction.
(24 juillet 2019, M. X., n° 420423)
89 - Concours de recrutement de professeurs de l’enseignement supérieur – Référé suspension – Appréciation particulière de l’urgence en l’espèce – Conditions d’établissement de l’irrégularité alléguée – Admission du référé.
(12 juillet 2019, Mme X., n° 432066) V. n° 65
90 - Droits à pension d’un agent public – Renseignements erronés donnés par sa caisse de retraite – Action indemnitaire – Litige ne relevant pas de la matière des pensions – Absence de compétence du tribunal administratif statuant en premier et dernier ressort (solution implicite).
(10 juillet 2019, Mme X., n° 416754) V. n°63
91 - Référé mesures utiles (art. L. 521-3 CJA) – Référé ne pouvant comporter que des mesures ne faisant pas obstacle à l'exécution d'une décision administrative – Décision de récupération d’indu faisant l’objet d’un recours à caractère suspensif – Exécution de la décision malgré le caractère suspensif – Possibilité en ce cas d’user du référé mesures utiles – Rejet du pourvoi.
Si, en principe le juge du référé mesures utiles (art. L. 521-3 CJA) ne peut ordonner que des mesures ne faisant pas obstacle à l'exécution d'une décision administrative y compris celle refusant la mesure demandée, sauf péril grave, le Conseil d’État décide en l’espèce qu’il en va autrement dans le cas où est poursuivie l’exécution d’une décision administrative contre laquelle a été formé un recours suspensif de ladite exécution. Ainsi, il est alors possible sur le fondement de l'art. L. 521-3 de prescrire à l'administration, à titre provisoire, dans l'attente d'une décision se prononçant sur le bien-fondé du recours, toutes mesures justifiées par l'urgence propres à faire cesser la méconnaissance du caractère suspensif du recours.
Il est fait application de cette doctrine jurisprudentielle dans le cas d’espèce où la collectivité débitrice du revenu de solidarité active (ou l'organisme chargé du service de celui-ci) ou de la prime d'activité poursuit le recouvrement d'un indu de l'une ou l'autre de ces prestations, par retenues sur les montants à échoir de ces prestations ou d'autres prestations sociales, en méconnaissance du caractère suspensif attaché aux recours administratifs et contentieux visés par les art. L. 262-46 du code de l'action sociale et des familles et de L. 845-3 du code de la sécurité sociale.
(24 juillet 2019, Caisse d'allocations familiales de la Vienne et département de la Vienne, n° 426527)
92 - Recours en révision – Cas d’ouverture – Procédure prétendue abusive – Demande de dommages-intérêts – Demande d’infliction d’une amende pour recours abusif.
Dans le cadre d’un recours en révision qui est rejeté faute pour la société demanderesse de se trouver dans l’un des trois cas d’ouverture à un tel recours énumérés à l’art. L. 834-1 CJA, le Conseil d’État était saisi d’une demande reconventionnelle de la Commission de régulation de l'énergie, fondée sur le caractère abusif de la procédure engagée, aux termes de laquelle étaient sollicitées, d’une part, l’allocation de dommages-intérêts, et d’autre part, l’infliction d’une amende pour recours abusif.
Ces deux demandes sont rejetées, la première car le juge estime qu’il ne ressort pas du dossier que le recours en révision ait été intenté à des fins dilatoires, la seconde car l’infliction d’une telle amende ressortissant à la compétence exclusive et discrétionnaire du juge, il s’ensuit que sa demande par l’une des parties est irrecevable.
(10 juillet 2019, Société Messer France, n° 427656)
93 - Représentation des parties en justice – Nécessité de recourir au service d’un avocat – Représentation constituant un mandat (art. 1984 c. civ.) – Impossibilité pour un avocat de se représenter lui-même – Rejet.
La représentation d’une partie en justice constitue un mandat. Or il résulte de l’art. 1984 du code civil que : « Le mandat ou procuration est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom (...) ». Ceci implique, en principe, que l'avocat soit une personne distincte du requérant, dont les intérêts personnels ne sont pas en cause dans l'affaire. Ceci fait ainsi obstacle à ce qu'un requérant exerçant la profession d'avocat puisse assurer sa propre représentation au titre de l'article R. 431-2 du CJA dans une instance à laquelle il est personnellement partie.
(10 juillet 2019, Mme X., n° 417985)
94 - Fiche de suivi de procédure tenue par le greffe d’une cour administrative d’appel – Mention comportant sur la personne d’un requérant des « appréciations gravement déplacées » – Doute sur l’impartialité de la cour – Cassation et renvoi à une autre cour.
Affaire peu banale où il est relevé par le Conseil d’État que « Il ressort des pièces de la procédure devant les juges du fond que la fiche tenue par le greffe (d’une cour administrative d'appel) pour son suivi comporte des mentions qui, appelant à la " vigilance " à l'égard de M. X. le jour de l'audience, portent sur sa personne des appréciations gravement déplacées. M. X. est fondé à soutenir que ces mentions sont de nature à susciter un doute légitime sur l'impartialité avec laquelle la cour (…) a examiné sa requête. Il y a donc lieu, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, d'annuler son arrêt et de renvoyer l'affaire devant (une autre cour). »
(24 juillet 2019, M. X., n° 422699)
95 - Clôture de l’instruction – Invitation postérieure à produire des éléments ou pièces en vue de compléter l'instruction (art. L. 613-1-1 du CJA) – Réouverture de facto de l’instruction – Nécessité d’analyser le mémoire alors produit – Arrêt fondé erronément sur un jugement de TGI définitif – Cassation pour erreur de droit.
Lorsqu’après clôture de l’instruction le juge invite les parties à produire devant lui des éléments ou des pièces en vue que soit complétée l’instruction, cette invitation constitue une réouverture de l’instruction permettant aux parties, le cas échéant, de déposer un mémoire pour discuter lesdits pièces ou documents. La circonstance que celui-ci ne soit pas analysé par le juge entache d’irrégularité sa décision, du moins lorsque les moyens qui y sont contenus ont été valablement avancés par les parties.
Par ailleurs, commet une erreur de droit la juridiction administrative qui tient pour définitif un jugement de TGI alors que celui-ci est frappé d’appel, lequel est suspensif en procédure civile.
(24 juillet 2019, Époux X., n° 419598)
97 - Demande de production d’un mémoire récapitulatif – Non-respect du délai imparti – Désistement d’office – Étendue du contrôle exercé par le juge de cassation – Principe et exception – Cassation avec renvoi.
Un litige oppose une société contribuable à une métropole au sujet d’une demande de décharge de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères. Le juge ayant demandé la production d’un mémoire récapitulatif (art. R. 221-1 CJA), la requérante a indiqué maintenir ses conclusions et attendre, pour adresser le mémoire récapitulatif demandé, les conclusions du mémoire complémentaire que l’administration fiscale défenderesse avait annoncé produire « prochainement ». Ce nonobstant, ce mémoire complémentaire étant enregistré au greffe le jour de l’expiration du délai pour déposer le mémoire récapitulatif, a été prise une ordonnance donnant acte du désistement d’office de la société requérante.
Le juge de cassation rappelle le principe régissant son contrôle sur une telle ordonnance et l’assortit ici d’une exception particulièrement bien venue. En principe, le contrôle de cassation sur l’ordonnance de désistement d’office porte sur la vérification que l'intéressé a reçu la demande de mémoire récapitulatif (art. R. 611-8-1 du CJA), sur ce que cette demande fixait un délai d'au moins un mois au requérant pour répondre et l'informait des conséquences d'un défaut de réponse dans ce délai, enfin sur ce que le requérant s'est abstenu de répondre en temps utile. Le contrôle de cassation ne va pas au-delà.
Toutefois, et les circonstances de l’espèce le justifient pleinement, le juge de cassation dispose du pouvoir de censurer l'ordonnance qui lui est déférée lorsqu’il a été fait un usage abusif de la faculté ouverte par l'article R. 611-8-1 précité.
(24 juillet 2019, Société Crédit Mutuel Pierre 1, n° 423177)
98 - Société de laboratoire d’analyses médicales – Demande d’option pour le régime d'intégration fiscale (art. 223 A et suivants du CGI) – Refus – Décision faisant grief – Contestation possible du refus par voie de recours pour excès de pouvoir – Annulation de l’arrêt d’appel ayant jugé le contraire – Cassation avec renvoi.
(1er juillet 2019, Société Biomnis, n° 421460) V. n° 28
99 - Référé suspension – Conditions d’octroi – Absence de preuve de l’urgence à statuer – Rejet.
La société requérante a, notamment, saisi le juge d’une demande en référé tendant à la suspension de la décision par laquelle l'Autorité de régulation des jeux en ligne a, d’une part, mis en garde les représentants légaux des opérateurs agréés de jeux et de paris en ligne sur les pratiques illicites des fournisseurs de conseils payants en matière de paris sportifs et les a incités à mettre fin à leurs relations contractuelles avec ces fournisseurs, et d’autre part, précisé que la persistance de telles relations, contraires à l'objet de la loi, pourraient justifier, le cas échéant, une sanction ou la suspension, voire le retrait de l'agrément.
Pour établir l’urgence à statuer la requérante invoque divers motifs notamment celui selon lequel son modèle économique repose, à la fois, sur le produit des abonnements proposés à ses clients pour bénéficier de ses pronostics sportifs et sur les commissions engendrées par les contrats commerciaux qu'elle perçoit des sites de paris en ligne auxquels ses clients sont incités à se reporter. Les trois opérateurs agréés de jeux et de paris en ligne avec lesquels elle avait conclu des relations contractuelles les ayant rompues à la suite des mises en garde de l'Autorité de régulation des jeux en ligne, la société requérante fait valoir que son chiffre d'affaires en a été immédiatement et significativement affecté et devrait décroître de 45% dans les prochains mois, si la situation devait perdurer.
Toutefois, le juge des référés, relevant que la société requérante « n'a produit à l'appui de cette affirmation qu'une unique attestation d'un expert-comptable. Elle n'a pas, ni dans ses écrits en réponse aux observations de l'Autorité de régulation des jeux en ligne soulignant le caractère insuffisamment circonstancié de cette attestation, ni lors du débat contradictoire à l'audience, précisé son chiffre d'affaires et le nombre de ses clients. Elle n'a pas davantage explicité la répartition de son chiffre d'affaires entre les recettes issues des abonnements de ses clients et celles nées des commissions versées par les opérateurs de jeu, alors même que l'Autorité de régulation des jeux en ligne faisait valoir que la part prépondérante des recettes d'opérateurs tels que la société requérante est, en général, issue des abonnements », ne peut que constater l’absence d’établissement de la condition d’urgence, ce qui conduit au rejet de la demande de suspension par voie de référé.
(1er juillet 2019, Société LVN Limited, n° 431306)
100 - Règle du délai raisonnable pour saisir le juge administratif – Durée – Décompte – Point de départ du délai – Absence de décision expresse ou de connaissance acquise – Absence – Annulation du jugement – Cassation sans renvoi.
Est ici cassé un jugement rejetant un recours car intervenu plus de deux ans après la décision attaquée alors que, selon le juge de cassation, la règle du délai raisonnable - soit, normalement, un an - ne court qu'" à compter de la date à laquelle une décision expresse a été notifiée à l'intéressé ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance". Ce n'était pas le cas ici. Statuant au fond, le juge rejette cependant la requête pour irrecevabilité car elle est "dépourvue d'objet".
(31 juillet 2019, M. X., n° 422469)
101 - Répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction – Question préjudicielle – Régime – Étendue de la question posée.
Saisi d’une question préjudicielle sur renvoi de l’autorité judiciaire, le Conseil d’État précise deux points.
Tout d’abord, en vertu de l’art. 49 du code de procédure civile c’est au juge judiciaire saisi d’une question préjudicielle qu’il incombe de saisir lui-même le juge administratif. Ce n’était point le cas en l’espèce où c’est le demandeur qui a saisi la juridiction administrative. Ceci n’est pas considéré comme une erreur procédurale car eu égard au dispositif du jugement, la saisine du juge administratif par M. X. doit être regardée, compte tenu de ses effets qui sont similaires à la mise en œuvre des dispositions de l’art. 49, comme équivalente à la transmission qu'elles organisent. Ensuite, est rappelé l’office du juge de la question préjudicielle. « (…) en vertu des principes généraux relatifs à la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction, il n'appartient pas à la juridiction administrative, lorsqu'elle est saisie d'une question préjudicielle en appréciation de validité d'un acte administratif, de trancher d'autres questions que celle qui lui a été renvoyée par l'autorité judiciaire. Il suit de là que, lorsque la juridiction de l'ordre judiciaire a énoncé dans son jugement le ou les moyens invoqués devant elle qui lui paraissent justifier ce renvoi, la juridiction administrative doit limiter son examen à ce ou ces moyens et ne peut connaître d'aucun autre, fût-il d'ordre public, que les parties viendraient à présenter devant elle à l'encontre de cet acte. Ce n'est que dans le cas où, ni dans ses motifs ni dans son dispositif, la juridiction de l'ordre judiciaire n'a pas limité la portée de la question qu'elle entend soumettre à la juridiction administrative, que cette dernière doit examiner tous les moyens présentés devant elle, sans qu'il y ait lieu alors de rechercher si ces moyens avaient été invoqués dans l'instance judiciaire. »
(10 juillet 2019, M. X., n° 425892)
102 - Délai de recours contre la décision nommant les membres du comité scientifique spécialisé temporaire relatif au Baclofène – Publication sur le site Internet de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) – Point de départ du délai – Forclusion.
Les requérants contestent les décisions réduisant les doses maximales de Baclofène (médicament traitant l’alcoolo-dépendance) pouvant être prescrites. Ils invoquent au soutien de leurs prétentions divers arguments.
De cette décision de rejet on retiendra surtout que la décision par laquelle le directeur général de l'ANSM a nommé les membres du comité scientifique spécialisé temporaire relatif au Baclofène ayant été mise en ligne sur le site internet de l'agence le 28 novembre 2017, cette publication a fait courir le délai de recours de droit commun fixé à deux mois ; celui-ci était donc expiré le 25 juillet 2018, jour de l’enregistrement de la requête au Conseil d’État. Tardives, ces conclusions sont irrecevables.
(8 juillet 2019, Mme X., M. Y.., association Collectif Baclohelp et association Aubes, n° 422582 ; v. aussi du même jour avec mêmes requérants, le n° 426486)
103 - Nomination d’un professeur au Conservatoire national des arts et métiers – Contestation de cette nomination – Moyens invoqués au soutien d’une demande d’annulation d’une décision administrative – Choix en principe par le juge du moyen le plus expédient pour juger le litige – Solution différente lorsque des conclusions à fin d’injonction sont jointes aux conclusions d’annulation.
Rappel d’une récente solution de principe.
Normalement, lorsque le juge de l'excès de pouvoir annule une décision administrative alors que plusieurs moyens sont de nature à justifier l'annulation, il lui revient, en principe, de choisir de fonder l'annulation sur le moyen qui lui paraît le mieux à même de régler le litige, au vu de l'ensemble des circonstances de l'affaire.
Toutefois, lorsque le requérant choisit de présenter, outre des conclusions à fin d'annulation, des conclusions à fin d'injonction tendant à ce que le juge enjoigne à l'autorité administrative de prendre une décision dans un sens déterminé, il incombe au juge de l'excès de pouvoir d'examiner prioritairement les moyens qui seraient de nature, étant fondés, à justifier le prononcé de l'injonction demandée.
(10 juillet 2019, M. X., n° 420754)
104 - Référé suspension – Établissement de crédit – Décision de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) – Procédure disciplinaire – Sanction – Publication de cette décision au registre de l'ACPR pendant cinq ans – Urgence pouvant découler de la gravité de la sanction – Admission du référé.
À la suite d'un contrôle de l'ACPR, la banque requérante, qui a fait alors l’objet d’une sanction disciplinaire, sollicite, en parallèle de son annulation, la suspension de la décision de cette autorité de publier cette sanction à son registre pendant cinq ans sous forme nominative. Outre les moyens d'illégalité, elle soulève le caractère disproportionné de la sanction de publication.
Le Conseil d'État, constatant que le code monétaire et financier (art. L. 612-39) permet que cette sanction ne soit pas publiée "lorsque cette publication serait de nature à perturber gravement les marchés financiers ou à causer un préjudice disproportionné aux parties en cause", et que la commission des sanctions de l’ACPR a fait droit à la demande de la Banque d'Escompte de différer l'exécution de la décision de publication jusqu'à l'intervention de la décision du juge des référés du Conseil d'État, rend une décision audacieuse qui tient dans cette formule : "Il ne peut être exclu que, dans certaines circonstances particulières, la publication sous forme nominative d'une décision de sanction cause à la personne sanctionnée un préjudice d'une telle gravité qu'il pourrait y avoir urgence à suspendre cette publication jusqu'à ce que le juge se soit prononcé au fond."
Ici c'est donc la gravité des effets de la sanction, surtout leur irréversibilité, qui rend urgente la réponse au référé introduit par la banque demanderesse
(7 août 2019, Banque d'Escompte, n° 432874)
105 - Défaut de qualité de la personne prétendant agir au nom d’une personne morale – Moyen fondé – Moyen relevé d’office – Absence – Contradiction entre des rubriques de l’application « SAGACE » relatives à la même affaire – Discordance connue suffisamment à l’avance pour pouvoir être signalée en temps utile – Rejet.
L’Association requérante conteste, par la voie du recours pour excès de pouvoir, l’arrêté préfectoral accordant à une société un permis de construire un parc d’éoliennes et un poste de livraison. Son recours est rejeté en première instance et en appel pour des motifs de procédure.
Tout d’abord, l’association invoquait une discordance figurant sur l’application SAGACE à propos des conclusions du rapporteur public. En effet, cinq jours avant l'audience, figurait, dans cette application informatique, une discordance entre les contenus de la rubrique " sens synthétique des conclusions ", qui portait la mention " rejet au fond ", et la rubrique " sens des conclusions et moyens ou causes retenus ", qui mentionnait le rejet pour " défaut de qualité pour agir ", c'est-à-dire un rejet pour irrecevabilité.
La juridiction d’appel a considéré, d’une part, que la requérante avait ainsi tout de même pu savoir que, pour le rapporteur public, son action devait être rejetée ainsi que le motif du rejet proposé, d’autre part, que s’il estimait obscure la concomitance de ces deux mentions, l’avocat de l’association disposait d’un délai suffisant pour demander des éclaircissements de la part du greffe ou qu’il pouvait, en tout état de cause, déposer une note en délibéré. Le Conseil d’État approuve ce raisonnement.
Ensuite, la requérante a considéré que cette irrecevabilité avait été soulevée d’office par la juridiction dans des conditions procédurales irrégulières. Ceci est rejeté car cette irrecevabilité avait été soulevée en défense par la partie défenderesse et non pas d’office par le juge.
Enfin, au fond, l’introduction de la requête était irrégulière car le prétendu représentant de l’association n’avait point été autorisé à agir en justice et à l’y représenter dans le respect des conditions prévues aux statuts de celle-ci.
(12 juillet 2019, Association de préservation du site d'Octeville-l'Avenel et des communes environnantes, n° 420085)
106 - Moyen nouveau en appel – Moyen fondé sur une cause juridique nouvelle – Irrecevabilité – Exception lorsque ce moyen est d’ordre public – Cassation de l’ordonnance de rejet.
Commet une erreur de droit le juge d’appel qui rejette par ordonnance un appel en ce qu’il est fondé sur un moyen nouveau reposant sur une cause juridique, la légalité externe, qui n’avait pas été développée en première instance où n’avaient été soulevés que des moyens de légalité interne alors que le moyen en cause, à savoir l’incompétence du signataire de la décision attaquée, étant un moyen d’ordre public, peut parfaitement être développé pour la première fois en appel nonobstant la distinction des causes juridiques.
(15 juillet 2019, Mme X., n° 421137)
107 - Contentieux relatif à l’admission à l’aide sociale – Notion – Régime de la compétence juridictionnelle.
La contestation par une personne d’un titre exécutoire émis à son encontre par un département en vue du paiement d’une fraction des frais d’hébergement de son père dans un EHPAD au titre de son obligation alimentaire conduit le Conseil d’État à préciser certains aspects du contentieux de l’admission à l’aide sociale.
En premier lieu, il est jugé que relève de la notion d’admission à l’aide sociale le litige ci-dessus décrit.
Ensuite, le Tribunal des conflits, saisi pour avis, ayant jugé la juridiction judiciaire compétente pour en connaître, le Conseil d’État, d’une part, sur le fondement de l’art. R. 351-5 du CJA qui donne compétence au Conseil d'État pour se prononcer sur des conclusions se rapportant à un litige qui ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, indépendamment des règles relatives aux voies de recours et à la répartition des compétences entre les juridictions administratives, et d’autre part, - alors qu’il avait été saisi par un tribunal administratif -, par application notamment des dispositions de l’art. 32 du décret du 27 février 2015, décide de transmettre le dossier de la procédure au TGI primitivement saisi.
(18 juillet 2019, Mme X. c/ département de la Drôme, n° 419964)
108 - Enregistrement des demandes d'asile – Respect des délais – Moyens mis en œuvre – Mesure d'instruction ordonnée par décision avant dire droit – Moyens insuffisants pour assurer le respect des délais – Injonction – Admission partielle des conclusions de la requête.
L'association requérante avait saisi le Conseil d'État du non-respect par l'administration, sur l'ensemble du territoire national, des délais d'enregistrement des demandes d'asile fixés à l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), lesquels résultent d'ailleurs de l'article 6 de la directive 2013/32/UE du 26 juin 2013 relative aux procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale.
Par un arrêt avant dire droit le Conseil d'État avait demandé aux autorités concernées "de produire tous éléments susceptibles de (lui) permettre, d'une part, d'apprécier si les délais fixés à l'article L. 741-1 (du CESEDA) sont désormais respectés, d'autre part, de connaître l'ensemble des mesures prises depuis la décision attaquée afin de garantir le respect de ces délais."
Au reçu des informations ainsi exigées, le Conseil d'État constate que si des améliorations certaines ont été apportées par rapport à la situation antérieure, ces évolutions favorables, "dans une part substantielle des guichets, (...) n'ont pas permis d'assurer le respect des délais prescrits par l'article L. 741-1 du code, sans qu'il soit établi que le non-respect de ces délais soit dû à des circonstances purement locales propres à l'organisation ou au fonctionnement de chaque guichet." En conséquence, il enjoint au ministre de l'intérieur de prendre, dans les six mois, les mesures adéquates pour assurer dans tous les guichets le respect des délais d'enregistrement des demandes d'asile.
En revanche, la requête est rejetée, d'une part en ce qu'elle est également dirigée contre une décision du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, lequel n'a pas compétence pour édicter des décisions en cette matière, d'autre part et surtout, en ce qu'elle comporte une liste détaillée des mesures devant être prises, cette prérogative relevant du pouvoir des seules autorités administratives sauf s'agissant d'une mesure qui " se révélerait nécessaire à la satisfaction de l'exigence en cause et où l'abstention de l'autorité compétente exclurait, dès lors, qu'elle puisse être satisfaite".
(31 juillet 2019, Association "La Cimade", n° 410347)
109 - Référé suspension – Requête d'appel – Obligation d'un exposé sommaire des faits et moyens – Absence en l'espèce – Rejet.
Rappel d'un principe constant, qu'énonce l'art. R. 522-1 du CJA s'agissant des procédures d'urgence, celui de l'obligation qu'une requête doit comporter au moins l'exposé sommaire des faits et moyens. Son absence permet son rejet selon la procédure expéditive de droit commun.
(29 juillet 2019, Mme X., n° 433030)
110 - Sens des conclusions du rapporteur public – Obligation de communication aux parties – Communication un dimanche pour une audience se tenant le mardi suivant – Délai raisonnable – Rejet.
Il est jugé, mais on peut avoir une opinion différente, qu'"en indiquant aux parties un dimanche qu'il conclurait, lors de l'audience prévue le mardi suivant à 10 h devant une cour administrative d'appel, au rejet au fond de la requête, le rapporteur public les a informées, dans un délai raisonnable avant l'audience, du sens de ses conclusions en indiquant les éléments du dispositif de la décision qu'il comptait proposer à la formation de jugement d'adopter. "
(31 juillet 2019, Mme X., n° 416186 ; dans le même sens, du même jour : Société Photosol, n° 418739, où il est jugé que la mise en ligne du sens des conclusions, à 10h30, la veille du jour de l'audience, fixée à 9h30, n'est pas irrégulière ayant été effectuée dans délai raisonnable...)
Professions réglementées
111 - Ordre professionnel – Médecins - Procédure disciplinaire – Dépôt d’une plainte – Intérêt à se pourvoir en cassation – Existence.
Le juge déduit de la combinaison, d’une part, des dispositions de l'art. L. 4123-2 du code de la santé publique (" Lorsqu'une plainte est portée devant le conseil départemental, son président en accuse réception à l'auteur, en informe le médecin, le chirurgien-dentiste ou la sage-femme mise en cause et les convoque dans un délai d'un mois à compter de la date d'enregistrement de la plainte en vue d'une conciliation. En cas d'échec de celle-ci, il transmet la plainte à la chambre disciplinaire de première instance avec l'avis motivé du conseil dans un délai de trois mois à compter de la date d'enregistrement de la plainte, en s'y associant, le cas échéant. (...) "), et d’autre part, de celles du VI de l'art. L. 4122-3 du même code (" VI.- Peuvent faire appel, outre l'auteur de la plainte et le professionnel sanctionné, le ministre chargé de la santé, le directeur général de l'agence régionale de santé, le procureur de la République, le conseil départemental ou territorial et le Conseil national de l'ordre intéressé ".), que l'auteur d'une plainte a ainsi la qualité de partie à l'instance disciplinaire introduite par sa plainte. Il s’ensuit qu’il a donc qualité, malgré le silence du texte, pour se pourvoir en cassation.
Cette décision, où triomphent logique et bon sens, doit être pleinement approuvée
(1er juillet 2019, Section, M. X., n° 411263 et Mme Y., n° 411302, deux espèces ; v. aussi du même jour : Section, Mme X., n°420987)
112 - Ordre professionnel – Médecins – Sanction disciplinaire – Obligation de prudence et de souci de répercussion des propos tenus – Notoriété de l’auteur de ces propos – Qualification inexacte des faits par l’instance disciplinaire – Annulation.
Un médecin spécialiste réputé, professeur de faculté de médecine, tient des propos très critiques et d’une grande virulence à l’encontre de la vaccination massive des enfants contre le papillomavirus. Ses propos sont très largement diffusés y compris dans le public non spécialiste, notamment les parents de jeunes filles. Le conseil national de l’ordre des médecins a porté plainte contre l’intéressé devant la chambre disciplinaire de première instance de Languedoc-Roussillon de l'ordre des médecins ; celle-ci lui a infligé la sanction de la radiation. Sur appel du médecin sanctionné, la chambre disciplinaire nationale a annulé la décision de première instance et rejeté la plainte du conseil national. Ce dernier se pourvoit.
Accueillant le pourvoi, le Conseil d’État juge que le médecin, par la teneur et la violence de ses propos comme par leur très large diffusion et l’initiative du lancement d’une pétition contre le recours à ce vaccin, a manqué à son obligation de prudence et de souci de répercussion des propos tenus notamment auprès du public non averti. En conséquence, en annulant la sanction qui lui a été infligée en première instance et en rejetant la plainte du conseil national de l’ordre des médecins, la chambre disciplinaire nationale a entaché ses décisions d’erreur de droit justifiant le pourvoi introduit contre celle-ci. Elle devra revoir sa copie.
(24 juillet 2019, Conseil national de l’ordre des médecins, n° 423628)
113 - Ordre professionnel – Masseurs-kinésithérapeutes – Avenant à la convention nationale destinée à organiser les rapports entre les masseurs-kinésithérapeutes et l'assurance maladie – Demande d’annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale approuvant cet avenant – Rejet pour l’essentiel.
L'approbation tacite de l'avenant n° 5 à la convention nationale des masseurs-kinésithérapeutes du 3 avril 2007 a donné lieu à un important contentieux dont on ne retient ici que certains éléments.
En premier lieu, le respect des obligations de certification et de publicité des comptes auxquelles les syndicats ou associations professionnelles de personnes exerçant la même profession libérale sont soumis (cf. art. L. 2131-2, L. 2135-1 et L. 2135-5 du code du travail) est un élément d'appréciation de l'indépendance financière des organisations habilitées à participer aux négociations conventionnelles, il n’est en revanche pas une condition de leur représentativité, étant rappelé que les critères de représentativité fixés à l’art. L. 2121-1 du même code ne sont pas applicables à de telles organisations.
En deuxième lieu, s’agissant d’assurer le respect de l'ensemble des critères définis par la convention pour l'examen des demandes de conventionnement, cette compétence revient au directeur de la caisse primaire d'assurance maladie. Il lui appartient de fixer, dans le cadre de l'exercice des compétences qui lui sont propres, des orientations et une procédure d'examen des demandes de nature à garantir le respect du principe d'égalité, en particulier en cas de demandes concurrentes, ainsi que la transparence des conditions d'accès au conventionnement en zone sur-dotée.
En troisième lieu toutefois, l’avenant litigieux ne pouvait pas subordonner la conclusion d'un contrat d'exercice temporaire à une autorisation du conseil départemental de l'ordre dans le ressort duquel se situe la zone concernée, car, par-là, cet avenant ne se borne pas à rappeler les dispositions de l'article R. 4321-129 du code de la santé publique puisque celles-ci n'imposent une telle autorisation pour l'ouverture d'un lieu d'exercice supplémentaire que lorsque le masseur-kinésithérapeute a déjà un cabinet secondaire. Or aucune disposition ne donnait compétence aux parties à la convention pour attribuer une telle mission aux conseils départementaux de l'ordre. Par suite, le point 1.2.4. de l'avenant est illégal en tant qu'il prévoit que le masseur-kinésithérapeute qui souhaite conclure un contrat d'exercice temporaire doit obtenir l'autorisation du conseil départemental de l'ordre du lieu d'exercice envisagé.
(10 juillet 2019, Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes, n° 419585 ; Syndicat des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs des Landes et Syndicat des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs des Bouches-du-Rhône, n° 419614 ; Fédération française des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs, n° 419673, trois requêtes jointes)
114 - Ordre professionnel – Vétérinaires – Procédure disciplinaire – Respect des droits de la défense et du principe du contradictoire – Délai suffisant pour organiser sa défense - Principe de l’égalité des armes – Délivrance de copies écrites ou électroniques de pièces du dossier aux frais du demandeur – Absence d’atteinte à ce principe – Rejet.
La société requérante demande au Conseil d’État d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2017-514 du 10 avril 2017 relatif à la réforme de l'ordre des vétérinaires en tant qu’il modifie les conditions d'inscription au tableau de l'ordre des vétérinaires et réforme l'organisation du système disciplinaire ainsi que la procédure applicable devant les chambres régionales de discipline.
La critique porte, pour l’essentiel, sur deux points.
En premier lieu est prétendu illégal l’art. 7 du décret duquel il résulte que le vétérinaire poursuivi n'a la possibilité de consulter le dossier d'instruction déposé au greffe de la chambre régionale de discipline qu'après avoir reçu la convocation prévue au même article, laquelle est susceptible de ne lui être communiquée, si le plus court délai est retenu, que quinze jours avant l'audience. Pour rejeter cet argument, le juge relève tout d’abord que dans certains cas ce délai peut s’avérer suffisant et que, dans les cas où il s’avérerait insuffisant, « le respect des droits de la défense et du principe du caractère contradictoire de la procédure imposent, en toute circonstance, au secrétaire général en charge du greffe de la chambre régionale de discipline, en tenant compte de l'ensemble des échanges qui ont été nécessaires pendant la phase d'instruction, de mettre à même, le vétérinaire poursuivi et les autres parties de disposer d'un délai de consultation suffisant. ». Le texte litigieux n’est ainsi sauvé de la censure que par son audacieuse réécriture prétorienne, procédé dont on sait qu’il est souvent utilisé par le juge administratif.
En second lieu, est également critiquée la légalité de ce même article en tant qu’il prévoit que la délivrance de copies écrites ou électroniques de pièces du dossier s'effectue aux frais du demandeur, ce qui serait contraire au principe de l’égalité des armes. Là encore le texte est sauvé de la censure par le Conseil d’État, celui-ci observant, d’une part, que « cet établissement de copies à titre onéreux n'est pratiqué qu'à la demande des parties et, d'autre part, (que) le montant pratiqué ne saurait excéder le coût des frais effectivement exposés par les greffes des chambres disciplinaires. ». Cette condition de prix raisonnable, pure invention prétorienne, si elle rend légale la disposition critiquée ligote les juridictions ordinales concernées.
(10 juillet 2019, Société Sudelvet Conseil, n° 411438)
115 - Ordre professionnel – Chirurgien-dentiste – Procédure disciplinaire – Sanction infligée sans mentionner les dispositions méconnues du code de la santé publique – Cassation avec renvoi.
Est irrégulière et doit être cassée la décision d’une chambre disciplinaire nationale d’un ordre professionnel qui se borne, pour justifier la sanction qu’elle inflige, « à faire une référence générale au code de la santé publique dans ses visas et à relever dans ses motifs que le comportement du praticien relevait d'une attitude générale de harcèlement moral, sans préciser les dispositions du code de la santé publique dont elle considérait qu'elles avaient été, par de tels agissements, méconnues ».
On peut trouver la solution un peu sévère.
(24 juillet 2019, M. X., n° 410982)
116 - Ordre professionnel – Pharmaciens – Cession de laboratoires – Modification de la législation entre le jour du protocole de cession sous condition suspensive et le jour de l’assemblée générale confirmative - Sanction pour non-respect de la loi – Art. 1179 code civil – Effet rétroactif de la réalisation de la condition suspensive – Cassation avec renvoi.
Un laboratoire d'analyses médicales (CBCV) et un laboratoire de biologie médicale (CHB) ont conclu un protocole de cession, le 21 mars 2013, prévoyant l'acquisition par CBCV de la totalité des actions de CHB sous un certain nombre de conditions. Ces conditions ont été réalisées lors d'une assemblée générale de la société CHB, tenue le 27 juin 2013. Entre la date du protocole et celle de l’assemblée générale intervient la loi du 30 mai 2013 portant réforme de la biologie médicale. Se fondant sur cette dernière loi, l’ordre des pharmaciens poursuit disciplinairement les responsables de ces deux entités pour méconnaissance de certaines de ses dispositions.
Pour casser la décision de sanction prise par le conseil national de l’ordre, le Conseil d’État rappelle qu’aux termes de l’art. 1179 du code civil, dans les contrats conclus, comme en l’espèce, sous condition suspensive, " La condition accomplie a un effet rétroactif au jour auquel l'engagement a été contracté ". Il en résulte que si la condition suspensive contenue dans le protocole du 21 mars 2013 a été réalisée par l’assemblée générale du 27 juin suivant c’est avec effet rétroactif au 21 mars soit antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 30 mai 2013, laquelle ne peut donc pas servir de base légale à la sanction que le conseil national de l’ordre des pharmaciens a cru devoir infliger aux requérantes. La cassation était inéluctable.
(24 juillet 2019, Mme X., n° 414150 et Mme Y., n° 414154)
Question prioritaire de constitutionnalité
117 - Lutte contre la fraude fiscale – Art. L. 228 LPF – Circulaire interministérielle en éclairant la portée – Principe d’égalité devant la loi – Moyen pouvant être regardé comme présentant un caractère sérieux – Renvoi au Conseil constitutionnel.
L’article L. 228 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction issue de la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, impose à l'administration de dénoncer au procureur de la République les faits l'ayant conduit à établir des redressements portant sur des droits d'un montant supérieur à 100 000 euros et ayant donné lieu à l'application de la majoration de 100 % pour opposition à contrôle fiscal, de la majoration de 80 % pour découverte d'activités occultes, abus de droit, manœuvres frauduleuses, défaut de déclaration, présomption de revenus en fonction du niveau de vie ou, en cas de réitération, de la majoration de 40 % pour défaut de production, manquement délibéré ou abus de droit lorsqu'il n'est pas établi que le contribuable a eu l'initiative principale du ou des actes constitutifs de l'abus de droit ou en a été le principal bénéficiaire.
Or, si les faits ainsi dénoncés peuvent donner lieu à mise en mouvement de l'action publique sans plainte préalable de l'administration, en revanche, s’agissant des faits autres que ceux qui viennent d'être mentionnés, ils ne peuvent donner lieu à engagement de poursuites pour fraude fiscale que sur plainte de l'administration fiscale, après avis conforme de la commission des infractions fiscales.
L’association requérante soutient que ces dispositions portent atteinte au principe d'égalité devant la loi, énoncé à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, fondant ainsi sa question prioritaire de constitutionnalité. Le Conseil d’État renvoie au Conseil constitutionnel la question ainsi justifiée.
(1er juillet 2019, Association française des entreprises privées, n° 429742)
118 - Urbanisme - Faculté pour le juge administratif de surseoir à statuer sur un recours dirigé contre certains actes du droit de l’urbanisme afin d’en permettre la régularisation – Refus de renvoyer une QPC sur cette faculté.
Le syndicat requérant a assorti sa demande d’annulation des permis de construire et d'aménager un complexe sportif d’une QPC concernant la constitutionnalité de l’art. L. 600-5-1 du code de l’urbanisme au regard des droits et libertés garantis par la Constitution.
Le Conseil d’État, sans grande surprise puisqu’il est plus ou moins à l’origine de cette disposition, rejette la demande renvoi de la QPC.
Cet article permet au juge administratif, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable, s’il estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé, surseoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation, même après l'achèvement des travaux.
En effet, cette disposition suppose qu’une régularisation est possible à la date à laquelle le juge se prononce ; la décision du juge invitant à régulariser est soumise au contradictoire des parties. De plus, elle ne porte atteinte ni à la substance du droit au recours ni à aucun des droits appartenant aux requérants ; elle n’affecte pas non plus le droit de contester un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou une décision de non-opposition à déclaration préalable. Aucun des droits constitutionnels invoqués à l’encontre de cet article (égalité devant la loi, droits de la défense droit à un procès équitable, droit de propriété) n’est susceptible d’être violé par le texte attaqué.
(24 juillet 2019, Syndicat des copropriétaires de l'ensemble immobilier sis 86 à 94 rue Gutenberg à Palaiseau, n° 430473)
119 - Exploitation illicite d’une surface commerciale – Art. L. 752-23 du code de commerce – Pouvoir du préfet d’imposer une astreinte administrative –Atteinte au principe de clarté et à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi – Rejet de la demande renvoi d’une QPC.
Le Conseil d’État rappelle ici que : « la méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ne peut, en elle-même, être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution. »
(24 juillet 2019, Société SOTOURDI, n° 430770)
120 - Manquements aux articles L. 3171-2 et D. 3171-8 du code du travail – Possibilité d’une sanction administrative ou d’une sanction pénale (art. L. 8115-1 code du travail) – Faculté pour l’agent de contrôle de dresser un procès-verbal à l'attention du procureur de la République ou d'adresser un rapport à l'autorité administrative compétente – QPC – Rejet.
L’art. R. 3173-2 du code du travail dispose que : « Le fait de méconnaître les dispositions (...) de l'article L. 3171-2 relatives au contrôle de la durée du travail, est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe. / Cette amende est appliquée autant de fois qu'il y a de personnes employées dans des conditions susceptibles d'être sanctionnées au titre des dispositions de cet article ».
L’agent de contrôle de l’inspection de travail qui constate l’infraction peut, s'il n'a pas dressé un procès-verbal à l'attention du procureur de la République, adresser un rapport à l'autorité administrative compétente pour prononcer les sanctions administratives applicables, ces dispositions ne font pas obstacle à la faculté pour le ministère public, qui doit être informé des procédures administratives engagées en application de l'article L. 8115-2 du même code, de diligenter des poursuites pénales, s'il l'estime nécessaire.
Le Conseil d’État rejette la demande de renvoi d’une QPC formée par la société demanderesse au motif qu’« en laissant à l'agent de contrôle la possibilité de dresser un procès-verbal à l'attention du procureur de la République ou d'adresser un rapport à l'autorité administrative compétente, les dispositions critiquées ne portent pas atteinte, par elles-mêmes, au principe d'égalité devant la loi. ». Cette affirmation nous semble discutable.
(24 juillet 2019, Société La Poste, n° 431243)
121 - Étranger, ressortissant extra-communautaire, entrant en France sans les documents administratifs requis –Sanction susceptible d'être infligée à l'entreprise de transports (art. L. 625-1, L. 621-4 et L. 621-5 du CESEDA) – Dispositions examinées par le Conseil constitutionnel mais non déclarées conformes à la Constitution par celui-ci – Atteintes à des droits et libertés garantis par la Constitution – Moyens de caractère sérieux – Renvoi de la QPC au C.C.
La compagnie aérienne requérante a été sanctionnée, sur le fondement de l’art. L. 625-1 du CESEDA (mettant en œuvre l’art. 26 de la convention d'application de l'accord de Schengen) par des amendes pour n'avoir pas (ou avoir mal) exercé son obligation de contrôler la possession par les voyageurs extra-communautaires du document de voyage et, le cas échéant, du visa requis. La question posée par la requérante présente un caractère nouveau s'agissant du contrôle constitutionnel de dispositions législatives qui se bornent à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises de la convention de Schengen.
De plus, la question revêt un caractère sérieux en tant qu’il est soutenu que la disposition législative querellée porterait atteinte aux droits et libertés garantis par l’art. 12 de la Déclaration de 1789.
(31 juillet 2019, Société Air France, n° 427744)
122 - Sanctions des sportifs reconnus coupables de dopage – Interdiction d’enseigner, animer ou encadrer l’activité physique ou sportive ayant donné lieu à l’infraction ou entraîner ses pratiquants – Sanction ni inadéquate ni disproportionnée – Refus de renvoyer la QPC.
La requérante, au soutien de sa demande de renvoi d’une QPC, prétendait que les dispositions du d) du 1° du I de l'article L. 232-23 du code du sport en tant qu'elles prévoient la sanction de l'interdiction d'exercer les fonctions définies à l'article L. 212-1 du même code à l'encontre des sportifs ayant enfreint les dispositions de l'article L. 232-9 de ce code sont contraires aux principes constitutionnels de nécessité des peines et de liberté d'entreprendre, garantis respectivement par les articles 8 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Pour refuser ce renvoi le Conseil d’État juge, et doit en être approuvé, que : « Ces dispositions ont pour objectifs d'intérêt général la protection de la santé des sportifs ainsi que la garantie de l'équité et de l'éthique des compétitions sportives. La protection des pratiquants d'une activité physique ou sportive contre le dopage justifie qu'un sportif sanctionné pour dopage ne puisse enseigner, animer ou encadrer cette activité physique ou sportive ou entraîner ses pratiquants. Ainsi cette sanction n'est pas manifestement inadéquate ou disproportionnée au regard de ces objectifs d'intérêt général, les dispositions des articles L. 232-23-3-5 et L. 232-23-3-10 du code du sport permettant à la commission des sanctions de l'Agence française de lutte contre le dopage de prendre en compte la gravité du manquement ainsi que le comportement du sportif poursuivi et les circonstances particulières de l'affaire au regard du principe de proportionnalité lorsqu'elle décide du quantum de la sanction. »
(18 juillet 2019, Mme X., n° 430133)
123 - Fixation des droits d’inscription, de scolarité, d'examen, de concours et de diplôme dans les établissements de l’État – Loi de finances pour l'exercice 1951 du 24 mai 1951 (art. 48) – Droits universitaires – Atteinte au Préambule de la Constitution de 1946 – Renvoi d’une QPC.
Il est jugé qu’est de caractère sérieux la question de savoir si la loi de 1951 qui confère au ministre de l’éducation ou à celui de l’enseignement supérieur le pouvoir de fixer les droits d’inscription notamment dans l’enseignement supérieur ne porte pas atteinte aux dispositions du treizième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, aux termes duquel : " La Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'État ".
(24 juillet 2019, Association Union nationale des étudiants en droit, gestion, AES, sciences économiques, politiques et sociales, n° 430121)
Responsabilité
124 - Responsabilité hospitalière – Rôle causal d’une faute médicale retenu pour 30% dans la survenance du décès – Même taux appliqué aux préjudices autres que ceux liés au décès – Erreur de droit – Cassation partielle avec renvoi.
Commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui, ayant souverainement retenu que la faute commise lors de la réalisation d’une ponction lombaire, en faisant obstacle au traitement de la maladie hématologique dont était atteinte la victime, avait entraîné une perte de chance de survie qu'elle a évaluée à 30 %, l’applique à la fois aux préjudices liés au décès (frais funéraires, préjudices d'affection des enfants et petits-enfants de la victime) et à ceux non liés au décès (frais de médecin conseil et d'assistance à expertise, frais liés au handicap, souffrances physiques et morales de la victime, déficit fonctionnel temporaire jusqu’au 23 juin 2011, déficit fonctionnel permanent à compter de cette dernière date, préjudice esthétique et troubles dans les conditions d'existence de la victime ainsi que le préjudice moral de son épouse).
(8 juillet 2019, Mme X. et autres, n° 418675)
125 - Permis de construire illégal – Annulation – Régularisation – Invocation de préjudices liés à cette illégalité – Réparation – Conditions – Cassation partielle avec renvoi.
Un couple a contesté un permis de construire accordé à un Office public d’aménagement et de construction ; après son annulation par la cour administrative d’appel, est délivré un permis de régularisation annulé par un jugement devenu définitif. Le couple demande réparation de préjudices qu’il estime liés à l’octroi d’un permis illégal.
Le juge rappelle que ne sont des préjudices directs d’un permis de construire illégal que ceux résultant seulement de ce permis et de son caractère illégal ; ainsi, n’en sont pas les dommages résultant des conditions dans lesquelles ont été conduits les travaux de construction.
De plus, les tiers à un permis de construire illégal peuvent rechercher la responsabilité de la personne publique au nom de laquelle a été délivré le permis, si le projet de construction est réalisé.
Ils ont droit, sous réserve du cas dans lequel le permis a été régularisé, à obtenir réparation de tous les préjudices qui trouvent directement leur cause dans les illégalités entachant la décision.
En particulier, il est ici décidé - et c’est là une certaine inflexion jurisprudentielle - que la perte de valeur vénale des biens des demandeurs constitue un préjudice actuel susceptible d'être indemnisé, sans qu'ait d'incidence la circonstance qu'ils ne feraient pas état d'un projet de vente desdits biens.
(24 juillet 2019, M. et Mme X., n° 417915)
126 - Accident survenu à un enfant jeune – Impossibilité d’être scolarisé – Impossibilité d’exercer une activité professionnelle – Réparation – Détermination du calcul et des modalités de l’indemnisation – Cassation partielle avec renvoi.
Il résulte des conditions de sa naissance dans un CHU et des graves séquelles qui en ont résulté qu’un enfant n’a pu, dès son jeune âge, être scolarisé et qu’il ne peut davantage exercer une quelconque activité professionnelle. Se posait en l’espèce d’importantes questions de réparation des préjudices subis et à venir desquelles deux sont retenues ci-après en ce qu’elles constituent un revirement de jurisprudence par rapport à l’arrêt du 28 avril 1978, Borras (n° 4225, Rec. T. p. 941-943-945).
Le juge distingue entre les préjudices professionnel et scolaire.
S’agissant du préjudice professionnel, le Conseil d’État énonce dans une formulation de principe : « Lorsque la victime se trouve, du fait d'un accident corporel survenu dans son jeune âge, privée de toute possibilité d'exercer un jour une activité professionnelle, la seule circonstance qu'il soit impossible de déterminer le parcours professionnel qu'elle aurait suivi ne fait pas obstacle à ce que soit réparé le préjudice, qui doit être regardé comme présentant un caractère certain, résultant pour elle de la perte des revenus qu'une activité professionnelle lui aurait procurés et de la pension de retraite consécutive. Il y a lieu de réparer ce préjudice par l'octroi à la victime, à compter de sa majorité et sa vie durant, d'une rente fixée sur la base du salaire médian net mensuel de l'année de sa majorité et revalorisée par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale. Doivent être déduites de cette rente les sommes éventuellement perçues par la victime au titre de l'allocation aux adultes handicapés. »
S’agissant du préjudice de privation de scolarité, le juge opère une distinction entre la part patrimoniale et la part personnelle de ce préjudice. La part patrimoniale, - qui tient à l'incidence de l'absence de scolarisation sur les revenus professionnels -, est réparée par l'allocation de la rente décrite au point précédent. La part personnelle du préjudice résultant pour la victime du fait d’avoir été « privée de toute possibilité d'accéder à une scolarité, la seule circonstance qu'il soit impossible de déterminer le parcours scolaire qu'elle aurait suivi ne fait pas davantage obstacle à ce que soit réparé le préjudice ayant résulté pour elle de l'impossibilité de bénéficier de l'apport d'une scolarisation. »
En conséquence de ces prémisses, le juge fixe les bases de calcul des divers chefs d’indemnisation.
(24 juillet 2019, Mme X., tutrice légale de son fils majeur, n° 408624)
Santé publique
127 - Police sanitaire – Mise en vente sans autorisation ou autre de dispositifs médicaux – Fait justifiant ipso facto une mesure de retrait – Exception lorsqu’aucun risque n’est encouru pour la santé des patients – Annulation de l’ordonnance de référé attaquée.
(1er juillet 2019, Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, n° 427413) V. n° 80
128 - Bioéthique – Recherches sur les embryons ou les cellules souches – Obligations de l’Agence de biomédecine – Recueil obligatoire du consentement du couple auteur des embryons – Autorisation du protocole de recherche – Obligations limitées en ce cas de l’Agence de biomédecine.
Saisie par la Fondation requérante d’un appel dirigé contre un jugement rejetant son recours en annulation de la décision du 10 octobre 2016 par laquelle l'Agence de la biomédecine a autorisé, pour une durée de cinq ans, le renouvellement de l'autorisation du protocole de recherche de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale portant sur les cellules souches embryonnaires humaines ayant pour finalité l'étude des rôles physiopathologiques de la protéine APC (adenomatous polyposis coli), une cour administrative renvoie au Conseil d’État deux questions pour avis de droit.
En premier lieu, « l’Agence de biomédecine doit-elle, avant d'autoriser un protocole de recherche sur des cellules souches embryonnaires dérivées en France, vérifier que le consentement écrit et préalable du couple dont les embryons sont issus a été donné ? »
En second lieu, « En cas de réponse affirmative à la question précédente, la simple production de modèles types d'information du couple géniteur et de recueil de son consentement non remplis ni signés et d'une attestation de l'organisme fournisseur des embryons, certifiant s'engager à ne fournir(…) que des embryons conçus dans le respect des conditions législatives fixées notamment par les articles L. 2141-1 et suivants du code de la santé publique, sans toutefois justifier du recueil préalable du consentement des couples donneurs, est-elle suffisante au regard du respect des principes éthiques relatifs à la recherche et aux cellules souches embryonnaires rappelés par la décision du Conseil constitutionnel n° 2013-674 DC du 1er août 2013 ? »
Le Conseil d’État, s’il se montre ferme dans sa réponse à la première question, est moins disert sur la seconde question à laquelle il estime n’avoir pas à répondre compte-tenu des termes de sa réponse à la première des deux questions posées.
Selon le Conseil d’État, (…) « le principe selon lequel aucune recherche sur l'embryon humain ou sur les cellules souches embryonnaires humaines ne peut être menée sans le consentement écrit préalable des membres du couple dont l'embryon est issu, ou du membre survivant de ce couple, est au nombre des conditions légales auxquelles une telle recherche est subordonnée et dont la méconnaissance est pénalement sanctionnée. Il fait partie des principes éthiques relatifs à la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires auxquels fait référence le 4° du I de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique. (C’est pourquoi,) il incombe à l'Agence de la biomédecine de veiller, notamment à l'occasion des inspections qu'elle diligente, au respect de cette condition de consentement et de suspendre ou de retirer l'autorisation accordée à une recherche qui serait menée en méconnaissance de ce principe. »
Toutefois, le juge estime que « le recueil effectif des consentements individuels (…), qui peut être postérieur à l'autorisation du protocole de recherche, n'a pas à être vérifié lors de cette autorisation ; l'Agence de la biomédecine peut accorder celle-ci dès lors que sont satisfaites, outre les conditions fixées aux 1° à 3° du I (de l’article L. 2151-5 précité), celle fixée à son 4°, selon laquelle tant le projet que les conditions de mises en œuvre du protocole respectent les principes éthiques relatifs à la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires. A ce titre, l'Agence de la biomédecine doit s'assurer des dispositions prises en vue de garantir le respect effectif, lors de la mise en œuvre du protocole, de la condition de consentement préalable. Elle doit, à cette fin, avoir connaissance, d'une part, de la lignée de cellules souches embryonnaires ou de l'origine des embryons sur lesquels la recherche sera entreprise et, d'autre part, de la personne autorisée à les conserver ou à pratiquer le diagnostic préimplantatoire ou titulaire d'une autorisation d'importation de cellules souches embryonnaires auprès de laquelle leur remise a été sollicitée. Enfin, à moins d'être à même de vérifier la condition de consentement préalable dès la date de sa décision, notamment au vu d'une autorisation d'importation ou de recherche précédemment accordée pour la lignée de cellules souches embryonnaires sur laquelle portera la recherche, l'agence doit avoir connaissance des engagements pris en vue du respect de cette condition par la personne auprès de laquelle la remise a été sollicitée. Pour permettre à l'agence d'apprécier les conditions dans lesquelles le consentement est ou sera obtenu, le responsable de la recherche doit produire les documents utilisés aux fins d'information du couple et de recueil de son consentement, mais non les consentements eux-mêmes. »
(5 juillet 2019, Fondation Jérôme Lejeune, n° 428838 ; Fondation Jérôme Lejeune, n° 428841, deux espèces jointes)
Travaux publics
129 - Dommages de travaux publics – Responsabilité du maître de l’ouvrage –Ouvrages sous sa garde – Causes d’exonération – Vétusté d’un bien – Faute de la victime – Absence – Confirmation de l’arrêt d’appel pour l’essentiel.
Dans un litige en réparation des préjudices subis du fait du dysfonctionnement d’un réseau communal d'eaux pluviales, le Conseil d’État fait un rappel et apporte une utile précision.
En premier lieu, il est rappelé que « Le maître de l'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure, sans pouvoir utilement invoquer le fait du tiers. »
En second lieu, était en cause en l’espèce la vétusté d’une maison ayant eu un effet aggravant du dommage. Le Conseil d’État approuve la cour administrative d’appel d’avoir jugé que la vétusté d’un immeuble ne constitue pas une faute de la victime.
(24 juillet 2019, Mme X. c/ Commune de Châteauneuf-de-Gadagne, n° 412453)
Urbanisme
130 - Permis de construire – Transfert de permis – Permis modificatif – Clôture de l’instruction – Communication postérieure à la clôture – Caractère facultatif de la réouverture de l’instruction – Communication contenant une circonstance de fait ou un élément de droit nouveau ignoré des parties – Obligation de rouvrir l’instruction – Annulation.
En principe, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, le juge administratif a toujours la faculté de rouvrir l'instruction lorsqu'il est saisi d'une production postérieure à la clôture de celle-ci. Cependant, lorsque cette production contient l'exposé d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et qui est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire, le juge doit alors en tenir compte, à peine d'irrégularité de sa décision.
En l’espèce, alors que l’instruction était close, a été produit un avis officiel rendu postérieurement par le chef du bureau prévention de la préfecture de police, énonçant notamment que la construction projetée concourait à la sécurité des occupants et permettait la mise en œuvre des matériels des sapeurs-pompiers, le juge s’est abstenu de rouvrir l'instruction. Or il résulte de son contenu même que cette production contenait l'exposé d'une circonstance de fait dont les parties n'étaient pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et qui était susceptible, eu égard au motif d'annulation retenu, exclusivement tiré de l'erreur manifeste d'appréciation qu'aurait commise le maire en considérant que le projet litigieux satisfaisait aux exigences de l'art. R. 111-2 du code de l'urbanisme, d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire, le tribunal administratif a statué au terme d'une procédure irrégulière.
(1er juillet 2019, Société Aurèle, syndicat des copropriétaires du 6, impasse Cordon-Boussard, M. X. et autres, n° 418110 et Ville de Paris, n° 418659)
131 - Plan local d’urbanisme – Délibération d’un conseil municipal modifiant le plan local d’urbanisme (PLU) – Compétence en matière de PLU transférée à une métropole – Régime contentieux d’un recours introduit avant le transfert de compétence mais d’un appel formé postérieurement à celui-ci – Recevabilité de l’appel de la commune – Erreur de droit de l’arrêt d’appel en ce qu’il déclare irrecevable l’appel introduit par la commune – Cassation avec renvoi.
(12 juillet 2019, Commune de Corenc, n° 418818) V. n° 16
132 - Logements sociaux – HLM – Obligations imposées aux communes – Exemptions – Régimes – Étendue des pouvoirs de l’administration – Contrôle contentieux restreint – Rejet.
La législation sur les logements sociaux, en même temps qu’elle fait obligation aux communes concernées de satisfaire à un quota minimum de tels logements sur leur territoire, a prévu des exemptions dans certains cas déterminés au III de l’art. L. 302-5 du code de la construction et de l’habitation (CCH). Dans les quatre espèces jointes ci-dessous les communes requérantes demandaient l’annulation du refus d’exemption dont elles ont fait l’objet, estimant remplies les conditions exigées pour y être éligibles, telles que fixées aux II et III de l’art. L. 302-9-1-1 du CCH.
Le Conseil d’État rappelle que la circonstance qu’une commune soit éligible à une exemption ne lui confère nullement un droit à l’obtenir car le pouvoir réglementaire peut, tout en s’appuyant éventuellement, en tout ou en partie, sur les critères mentionnés par la Commission nationale (cf. II et III de l’art. L. 302-9-1-1 du CCH), opérer une conciliation entre les intérêts publics attachés à l’existence d’un quota de logements sociaux et les circonstances locales de fait et/ou de droit.
Par ailleurs, le juge n’exerce qu’un contrôle restreint sur la décision administrative d’inscription d’une commune sur la liste des communes exemptées de l’obligation légale.
(1er juillet 2019, Communes d'Agde, n° 418589, de Leucate, n° 418568, de Marseillan, n° 418601, et de Méréville, n° 421747, quatre espèces)
133 - Permis de construire tacite – Notion d’extension autorisée de l'urbanisation – Notion d’urbanisation diffuse – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.
Aux termes du premier alinéa du I de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme, en vigueur à la date du permis de construire litigieux et applicable dans les communes littorales et ultérieurement repris à l'article L. 121-8 du même code : " L'extension de l'urbanisation doit se réaliser soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l'environnement ". Il s’ensuit, positivement, que les constructions peuvent être autorisées dans les communes littorales en continuité avec les agglomérations et villages existants, c'est-à-dire avec les zones déjà urbanisées caractérisées par un nombre et une densité significatifs de constructions ; il en résulte, négativement, qu’aucune construction ne peut être autorisée, même en continuité avec d'autres, dans les zones d'urbanisation diffuse éloignées de ces agglomérations et villages, sous réserve des exceptions prévues.
Or le tribunal administratif, pour rejeter le recours du préfet contre le permis de construire litigieux, avait jugé que la notion d'urbanisation diffuse devait être appréciée en tenant compte de " l'éloignement entre les maisons individuelles inhérent à la taille des parcelles nécessaire" à l'installation de dispositifs d'assainissement non collectif. En conséquence, il a commis une erreur de droit en estimant qu'en l'espèce, compte tenu des superficies nécessaires à l'assainissement individuel, le secteur dans lequel était situé le terrain d'assiette du projet devait être regardé comme densément construit.
(1er juillet 2019, Préfet des Pyrénées-Atlantiques substitué par la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, n° 423400)
134 - Création d’une plate-forme de tri, transit, regroupement et prétraitement de déchets industriels dangereux – Combinaison entre dispositions du droit de l’environnement et dispositions du droit de l’urbanisme – Indépendance des législations – Rejet.
(12 juillet 2019, Association " Sans nature pas de futur " et autres, n° 417177) V. n° 50
135 - Permis de construire – Permis entaché d’un vice susceptible de régularisation – Arrêt exigeant que les travaux réalisés en exécution du permis initial ne soient pas achevés au moment de la régularisation – Absence d’une telle obligation – Annulation sur ce point de l’arrêt d’appel contraire.
Dans un contentieux relatif à un permis de construire et aux conditions de sa régularisation, parmi les divers moyens invoqués, l’un d’eux conduit le juge à un rappel fort opportun concernant les conditions d’application de l’art. L. 600-5-1 du code de l'urbanisme. Cette disposition a pour objet de permettre au juge administratif de surseoir à statuer sur une demande d'annulation d'un permis de construire lorsque le vice entraînant l'illégalité de ce permis est susceptible d'être régularisé.
La question posée était celle de savoir si la circonstance que les travaux découlant du permis initial vicié étaient achevés avait pour effet d’empêcher la régularisation comme l’avait jugé la cour administrative d’appel. Le Conseil d’État répond par la négative : en ce cas, il appartient seulement au juge de rechercher si l'illégalité du permis litigieux était susceptible d'être régularisée indépendamment de l’achèvement ou non des travaux réalisés en exécution du permis initial. La cour a donc, sur ce point, commis une erreur de droit.
Il faut approuver la position de souplesse adoptée par le Conseil d’État car elle est cohérente par rapport à l’objectif de simplification et de réalisme poursuivi par la législation récente de l’urbanisme.
(10 juillet 2019, Commune de Sanary-sur-Mer, n° 408232)
136 - Permis de construire un édifice à usage agricole dans une zone à vocation agricole – Circonstance que la construction sert à d’autres activités – Caractère principal de l’usage agricole – Annulation du permis – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.
Un agriculteur obtient un permis de construire et un permis modificatif pour l’édification d’une serre munie de panneaux photovoltaïques dont une partie de la production d’énergie électrique est destinée à être vendue par la société gestionnaire de cet équipement. Ces permis sont contestés devant le juge administratif qui les annule en première instance, annulation confirmée en appel, au motif que, destinés à autoriser une serre, donc à vocation agricole, ils servent aussi pour l’exercice d’une autre activité.
Le Conseil d’État pose en principe, avec beaucoup de sagesse, que « La circonstance que des constructions et installations à usage agricole puissent aussi servir à d'autres activités, notamment de production d'énergie, n'est pas de nature à leur retirer le caractère de constructions ou installations nécessaires à l'exploitation agricole (…), dès lors que ces autres activités ne remettent pas en cause la destination agricole avérée des constructions et installations en cause. »
La cassation était inéluctable.
(12 juillet 2019, M. et Mme X. et autres, n° 422542)
137 - Taxe foncière sur les propriétés non bâties – Terrain situé en zone d’aménagement concerté (ZAC) – Terrain à bâtir – Notion – Assujettissement à la taxe – Rejet.
(1er juillet 2019, Société publique locale d'aménagement de l'agglomération dijonnaise (SPLAAD), n° 423609) V. n° 26
138 - Permis d’aménager délivré par un maire à sa commune – Aménagement d’une allée commerciale bordée de commerces – Recours des propriétaires et locataires des locaux de ces commerces – Rejet pour défaut d’intérêt – Qualification inexacte des faits – Annulation.
C’est par une qualification inexacte des faits qu’un juge des référés, saisi par les propriétaires ou locataires des différents commerces bordant une allée commerciale, d’une demande de suspension du permis d’aménager cette allée, leur dénie intérêt pour agir contre ce permis.
Cette solution doit être approuvée : la « rationalisation » très expédiente de l’intérêt pour agir en matière d’urbanisme - désormais très à la mode -, ne doit pas tourner au déni de justice.
(18 juillet 2019, Union des commerçants d'Uriage et autres, n° 426451)
139 - Permis de construire illégal – Annulation – Régularisation – Invocation de préjudices liés à cette illégalité – Réparation – Conditions – Cassation partielle avec renvoi.
(24 juillet 2019, M. et Mme X., n° 417915) V. n° 125
140 - Urbanisme – Faculté pour le juge administratif de surseoir à statuer sur un recours dirigé contre certains actes du droit de l’urbanisme afin d’en permettre la régularisation – Refus de renvoyer une QPC sur cette faculté.
(24 juillet 2019, Syndicat des copropriétaires de l'ensemble immobilier sis 86 à 94 rue Gutenberg à Palaiseau, n° 430473) V. n° 118