Sélection de jurisprudence du Conseil d'État

Juin 2019

 

 Actes et décisions

 

1 - Décision administrative – Possibilité de contestation devant l'autorité hiérarchique – Principe général de procédure.

Dans un litige de droit fiscal portant sur une exonération de taxe foncière, la société demanderesse se plaignait de n'avoir pas pu former un recours hiérarchique avant la mise en recouvrement des impositions contestées, c'est-à-dire avant qu'une décision ne soit prise. Cet argument ayant été rejeté en première instance en raison d'éléments de fait, le Conseil d'Etat rappelle, pour rejeter son argumentation, l'existence du " principe général selon lequel toute décision administrative doit pouvoir être contestée devant l'autorité hiérarchique ". Il s'agit là d'un principe général de procédure administrative non contentieuse.

(5 juin 2019, Sarl ESBTP Granulats, n° 412473)

 

2 - Demande de prendre une décision réglementaire – Refus implicite – Refus constituant lui-même une décision réglementaire – Absence d'obligation de motiver une telle décision.

Le Conseil d'Etat rappelle dans cette décision relative à un refus ministériel implicite d'interdire le recours à la récolte de poils de lapins angora par dépilation, d'une part, que le refus de prendre une décision réglementaire constitue lui-même une décision de nature réglementaire, d'autre part, et en conséquence, que, de même que les actes réglementaires ne sont pas soumis à l'obligation de motivation de même y échappent les refus, explicites ou implicites, de prendre de prendre de tels actes.

(24 juin 2019, Association One Voice, n° 420883) V. aussi n° 59

 

3 - Communication de documents administratifs – Documents détenus par une personne morale de droit privé (société anonyme d'HLM) non dotée de prérogatives de puissance publique – Personne privée exerçant une mission de service public – Nature de documents communicables – Obligation de communication sous réserver d'anonymer les mentions qu'ils comportent - Rejet.

Le locataire d'un appartement sis dans une résidence appartenant à une société privée d'HLM a demandé à cette société la communication de la totalité d'un rapport amiante relatif à cet immeuble. Le tribunal administratif, au vu du refus de communiquer, a enjoint à la société d'effectuer sous deux mois cette communication.

La société saisit le Conseil d'Etat d'un recours en annulation du jugement.

Celui-ci, au visa des textes (notamment art. L. 300-2 CRPA et L. 411 et s. du code de la construction et de l'habitation), estime que bien que cette société soit un organisme de droit privé "qui, s'il n'a pas été doté de prérogatives de puissance publique, n'en remplit pas moins, eu égard à l'intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation et de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées et aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, une mission de service public." On aura reconnu ici la formule de l'arrêt APREI (CE, 22 juillet 2007, n° 264541). Partant, les documents détenus par elle et directement relatifs à cette mission de service public sont communicables. Tel est le cas d'un rapport relatif à la présence d'amiante dans un lieu d'habitation que, conformément à ses statuts, elle gère. C'est donc à bon droit que les premiers juges ont ordonné cette communication ; le recours est rejeté.

 (7 juin 2019, Société HLM Antin Résidences, n° 422569)

 

4 - Communication de documents administratifs – Compte bancaire consacré à l'indemnité représentative de frais de mandat parlementaire – Compétence du juge administratif pour connaître du contentieux des refus de communication de documents – Indemnité indissociable du statut de député – Absence de caractère de document administratif – Rejet.

L'Association requérante a sollicité la communication par deux députés d'une copie des relevés de leurs comptes bancaires consacrés à l'indemnité représentative de frais de mandat parlementaire durant une certaine période. Devant leur refus et le tribunal administratif ayant décliné sa compétence, le Conseil d'Etat est saisi.

Celui-ci indique - contrairement à ce qu'avaient jugé les premiers juges - que dès lors qu'il est saisi d'une demande de communication de documents présentés comme étant de nature administrative (art. L. 300-2 CRPA), le juge administratif est compétent.

En l'espèce, il relève qu' " Il résulte des dispositions du Règlement budgétaire, comptable et financier de l'Assemblée nationale (...) que l'indemnité représentative de frais de mandat est destinée à couvrir des dépenses liées à l'exercice du mandat de député. Elle est donc indissociable du statut des députés, dont les règles particulières résultent de la nature de leurs fonctions, lesquelles se rattachent à l'exercice de la souveraineté nationale par les membres du Parlement. Il s'ensuit que ni les relevés des comptes bancaires consacrés à l'indemnité représentative de frais de mandat, ni la déclaration sur l'honneur du bon usage de cette indemnité ne constituent des documents administratifs relevant du champ d'application de l'article L. 300-2 du code des relations entre le public et l'administration".

Raisonnement assez curieux que celui qui déclare le juge administratif compétent pour connaître du principe d'une demande mais qu'il ne peut pas en connaître au final...

(27 juin 2019, Association Regards citoyens, n° 427725)

 

5 - Accès aux documents administratifs – Accès aux documents algorithmiques utilisés par les établissements d'enseignement supérieur dans le cadre de la procédure dite Parcoursup – Application de l'art. L. 612-3 du code de l'éducation et non de l'art. L. 311-1 et suiv. CRPA – Droit d'accès aux traitements algorithmiques réservé aux seuls candidats à l'accès à l'université.

Un syndicat estudiantin a demandé communication par l'université des Antilles des procédés algorithmiques utilisés par elle dans le cadre du traitement des candidatures d'entrée en licence via la plateforme Parcoursup ainsi que les codes sources correspondants. Malgré l'avis défavorable de la CADA, le tribunal administratif a condamné l'université à effectuer cette communication. Celle-ci saisit le Conseil d'Etat d'une demande d'annulation de ce jugement assortie d'un sursis à l'exécution de ce dernier.

Le Conseil d'Etat décide, pour la première fois, la communication possible des documents fondés sur des algorithmes dès lors qu'ils ont par ailleurs la nature de documents administratifs au sens et pour l'application des textes régissant cette communication.

En l'espèce, il existe une disposition spéciale, donc dérogatoire au droit commun qu'expriment les art. L. 311-1 et suiv. du CRPA, il s'agit de l'art. L. 612-3 du code de l'éducation qui dispose : "(...) les obligations résultant des articles L. 311-3-1 et L. 312-1-3 du code des relations entre le public et l'administration sont réputées satisfaites dès lors que les candidats sont informés de la possibilité d'obtenir, s'ils en font la demande, la communication des informations relatives aux critères et modalités d'examen de leurs candidatures ainsi que des motifs pédagogiques qui justifient la décision prise."

C'est donc par suite d'une erreur de droit que le tribunal s'est fondé, pour rendre son jugement, sur les art. L. 311-1 et suiv. du CRPA, déclarés ici inapplicables par l'art. L. 612-3 du code de l'éducation.

(12 juin 2019, Université des Antilles, n° 427916)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques

 

6 - Recueil et conservation de données personnelles définissant un profil ou évaluant des aspects d'une personnalité – Interdiction légale – Dispositif médical mis à disposition de patients avec une prise en charge variable en fonction de données à caractère personnel – Absence de violation de la prohibition légale – Rejet.

Les organisations requérantes demandaient l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté interministériel (santé et action et comptes publics) du 13 décembre 2017 modifiant la procédure d'inscription et les conditions de prise en charge du dispositif médical à pression positive continue pour traitement de l'apnée du sommeil et prestations associées au paragraphe 4 de la sous-section 2, section 1, chapitre 1er, titre Ier de la liste prévue à l'article L. 165-1 (LPPR) du code de la sécurité sociale.

Parmi les griefs développés, deux sont rappelés ici.

Tout d'abord, si les conditions de consultation de la commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé ont été défectueuses et si en conséquence l'arrêté attaqué a été pris au terme d'une procédure irrégulière, ceci - en vertu d'une jurisprudence expédiente - ne conduit pas à sa censure dans la mesure où l'irrégularité en cause n'était susceptible ni d'exercer une influence sur la décision prise ni de priver les intéressés d'une garantie.

Ensuite, si les dispositions de l'arrêté attaqué prévoient la prise en charge de la prestation de pression positive continue sur la base de forfaits qui diffèrent selon l'observance du traitement, appréciée sur la base du traitement des données à caractère personnel relatives aux modalités d'utilisation du dispositif médical mis à disposition de l'assuré social, un tel traitement ne peut être regardé comme destiné à définir son profil ou à évaluer certains aspects de sa personnalité au sens du deuxième alinéa de l'article 10 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 prévoyant qu'aucune décision produisant des effets juridiques à l'égard d'une personne ne peut être prise sur le seul fondement d'un traitement automatisé de données destiné à définir le profil de l'intéressé ou à évaluer certains aspects de sa personnalité.

Les autres arguments subissent le même sort.

 (17 juin 2019, Union nationale des associations de santé à domicile (UNASDOM), Union nationale des associations d'insuffisants respiratoires défenseurs de la qualité de l'air, Groupe national des insuffisants respiratoires chroniques (GIRC) et Syndicat national des associations de malades insuffisants respiratoires (SYNAMAIR), n° 417962 ; v. aussi, du même jour avec mêmes requérants, sur un aspect du litige un peu différent : n° 418348)

 

7 - Utilisation harmonisée du spectre radioélectrique dans certaines bandes de fréquences – Systèmes fournissant des services mobiles par satellite (dits "MSS" pour Mobile satellite services) – Procédure communautaire de sélection des opérateurs de MSS utilisant ces bandes de fréquence – Exploitation d' "éléments terrestres complémentaires" – Autorisation donnée à une société par l'Autorité  de régulation des postes et des communications électroniques – Légalité – Questions préjudicielles – Renvoi à la CJUE.

La requête de la société Eutelsat tend à l'annulation de la décision de l'Autorité précitée attribuant à la société Inmarsat Ventures Limited l'autorisation d'exploiter des éléments terrestres complémentaires d'un système mobile par satellite.

Dans cette importante et technique décision, à la connaissance directe de laquelle on se permet de renvoyer le lecteur, le Conseil d'Etat pose plusieurs questions préjudicielles à la CJUE.

 (28 juin 2019, Société Eutelsat, n° 420128)

 

Biens

 

8 - Classement d'objets mobiliers au titre des monuments historiques – Vices de forme et de procédure – Absence - Biens bénéficiant de certificats d'exportation – Absence d'incompatibilité avec un classement ultérieur comme "trésor national" – Erreur de qualification juridique de ces biens meubles – Absence – Servitude d'utilité publique ne constituant pas une atteinte excessive au droit de propriété – Rejet.

Le classement comme "trésor national" d'un ensemble mobilier conservé au château de Craon à Haroué (Meurthe-et-Moselle) et la servitude d'utilité publique qu'il engendre ont suscité un contentieux se soldant, comme cela était prévisible, par le débouté des demandeurs.

Aucun des éléments de forme invoqués au soutien de la requête (remplacement de la consultation de la commission nationale des monuments historiques par la commission nationale du patrimoine et de l'architecture, obligation de la présence d'au moins la moitié de ses membres lors de la réunion de la commission portant sur le classement des biens en cause, nécessité d'un avis de l'intéressée régulièrement émis et communiqué) n'est retenu.

Pas davantage n'ont été estimés fondés les griefs portant sur le fond : la circonstance que ces meubles avaient l'objet de certificats d'exportation ne faisait pas obstacle à leur classement ultérieurement ; les meubles dont s'agit méritaient bien leur qualification comme "trésor national" ; enfin l'atteinte au droit de propriété que constitue la servitude d'utilité publique pesant désormais sur ces meubles n'est pas excessive au regard de l'intérêt général attaché à leur sauvegarde patrimoniale.

(7 juin 2019, Mme X. et autres, n° 419856)

 

Collectivités territoriales

 

9 - Communes – Décision de refus d'élimination de compteurs électriques existants sur son territoire et de remplacement par des compteurs "Linky" – Déféré préfectoral – Transfert par la commune à une intercommunalité de sa compétence en matière d'organisation des réseaux publics de distribution d'électricité – Transfert emportant automatiquement celui de la propriété des ouvrages des réseaux en cause, y compris des installations de comptage – Incompétence du conseil municipal – Confirmation de l'annulation prononcée.

Episode de la querelle des "Linky" et des "anti-Lynky", cette affaire apporte un intéressant éclairage (si l'on ose le mot...) sur les conséquences d'un transfert de compétence portant sur le réseau public communal de distribution d'électricité. La Commune de Bovel, farouche anti-Linky, avait interdit la dépose des compteurs d'électricité existants et leur remplacement par des compteurs Linky.

Cependant, ayant transféré à une intercommunalité la compétence en matière d'organisation des réseaux publics de distribution d'électricité et ce transfert emportant ipso facto celui de la propriété des ouvrages desdits réseaux y compris celle des compteurs, la commune n'avait plus compétence pour décider en cette matière. Le pourvoi ne pouvait, très logiquement, qu'être rejeté.

(28 juin 2019, Commune de Bovel, n° 425975)

 

 

 

Contrats

 

10 - Exploitation de l'aéroport de Quimper – Détermination de la nature du contrat d'exploitation – Affermage et non concession – Conséquence fiscale – Erreur de droit – Cassation de l'arrêt d'appel avec renvoi.

A l'occasion d'un litige fiscal, le juge est amené à qualifier la nature juridique du contrat conclu entre la région Bretagne et la Société d'exploitation de l'aéroport de Quimper Cornouaille (SEAQC). L'intérêt de cette qualification était, en l'espèce, d'ordre fiscal : si le contrat était une concession ou une délégation de la gestion d'un service public, les biens mis dans la concession par le concédant ou par le concessionnaire sont, en vertu de l'art. 393-1, devenu 628-1, du plan comptable général, inscrits à l'actif du bilan de l'entité concessionnaire ; s'il ne s'agit pas d'un contrat de cette nature il n'entre pas dans le champ des dispositions précités du plan comptable général.

En l'espèce, le Conseil d'Etat constate qu'il résulte de la convention Région Bretagne/SEAQC, d'une part,  " que les installations aéroportuaires ont été construites en 1932 et exploitées avant d'être mises à la disposition de la société, qui n'a donc pas supporté les frais de premier établissement, d'autre part, que si la société s'est vu confier, outre l'exploitation des installations aéroportuaires, " le développement, l'aménagement, l'entretien et la promotion des terrains, ouvrages, bâtiments, installations et matériels (...) nécessaires au fonctionnement de l'aéroport (...) " ainsi que la réalisation de travaux, notamment de mise aux normes, de gros entretien et de renouvellement, les investissements dont elle a la charge consistent uniquement en des travaux de renforcement, de mise en conformité et d'entretien d'installations déjà existantes et non de création, d'extension ou de renouvellement des ouvrages. Il en résulte que la convention en cause doit être regardée comme un contrat d'affermage."

Par suite, la société requérante échappe aux dispositions fiscales précitées.

(12 juin 2019, Société d'exploitation de l'aéroport de Quimper Cornouaille (SEAQC), n° 418094 ; comparer, du même jour, avec : Société d'exploitation des aéroports de Rennes et Dinard (SEARD), n° 418095)

 

11 - Contrats de commande publique – Mise en concurrence – Candidature d'une personne publique – Légalité sous réserve du respect de certaines exigences – Etendue du contrôle du juge sur le montant de l'offre – Conseil d'Etat réglant l'affaire au fond après une seconde cassation.

Une société évincée dans le cadre de la procédure de conclusion du marché de travaux de dragage de l'estuaire du Lay (Vendée) conteste cette décision ainsi que celle d'attribuer le marché au département de Charente-Maritime. A la suite d'une première procédure ayant débouché sur une cassation de l'arrêt d'appel, la seconde procédure conduit la demanderesse de nouveau en cassation.

En bref, ce pourvoi soulevait deux questions classiques désormais mais dont le caractère récurrent montre la difficulté à en admettre les solutions jurisprudentielles : une personne publique peut-elle, à titre de principe, participer à la procédure conduisant à un contrat de la commande publique ? En cas de réponse positive, d'une part, à quelle condition peut se faire cette participation, et d'autre part, quelle est l'étendue du contrôle du juge en ce cas ?

Sur le premier point, la réponse est bien connue (cf. Assemblée, 20 décembre 2014, Société Armor SNC, n° 355563, p. 433, société également demanderesse dans la présente affaire) : les collectivités territoriales ou leurs établissements publics de coopération peuvent se porter candidats à l'attribution d'un contrat de commande publique pour répondre aux besoins d'une autre personne publique.

Sur le premier aspect du second point, le juge pose un certain nombre de limites à cette possibilité. Tout d'abord, une telle participation ne peut porter que sur celles des compétences qui leur sont attribuées dans un intérêt public local non, par exemple, s'agissant de l'exercice de compétences qui leur sont confiées pour le compte de l'Etat. Ensuite, l'appréciation de l'existence d'un intérêt local qui, ici - par hypothèse - concerne l'intérêt local d'une autre collectivité que la collectivité candidate, doit se faire sur la base de quatre paramètres permettant de vérifier que cette candidature  : 1°/ constitue "le prolongement d'une mission de service public dont la collectivité ou l'établissement public de coopération a la charge", 2°/ intervient  "dans le but notamment d'amortir des équipements, de valoriser les moyens dont dispose le service ou d'assurer son équilibre financier", 3°/ "ne compromette pas l'exercice de la mission (de service public confiée à la personne candidate)", 4°/ ne fausse pas les conditions de la concurrence. A ce dernier égard, le juge rappelle comment doit être vérifiée la décomposition des différents éléments constitutifs du prix réel.

Sur le second aspect du second point, si le juge affirme ne contrôler que la "sous-estimation manifeste" des détails du prix, ce n'est cependant pas un contrôle réduit à la seule erreur manifeste d'appréciation au sens qu'a ce standard en contentieux administratif qu'il s'agit. C'est au terme d'une analyse assez serrée qu'en l'espèce il conclut à l'absence d'erreur quant à l'estimation du prix.

Enfin, sera notée une question particulière réglée, nous semble-t-il, un peu trop vite par le juge. Il était reproché au département adjudicateur d'avoir retenu l'offre d'une régie départementale sans personnalité juridique dont les comptes sont retracés dans un budget annexe au budget départemental. Le Conseil d'Etat juge cet élément non contraire au droit de la commande publique : si les collectivités sont tenues, pour exploiter elles-mêmes un service public à caractère industriel ou commercial, de le confier à une régie dotée de l'autonomie financière il ne résulte d'aucun texte qu'elles doivent lui conférer la personnalité morale.

En l'espèce, l'application de ces règles et principes au contrat de dragage objet du marché ne révèle aucune illégalité.

(14 juin 2019, Société Vinci construction maritime et fluvial, venant aux droits de l'Entreprise Morillon Corvol Courbot, venant elle-même aux droits de la Société Armor, n° 411444)

 

12 - Marché de fourniture et de services à bons de commande portant sur la fourniture, la maintenance et le lavage des moyens de pré-collecte des déchets ménagers – Recours gracieux du préfet – Délai pour former le déféré préfectoral – Méthode de notation différente de celle annoncée – Vice du consentement – Absence – Cassation partielle de l'arrêt d'appel et renvoi dans cette mesure.

Deux questions principales sont tranchées dans cette décision.

En premier lieu, la formation d'un recours gracieux par le préfet, dans les deux mois de la transmission d'un acte, ici un marché, a pour effet de ne déclencher le délai de recours contentieux qu'à compter de la réponse à cette demande gracieuse.

En second lieu, on le sait, ce n'est que dans les seuls cas où le contrat a un contenu illicite ou se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité devant être relevé d'office que le juge peut prononcer son annulation, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général. En l'espèce, le préfet a retenu la circonstance que la personne publique avait mis en oeuvre une méthode de notation différente de celle qui avait été annoncée dans les documents de la consultation, pour soutenir que cela avait eu une incidence sur le classement des offres.

Le Conseil d'Etat rejette cet argument car, à le supposer matériellement fondé, il ne saurait démontrer l'existence d'un vice du consentement.

La solution surprend : on aurait pu penser que l'application d'une méthode de notation différente de celle annoncée constitue "un vice d'une particulière gravité". Il ne faudrait pas que le souci - maniaque parfois - d'éviter l'annulation du contrat tourne à la déconfiture de principes juridiques essentiels

(28 juin 2019, Société Plastic omnium systèmes urbains, n° 420776)

 

13 - Marché de construction d'une unité centrale de production culinaire – Responsabilité des constructeurs à l'égard du maître de l'ouvrage – Garantie décennale – Absence – Fraude ou dol ou faute assimilable – Absence.

Suite à d'importants défauts affectant le sol d'une unité centrale de production culinaire, diverses actions en responsabilité contractuelle, en garantie décennale et, enfin, pour fraude ou dol ou acte assimilé, ont été engagées.

Trois points doivent retenir l'attention dans cette décision.

En premier lieu, il y est jugé que ne peut pas être engagée une action en garantie décennale fondée sur la réparation de désordres qui étaient apparents à la date de la réception définitive de l'ouvrage et alors même que leur cause n'était pas connue au moment de cette réception.

En deuxième lieu, il est rappelé que l'expiration du délai de garantie décennale ne décharge pas les constructeurs de la responsabilité qu'ils peuvent encourir en cas ou bien de fraude ou de dol dans l'exécution de leur contrat, ou bien d'une faute assimilable à une fraude ou à un dol, caractérisée par la violation grave, par sa nature ou par ses conséquences, de leurs obligations contractuelles, commises volontairement et sans qu'ils puissent en ignorer les conséquences.

En troisième lieu, il résulte des pièces du dossier que la cause principale de ces désordres réside dans l'emploi d'une mauvaise colle fournie par un sous-traitant du constructeur. Cet élément, à lui seul, " ne suffit pas à caractériser une faute assimilable à une fraude ou à un dol du constructeur en l'absence de violation intentionnelle, par ce dernier, de ses obligations contractuelles". Sur ce point, la jurisprudence administrative est assez semblable à celle du juge judiciaire.

(28 juin 2019, Société Icade Promotion, n° 416735 et n° 416742)

 

14 - Marché de rénovation de ligne ferroviaire – Réception de l'ouvrage – Notion et effets juridiques – Absence de réserves – Conséquences – Décompte général et définitif – Cassation partielle et renvoi à la cour dans cette mesure.

Nouveau rappel, d'une part, de ce qu'est juridiquement la réception de l'ouvrage au terme de l'exécution d'un marché public, ici de rénovation d'une ligne ferroviaire, et de ses effets de droit et, d'autre part, des effets distincts de la réception et du décompte général et définitif.

Le juge écrit : " La réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserve et met fin aux rapports contractuels entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l'ouvrage. Si elle interdit, par conséquent, au maître de l'ouvrage d'invoquer, après qu'elle a été prononcée, et sous réserve de la garantie de parfait achèvement, des désordres apparents causés à l'ouvrage ou des désordres causés aux tiers, dont il est alors réputé avoir renoncé à demander la réparation, elle ne met fin aux obligations contractuelles des constructeurs que dans cette seule mesure. Ainsi la réception demeure, par elle-même, sans effet sur les droits et obligations financiers nés de l'exécution du marché, à raison notamment de retards ou de travaux supplémentaires, dont la détermination intervient définitivement lors de l'établissement du solde du décompte définitif. Seule l'intervention du décompte général et définitif du marché a pour conséquence d'interdire au maître de l'ouvrage toute réclamation à cet égard."

Il s'ensuit qu'en l'absence d'émission de réserves au moment de la réception de l'ouvrage concernant les désordres apparents, il n'est pas possible au maître de l'ouvrage d'inscrire au décompte général et définitif des créances destinées à financer la réparation desdits désordres. Il n'en irait autrement qu'en cas de stipulation expresse en sens contraire dans le marché. En jugeant possible une telle inscription dans les circonstances de l'espèce la cour administrative d'appel a entaché son arrêt d'une erreur de droit, d'où sa cassation partielle.

(12 juin 2019, Société Angelo Meccoli et Cie, n° 420031)

 

15 - Marchés publics – Exclusion facultative d'une candidature à un marché public (art. 48, ordonnance 23 juillet 2015) – Comportement du soumissionnaire dans le marché en cours ou d'autres précédant celui-ci – Notion de professionnalisme et de fiabilité – Annulation de l'ordonnance de référé (art. L. 551-1 CJA).

Le Département demandeur conteste l'ordonnance de référé par laquelle a été annulée sa décision d'écarter une société s'étant portée candidate sur deux lots d'un marché public suite à l'avis d'appel d'offres qu'il avait publié. Il se fondait pour cela sur les dispositions de l'article 48 (2° et 5° du I) de l'ordonnance du 23 juillet 2015 qui permettent aux acheteurs publics d'exclure de la procédure de passation d'un marché public une candidature qui peut être regardée, au vu d'éléments précis et circonstanciés, comme ayant entrepris d'influencer la prise de décision de l'acheteur et qui n'a pas établi, en réponse à la demande que l'acheteur lui a adressée à cette fin, que son professionnalisme et sa fiabilité ne peuvent plus être mis en cause.

Dans son ordonnance, le juge des référés a estimé ces dispositions inapplicables lorsque les agissements en cause concernent - comme c'est le cas en l'espèce - non le marché en cours de passation mais des marchés antérieurs.

Le juge de cassation annule cette ordonnance en relevant qu'il résulte de ces dispositions que les acheteurs publics peuvent exclure de la procédure de passation d'un marché public la candidature d'une entreprise ayant cherché à influencer la prise de décision de l'acheteur soit dans le cadre de la procédure de passation en cause soit dans le cadre d'autres procédures récentes de la commande publique.

C'est donc par suite d'une erreur de droit que le juge des référés de première instance a statué dans le sens susrappelé.

(24 juin 2019, Département des Bouches-du-Rhône, n° 428866)

 

16 - Référé précontractuel – Soumission des concessions aux principes généraux du droit de la commande publique – Connaissance par le concédant, avant la signature du contrat, d'une irrégularité affectant le choix du concessionnaire – Abstention de signer le contrat quel que soit l'auteur de l'irrégularité – Cas en l'espèce – Erreur de droit mais élimination de l'offre du demandeur la rendant sans effet – Substitution de motif.

Il faut surtout retenir de cette décision l'affirmation que les délégations de service public étant soumises aux principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, la personne publique, informée avant la signature d'un contrat de l'existence d'une irrégularité de procédure affectant le choix du concessionnaire, doit s'abstenir de signer le contrat litigieux, alors même qu'elle ne serait pas responsable de cette irrégularité. Il lui appartient, en ce cas, d'apprécier si cette divulgation peut être regardée comme étant de nature à porter atteinte au principe d'égalité entre les candidats. La seule circonstance qu'une telle divulgation ne soit pas imputable à la personne publique responsable de la procédure de passation ne la dispense pas de cette obligation.

(24 juin 2019, Société La Méridionale, n° 429407)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

17 - Délai d'appel – Absence de preuve de la notification du jugement de première instance – Réclamation du contribuable – Réclamation ne valant pas connaissance acquise – Rejet.

Rejetant le pourvoi du ministre qui invoquait l'exception de forclusion pour expiration du délai d'appel, il est jugé ici qu'un contribuable, dont il n'était pas établi qu'il avait reçu notification d'un jugement du 12 décembre 2005, était recevable à interjeter appel de ce jugement, au motif que le délai d'appel n'avait pas couru, alors même que le requérant avait manifesté avoir eu connaissance du jugement dans une réclamation du 13 juin 2013.

(3 juin 2019, M. X., n° 417444)

 

18 - Redressement judiciaire – Compétence juridictionnelle pour connaître d'un litige tendant à la décharge d'impôts directs pesant sur une entreprise en état de redressement judiciaire – Compétence du juge administratif – Caducité du jugement ouvrant la procédure de redressement – Absence d'effets sur la compétence juridictionnelle – Effet interruptif de la déclaration de nullité du jugement d'ouverture du redressement judicaire – Absence d'effet sur la déclaration de créance faite par le comptable public – Cassation partielle et sans renvoi de l'arrêt d'appel.

Le juge administratif est compétent pour connaître d'un litige tendant à la décharge d'impôts directs dont le comptable public a obtenu l'admission en créances dans le cadre d'une procédure de redressement judiciaire. Il en va ainsi même dans le cas où le redevable se prévaut de la prescription de l'action en recouvrement de ces créances du fait que le jugement d'ouverture de cette procédure collective a été déclaré nul et non avenu (art. 478 code proc. civ.). Par ailleurs, en ce cas, la déclaration de créance déposée par le comptable public au passif de cette procédure n'est pas privée de son effet interruptif de la prescription de l'action en recouvrement.

(19 juin 2019, M. X., n°412794)

 

20 - Crédit impôt recherche – Contributions et taxes diverses n'entrant pas dans le champ d'application des dépenses ouvrant droit au crédit d'impôt recherche – Rejet.

Confirmation de ce que ne peuvent être prises en compte au titre du crédit impôt recherche les sommes versées au titre de la taxe d'apprentissage, de la participation des employeurs à l'effort de construction, de la contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie, de la taxe sur les contributions patronales de prévoyance ainsi que des versements au fonds national d'aide au logement et au bénéfice du comité d'entreprise. Aucune d'elles n'entre dans le champ d'application du b de l'article 49 septies I de l'annexe III au CGI. C'est donc à bon droit que la cour a jugé régulière et fondée la remise en cause par l'administration d'une fraction des crédits d'impôt recherche dont la société requérante et sa filiale avaient bénéficié au titre de l'exercice clos en 2009.

(19 juin 2019, Société anonyme ST Microelectronics, n° 413000)

 

21 - Conventions fiscales internationales – Dispositions évitant la double imposition – Répartition du pouvoir de taxation entre les Etats concernés – Qualité de résident fiscal d'un Etat – Qualité appréciée au jour de la réalisation du revenu taxable – Cas des gains provenant d'une levée d'option.

L'Etat dont relève le pouvoir fiscal applicable à un contribuable résidant à l'étranger est déterminé par la qualité dont était détenteur le contribuable au moment du gain ou de la perception de revenus. Dans le cas de gains résultant d'une levée d'option de souscription d'actions d'une société, la date à prendre en considération est celle du jour de la levée de cette option non celle de la réalisation effective des gains.

(4 jui 2019, M. X., n° 415959)

 

22 - Acte anormal de gestion – Charge de la preuve du caractère anormal de l'acte incombant à l'administration fiscale – Vente d'un bien immobilier à un prix nettement inférieur à sa valeur vénale – Immeuble constituant un actif circulant – Circonstance insuffisante à elle seule à établir l'anormalité de la décision de gestion – Cassation avec renvoi.

Commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui, pour qualifier d'acte anormal de gestion la cession d'une villa par une société le fait qu'elle ait eu lieu, sans contrepartie, à un prix inférieur à sa valeur vénale.

En effet, cette vente portait sur un élément de l'actif circulant d'une société exerçant l'activité de marchand de biens et cette dernière soutenait, sans être contredite, que ce prix de vente lui avait permis de réaliser à bref délai une marge commerciale de 20%. Faute pour l'administration de rapporter la preuve du caractère anormal de cet acte de gestion, l'arrêt de la cour est cassé.

(4 juin 2019, Société d'investissements maritimes et fonciers, n° 418357)

 

23 - Impôt sur les sociétés – Proposition de rectification ou de redressement – Refus de cette proposition par le contribuable – Obligation pour l'administration de motiver sa proposition de rectification ou de redressement – Caractère indifférent de la circonstance que le contribuable n'a pas lui-même motivé son refus de la proposition – Cassation partielle avec renvoi.

Des différents points de droit abordés dans cette décision on ne retiendra ici que celui rappelé dans l'incipit.

Lorsque le contribuable à qui l'administration fiscale a adressé une proposition de rectification ou de redressement demande que soit noté à titre conservatoire son refus des rectifications envisagées, il ne peut pas être considéré comme ayant accepté les rectifications litigieuses. Par suite, commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui juge, pour écarter le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la réponse aux observations du contribuable sur la rectification relative aux provisions pour dépréciation de créances comptabilisées au titre d'un exercice donné, que la société Gecina devait être regardée comme ayant tacitement accepté cette rectification. En réalité, il incombait à la cour de rechercher si l'absence de réponse de l'administration sur ce point avait en l'espèce privé la contribuable d'une garantie.

(7 juin 2019, Société Gecina, n° 411648)

 

24 - Impôts sur les sociétés – Demande de restitution de cotisation à cet impôt – QPC refusée en appel – Invocation d'une atteinte à l'art. 1er au premier protocole additionnel à la Convention EDH – Invocation d'une atteinte à une espérance légitime – Situations non réalisées en l'espèce – Rejet.

Un litige en demande de restitution de cotisations à l'impôt sur les sociétés conduit le Conseil d'Etat, outre le rejet de la partie du pourvoi critiquant l'arrêt refusant de transmettre une QPC, à rappeler la portée de certains principes applicables en matière fiscale.

Pour critiquer les dispositions du I de l'art. 17 de la loi de finances rectificatives du 16 août 2012 en ce qu'il a remis en cause la possibilité (instituée jusque-là par l'art. 39 CGI) pour une société, en l'absence de disposition fiscale contraire et sous certaines conditions, de déduire de son résultat imposable une aide consentie à une filiale en difficulté avec laquelle elle n'entretenait aucune relation commerciale, étaient invoquées le principe de non rétroactivité de la loi fiscale et celui d'espérance légitime. Pour rejeter ces arguments, le juge relève que cette loi n'est applicable qu'aux exercices clos entre deux dates déterminées par elle alors que la requérante a clos son exercice plusieurs mois après. Il estime aussi qu'elle ne peut se prévaloir d'une espérance légitime dont elle aurait été privée par la loi puisque son exercice n'a été clos que le 31 décembre 2012 alors que la loi en question est entrée en vigueur le 18 août 2012.

(7 juin 2019, SAS Bonhom, n° 421946)  

 

25 - Impôts sur les revenus et bénéfices – Retenue à la source sur les bénéfices réalisés en France par une société étrangère et réputés distribués (art. 115 quinquies et 2. de l'article 119 bis CGI) – Assiette – Obligation de déduire l'impôt sur les sociétés acquitté de l'assiette de la retenue à la source – Absence de vérification de ce point par l'arrêt d'appel – Cassation dans cette mesure et renvoi.

Se fondant sur les dispositions combinées de l'article 115 quinquies et du 2 de l'article 119 bis CGI, l'administration a assujetti la société étrangère demanderesse à un rappel de retenue à la source. Pour ce faire, elle a déterminé les bénéfices réputés distribués c'est-à-dire le montant total des résultats réalisés en France par cette société étrangère qu'ils soient imposables ou exonérés. Cependant, elle n'en a pas déduit l'impôt sur les sociétés or l'art. 115 quinquies précité le lui en fait obligation.

Il faut donc comprendre que si l'administration doit, pour pouvoir recourir à la retenue à la source dans ces conditions, se fonder sur les articles 115 quinquies et 119 bis précités, en revanche, pour le calcul des sommes distribuées qui servent d'assiette au calcul de la retenue, l'administration ne peut excéder le plafond résultant de l'application du seul art. 115 quinquies.

D'où la cassation dans cette mesure de l'arrêt d'appel rejetant le recours de la société.

(24 juin 2019, Société Estienne d'Orves, n° 413156)

 

26 - Impôt sur les revenus – Traitements et salaires – Rémunération d'une activité à l'étranger (art. 81 CGI) – Décompte de la durée de 120 jours (art. 81 A CGI) – Périodes de congés devant y être incluses - Cassation avec renvoi.

L'art. 81A CGI prévoit que les personnes domiciliées en France qui exercent une activité salariée et sont envoyées par un employeur dans un Etat autre que la France et que celui du lieu d'établissement de cet employeur, peuvent bénéficier d'une exonération d'impôt sur le revenu à raison des salaires perçus en rémunération de l'activité exercée dans l'Etat où elles sont envoyées. Parmi les conditions à satisfaire pour bénéficier de cette exonération figure celle, alternative, d'avoir exercé cette activité "pendant une durée supérieure à cent vingt jours au cours de douze mois consécutifs lorsqu'elle se rapporte à des activités de prospection commerciale".

La présente décision est relative à un litige relatif au décompte de cette durée, en particulier s'agissant des jours de congés. Interprétant généreusemenr (une fois n'est pas coutume) les termes de la loi, le Conseil d'Etat décide que "la durée totale d'activité à l'étranger comprend notamment les congés payés et les congés de récupération auxquels donne droit la réalisation de la mission confiée au salarié par son employeur, quel que soit le lieu dans lequel ces congés sont effectivement pris." Ces durées résultent du contrat de travail et des règles d'ordre public du droit de travail.

En l'espèce, l'un des époux requérants a bien effectué plus de 120 jours en y incluant les congés de récupération alors même que ceux-ci sont placés sur un compte d'épargne temps.

C'est, au reste, au prix d'une dénaturation des clauses du contrat de travail que la cour administrative d'appel a pu juger que la condition de durée minimale n'était pas satisfaite en l'espèce.

(24 juin 2019, M. et Mme X., n° 419679)

 

27 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Terrain de golf – Location à une association sans but lucratif – Détermination de la valeur locative – Choix entre la méthode comparative ou, en cas d'impossibilité, celle de l'appréciation directe – Recours en l'espèce non justifié à l'appréciation directe – Illégalité pour violation des règles de dévolution de la preuve.

Une SCI propriétaire d'un terrain de golf sur le territoire de la commune de Serbannes (Allier) qu'elle loue à une association sans but lucratif conteste les conditions dans lesquelles elle a été assujettie à la taxe foncière sur les propriétés bâties. Etait en cause le choix de la méthode permettant de déterminer la valeur locative du bien. Le code général des impôts exige d'effectuer cette évaluation par comparaison avec des biens similaires ou, si cela est impossible, par l'évaluation directe du bien. Alors que la société requérante proposait d'effectuer cette comparaison avec des golfs situés dans d'autres départements, le tribunal administratif les a écartés après avoir relevé que n'existait par ailleurs aucun autre golf dans le département de l'Allier. Il a donc jugé légal le recours par l'administration fiscale à la méthode de l'évaluation directe.

Cette solution est cassée car les premiers juges n'ont pas recherché " au besoin en procédant à une mesure d'instruction, s'il existait des termes de comparaison dans d'autres communes présentant une situation économique analogue à celle de la commune de Serbannes, alors que l'administration, dans ses écritures, se bornait à affirmer ne pas avoir trouvé de tels termes de comparaison au procès-verbal de cette commune " ni d'ailleurs dans les procès-verbaux de communes analogues ". En s'abstenant ainsi d'user pleinement de son office, le tribunal administratif a méconnu les règles de dévolution de la charge de la preuve. L'affaire lui est renvoyée.

(21 juin 2019, SCI Les Amis de Montpensier, n° 412512)

 

28 - Compabilité publique – Notion de recettes publiques – Gestion de fait – Revenus tirés par une association de la sous-location d'une salle louée par elle à une commune – Recettes de caractère privé et non recettes publiques – Erreur de qualification juridique – Cassation de l'arrêt de la Cour des comptes et renvoi devant elle.

Une association, bénéficiaire d'une convention d'occupation d'une dépendance du domaine public que constitue une salle communale polyvalente, loue cette dernière en diverses circonstances. La Cour des comptes, réformant partiellement le jugement de la chambre régionale des comptes, aperçoit dans les loyers ainsi perçus des recettes publiques et engage contre les requérants une procédure de gestion de fait.

Le Conseil d'Etat casse cette décision évidemment entachée d'une erreur de qualification juridique. Si les loyers versés par l'association et perçus par la commune sont bien des recettes publiques, en revanche, les loyers perçus par l'association sur ses locataires occasionnels, qui résultent de son activité propre d'exploitation du local, n'ont pas cette nature, d'où il suit que ne sauraient s'appliquer ici les dispositions régissant la gestion de fait.

(26 juin 2019, M. X., n° 417386 ; Mme Y., n° 417387, 2 espèces)

 

29 - Répression des abus de droit – Redressement ou rectification d'impositions – Information du contribuable sur la teneur et l'origine des documents sur lesquels se fonde l'administration – Respect du contradictoire – Portée et limites.

Rappel de ce que l'art. 76 B du livre des procédures fiscales oblige l'administration, quelle que soit la procédure d'imposition mise en oeuvre, et au plus tard avant la mise en recouvrement, à informer le contribuable dont elle envisage soit de rehausser, soit d'arrêter d'office les bases d'imposition, de l'origine et de la teneur des documents et renseignements obtenus auprès de tiers, qu'elle a utilisés pour fonder les impositions, avec une précision suffisante pour mettre à même l'intéressé d'y avoir accès avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent.

Le Conseil d'Etat apporte à cette règle de principe deux atténuations : la première est l'exigence que le contribuable en fasse la demande à l'administration et la seconde est que cette information n'a pas lieu ou son omission n'est pas irrégulière si le contribuable n'établit pas qu'il ne peut avoir effectivement accès directement aux mêmes documents et renseignements que ceux détenus par l'administration.

On peut s'étonner que l'article précité n'impose pas à l'administration la communication concomitante de la proposition de rectification ou de redressement et des conditions d'obtention des éléments sur lesquels elle se fonde ainsi que de leur teneur. Au reste, sinon sa constitutionnalité du moins sa conventionnalité peut sembler douteuse.

(27 juin 2019, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 421373 ; du même jour, sur une question voisine, voir : M. et Mme X., n° 421380)

 

30 - Rupture d'un contrat de travail – Transaction – Régime fiscal des sommes versées au titre de la transaction – Distinction selon que le licenciement est intervenu sans cause réelle ou sérieuse ou pour faute – Distinction entre les chefs de préjudice réparés par la transaction, licenciement et/ou autres éléments – Cassation avec renvoi.

(7 juin 2019, M. X. et Mme Y., n° 419455) V. aussi n° 37

 

Droit public économique

 

31 - Energie – Loi du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique – Economies mises à la charge des fournisseurs d'énergie –Institution de certificats d'économie d'énergie – Carburants autres que le gaz de pétrole liquéfié (GPL) – Demande d'abrogation d'une disposition réglementaire – Décision implicite de rejet – Erreur manifeste d'appréciation – Annulation.

Les sociétés requérantes demandent l'annulation du refus implicite du premier ministre d'abroger le b du 2° de l'article R. 221-3 du code de l'énergie, dans sa rédaction issue de l'article 3 du décret n° 2018-401 du 29 mai 2018 relatif aux certificats d'économies d'énergie et aux obligations d'économies d'énergie auxquelles sont soumises les personnes mettant à la consommation du fioul domestique, en tant qu'il diminue de 7 000 à 1 000 m³ le seuil d'assujettissement aux obligations d'économies d'énergie applicable à compter de 2019 aux entreprises qui mettent à la consommation des carburants autres que le GPL.

Le Conseil d'Etat constate "que, pour l'année 2018, parmi les quatre-vingt-six opérateurs mettant à la consommation des carburants autres que le GPL, trente-huit entreprises ont mis à la consommation un volume supérieur à 7 000 mètres cubes, vingt entreprises un volume compris entre 1 000 et 7 000 mètres cubes et vingt-huit entreprises un volume inférieur à 1 000 mètres cubes. Ces trois catégories représentent respectivement 99,86 %, 0,13 % et 0,01 % du volume total de carburant mis à la consommation, correspondant à 54,7 millions de mètres cubes. En abaissant à 1 000 mètres cubes le seuil d'assujettissement aux obligations d'économies d'énergie applicable à compter de l'année 2019 pour les entreprises qui mettent à la consommation des carburants autres que le GPL, le b du 2° de l'article R. 221-3 du code de l'énergie a pour effet, compte tenu de la structure du secteur, d'assujettir, non pas seulement les principaux opérateurs du secteur concerné, mais aussi des opérateurs représentant une part minime du volume total mis à la consommation, pour n'exonérer que des entreprises représentant ensemble 0,01 % du marché. Dès lors, le refus du Premier ministre d'abroger cette disposition est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation." D'où la censure qui est prononcée.

(7 juin 2019, Société Fioul 83 et Société Boudret SAS, n° 426516)

 

32 - Emission de titres exécutoires en vue de la récupération d'aides d'Etat déclarées illégales par la CJUE – Entreprise en redressement judiciaire – Déclaration de créances – Incompétence du juge administratif – Existence et imputation d'une créance publique – Compétence du juge administratif.

Dans le cadre d'une procédure de redressement judiciaire concernant la Société nationale Corse Méditerranée (SNCM), l'Office des transports de la Corse a produit à la procédure en faisant valoir à titre de créances deux titres exécutoires qu'il avait émis à l'encontre de la SNCM pour la perception d'aides d'Etat déclarées illégales d'abord par la Commission européenne puis par la CJUE.

La SNCM avait contesté ces titres en demandant leur annulation au tribunal administratif qui avait refusé, puis le liquidateur judiciaire s'était également vu opposer un refus de la part de la cour sur cette même demande. Ce dernier se pourvoit en cassation.

Le Conseil d'Etat indique qu'il résulte de dispositions du code de commerce (art. L. 624-2 à L. 624-4) que le juge administratif n'est pas compétent pour statuer sur l'acte par lequel une personne morale de droit public déclare une créance au représentant des créanciers d'une entreprise en redressement judiciaire, la compétence pour statuer sur l'admission ou le rejet des créances déclarées appartenant exclusivement à l'autorité judiciaire. En revanche, le juge administratif est compétent pour statuer sur l'existence et le montant d'une créance publique et notamment sur la question de savoir quelle est la collectivité publique compétente pour demander la récupération d'aides versées illégalement et pour émettre les titres de perception correspondants. 

La cour administrative d'appel s'est donc à bon droit prononcée sur la compétence de l'Office des transports de la Corse pour prendre les titres exécutoires, alors même que le juge-commissaire, dont l'ordonnance était, au demeurant, frappée d'appel, les avait rejetés au motif que leur auteur était incompétent pour les émettre. 

Au surplus, ces titres sont réguliers en la forme comme au fond.

(28 juin 2019, Maître X., liquidateur judiciaire de la Société nationale Corse Méditerranée (SNCM), n° 423343)

 

Droit social et action sociale

 

33 - Contentieux sociaux – Récupération d'indu d'allocation de solidarité spécifique – Demande de remise gracieuse du paiement de l'indu – Litige de plein contentieux – Pouvoirs et office du juge – Obligation de se prononcer sur les éléments de fait invoqués – Annulation du jugement de rejet et rejet de la demande au fond.

Accentuant à la fois la singularité de certains contentieux sociaux et l'unification du régime contentieux applicable à un très grand nombre d'aides sociales diverses et disparates, le Conseil d'Etat rend ici une importante décision.

Les faits sont simples : s'étant vu réclamer par Pôle emploi la restitution d'un indu d'allocation de solidarité spécifique, l'intéressé en a sollicité la remise gracieuse, ce qui lui a été refusé. Ce refus ayant été confirmé par les premiers juges, le Conseil d'Etat est saisi.

Dans un motif de principe, le Conseil d'Etat décide que : "  Lorsqu'il statue sur un recours dirigé contre une décision refusant ou ne faisant que partiellement droit à une demande de remise gracieuse d'un indu d'une prestation ou d'une allocation versée au titre de l'aide ou de l'action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d'emploi, il appartient au juge administratif, eu égard tant à la finalité de son intervention qu'à sa qualité de juge de plein contentieux, non de se prononcer sur les éventuels vices propres de la décision attaquée, mais d'examiner si une remise gracieuse totale ou partielle est susceptible d'être accordée, en se prononçant lui-même sur la demande au regard des dispositions applicables et des circonstances de fait dont il est justifié par l'une et l'autre parties à la date de sa propre décision."

Les litiges relatifs au refus de remise gracieuse de l'indu d'allocation de solidarité spécifique ne relèvent donc pas du contentieux de l'excès de pouvoir.

Par ailleurs, exerçant un contrôle assez étendu sur ce point, le juge estime que la situation de précarité du demandeur n'est pas telle en l'espèce " qu'il y aurait lieu de lui accorder, en dépit de son manquement délibéré à ses obligations déclaratives, une remise gracieuse totale ou partielle de l'indu qui lui est réclamé."

Enfin, le Conseil d'Etat relève que le moyen du demandeur selon lequel l'indu en question serait prescrit, s'il peut être soulevé "à l'encontre d'une décision de récupération d'indu", il ne peut l'être " à l'encontre du rejet d'une demande de remise gracieuse".

(Section 3 juin 2019, M. X., n° 415040)

 

34 - Refus de prise en charge d'un jeune majeur par l'aide sociale à l'enfance (L. 222-5, al. 6, code de l'action sociale et des familles) – Recours contre cette décision – Recours de plein contentieux – Obligation et office du juge saisi – Annulation – Rejet.

Cette décision est importante, d'une part par la qualification de recours de plein contentieux qu'elle donne très logiquement au recours dirigé contre une décision refusant une prise en charge d'un jeune majeur par le service de l'aide sociale à l'enfance, d'autre part par les conséquences tirées de cette qualification pour l'office du juge. En effet, un tel recours étant un recours subjectif, relevant du contentieux des droits non du contentieux de la légalité objective comme l'avait jugé à tort le tribunal administratif, il en résulte que le contrôle contentieux doit être limité au seul examen des droits du demandeur non d'éventuels vices propres de la décision attaquée. Pareillement, de cette nature il découle que le juge doit statuer en ce cas en tenant compte de la situation de fait existante à la date à laquelle il rend son jugement. Enfin, en cas d'annulation de la décision de refus d'aide, le juge doit renvoyer le demandeur devant l'administration afin qu'elle fixe les conditions de sa prise en charge. 

Ici s'ajoute cependant un élément de complexité dans la mesure où le contrôle, en principe très étendu s'agissant d'un contentieux relevant de la pleine juridiction, se heurte à la reconnaissance d'un pouvoir largement discrétionnaire au bénéfice du président du conseil départemental.

(Section 3 juin 2019, Département de l'Oise, n° 419903 ; v. aussi, dans le même sens avec solutions très largement comparables, à propos d'une demande de carte de stationnement pour personnes handicapées, le régime jurisprudentiel du contentieux des décisions de l'administration déterminant les droits d'une personne en matière d'aide ou d'action sociale, de logement ou au titre des dispositions en faveur des travailleurs privés d'emploi, sans remise en cause des versements déjà effectués : Section 3 juin 2019, M. X., n° 422873 ; v. également, à propos du motif retenu par Pôle emploi pour refuser à une personne le bénéfice de l'allocation de solidarité spécifique : Section 3 juin 2019, Mme X., n° 423001). 

 

35 - Licenciement d'un salarié protégé – Convocation à l'entretien préalable – Convocation n'informant pas le salarié de la possibilité de se faire assister au cours de cet entretien – Irrégularité du licenciement – Rejet du pourvoi.

Est irrégulier le licenciement d'un salarié protégé faisant suite à un entretien préalable alors, d'une part, que la convocation en vue de celle-ci ne mentionnait pas la possibilité pour l'intéressé de se faire assister par une personne de son choix appartenant au personnel de son entreprise ou d'une autre entreprise de l'unité économique et sociale lorsque celle-ci est dotée d'institutions représentatives du personnel, et d'autre part, qu'il n'est pas établi que ce salarié en aurait été informé en temps utile par un autre moyen.

Il peut sembler étrange qu'un salarié protégé, donc au fait de ses droits en matière de licenciement, puisse ignorer de bonne foi une règle aussi ancienne et connue que celle du droit à l'assistance d'une tierce personne...

(12 juin 2019, Société Véolia Eau-Compagnie générale des eaux, n° 408970)

 

36 - Plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) – Décision administrative validant un PSE – Signataires de l'accord collectif portant PSE – Qualité des signataires de l'accord – Vérification de cette qualité – Moyen opérant – Moyen tiré de l'absence de vérification par l'administration de cette qualité – Moyen inopérant – Modalités de consultation et d'information des salariés dans le cadre d'un PSE.

Cette décision, relative à un litige né des conditions d'adoption d'un PSE, apporte deux séries de précisions, la première d'ordre contentieux et la seconde de droit social.

Tout d'abord, était en cause la qualité des personnes concernées pour signer l'accord collectif portant PSE. Le juge fait un subtil distinguo : le moyen invitant le juge à vérifier l'existence de cette qualité est un moyen opérant tandis que le moyen selon lequel le juge n'aurait pas procédé à cette vérification n'est pas opérant.

Ensuite, le juge indique qu'il n'y a pas d'obligation pour un PSE de prévoir des modalités particulières de consultation et d'information des salariés à cette occasion ni de se référer à un document-guide et que, dans le silence de l'accord sur ce point, il n'est nul besoin d'obtenir l'homologation administrative d'un document unilatéral fixant de telles modalités.

(12 juin 2019, M. X. et 65 autres, n° 420084)

 

37 - Rupture d'un contrat de travail – Transaction – Régime fiscal des sommes versées au titre de la transaction – Distinction selon que le licenciement est intervenu sans cause réelle ou sérieuse ou pour faute – Distinction entre les chefs de préjudice réparés par la transaction, licenciement et/ou autres éléments – Cassation avec renvoi.

Lorsqu'en cas de rupture d'un contrat de travail une transaction est conclue, il appartient à l'administration puis au juge éventuellement saisi de déterminer d'office, d'une part, si cette rupture est assimilable à un licenciement et si celui-ci est  sans cause réelle et sérieuse, auquel cas les sommes versées à ce titre ne sont pas imposables et, d'autre part, si la somme allouée ne couvre que le préjudice résultant directement de ce licenciement ou si elle correspond, en outre, à la couverture d'autres préjudices.

(7 juin 2019, M. X. et Mme Y., n° 419455)

 

38 - Licenciement pour motif économique d'un salarié protégé – Licenciement décidé par l'administrateur d'une entreprise en observation dans le cadre d'une procédure de redressement judiciaire – Autorisation du juge-commissaire – Autorisation de l'inspection du travail – Impossibilité de contester ce licenciement  devant l'administration et le juge administratif – Application de la procédure de contestation des ordonnances du juge-commissaire limitée à la durée de la période d'observation – Retour à la procédure de droit commun à la fin de la période d'observation – Rejet.

L'administrateur désigné pour gérer les intérêts d'une entreprise durant la période d'observation en cas de redressement judiciaire peut, seulement durant cette période, procéder à des licenciements pour motif économique lorsqu'ils "présentent un caractère urgent, inévitable et indispensable" (art. L. 631-17 code de commerce). En cas, ces licenciements doivent être autorisés par le juge-commissaire et, lorsqu'ils concernent un salarié protégé, être également autorisés par l'inspection du travail. De tels licenciements ne peuvent être contestés ni devant l'administration ni devant le juge administratif mais uniquement en utilisant les recours ordinaires prévus contre les ordonnances du juge-commissaire.

Toutefois, ce mécanisme dérogatoire ne joue que durant la période d'observation ; à l'issue de celle-ci le droit commun reprend son empire. Ainsi, lorsque le licenciement est sollicité, par exemple, dans le cadre d'un plan de redressement de l'entreprise, donc à l'issue de la période d'observation, il ne peut plus l'être sur le fondement d'une autorisation du juge-commissaire.

(12 juin 2019, Société Vitembal Tarascon, n° 410987)

 

39 - Salariés étrangers de nationalité kenyane – Salariés sans titre de séjour ni autorisation de travail – Infliction de la contribution spéciale (art. L. 8253-1 c. trav.) – Motivation suffisante – Absence d'opposabilité d'une transaction antérieure à défaut d'identité de parties et d'identité d'objet – Personne disposant d'un contrat de travail délivré dans un autre pays de l'Union – Circonstance sans effet au regard de l'infraction commise – Plafond de la sanction en cas d'absence concomitante d'autorisation de séjour et d'autorisation de travail.

L'intéressé a été poursuivi pour emploi de deux étrangers comme salariés alors qu'ils n'étaient simultanément ni en situation régulière ni titulaires d'une autorisation de travail en France.  Le directeur de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a, en conséquence, mis à sa charge le paiement de la contribution spéciale prévue en ce cas par l'art. L. 8253-1 du code du travail. Son action, rejetée par les juges du fond, l'est également par le Conseil d'Etat.

Celui-ci estime que si une décision d'infliger cette sanction doit être motivée, la motivation retenue en l'espèce était suffisante.

Si l'intéressé se prévalait des termes d'une transaction pour les dire opposables ici en vertu de l'autorité de chose jugée s'attachant à une transaction, il lui est répondu que faute d'identité des parties et d'identité d'objet, le principe d'effet relatif de la chose jugée empêche cette opposabilité.

Par ailleurs, réitérant une jurisprudence bien établie mais discutable, le Conseil d'Etat estime que la circonstance qu'un étranger soit bénéficiaire d'un contrat de travail dans un autre pays de l'Union ne retire pas à son emploi en France, faute d'un tel contrat en France, sa nature infractive.

Enfin, et cela est nouveau, le Conseil d'Etat considère qu'il n'est pas possible de dépasser le plafond de la pénalité encourue (soit 15 000 euros) alors même qu'auraient été commises concomitamment deux infractions : séjour irrégulier et absence d'autorisation de travail en France. Pour avoir jugé le contraire, l'arrêt d'appel est cassé sur ce point

(17 juin 2019, M. X., n° 417837)

 

Elections

 

40 - Elections pour le renouvellement des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie – Décret convoquant les électeurs – Contestation possible par un recours pour excès de pouvoir – Recours devant être introduit avant le déroulement du scrutin – Non-lieu à statuer sur un tel recours après le déroulement du scrutin.

S'il est possible, en vertu d'une jurisprudence bien établie, de contester l'acte de convocation des électeurs à un scrutin au moyen d'un recours pour excès de pouvoir c'est à la condition que ce dernier soit formé avant le déroulement du scrutin. Après cette date le recours devient sans objet et il n'y a plus lieu pour le juge d'y statuer.

(14 juin 2019, Mme X. et Mme Y., n° 430607)

 

Environnement

 

41 - Installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) – Distinction du régime de l'autorisation et du régime de la déclaration – Modification substantielle d'une ICPE bénéficiaire d'une autorisation – Passage de l'ensemble de l'exploitation au régime de la déclaration – Conséquences.

Lorsqu'une installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE) bénéficiant d'une autorisation d'exploiter est modifiée de façon telle que désormais l'ensemble de ses activités relève du régime de la déclaration (dispositions combinées des art. L. 511-1 et L. 511-2 c. env.), l'exploitant a la faculté de déposer un dossier de déclaration (art. R. 512-47 c. env.).

En principe, le préfet saisi délivre au déclarant un récépissé et lui communique copie des prescriptions générales désormais applicables à l'installation.  

Toutefois, le préfet peut également, en complément des prescriptions générales, imposer à l'exploitant des prescriptions complémentaires et spéciales qui figureront soit dans un nouvel arrêté préfectoral soit dans l'arrêté, désormais modifié, pris alors que l'installation relevait du régime de l'autorisation. Dans les deux cas, les prescriptions spéciales imposées en complément des prescriptions générales applicables aux installations soumises à déclaration doivent être nécessaires - et non pas seulement utiles - pour garantir, au regard des caractéristiques particulières de l'exploitation, les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 précité.

(26 juin 2019, Ministre de la transition écologique et solidaire, n° 413898)

 

42 - Installation de traitement bio-mécanique de déchets – Régime institué par la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique – Absence de caractère rétroactif – Application du régime existant à la date de l'arrêté préfectoral du 15 octobre 2014.

Commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui, pour prononcer l'annulation d'un arrêté préfectoral du 15 octobre 2014 autorisant l'exploitation d'une installation de traitement bio-mécanique de déchets, se fonde sur les dispositions de la loi du 17 août 2015 entrée en vigueur le 19 août alors que ni son contenu ni ses travaux préparatoires ne manifestent aucune intention de leur conférer un caractère rétroactif.

(26 juin 2019, Association Pays Rochefortais Alert' et autres, n° 416924)

 

43 - Evaluation environnementale – Plans ou programmes susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement – Unités touristiques nouvelles (UTN) non couvertes par un SCOT ou par un PLU – Absence de caractère systématique du recours à cette évaluation – Annulation partielle.

L'association requérante demandait notamment l'annulation, d'une part, du décret du 10 mai 2017 relatif à la procédure de création ou d'extension des unités touristiques nouvelles, d'autre part, de la décision implicite du ministre de la transition écologique et solidaire rejetant sa demande tendant à l'abrogation des articles R. 104-1 à R. 104-17 du code de l'urbanisme et des articles R. 122-17 et R. 122-2 du code de l'environnement dans leur rédaction antérieure au décret attaqué en tant qu'ils ne prévoient pas d'évaluation environnementale pour les unités touristiques nouvelles mentionnées à l'article R. 122-5 du code de l'urbanisme.

Le Conseil d'Etat fait partiellement droit à la requête.

Il relève que si la création d'UTN structurantes ou locales par leur inscription dans le schéma de cohérence territoriale ou le plan local d'urbanisme est prise en compte par l'évaluation environnementale réalisée dans le cadre de l'élaboration de ces documents d'urbanisme, tel n'est pas le cas pour celles de ces UTN qui sont autorisées par l'autorité administrative dans les communes non couvertes par ces documents. La décision préfectorale autorisant ces dernières constitue un "plan" ou un "programme" au sens de l'art. 3 de la directive du 27 juin 2001 relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement or, sur ce point, les dispositions du décret attaqué, "qui ne prévoient notamment pas de consultation de l'autorité environnementale, ne peuvent être regardées comme instituant, pour ce type d'unités touristiques nouvelles, une procédure d'évaluation environnementale conforme aux objectifs de la directive du 27 juin 2001". Doivent donc être annulés tant le décret attaqué en tant qu'il ne soumet pas à évaluation environnementale la création ou l'extension d'unités touristiques nouvelles soumises à autorisation de l'autorité administrative, dès lors qu'elle est susceptible d'avoir une incidence notable sur l'environnement, que le refus de prendre les mesures réglementaires en ce sens.

(26 juin 2019, Association France Nature Environnement, n° 414931)

 

Fonction publique et agents publics

 

44 - Décharge totale de service pour l'exercice de fonctions syndicales – Maintien du traitement indiciaire afférent à l'emploi occupé jusque-là et de l'équivalent monétaire des primes et droits y attachés – Cas du fonctionnaire détaché dans un autre emploi avant d'être placé en décharge totale d'activité pour motif syndical – Maintien des droits liés à l'emploi de détachement - Rejet.

Dans cette importante décision le Conseil d'Etat rappelle, ou précise selon les aspects examinés, le statut des agents publics investis d'un mandat syndical et bénéficiant à de titre d'une décharge totale. Deux points sont à noter.

Tout d'abord, il est jugé que l'agent public syndicaliste détaché dans un autre emploi a droit au maintien de son traitement ainsi que des droits et primes y afférents sauf ceux d'entre eux liés exclusivement à l'accomplissement effectif du service.

Ensuite, lorsque, comme en l'espèce, au moment de la désignation syndicale, l'agent était en détachement sur un emploi fonctionnel et se trouve réintégré dans son emploi d'origine, il a droit au traitement et autres éléments liés à l'emploi de détachement.

(4 juin 2019, Ministre de l'économie et des finances et le ministre de l'action et des comptes publics, n° 426404)

 

45 - Agents publics contractuels – Bénéfice d'un contrat à durée indéterminée – Conditions – Définition des fonctions exercées – Prise en considération des fonctions réellement exercées.

L'article 6 bis de la loi du 11 janvier 1984, éclairé par les travaux parlementaires ayant conduit à l'adoption de la loi du 12 mars 2012, permet qu'un agent contractuel de l'Etat puisse bénéficier d'un contrat à durée indéterminée (CDI) lorsque les fonctions qu'il a exercées remplissent cumulativement les trois conditions suivantes : avoir duré au moins six années,  s'être déroulées dans leur totalité auprès du même département ministériel, de la même autorité publique ou du même établissement public, et, enfin, avoir relevé d'une même catégorie hiérarchique A, B ou C (cf. art. 13 du 13 juillet 1983).

En l'espèce, faisait obstacle à cette transformation en CDI la circonstance que l'intéressé avait bénéficié de plusieurs contrats successifs avec mention d'appellations et de références catégorielles distinctes. Le Conseil d'Etat juge qu'en dépit des indications figurant sur les différents contrats il convient de retenir non ces appellations théoriques mais la nature identique des fonctions réellement exercées ; si celles-ci remplissent par ailleurs les autres conditions sus-énumérées, il peut prétendre à un CDI.

(28 juin 2019, M. X., n° 421458)

 

46 - Universités – Recrutement sur un emploi de professeur – Candidature jugée non adéquate au profil du poste à pourvoir – Contrôle plein et entier du juge – Motivation jugée irrégulière au regard des éléments du dossier – Annulation – Injonction d'avoir à réexaminer la candidature rejetée.

Etait à pourvoir un emploi de professeur intitulé "Evaluation, mobilisation et gestion des ressources en eau ". M. X. a posé sa candidature en demandant à ce qu'elle soit dispensée de l'examen par le comité de sélection, au titre de la mutation pour rapprochement de conjoints. Cela lui est refusé pour inadéquation de sa candidature au profil du poste à pourvoir. Le conseil académique de l'université refuse donc de transmettre la candidature du demandeur au conseil d'administration de celle-ci. L'intéressé saisit le Conseil d'Etat, compétent en premier et dernier ressort s'agissant d'un recours relatif à un fonctionnaire nommé par décret du président de la république.

Le Conseil d'Etat, exerçant un contrôle approfondi, relève que ce poste avait été ouvert en "géographie physique et humaine", discipline dont relevait le requérant, qu'il était présenté comme nécessitant d'avoir développé des recherches dans un des domaines liés à la gestion des ressources en eau et à la fourniture en eau, ce qui était le cas du candidat. Enfin, est noté le fait que lors d'une précédente procédure de recrutement sur un emploi similaire, le requérant ne s'était pas vu opposer par la même université l'inadéquation de son profil.

Il en résulte que l'avis défavorable du conseil académique a été pris en violation des textes applicables (notamment l'art. 9-3 du décret du 6 juin 1984 fixant les dispositions statutaires communes applicables aux enseignants-chercheurs et portant statut particulier du corps des professeurs des universités et du corps des maîtres de conférences).

Le juge manifeste une fois de plus son souci de contrôler plus étroitement les procédures universitaires de recrutement des professeurs et des maîtres de conférences dont l'opacité et le besoin de perfectionnement juridique ne sont plus à démontrer.

(21 juin 2019, M. X., n° 399940 ; on comparera, sur le même sujet, du même jour et concernant la même université, avec : M. X., n° 419210 ; v. aussi, du même jour : Mme X., n° 422562)

 

47 - Pensions militaires d'invalidité – Apparition de nouvelles invalidités ou aggravation de l'invalidité existante – Règle de l'arrondi (art. L. 9 code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre) – Conditions de calcul et d'application – Cassation sans renvoi de la décision de la cour régionale des pensions.

Rappel d'une jurisprudence bien établie.

L'art. 9 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre dispose " (...) Quand l'invalidité est intermédiaire entre deux échelons, l'intéressé bénéficie du taux afférent à l'échelon supérieur (...) ".

Le Conseil d'Etat rappelle, pour l'application de cette disposition, que "lorsque le titulaire d'une pension militaire d'invalidité pour infirmité simple sollicite sa révision du fait de l'apparition de nouvelles infirmités ou de l'aggravation de ses infirmités n'entrainant pas une invalidité absolue, le calcul de sa pension révisée doit s'effectuer sur la base du degré réel d'invalidité correspondant à l'infirmité principale déjà pensionnée et du degré réel d'invalidité correspondant aux infirmités supplémentaires avec une exactitude arithmétique, sans qu'il soit possible d'arrondir à l'unité supérieure les chiffres fractionnaires intermédiaires. La règle de l'arrondi énoncée à l'article L. 9 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ne s'applique, le cas échéant, qu'une fois obtenu le degré global d'invalidité pour déterminer le taux de pension correspondant."

(26 juin 2019, Ministre des armées, n° 416864)

 

48 - Pensions militaires d'invalidité – Réparation en principe forfaitaire du préjudice résultant de l'infirmité – Possibilité d'indemnisation complémentaire pour les autres préjudices découlant de cette infirmité – Possibilité de réparation intégrale dans les conditions du droit commun en cas de faute de l'Etat dans l'organisation ou le fonctionnement du service – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.

Le Conseil d'Etat applique ici la jurisprudence Moya-Caville (Ass. 4 juillet 2003, n° 211106) relative aux fonctionnaires civils.  Le forfait de pension n'est plus la seule réparation possible des préjudices subis par les agents dans l'exercice de leurs fonctions ; si celui-ci s'avère insuffisant poour couvrir l'entier préjudice subi, il est fait application du droit commun administratif pour la partie qu'il ne couvre pas, ce qui suppose la preuve d'une faute dans l'organisation ou le fonctionnement du service public.

(28 juin 2019, M. X., n° 422920)

 

49 - Fonctionnaire hospitalier – Sanction disciplinaire – Exclusion temporaire de ses fonctions – Suspension de la mesure par le juge des référés – Pourvoi en cassation de l'administration – Mesure n'ayant pas épuisé ses effets à la date du pourvoi – Absence de non-lieu à statuer – Pourvoi recevable.

Un agent hospitalier fait l'objet d'une exclusion des fonctions d'une durée de cinq mois dont deux avec sursis. Il conteste cette sanction devant le juge du référé suspension qui lui donne raison pour l'essentiel. Son employeur, le centre hospitalier, se pourvoit.

Il convient surtout de retenir de cette décision la solution donnée à une importante question de procédure. Normalement, le pourvoi en cassation contre une décision qui a produit ses entiers effets est irrecevable. En l'espèce, si la suspension n'avait pas été ordonnée, il en irait ainsi sans difficulté. Qu'en est-il lorsque la mesure suspendue ne peut encore produire effet qu'en raison de la suspension ? Faut-il considérer la durée théorique de la sanction et déclarer le pourvoi en cassation irrecevable dès lors que le Conseil d'Etat serait appelé à statuer après expiration de cette durée ou bien faut-il prendre en compte la suspension ordonnée et juger que le pourvoi est recevable tant que la sanction peut se poursuivre, par exemple en cas d'annulation de l'ordonnance et de rejet de la demande en référé ? C'est cette seconde solution qu'avec sagesse retient le Conseil d'Etat.

(17 juin 2019, Centre hospitalier de Valenciennes, n° 426558 ; v. du même jour, pour une solution inverse par application des mêmes principes : Société Smoke House, n° 427921)

 

50 - Mise à la retraite d'un fonctionnaire hospitalier pour invalidité non imputable au service – Contentieux – Etablissement d'une transaction – Légalité en matière de fonction publique – Renonciation à l'exercice d'un recours pour excès de pouvoir - Etendue du contrôle juridictionnel sur le caractère équilibré des concessions réciproques des parties à la transaction – Annulation sans renvoi du jugement et de l'arrêt d'appel.

A la suite de la mise à la retraite d'un fonctionnaire hospitalier pour invalidité non imputable au service, un contentieux s'est élevé. Le tribunal administratif a annulé cette décision le 5 mai 2015 et la cour a rejeté l'appel du Centre hospitalier le 23 mai 2017. Alors que l'instance était pendante devant le tribunal administratif, l'agent et l'employeur ont conclu une transaction le 6 novembre 2014.

Le Centre hospitalier a demandé à la cour de juger qu'il n'y avait plus lieu pour le tribunal de statuer en 2015 sur la demande de l'agent alors que la transaction avait été conclue six mois plus tôt. La cour a rejeté cette demande au motif que les agents publics ne peuvent renoncer par avance aux dispositions protectrices d'ordre public instituées en leur faveur, telles les dispositions régissant l'admission à la retraite pour invalidité, de sorte qu'aucune transaction ne saurait faire obstacle au jugement d'un recours pour excès de pouvoir présenté par un fonctionnaire contre la décision prononçant son admission à la retraite.

Le Conseil d'Etat casse l'arrêt pour erreur de droit et, ce faisant, apporte d'importantes précisions ou effectue d'utiles rappels.

En premier lieu, il se déduit des articles 2044 et 2052 du Code civil, rappelées à l'art. L. 423-1 CRPA, qu'une transaction a, entre les parties, l'autorité de la chose jugée en dernier ressort sous réserve de la licéité de son objet, de l'existence de concessions réciproques et équilibrées entre les parties et du respect de l'ordre public. Il en résulte qu'une transaction peut, sous ces réserves, être conclue en matière de fonction publique hospitalière dès lors qu'aucun texte ou principe général n'y fait obstacle. C'est le cas en l'espèce.

En deuxième lieu, la transaction peut parfaitement prévoir la renonciation à introduire ou à poursuivre une action afin de recours pour excès malgré le caractère d'ordre public d'un tel recours.

En troisième lieu, exerçant un contrôle étendu sur le contenu de la transaction, le juge estime que, compte tenu des inconvénients qui résulteraient d'une annulation contentieuse pour l'une et l'autre parties et de la durée de la procédure, les concessions réciproques consenties par elles dans le cadre du protocole transactionnel "n'apparaissent pas manifestement déséquilibrées au détriment de l'une ou l'autre partie".

Enfin, n'est aperçu, dans la conclusion de ce contrat de transaction, aucun vice du consentement d'une particulière gravité qui pourrait en entraîner la nullité.

On relèvera, d'une part, l'étendue du contrôle exercé par le juge administratif sur une transaction, d'autre part, le rejet de l'objection tirée du caractère d'ordre public du recours pour excès de pouvoir et, enfin, cette importante précision qu'est contrôlée l'absence de charge excessive pour chacune des deux parties.

(5 juin 2019, Centre hospitalier de Sedan, n° 412732)

 

51 - Chambres des métiers et de l'artisanat – Centre de formation des apprentis – Personnel contractuel – Droit au renouvellement du contrat – Conditions et régime – Cassation avec renvoi à la cour administrative d'appel.

La demanderesse a contesté la décision de ne pas renouveler, au terme de celui-ci, le contrat la liant à une chambre des métiers et de l'artisanat pour l'exercice des fonctions de professeur de français au centre de formation des apprentis relevant de cette chambre. Ayant demandé en vain, en première instance et en appel, l'annulation du refus de renouveler son contrat, elle se pourvoit en Conseil d'Etat.

Selon ce dernier, il résulte de la combinaison des dispositions régissant les centres de formation des apprentis et de celles relatives au statut du personnel des chambres des métiers que ne s'applique pas en l'espèce le principe selon lequel l'agent public dont le contrat de travail arrive à son terme n'a pas de droit à son renouvellement puisque, au contraire, est reconnu ici un droit à renouvellement.

A cet égard deux situations doivent être distinguées.

Si la convention quinquennale créant un centre de formation des apprentis est en cours, le principe est celui du droit à renouvellement du contrat sauf exceptions limitativement énumérées.

Si la convention est arrivée à son terme, l'agent contractuel conserve néanmins le droit au renouvellement de son contrat, sauf force majeure, inaptitude physique ou professionnelle ou suppression de poste, soit quand la convention quinquennale est prorogée de plein droit jusqu'à l'achèvement des formations en cours soit lorsqu'il est établi que la convention est en cours de renouvellement. 

C'est donc par suite d'une erreur de droit que les juges du fond ont décidé en sens contraire. L'arrêt d'appel est cassé et l'affaire renvoyée devant la cour.

(14 juin 2019, Mme X., n° 414277)

 

52 - Fonction publique – Enseignants des universités – Recrutement d'un maître de conférences – Comité de sélection soumis au principe d'impartialité – Atténuation possible de cette exigence en cas de recrutement dans une discipline hautement spécialisée – Intensité excessive des liens entre un membre du jury et un candidat en l'espèce – Annulation.

Le requérant, candidat à un emploi de maître de conférences des universités, a demandé en vain, en première instance et en appel, l'annulation du concours de recrutement auquel il a participé en excipant du défaut d'impartialité démontré par le recrutement d'un autre candidat que lui-même. Il se pourvoit et fournit l'occasion au Conseil d'Etat d'un affinement de sa jurisprudence, celui-ci s'effectuant en trois temps.

Normalement le principe d'impartialité s'impose dans les recrutements d'agents publics. Toutefois, en matière universitaire les emplois mis aux concours peuvent porter sur des champs disciplinaires hautement spécialisés pour lesquels n'existe pas un nombre tel de spécialistes que les commissions de recrutement puissent ne comporter que des personnes n'ayant de lien avec aucun des candidats, ce qui serait, idéalement, la meilleure solution, d'où l'acceptation de solutions moins strictes. Cependant, cette tolérance ne saurait aller jusqu'au reniement du principe d'impartialité. En l'espèce, le candidat retenu avait réalisé sa thèse sous la direction de l'un des membres du jury et l'avait soutenue depuis moins de deux ans ; l'impartialité était trop directement mise en cause, d'où l'annulation de la procédure.

(12 juin 2019, M. X., n° 409394 ; v. aussi, très voisin, avec une analyse très fine des éléments de fait : 14 juin 2019, M. X., n° 408121)

 

Hiérarchie des normes

 

53 - Art. 39 de l'ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession et art. 19 et 23 du décret d'application du 1er février 2016 – Exclusion pendant cinq ans de toute procédure de passation d'une concession pour les entreprises auteurs de certaines infractions pénales – Compatibilité ou non de ces dispositions avec la directive européenne du 26 février 2014 sur l'attribution de contrats de concession – Renvoi préjudiciel à la CJUE.

Une entreprise juge incompatibles avec le droit de l'Union les dispositions des art. 19 et 23 du décret du 1er février 2016 prises pour l'application de l'art. 39 de l'ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux concessions. En effet, selon ces textes, les entreprises ayant commis certaines infractions se voient exclues de toute procédure de passation d'une concession pendant une durée de cinq ans sans que soit prévue pour elles la possibilité de démontrer au pouvoir adjudicateur leur fiabilité malgré l'existence de ce motif d'exclusion.

Le Conseil d'Etat aperçoit dans cette interrogation une difficulté sérieuse tout comme dans celle de savoir si et comment, en cas d'existence d'une faculté de relèvement, celle-ci peut être confiée par le droit national, outre le pouvoir adjudicateur, à des autorités juridictionnelles recourant à des procédures comme le relèvement, la réhabilitation judiciaires, l'exclusion de la mention de la condamnation sur le bulletin n° 2 du casier judiciaire.

(14 juin 2019, Société Vert Marine, n° 419146)

 

54 - Constitutionnalité du décret d'application d'une loi – Décret ne se bornant pas à réitérer les dispositions légales – Recours possible – Incompétence du signataire – Annulation modulée dans le temps en raison de ses effets excessifs – Contrôle de conventionnalité impossible – Disposition d'une convention sans effet direct.

 Cette décision est intéressante par la double précision qu'elle contient en matière de hiérarchie des normes. Les associations requérantes demandaient l'annulation  de l'arrêté du 21 décembre 2017 fixant les montants du forfait journalier hospitalier prévu à l'article L. 174-4 du code de la sécurité sociale qui, en renchérissant le coût de certains soins pour les patients, serait inconstitutionnel (non-respect du 11ème alinéa du préambule de 1946 selon lequel la Nation  : "garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé (...) ") et inconventionnel (violation de l'art. 25 de la convention de New-York du 30 mars 2007 relative aux droits des personnes handicapées).

Sur le premier point, le Conseil d'Etat rappelle que s'il n'est pas juge de la constitutionnalité de la loi (art. L. 174-4 code séc. soc.) il l'est de la constitutionnalité des décrets d'application lorsque ceux-ci, comme en l'espèce, ne se bornent pas à réitérer une disposition législative.

Sur le second point est rappelée la distinction entre celles des dispositions d'une convention internationale qui, parce qu'elles ont un effet direct dans le chef des citoyens, peuvent être invoquées devant le juge et celles qui, sans effet direct (tel l'art. 25 de la Convention de 2007), ne peuvent servir de fondement à une action contentieuse.

(17 juin 2019, Association FNATH, Association des accidentés de la vie, et Union nationale des associations agréées d'usagers du système de santé (UNAASS), n° 418512)

 

55 - Pouvoir réglementaire – Habilitation constitutionnelle donnée au pouvoir réglementaire d'effectuer des expérimentations à l'effet de déroger à des normes à caractère réglementaire – Décret n° 2017-1845 du 29 décembre 2017 relatif à l'expérimentation territoriale d'un droit de dérogation reconnu au préfet – Conditions de régularité – Rejet.

L'association requérante demandait l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 29 décembre 2017 relatif à l'expérimentation territoriale d'un droit de dérogation reconnu au préfet, pris en application de l'article 37-1 de la Constitution.

Ce décret permet à divers préfets, pendant une durée de deux ans, de déroger à des normes arrêtées par l'administration de l'Etat dans les matières (Subventions, concours financiers et dispositifs de soutien en faveur des acteurs économiques, des associations et des collectivités territoriales ; Aménagement du territoire et politique de la ville ; Environnement, agriculture et forêts ; Construction, logement et urbanisme ; Emploi et activité économique ; Protection et mise en valeur du patrimoine culturel ; Activités sportives, socio-éducatives et associatives) et aux conditions qu'il fixe (respect du principe d'égalité devant la loi ; objet et durée de l'expérimentation limitées ; définition précise des conditions de mise en oeuvre).

Le Conseil d'Etat apporte deux séries de précisions dans cette importante décision.

La première série est négative : il résulte du texte constitutionnel que le pouvoir réglementaire n'est obligé ni de préciser d'emblée les normes réglementaire susceptibles de faire l'objet d'une dérogation, ni, le cas échéant, les règles ayant vocation à s'y substituer.

La seconde série est positive en ce qu'il est fait obligation au pouvoir réglementaire d'identifier précisément les matières dans le champ desquelles cette dérogation est possible, de déterminer les objectifs auxquels celle-ci doit répondre et de fixer les conditions auxquelles elle est soumise.

Il en résulte une habile "reconstruction" du droit de l'expérimentation dérogatoire.

Ayant vérifié que le décret attaqué satisfait à l'ensemble des conditions de droit positif ainsi que de celles d'origine jurisprudentielle, le juge rejette le recours.

(17 juin 2019, Association Les amis de la Terre France, n° 421871)

 

Libertés fondamentales

 

56 - Voie de fait – Atteinte portée au droit de propriété (mise en souterrain de lignes électriques) – Atteinte ne constituant pas une extinction du droit de propriété – Compétence du juge administratif pour connaître de l'action extracontractuelle en réparation – Cassation de l'arrêt d'appel et renvoi.

Le litige portait sur la réparation des dommages causés par l'implantation irrégulière de poteaux et lignes électriques à l'occasion de l'enfouissement de lignes électriques dans le sous-sol d'une propriété privée. Les propriétaires voient leur demande rejetée en première instance et en appel comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître. Les juges du fond avaient donc considéré qu'en l'espèce existait une voie de fait, dont le contentieux relève du juge judiciaire.

Le Conseil d'Etat, appliquant très strictement la jurisprudence du Tribunal des conflits réduisant à une peau de chagrin le champ d'application de cette catégorie juridique (TC, 9 décembre 2013, M. et Mme Panizzon, n° 3931, p. 376), considère les juridictions administratives seules compétentes pour connaître du litige car si en l'espèce il y a bien eu atteinte au droit de propriété de personnes privées, cette atteinte n'a pas constitué une extinction de leur droit de propriété, condition indispensable à l'existence d'une voie de fait.

L'arrêt est cassé avec renvoi de l'affaire à la cour administrative d'appel.

(14 juin 2019, M. X. et Mme Y., n° 414458)

 

57 - Demande de la reconnaissance de la qualité de réfugié ou du bénéfice de la protection subsidiaire – Refus – Demande de délivrance ou de renouvellement d'un titre de séjour – Refus assorti d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF) – Régime contentieux applicable à un recours dirtigé contre cette décision.

Deux questions étaient posées au Conseil d'Etat dans le cadre de cet avis contentieux.

1°/ : "Dans l'hypothèse où un étranger à qui a été refusée la reconnaissance de la qualité de réfugié ou de la protection subsidiaire, a également présenté une demande tendant à la délivrance ou au renouvellement d'un titre de séjour, l'autorité administrative peut-elle également assortir le refus qu'elle est susceptible d'opposer à cette demande d'une obligation de quitter le territoire français fondée à la fois sur le 3° et sur le 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ?"

2°/ En cas de réponse affirmative à la question précédente, " le recours dirigé contre une telle décision obéit-il au régime contentieux spécifique défini au I bis de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou relève-t-il du régime de droit commun prévu au I de l'article L. 512-1 du même code ?"

Celui-ci répond tout d'abord positivement à la première question : l'autorité administrative peut assortir le refus d'établir ou de renouveler un titre de séjour d'une OQTF fondée à la fois sur le 3° et sur le 6° du I de l'article L. 511-1 CESEDA. Concernant la seconde question, il indique qu'il résulte de diverses dispositions du CESEDA "que, lorsqu'une décision relative au séjour est intervenue concomitamment et a fait l'objet d'une contestation à l'occasion d'un recours dirigé contre une obligation de quitter le territoire français prise sur le fondement du 6° du I de l'article L. 511-1, cette contestation suit le régime contentieux applicable à l'obligation de quitter le territoire, alors même qu'elle a pu être prise également sur le fondement du 3° du I de cet article. Dès lors, les dispositions du I bis de l'article L. 512-1 ainsi, notamment, que celles de l'article R. 776-26 du code de justice administrative sont applicables à l'ensemble des conclusions présentées devant le juge administratif dans le cadre de ce litige, y compris celles tendant à l'annulation de la décision relative au séjour ".

Il s'agit là d'une clarification bien venue (qu'annonçait d'ailleurs une précédente décision : 19 juillet 2017, Mme X., n° 408902) sur des points de droit délicats qui soulèvent de récurrentes interrrogations.

(Avis contentieux, 28 juin 2019, M. et Mme X., n° 426703)

 

Police

 

58 - Police générale du maire en cas de menace de ruine d'un immeuble provenant d'une cause extérieure à cet immeuble – Police spéciale des édifices menaçant ruine à raison d'une cause qui leur est interne – Polices distinctes dans leur objet et dans leur but – Existence d'une situation d'extrême urgence – Possibilité de recourir aux pouvoirs détenus au titre de la police spéciale – Erreur de droit d'un cour administrative d'appel à s'abstenir de vérifier l'existence d'une urgence extrême – Cassation et renvoi devant elle.

En matière de péril d'immeuble il existe deux polices, celle, générale, qui appartient au maire en vertu des dispositions du CGCT et celle spéciale qui relève de dispositions particulières du code de la construction et de l'habitation. A Paris, ces deux sortes de police appartenaient, jusqu'au 1er juillet 2017, au préfet de police. Depuis, ces deux polices sont réunies entre les mains du maire.

Etait attaqué un arrêté du préfet de police intervenu au titre de la police générale alors qu'il résultait des circonstances de fait que devaient être prises des mesures relevant de la police spéciale. La cour administrative d'appel ayant jugé légale cette décision "eu égard à l'état de l'immeuble" en cause, se voit reprocher de n'avoir point tenté de "rechercher si l'urgence était telle qu'elle ne permettait pas de prendre les mesures nécessaires dans le respect de la procédure prévue (au titre de la police spéciale)". Son arrêt est cassé.

On peine à être convaincu par ces subtilités vénéneuses.

(5 juin 2019, M. X., n° 417305)

 

59 - Bien-être animal – Récolte de poils de lapins angoras par dépilation – Inexistence d'une obligation de motivation d'un acte réglementaire ou assimilé – Absence d'effets irréversibles et de nuisances pour la santé animale – Absence de risque de dommage grave et irréversible pour l'environnement ou d'atteinte à l'environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé – Absence d'illégalité – Rejet.

L'association requérante demande l'annulation du refus implicite du ministre de l'agriculture d'interdire la récolte de poils de lapins angoras par dépilation. Elle se place à cet effet sur deux terrains : la souffrance animale et l'atteinte ou risque pour l'environnement.

Sur le premier point, le juge observe que l'application normale de la technique de dépilation n'engendre pas de souffrance pour les lapins qui en sont l'objet. De plus, les contrôles exercés et les sanctions pénales prévues sont de nature à inciter au respect de la réglementation.

Sur le second point, n'est relevée aucune atteinte ou risque d'atteinte pour l'environnement du fait de l'emploi de la technique dépilatoire.

Avant d'entrer dans l'examen du fond de la requête, le Conseil d'Etat a rappelé, d'une part, que le refus de prendre une décision réglementaire constituait lui-même une décision de nature réglementaire, d'autre part, et en conséquence, que, de même que les actes réglementaires ne sont pas soumis à l'obligation de motivation de même y échappent les refus, explicites ou implicites, de prendre de tels actes.

(24 juin 2019, Association One Voice, n° 420883). V. aussi n° 2

 

60 - Police des débits de boissons – Infraction à la législation sur le tabac et sur l'alcool (art. 1825 CGI) – Fermeture temporaire d'un établissement – Référé suspension octroyé – Pourvoi en cassation – Mesure ayant épuisé ses effets à la date du jugement du pourvoi – Non-lieu à statuer – Pourvoi irrecevable.

Il convient surtout de retenir de cette décision la solution donnée à une importante question de procédure. Normalement, le pourvoi en cassation contre une décision qui a produit ses entiers effets est irrecevable. En l'espèce, la suspension de la mesure de fermeture temporaire avait été ordonnée. Toutefois, la durée de la sanction était expirée au moment où le Conseil d'Etat a été appelé à statuer sur le pourvoi. Celui-ci est donc devenu irrecevable.

(17 juin 2019, Société Smoke House, n° 427921 ; v. du même jour, sous le n° 49, pour une solution inverse par application des mêmes principes : Centre hospitalier de Valenciennes, n° 426558). V. aussi n° 49

 

61 - Encadrement des loyers à Paris – Arrêtés préfectoraux contestés pour incomplétude – Caractère partiel de la mesure de fixation des loyers de référence – Absence d'illégalité eu égard aux circonstances de fait et de droit – Erreur de droit – Cassation de l'arrêt d'appel et renvoi du dossier à la cour.

Il était reproché au préfet de Paris, par divers organismes professionnels, syndicats et associations, de n'avoir pas respecté les dispositions du I de l'art. 17 de la loi du 17 juillet 1989 modifiée notamment par la loi du 24 mars 2014, tendant à améliorer les rapports locatifs. En particulier était estimé illégal le fait que les arrêtés attaqués de 2015, 2016 et 2017 se sont bornés à encadrer les loyens pour la seule ville de Paris et non dans l'ensemble des zones définies par l'article précité. Le Conseil d'Etat rejette l'argument au double motif que la compétence de l'Office des loyers de l'agglomération parisienne n'ayant été étendue à la zone qui englobe Paris et aux 412 communes des départements limitrophes que le 29 juin 2016, les données nécessaires n'étaient pas disponibles au moment où ont été pris les arrêtés litigieux et que, compte tenu des spécifités du marché parisien de l'immobilier locatif,  la fixation des loyers de références dans les quatorze secteurs définis au sein du territoire de Paris n'était pas de nature à créer un risque sérieux de distorsion vis-à-vis du marché immobilier des secteurs limitrophes.

(5 juin 2019, Ministre de la cohésion des territoires, n° 423696)

 

Procédure contentieuse

 

62 - Exécution d'une décision de justice (art. L. 911-4 CJA) – Eviction illégale d'un agent public – Notion d'exécution de la décision annulant l'éviction – Reconstitution de carrière – Etendue de cette obligation – Cassation partielle et renvoi devant la juridiction d'appel.

Son éviction de la fonction de directeur d'un office public de l'habitat ayant été annulée par le juge, l'intéressé estime que cette décision n'a pas été entièrement exécutée s'agissant des cotisations sociales afférentes aux salaires dont il a été privé durant la période d'éviction. Il recourt à la procédure de l'art. L. 911-4 CJA. Le Conseil d'Etat juge que cette demande, formulée devant la cour administrative d'appel, ne constituait point - contrairement à ce qu'elle a jugé - un appel incident ouvrant un nouveau litige mais se situait dans le droit fil de l'application complète du jugement de première instance. Il donne raison au demandeur en ces termes : " La reconstitution de carrière d'un agent irrégulièrement évincé implique nécessairement la régularisation de son affiliation à la caisse de retraite dont il aurait relevé en l'absence d'intervention de la décision d'éviction illégale et, par suite, le versement par l'employeur des cotisations correspondantes. Cette obligation procède directement de l'annulation de la décision d'éviction illégale et n'a pas un caractère distinct de la reconstitution de carrière à laquelle l'employeur est tenu dans son ensemble. Dès lors, les conclusions présentées à la cour par M. X.  en vue de la reconstitution de ses droits à pension de retraite n'avaient pas la nature d'un appel incident et ne tendaient pas à la contestation des modalités de la réintégration prononcée par le jugement mais à l'exécution de l'une de ses conséquences juridiques, dont il appartenait au juge de l'exécution de connaître. Par suite, l'OPH de Vincennes n'est pas fondé à soutenir qu'en tout état de cause ces conclusions de M. X. soulevaient un litige distinct et auraient dû être rejetées par la cour comme irrecevables."

Il faut approuver pleinement la solution retenue.

(3 juin 2019, M. X., n° 416543)

 

63 - Retrait de points du permis de conduire – Contestation – Indications incomplètes du greffe – Non respect du contradictoire – Annulation avec renvoi.

Une automobiliste, ayant fait l'objet de décisions de retraits de points de son permis de conduire, conteste la procédure qui s'est déroulée devant le tribunal administratif et le Conseil d'Etat lui donne raison.

Le mémoire en défense produit par le ministre de l'intérieur lui a été communiqué avec l'indication selon laquelle " dans le cas où ce mémoire appellerait des observations de votre part, celles-ci devront être produites (...) dans les meilleurs délais (...). Afin de ne pas retarder la mise en état de votre dossier, vous avez tout intérêt, si vous l'estimez utile, à produire ces observations aussi rapidement que possible ".

Or le Conseil d'Etat relève tout d'abord que cette indication ne permettait pas à l'intéressée de connaître précisément le délai dans lequel elle pouvait produire un mémoire en réplique. Il relève ensuite que le rejet de son recours ayant été prononcé par voie d'ordonnance, l'intéressée n'a pas été mise en mesure, par la réception d'un avis d'audience, de présenter des observations avant que le juge ne statue.

Il déduit de ces éléments le caractère irrégulier de la procédure au terme de laquelle l'ordonnance a été rendue, d'où l'annulation prononcée.

(28 juin 2019, Mme X., n° 429159)

 

64 - Recours en révision – Décision de non-admission d'un pourvoi en cassation – Allégation de pièces fausses soumises au juge – Pièces se contredisant entre elles – Caractère de faux non établi – Pourvoi en révision irrecevable.

Le demandeur sollicitait la révision par le Conseil d'Etat d'une décision qu'il avait rendue le 13 avril 2017 dans un litige l'opposant à une commune. A cet effet, il a présenté des pièces contredisant celles produites par la commune défenderesse. Or il ne peut y avoir ouverture à un recours en révision que s'il est établi que les pièces sur lesquelles s'est fondé le juge pour rendre sa décision étaient des faux. En l'espèce, de ce que les pièces produites au soutien du recours en révision contredisaient celles produites dans l'instance précédente ne résulte pas automatiquement le caractère faux de ces dernières.

Le recours en révision est rejeté.

(14 juin 2019, M. X., n° 418541)

 

65 - Etablissement d'une transaction – Légalité en matière de fonction publique – Renonciation à l'exercice d'un recours pour excès de pouvoir – Etendue du contrôle juridictionnel sur le caractère équilibré des concessions réciproques des parties à la transaction – Annulation sans renvoi du jugement et de l'arrêt d'appel.

En premier lieu, il se déduit des articles 2044 et 2052 du Code civil, rappelées à l'art. L. 423-1 CRPA, qu'une transaction a, entre les parties, l'autorité de la chose jugée en dernier ressort sous réserve de la licéité de son objet, de l'existence de concessions réciproques et équilibrées entre les parties et du respect de l'ordre public. Il en résulte qu'une transaction peut, sous ces réserves, être conclue en matière de fonction publique hospitalière dès lors qu'aucun texte ou principe général n'y fait obstacle. C'est le cas en l'espèce.

En deuxième lieu, la transaction peut parfaitement prévoir la renonciation à introduire ou à poursuivre une action afin de recours pour excès malgré le caractère d'ordre public d'un tel recours.

En troisième lieu, exerçant un contrôle étendu sur le contenu de la transaction, le juge estime que, compte tenu des inconvénients qui résulteraient d'une annulation contentieuse pour l'une et l'autre parties et de la durée de la procédure, les concessions réciproques consenties par elles dans le cadre du protocole transactionnel "n'apparaissent pas manifestement déséquilibrées au détriment de l'une ou l'autre partie".

Enfin, n'est aperçu, dans la conclusion de ce contrat de transaction, aucun vice du consentement d'une particulière gravité qui pourrait en entraîner la nullité.

On relèvera, d'une part, l'étendue du contrôle exercé par le juge administratif sur une transaction, d'autre part, le rejet de l'objection tirée du caractère d'ordre public du recours pour excès de pouvoir et, enfin, cette importante précision qu'est contrôlée l'absence de charge excessive pour chacune des deux parties, qui résulterait de la mise en oeuvre de la transaction.

(5 juin 2019, Centre hospitalier de Sedan, n° 412732)

 

66 - Environnement – Produits phytopharmaceutiques – Réglementation de leurs conditions d'utilisation – Arrêté relatif à la commercialisation et à l'utilisation de ces produits – Annulations partielles "en tant que ne pas" – Injonction.

Les requérantes poursuivaient l'annulation d'un arrêté ministériel du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants ainsi que de la décision implicite rejetant leur demande d'annulation de cet arrêté.

Plusieurs griefs étaient articulés au soutien des requêtes et l'on retiendra celui tiré de l'illégalité de l'arrêté "en tant que ne pas". Spectaculairement, ce motif d'annulation est retenu à quatre reprises contre cet arrêté.

Le Conseil d'Etat reproche à la décision querellée d'être illégale :

- en tant qu'en limitant l'application des délais de rentrée aux seuls cas où les produits sont utilisés sur une végétation en place, elle n'a prévu aucun délai dans les cas où ces produits ont été utilisés sur des sols vierges de végétation ;

 - en tant qu'elle restreint l'application de produits phytopharmaceutiques par pulvérisation ou poudrage, sans régir l'utilisation d'autres techniques telles que l'épandage de granulés ou l'injection de produits dans les sols ;

 - en tant qu'elle ne prévoit pas de mesures précises d'interdiction ou de limitation de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques destinées à éviter ou à réduire le risque de pollution par ruissellement en cas de forte pluviosité ;

 - en tant qu'elle ne prévoit pas de mesure de protection des riverains des zones traitées. 

Jamais sans doute depuis la décision fondatrice du contrôle "en tant que ne pas" (Assemblée, 16 décembre 2005, Groupement forestier des ventes de Nonant, n° 261646, AJDA 2006 p. 320) le Conseil d'Etat n'avait eu l'occasion d'en faire un usage aussi répété dans une même affaire et en une seule décision.

(24 juin 2019, Association Générations Futures, n° 415426 ; Association Eau et rivières de Bretagne, n° 415431)

 

67 - Désistement d'office – Demande de confirmation du maintien de conclusions – Absence de réponse au terme du délai imparti – Contestation de l'ordonnance prenant acte du désistement – Etendue du contrôle du juge de cassation – Cassation avec renvoi.

L'art. R. 612-5-1 CJA donne au juge la possibilité de demander à une partie si elle entend maintenir ses conclusions et de lui impartir un délai pour répondre, délai à l'expiration duquel, faute de réponse, la partie est réputé d'office s'être désistée. Le juge rend en ce cas une ordonnance prenant acte de ce désistement.

En l'espèce se posait la question de l'étendue du contrôle du juge en cas de contestation de cette ordonnance. Le juge de cassation n'exerce normalement qu'un contrôle de forme pour vérifier qu'un délai d'un mois a bien été laissé au requérant pour répondre à la demande de maintien des conclusions et qu'une information suffisante a bien été donnée sur les conséquences en cas de défaut de réponse du requérant à l'expiration du délai imparti. Toutefois, et bien qu'en principe ce juge n'exerce pas de contrôle sur les motifs pour lesquels le signataire de l'ordonnance prenant acte du désistement s'est interrogé sur l'intérêt que la requête pouvait encore présenter pour son auteur, il lui incombe cependant de censurer l'ordonnance s'il estime, au vu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, qu'il a été fait un usage abusif de la faculté ouverte par l'article R. 612-5-1 du CJA.

C'est le cas en l'espèce.

(17 juin 2019, Mme X., n° 419770)

 

68 - Dénaturation des pièces d'un dossier – Communication à l'administration fiscale en temps utile du chiffre d'affaires de l'année 2006 – Années 2003 à 2005 seules retenues – Dénaturation – Annulation et renvoi à la cour administrative d'appel.

Dans ces trois affaires, il s'agit de professions libérales exercées à l'origine sous forme d'entreprises individuelles devenues ensuite des Selarl. Un litige avec l'administration fiscale conduit à vérifier le chiffre d'affaires afférent à une certaine période. Toutefois, ne pouvait être communiqué au moment de la transformation le chiffre de l'année 2006 dont les résultats n'étaient pas encore tenus ; ceux-ci ont néanmoins été communiqués en temps voulu à l'administration. Celle-ci n'a pourtant tenu compte que des chiffres d'affaires des années 2003 à 2005, approuvée en cela par les juges du fond. Sur pourvoi, le Conseil d'Etat relève qu'en procédant ainsi la cour a dénaturé les pièces du dossier, d'où la cassation avec renvoi.

(12 juin 2019, M. et Mme X., n° 414106 ; Selarl cabinet dentaire Régine X., n° 414108 ; M. X., n° 414109, 3 espèces)

 

69 - Action en justice – Mandat donné à un syndic de copropriétaires pour agir en justice – Nécessité – Habilitation conférée pour agir en première instance valable ipso facto pour interjeter appel – Cassation sans renvoi.

Rappel de ce que si le syndic d'une copropriété régie par la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis est tenu - à peine d'irrecevabilité du recours - d'obtenir une autorisation de l'assemblée des copropriétaires afin de pouvoir agir en justice, en revanche une telle autorisation permet au syndic d'agir en appel et, le cas échéant, en cassation, sans le besoin d'une nouvelle autorisation.

(17 juin 2019, M. et Mme X., n° 420288 ; Commune de Bois-Colombes, n° 420296)

 

70 - Responsabilité hospitalière – Demande indemnitaire – Saisine de la commission de conciliation et d'indemnisation – Point de départ du délai de recours contentieux – Motifs et effets des interruptions de délai.

La loi du 4 mars 2002, malgré son souci de simplification et d'accélération des procédures, n'en finit pas de nourrir un contentieux complexe, sophistiqué, et de créer au final des situations guère lisibles.

Lorsqu'un patient saisit un établissement public de santé d'une demande indemnitaire, la décision de cet établissement la rejetant fait normalement courir le délai de recours contentieux si sa notification comporte bien l'indication, d'une part, que le tribunal administratif peut être saisi dans le délai de deux mois, d'autre part, que ce délai est interrompu en cas de saisine de la commission de conciliation et d'indemnisation.

Pour qu'il en soit ainsi il est nécessaire tout d'abord que la saisine de la commission (art. L. 1142-7 CSP) ait eu lieu avant l'expiration du délai de recours contentieux ; ensuite, le demandeur ne peut la saisir que d'une demande d'indemnisation amiable ou d'une demande de conciliation. Si la commission est saisie après expiration du délai de recours contentieux ou si elle est saisie d'un autre objet que l'un des deux susrappelés, la demande présentée devant la commission est irrecevable.

Dans le cas d'une demande d'indemnisation amiable, le tribunal administratif doit être saisi dans les deux mois de la date à laquelle l'avis rendu par la commission est notifié à l'intéressé.

Dans le cas où la commission est saisie d'une demande de conciliation, le tribunal administratif doit être saisi dans les deux mois soit de la date à laquelle l'intéressé a reçu le courrier de la commission l'avisant de l'échec de la conciliation soit de celle à laquelle le document de conciliation partielle (cf. art. R. 1142-22 CSP) est signé par les deux parties.

Enfin, dans le cas où la commission, saisie dans le délai de recours contentieux d'une demande d'indemnisation amiable, se déclare incompétente pour en connaître (art. R. 1142-15 CSP), la présentation par le demandeur, dans les deux mois de la notification de l'avis rendu en ce sens, d'une demande de conciliation a pour effet d'interrompre à nouveau le délai de recours. Celui-ci courra alors à compter de la date indiquée ci-dessus.

En l'espèce, un refus d'indemnisation a été adressé au demandeur le 16 novembre 2017 et celui-ci a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation, dans le délai de recours contentieux, d'une demande de règlement amiable. Un avis d'incompétence lui ayant été notifié avec indication qu'il lui demeurait loisible d'adresser à la commission une demande de conciliation, il a, dans le délai de recours contentieux, saisi la commission de conciliation et d'indemnisation à cette fin.  Or le juge des référés de la cour administrative d'appel a estimé, commettant ainsi une erreur de droit, que cette demande de conciliation, succédant donc à celle tendant à la demande de règlement amiable n'avait pas pu conserver le délai de recours contentieux. En effet, cette seconde demande adressée à la commission a eu pour effet d'interrompre à nouveau le délai de recours contentieux, lequel n'a recommencé à courir qu'à compter de la notification à l'intéressé, le 6 mars 2018, qu'il était mis fin à la procédure de conciliation.

Ce dernier n'était donc plus recevable à saisir le juge d'une requête à fins indemnitaires le 1er juin 2018.

A cet égard, il est relevé, une fois de plus, que l'absence de mention des voies et délais de recours sur cette seconde notification est sans incidence ici, dès lors que ces mentions figuraient bien et sur la décision initiale de refus d'indemnisation et sur le premier avis de la commission.

Pourquoi ces prétendues simplifications tournent-elles à des solutions vertigineuses de complexité ?

(Ord. réf. 5 juin 2019, M. X., n° 424886)

 

71 - Référé suspension – Mesure de placement d'un détenu à l'isolement – Décision de prolongation d'une mesure de placement à l'isolement – Présomption irréfragable d'urgence.

Dans une affaire où cette solution n'emporte aucune conséquence du fait de la cessation de tout effet de la mesure contestée, le juge, saisi d'un recours en référé suspension, crée un nouveau cas de présomption d'urgence : la mesure plaçant un détenu à l'isolement ou prolongeant une décision d'isolement est toujours présumée constituer une situation d'urgence.

En ce cas, l'octroi d'une mesure en référé suspension n'est plus soumise, normalement, qu'au seul respect de l'autre condition légale, soit l'existence d'un moyen sérieux au soutien de la demande au principal, d'annulation.

(7 juin 2019, Mme X., n° 426772)

 

72 - Projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes – Demande d'annulation d'arrêtés préfectoraux délivrant diverses autorisations en vue de la réalisation de travaux –Arrêtés abrogés – Validité du décret et d'un arrêté déclaratifs d'utilité publique expirée – Recours sans objet – Non-lieu à statuer.

Nouvel épisode dans l'interminable feuilleton de l'introuvable aéroport de Notre-Dame-des-Landes : le Conseil d'Etat déclare sans objet l'ensemble des recours dirigés contre deux arrêtés préfectoraux autorisant certains travaux en vue de la réalisation de cet aéroport et dit n'y avoir lieu à statuer sur eux dans la mesure où ils ont fait l'objet d'une abrogation et où le décret et l'arrêté déclaratif d'utilité publique qui constituaient leur base juridique ont perdu leur validité.

(7 juin 2019, Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes (ACIPA) et autres, n° 406890 ; Association France Nature Environnement et autres, n° 406898 ; Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes (ACIPA) et autres, n° 406900)

 

73 - Plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) – Qualité des signataires de l'accord – Vérification de cette qualité – Moyen opérant – Moyen tiré de l'absence de vérification par l'administration de cette qualité – Moyen inopérant.

Cette décision, relative à un litige né des conditions d'adoption d'un PSE, établit un subtil distinguo : le moyen invitant le juge à vérifier l'existence de la qualité des signataires d'un PSE pour ce faire est un moyen opérant tandis que le moyen selon lequel le juge n'aurait pas procédé à cette vérification n'est pas opérant.

(12 juin 2019, M. X. et 65 autres, n° 420084)

 

74 - Magistrats – Sanctions disciplinaires – Régime – Conseil supérieur de la magistrature – Insuffisance de motivation – Cassation et renvoi à ce Conseil.

Dans une affaire où un magistrat de l'ordre judiciaire, vice-président du TGI de Bastia, était poursuivi disciplinairement devant le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) pour divers manquements à ses obligations professionnelles, celui-ci avait soulevé le moyen tiré de ce que l'écoute téléphonique servant de base à la sanction disciplinaire avait été réalisée dans des conditions irrégulières contraires au droit au respect de la vie privée garanti par l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La décision attaquée du CSM écartant le moyen sans y répondre, elle est entachée d'insuffisance de motivation et cassée de ce chef avec renvoi au CSM.

(12 juin 2019, M. X., n° 414350)

 

75 - Transmission des requêtes – Application télématique dite "Télérecours" – Obligation d'inventaire détaillé des pièces jointes par voie électronique – Possibilité de regrouper par fichiers les documents constituant une série homogène – Cassation de l'arrêt contraire.

Cette décision est une illustration supplémentaire de la difficulté à effectuer certaines réfomes procédurales ce que traduisent les hésitations du Conseil d'Etat.

A l'origine c'est à la demande de ce dernier qu'ont été adoptées des dispositions strictes concernant la mise en oeuvre de l'application Télérecours notamment s'agissant de la transmission électronique des pièces jointes à un mémoire. Poussées par la logique de ce système et les motifs qui ont poussé à son adoption, les juridictions du fond ont eu une interprétation plutôt rigide des obligations matérielles qu'il engendre. Les litiges se sont surtout focalisés sur le mode de présentation des pièces dans le bordereau électronique ; on avait compris qu'il devait y avoir une pièce par fichier et autant d'entrées que de fichiers.

Puis, le Conseil d'Etat a progressivement lâché du lest. Ainsi, dans la présente affaire il est reproché à une cour d'avoir rejeté une requête dont le fichier unique qui y était joint comportait des signets dont plusieurs renvoyaient, chacun à plusieurs pièces. Selon les juges du Palais-Royal il eût fallu rechercher si ces pièces pouvaient faire l'objet d'une présentation groupée par exemple en tant qu'elles relevaient d'un même objet ou qu'elles formaient entre elles un ensemble homogène.

Encore une fois se mesure la nocivité complicatrice des mesures de simplification.

(14 juin 2019, Mme X., n° 420861)

 

76 - Ecole polytechnique – Nomination du président du conseil d'administration de l'Ecole – Contestation – Contrôle plein et entier du juge de l'excès de pouvoir.

Une personne dont la candidature à la présidence du conseil d'administration de l'Ecole polytechnique n'a pas été retenue conteste la procédure suivie et la nomination d'une autre personne.

Plusieurs griefs étaient développés au soutien de la requête en annulation (recours à un cabinet de recrutement pour l'examen des candidatures, allégation que la ministre des armées se serait crue liée par les conclusions de ce cabinet, liens existants entre certains membres du comité de sélection et tel candidat, absence d'obligation de motiver le choix du candidat retenu comme les rejets de candidatures, etc.), ils ont tous été rejetés, ce rejet manifestant que le juge de l'excès de pouvoir exerce en cette matière un contrôle plein et entier sur la décision de recrutement.

(14 juin 2019, M. X., n° 424326)

 

77 - Cour nationale du droit d'asile (CNDA) – Indépendance et impartialité des juges – Propos tenus par le président d'une des formations de la CNDA de nature à mettre en doute son impartialité – Cassation et renvoi à la CNDA.

Une ressortissante étrangère se pourvoit contre la décision de la CNDA refusant d'annuler le rejet de sa demande d'asile ou du bénéfice de la protection subsidiaire par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides.

Pour casser la décision contestée le Conseil d'Etat, après rappel de l'exigence universelle d'indépendance et d'impartialité pesant sur tout juge, retient laconiquement que : "La teneur de certains des propos tenus publiquement par le président de la formation de jugement est de nature à faire naître un doute légitime sur l'impartialité de la juridiction."

(14 juin 2019, Mme X., n° 427510)

 

78 - Ordonnance n° 2016-394 du 31 mars 2016 relative aux sociétés constituées pour l'exercice en commun de plusieurs professions libérales soumises à un statut législatif ou règlementaire ou dont le titre est protégé – Contestation de sa légalité externe – Rejet – Contestation de sa légalité interne – Réécriture par le juge d'un renvoi opéré par l'ordonnance – Publicité sur ce point de la décision du Conseil d'Etat.

Cette très longue décision est relative à la contestation par un certain nombre de professions libérales des dispositions de l'ordonnance du 31 mars 2016 créant les sociétés pluri-professionnelles pour l'exercice en commun de professions libérales. Le fond de ces requêtes, toutes rejetées pour l'essentiel ne sera pas étudié ici.

Il sera simplement insisté sur un point.

L'un des requérants soutenait l'illégalité de l'art. 3 de l'ordonnance attaquée au motif qu'en ne prévoyant pas, alors qu'il s'agit de sociétés pluriprofessionnelles, que les actes d'une profession déterminée ne peuvent être accomplis que par l'intermédiaire d'un membre de la société ayant la qualité pour exercer ladite profession, cet article violerait la loi d'habilitation. Le Conseil d'Etat recourant à une technique déjà, mais très rarement, utilisée (cf. Section, 27 octobre 2006, Sociétété TECNA, n° 260767) écrit et décide ceci : "Il est vrai, comme le relève en défense le ministre de l'économie et des finances, que l'article 31-4 de la loi du 31 décembre 1990 issu de l'ordonnance attaquée vise de manière erronée le troisième alinéa de l'article 1er de la même loi, lequel précise que les sociétés pluri-professionnelles d'exercice sont régies par les dispositions du titre IV bis de cette loi. Il ne fait pas de doute que l'auteur de l'ordonnance a entendu viser dans cette disposition le quatrième alinéa du même article 1er qui précise que les sociétés " ne peuvent accomplir les actes d'une profession déterminée que par l'intermédiaire d'un de leurs membres ayant qualité pour exercer cette profession ". En l'absence de doute sur la portée de l'article 31-4 de la loi du 31 décembre 1990 issu de l'ordonnance attaquée, il y a lieu pour le Conseil d'État, afin de donner le meilleur effet à sa décision, non pas d'annuler les dispositions erronées de cet article, mais de leur conférer leur exacte portée et de prévoir que le texte ainsi rétabli sera rendu opposable par des mesures de publicité appropriées, en rectifiant l'erreur matérielle commise et en prévoyant la publication au Journal officiel d'un extrait de sa décision."

Ceci se traduit ainsi dans les art. 3 et 4 du dispositif :

"Article 3 : L'article 31-4 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 31 mars 2016, s'entend comme visant le quatrième alinéa de l'article 1er de la même loi et non son troisième alinéa.

Article 4 : Un extrait de la présente décision, comprenant l'article 3 de son dispositif et les motifs qui en sont le support, sera publié au Journal officiel dans un délai d'un mois à compter de la réception par le Premier ministre de la notification de cette décision."

La solution est particulièrement judicieuse par son élégance, sa rapidité et sa complétude. Elle doit être pleinement approuvée

 (17 juin 2019, Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle et l'Association des conseils en propriété industrielle, n° 400192 ; Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, n° 400208 ; Conseil supérieur du notariat, n° 400267 ; Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires, 400290 ; Chambre interdépartementale des notaires de Paris, 400332)

V. aussi, du même jour : Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, n° 412149 ; Chambre interdépartementale des notaires de Paris, n°412154 ; Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires, n° 412248 ; V. également, du même jour : Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires, n° 412253)

 

79 - Hôpitaux – Action en responsabilité – Demande préalable en réparation auprès de l'hôpital – Notification incomplète d'une décision de rejet – Ouverture d'un délai raisonnable – Exigence tenant à la sécurité juridique – Exigence satisfaite par la règle de la prescription quadriennale.

C'est en principe l'existence d'une décision de l'administration qui déclenche le décompte du délai de recours contentieux. Toutefois, en l'absence de réponse de l'administration lorsqu'est exigée une décision explicite ou en l'absence de tout ou partie des mentions prévues par la réglementation le délai ne court pas à charge pour l'intéressé, en vertu d'une solution jurisprudentielle (Assemblée, 13 juillet 2016, Czabaj, n° 387763, p. 340), de saisir néanmoins le juge dans un délai d'un an afin de sauvegarder le principe de sécurité juridique.

En l'espèce, une patiente réclamait à un hôpital, au moyen d'un recours indemnitaire, réparation des préjudices subis. Le rejet de sa demande par l'hôpital ne comportant pas toutes les mentions requises (absence d'information sur la possibilité de saisir la commission de conciliation et d'indemnisation, avec conservation du délai de recours contentieux), quel était le délai raisonnable dans lequel l'intéressée devait saisir le juge ? Le juge écarte - et c'est là l'apport principal de la décision - le délai d'un an car s'agissant d'un litige relatif à une somme d'argent, joue la prescription quadriennale et ce délai est compatible avec les nécessités de la sécurité juridique.

(17 juin 2019, Mme X., n° 413097)

 

80 - Point de départ du délai de recours contentieux – Relation de l'administration avec ses agents – Silence de deux mois valant décision implicite de rejet – Délai de recours décompté à partir de la constitution d'une décision implicite de rejet ou à partir d'une décision explicite de rejet intervenue avant expiration du délai de recours contre la décision implicite – Cassation avec renvoi à la cour administrative d'appel.

Un agent public placé en position de congé non rémunéré pour convenances personnelle sollicite une réintégration anticipée dans ses fonctions. L'administration est demeurée silencieuse pendant deux mois faisant naître une décision implicite de rejet car le silence vaut toujours rejet dans les relations entre l'administration et ses agents. Est intervenue ensuite une décision explicite.

Lorsqu'intervient une décision confirmative de ce rejet, il faut distinguer deux hypothèses : si la décision explicite intervient alors que la décision implicite est devenue définitive, par expiration du délai de recours contentieux, la décision explicite ne rouvre pas le délai de recours ; si, au contraire, la décision explicite intervient alors que le délai de recours contentieux contre la décision implicite n'est pas expiré, elle rouvre le délai qui commence à courir à compter de la publication ou de la notification de la décision explicite.

Commet cependant une erreur de droit la cour qui applique cette dernière solution dans le cas où l'administration a erronément informé l'intéressé de l'état d'évolution de son dossier. En ce cas ne peut être opposée l'exception de décision purement confirmative.

(17 juin 2019, M. X., n° 413797)

 

81 - Exécution des décisions de justice – Concours de la force publique en vue d'assurer l'exécution d'une décision de justice ordonnant l'expulsion d'occupants d'un bien privé – Obligation pour le préfet de prêter ce concours – Impossibilité pour lui d'exercer un contrôle sur la régularité des mentions portées sur le commandement de quitter les lieux - Cassation avec renvoi.

Le Conseil d'Etat précise dans cette décision qu'aucune disposition ne permet au préfet lorsqu'il est saisi d'une demande d'octroi du concours de la force publique pour l'exécution d'un jugement d'expulsion, d'apprécier la validité du commandement de quitter les lieux délivré par l'huissier de justice. C'est donc à tort que le tribunal a cru pouvoir juger le contraire.

(17 juin 2019, M. X. et autres, n° 414002)

 

82 - Juge de cassation – Demande de substitution d'un autre motif à un motif juridiquement erroné – Appréciation impossible de circonstances de fait en cassation – Ouvrage public et travail public – Distinction – Cassation avec renvoi.

Une commune fait réaliser divers travaux sur le réseau municipal de collecte des eaux pluviales. Dans ce cadre, l'entreprise chargée de ces travaux a posé dans une propriété privée un tuyau de récupération des eaux pluviales de surface sans que cela lui ait été demandé par la commune. Suite à un contentieux, la cour administrative d'appel a considéré cette canalisation comme " aménagée pour être affectée à un but d'intérêt général " et elle en a déduit qu'elle constituait un ouvrage public. Le Conseil d'Etat censure ce raisonnement en retenant qu'en réalité la canalisation n'avait pour seul objet que la récupération des eaux de surface des propriétés privées sous le terrain desquelles elle se situait et qu'il n'était pas établi qu'elle aurait été commandée et financée par la commune.

Le propriétaire du terrain privé servant d'assiette à cette canalisation sollicite la requalification de l'opération d'ouvrage public en travaux publics. Ceci lui est très logiquement refusé car le juge de cassation ne peut se livrer à une appréciation des éléments de fait seuls susceptibles de lui permettre une telle requalification.

(26 juin 20196, Commune de Seebach, n° 415998)

 

Procédure non contentieuse 

 

83 - Emploi de clandestins – Infliction d'une sanction – Principe général du respect des droits de la défense – Confirmation de ce principe par l'art. L. 122-2 CRPA – Procédure spéciale à suivre en cas de sanction pour emploi de clandestins – Silence de la loi – Application directe du principe général du droit.

Le Conseil d'Etat fait en l'espèce une application vigoureuse et justifiée du principe audi alteram partem.

Les dispositions législatives et réglementaires relatives à la contribution spéciale et à la contribution forfaitaire sanctionnant l'emploi de travailleurs étrangers en situation irrégulière ne prévoient pas que le procès-verbal d'infraction transmis au directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration soit communiqué au contrevenant. Il résulte cependant du principe général du respect des droits de la défense - que rappelle l'art. L. 212-2 CRPA - que le silence des textes sur ce point ne saurait faire obstacle à cette communication, en particulier lorsque la personne visée en fait la demande, afin d'assurer le respect de la procédure contradictoire préalable à la liquidation de ces contributions, qui revêtent le caractère de sanctions administratives.

 (3 juin 2019, Office français de l'immigration et de l'intégration, n° 417759)

 

84 - Demande principale de décharge de paiement d'indus – Demande subsidiaire de remise gracieuse des indus – Rejet implicite résultant du silence gardé sur la demande principale – Rejet explicite de la demande gracieuse – Recours contentieux déclaré irrecevable au motif que le rejet explicite s'était substitué aux décisions implicites – Erreur de droit – Cassation partielle et renvoi.

Commet une erreur de droit le tribunal qui, pour déclarer irrecevable un recours formé contre la décision implicite de rejet de la demande de la requérante tendant à se voir déchargée du paiement d'indus, retient que la décision explicite rejetant sa demande gracieuse tendant à se voir remettre sa dette s'est substituée à la décision implicite attaquée. En effet, les deux décisions, implicite puis explicite, ne sont pas relatives à la même demande, l'intéressée ayant formulé deux demandes, l'une portant sur l'annulation de la décision de récupération d'indus et, en conséquence, sur le rétablissement de ses droits à prestation, l'autre sollicitant une remise gracieuse du paiement des indus.

(3 juin 2019, Mme X., n° 417892)

 

85 - Décision administrative – Possibilité de contestation devant l'autorité hiérarchique – Principe général de procédure – Méconnaissance – Cassation partielle et renvoi devant le tribunal administratif.

Le Conseil d'Etat rappelle dans ce litige de droit fiscal, l'existence du " principe général selon lequel toute décision administrative doit pouvoir être contestée devant l'autorité hiérarchique". Il s'agit là d'un principe général de procédure administrative non contentieuse.

(5 juin 2019, Sarl ESBTP Granulats, n° 412473)

 

86 - Installation nucléaire de base – Modifications notables à une telle installation – Règles de procédure – Contrôle du juge de plein contentieux – Composition du dossier – Effets des irrégularités éventuelles – Cas en l'espèce – Annulation de la décision du président de l'Autorité de sûreté nucléaire.

Une association de protection de l'environnement demande l'annulation de la décision du 20 mars 2018 du président de l'Autorité de sûreté nucléaire autorisant la société Electricité de France (EDF) à créer provisoirement une aire d'entreposage de déchets potentiellement pathogènes sur le site de la centrale nucléaire de Belleville-sur-Loire.

 La présente décision rappelle tout d'abord :

- d'une part, que le juge du plein contentieux doit apprécier le respect des règles de procédure régissant une demande d'autorisation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de délivrance de la décision attaquée et que constituent de telles règles de procédure les obligations relatives à la composition du dossier de demande d'autorisation d'une modification notable d'une installation nucléaire de base

- et, d'autre part, que les inexactitudes, omissions ou insuffisances affectant ce dossier ne sont susceptibles de vicier la procédure et ainsi d'entacher d'irrégularité l'autorisation que si elles ont eu pour effet de nuire à l'information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative.

Ensuite, faisant application de ces principes au cas de l'espèce, le juge relève que les déchets en cause sont susceptibles de contenir des germes (amibes et légionelles) potentiellement pathogènes pour l'homme et que, ainsi d'ailleurs que l'admettent l'Autorité de sûreté nucléaire et Electricité de France dans leurs écritures, une mise à jour de l'étude de gestion des déchets était nécessaire eu égard à la nature de ces déchets. Or si Electricité de France a indiqué dans la note d'analyse du cadre réglementaire de la création et de l'exploitation de l'aire provisoire de déchets potentiellement pathogènes accompagnant le dossier de demande d'autorisation, que " cette modification sera intégrée dans la montée d'indice de l'étude déchets du CNPE de Belleville-sur-Loire ", il ne résulte de l'instruction ni que cette mise à jour ait été jointe au dossier de demande ni même, au demeurant, qu'elle ait été réalisée. Cette omission est, dans les circonstances de l'espèce, de nature à avoir exercé une influence sur la décision de l'Autorité de sûreté nucléaire. La décision attaquée est par suite intervenue au terme d'une procédure irrégulière. 

Ainsi la décision querellée doit être annulée.

(17 juin 2019, Association Vivre notre Loire, n° 420833)

 

Professions réglementées

 

87 - Biologistes – Exercice des fonctions dans un laboratoire de biologie médicale – Non-respect du quota de biologistes par centre de ce laboratoire – Sanctions – Violation des principes de responsabilité personnelle et celui de la proportionnalité des peines – Cassation de la décision de la chambre de discipline du conseil national de l'ordre des pharmaciens et renvoi du dossier devant elle.

Lors d'une cession de parts de la société requérante avait été violée la règle posée à l'article L. 6223-6 du code de la santé publique selon laquelle : " Le nombre de biologistes médicaux en exercice au sein d'un laboratoire de biologie médicale détenant une fraction du capital social et travaillant au moins un mi-temps dans le laboratoire est égal ou supérieur au nombre de sites de ce laboratoire ".  Or en l'espèce, lors de cette cession de parts le nombre de biologistes détenteurs de parts en exercice au sein de la société avait été réduit à trois pendant quinze jours puis à deux pendant deux jours. Le Conseil de l'ordre a donc infligé une sanction dont le contenu a été contesté par la société et ses biologistes.

Le Conseil d'Etat, pour accueilir ces recours, retient deux arguments.

En premier lieu, est rappelé le principe de proportionnalité des peines : alors que la société absorbée détenait neuf sites au moment de la commission de l'infraction et seize après celle-ci, la sanction a été infligée aux seize sites et était donc disproportionnée.

En second lieu, est retenu le fait qu'en l'espèce, l'ordre des pharmaciens n'a pas recherché - comme cela était pourtant nécessaire - les éléments susceptibles de caractériser la responsabilité de chacun des intéressés dans cette situation.

(5 juin 2019, Société Cerballiance Normandie et autres, n° 422627)

 

88 - Notaires – Société civile professionnelle – Cession de parts – Recueil des consentements des associés – Vérification par le garde des sceaux – Modification de l'économie générale à la demande du garde sceaux – Obligation de recueillir ces consentements.

A l'occasion de la cession des parts d'une société civile de notaires à un tiers l'associé vendeur doit obtenir l'accord du garde des sceaux portant sur la personne de l'acquéreur mais aussi sur la vérification du consentement des associés. Lorsque le garde des sceaux impose en cette circonstance des modifications affectant l'économie générale de l'acte de cession, il doit en obtenir lui aussi l'agrément auprès des associés.

(17 juin 20019, M. X., n° 401682)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

89 - QPC dirigée contre l'art. 89 de la loi du 26 janvier 1984 – Impossibilité alléguée pour les agents publics privés d'emploi de bénéficier du revenu de remplacement institué par le code du travail – QPC présentée au soutien d'une requête ne relevant pas de la compétence du Conseil d'Etat – Conseil d'Etat statuant sur la QPC – Renvoi du fond du litige à la cour ayant saisi le Conseil d'Etat.

Dans un litige de droit du travail des agents publics, une cour administrative d'appel renvoie au Conseil d'Etat la QPC soulevée par la requérante à l'encontre des dispositions législatives critiquées. Le Conseil, bien que l'affaire relève en réalité de la compétence de ladite cour, se prononce tout de même sur la transmission de la QPC au Conseil constitutionnel et après décision de non transmission, renvoie le dossier à la cour primitivement saisie.

(3 juin 2019, Mme X., n° 424377)

 

90 - QPC - Invocation à l'encontre d'une disposition législative des principes de sécurité juridique et de confiance légitime – Absence de droits ou libertés garantis par la Constitution - Impossibilité de les invoquer dans le cadre d'une QPC.

Rejetant les divers moyens invoqués par les époux requérants au soutien de leur demande de renvoi pour QPC de l'art. 1658 CGI, le Conseil d'Etat relève que : " Si les époux X. soutiennent (...) que l'article 1658 du code général des impôts méconnaît les principes de sécurité juridique et de confiance légitime, ces principes ne sont pas au nombre, au sens et pour l'application de l'article 23-1 de l'ordonnance portant loi organique du 7 novembre 1958, des droits et libertés garantis par la Constitution." La formulation peut surprendre au moins pour le principe de sécurité juridique que le Conseil constitutionnel a lui-même consacré au moins une fois (décis. n° 373 DC du 9 avril 1996) mais il est vrai avec tant de réticences qu'il y a matière à hésiter sur cette reconnaissance.

Cette position d'exclusion est gênante à un double titre : elle ne vaut que pour les QPC non pour les inconventionnalités ; elle repose sur un statut de la loi qui remonte à Rousseau et à la IIIème République selon lequel le législateur peut toujours défaire ce qu'il a fait. Outre que ce n'est pas exact car le C.C. y a lui-même mis des limites (en jugeant, par exemple, que le législateur " dans l'exercice de ce pouvoir ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ", surtout cela revient à consacrer nécessairement l'inverse : il ne faut donc pas attendre de la loi une sécurité juridique ni avoir confiance en ses indications. Voudrait-on saper le peu de légitimité restant aujourd'hui à l'Etat en France que l'on ne s'y prendrait pas autrement...

(17 juin 2019, M. et Mme X., n° 429050)

 

91 - Monuments historiques classés ou figurant à l'Inventaire – Distinction entre propriétaires d'un tel bien et propriétaires d'immeubles situés dans le périmètre de tels monuments – Atteinte au principe d'égalité – Différence de traitement justifiée par une différence objective de situations - Refus de renvoyer la QPC.

Le Conseil d'Etat refuse de renvoyer une QPC fondée sur ce que l'art. 156 CGI porterait atteinte au principe d'égalité devant la loi et les charges publiques en ce qu'il n'admet la déductibilité du montant des travaux de restauration qu'au seul bénéfice des propriétaires d'un immeuble classé monument historique ou inscrit à l'inventaire supplémentaire et non à celui des propriétaires d'immeubles situés dans le périmètre de monuments historiques ou inscrits.

Sans surprise, le Conseil d'Etat juge que le propriétaire d'un immeuble situé dans le périmètre d'un monument naturel ou d'un site inscrit se trouve dans une situation différente de celle du propriétaire d'un immeuble classé monument historique ou inscrit à l'inventaire supplémentaire, lequel subit une véritable servitude avec obligation de faire.

(27 juin 2019, M. et Mme X., n° 427557)

 

Responsabilité

 

92 - Responsabilité sans faute de la puissance publique – Responsabilité hospitalière – Champ d'application du droit à réparation - Ayants-droit - Notion - Proches de la victime n'ayant pas la qualité d'héritiers de la victime – Existence de liens étroits avec cette dernière – Existence d'un préjudice direct et certain – Transmission successorale des droits de la personne décédée à ses héritiers selon les règles du Code civil – Cassation partielle sans renvoi.

Des parents d'une enfant décédée à l'hôpital demandent réparation de préjudices subis de ce fait par leur fille et par eux. Entretemps, ces parents ayant divorcé, chacun d'eux s'est remarié et les conjoints de ceux-ci sollicitent également réparation du fait de ce décès.

Se posaient deux questions juridiques importantes.

La première portait sur les droits des père et mère d'une part, au titre de la réparation de la partie du préjudice subi par leur fille et non encore indemnisée, d'autre part, au titre de leur propre préjudice. Le Conseil d'Etat réaffirme, bien évidemment, leur droit à réparation du chef du préjudice qu'ils ont directement subi car celui-ci leur est personnel, quant au droit à réparation du préjudice subi par leur fille et non encore réparé, il est entré dans leur patrimoine et relève des règles de dévolution successorale établies dans le Code civil.

La seconde question, plus délicate, était celle du droit à réparation de personnes qui ne sont pas parentes de la défunte, en d'autres termes, celle du champ d'application de la notion d'ayants-droit. Le Conseil d'Etat, inaugurant une jurisprudence nouvelle, décide qu'ont droit à réparation du préjudice les proches de la victime, fille de leur conjoint, bien qu'ils n'aient pas la qualité d'héritiers, dès lors qu'ils subissent du fait de ce décès un préjudice direct et certain. Il suffit pour cela que ces personnes démontrent avoir entretenu avec la victime des liens affectifs étroits et en avoir été très proches, surtout au moment où elle a eu l'accident des suites duquel elle est décédée.

(Section, 3 juin 2019, M. X. et Mme Y., n° 414098)

 

93 - Arrachage d'arbres fruitiers – Responsabilité du fait d'une décision illégale – Décision entachée d'incompétence – Détermination de ce qui aurait été décidé par l'autorité compétente – Lien direct de causalité – Présence – Cassation partielle avec renvoi à la cour.

Une entreprise agricole réclame réparation - pour cause d'incompétence de son auteur - du préjudice que lui aurait causé une décision préfectorale illégale ordonnant l'arrachage d'arbres fruitiers sur toute parcelle présentant un taux de contamination par le virus de la sharka, selon les années, de 5% et plus ou de 10% et plus. D'une part, elle estime que cette compétence appartenait au ministre de l'agriculture non au préfet, d'autre part, elle soutient qu'en-dessous d'un taux de contamination de 10% il n'y a pas de certitude scientifique sur la nécessité d'arrachages. Ayant saisi en vain les juges des deux premiers degrés, l'entreprise se pourvoit.

Le Conseil d'Etat rappelle que la mise en jeu de la responsabilité suppose l'établissement d'un lien de causalité. Lorsque, comme en l'espèce, est invoquée l'incompétence de l'auteur de la décision dommageable, il convient donc de s'interroger sur le point de savoir si l'autorité administrative compétente aurait pris la même décision, auquel cas n'est pas établi le lien de causalité entre l'incompétence et le dommage, ou si, au contraire, elle aurait pu prendre une mesure différente, ce qui rend possible une action en responsabilité.

En l'espèce, l'arrachage a été ordonné, selon les années, sur toute parcelle présentant un taux de contamination au moins égal à 5%. Or il résulte des pièces du dossier que n'existe pas de certitude scientifique sur le bien-fondé de ce seuil alors que cette certitude existe lorsque le taux est de 10%. Il résulte donc de là que le ministre aurait pu prendre une décision différente de celle attaquée par l'entreprise demanderesse et que l'incompétence du préfet a ainsi joué un rôle causal direct dans la survenance du préjudice dont se prévaut l'entreprise.

Dans cette mesure, l'arrêt - qui a refusé d'apercevoir un lien direct de causalité entre incompétence et préjudice - est cassé et la cour devra réexaminer ce point.

(24 juin 2019, Entreprise agricole à responsabilité limitée Valette, n° 407059)

 

94 - Permis de construire – Bâtiments régulièrement édifiés mais détruits ou démolis – Reconstruction à l'identique possible pendant dix ans – Exclusion de cette faculté pour ceux des bâtiments irrégulièrement édifiés mais acquis de bonne foi – Inconstitutionnalité – Demande de renvoi en QPC – Refus de transmettre la QPC.

Le législateur n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit de propriété en décidant qu'il serait possible de reconstruire à l'identique un bâtiment - régulièrement édifié - détruit ou démoli depuis moins de dix ans nonobstant toute disposition d'urbanisme contraire, sauf si la carte communale, le plan local d'urbanisme ou le plan de prévention des risques naturels prévisibles en dispose autrement et en refusant cette possibilité à un bâtiment irrégulièrement construit à l'origine mais acquis de bonne foi par la suite ou dont le propriétaire ne peut établir le caractère régulier de sa construction. Par suite la QPC est rejetée.

(7 juin 2019, Mme X., n° 426966)

 

95 - Fonctionnaire – Harcèlement par un ou plusieurs agents placés sous l'autorité de la victime – Obligation de protection pour l'administration – Obligation pour l'administration de réparer les préjudices dont elle n'est pas l'auteur – Cassation avec renvoi.

Une requérante demande réparation des préjudices subis dans ses fonctions de proviseur de lycée et du fait de sa mutation d'office. Cette requête est rejetée en première instance comme en appel au motif que les faits dont elle se plaint ne résultent pas d'une faute de service mais d'agissements de certains agents dudit service.

Le Conseil d'Etat pose en principe l'obligation pour l'administration de réparer de tels préjudices, s'ils sont avérés, alors même qu'ils ne lui sont pas imputables mais à certains de ses agents. Il s'agit donc d'une responsabilité de plein droit. Naturellement, ayant réparé, l'administration pourra exercer une action récursoire contre les fautifs.

La cour administrative d'appel est censurée pour avoir estimé qu'aucune négligence ne pouvait être reprochée en l'espèce à l'administration.

(28 juin 2019, Mme X., n° 415863)

 

96 - Responsabilité hospitalière – Echographies défectueuses – Constatations erronées – Dénaturation des pièces du dossier – Cassation avec renvoi.

Saisie par les parents d'une enfant née avec une malformation cardiaque d'une action en responsabilité dirigée contre un centre hospitalier du fait de préjudices ayant résulté de manquements qui auraient été commis dans le diagnostic prénatal de leur fille, la cour administrative d'appel, en rejetant cette demande, commet, selon le Conseil d'Etat, une dénaturation des pièces du dossier ainsi décrite. " Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les échographies des deuxième et troisième trimestres, pratiquées les 22 mai et 12 juillet 2011, avaient notamment pour objet d'apprécier la morphologie du coeur, en particulier les quatre cavités cardiaques et la position des gros vaisseaux, en vue notamment de détecter une malformation cardiaque inter-ventriculaire, qui est présente chez la moitié des foetus atteints de trisomie 21. Après avoir relevé que les clichés réalisés lors de ces échographies étaient respectivement, ainsi que l'admettait le médecin-conseil du centre hospitalier, de qualité " moyenne " et " médiocre ", la cour a retenu, en se référant aux seuls comptes-rendus d'examen échographique, qu'ils avaient néanmoins permis à la sage-femme les ayant réalisés de vérifier la présence de quatre cavités cardiaques équilibrées et le croisement des gros vaisseaux. En statuant ainsi, alors que l'expert judiciaire, qui avait par ailleurs déploré la brièveté du temps d'examen de chacune des échographies et le caractère stéréotypé de leurs comptes-rendus, avait pourtant relevé, sans être contredit sur ce point par le médecin-conseil du centre hospitalier, qu'il était impossible d'objectiver les quatre cavités cardiaques, l'équilibre des cavités et la position des gros vaisseaux sur les clichés réalisés."

(18 juin 2019, M. X. et Mme Y., n° 417272)

 

Santé publique

 

97 - Commercialisation d'insectes entiers destinés à l'alimentation humaine – Décision suspendant ce commerce jusqu'à l'obtention d'une autorisation de mise sur le marché – Interprétations contradictoires de l'art. 1er du règlement européen du 25 novembre 2015 - Renvoi d'une question préjudicielle à la CJUE.

La société requérante, spécialisée dans la commercialisation d'insectes entiers destinés à l'alimentation humaine (vers de farine, de criquets ou de grillons préparés), conteste la suspension de cette activité ordonnée par arrêté ministériel jusqu'à l'obtention d'une autorisation de mise sur le marché, après une évaluation visant à démontrer qu'ils ne présentent aucun danger pour le consommateur.

Le texte de base, un règlement européen, soulève une difficulté d'interprétation entre les Etats membres et entre les parties au présent litige : lorsque le règlement évoque les "nouveaux aliments" ne vise-t-il que des ingrédients alimentaires isolés à partir d'insectes (comme le soutient la société requérante) ou bien concerne-t-il également les insectes entiers comme soutient le ministre défendeur ?  Les juges du Palais-Royal renvoient donc à la Cour de Luxembourg le soin de trancher cette querelle.

(28 juin 2019, Société Entoma, n° 420651)

 

Service public

 

98 - Service de restauration scolaire dans les collèges – Service public administratif à caractère facultatif – Transfert de la compétence en ce domaine de l'Etat au département (loi du 13 août 2004) – Caractère facultatif inchangé – Impossibilité pour une commune ayant pris en charge ce service facultatif d'en réclamer le remboursement des charges au département – Rejet – Annulation de l'arrêt d'appel et décision au fond par suite du second pourvoi.

La commune demanderesse, par suite du transfert de l'Etat au département du service public de restauration scolaire dans les collèges, a demandé au département le remboursement des charges qu'elle a supportées du fait de ce service, depuis ce transfert. Le département ayant refusé, la commune a saisi en vain les juges des premier et second degrés, puis le Conseil d'Etat. Après cassation de l'arrêt d'appel et renvoi à celle-ci, cette dernière a annulé le jugement et condamné le département à indemniser la commune, ce dernier saisit le Conseil d'Etat d'un second pourvoi, le conduisant à statuer lui-même au fond.

Celui-ci relève que le service en cause, service public administratif, relevait de la compétence de l'Etat pour lequel il s'agissait d'une compétence facultative. Son transfert au département par la loi du 13 août 2004 n'a modifié ni sa nature de SPA ni son caractère facultatif. Par suite, la commune demanderesse, qui a assumé avant la loi de 2004 la charge de ce service par suite de conventions de délégation de service public conclues avec l'Etat et qui a continué après le transfert de cette compétence au département, l'a fait librement et volontairement car elle n'était pas obligée de le faire. Ainsi, elle ne saurait ni réclamer remboursement au département de sommes qu'elle a unilatéralement décidé d'affecter à un service public facultatif ni prétendre que le département avait l'obligation légale d'exécuter, pour son propre compte, cette convention de délégation de service public.

Elle ne peut invoquer ni l'enrichissement sans cause du département, ni l'existence d'une gestion d'affaires.

(24 juin 2019, Commune de Fondettes, n° 409659)

 

99 - Engagement de servir l'Etat – Agents de la Banque de France – Agents publics – Portée – Cassation partielle et renvoi.

Une personne, après son admission au concours d'inspecteur des finances publiques, a signé un engagement de servir l'Etat pour une période de huit années, sous peine de devoir reverser au Trésor public une indemnité de rupture d'engagement. Reçue en 2013 au concours externe de rédacteur de la Banque de France, elle a présenté, le 18 juillet 2014, à l'issue de son année de scolarité rémunérée, sa démission des cadres de la direction générale des finances publiques. Lui a été réclamé le paiement d'une indemnité de rupture d'engagement de servir l'Etat. Elle conteste la décision. Après avoir obtenu pleinement gain de cause en première instance puis partiellement en appel, elle se pourvoit.

Le Conseil d'Etat rappelle que : "Si la Banque de France constitue une personne publique chargée par la loi de missions de service public, elle n'a pas le caractère d'un établissement public, mais revêt une nature particulière et présente des caractéristiques propres. Ses agents sont notamment des agents publics régis par des statuts agréés par l'Etat, alors même qu'ils sont aussi soumis aux dispositions du code du travail en ce qu'elles ne sont pas contraires à celles des statuts particuliers." Il s'ensuit que pour déterminer la durée de l'engagemnt de servir à laquelle l'intéressée est soumise il convient d'appliquer les règles régissant les personnels de catégorie A de la direction générale des finances publiques.

En jugeant différemment, la cour a commis une erreur de droit et son arrêt encourt la cassation.

(28 juin 2019, Mme X., n° 415922)

 

100 - Service public communal – Eau potable – Grands ensembles – Individualisation des contrats de fourniture d'eau – Maintien de compteurs généraux – Réponse à une question préjudicielle sur renvoi de l'autorité judiciaire – Confirmation du jugement – Rejet.

Le juge administratif était saisi sur renvoi préjudiciel de l'autorité judiciaire de la  question de la légalité des deux derniers alinéas de l'article 4-1 du règlement de service de l'eau de la ville d'Antibes, au regard, d'une part, des dispositions de l'article 93 de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains et du décret du 28 avril 2003 pris pour son application et relatif à l'individualisation des contrats de fourniture d'eau et, d'autre part, des dispositions du code de la consommation prohibant les clauses abusives.

Confirmant le jugement de première instance, le Conseil d'Etat décide que l'existence d'un compteur général d'eau n'interdisait point l'installation de compteurs individuels de fourniture d'eau, dont la pose est d'ailleurs fortement encouragée par la loi précitée du 13 décembre 2000 ainsi que par son décret d'application. De plus, il n'y avait point là de clause abusive au sens du code de la consommation (art. L. 131-2) car un compteur général permet de quantifier la consommation utilisée par les parties communes d'un immeuble et de s'assurer qu'aucune consommation de l'immeuble n'échappe au comptage et à la facturation. En statuant ainsi, les premiers juges ont pleinement et sans erreur de droit répondu à la question préjudicielle posée par l'autorité judiciaire.

Le recours est rejeté.

(28 juin 2019, Association syndicale libre les jardins d'Isis, n° 425935)

 

Urbanisme

 

101 - Permis de construire – Taxe d'aménagement – Pluralité de titulaires du permis de construire – Possibilité de mettre la totalité de la taxe à la charge de l'un d'entre eux ou à la charge de tous sans que le montant cumulé excède le montant total de taxe due.

Le Conseil d'Etat juge dans cette affaire que lorsqu'un permis de construire a été délivré à plusieurs personnes physiques ou morales pour la construction de bâtiments dont le terrain d'assiette doit faire l'objet d'une division en propriété ou en jouissance avant l'achèvement des travaux (art. R. 431-24 c. urb.), les redevables de la taxe d'aménagement dont ce permis est le fait générateur sont les titulaires de celui-ci, chacun d'entre eux étant redevable de l'intégralité de la taxe due à raison de l'opération de construction autorisée.

L'administration a la faculté soit de réclamer le paiement de l'intégralité de cette taxe à l'un des bénéficiaires du permis avec possibilité pour celui-ci d'en poursuivre le paiement sur chacun des autres propriétaires à due proportion de sa part dans les biens construits soit de réclamer ce paiement à chacun des bénéficiaires du permis sans que le total cumulé de ces demandes de paiement partiel puisse excéder le montant total de taxe due.

(19 juin 2019, M. X., n° 413967)

 

102 - Permis de construire – Projet susceptible de porter atteinte à la sécurité publique (incendies, art. R. 111-2 c. urb.) – Refus du permis – Refus légal seulement s'il est impossible d'assortir ledit permis de prescriptions spéciales.

Lorsqu'il apparaît, au moment de son instruction, qu'un projet de construction pour lequel est sollicitée une demande de permis de construire est susceptible de porter atteinte à la sécurité publique, par exemple en raison du risque très élevé d'incendies dans la zone où doit être édifiée la construction, le permis ne peut être refusé que si l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, constate qu'il n'est pas possible, même en imposant au pétitionnaire des prescriptions spéciales, de lui accorder un permis conforme aux dispositions législatives et réglementaires qui le régissent.

(26 juin 2019, M. X., n° 412429)

 

103 - Evaluation environnementale – Plans ou programmes susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement – Unités touristiques nouvelles (UTN) non couvertes par un SCOT ou par un PLU – Absence de caractère systématique du recours à cette évaluation – Annulation partielle.

Si la création d'UTN structurantes ou locales par leur inscription dans le schéma de cohérence territoriale ou le plan local d'urbanisme est prise en compte par l'évaluation environnementale réalisée dans le cadre de l'élaboration de ces documents d'urbanisme, tel n'est pas le cas pour celles de ces UTN qui sont autorisées par l'autorité administrative dans les communes non couvertes par ces documents. La décision préfectorale autorisant ces dernières constitue un "plan" ou un "programme" au sens de l'art. 3 de la directive du 27 juin 2001 relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement or, sur ce point, les dispositions du décret attaqué, "qui ne prévoient notamment pas de consultation de l'autorité environnementale, ne peuvent être regardées comme instituant, pour ce type d'unités touristiques nouvelles, une procédure d'évaluation environnementale conforme aux objectifs de la directive du 27 juin 2001". 

Doivent donc être annulés tant le décret attaqué en tant qu'il ne soumet pas à évaluation environnementale la création ou l'extension d'unités touristiques nouvelles soumises à autorisation de l'autorité administrative, dès lors qu'elle est susceptible d'avoir une incidence notable sur l'environnement, que le refus de prendre les mesures réglementaires en ce sens.

(26 juin 2019, Association France Nature Environnement, n° 414931) V. aussi n° 43

 

104 - Permis de construire pour la réhabilitation et le changement de destination d'un immeuble – Intérêt pour agir d'une association ancienne occupante des lieux – Vérification du caractère irrégulier de l'occupation des lieux par l'association – Absence – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.

L'évolution récente du droit de l'urbanisme a tendu à rendre plus difficile l'accès au juge et l'exercice des recours de la part des tiers contre un certain nombre d'actes du droit de l'urbanisme. En particulier, a été restreint le champ de l'intérêt pour agir de ces tiers. C'est dans ce contexte que se situe cette intéressante décision.

Une association conteste un permis de construire délivré pour la réhabilitation et le changement de destination d'un immeuble qu'elle a occupé jusque-là et c'est en se prévalant de cette qualité qu'elle estime avoir intérêt pour agir.

Alors que la cour administrative d'appel a rejeté ce recours pour défaut d'intérêt, le Conseil d'Etat en juge différemment en se fondant sur les éléments suivants.

Il retient que l'association a occupé le bâtiment à compter de l'année 2002, en vertu d'une convention de mise à disposition qui expirait le 31 décembre 2010 et n'avait pas été renouvelée, qu'elle s'est maintenue sans titre dans les lieux jusqu'à juillet 2013 mais que la Cour de cassation a annulé la procédure à l'issue de laquelle elle en a été expulsée. Il décide en conséquence qu'il appartenait à la cour de rechercher si le caractère irrégulier de l'occupation du bien par l'association était sérieusement contesté devant le juge compétent. En ce cas, l'intérêt à agir de l'association devrait lui être reconnu.

En ne procédant pas ainsi la cour a commis une erreur de droit, d'où la cassation de son arrêt avec renvoi.

(26 juin 2019, Association " Comité national pour l'éducation artistique ", n° 421785)

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