Sélection de jurisprudence du Conseil d’État
Février 2023
Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse
1 - Décision refusant le bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire – Agent en droit de la percevoir – Obligation de motivation (art. L. 211-2 CRPA) – Annulation.
Dès lors qu’est opposé à un agent public le refus de lui attribuer la nouvelle bonification indiciaire alors qu’il remplit les conditions pour en bénéficier, cette décision doit être regardée comme « refusant un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir », au sens des dispositions de l'art. L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration.
En jugeant le contraire, le juge du tribunal administratif a entaché son ordonnance d’une erreur de droit, d’où l’annulation de cette ordonnance.
(03 février 2023, M. B., n° 459224)
2 - Communication de documents administratifs - Notes de frais et reçus des déplacements, notes de frais de restauration et reçus des autres frais de représentations engagés par la maire de Paris ainsi que par les membres de son cabinet – Éléments ayant la nature de documents administratifs communicables – Injonction de communiquer.
Le Conseil d’État juge, très logiquement et même sous le sceau de l’évidence, que constituent des documents communicables les notes de frais et les reçus des déplacements, les notes de frais de restauration, les reçus des autres frais de représentations engagés par la maire de Paris ainsi que par les membres de son cabinet sans que puissent y faire obstacle le prétendu respect de la vie privée des personnes invitées ou accompagnatrices.
La solution doit être non pas seulement approuvée mais applaudie.
Tout d’abord, il est de l’essence même de la vie démocratique où l’impôt repose sur tous que tous puissent connaître l’usage et la destination des fonds prélevés de force sur leur patrimoine personnel et sur leur travail, à défaut de quoi les contributions fiscales et autres redevances perdraient toute légitimité.
Ensuite, il ne saurait exister aucun obstacle à cette communication et surtout pas l’invocation de la vie privée des personnes car s’il en était ainsi c’est que les frais en cause n’auraient pas dû relever d’un décaissement public mais d’un financement sur les propres et privés deniers des intéressés directs. Au reste, si l’on devait admettre une telle exception, même encadrée, disparaîtrait dans un gouffre malséant toute dépense faite avec ou au profit d’un quidam quelconque.
Il faut ici rappeler que le Conseil d’État avait jugé communicables les pièces comptables relatives aux gerbes florales que le Président Mitterrand faisait déposer le 11 novembre sur la tombe de Philippe Pétain à l’île d’Yeu (27 novembre 2000, Association Comité tous frères, n° 188431, au Recueil Lebon).
(08 février 2023, Ville de Paris, n° 452521)
3 - Communication de documents administratifs – Cas du registre de contention et d’isolement d’un établissement hospitalier – Pseudonymisation du nom des patients – Office du juge – Annulation partielle.
Dans un litige né du refus d’un centre hospitalier de communiquer à une association son registre de contention et d'isolement, le juge rappelle la communicabilité de principe de ce document sans que puisse y faire obstacle le fait que l’art. L. 3222-5-1 du code de la santé publique a prévu que le registre de contention et d'isolement doit être présenté, sur leur demande, à la commission départementale des soins psychiatriques, au Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou à ses délégués et aux parlementaires et que le rapport annuel rendant compte de ces pratiques est transmis pour avis à la commission des usagers et au conseil de surveillance de l'établissement. Ces dispositions, ainsi que jugé à bon droit par le tribunal administratif, n'ont ni pour objet ni pour effet de soustraire ces documents aux règles fixées par les dispositions du code des relations entre le public et l'administration relatives au droit d'accès aux documents administratifs.
Ensuite, les éléments permettant d'identifier les patients doivent, en application des articles L. 311-6 et L. 311-7 du code des relations entre le public et l'administration, être occultés préalablement à la communication du registre de contention et d'isolement, afin de ne pas porter atteinte au secret médical et à la protection de la vie privée, comme doivent également l'être celles permettant d'identifier les soignants, afin d'éviter que la divulgation d'informations les concernant puisse leur porter préjudice.
Enfin, et c’est la nouveauté principale de cette décision, quand bien même l'identité des patients a fait l'objet d'une pseudonymisation, laquelle ne permet l'identification des personnes en cause qu'après recoupement d'informations, il est de l’office du juge administratif d'apprécier si, eu égard à la sensibilité des informations en cause et aux efforts nécessaires pour identifier les personnes concernées, leur communication est susceptible de porter atteinte à la protection de la vie privée et au secret médical.
Appliquant ces préconisations à l’espèce, le juge considère que la conjonction de la nature des informations en cause, qui touchent à la santé mentale des patients, et du nombre restreint de personnes pouvant faire l'objet d'une mesure de contention et d'isolement, rend de fait leur identification facilitée, d’autant que les autorités énumérées à l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique peuvent accéder à l'ensemble des informations figurant sur les registres et contrôler l'activité des établissements concernés. C’est pourquoi l'identifiant dit « anonymisé » figurant dans les registres de contention et d’isolement, sous la forme de « l'identifiant permanent du patient » (IPP) ou sous celle d'un identifiant spécialement défini, doit être regardé comme une information dont la communication, parce qu’elle est susceptible de porter atteinte à la protection de la vie privée et au secret médical, n'est communicable qu'au seul intéressé en vertu des dispositions de l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration.
Le jugement est censuré en tant qu’il a enjoint au centre hospitalier requérant au pourvoi de communiquer à l'association demanderesse le registre de contention et d'isolement sans occultation préalable de l'identifiant « anonymisé » du patient.
(08 février 2023, Centre hospitalier de l'arrondissement de Montreuil-sur-Mer, n° 455887)
4 - Réponse à une demande d’information - Décision administrative – Absence - Document de portée générale susceptible d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation – Absence – Rejet.
Par un courrier relatif à l'intéressement et à la participation dans les enquêtes du bureau des enquêtes de coût, le délégué général pour l'armement a, en réponse à une demande du Conseil des industries de défense françaises (CIDEF), indiqué que l'intéressement et la participation des salariés ne seraient pas pris en compte dans le coût de revient des enquêtes réalisées par le bureau des enquêtes de coût du service des achats d'armement et que ces éléments n'avaient pas non plus vocation à être intégrés dans les éléments comptables de valorisation des devis.
Le CIDEF, sa demande d’abrogation de cette prise de position ayant été rejetée implicitement, saisit le Conseil d’État d’un recours dirigé contre ce silence assorti d’une demande d’ordonner l’abrogation de ce refus.
Le recours est rejeté au terme d’un raisonnement discutable.
Se fondant sur la notion de documents à portée générale susceptibles d’effets notables, notamment ceux à caractère impératif ou constituant des lignes directrices, les juges du Palais-Royal estiment que le refus d’abroger n’est pas susceptible, ici, d’un recours pour excès de pouvoir. Il est soutenu que la lettre litigieuse répondait à une demande de la requérante et lui faisait part de l’interprétation de son auteur quant à la notion de coût de revient des prestations dans le cadre des marchés de défense, ainsi elle ne révèlerait « par elle-même aucune décision ». Peu sûr de lui, mais cherchant à convaincre par emploi d’un psittacisme argumentatif, le juge ajoute aussitôt « Dès lors que cette lettre se borne à répondre à une demande d'information particulière, elle ne saurait être regardée comme constituant un document de portée générale susceptible d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation des entreprises du secteur industriel de la défense », ce qui répète la phrase précédente.
Faut-il comprendre qu’une réponse à une demande particulière d’information n’entre dans la catégorie des « mesures à portée générale d’effets notables » que si elle est elle aussi à portée générale ? Mais il n’en est que rarement ainsi dès lors que la demande est « particulière ». Ou bien faut-il entendre ici que c’est parce qu’elle n’est pas susceptible d’effets notables sur les membres du CIDEF que cette solution est retenue ? Ou bien encore, l’obscurité des critères et du propos autorisant bien des suppositions pour sortir du « noir », faut-il considérer qu’ici c’est la conjonction d’une réponse à une question particulière et de l’absence d’effets notables qui fonde la réponse du juge ?
Voilà une solution qui, comme l’on dit, « interpelle »…
Mais, comme un malheur n’arrive jamais tout seul, voilà qu’en l’espèce, contrairement à ce que dit la décision, d’une part, la réponse litigieuse a bien des effets notables sur les intéressées puisqu’elles apprennent par elle, et par elle seule, la réduction de leurs marges bénéficiaires du fait de l’interdiction de déduire certaines charges, et d’autre part, que pour être « particulière » la question concerne toutes les entreprises du secteur…
Alors quid ? Marc de café ? Boule de cristal ? Tirage des cartes ? Prières à Sainte Rita ?
(10 février 2023, Conseil des industries de défense françaises (CIDEF), n° 460448)
5 - « Lignes directrices en matière de criblage » - Politique de versement des subventions à vocation humanitaire - Aide humanitaire et lutte contre le terrorisme et le blanchiment – Acte comportant des mesures réglementaires – Incompétence du ministre signataire – Annulation.
Les associations requérantes demandaient l’annulation pour excès de pouvoir d’un document intitulé « Lignes directrices en matière de criblage », émané des services du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, relatif à la politique de « criblage » aux fins de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme en matière d'actions humanitaires et de stabilisation.
Ce document définit le « criblage » comme un processus destiné à vérifier, préalablement à la réalisation d'un projet de développement ou d'un projet à vocation humanitaire, qu'une personne physique ou morale devant bénéficier du versement de fonds dans le cadre de tels projets ne figure pas sur les listes de personnes faisant l'objet de mesures restrictives en termes d'avoirs décidées par les autorités européennes ou nationales.
La requête en excès de pouvoir reposait sur le fait que cette obligation de « criblage », visant les bénéficiaires finaux ainsi que les partenaires de mise en œuvre récipiendaires de subventions, est applicable aux organismes de la société civile et ne ménage qu'une exemption restrictive pour les seuls projets à vocation humanitaire.
Pour annuler ce document, le juge retient l’incompétence du ministre signataire car, sous couleur de « lignes directrices » il impose des conditions nouvelles, tant à l'octroi de subventions, par les services du ministère de l'Europe et des affaires étrangères ou du groupe Agence française de développement (AFD), aux organismes de la société civile qui demandent le financement de projets incluant une mise à disposition de fonds ou de ressources économiques à des personnes physiques ou morales, qu’en prévoyant une dérogation pour les projets qui répondent directement aux besoins essentiels des populations en situation de risque humanitaire. Ces dispositions revêtent ainsi un caractère réglementaire et, à leur égard, les agents des services instructeurs ne disposent d'aucun pouvoir d'appréciation permettant d'y déroger. Or, aucun texte ne donnait compétence au ministre pour édicter de telles règles d’autant que, contrairement à ce qui est soutenu en défense, l'obligation de « criblage » ne peut pas être regardée comme la conséquence nécessaire de l'application de dispositions du code monétaire et financier, lesquelles ne posent qu'une interdiction de mise à disposition de fonds ou de ressources économiques au profit des personnes qui font l'objet d'une mesure de gel, sans préciser les moyens par lesquels cette interdiction doit être respectée.
On voit combien cette décision, par sa clarté et sa netteté, contraste avec l’incertaine décision précédente.
(10 février 2023, Associations Coordination Sud, Médecins du Monde, Action Contre la Faim, Fédération Handicap International, CCFD - Terre solidaire, Centre de Recherche et d'Information pour le Développement, Coordination Humanitaire et Développement et Secours catholique, n° 461486)
6 - Rapport annuel d’activités de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) – Demande d’annulation de passages concernant les requérants – Absence de caractère réglementaire ou de nature de document à effets notables – Rejet.
Il était demandé au juge, en premier lieu, d’annuler pour excès de pouvoir les rapports annuels d'activité 2003, 2016-2017 et 2018-2020 de la Miviludes, à tout le moins en tant qu'ils comportent des développements négatifs à l'égard des mouvements pratiquant le yoga et la méditation dont les personnes requérantes font partie ou portant atteinte à leur réputation et plus largement à l'activité de yoga qu'elles pratiquent.
Il lui était également demandé, en second lieu, d'enjoindre à la Miviludes et au ministre de l'intérieur de retirer de tout support ou documentation les références aux passages du rapport comportant des éléments négatifs à l'égard des mouvements pratiquant le yoga et la méditation dont elles font partie.
Les recours, joints, sont rejetés pour irrecevabilité manifeste, le juge relevant que ces rapports ne revêtent pas un caractère réglementaire ni ne constituent des documents à portée générale susceptibles d'influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles elles s'adressent et que leur irrégularité est insusceptible d’être couverte en cours d’instance.
Détaillant son raisonnement pour chacun des trois rapports visés, le Conseil d’État juge que s’agissant de celui de 2003, où il était reproché au groupe Shri Ram Chandra Mission, « en des termes affirmatifs », d'exercer une emprise psychologique sur ses membres par un contrôle pesant de leur comportement privé et par un conditionnement de leurs enfants, il ne peut plus être regardé, à la date de la présente décision, comme susceptible d'influer de manière significative sur les comportements ou comme produisant des effets notables, eu égard à son ancienneté. D’ailleurs son contenu n’a pas été repris tel quel dans les rapports plus récents.
Ensuite, concernant le rapport 2016-2017, le juge n’y aperçoit que des informations destinées au public sur des risques que présentent des propositions émanant d'individus isolés ou de petites structures gravitant autour d'organisations internationales comme la Shri Ram Chandra Mission, sans exprimer de mise en garde ou prise de position concernant les associations requérantes elles-mêmes. De plus, le simple rappel, dans une note de bas de page, de ce que la Shri Ram Chandra Mission a fait l'objet de « plusieurs signalements défavorables » auprès de la Miviludes, sans porter d'appréciation sur le bien-fondé de ces signalements, ne traduit pas davantage de prise de position de nature à avoir une influence notable sur le public.
Enfin, le rapport 2018-2020, selon les juges du Palais-Royal, s’il fait figurer les associations requérantes parmi les « mouvements ou techniques qui ont suscité le plus d’interrogations sur les trois dernières années », se borne cependant à indiquer que ces derniers « présentent à des titres et des degrés divers des risques pour les adeptes », dont une typologie globale est dressée, sans que ces risques soient spécifiquement associés aux associations requérantes ni que des faits précis leur soient imputés ou qu'une mise en garde soit explicitement formulée. Par suite fait ici encore défaut, dans ces conseils de vigilance, le caractère de mesure susceptible d'influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles s'adressent les requérants et ne sont pas de nature à produire des effets notables à leur égard justifiant qu'elles puissent faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.
(10 février 2023, Associations Shri Ram Chandra Mission France et Institut Heartfulness, n° 456954 et n° 461330, jonction)
7 - Demande de retrait d’une déclaration conjointe sur la modification du tunnel routier du Fréjus – Déclaration prise en application d’une convention internationale – Acte non détachable de la conduite des relations internationales de la France – Acte de gouvernement - Incompétence de la juridiction administrative – Rejet.
Échappe à la compétence de la juridiction administrative la connaissance de la requête tendant au retrait de la déclaration conjointe « sur la modification du tunnel routier du Fréjus » du 3 décembre 2012 car cette déclaration prise en application de la convention franco-italienne du 23 février 1972 concernant le tunnel routier du Fréjus et cette convention elle-même ne sont pas détachables de la conduite des relations internationales de la France.
(24 février 2023, M. Daniel B. et autres, n° 463543)
Collectivités territoriales
8 - Introduction d’une action en justice par un maire au nom de la commune – Nécessité d’une décision du conseil municipal - Absence – Irrecevabilité du pourvoi.
Le maire requérant a demandé en vain l’annulation de la décision préfectorale ayant donné récépissé à une société de sa déclaration au titre de la loi sur l'eau, en vue de procéder à l'épandage de boues issues du traitement des eaux usées sur des parcelles agricoles d'une superficie totale de 115 hectares, situées sur le territoire de plusieurs communes.
Il se pourvoit et son pourvoi est jugé irrecevable faute d’avoir obtenu, antérieurement à son action en justice, une délibération ou une délégation du conseil municipal en ce sens, conformément aux prescriptions des art. L. 2122-21 et L. 2122-22 du CGCT.
(03 février 2023, Maire d’Aubenas-les-Alpes, n° 460101)
9 - Publication d’un document de bilan de l’action municipale – Absence d’espace réservé à l’opposition municipale – Action en référé liberté - Irrégularité ne constituant pas une situation d’urgence – Engagements pris par la municipalité – Rejet.
Le juge du référé liberté du tribunal administratif a enjoint la maire de la commune requérante de suspendre la diffusion d’un document intitulé « Engagements tenus 2022 - Bilan de l'action municipale », de procéder à sa réédition en intégrant dès la première page les observations des conseillers municipaux d'opposition sur les propos tenus dans ce document sur la gestion et la réalisation de la majorité municipale, puis de lui assurer la même diffusion que le document initial dans la première quinzaine du mois de février 2023.
La commune interjette appel de cette ordonnance du 11 janvier 2023.
L’appel est accueilli au double motif, d’une part, que si n’ont pas été respectées en l’espèce les prescriptions de l’art. L. 2121-27-1 du CGCT obligeant à réserver dans les bulletins municipaux un espace « à l'expression des conseillers n'appartenant pas à la majorité municipale », cela ne constitue pas pour autant, dans ce cas précis, une situation d’urgence imposant de statuer dans les 48 heures, et d’autre part, que la commune défenderesse appelante s’est engagée par deux fois, dans ses conclusions écrites et à l’audience, à publier dans le bulletin d'information municipale de février 2023 deux tribunes pour chacun des deux groupes d'opposition, une habituellement prévue dans chaque bulletin, conformément aux dispositions de l'art. L. 2121-27-1 du CGCT, et une autre compte tenu de l'absence d'espace réservé à l'expression des groupes d'opposition dans le document « Engagements tenus 2022 - Bilan de l'action municipale ».
L’ordonnance querellée est annulée.
(08 février 2023, Commune de Plaisir, n° 470804)
Contrats
10 - Contrat administratif – Notion – Contrat conclu entre personnes publiques – Contrat comportant une mission de service public administratif – Rejet.
C’est sans erreur de droit qu’une cour administrative d’appel juge, à l’occasion d’un litige né de ce qu’une commune a mis fin de manière anticipée au détachement auprès d’elle du demandeur, salarié de droit privé de la Caisse des dépôts et consignations, que ce détachement résulte d’un contrat administratif du fait de sa conclusion entre deux personnes publiques pour l'accomplissement d'une mission de service public administratif - à savoir la préfiguration du pôle municipal gérontologique et de l'autonomie - et que son contentieux relève du juge administratif.
(10 février 2023, M. B., n° 448745)
11 - Contrat administratif – Notion – Contrat conclu par une personne privée avec une personne publique en agissant au nom et pour le compte de cette dernière – Compétence de la juridiction administrative – Action en responsabilité dirigée à bon droit contre la personne publique – Litige relevant de l’appel devant la cour administrative d’appel – Renvoi à cette dernière.
Un fonctionnaire territorial recherche la responsabilité du comité des œuvres sociales d’une commune ainsi que celle de cette commune du fait du préjudice qu’il estime avoir subi en raison des conditions de gestion puis de la résiliation du contrat collectif de prévoyance et d'assurance maladie souscrit par le comité des œuvres sociales de Meylan auprès de la société d'assurance Adrea Mutex, puis de la résiliation d'un contrat de complément de retraite qu'il pensait avoir été souscrit par le comité des œuvres sociales.
Le tribunal administratif ayant rejeté son action en condamnation solidaire du comité et de la commune, le demandeur a saisi la cour administrative d’appel, laquelle a renvoyé le litige au Conseil d’État. Trois questions étaient posées, la solution de la dernière n’étant que la conséquence des réponses données aux deux autres.
Tout d’abord, le litige relevait-il de la compétence du juge administratif alors que le contrat en cause a été conclu entre une personne privée et une personne publique ?
La réponse du juge est, très logiquement, positive car « les organismes à but non lucratif ou les associations nationales ou locales régies par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association à qui l'État, les collectivités locales et leur établissements publics choisissent de confier à titre exclusif la gestion de tout ou partie des prestations d'action sociale individuelles ou collectives dont bénéficient les agents qu'elles emploient agissent au nom et pour le compte de l'employeur public qui a fait ce choix. »
Ensuite, l’action en responsabilité fautive pouvait-elle être dirigée contre la commune ?
La réponse est, ici aussi, positive du fait que la personne privée agit au nom et pour le compte de la commune en sa qualité d’employeur de ses salariés dont le demandeur. C’est d’ailleurs cette responsabilité qui doit être recherchée puisque c’est à titre exclusif que la commune a confié la gestion des prestations en cause, à charge pour elle, en cas de condamnation et dans la proportion de cette dernière, de se retourner, le cas échéant, contre la personne privée.
Enfin, parce qu’il s’agit en l’espèce d’une action en responsabilité introduite par un agent contre la collectivité publique qui l'emploie à raison de fautes dans la gestion des prestations d'action sociale facultative instituées en application de l'article 9 de la loi du 13 juillet 1983, celle-ci ne constitue pas un litige relatif à des prestations, allocations ou droits attribués au titre de l'action sociale au sens de l'article R. 811-1 du CJA, l’on ne se trouve donc pas dans un cas où le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort, comme l’a sans doute pensé la cour administrative d’appel, mais dans la situation classique de droit commun où les jugements relèvent de l’appel devant cette cour, à laquelle il est donc renvoyé.
(17 février 2023, M. A., n° 460846)
(12) V. aussi, identique : 17 février 2023, Mme B., n° 460850.
13 - Marché de fourniture et de pose d’abribus – Offre irrégulière – Obligation de poser des scellements de mobiliers neufs – Offre prévoyant une réutilisation de certains scellements de mobiliers déposés – Offre irrégulière – Annulation de la procédure du marché – Reprise éventuelle au stade de l’analyse des offres – Annulation de l’ordonnance.
La métropole requérante demandait l’annulation de l’ordonnance qui, rendue sur le fondement de l’art. L. 551-1 du CJA, a annulé la procédure d'appel d'offres dans un marché de fourniture et de pose d’abribus au stade de l'analyse des offres.
L’ordonnance est annulée pour avoir été rendue à l’issue d’une procédure irrégulière puis le juge de cassation se prononce au fond.
Il relève qu’alors que le cahier des charges prévoyait que les scellements des mobiliers doivent être neufs, l’offre retenue indiquait prévoir une réutilisation de certains scellements des mobiliers déposés. C'est, dès lors, en méconnaissance de la prescription imposée par le règlement de consultation de construire des scellements neufs que son offre a été jugée régulière par le pouvoir adjudicateur.
Comme la société requérante était la seule autre candidate elle a été nécessairement lésée par cela. La procédure est annulée au stade de l’analyse des offres et si la métropole désire la reprendre c’est sous obligation de déclarer irrégulière l’autre offre.
(7 février 2023, Métropole Toulon-Provence-Méditerranée, n° 461935)
14 - Contrat de partenariat – Réalisation d’une ligne à grande vitesse Bretagne - Pays de la Loire - Dommages de travaux publics – Personnes responsables et chargées de leur réparation – Erreur de droit – Méprise sur la portée des écritures – Annulation.
Les requérants, les époux E., et leur entreprise agricole à responsabilité limitée (EARL) ont demandé la réparation des dommages résultant pour eux des travaux de construction de la ligne à grande vitesse Bretagne - Pays de la Loire, travaux réalisés sur la base d’un contrat de partenariat.
Le tribunal administratif a condamné la société Eiffage Rail Express à indemniser respectivement les époux E. et l’EARL.
Sur appel des demandeurs et appel incident d’Eiffage, la cour administrative d’appel a annulé le jugement en tant qu’il accordait une indemnité aux époux E. et réduit le montant de l’indemnité que ce jugement avait alloué à l’EARL.
Les demandeurs se pourvoient. Le Conseil d’État annule l’arrêt soumis à sa censure sur deux points importants, soit l’essentiel.
Auparavant, le juge rappelle que s’agissant d’un contrat de partenariat conclu sur le fondement des dispositions de l'ordonnance du 17 juin 2004, ici entre ce qui est aujourd’hui SNCF Réseau et Eiffage Rail Express, un tel contrat a pour double et automatique effet, d’abord, de confier la maîtrise d'ouvrage des travaux à réaliser au titulaire de ce contrat, ensuite, de déterminer le partage des risques liés à cette opération entre ce titulaire et la personne publique.
De là s’ensuit une première annulation de l’arrêt. En effet, la cour a jugé, sur erreur de droit, que la société SNCF Réseau devait être regardée comme seul maître de l'ouvrage dès la date d'achèvement des travaux de construction des ouvrages et équipements que le titulaire du contrat était chargé de réaliser ; elle en a, par suite, déduit, pour ce seul motif, que les époux E. n'étaient pas fondés à rechercher la responsabilité de la société Eiffage Rail Express pour les dommages résultant de la présence de l'ouvrage. Ce jugeant, elle a omis de tenir compte de la règle fondamentale du partage de risque entre les cocontractants qui est inhérente au contrat de partenariat.
Le juge de cassation prononce une seconde annulation fondée sur ce que la cour s’est méprise sur les écritures de l’EARL E. Il résulte de dispositions du code rural (cf. L. 123-1, L. 123-24 et L. 123-26) que, lorsqu'un remembrement est effectué – comme en l’espèce - en vue de la réalisation d'un grand ouvrage public et qu'il apparaît inévitable de déroger aux dispositions de l'art. L. 123-1 du code rural, les propriétaires pour lesquels, du fait de ces dérogations, des préjudices subsistent au terme des opérations de remembrement, sont fondés à demander au maître de l'ouvrage réparation des dommages résultant de ces opérations, constatés à l'issue de celles-ci, à titre de dommages de travaux publics. Si la cour a rejeté les demandes indemnitaires de l’EARL E. par le motif que celle-ci n'a pas la qualité de propriétaire des terrains en cause et qu'elle ne peut dès lors pas prétendre à la réparation des préjudices invoqués sur le fondement de l'art. L. 123-26 du code rural, il résulte des pièces de la procédure devant la cour que l'EARL E. a expressément demandé la réparation de son préjudice au titre des dommages résultant de la présence de l'ouvrage public, sur le fondement de la responsabilité sans faute du maître de l'ouvrage, responsabilité qui est au demeurant d'ordre public, et non sur le fondement de l'art. L. 123-26 du code rural.
(14 février 2023, M. et Mme E. et EARL E., n° 459046)
15 - Procédure de dialogue compétitif en vue de l’attribution d’un marché à bons de commande de fournitures et de services – Marché conclu entre une société publique locale pour l'aménagement numérique et une société privée – Recours d’un candidat évincé - Marché constituant un contrat de droit privé – Incompétence du juge administratif – Annulation et rejet.
La société publique locale pour l'aménagement numérique de la Guyane (SPLANG) a engagé une procédure de dialogue compétitif en vue de l'attribution d'un marché à bons de commande de fournitures et de services de continuité opérationnelle des installations satellitaires et hertziennes dont elle a la charge. Elle a conclu ce marché avec une société ; une autre société, évincée, a demandé, en vain, aux juges du fond, l’annulation ou la résiliation de ce marché. Elle se pourvoit.
Soulevant un moyen d’ordre public, le Conseil d’État annule l’arrêt d’appel pour n’avoir pas relevé d’office l’incompétence de l’ordre administratif de juridiction pour connaître du litige alors que le contrat litigieux a été conclu d’une part par le SPLANG, société anonyme régie par le code de commerce, qui ne saurait être considérée comme transparente par rapport aux personnes publiques qui l’ont créée et la contrôlent, agissant en son nom et pour son propre compte et d’autre part une autre société de droit privé.
La demande de la requérante, au fond, est rejeté par voie d’évocation du fait de l’annulation de l’arrêt d’appel.
(14 février 2023, Société Guyacom, n° 460527)
16 - Convention d’occupation et d’utilisation temporaire du domaine public maritime – Respect des critères par l’offre formulée dans le dossier de candidature – Doute sérieux sur la légalité de la convention – Erreur de droit – Annulation.
Le juge des référés a, à la demande de la société Antibes Bateaux Services (ABYS), suspendu une convention portant autorisation d'occupation et d'utilisation temporaire du domaine public conclue entre la société Vauban 21 et la société Organisation Nautique d'Antibes (ONA).
Il s’est, pour cela, appuyé sur le doute sérieux existant sur la légalité de cette convention au motif que, faute pour les capacités et aptitudes de la société ABYS, partenaire de la société Organisation Nautique d'Antibes, d'avoir été présentées dans le dossier de candidature de cette dernière, la société Vauban 21 n'avait pas été mise en mesure de contrôler l'exactitude de l'offre de la société Organisation Nautique d'Antibes au regard de sa capacité financière à assurer l'activité économique de location de bateaux et, ainsi, de vérifier le respect par cette offre du critère de cohérence, de fiabilité et de pertinence des équilibres financiers.
Le juge de cassation annule l’ordonnance attaquée pour erreur de droit car il résulte du cahier des charges que les éléments propres à permettre d'opérer cette vérification, tenant à l'analyse des offres, devaient être produits dans l'offre elle-même et non dans le dossier de candidature, qui devait seulement comporter un engagement écrit du partenaire du candidat.
(23 février 2023, Société Vauban 21, n° 461077 ; Société Antibes Bateaux Services, n° 461081)
17 - Marché public de fournitures – Obligations de publicité et de mise en concurrence – Principe d’impartialité faisant partie de ces obligations – Annulation avec injonction d’exclure, en cas de reprise de la procédure du marché, une certaine entreprise.
La requérante se pourvoit en cassation d’une ordonnance du juge du référé précontractuel (art. L. 551-1 CJA) qui a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la procédure de passation d’un marché public ayant pour objet l'extension et la maintenance du système de vidéo-protection urbaine de la commune de Caudry, et d'enjoindre à la commune de reprendre l'intégralité de cette procédure.
Le Conseil d’État annule cette ordonnance au visa, notamment, de l’art. L. 2141-10 du code de la commande publique qui permet à l’acheteur d’exclure de la procédure de passation d’un marché les personnes pouvant compromettre son impartialité ou son indépendance dans le cadre de la procédure de passation du marché.
En effet, le principe d’impartialité de l’administration active s’impose à tout pouvoir adjudicateur afin que soit garanti le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence, inhérent à la commande publique.
Le juge constate que ce principe général du droit n’a pas été respecté en l’espèce puisque, d’une part, l’assistance à maîtrise d’ouvrage de la commune était assurée par la société AV Protec dont le dirigeant est également celui de la société éditrice du logiciel que l'offre du groupement attributaire désignait comme son fournisseur, et d’autre part, la société AV Protec a, au titre de sa mission d'assistance à maîtrise d'ouvrage, participé à l'analyse des offres et à leur notation et a été ainsi susceptible d'influencer l'issue de la procédure.
La cassation de l’ordonnance querellée est prononcée pour qualification inexacte des faits. Nous y aurions plutôt vu une dénaturation. Le juge enjoint en outre, en cas reprise de la procédure au stade de l’analyse des offres, d’en exclure la participation de la société AV Protec.
(28 février 2023, Société Sofratel, n° 467455)
Droit du contentieux administratif
18 - Exécution des décisions de justice – Absence d’exécution dans le délai fixé par l’injonction – Ouverture d’une procédure d’astreinte sur rapport de la section du rapport et des études du Conseil d’État – Condamnation à astreinte.
Le Conseil d'État, par une décision du 10 juin 2020 (n° 429957), a annulé le refus du ministre de la santé de proposer à la signature du premier ministre le décret en Conseil d'État relatif à la salubrité des habitations prévu à l'art. L. 1311-1 du code de la santé publique, et il a enjoint au premier ministre de prendre ce décret dans le délai de neuf mois à compter de la notification de sa décision.
Après que la section du rapport et des études du Conseil d’État a constaté l’inexécution de cette décision à l’expiration du délai imparti et demandé l’ouverture d’une procédure d’astreinte d’office, le Conseil d’État fixe, faute d’exécution dans le mois de la présente décision, à trois cents euros par jours le montant de l’astreinte jusqu’à complète exécution de la chose jugée.
Le montant est raisonnable compte tenu d’un retard de près de 24 mois à la date du présent arrêt.
Il va bien falloir un jour se décider à mettre en jeu la responsabilité personnelle des ministres qui se fichent de la chose jugée. La crainte de la sanction sur le portefeuille personnel constituerait là aussi le commencement de la sagesse.
(02 février 2023, M. A. C. et M. B. C., n° 463549)
(19) V. même solution, au terme d’une procédure identique et avec identique montant d’astreinte, à propos de l’inexécution d’une décision du 8 novembre 2019 (n° 424954), aux termes de laquelle le Conseil d’État a annulé le refus de la ministre de la santé d'abroger, en tant qu'elles réservent aux docteurs en médecine l'épilation au laser et à la lumière pulsée, les dispositions du 5° de l'article 2 de l'arrêté du 6 janvier 1962 et précisé que cette annulation avait nécessairement pour conséquence que les autorités compétentes étaient tenues, dans un délai raisonnable, non seulement d'abroger le 5° de l'article 2 de l'arrêté du 6 janvier 1962 en tant qu'il porte sur l'épilation au laser et à la lumière pulsée, mais aussi d'encadrer ces pratiques d'épilation par des mesures de nature à garantir, dans le respect des règles du droit de l'Union européenne relatives au libre établissement et à la libre prestation de services, la protection de la santé publique : 02 février 2023, M. A., premier requérant dénommé, n° 468009.
(20) V. aussi, jugeant sans objet la demande d’exécution sous astreinte d’une décision du Conseil d’État (Section, 5 octobre 2018, Association Saint-Hubert, n° 407715, au Recueil Lebon) qui :
1° annule le refus du premier ministre d'abroger les dispositions de l'art. R. 422-53 du code de l'environnement qui excluent toute possibilité pour des propriétaires de terrains ou les détenteurs de droit de chasse de se regrouper après la constitution d'une association communale de chasse agréée (ACCA) afin d'exiger le retrait du fonds ainsi constitué du territoire de cette ACCA, alors que l'art. L. 422-18 du même code permet pourtant un tel regroupement en vue d'un retrait d'une ACCA déjà constituée,
2° enjoint le premier ministre de prendre, dans le délai de neuf mois à compter de la notification de cette décision, les dispositions nécessaires pour modifier l'art. R. 422-53 du code de l'environnement afin de remédier à cette illégalité.
En effet, l'art. 13 de la loi du 24 juillet 2019 portant création de l'Office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l'environnement, a prévu à l'art. L. 422-18 modifié du code de l'environnement un droit d'opposition des propriétaires et des associations de propriétaires ayant une existence reconnue lors de la création de l'association. Il en résulte que le législateur, en excluant que les propriétaires de terrains ou les détenteurs de droit de chasse puissent se regrouper après la constitution d'une ACCA pour obtenir le retrait du fonds ainsi constitué du territoire de cette association, met fin, pour l'avenir, à l'obligation légale de modifier l'art. R. 422-53 du code de l'environnement.
D’où il suit que le recours en exécution d’une décision de justice est, depuis, devenu sans objet : 10 février 2023, Association Saint-Hubert, n° 438153.
21 - Demande en référé suspension – Affaire devant être appelée à une prochaine audience – Urgence non démontrée – Rejet.
Rejet d’une demande en référé suspension alors que l’examen du fond du dossier est prévu pour une audience devant se tenir dans les prochaines semaines et qu’aucune urgence n’est démontrée qui justifierait que soit rendue une décision immédiate par le juge de ce référé.
(02 février 2023, M. A., n° 470854)
22 - Introduction d’une action en justice par un maire au nom de la commune – Nécessité d’une décision du conseil municipal - Absence – Irrecevabilité du pourvoi.
(03 février 2023, Maire d’Aubenas-les-Alpes, n° 460101)
V. n° 8
23 - Référé suspension (art. L. 521-1 CJA) – Demande de suspension de la nomination du PDG d’EDF – Absence d’urgence – Rejet.
Pour demander la suspension de la désignation de M. Luc Rémont en qualité de PDG d’EDF, les requérants invoquent le caractère illégal de celle-ci car elle intervenue en méconnaissance des droits du Parlement, ce qui porterait nécessairement atteinte à un intérêt public.
Ceci n’établit aucunement l’urgence à statuer.
Faute d’urgence, il n’y a pas lieu d’examiner la seconde des conditions donnant ouverture à un référé suspension.
La requête est rejetée.
(03 février 2023, M. U. et autres, M. H. et autres, n° 470891)
24 - Greffe pulmonaire – Refus d’inscrire un patient sur la liste nationale des malades en attente de greffe – Comportement rétif du patient envers les indications thérapeutiques – Appréciation nationale de l’intérêt et de la priorité à la greffe – Pouvoirs du juge du référé liberté – Refus du juge de prescrire à une équipe médicale une démarche thérapeutique autre que celle qu’elle a choisie – Rejet.
(08 février 2023, M. A., n° 470823)
V. n° 134
25 - Clôture de l’instruction – Réception postérieure par le juge d’un mémoire d’une des parties – Obligation d’en prendre connaissance et de le viser sans l’analyser sauf décision de réouverture de l’instruction – Annulation.
Nouveau rappel que la réception par le juge, postérieurement à la clôture de l'instruction, d'un mémoire émanant de l'une des parties à l'instance, lui fait obligation d’en prendre connaissance avant de rendre sa décision et soit de le viser sans l'analyser et sans rouvrir l’instruction soit de rouvrir l'instruction.
(09 février 2023, Association des habitants et amis du Chesnay, n° 461404)
26 - Référé – Impossibilité pour le juge des référés d’être saisi de conclusions à caractère indemnitaire – Rejet.
Rappel de ce que le juge des référés ne saurait se prononcer sur des conclusions à fin d'indemnité, qui ne peuvent être utilement soumises qu'au juge du fond. Rejet du pourvoi contre le rejet, par le premier juge, pour ce motif, de la demande en ce sens.
(ord. réf. 08 février 2023, M. A., n° 470978)
27 - Forme et contenu des requêtes – Existence obligatoire de conclusions à peine d’irrecevabilité – Appréciation de cette existence – Méprise sur la portée des écritures – Annulation.
Pour rejeter le recours formé par une société viti-vinicole contre la décision de l’établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) lui ordonnant le reversement d’une aide qui lui avait été attribuée pour le financement d’un projet d’investissement, les juges du fond s’était fondés sur ce que le mémoire produit par la demanderesse ne comportait pas de conclusions, cette absence constituant un motif d’irrecevabilité d’ordre public.
Le Conseil d’État est à la cassation de ce jugement et de cet arrêt car, expose-t-il, « aux termes de sa requête (…), intitulée " recours contentieux contre le titre de recette n° 2017-1799 du 29 juin 2017 ", la société La goutte d'or, qui n'était pas assistée d'un conseil, demandait que la somme mise à sa charge par ce titre de recette " soit dans son ensemble reconsidérée et fortement diminuée " et invoquait, par une motivation renvoyant précisément à des documents joints à la requête, plusieurs moyens tendant à contester le bien-fondé de la demande de reversement de l'aide dont elle avait bénéficié. »
Il s’agissait bien, contrairement à ce qui a été jugé en première instance et en appel, de « conclusions » tendant à la décharge, totale ou partielle, de la somme en litige.
(14 février 2023, Société La goutte d’or, n° 456666)
28 - Référé suspension – Demande d’attribution de l’aide au retour à l’emploi (ARE) – Refus – Situation jugée ni être urgente ni porter une atteinte suffisamment grave - Rejet de la demande de suspension du refus – Annulation et injonction.
Un refus ayant été opposé par le maire de la commune à sa demande de versement de l'allocation de retour à l'emploi (ARE), le requérant a, outre l’annulation de ce refus, demandé la suspension de son exécution, au moins à titre provisoire, dans l’attente du jugement sur le fond.
Le juge des référés a rejeté sa demande, l’urgence à suspendre le refus de l’ARE ne lui paraissant pas établie et ce refus ne préjudiciant pas de manière suffisamment grave et immédiate à sa situation car ce refus n'avait pas eu pour effet d'aggraver la situation financière préexistante du requérant.
Le juge de cassation annule cette ordonnance car le juge des référés ne pouvait s’arrêter à ce seul constat pour conclure à l'absence d'atteinte suffisamment grave et immédiate à la situation financière de M. B., alors que l'intéressé se prévalait de la précarité de sa situation financière, à laquelle le refus opposé ne permettait pas de remédier : le juge des référés a ainsi entaché son ordonnance d'une erreur de droit.
Après annulation de l’ordonnance, statuant au fond, le juge donne raison au requérant et fait injonction au maire de la commune d’accorder cette allocation sous deux mois.
(ord. réf. 07 février 2023, M. B., n° 460105)
29 - Référé liberté (art. L. 521-2 CJA) – Recours dirigé contre un refus de délivrance de visa d’entrée sur le territoire français – Sauf circonstances particulières, décision non constitutive d’une situation d’urgence – Rejet.
Rappel d’une jurisprudence constante selon laquelle, sous réserve de circonstances particulières, le refus de délivrance d'un visa d'entrée sur le territoire français ne fait pas apparaître une situation d'urgence qui justifie l'intervention à très bref délai d'une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de l'article L. 521-2 du CJA.
En l’espèce de telles circonstances ne sont pas établies à la date à laquelle le juge statue. La demande de visa d’un ressortissant congolais résidant en république du Congo afin de rencontrer une ressortissante angolaise, bénéficiant du statut de réfugiée, résidant au Havre avec laquelle il aurait une relation, et qui serait le père de son enfant à naître, ne caractérise pas une situation d’urgence, d’autant qu’il est déclaré par Mme D. dans son attestation d’accueil comme étant un « ami ».
(ord. réf. 15 février 2023, M. C. et Mme D., n° 471244)
30 - Demande d’abaissement d’éoliennes – Action d’associations et de particuliers – Intérêt pour agir dénié – Motivation insuffisante ou erreur de qualification juridique – Annulation.
Les requérants ont demandé que soit abaissée la hauteur d’éoliennes défigurant le paysage, se trouvant en co-visibilité avec un château et causant des nuisances visuelles aux occupants de chambres d’un hôtel. Les juges, de première instance et d’appel, ont rejeté ce recours motif pris du défaut d’intérêt pour agir de chacun d’eux.
Le juge de cassation annule l’arrêt litigieux.
S’agissant de l’action introduite par les deux associations, il est jugé qu’elles ont bien intérêt à agir en raison de leur objet social respectif tel qu’il est présenté dans leurs statuts (d’une part, « empêcher que les sites naturels ou urbains qui font la beauté du visage de la France ne soient dégradés ou détruits par des spéculations des industries, des constructions des travaux publics conçus, installés, exécutés sans aucun souci de l'aspect de la région et des intérêts même matériels qui sont attachés à cet aspect » pour l’une et, d’autre part, « lutter, dans son périmètre d'action, contre tout ce qui porte atteinte, notamment du fait de l'implantation de centrales éoliennes, à l'environnement, à l'agriculture, aux activités forestières, pastorales, viticoles, touristiques, de villégiatures ou de loisirs, aux paysages, à la faune et à la flore, aux ressources naturelles en air et en eau, aux monuments historiques, protégés ou non, au petit patrimoine et aux bâtiments typiques (...) » et « ester en justice contre toutes décisions publiques ou privées, notamment tous permis de construire et autorisation d'exploitation, toute autorisation unique, toutes zones, tous schémas, tous projets susceptibles de porter atteinte à l'objet de l'association », pour l’autre), alors, d’une part, qu’elles indiquaient que les quatre éoliennes faisant l'objet de la décision attaquée étaient distantes de quatre kilomètres d’un château protégé au titre des monuments historiques, et que la situation de covisibilité de ces éoliennes avait un impact significatif sur les vues disponibles depuis le château, le domaine et le practice de golf, et d’autre part, que les associations requérantes faisaient valoir que leur objet social leur conférait un intérêt de nature à leur donner qualité pour agir contre la décision litigieuse, notamment contre l'atteinte portée par les éoliennes litigieuses à plusieurs autres monuments protégés et à des éléments caractéristiques du paysage situés à proximité du parc éolien. L’arrêt est censuré pour son insuffisance de motivation.
S’agissant de l’action des particuliers, le rejet était fondé sur la seule distance entre le domaine de B. et les éoliennes litigieuses et la covisibilité réduite pour dénier à M. et Mme C. un intérêt suffisamment direct pour contester la décision litigieuse. Pour relever l’erreur de qualification juridique contenue dans l’arrêt déféré, le juge de cassation retient la lettre, produite par M. et Mme C., du directeur de l'hôtel-restaurant et du golf exploités sur le domaine de B., faisant état du mécontentement de clients à l'égard des éoliennes visibles depuis le château et, en particulier, de la gêne occasionnée à la nuit tombée par les lumières émises par ces appareils visibles depuis leurs chambres, ainsi que la visibilité de ces éoliennes de nature à porter atteinte aux conditions d'exploitation de l'hôtel-restaurant et du golf installés sur le domaine.
(17 février 2023, M. et Mme C., association Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France et association de défense de l'environnement et du patrimoine de la région Bourgogne Franche-Comté, n° 450111)
31 - Responsabilité – Rejet d’une indemnisation pour incompatibilité entre deux textes – Motivation insuffisante – Annulation.
Un agent de la société Orange, blessé au cours de travaux de remplacement de modules redresseurs de type géode qu’il effectuait pour cette société a réclamé la réparation du préjudice résultant de douleurs résiduelles consécutives à son accident et invoquait à cet effet une faute de la société Orange dans la mise en œuvre de la clause de sauvegarde prévue par l'accord intergénérationnel conclu entre cette société et les organisations syndicales représentatives relatives au temps partiel sénior. Pour rejeter ce chef de demande la cour administrative d’appel s’est bornée à juger que les stipulations de cet accord étaient contraires au statut général de la fonction publique de l'État auquel demeurent soumis les fonctionnaires de la société Orange. Cependant, elle ne s’est pas expliquée sur cette contrariété ni sur l'absence d'application de cet accord aux fonctionnaires de la société Orange qui en résulterait ce qui entraîne la cassation de son arrêt pour insuffisance de motivation.
(17 février 2023, M. A., n° 450296)
32 - Contrat administratif – Notion – Contrat conclu par une personne privée avec une personne publique en agissant au nom et pour le compte de cette dernière – Compétence de la juridiction administrative – Action en responsabilité dirigée à bon droit cintre la personne publique – Litige relevant de l’appel devant la cour administrative d’appel – Renvoi à cette dernière.
(17 février 2023, M. A., n° 460846)
V. n° 11
33 - Clôture de l’instruction - Désistement pur et simple postérieur à cette clôture en cours d’instance devant la cour administrative d’appel – Juridiction statuant en l’état du dossier sans donner acte du désistement – Régularité – Rejet.
C’est sans irrégularité qu’une cour administrative d'appel, qui aurait pu rouvrir l'instruction au reçu d’une lettre de désistement, postérieurement à la clôture de l’instruction, afin de communiquer cette lettre et donner acte du désistement, statue en l'état du dossier à la date de la clôture de l'instruction et se prononce sur les conclusions de la demande car elle n’a pas, en ce cas, l'obligation de faire usage des pouvoirs qu'elle détient au titre des dispositions de l’art. R. 613-4 du CJA.
Cette solution est la réitération d’une jurisprudence bien établie depuis trois décennies au moins (cf. 22 mai 1991, Consorts Guillou, Recueil Lebon p. 199 ; 5 avril 1996, Nouveau syndicat intercommunal pour l'aménagement de la vallée de l'Orge, n° 141684, Recueil Lebon p. 121)
(17 février 2023, Commune de Pléneuf-Val-André, n° 450707)
34 - Permis de construire - Clôture de l’instruction – Indication d’un moyen susceptible d’être relevé d’office – Absence de réouverture automatique de l’instruction – Mise en œuvre des pouvoirs de l’art. L. 600-5-1 c. urb. – Absence de réouverture de l’instruction – Rejet.
(17 février 2023, M. U. et autres, n° 452560)
V. n° 146
35 - Demande d’aide juridictionnelle antérieurement à l’audience – Obligation pour la juridiction saisie de surseoir à statuer jusqu’à la décision du bureau d’aide juridictionnelle – Absence – Annulation.
Statue irrégulièrement sur une affaire la cour administrative d’appel qui, informée de l’existence d’une demande de bénéficier de l’aide juridictionnelle, ne sursoit pas afin d’attendre la décision du bureau d’aide juridictionnelle.
(17 février 2023, M. A., n° 454112)
36 - Ordonnance de référé – Respect, adapté à l’urgence, du contradictoire – Méconnaissance – Dénaturation des pièces par confusion entre le référé de l’art. L. 521-2 (objet de la saisine du juge) et le référé de l’art. L. 521-1 – Annulation.
Le juge des référés du Conseil d’État était saisi d’un appel dirigé contre une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Mayotte statuant sur plusieurs requêtes dirigées contre un arrêté préfectoral du 19 septembre 2022 ordonnant l'évacuation et la destruction de constructions illicites sur le territoire de la commune de Mamoudzou, arrêté exécuté le 14 janvier 2023.
Pour l’essentiel ces demandes sont devenues sans objet au jour où le juge statuait.
L’ordonnance est intéressante concernant deux vices procéduraux qui entraînent nécessairement l’annulation de la décision du premier juge.
En premier lieu, le ministre appelant soutenait que, s'il a reçu communication des requêtes de première instance sur lesquelles il n'y a pas eu lieu de statuer, il n'a, en revanche, reçu communication des trois requêtes auxquelles il a été fait droit par l’ordonnance attaquée qu'après l'audience, à laquelle le préfet de Mayotte ne s'est pas rendu, puisqu'il tenait pour certain le non-lieu sur les quatre requêtes qu'il avait reçues, aux conclusions desquelles une autre ordonnance avait déjà fait droit.
Ainsi, il était manifeste que le principe du caractère contradictoire de la procédure avait été méconnu mais l’on sait que ce principe doit être adapté à l'urgence en référé. Se posait donc la question de savoir jusqu’où pouvait être admise en l’espèce une entorse à ce principe fondamental de procédure. Le juge relève qu’ici il a été non pas aménagé mais entièrement méconnu, d’où l'irrégularité de l'ordonnance attaquée.
En second lieu, le premier juge était saisi sur le fondement d’un référé liberté, donc de l’art. L. 521-2 du CJA, or il statue, dans l’ordonnance querellée, sur la base du référé suspension, donc de l’art. L. 521-1 du CJA, puisqu’il retient, pour en prononcer l’annulation, non une atteinte grave et immédiate à une liberté fondamentale mais un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté attaqué. Solution d’autant plus inexplicable que, d’une part, le juge a bien visé expressément l’art. L. 521-2, et d’autre part, n’a pu que constater qu’il n’était saisi d’aucune demande d’annulation au fond.
(ord. réf. 16 février 2023, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, n° 470970)
37 - Dispense ou non de conclusions du rapporteur public – Information devant être donnée avant l’audience dans un délai raisonnable – Absence – Annulation.
Le Conseil d’État annule le jugement d’un tribunal administratif rejetant le recours formé par le requérant contre la décision par laquelle, sur son recours préalable, une commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées a confirmé sa décision l'orientant vers le milieu ordinaire du travail pour la période du 27 octobre 2020 au 11 mars 2023.
En effet, s’agissant d’un litige entrant dans la catégorie des contentieux qui, en vertu des dispositions de l’art. R. 732-1-1, sont susceptibles d'être dispensés de conclusions du rapporteur public, il importait que le demandeur fût informé de l’existence, ou non, de cette dispense dans son affaire. Or l'absence, au dossier, de l’avis d'audience, ne permet pas au juge de cassation de s'assurer qu'il comportait les informations relatives aux conclusions du rapporteur public et pas davantage n’est établie l’existence d’une mise en demeure informant le requérant de prendre connaissance de la dispense de conclusions du rapporteur public sur l’application « Sagace ».
(17 février 2023, M. B., n° 462051)
38 - Permis de construire – Sursis à statuer en attente de régularisation de ce permis – Pourvoi – Jugement annulant le permis – Non-admission du pourvoi contre ce second jugement – Pourvoi contre le premier jugement devenu sans objet – Non-lieu à statuer.
(15 février 2023, M. et Mme L. et autres, n° 463519)
V. n° 149
39 - Aide juridictionnelle – Situation d’urgence – Demande d’admission provisoire à l’aide – Rejet – Irrecevabilité de la demande d’annulation de ce rejet – Rejet.
En cas d’urgence, la juridiction saisie peut décider d’admettre provisoirement le demandeur au bénéfice de l’aide juridictionnelle. Il résulte des dispositions combinées de l’art. 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et de celles de l’art. 62 du décret du 28 décembre 2020 prises pour l’application des précédentes qu’en cas de refus d’accorder le bénéfice de cette aide, la décision de refus n’est pas susceptible de recours. Il en résulte que les conclusions tendant à la réformation d’une ordonnance de rejet d’une demande d’admission provisoire à l’aide juridictionnelle sont irrecevables.
(15 février 2023, Mme A., n° 470765)
40 - Sommes exposées par un requérant et non comprises dans les dépens – Possibilité de les mettre à la charge d’une partie en cas de non-lieu – Simple faculté – Rejet.
Le juge administratif a la faculté de mettre à la charge d'une partie des sommes exposées par le requérant et non comprises dans les dépens dans le cas où il constate qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions principales de la requête. Ce n’est là cependant qu’une faculté non une obligation. C'est ainsi à bon droit que, dans les circonstances de l'espèce, nonobstant les démarches qui avaient été entreprises en vain auprès de la préfecture par l'avocat de la requérante, avant l'enregistrement de sa demande en référé, le juge des référés a rejeté les conclusions présentées par la requérante au titre des dispositions de l’art. L. 761-1 du CJA.
(15 février 2023, Mme A., n° 470765)
41 - Décision d’instruire une demande d’asile en « procédure accélérée » et non en « procédure normale » - Saisine du juge du référé liberté – Rejet.
(ord. réf. 22 février 2023, M. A., n° 470820)
V. n° 90
42 - Référé liberté - Demande de suspension de l’exécution d’un acte administratif devenu définitif – Impossibilité sauf changement dans les circonstances de fait ou de droit – Rejet.
En l'absence de changement de circonstances de fait ou de droit, il ne saurait être utilement recouru à la procédure du référé liberté pour obtenir la suspension de l'exécution d'un acte administratif devenu définitif, ici l'article 1er du décret du 23 février 2022 relatif au cumul entre la pension d'invalidité et les revenus professionnels et modifiant diverses dispositions relatives aux pensions d'invalidité.
(ord. réf. 21 février 2023, M. A. et Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés, n° 471450)
(43) V. aussi, identique : ord. réf. 21 février 2023, Mme A. et Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés, n° 471390
(44) V. encore, identique : ord. réf. 21 février 2023, M. C. et Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés, n° 471352
45 - Désistement d’office (art. R. 612-5-1 CJA) – Appel de l’ordonnance de donné acte du désistement – Obligations s’imposant au juge d’appel – Erreur de droit – Annulation.
Il résulte des dispositions de l’art. R. 612-5-1 du CJA - permettant à la juridiction saisie d’interroger le demandeur sur le point de savoir s’il confirme expressément le maintien des conclusions dont il l’a saisie à peine de désistement d’office faute de réponse dans le délai imparti – que le juge d’appel a, en cette hypothèse, cinq obligations à satisfaire.
Il doit vérifier que l'intéressé a reçu la demande de maintien des conclusions, que cette demande fixait un délai d'au moins un mois au requérant pour répondre, qu’elle l'informait des conséquences d'un défaut de réponse dans ce délai, que le requérant s'est abstenu de répondre en temps utile et, enfin, d'apprécier si le premier juge, dans les circonstances de l'affaire, a fait une juste application des dispositions de l'article R. 612-5-1.
Faute d’avoir satisfait à cette dernière exigence, l’ordonnance attaquée est annulée pour erreur de droit. Nous dirions plutôt que, faute que cette exigence figure dans le code de justice administrative, étant une invention jurisprudentielle, le juge d’appel, en cette occurrence, a manqué à son office.
(23 février 2023, M. et Mme B., n° 460562)
46 - Compétence du Conseil d’État en premier et dernier ressort – Recrutement et discipline des agents publics nommés par décret du président de la république (art. 13 de la Constitution) – Suspension d’activité dans l’intérêt du service – Rejet.
Ne relève pas de la compétence directe du Conseil d’État statuant en premier et dernier ressort sur le recrutement et la discipline des agents publics nommés par décret du président de la république en vertu des dispositions de l'article 13 de la Constitution et des art. 1er et 2 de l'ordonnance du 28 novembre 1958 portant loi organique sur les nominations aux emplois civils et militaires de l'État, une requête dirigée contre la suspension du requérant, à titre conservatoire, de ses fonctions hospitalières et universitaires, mesure sans caractère disciplinaire seulement fondée sur l’intérêt du service.
(ord. réf. 24 février 2023, M. A., n° 471366)
47 - Permis de construire – Sursis à statuer en attente de régularisation de ce permis – Pourvoi – Jugement annulant le permis – Non-admission du pourvoi contre ce second jugement – Pourvoi contre le premier jugement devenu sans objet – Non-lieu à statuer.
(15 février 2023, M. et Mme L. et autres, n° 463519)
V. n° 149
Droit fiscal et droit financier public – Comptabilité publique
48 - Distribution de revenus (art. 109 CGI) – Notion – Imputation à un établissement stable situé en France de bénéfices réalisés par une société étrangère – Preuve à la charge de l’administration – Preuve non rapportée – Annulation.
Rappel en premier lieu, que la rectification par l’administration fiscale, au titre de l'impôt sur les sociétés, résultant de l'imputation à un établissement stable situé en France, par l'intermédiaire duquel elle est regardée comme y exerçant son activité, de bénéfices réalisés par une société étrangère (la société Garovito Construções), n’a pas pour effet d’établir ipso facto l'existence d'une distribution de revenus par cette société, au sens de l'article 109 du CGI. La circonstance que le contribuable ainsi imposé soit le maître de l'affaire n’établit pas davantage cette existence.
Rappel en second lieu, dès lors que le contribuable s’est opposé à la rectification proposée, qu’il incombait à l’administration fiscale d'établir l'existence d'une distribution de la fraction des bénéfices de la société imputés à son établissement stable et réputée correspondre à des montants de taxe sur la valeur ajoutée prétendument éludés.
(03 février 2023, M. B., n° 456210)
(49) V. aussi, et à l’inverse, le rejet du recours de cette même société tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos de 2009 à 2011du fait de l’irrégularité de l’envoi d’un avis de vérification de comptabilité à une société étrangère ayant son siège hors de France et dans un autre État de l’Union européenne : 03 février 2023, Société Garovito Construções, n° 456212.
50 - Contribuable placé en liquidation – Monopole du liquidateur pour présenter ou poursuivre une réclamation à l’administration fiscale – Cas où la réclamation est présentée par une société ultérieurement dissoute – Rejet.
Le juge applique au cas de l’espèce la jurisprudence portant à un an en principe le délai de saisine du juge en cas d’absence de notification ou de notification irrégulière des voies et délais de recours.
Surtout, il décide que les règles posées par le code de commerce organisant le dessaisissement du débiteur placé en liquidation au profit d'un liquidateur n’ayant été édictées que dans l'intérêt des créanciers, seul le liquidateur peut s'en prévaloir pour exciper de l'irrecevabilité du dirigeant d'une société placée en liquidation à présenter une réclamation à l'administration fiscale, à se pourvoir en justice ou à poursuivre une instance en cours.
Il précise ensuite que, dans le cas d’une réclamation présentée ou d’un litige engagé devant la juridiction administrative par une société ultérieurement dissoute, l'instruction de la réclamation ou la procédure contentieuse se poursuit dans les mêmes conditions que si la société n'avait pas été dissoute sauf si le liquidateur est intervenu pour contester la poursuite de l'action par les dirigeants de la société et demander à leur être substitué.
En l’espèce, la société requérante soutenait que l'introduction des réclamations, présentées par le commissaire à l'exécution du plan pour obtenir la décharge des impositions en litige, n'aurait pu être valablement faite que par le liquidateur de la société. Toutefois, il résulte des dispositions des art. R. 421-5 du CJA et R. 190-1, R. 196-1 et R. 196-2 du livre des procédures fiscales que ces réclamations, qui ont été valablement introduites en vertu du mandat donné par le dirigeant de la société, étaient de nature à faire courir les délais mentionnés par ces dispositions.
Il en résulte que la nouvelle réclamation présentée le 23 juin 2016 était tardive, ainsi que l'a jugé la cour administrative d'appel, ce qui entraîne le rejet du pourvoi.
(10 février 2023, M. C., mandataire liquidateur amiable de la Société générale de textile Balsan, n° 456829)
51 - Acquisition d’actions par une société – Paiement d’intérêts à cette occasion – Déduction de ces intérêts pour le calcul de l’impôt sur les sociétés – Date d’appréciation du montant de ces intérêts - Imposition supplémentaire par l’administration fiscale – Rejet.
Le 27 janvier 2009, la société Siemens a annoncé son intention d'exercer son option de vente des actions qu'elle détenait, à hauteur de 34 %, dans le capital de la société Areva NP, conformément aux stipulations du pacte du 30 janvier 2001 conclu avec son co-actionnaire, la société Areva.
Par ailleurs, au mois de mars 2009, les sociétés Siemens et Areva ont procédé à une augmentation de capital de la société Areva NP. Les deux actionnaires ont convenu, par un accord du 3 mars 2009, que l'apport effectué par la société allemande du fait de l’exercice de l’option de vente ci-dessus, serait remboursé à la date de rachat de sa participation et, au plus tard, le 31 janvier 2012. La société Areva a procédé le 18 mars 2011 au règlement du prix d'acquisition des titres à la société Siemens. Ces titres ont été inscrits à l'actif du bilan de la société Areva à la clôture de l'exercice 2011.
Par application des clauses combinées de l'art. 4.7.2 du pacte précité du 30 janvier 2001 et du « Schedule 4.7.2 » figurant en annexe de ce pacte, le prix d'acquisition des actions de la société Areva NP a été déterminé à partir de leur valeur à la date d'exercice, par la société Siemens, de son option de vente, majorée d'intérêts courant entre cette date et la date de paiement du prix, alors que la clause 4.7.1.1 du même pacte prévoyait un transfert de propriété des titres à la date de paiement du prix.
Ensuite, du fait des actions issues de l'augmentation de capital, les stipulations de l'accord du 3 mars 2009 renvoyaient, s'agissant de la date de transfert de propriété et du prix de cession, lequel prévoyait également le versement d'intérêts, aux stipulations du pacte du 30 janvier 2001.
Les intérêts versés par la société Areva à ce double titre (acquisition des actions rachetées par Siemens et augmentation du capital) ont été déduits du résultat imposable de l'exercice clos en 2011 après avoir été provisionnés sur une base estimative depuis 2009.
Contrairement à ce qui est soutenu par la contribuable requérante, c’est sans erreur de droit que la cour administrative d’appel a jugé que compte tenu de la date de transfert de propriété des titres, effective seulement à la date du paiement du prix en vertu des stipulations contractuelles susrappelées, les intérêts en litige devaient être regardés comme un élément du prix d'acquisition des titres et, par suite, être immobilisés en application des dispositions de l'article 38 quinquies de l'annexe III au CGI. La circonstance que le montant des intérêts litigieux ne correspondrait pas à l'évolution de la valeur des actions en cause entre 2009 et 2011 et celle que la société Areva aurait exercé, de fait, un contrôle exclusif de la société Areva NP à compter de l'exercice, par la société Siemens, de son option de vente et qu'elle aurait procédé à une consolidation à 100 % de la société Areva NP dans ses comptes consolidés dès 2009 sont à cet égard sans effet sur la solution retenue.
Le pourvoi est rejeté
(10 février 2023, Société Areva, n° 462729)
52 - Taxe d'enlèvement des ordures ménagères – Zone non desservie par un service d’enlèvement d’ordures ménagères - Demande de décharge ou de réduction de son montant – Détermination de la distance entre le lieu de production de ces ordures et celui de leur enlèvement – Rejet.
Ne commet pas d’erreur le tribunal administratif qui, pour rejeter la demande de la région Hauts-de-France tendant à voir annulée ou réduite sa contribution à la taxe d’enlèvement des ordures ménagères au titre du port de Calais motif pris de l’absence de point d’enlèvement des déchets à moins de 200 mètres de ceux-ci, juge que pour mesurer cette distance il convient de retenir non l’éloignement de chaque parcelle du port par rapport au lieu d’enlèvement mais celui décompté à partir des entrées de cette propriété qui est d’un seul tenant. La solution peut surprendre car ce qui compte en définitive c’est l’ampleur du déplacement des déchets d’un point à un autre c’est-à-dire très exactement la charge de déplacement pesant sur le seul assujetti. Il ne faut pas oublier qu’un grand port peut comporter plusieurs milliers de mètres.
Ce mode de calcul, au reste, ne saurait s’autoriser de dispositions en ce sens, en particulier des art. 1520 et 1521 du CGI qui sont muets sur ce point.
(07 février 2023, région Hauts-de-France, n° 449553)
53 - Comptable public déclaré débiteur – Versement d’indemnités forfaitaires pour travail les dimanches et jours fériés et d’indemnités horaires pour travail de nuit – Absence de décision en ce sens de l’ordonnateur – Absence de préjudice pour l’établissement employeur – Annulation et rejets partiels.
Le ministre requérant demandait l’annulation d’un arrêt de la Cour des comptes constituant le comptable alors en fonctions, au titre de l'exercice 2016, débiteur envers un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), d’une certaine somme pour versement à une infirmière et à deux aides-soignantes d’indemnités forfaitaires pour travail les dimanches et jours fériés, et d’une autre somme pour versement à ces deux mêmes aides-soignantes d’indemnités horaires au titre du travail de nuit intensif.
Le Conseil d’État, appliquant strictement les règles et principes régissant l’ordonnancement des dépenses, considère, rejetant sur ce point le pourvoi, que le comptable public doit, lorsqu'il procède au paiement des indemnités forfaitaires pour travail les dimanches et jours fériés et des indemnités horaires pour travail de nuit intensif, exiger, au titre des pièces justificatives, la production d'une décision individuelle d'attribution prise par le directeur de l'établissement et que ne sauraient tenir lieu de cette décision les tableaux mensuels de service, indiquant nominativement les journées de présence effectivement réalisées par les agents concernés, établis et signés par l'ordonnateur dans le cadre des astreintes.
En revanche, le pourvoi est reçu en ce que la Cour des comptes a commis une erreur de droit en retenant un préjudice financier qu’aurait subi l’EHPAD du fait de l’irrégularité des paiements, alors que le versement des deux indemnités en litige était de droit pour les agents de l'établissement concernés dès lors qu'ils ont réalisé les services en cause (cf. décrets du 2 janvier 1992 pour le travail effectué les dimanches et jours fériés, et du 30 novembre 1988 pour le travail de nuit) et qu’il est constant, au regard des tableaux de service établis et signés par l'ordonnateur attestant des journées et nuitées de présence, que ces indemnités avaient été versées aux agents de l'établissement ayant effectivement réalisé les services en cause et que le service avait été fait.
Est-il permis d’écrire que l’on voit dans tout cela des chinoiseries sans autre intérêt que de sanctionner des préjudices imaginaires commis par un agent de bonne foi sur la base de documents prétendument inadéquats mais dont les attestations sont exactes et irréfutables ? C’est Feydeau dans « De la rue Cambon au Palais-Royal ».
(17 février 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 446136)
54 - Comptabilité publique – Demande de remise gracieuse – Éléments devant être pris en compte par le comptable – Distinction entre les demandes de remise gracieuse selon leur antériorité ou leur postériorité au décret du 18 septembre 2018 modifiant l’art. 120 du décret du 7 novembre 2012 – Application inexacte de la loi – Annulation sans renvoi.
Rappel qu’il résulte des dispositions de l’art. 120 du décret du 7 novembre 2012 dans la version que lui a donnée le décret du 18 septembre 2018 que le régime applicable aux demandes de remise gracieuse dont sont saisis les comptables publics diffère selon que la créance dont il est demandé remise est née antérieurement ou postérieurement à l’entrée en vigueur du décret du 18 septembre 2018.
Lorsque les comptables sont saisis d’une demande de remise gracieuse portant sur les majorations, les frais de poursuite ou les intérêts nés avant l’entrée en vigueur du décret du 18 septembre 2018, ils doivent prendre en considération tous les éléments pertinents relatifs à la situation du demandeur en vue de déterminer la décision à prendre en vue d’accorder ou de refuser la remise sollicitée.
Lorsque les comptables sont saisis d’une demande de remise gracieuse portant sur la somme en principal d'une créance, formée après l'entrée en vigueur du décret du 18 septembre 2018, ils ne peuvent prendre en compte que les capacités financières du demandeur.
(17 février 2023, M. B., n° 460599)
55 - Taxe annuelle sur les surfaces de stationnement – Champ d’application – Contribution à l’activité exercée dans les locaux annexes – Erreur de droit – Annulation.
Rappel de ce que pour l’application combinée des dispositions des art. 1599 quater C (taxe annuelle sur les surfaces de stationnement) et 231 ter du CGI (taxe annuelle sur les surfaces de bureaux), applicables au titre de l'année 2017, le législateur avait alors entendu inclure dans le champ d'application de la taxe annuelle sur les surfaces de stationnement, les surfaces annexées à des locaux à usage de bureaux, à des locaux commerciaux ou à des locaux de stockage, sous réserve qu'elles ne soient pas topographiquement intégrées à un établissement de production. Pour déterminer si les surfaces de stationnement doivent être regardées comme annexées à l'une des catégories de locaux ainsi énumérées, il y a lieu de déterminer si leur utilisation contribue directement à l'activité qui y est déployée. En ne recherchant pas la réalisation de cette dernière condition, le jugement querellé est entaché d’erreur de droit.
(23 février 2023, Société Gaîté Parkings, n° 463892)
Droit public de l'économie et des finances
56 - Conséquences économiques de l’épidémie de Covid-19 – Institution d’un fonds de solidarité – Exclusion, dans une « Foire aux questions » mise en ligne, des loueurs en meublés non professionnels du bénéfice de l’aide de ce fonds – Annulation.
Dans une « Foire aux questions » publiée sur le site du ministère de l’économie et des finances et consacrée au fonds de solidarité destiné à venir en aide aux activités touchées par les effets de l’épidémie de Covid-19, à la rubrique « Puis-je en bénéficier ? », il était indiqué en réponse à la question « Les loueurs en meublés non professionnels sont-ils éligibles au fonds de solidarité ? », sans autre précision : « Non, les loueurs en meublés non professionnels ne sont pas éligibles au fonds ».
La requérante demandait l’annulation de cette réponse.
Rejetant la fin de non-recevoir du ministre opposée à la recevabilité de cette demande, le juge rappelle que peuvent lui être déférés par la voie du recours pour excès de pouvoir tous actes, documents ou autres susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre. Tel est le cas des éléments ci-dessus.
Ensuite, la réponse est annulée car elle méconnaît la définition du champ des personnes susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité tel qu’il résulte des dispositions de l’art. 11 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19, de l’art. 1er de l’ordonnance du 25 mars 2020 instituant un fonds de solidarité pour les « personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation du Covid-19 et des mesures prises pour en limiter la propagation » ainsi que de celles de l’art. 1er du décret du 30 mars 2020 pris pour l’application de l’art. 3 de l’ordonnance précitée..
(03 février 2023, Mme A., n° 451052)
57 - Droit de l’énergie – Énergie électrique – Octroi d’un volume additionnel d’électricité au titre de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) – Fixation du prix de cession de ce volume – Rejet.
Les requérants contestaient, pour l’essentiel, la légalité du décret du 11 mars 2022 définissant les modalités spécifiques d'attribution d'un volume additionnel d'électricité pouvant être alloué en 2022, à titre exceptionnel, dans le cadre de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) et des deux arrêtés du 11 mars 2022 fixant, l’un, le volume global maximal d'électricité devant être cédé par la société Électricité de France (EDF) au titre de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique et l’autre le prix des volumes d'électricité additionnels cédés dans le cadre de la période de livraison exceptionnelle instaurée par le décret précité, en tant qu'il ne fixe pas à un prix unique de 46,20 euros/MWh le prix de la totalité du volume d'électricité nucléaire historique cédé par EDF au titre de l'année 2022.
Les recours, après avoir été joints bien qu’ils ne présentent pas à juger d’identiques questions car celles-ci sont tout de même très proches, sont, sans grande surprise, tous rejetés.
Le juge organise en deux temps son appréciation de la légalité des décisions attaquées, d’abord par rapport aux exigences du droit interne, ensuite par rapport à celles du droit de l’Union.
Au regard du droit interne.
Le décret du 11 mars 2022, au plan de sa légalité interne, n’est pas entaché d’illégalité. Il convient de rappeler que l'obligation imposée à EDF d'offrir à la vente un volume d'électricité d'origine nucléaire à un prix déterminé a pour objet d'assurer la liberté de choix du fournisseur en faisant bénéficier l'ensemble des fournisseurs et leurs clients de la compétitivité du parc électronucléaire français et de contribuer à la stabilité des prix.
En portant ce volume de 100 à 120 TWh, l’auteur du décret et de l’arrêté corrélatif n’a pas créé illégalement un dispositif nouveau distinct de celui de l’ARENH mais, restant strictement dans ce cadre, d’augmenter le volume global d’électricité pouvant être cédé par EDF.
Ce volume a été fixé en fonction du volume total d’électricité produite par les centrales nucléaires déclaré par EDF, il ne contrevient pas aux dispositions de l’art. L. 336-1 du code de l’énergie. C’est pourquoi d’ailleurs, contrairement à ce qui est allégué, les pouvoirs publics n’avaient pas à suspendre l’ARENH dès lors que le volume global susceptible d’être cédé représentait 40% de la production prévue pour l’année 2022.
Si dans sa décision du 9 juin 2022, Société Oui Energy, n° 454294, le Conseil d’État a jugé, en se fondant sur la liberté de choix du fournisseur d’électricité, d’accès transparent, équitable et non discriminatoire à l’électricité produite par les centrales nucléaires et le développement de la concurrence, que la Commission de régulation de l’énergie ne pouvait pas modifier, pour les remettre en cause, les volumes d’ARENH déjà notifiés et suivis d’engagements fermes d’achat, il n’en va pas de même ici où existaient des tensions exceptionnelles sur les marchés de l'énergie ainsi que des hausses massives des prix au détail supportés par les consommateurs finals d'énergie, notamment ceux bénéficiant des tarifs réglementés, pouvant aller jusqu’à 130%, ce qui a obligé les pouvoirs publics à prendre des mesures urgentes et dérogatoires.
Au regard de ces caractéristiques imprévisibles, le caractère transitoire de l’augmentation du volume d’ARENH décidé en 2022 ne porte pas une atteinte excessive ou disproportionnée à la liberté d’entreprendre d’EDF qui détient le monopole d'exploitation du parc électronucléaire français.
L’arrêté du 11 mars 2022 fixant le prix des volumes d'électricité additionnels cédés dans le cadre de la période de livraison exceptionnelle instaurée par le décret précité n’est pas, lui non plus irrégulier, les art. L. 337-14 et L. 337-16 du code de l’énergie prévoyant eux-mêmes que le prix de cession de l’électricité peut être révisé au vu de l'évolution du volume global maximal d'énergie cédé.
Le décret est sans portée rétroactive contrairement à ce qui est soutenu.
Au regard du droit de l’Union.
Le rehaussement du volume global alloué n’avait pas à faire l’objet d’une notification préalable à la Commission. Au contraire, « en imposant à EDF de céder une part de l'électricité produite par le parc nucléaire français et en offrant ainsi aux fournisseurs alternatifs la possibilité de réduire leurs coûts d'approvisionnement en électricité, favorisant de ce fait le développement de la concurrence sur le marché de l'électricité, l'ARENH doit être regardé comme un mécanisme opérant un rééquilibrage des charges entre opérateurs sur le marché français de l'électricité aux fins de favoriser la concurrence, et ne saurait par suite caractériser l'existence d'une aide au sens du paragraphe 1 de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ».
En outre, en rehaussant, pour l'année 2022, eu égard aux tensions exceptionnelles sur le marché de l'électricité, à 120 TWh le volume global maximal d'électricité pouvant être cédé dans le cadre de l'ARENH, les actes attaqués répondent aux objectifs mentionnés à l'article 1er de la directive du 5 juin 2019 et, contrairement à ce qui est soutenu, ne méconnaissent pas ceux du paragraphe 4 de son article 3.
Par ailleurs, les requérants ne peuvent utilement se prévaloir, à l'appui de leurs recours, des termes du g du 7 de l'article 5 de la directive (UE) 2019/944 du 5 juin 2019 qui concerne la fixation des prix de l'électricité fournie aux clients finals alors que les actes attaqués n'ont pas pour objet de fixer les prix de détail de l'électricité fournie aux clients finals mais instituent un droit d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique produite par l'opérateur historique au profit des fournisseurs alternatifs d'électricité selon des conditions, notamment tarifaires, définies par la loi et les règlements.
(03 février 2023, Fédération Chimie Energie FCE-CFDT et autres, n° 462840 ; Conseil de surveillance du Fonds Commun de Placement d'entreprise (FCPE) Actions EDF et autres, n° 463188 ; société d'importation Leclerc (SIPLEC), n° 463405 ; syndicat CFE-CGC Énergies Tricastin Provence et autres, n° 463530 ; Conseil de surveillance du FCPE Actions EDF et autres, n° 465735 ; société EDF, n° 466558, jonction)
58 - Fonds européen pour la pêche (FEP) – Aide financière aux investissements productifs en aquaculture – Contrôle administratif de l’utilisation de l’aide - Solde de l’aide non versé par l’État – Cassation et rejet.
Par convention conclue avec l’État, la société Medithau, requérante, a obtenu une aide financière dans le cadre du programme opérationnel du fonds européen pour la pêche (FEP) 2007-2013 relatif aux investissements productifs en aquaculture, pour la réalisation d'un projet de modernisation de structures d'élevage ostréicole et d'acquisition de matériel productif. Cette aide comportait, pour une part, des fonds communautaires du FEP et, pour une autre part, une aide de l'État au titre du contrat de plan État/région (CPER).
Suite à une demande de liquidation de l’aide, la société a reçu un avis de paiement en date du 29 décembre 2015 de l'Agence de services et de paiement. Puis, elle a saisi le tribunal administratif d’un recours en annulation du rejet implicite par le préfet de son recours gracieux contre cette décision de paiement. Ce dernier a rejeté toutes les demandes de la société ; celle-ci se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel confirmatif.
Après avoir annulé cet arrêt pour insuffisance de motivation ainsi que le jugement dont les motifs avaient, sur ce point, été repris par la cour administrative d’appel, le Conseil d’État statue au fond sans renvoyer en vertu des dispositions de l’art. L. 821-2 CJA.
La demande d’annulation de la décision attaquée est rejetée.
D’abord il est jugé que la procédure suivie en l’espèce n’était pas irrégulière car la décision refusant, après examen du service fait, de verser à la société Medithau une partie de l'aide prévue était consécutive au dépôt par la requérante du dossier de liquidation de l'aide. En effet, faisant suite à une demande de la société tendant au versement de l'aide octroyée, cette décision n'était pas au nombre de celles soumises à procédure contradictoire en vertu des dispositions, alors applicables, de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations. En outre, l'administration a informé la société requérante de l'organisation d'un contrôle sur place, puis, lors de deux réunions tenues avec elle, elle l’a informée des anomalies constatées lors de ce contrôle, la mettant ainsi en mesure de présenter ses observations. L'administration n'était donc tenue ni d'associer la société à ce contrôle, ni d'accéder à sa demande tendant à ce que ce contrôle se tienne au cours de la semaine du 3 août 2015, ni de lui adresser un procès-verbal de ce contrôle, ni de l'inviter formellement à présenter ses observations.
Ensuite, il résultait des stipulations de la convention que l'administration pouvait demander au bénéficiaire d'une aide au titre du fonds européen pour la pêche, lorsque l'exécution de son projet n'était pas terminée au 31 décembre 2014, d'établir un dossier qui devait permettre de liquider la subvention au prorata des dépenses éligibles effectivement réalisées à cette date, dans la limite des factures acquittées jusqu'au 28 février 2015, et réduire, le cas échéant, à due proportion, le montant de la subvention. Le Conseil d’État fait ici une déduction très logique de la sémantique en indiquant, d’une part, que l’expression « travaux réalisés » mentionnés par la convention impliquaient non seulement que le matériel acheté ait été acquis et livré mais également qu'il ait été installé sur l'exploitation au 31 décembre 2014 tandis que l’expression « facture acquittée » implique que le règlement correspondant devait avoir été encaissé par l'émetteur de la facture au plus tard le 28 février 2015.
(07 février 2023, Société Medithau, n° 443980)
59 - Autorité des marchés financiers (AMF) – Compétence et pouvoirs de sa commission des sanctions – Société de gestion de portefeuilles - Sanction de faits commis par le dirigeant d’une société antérieurement au retrait d’agrément de cette société – Rejet.
Pour la première fois, le juge déduit des dispositions combinées – alors en vigueur - des articles du code monétaires et financier relatives au pouvoir de sanction de la commission des sanctions de l’AMF (art. L. 621-15, L. 621-9 et L. 543-1) avec celles de l’article de L. 532-10 de ce code relatives au retrait d’agrément des sociétés de gestion de portefeuilles, que si les dispositions de l'art. L. 532-10 précité, qui prévoient qu'une société privée d'agrément peut être sanctionnée, elles n'ont, contrairement à ce qui est soutenu, ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à ce que le dirigeant d'une société ayant fait l'objet d'un retrait d'agrément soit sanctionné pour des faits antérieurs à ce retrait.
(17 février 2023, Société de gestion des fonds d'investissement de Bretagne et M. de Kersauson, n° 445507)
60 - Exercice par une société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) de son droit de préemption - Question préjudicielle – Absence d’indication dans le décret autorisant l’exercice par une SAFER de son droit de préemption des zones des départements concernées et de la superficie minimale des terrains pouvant être préemptés – Absence d’illégalité – Réponse en ce sens.
Interrogé par une juridiction judiciaire sur la légalité, au regard de l'art. L. 143-7 du code rural, du II de l'art. R. 143-1 de ce code et de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention EDH, du décret du 24 juin 2019 autorisant une SAFER à exercer le droit de préemption et à bénéficier de l'offre amiable avant adjudication volontaire en ce que l'article 1er de ce décret ne précise ni les zones, au sein des départements qu'il vise, dans lesquelles le droit de préemption peut s'exercer, ni la superficie minimale des terrains pouvant être préemptés.
Prenant une grande liberté par rapport au texte du II de l’art. R. 143-1 du code rural, lequel dispose : « Le décret qui confère à une société d'aménagement foncier et d'établissement rural le droit de préemption mentionné par l'article L. 143-1 est pris sur proposition du ministre chargé de l'agriculture.
Il détermine les zones au sein desquelles le droit de préemption peut s'exercer et les circonscriptions administratives au sein desquelles elles se situent. Le cas échéant, il fixe pour tout ou partie de ces zones, la superficie minimale des terrains auxquels il peut s'appliquer.», le juge en donne une interprétation très assouplie. En effet, il considère que, sous réserve du double respect de la nature des biens concernés et des conditions requises, une décision de préemption peut porter sur des terrains se trouvant dans plusieurs départements sans être obligée d’indiquer celles des zones de ces départements qui sont concernées par l’exercice – qui reste tout de même exorbitant – du droit de préemption ni, non plus, la superficie minimale des terrains où la préemption est susceptible de s'appliquer.
Il n’est pas certain que la Cour EDH aurait une perception identique de la correction juridique de cette interprétation au regard des droits fondamentaux de propriété, de libre exercice d’une profession et autres.
(17 février 2023, MM. D. et autres et Sarl C., n° 467360)
Droit social et action sociale – Sécurité sociale
61 - Demande d’octroi par une caisse d’allocations familiales (CAF) d’une aide financière d’urgence – Compétence des juridictions judicaires pour connaître des litiges relatifs à l'application du droit de la sécurité sociale – Compétence s’étendant aux litiges individuels – Annulation du jugement critiqué et rejet des conclusions portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.
La caisse requérante demande l’annulation d’un jugement qui a fait droit aux conclusions d’une demanderesse tendant à l’annulation du refus, par cette caisse, de lui allouer l’aide financière d’urgence qu’elle avait sollicitée auprès d’elle.
Le juge de cassation, suivant en cela la jurisprudence du Tribunal des conflits, estime que les conclusions de la demanderesse se rapportent à un litige qui ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative car il résulte des dispositions des art. L. 142-8 du code de la sécurité sociale que les juridictions de l’ordre judiciaire sont compétentes pour connaître des litiges relatifs à l'application des législations et réglementations de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole et il en déduit qu’elles le sont aussi pour les litiges individuels portant sur des prestations que les organismes de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole servent à leurs assurés ou allocataires dans le cadre de l'action sanitaire et sociale que ces organismes exercent.
Le jugement déféré à sa censure est annulé pour incompétence de l’ordre administratif de juridiction.
(1er février 2023, Caisse d’allocations familiales de l’Isère, n° 451989)
62 - Salariés travaillant selon des horaires non collectifs – Obligations de l’employeur – Sanction en cas de non-respect – Personnels employés sur deux sites mais selon un même horaire collectif – Sanction illégale – Annulation.
Il résulte notamment des dispositions des art. L. 3171-3, alinéa 1, et L. 3171-4 du code du travail que lorsque le travail de tous les salariés d'un même service ou atelier ou d'une même équipe est organisé selon le même horaire collectif par l'employeur, ce dernier doit informer les salariés par affichage des heures auxquelles commence et finit chaque période de travail et adresser, avant son application, le double de cet horaire collectif à l'inspection du travail.
En dehors de ce cas, il incombe à l’employeur d’établir quotidiennement et chaque semaine un décompte des heures accomplies par chaque salarié.
Suite à un contrôle, il a été infligé à la société La Poste une amende pour non-respect des obligations s’imposant en cas d’emploi de salariés ne travaillant pas selon le même horaire collectif. Sur recours de cette dernière la sanction a été annulée par le tribunal administratif ; la ministre requérante se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel confirmatif de cette annulation.
Le Conseil d’État confirme la position des juges du fond en relevant que l'autorité administrative ne pouvait légalement infliger cette sanction à la société La Poste, s'agissant de salariés employés sur deux sites sur lesquels un même horaire collectif de travail, négocié par un accord collectif, avait été rendu opposable par voie de règlement affiché et adressé à l'inspection du travail.
(1er février 2023, ministre du travail, de l’emploi et de la réinsertion, n° 457116)
63 - Hébergement d’urgence – Refus d’une proposition d’hébergement en dehors de Paris – Refus non justifié en l’espèce – Défaut d’urgence – Rejet.
Confirmation de l’ordonnance rejetant la requête d’une femme accompagnée de ses trois enfants mineurs dont l’une souffre d'une névralgie cervico-brachiale ainsi que de douleurs de son épaule et de son coude gauche, actuellement abrités dans un gymnase, tendant à bénéficier du dispositif d'hébergement d'urgence et d’un accompagnement social. Cette personne a refusé au moins une proposition d’hébergement pérenne au motif que ce logement est situé en dehors de Paris où elle occupe un emploi, étant animatrice à la ville de Paris. Le juge estime ce motif non valable pour justifier son refus car cet emploi, d’une part, estl imité à six mois et, d’autre part, n’est pas suffisant pour permettre de subvenir aux besoins de quatre personnes alors qu’était offerte une solution pérenne dans une ville hors de la région Île-de-France où les enfants pourraient être scolarisée et l’enfant malade pourrait bénéficier d’un suivi médical approprié.
En l’absence d’urgence, l’action en référé liberté est rejetée.
(ord. réf. 1er février 2023, Mme C., n° 470648)
(64) V. aussi, confirmant le rejet en première instance d’une demande d’hébergement d’urgence pour un couple de ressortissants ivoiriens dont la femme est enceinte et qui est accompagnée d’une enfant de huit ans, se trouvant sans abri à la rue et ne disposant pas de moyens de subsistance propres, cela du fait de la saturation des services d’hébergement en Île-de-France en dépit d’une augmentation constante des lieux et des formes d’hébergement en raison d’une demande sans cesse croissante : ord. réf. 14 février 2023, Mme A. et M. C., n° 470897.
(65) V. en revanche, annulant le rejet opposé en première instance à des parents et à leurs deux enfants mineurs de trois ans et demi et de quinze mois, dont la fille a obtenu le statut de réfugiée en mars 2022, de la mise en œuvre à leur égard du dispositif d’hébergement d’urgence et l’application des mesures au titre du mécanisme « Grand froid » : ord. réf. 14 février 2023, Mme B. et M. C., n° 470852.
(66) V., dans le même sens que ci-dessus, confirmant l’ordonnance du premier juge, le rejet du recours de la Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL) contre l’injonction faite au préfet d’accorder un hébergement d’urgence à un couple de ressortissants ivoiriens et à leurs deux enfants, de 3 et 8 ans, sans abri par grand froid, ce qui place cette famille « sans doute possible parmi les familles les plus vulnérables » en dépit des difficultés, que le juge reconnaît, rencontrées par les services préfectoraux pour assurer cet hébergement et des efforts croissants faits en ce sens : ord. réf. 16 février 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL), n° 471232.
(67) V. la solution semblable à la précédente, confirmant la décision du premier juge ordonnant l’hébergement d’urgence d’un homme sans abri depuis le 4 novembre 2022 et souffrant de graves pathologies de longue durée susceptibles, selon un certificat médical, d’entraîner, faute d’hébergement, des « complications mortelles » : ord. réf. 23 février 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL), n° 471466.
(68) V. aussi, comme la précédente décision, confirmant l’ordonnance enjoignant d’offrir un hébergement à un couple d’ivoiriens sans abri depuis le mois de mai 2022 avec une enfant d’un peu plus de trois ans : ord. réf. 23 février 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL), n° 471131.
69 - Service public du culte en Alsace et en Moselle - Pasteur de l'Église protestante de la Confession d'Augsbourg d'Alsace et de Lorraine – Destitution par son Église de rattachement – Absence de caractère de décision administrative – Refus de transmission d’une QPC.
La contestation par le requérant, pasteur de son état, de la destitution prononcée à son encontre par son Église de rattachement, l'Église protestante de la Confession d'Augsbourg d'Alsace et de Lorraine (EPCAAL), soulevait deux questions distinctes, celle de la compétence du juge administratif pour connaître de ce recours et la QPC adossée à cette contestation.
En premier lieu, en Alsace et en Moselle le culte est un service public par l’effet du Concordat de 1801 : la loi du 9 décembre 1905 n’étant pas applicable dans cette région qui n’était plus française à cette date par suite des stipulations du traité de Francfort de 1871. Les pasteurs, comme les autres ministres du culte, y sont rémunérés sur fonds publics. Se posait donc la question de savoir si les sanctions adoptées par une Église à l’encontre d’un de ses ministres devaient être considérées comme prises dans et pour l’organisation dudit service public et si, constituant une décision administrative, leur contentieux relevait de la compétence du juge administratif. La réponse est, classiquement, négative (Section, 17 octobre 1980, sieur Pont, n° 13567, au Recueil Lebon, à propos d’un aumônier d’hôpital protestant ; 17 octobre 2012, Raymond B. c/ Évêque de Metz, n° 352742, au Recueil Lebon) : les décisions prises par les différentes Églises en matière d’organisation de leurs cultes respectifs ne constituent pas des décisions administratives.
En second lieu, le requérant soulevait une question prioritaire de constitutionnalité fondée sur ce que les articles organiques, pour les cultes protestants, de la loi du 18 germinal an X relative à l'organisation des cultes, en particulier les articles 25, 33, 34 et 44, tels qu'interprétés par le juge administratif de manière constante, seraient entachés d'incompétence négative et porteraient atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif en ce qu'ils ne prévoient pas de voie de recours contre les décisions de destitution prononcées par le directoire de l'EPCAAL à l'encontre des pasteurs et contre les décisions refusant de les réintégrer et de leur verser leur rémunération. Ce moyen incident est rejeté. D’abord, une QPC ne peut être dirigée contre des dispositions de nature réglementaire or tel est le cas des articles organiques ajoutés à la loi du 18 germinal an X, ce qui suppose, selon le Conseil d’État, existante dès 1801 la distinction de la loi et du règlement puisqu’est ici expressément invoqué l’art. 37 de la Constitution sur la base duquel n’a été pris aucun article organique depuis 1801…La QPC est donc rejeté de ce chef. Ensuite, une telle question ne peut concerner que l’atteinte à un droit ou une liberté garanti par la Constitution de 1958 non par une législation antérieure à cette dernière, ainsi desdits articles organiques. Enfin, le droit à recours effectif invoqué par le requérant n’implique pas ipso facto la compétence du juge administratif pour connaître des mesures prises en matière d’organisation interne des cultes.
(06 février 2023, M. C., n° 468425)
(70) V. aussi, identique : 06 février 2023, Mme D., n° 468426.
71 - Organismes chargés du recouvrement des cotisations et contributions sociales (art. L. 243-7 du code de la sécurité sociale) – Régime des contrôles effectués par eux – « Charte du cotisant contrôlé » - Dispositions relatives aux investigations sur support dématérialisé – Annulation.
Dans le cadre du droit de contrôle dont disposent les organismes chargés du recouvrement des cotisations et contributions sociales en application de l'art. L. 243-7 du code de la sécurité sociale, est prévue une information des personnes contrôlées sur l’existence d’une « Charte du cotisant contrôlée ». Un arrêté du ministre de la santé a fixé le modèle de la « Charte du cotisant contrôlé » dans lequel figure un paragraphe intitulé « Les investigations sur support dématérialisé ». Celui-ci comporte notamment les indications suivantes : « Lorsque les documents et documents nécessaires à l'agent chargé du contrôle sont dématérialisés, les opérations de contrôle peuvent être réalisées par la mise en œuvre de traitements automatisés sur son matériel professionnel », des copies, faites au format informatique demandé par l'agent chargé du contrôle, des documents, données et traitements nécessaires à l'exercice de contrôle devant alors être mises à la disposition de celui-ci. Il indique également qu' « En cas de refus écrit ou d'impossibilité avérée », les traitements automatisés devront être réalisés sur le propre matériel du cotisant contrôlé, soit que ce dernier les réalise lui-même, en en produisant les résultats au format et dans les délais indiqués par l'agent, soit qu'il autorise l'agent chargé du contrôle à les faire, lui-même ou par l'intermédiaire d'un utilisateur désigné par le cotisant contrôlé.
Or, relève le Conseil d’État, « La présentation ainsi faite, en mettant en avant la possibilité que les investigations sur support dématérialisé soient réalisées sur le matériel professionnel de l'agent de contrôle à partir de copies fournies à ce dernier par le cotisant contrôlé et en ne faisant pas état de la possibilité que les traitements automatisés soient réalisés sur le propre matériel du cotisant contrôlé que dans l'hypothèse d'un refus écrit par celui-ci ou d'impossibilité avérée de mise en œuvre d'un traitement sur le matériel de l'agent de contrôle, sans rappeler la procédure, prévue par les dispositions de l'art. R. 243-59-1 du code de la sécurité sociale, selon laquelle il peut être recouru au matériel informatique utilisé par la personne contrôlée ni le droit pour cette dernière, également prévu par ces dispositions sous certaines conditions, de s'y opposer, méconnaît le sens et la portée des dispositions de l'art. R. 243-59-1 du code de la sécurité sociale. »
Ce paragraphe est annulé.
(17 février 2023, Association Le Cercle Lafay, n° 464155)
Élections et financement de la vie politique – Transparence et déontologie de la vie publique
72 - Élections départementales – Présentation irrégulière d’un compte de campagne – Production postérieure d’un relevé bancaire – Rejet du compte et inéligibilité annulés.
Les membres d’un binôme voient leur compte de campagne rejeté assorti de l’inéligibilité prononcée à leur encontre au motif qu’ils n'avaient pas joint le relevé des opérations effectuées sur le compte bancaire ouvert par leur mandataire financier au compte de campagne qu'ils ont déposé dans le délai légal, et n'ont pas davantage fourni ce document dans le cadre de l'instruction menée par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, ni répondu à sa demande concernant la justification de leurs frais de transport.
Toutefois, le Conseil d’État annule le jugement prononçant ces deux sanctions, en retenant, comme il l’a déjà fait à plusieurs reprises, que le compte de campagne a été établi par un expert-comptable et que les intéressés ont produit ce relevé bancaire à l'appui de leur mémoire en défense devant le tribunal administratif, permettant ainsi de contrôler la réalité des recettes et des dépenses inscrites au compte de campagne, de s'assurer que celles-ci sont cohérentes avec les opérations qu'il mentionne et qu'aucune autre anomalie n'apparaît.
(06 février 2023, M. A. et M. D., Élections départementales du canton de Plestin-les-Grèves, n° 465379)
Environnement
73 - Implantation d’éoliennes en zone urbaine – Refus d’y apercevoir une zone urbanisée – Dénaturation des pièces du dossier – Annulation.
Dénature les faits de l’espèce et les pièces du dossier qui lui sont soumis et encourt annulation l’arrêt d’une cour administrative d’appel qui, pour annuler un arrêté préfectoral autorisant l’implantation d’éoliennes sur le territoire d’une commune s’est fondé sur l’art. L. 121-8 du code de l’urbanisme car cette zone ne constituait pas une zone déjà urbanisée, caractérisée par un nombre et une densité significatifs de construction alors que, relève le juge de cassation, le terrain d'assiette du projet litigieux est situé en continuité avec une vaste zone industrielle de plus de cent hectares, dont 50 hectares sont occupés par une usine de conversion et de purification du minerai d'uranium, avec 24 hectares de surface bâtie comportant plusieurs bâtiments, et une dizaine de bassins de décantation et d'évaporation. Cette usine est elle-même en continuité avec le hameau des Amarats, où sont implantés une station d'épuration, un parc photovoltaïque et un poste électrique.
(17 février 2023, Société le Soleil participatif, n° 452346 ; ministre de la transition écologique, n° 452499)
74 - Détention d’animaux d’espèces non domestiques – Absence de prise en compte des animaux nés dans l'élevage demeurant au stade juvénile – Méconnaissance de l’art. L. 412-1 c. env. – Annulation.
Méconnaît les exigences découlant de l’art. L. 412-1 du code de l’environnement l’arrêté exceptant de la formalité de la déclaration ou de la soumission à autorisation « les animaux nés dans l'élevage (…) tant qu'ils sont au stade juvénile » car le législateur impose au pouvoir réglementaire de soumettre à déclaration préalable ou à autorisation préalable en raison de la gravité de leurs effets la capture, la détention, la cession, l'importation et l'exportation des animaux d'espèces non domestiques sur l'état de conservation de ces espèces et des risques qu'ils présentent pour la santé, la sécurité et la salubrité publiques.
(17 février 2023, Association One Voice, n° 453843)
75 - Enseignes de publicité lumineuses et enseignes lumineuses – Obligation d’extinction nocturne – Absence d’exception et absence de mesures transitoires – Rejet pour l’essentiel.
Le syndicat demandeur poursuivait l’annulation pour excès de pouvoir du décret du 5 octobre 2022 portant modification de certaines dispositions du code de l'environnement relatives, notamment celles de l’art. R. 581-35 du code de l’environnement, aux règles d'extinction des publicités lumineuses et aux enseignes lumineuses, spécialement ses articles 1er et 4.
La critique de l’art. 1er de ce décret portait sur ce qu’il rend applicable à l'ensemble du territoire français l'obligation d'extinction nocturne, entre 1 heure et 6 heures, des publicités lumineuses avec une exception pour celles installées sur l'emprise des aéroports sans étendre cette dernière aux dispositifs implantés dans l'emprise du marché d'intérêt national de Rungis. Le moyen est rejeté en raison des différences de destination, de nature d'activité et de fréquentation entre ces deux types d'installations et alors même que toutes deux ont en commun d'avoir une activité nocturne.
Concernant l’art. 4, il était reproché au décret attaqué que l’art. R. 581-35 du code de l’environnement méconnait le principe de sécurité juridique en ce qu'il est immédiatement applicable et ne ménage pas de régime transitoire pour permettre aux professionnels d'intervenir sur les dispositifs d'éclairage des publicités lumineuses dont le fonctionnement n'est pas pilotable à distance car ils ne sont pas équipés d'un système permettant de programmer leur extinction entre 1 heure et 6 heures alors que les opérateurs les exploitant sont exposés à des amendes jusqu'à ce qu'ils aient été dotés d'un tel système. Observant que les professionnels étaient informés depuis le printemps 2021 de l’évolution future de la réglementation en la matière pour avoir été consultés sur le projet de décret au mois de mai 2021, le juge admet que cet art. 4 est cependant illégal en tant qu'il n'a pas différé d'un mois l'application de l'obligation d'extinction nocturne aux publicités lumineuses autres que celles supportées par du mobilier urbain dont le fonctionnement ou l'éclairage n’est pas pilotable à distance.
(24 février 2023, Syndicat national de la publicité extérieure (SNPE), n° 468221)
État-civil et nationalité
76 - Opposition à l’acquisition de la nationalité française – Défaut d’assimilation à la communauté française – Application régulière de l’art. 21-4 du Code civil – Rejet.
C’est par une exacte application des dispositions de l’art. 21-4 du Code civil que pour s’opposer à l’acquisition de la nationalité française par la requérante, le premier ministre a retenu son défaut d’assimilation à la communauté française résultant notamment des propos qu'elle a tenus au cours des entretiens menés par les fonctionnaires de la préfecture de l'Oise chargés de l'instruction de son dossier et de ce qu’elle adopte un mode de vie et des positions incompatibles avec les valeurs essentielles de la République française, notamment l'égalité entre les hommes et les femmes.
(06 février 2023, Mme B., n° 459152)
77 - Naturalisation – Décret la rapportant – Fraude – Rejet.
Le premier ministre n’a pas fait une inexacte application de l’art. 27-2 du Code civil en rapportant, dans le délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude par son service, le décret de naturalisation de la requérante, ressortissante sénégalaise, par le motif que celle-ci avait menti sur sa situation familiale en ne signalant pas le changement de cette situation du fait de son mariage avec un ressortissant sénégalais résidant habituellement à l’étranger.
Eu égard, au surplus, au fait qu’elle est titulaire d'un master de droit, sciences, économie, gestion et qu’elle exerce la profession de juriste, cette dissimulation ne peut être que volontaire.
(06 février 2023, Mme C., n° 463006)
78 - Déchéance de la nationalité française – Acte de terrorisme – Décision soumise à l’obligation de motivation – Gravité des faits – Rejet.
Le Conseil d’État rejette un recours dirigé contre un décret portant déchéance de la nationalité française pour faits de terrorisme.
Ce motif de déchéance, légal et légitime, est attesté par les faits relatés dans un jugement de TGI ayant condamné le requérant pour participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme du fait d’avoir assisté ses fils lors de leur départ en zone syro-irakienne pour rejoindre les rangs de l'organisation terroriste « État islamique », de leur avoir apporté un soutien logistique et financier pendant leur engagement sur place et d’avoir facilité le départ de France de deux jeunes femmes afin qu'elles rejoignent ses fils.
Par ailleurs le décret attaqué satisfait aux exigences de motivation requises.
Enfin, il ne porte pas d’atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée du fait de la gravité du comportement du requérant.
(10 février 2023, M. B., n° 458130)
79 - Opposition à changement de nom – Autorisation de changement de nom donnée par le garde des sceaux en exécution d’une décision de justice définitive – Absence d’effet sur le droit de faire opposition à ce changement (art. 61-1 C. civ.) – Rejet.
Le garde des sceaux a opposé un refus à une personne ayant demandé à changer son nom patronymique en celui d’Arbellot de Rouffignac. Ce refus ayant été annulé par un arrêt définitif de cour administrative d’appel, le garde des sceaux a été contraint, en exécution de cet arrêt, d’accorder le changement de nom sollicité. Le requérant a formé opposition à ce changement de nom. Le Conseil d’État juge recevable (mais non fondée en l’espèce) une telle opposition, formée sur le fondement de l’art. 61-1 du Code civil, tous moyens pouvant être invoqués à l’appui de cette opposition en dépit de l’existence d’un tel arrêt.
(24 février 2023, M. X. Arbellot de Rouffignac, n° 465061)
Étrangers
La CNDA fâchée avec les règles de procédure contentieuse ?
Plusieurs décisions de ce mois de février attirent l’attention sur des irrégularités de procédure survenant avec une certaine fréquence devant la Cour nationale du droit d’asile. Il est vrai que celle-ci statue souvent dans des conditions et sur des cas difficiles ainsi que sur la base de textes enchevêtrés et pas toujours cohérents tantôt entre eux tantôt par rapport au droit commun processuel.
Ainsi, sont annulées pour ce motif plusieurs décision rendues par la Cour :
80 - L’abstention de la Cour de viser une note en délibéré pourtant adressée à elle, au moyen de l'application CNDém@, après l’audience et avant la lecture de sa décision : 06 février 2023, M. A., n° 461644.
81 - L’ordonnance d’un magistrat de la Cour, rendue quatre jours après notification à l’intéressé de son admission au bénéfice de l’aide juridictionnelle totale, rejetant sa requête car celle-ci ne présentait aucun élément sérieux susceptible de remettre en cause la décision du directeur général de l'OFPRA, alors que l'avocat désigné au titre de l'aide juridictionnelle n'avait pas encore produit de mémoire et sans l'avoir mis en demeure de le faire en lui impartissant un délai à cette fin : 06 février 2023, M. B., n° 461765.
82 - L’appel d’une affaire à l’audience après l’octroi d’une aide juridictionnelle totale au demandeur sans qu’en soit avisé l’avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation désigné pour le représenter à l’audience et sans que ce dernier ait été mis à même de produire en défense : 06 février 2023, M. B., n° 467793.
83 - Le rejet par la Cour d’une même demande une seconde fois alors qu’elle ne pouvait statuer à nouveau sur le litige dont elle était saisie par la demande susvisée, lequel avait le même objet, la même cause et émanait de la même requérante que celui qu’elle avait déjà définitivement jugé : 06 février 2023, Mme A., n° 463862.
84 - L’ordonnance rejetant la demande du requérant le 22 septembre 2021 alors qu’il avait été informé que son affaire était inscrite à l'audience publique du 28 septembre 2021 et que la date de clôture de l'instruction avait été fixée au 23 septembre 2021, méconnaissant ainsi le principe du contradictoire : 10 février 2023, M. A., n° 458588.
85 - Rétablissement d’un individu dans la qualité de réfugié – Invocation de l’ancienneté des faits reprochés – Rejet de la qualification pénale retenue pour ces faits – Qualification inexacte des faits – Annulation.
L’OFPRA reproche à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) d’avoir annulé sa délibération rejetant la demande de réexamen de la demande d'asile présentée par un étranger encourant une peine d’emprisonnement pour trafic d’être humain, et de l’avoir rétabli dans la qualité de réfugié.
La CNDA avait retenu l’ancienneté des faits reprochés, la modestie des sommes récoltées par ce trafic, l’absence de dimension internationale du trafic et elle rejetait la qualification donnée à l’infraction par une chambre de l’instruction.
Le Conseil d’État est bien évidemment à la cassation, apercevant dans cette décision une inexacte qualification des faits, car l’ancienneté des faits n’efface pas la nature juridique du comportement litigieux comme « crime grave de droit commun et surtout la CNDA, en vertu du principe que le criminel tient le civil en état, ne saurait remettre en cause la qualification à laquelle la chambre de l'instruction procède lorsqu'elle statue, par une décision juridictionnelle sur le fondement des dispositions de l'art. 695-31 du code de procédure pénale, sur une demande d'exécution d'un mandat d'arrêt européen émis par les autorités judiciaires d'un autre État membre de l'Union, la Hongrie en l’espèce, en vue de l'exécution d'une condamnation définitive prononcée par ces dernières, après avoir vérifié que ces faits constituent une infraction au regard de la loi française ou relèvent de l'une des catégories énumérées à l'art. 694-32 du code de procédure pénale.
(08 février 2023, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 463014)
86 - Circulaire relative à l’exécution des obligations de quitter le territoire (OQTF) – Inscription des personnes concernées dans deux fichiers (FPR et N-SIS II) – Conséquences devant être tirées de l’inscription à ces fichiers – Rejet.
Statuant en formation collégiale en état de référé, le Conseil d’État rejette ici le recours tendant à la suspension de l’exécution de la circulaire du 17 novembre 2022 du ministre de l'intérieur et des outre-mer relative à l'exécution des obligations de quitter le territoire français et au renforcement des capacités de rétention.
Le premier moyen d’illégalité était tiré de ce que cette circulaire ordonnerait l'inscription des étrangers faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français dans le fichier des personnes recherchées (FPR) et le système national d'information Schengen (N-SIS II).
Ce moyen est rejeté en deux temps.
D’abord, il résulte des dispositions du décret du 28 mai 2010 relatif au fichier des personnes recherchées qu’elles autorisent l'autorité administrative à inscrire à ce fichier les étrangers faisant l'objet d'une OQTF exécutoire, que cette obligation soit ou non assortie d'un délai de départ volontaire, et que ce dernier soit expiré ou non. Ainsi c’est sans violer ces dispositions que l’auteur de la circulaire attaquée a invité les préfets à procéder à l'inscription au FPR des étrangers faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français.
Ensuite, il résulte des dispositions de l’art. R. 231-6 du code de la sécurité intérieure que l'étranger obligé de quitter le territoire ne peut être inscrit au N-SIS II s'il ne fait en outre l'objet d'une interdiction de retour. Or le point 5 de la circulaire litigieuse dispose que si les OQTF et les interdictions de retour doivent être inscrites au FPR, seules ces dernières doivent faire l'objet d'un versement au N-SIS II. Ainsi c’est sans violer ces dispositions réglementaires que l’auteur de la circulaire attaquée a invité les préfets à procéder à l'inscription au N-SIS II des étrangers faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français mais pas d'une interdiction de retour.
Le second moyen d’illégalité portait sur les conséquences que la circulaire invite les préfets à tirer de l’irrégularité du séjour d’un étranger. En particulier, il est invoqué que la circulaire, en prescrivant aux préfets « de prendre systématiquement des OQTF à l'égard de tout étranger en situation irrégulière, de rejeter toute demande de délai de départ volontaire, de systématiquement assigner à résidence ceux des intéressés qui ne seraient pas déjà placés en rétention administrative et de veiller à ce que soient tirées les conséquences de l'irrégularité de leur séjour sur les droits sociaux et prestations dont ils bénéficient », porterait une atteinte grave et illégale à la situation des personnes concernées, notamment en les privant de leur liberté d'aller et venir, en rendant impossible la poursuite de leur activité professionnelle et en les privant de moyens de subsistance. Pour rejeter l’argument et dans une rédaction quelque peu embarrassée, les juges – qui reconnaissent que « les prescriptions adressées aux préfets par la circulaire contestée pourraient les conduire, si elles étaient lues sans discernement, à prendre des mesures individuelles méconnaissant certaines dispositions du (CESEDA) » - estiment qu’il n’y a pas urgence à suspendre l’exécution de ce texte sur ce point en dépit de ce qui précède, et retiennent, d’une part, qu’il n’a pas été constaté une modification significative des pratiques des préfectures en cette matière depuis l’édiction de cette circulaire (sic) et qu’en toute hypothèse la menace prétendue se réaliserait au moyen de décisions individuelles prises pour son application que les intéressés peuvent attaquer devant les juridictions administratives y compris en assortissant leurs requêtes d’une demande de suspension en urgence.
(ord. réf., form. coll., 10 février 2023, Association Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s (GISTI), association Ligue des droits de l'homme, association Utopia 56, association Avocats pour la défense des droits des étrangers et Syndicat des avocats de France, n° 470573)
87 - Expulsion d’un ressortissant kosovar – Retrait de la carte de résident – Menace grave pour l’ordre public – Rejet.
Pour rejeter le recours en référé liberté formé par un ressortissant kosovar à l’encontre de l’arrêté préfectoral ordonnant son expulsion vers le Kosovo ainsi que le retrait de sa carte de résident, le Conseil d’État, après avoir relevé que celui-ci ne saurait se prévaloir d’une résidence régulière en France de dix ans compte tenu de la déduction d’un cumul de neuf années d’incarcération, expose en ces termes la justification que la décision contestée ne porte pas une atteinte manifestement disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, ni une atteinte grave et manifestement illégale à l'intérêt supérieur de ses enfants.
« M. A. a fait l'objet de dix-sept condamnations par les juridictions pénales, notamment pour des faits de violence commis à l'encontre de sa compagne ou de son ancienne compagne, de conduite de véhicule sans permis, de menace de mort et de port sans motif légitime d'une arme blanche de catégorie D. L'intéressé n'exerce aucune activité professionnelle, et a indiqué devant le juge des libertés et de la détention qu'il était divorcé de Mme B. Il ne résulte pas de l'instruction (…) qu'il contribuerait à l'éducation et à l'entretien effectif de ses deux enfants mineurs ni qu'il serait dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine. »
La réponse circonstanciée du juge se passe de commentaires.
(15 février 2023, M. A., n° 470830)
88 - Demande de titre de séjour – Absence de qualité de parent d’un mineur français – Nécessité de contribuer à son entretien et à son éducation – Insuffisance – Rejet.
Commet une erreur de droit quant à l’interprétation de l’art. L. 313-11, 6° du CESEDA, l’arrêt qui annule le refus préfectoral d’accorder un titre de séjour « vie privée et familiale » à une personne établissant qu’elle contribue effectivement à l’entretien et à l’éducation d’un enfant mineur français alors qu’il convenait d’établir également si tel était le cas de l’homme auteur de la reconnaissance de paternité de cet enfant et qui n’était pas demandeur du titre de séjour.
(17 février 2023, ministre de l’intérieur, n° 450924)
89 - Avis de droit – Refus de la reconnaissance qualité de réfugié et de la protection subsidiaire suivi d’OQTF (4° de l’art. L. 611-1 du CESEDA) – Demande postérieure d’un titre de séjour – Refus pouvant être assorti à nouveau d’une OQTF – Décisions réputées rendues concomitamment – Régime contentieux de l’OQTF.
Répondant à une demande d’avis de droit (cf. art. L. 113-1 CJA) portant sur les conditions et effets d’application de l'art. L. 611-1 du CESEDA, le Conseil d’État indique que dans l’hypothèse où un étranger, à qui a été refusée la reconnaissance de la qualité de réfugié ou la protection subsidiaire et qui a fait l'objet d'une ou, le cas échéant, de plusieurs obligations de quitter le territoire français fondées sur le 4° de cet article, et qui a ensuite présenté une demande tendant à la délivrance ou au renouvellement d'un titre de séjour, l’administration peut assortir le refus qu'elle est susceptible d'opposer à cette demande d'une obligation de quitter le territoire français fondée sur le 4° de cet article.
Les deux décisions, celle relative au séjour et celle comportant obligation de quitter le territoire français dont elle est assortie doivent être regardées comme intervenues concomitamment au sens du dernier alinéa de l'art. L. 614-5 du CESEDA. Il en résulte que le contentieux de la décision relative au séjour soulevé à l'occasion d'un recours contre l'obligation de quitter le territoire français suit le régime contentieux applicable à cette dernière tel que prévu par cet article et cela alors même que cette dernière décision a pu être prise également sur le fondement du 3° de l'article L. 611-1 du même code.
(21 février 2023, M. A., n° 468799)
90 - Décision d’instruire une demande d’asile en « procédure accélérée » et non en « procédure normale » - Saisine du juge du référé liberté – Rejet.
Un requérant ne saurait saisir le juge du référé liberté d’une demande tendant à contester le classement d'une demande d'asile en procédure « accélérée » et non en « procédure normale » ainsi qu’il résulte tant des dispositions du CESEDA que des effets propres d’une telle décision de classement.
(ord. réf. 22 février 2023, M. A., n° 470820)
Fonction publique et agents publics – Agents des services publics
91 - Agent public territorial – Candidature à un emploi sur mutation dans une autre commune – Absence d’information donnée à cette commune sur l’existence d’une procédure pénale visant la candidate pour infractions commises dans l’exercice de fonctions analogues – Silence sans caractère frauduleux – Annulation.
Le Conseil d’État juge que commet une erreur de droit une cour administrative d’appel qui estime légal le retrait par une commune de sa décision d’accepter la mutation d’un agent public territorial vers cette commune motif pris de ce que cette dernière aurait commis une faute en manquant à son devoir de probité pour avoir dissimulé à la commune qu'elle faisait l'objet d'une enquête pénale pour abus de confiance portant sur des faits commis dans l'exercice de fonctions analogues à celles qu’elle allait exercer par l’effet de sa mutation.
Le Conseil d’État juge qu’aucune disposition législative ou réglementaire ne faisant obligation à un fonctionnaire d'informer la collectivité publique auprès de laquelle il postule dans le cadre d'une procédure de mutation de l'existence d'une enquête pénale le mettant en cause, celui-ci ne peut être regardé comme ayant commis une fraude en n'en faisant pas état. Cette solution est d’autant plus surprenante qu’implicitement il est également jugé que n’existe aucun principe général du droit non plus qu’aucun principe déontologique imposeant à un agent public une loyauté minimale envers un futur employeur.
Il est à remarquer, en outre, que la décision de retrait prise par le maire de la commune l’a été après que l’agent a été condamnée par le tribunal correctionnel à emprisonnement avec sursis pour abus de confiance.
(03 février 2023, Mme A., n° 441867)
92 - Recrutement de magistrats exerçant à titre temporaire – Nécessité de sept ans au moins d’activités professionnelles idoines à l’exercice des fonctions judiciaires – Conseiller prud’homme – Condition non remplie – Rejet.
C’est sans erreur manifeste d’appréciation que le ministre de la justice estime que les activités de conseiller prud'homme dont se prévaut le requérant ne permettaient pas, à elles seules, de regarder comme remplie la condition, posée par les textes en vue d’un recrutement comme magistrat exerçant à titre temporaire, de justifier de sept années au moins d'exercice professionnel qualifiant particulièrement le candidat pour exercer des fonctions judiciaires, ce qui implique nécessairement qu'une partie substantielle de cette expérience relève du domaine juridique.
(03 février 2023, M. D., n° 458549)
93 - Décision refusant le bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire – Agent en droit de la percevoir – Obligation de motivation (art. L. 211-2 CRPA) – Annulation.
(03 février 2023, M. B., n° 459224)
V. n° 1
94 - Magistrat de la Cour des comptes – Poursuites et condamnation pénale – Agent en congé maladie – Régime de la mesure de suspension – Rejet.
Rappel tout d’abord de ce que la mesure conservatoire de suspension d’un agent public intervenue durant que celui-ci était en congé maladie ne peut entrer en vigueur qu’à l’issue dudit congé. Rappel ensuite que met fin à la mesure de suspension l’intervention postérieure d’un congé maladie sans que l’auteur de cette mesure soit privé du droit de la reprendre à nouveau au terme de ce congé.
La circonstance que l’employeur public, ici la Cour des compte, ne s’oppose pas au retour dans ses fonctions de l’intéressé après condamnation à une peine d’emprisonnement avec sursis, ne prive pas l’autorité compétente (ici le président de la république) du droit de le suspendre à nouveau.
(06 février 2023, M. B., n° 470618)
95 - Fonctionnaire détaché comme commandant de port auprès du port autonome (devenu grand port maritime) de Guadeloupe – Nommé ensuite commandant du port de Mayotte – Invocation de harcèlement moral – Étendue du contrôle du juge – Rejet.
Un officier de port, capitaine de port de 1ère classe, détaché pour une durée de cinq ans, auprès du port autonome de la Guadeloupe, devenu Grand port maritime de la Guadeloupe (GPMG) pour y exercer les fonctions de commandant de port, demande notamment l’annulation de l’arrêté ministériel mettant fin à ce détachement avant son terme. Il invoque à cet effet l’existence de faits de harcèlement moral, par ailleurs reconnus, mais entre des parties différentes, par jugement rendu en matière civile par la cour d’appel de Basse-Terre.
Le juge de cassation, qui statue ici après deux cassations, exerce en réalité le contrôle ordinaire d’un juge d’appel.
Il rejette en définitive le pourvoi en relevant que l’arrêt d’appel invoqué, de caractère non pénal, n’a pas autorité de chose jugée à l’égard du juge administratif, que la cause de la mesure prise et des difficultés rencontrées par l’intéressé était étrangère à tout harcèlement moral et, enfin, que certains dysfonctionnements résultent du comportement général du requérant.
(07 février 2023, M. B., n° 452441)
96 - Agent d’une chambre des métiers – Sanction – Indication devant la commission disciplinaire de l’exercice par l’intéressé de fonctions syndicales – Référence ne pouvant à elle seule être considérée comme viciant la sanction – Erreur de droit – Annulation.
Commet une erreur de droit l’arrêt d’une cour administrative d’appel qui, pour annuler la sanction infligée à l’agent d’une chambre de métiers et de l’artisanat, retient qu’il a été fait mention devant la commission disciplinaire de ses fonctions syndicales alors qu’il incombait à la cour de rechercher si cette mention, qui était de caractère objectif, avait eu une influence sur l'avis émis par le conseil de discipline ou sur la décision prise par le président de la chambre de métiers et de l'artisanat de la région Bourgogne-Franche-Comté.
(07 février 2023, Chambre de métiers et de l'artisanat de région Bourgogne-Franche-Comté, n° 453183)
97 - Fonctionnaires et agents publics – Allocation temporaire d’invalidité – Nature d’une rente allouée aux victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles – Prise en compte en tant que ressources du foyer – Rejet.
Confirmant le jugement querellé devant lui, le Conseil d’État rappelle à nouveau quelle est la nature de l'allocation temporaire d'invalidité pour les fonctionnaires et agents publics.
Il constate, à juste titre, que cette allocation a pour objet de réparer, en cas de maintien en activité, les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle de l’agent.
Il en déduit donc, que cette allocation doit être regardée comme une rente allouée aux victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles au sens du 7° de l'article R. 844-2 du code de la sécurité sociale et du 4° du I de l'article L. 842-8 de ce code.
En conséquence, et contrairement à ce que soutient la demanderesse, cette allocation est au nombre des ressources du foyer dont l'article L. 842-3 du code de la sécurité sociale prévoit qu'elles sont prises en compte pour l'appréciation du droit à la prime d'activité, soit en tant que revenu professionnel lorsque les conditions mentionnées à l'article L. 842-8 de ce code sont satisfaites, soit, à défaut, en tant que revenu de remplacement en application du 7° de l'article R. 844-2 du même code.
(15 février 2023, Mme A., n° 459030)
98 - Concours professionnel d'avancement au grade de contrôleur principal des douanes et droits indirects – Épidémie de Covid-19 – Adaptation des épreuves – Demande d’annulation – Rejet.
En raison de l’épidémie de Covid-19, les ministres des finances et de la fonction publique ont adapté les épreuves du concours professionnel d'avancement au grade de contrôleur principal des douanes et droits indirects organisé au titre de l'année 2020. En particulier, a été supprimée l'épreuve orale d'admission et l'épreuve écrite d'admissibilité est devenue l’unique épreuve d'admission.
La requérante, candidate malheureuse, demande l’annulation de cet arrêté interministériel.
Sa requête est rejetée.
Concernant la critique de l’absence de motivation de certains actes, le juge rappelle que n’avaient à être motivées ni l'arrêté adaptant les épreuves de ce concours, ni la décision du jury fixant la note minimale pour prononcer l'admission des candidats, ni non plus la délibération arrêtant la liste des candidats admis.
Ensuite, il était possible pour les ministres de procéder aux adaptations querellées alors que le déroulement des épreuves du concours avait déjà débuté car la pandémie est survenue précisément au cours de ce déroulement, le 12 mars 2020, et alors que celui-ci n’était pas achevé.
En ne prévoyant pas le recours à la visioconférence pour l’organisation de l’épreuve orale et en supprimant purement et simplement celle-ci, les ministres défendeurs n’ont pas commis d’erreur manifeste d’appréciation alors même que cette solution par visioconférence a été retenue pour l’organisation d’épreuves orales dans le cadre d’autres concours administratifs.
Enfin, le juge précise un élément important du droit des concours et qui est souvent ignoré tant par les administrations organisatrices que par les jurys et les candidats.
L'institution de notes éliminatoires pour chaque épreuve fait partie de la réglementation du concours et doit être arrêtée par l'autorité investie du pouvoir réglementaire, en revanche, la fixation d'une note minimale pour prononcer l'admission des candidats relève de l'appréciation souveraine du jury sur la valeur des candidats.
En l’espèce, le jury du concours professionnel d'avancement au grade de contrôleur principal des douanes et droits indirects était donc compétent pour fixer le nombre de points que devaient obtenir les candidats pour être admis.
(14 février 2023, Mme A., n° 452995)
99 - Ouvrier de l’État - Exposition à l’amiante – Préjudice d’anxiété – Point de départ de la prescription du droit à réparation – Annulation et rejet.
Le demandeur, ouvrier d'État employé au sein du service des parcs combustibles de la direction du commissariat de la marine nationale de la base navale de Fort-de-France, est éligible, à raison de son exposition aux poussières d’amiante, à une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité (ASCAA) dont le régime est fixé par le décret du 21 décembre 2001.
Il a demandé la réparation de son préjudice d’anxiété du fait de son éligibilité à l’ASCAA et a saisi le tribunal administratif après le rejet de sa demande préalable par la ministre des armées. Cette dernière se pourvoit contre le jugement ayant accordé au demandeur l’indemnisation du préjudice d’anxiété.
Le Conseil d’État accueille le pourvoi en raison de la prescription de la créance de l’intéressé sur l’État.
Suivant un schéma de raisonnement désormais bien établi en cette matière, le juge rappelle que le préjudice d'anxiété dont peut se prévaloir un ouvrier d'État éligible à l'allocation spécifique de cessation anticipée d'activité, « naît de la conscience prise par celui-ci qu'il court le risque élevé de développer une pathologie grave, et par là-même d'une espérance de vie diminuée, à la suite de son exposition aux poussières d'amiante ». Le juge estime donc que c’est la publication de l'arrêté qui inscrit l'établissement en cause, pour une période au cours de laquelle l'intéressé y a travaillé, sur la liste établie par arrêté interministériel qui est par elle-même de nature à porter à la connaissance de l'intéressé, s'agissant de l'établissement et de la période désignés dans l'arrêté, la créance qu'il peut détenir de ce chef sur l'administration au titre de son exposition aux poussières d'amiante.
En l’espèce, c’est un arrêté du 21 avril 2006, publié le 10 mai, qui a fixé la liste des professions, des fonctions et des établissements ou parties d'établissements permettant l'attribution d'une ASCAA à certains ouvriers de l'État, fonctionnaires et agents non titulaires du ministère de la défense. Il s’ensuit que c’est à cette date que le demandeur doit être réputé avoir pris conscience du risque générateur de son préjudice d’anxiété. Par application de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription quadriennale, la prescription était acquise le 31 décembre 2010 soit antérieurement à sa demande d’indemnisation formée le 10 juin 2020.
C’est ainsi par suite d’une erreur de droit que le tribunal administratif a écarté l’exception de prescription quadriennale soulevée devant lui par la ministre des armées.
(14 février 2023, ministre des armées, n° 461094)
100 - Création de l'établissement public Mobilier national - Manufactures nationales des Gobelins, de Beauvais et de la Savonnerie - Ateliers-conservatoires d'Alençon et du Puy-en-Velay – Règles de représentation du personnel – Rejet.
(14 février 2023, Union des syndicats des personnels des affaires culturelles (CGT-Culture), n° 461976)
V. n° 138
101 - Fonctionnaire territorial – Sanction disciplinaire réduite par le conseil de discipline de recours – Employeur public demandant la suspension d’exécution de cette réduction de sanction – Rejet pour défaut d’urgence – Dénaturation des pièces du dossier – Annulation.
La collectivité requérante avait demandé la suspension de la décision du conseil de discipline de recours ayant commué la révocation d’un agent public territorial en exclusion temporaire des fonctions pour deux ans. Sa demande a été rejetée pour défaut d’urgence.
Sur pourvoi de la collectivité, le Conseil d’État annule ce rejet.
Pour dire fondée la demande de la communauté d’agglomération de suspendre la nouvelle sanction disciplinaire, le Conseil d’État retient d’abord que comme l’affirme celle-ci, l'exécution de l'avis du conseil de discipline de recours aurait pour effet d'obliger la communauté d'agglomération de Châlons-en-Champagne à réintégrer l’intéressé dans ses effectifs puisque, d'une part, elle ne peut prononcer une sanction plus sévère que celle résultant de l'avis du conseil de discipline de recours et que, d'autre part, l'intéressé n'exerce plus ses fonctions depuis plus de deux ans. Compte tenu, outre des restrictions médicales qui limitent ses possibilités d'affectation, de la gravité des faits d'agression physique et verbale reprochés à l'intéressé à l'encontre de son supérieur hiérarchique, chef du service mécanique, et du comportement violent dont il a déjà fait preuve à l'égard de ses supérieurs ou de ses collègues de travail, ayant donné lieu précédemment à sanction disciplinaire, la communauté d'agglomération est fondée à soutenir qu'en jugeant que la réintégration de l’intéressé dans ses effectifs n'était pas susceptible de porter atteinte au bon fonctionnement de ses services, pour en déduire que cette réintégration ne créait pas une situation d'urgence au sens de l'article L. 521-1 du CJA de nature à justifier la suspension de la décision contestée, le juge des référés du tribunal administratif a dénaturé les pièces du dossier qui lui étaient soumis.
Est donc prononcée l’annulation du refus d’ordonner la suspension sollicitée, décision du conseil de discipline de recours est ainsi suspendue. Enfin le juge estime qu’existe un doute sérieux sur la légalité de la décision de la commission de discipline de recours ramenant à une suspension temporaire de deux ans une sanction de révocation définitive.
(14 février 2023, Communauté d'agglomération de Châlons-en-Champagne, n° 468821)
102 - Fonctionnaire territorial détaché auprès d’une collectivité ou d’un établissement – Fin, anticipée ou non du détachement – Droit à réintégration dans la collectivité d’origine – Impossibilité de réintégration – Faculté de demander un congé spécial ou une indemnité de licenciement à la collectivité d’exercice du détachement – Substitution de motif – Confirmation.
Un litige opposait un centre de gestion de la fonction publique territoriale à une communauté d’agglomération sur la charge finale du versement à un fonctionnaire communal détaché des rémunérations lui étant dues du fait de sa décision de mettre fin avant le terme prévu à son détachement auprès d’elle.
C’est l’occasion pour le Conseil d’État de rappeler que « (…) les personnes morales de droit public ne peuvent être condamnées à payer une somme qu'elles ne doivent pas, cette interdiction étant d'ordre public et devant être soulevée d'office par la juridiction à laquelle une telle condamnation est demandée. »
Ce qui fait cependant le principal intérêt de la décision concerne le régime de reclassement et de prise en charge des fonctionnaires territoriaux dont le détachement sur un emploi fonctionnel a pris fin. C’est là, en pratique, une question récurrente et d’une très grande portée concrète en raison du nombre de situations de ce type se rencontrant au sein des collectivités et établissements territoriaux.
La réponse ici donnée l’est en termes de principe faisant ainsi ressortir son caractère nouveau.
L’hypothèse est celle de la fin du détachement d’un fonctionnaire territorial (ici municipal) sur un emploi fonctionnel mentionné à l'art. 53 de la loi du 26 janvier 1984, lorsque cet achèvement a lieu à l'initiative de la collectivité ou de l'établissement (ici une communauté d’agglomération) au sein de laquelle ou duquel il est détaché sur un tel emploi.
La question est celle de savoir à qui incombe in fine la charge des rémunérations versées au fonctionnaire détaché à partir de l’achèvement du détachement tant que celui-ci n’est pas réintégré dans son cadre d’emploi : à la collectivité d’origine ou à la collectivité de détachement ?
Avant de donner sa réponse le juge précise que celle-ci n’a pas à tenir compte de ce que cette fin de fonctions est intervenue avant le terme normal du détachement ou résulte du non-renouvellement de celui-ci. Ceci est normal car la réintégration doit intervenir à l’issue de la période, pleine ou interrompue, du détachement.
Le principe, au demeurant très logique, posé par l’art. 53 précité est que ce fonctionnaire est réintégré dans son corps ou cadre d'emplois et réaffecté à la première vacance ou création d'emploi dans un emploi correspondant à son grade relevant de sa collectivité ou de son établissement d'origine en application de l'article 67 de la même loi.
Cependant, dans l’hypothèse ou sa collectivité ou établissement d'origine n'est pas en mesure à cette date de le réaffecter sur un tel emploi, le fonctionnaire est en droit, dans les conditions prévues par l'article 53 précité, de demander à l’entité auprès de laquelle il occupait l'emploi fonctionnel par l’effet du détachement de bénéficier, à son choix, d'un reclassement, d'un congé spécial ou d'une indemnité de licenciement.
Le juge estime que le choix par l’agent de s’adresser à l’entité d’exercice du détachement sur le fondement de l’art. 53 exclut que puisse ensuite lui être appliquées les dispositions de l'article 67 de la loi du 26 janvier 1984.
Par ailleurs, il décide que pour l’application de cette solution il n’y a pas lieu de vérifier si la collectivité employeur, ici la commune, était en mesure de réintégrer l’agent dans ses effectifs au moment où il a formulé cette demande de congé spécial. C’est donc à bon droit que le centre de gestion requérant a réclamé auprès de la communauté d’agglomération.
Ceci nous semble laisser entière la faculté pour l’entité de détachement de se retourner ensuite, après remboursement au centre de gestion, contre la collectivité d’emploi d’origine pour l’inanité du motif qu’elle a avancé pour affirmer ne pas disposer d’emploi de réintégration ad hoc.
(10 février 2023, Centre interdépartemental de gestion de la grande couronne de la région Ile-de-France, n° 443616)
(103) V. aussi, jugeant que relève du juge administratif le litige né de ce qu’une commune a mis fin de manière anticipée au détachement auprès d’elle du demandeur, salarié de droit privé de la Caisse des dépôts et consignations, ce détachement résultant d’un contrat de droit public du fait de sa conclusion entre deux personnes publiques pour l'accomplissement d'une mission de service public administratif, à savoir la préfiguration du pôle municipal gérontologique et de l'autonomie : 10 février 2023, M. B., n° 448745.
104 - Agent contractuel à temps indéterminé d’un établissement public administratif (AEFE) - Demande de protection fonctionnelle pour des faits de harcèlement moral allégués – Refus – Qualification des faits comme harcèlement – Annulation sans renvoi et rejet.
La demanderesse, responsable audiovisuelle, responsable iconographique et des productions audiovisuelles au sein du service communication et événements de l'agence pour l’enseignement du français à l’étranger (AEFE), a saisi la directrice de cet établissement public administratif d’une demande de protection fonctionnelle pour faits de harcèlement moral de la part de son chef de service. Ceci lui a été refusé et, en vain, elle a saisi le tribunal administratif puis la cour administrative d’appel d’une demande d’annulation de ce refus assortie de demandes d’indemnité en réparation des préjudices qu’elle estime avoir subis du fait de ce comportement.
Elle se pourvoit en cassation ; son pourvoi est rejeté.
Le juge de cassation rappelle la ligne jurisprudentielle qu’il a fixée en matière de litiges fondés sur un motif de harcèlement après que chaque partie a, pour la victime prétendue, fait état de faits en ce sens et, pour l’administration, montré que ces faits sont étrangers à des actes de harcèlement : « La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. (…) Pour être qualifiés de harcèlement moral, ces agissements doivent être répétés et excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique ».
Ensuite, il considère que la cour a, sans dénaturation, estimé que la circonstance qu’a finalement été octroyée à l’intéressée le bénéfice de la protection fonctionnelle et de l’existence d’un traitement inégalitaire subi par elle, ne constituaient pas des faits de harcèlement.
En revanche, il annule l’arrêt d’appel en tant que, à propos des autres faits soulevés par la requérante, il a également rejeté cette qualification alors qu’ils étaient susceptibles de faire présumer l'existence de ce harcèlement moral et devaient être analysés sous cet angle.
Jugeant au fond, le Conseil d’État rejette finalement cette qualification, d’une part en raison de ce que le comportement managérial du chef de service, non exempt de reproches, était largement commandé par le comportement professionnel de la requérante et, d’autre part, en raison des efforts faits par l’AEFE pour une pacification de ces relations (autorisations d’absence sans incidence sur le traitement, propositions d’un congé de formation puis de différents poste au sein de l’AEFE, appui à sa candidature au sein de l'Institut français).
(14 février 2023, Mme C., n° 461247)
105 - Harcèlement grossier à connotation sexuelle – Actes répétés – Révocation – Invocation d’un état mental antérieur ayant conduit à ne pas exécuter une précédente décision de révocation – Absence d’irresponsabilité établie lors du nouveau harcèlement – Rejet.
Un agent territorial qui s’est rendu coupable tant à l’oral que par écrits de plusieurs propos ou documents « extrêmement déplacés, agressifs et dégradants, dont plusieurs ayant un caractère sexuel et comportant des menaces physiques, à l'une de ses collègues de la maison de la région à Béziers, à l'une de ses supérieures hiérarchiques et à une élue de la région, lesquelles ont porté plainte pour harcèlement moral », a été révoqué de ses fonctions par la présidente de la région Occitanie. L’agent requérant conteste la régularité et la juridicité de cette décision sans succès en première instance, avec succès en appel.
La région se pourvoit en cassation.
Délaissant diverses questions de procédure et de forme qui n’apportent pas au fond du litige au principal, il convient d’indiquer qu’une première fois, en 2008, pour des motifs semblables, l’intéressé avait fait l’objet d’une décision de révocation qui n’avait pas été exécutée compte tenu d’appréciations médicales d’ordre psychiatrique ayant conclu à son irresponsabilité au moment des faits qui lui étaient alors reprochés.
Se prévalant d’un état physique identique, l’intéressé demandait que soit annulée la décision de révocation : c’est cette argumentation qu’a retenue la cour administrative d’appel. Il est de jurisprudence classique que l’état mental puisse être retenu pour dégager l’agent de sa responsabilité ou pour que soit adoucie la sanction dont il a fait l’objet (pour une révocation jugée disproportionnée au regard de l’état de l’agent, v. 15 octobre 2020, M. Brunel, n° 438488 ; V. cette Chronique, octobre 2020 n° 97).
Toutefois, ici, le juge relève que durant la période de commission des faits reprochés ayant justifié la révocation, soit d’avril à septembre 2016, l'état de santé mentale de l’agent n'était pas de nature à altérer son discernement d’où s’ensuit le caractère non disproportionné de la sanction par la révocation.
(17 février 2023, région Occitanie, n° 450852)
Hiérarchie des normes
106 - Allocation gratuite de quotas d’émission de gaz à effet de serre - Référentiels de produits - Référentiels n'incluant plus la production de ciment d'aluminates de calcium - Directives de l’Union européenne – Règlement délégué d’exécution – Obligation de soumission de l’autorité nationale – Rejet.
Une entreprise produisant certaines variétés de ciments a demandé l’allocation à titre gratuit de quotas d’émission de gaz à effet de serre et a présenté à cet effet à la ministre défenderesse une demande d’inclure dans les référentiels d’éligibilité à cette allocation de quotas, le ciment d’aluminates de calcium. Elle attaque la décision de refus opposée par cette dernière et résultant du silence gardé sur la demande dont elle a été saisie.
Le recours est rejeté en raison de la compétence liée de la France en cette matière du fait que la Commission européenne a, par le règlement d'exécution 2021/447 du 12 mars 2021 déterminant les valeurs révisées des référentiels, pris en compte pour les valeurs des référentiels de « clinker » de ciment gris et blanc des données qui n'incluent plus la production de ciment d'aluminates de calcium, et en a tiré la conséquence que ce type de ciment ne pourrait plus entrer dans ces référentiels et se voir octroyer des quotas gratuits à ce titre. En conséquence, pour l’application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 10 bis de la directive 2003/87 du 13 octobre 2003 relatif à la détermination de référentiels pour l'allocation des quotas à titre gratuit, le règlement délégué (UE) 2019/331 de la Commission du 19 décembre 2018 prévoit 54 référentiels de produits, avec les valeurs de ces référentiels et les taux d'actualisation de ces valeurs pour la période courant de 2021 à 2030, de façon à garantir que les modalités d'allocation des quotas encouragent l'utilisation de techniques efficaces pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Ce règlement délégué a été complété par le règlement d'exécution (UE) 2021/447 de la Commission du 12 mars 2021 déterminant les valeurs révisées des référentiels. Il résulte de son article 4. et de l’art. 11 de la directive 2003/87 du 13 octobre 2003 que l'autorité nationale est tenue de mettre en œuvre le règlement d'exécution arrêté par la Commission déterminant les référentiels.
Ainsi, la ministre défenderesse ne pouvait que refuser la demande adressée par la société Imerys Aluminates et tendant à ce que la production de ciment d'aluminates de calcium soit maintenue dans les référentiels de « clinker » de ciments gris et blanc.
(17 février 2023, Société Imerys Aluminate, n° 452452)
Libertés fondamentales
107 - Établissements pénitentiaires de Guyane – Demandes de prise de mesures d’hygiène, de salubrité et de respect de la vie privée – Rejet.
Retour sur l’interminable et désolant feuilleton sur l’état des prisons guyanaises.
La requérante, tout aussi connue que les problèmes qu’inlassablement elle dénonce, demandait l’annulation d’une ordonnance rendue sur référé liberté rejetant diverses demandes qu’elle a formulées afin d’améliorer les conditions de vie des détenus dans un centre pénitentiaire.
Le Conseil d’État, statuant comme juge d’appel, rejette la requête.
Tantôt les demandes sont jugées sans objet car satisfaction leur a été ou est sur le point d’être donnée, tantôt elles le sont en considération des efforts faits par l’administration pour corriger ce qui peut l’être (cas de la création d’une nouvelle cuisine ou des des douches, extérieures comme intérieures, de la dératisation, de la lutte contre les insectes rampants tels que les cafards, de la distribution d’insecticides, de la protection de la vie privée, etc.).
(ord. réf. 06 février 2023, Section française de l’observatoire international des prisons, n° 470228)
108 - Communication de documents administratifs – Cas du registre de contention et d’isolement d’un établissement hospitalier – Pseudonymisation du nom des patients – Office du juge – Annulation partielle.
(08 février 2023, Centre hospitalier de l'arrondissement de Montreuil-sur-Mer, n° 455887)
V. n° 3
109 - Police des cultes – Police de l’ordre public – Dissolution d’associations d’exercice du culte et d’enseignement – Menaces pour l’ordre public – Notion d’agissements imputables à une association – Gravité et réitération de propos justifiant la décision contestée – Rejet.
(08 février 2023, Association Al Qalam et association allonnaise pour le Juste Milieu, n° 462120)
V. n° 112
110 - Ressortissant albanais conjoint d’une personne bénéficiant en France de la protection subsidiaire – Extradition – Personne condamnée par défaut – Exigence de sa présence devant la cour d’appel – Rejet.
Un ressortissant albanais, faisant l’objet depuis 2016 d’un mandat d’arrêt délivré par un tribunal de son pays et qui a été condamné à vingt-cinq ans d’emprisonnement pour meurtre avec préméditation et détention non autorisée ou fabrication d'armes militaires et munitions, demande l’annulation du décret du premier ministre autorisant son extradition à la demande des autorités albanaises pour être jugé en appel.
Tous les moyens soulevés au soutien de sa requête sont rejetés.
Tout d’abord, a été donnée l’assurance par l’Albanie que, conformément aux principes de l'ordre public français et aux conventions internationales signées par la France, qui imposent qu'en matière pénale, une personne condamnée par défaut puisse obtenir d'être rejugée en sa présence, sauf s'il est établi d'une manière non équivoque qu'elle a renoncé à son droit à comparaître, et à se défendre, l’intéressé pourra être rejugé en sa présence devant la cour d’appel de Tirana, la première sentence n’étant, en l’état, pas exécutoire. L’argument, invoqué par le requérant et tiré de l’absence de double degré de juridiction en matière criminelle, selon lequel seraient par-là violées des dispositions de la Convention EDH (art. 6) et de son protocole additionnel n° 7 (art. 2) est rejeté.
Ensuite, la circonstance que l’épouse du demandeur s'est vu accorder le bénéfice de la protection subsidiaire sur le fondement de la Convention de Genève du 18 juillet 1951 et de la directive de l’Union du 13 décembre 2011, ne saurait faire par elle-même obstacle à l'exécution du décret attaqué.
Également, s’il est invoqué que la mise en œuvre de l’extradition porterait atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale, prévu et garanti par l’art. 8 de la Convention EDH, c’est là l’objet même d’une telle procédure qui a pour objet la remise aux États de ceux de leurs ressortissants auteurs d’infractions afin qu’ils y soient jugés et leur condamnation exécutée. Au surplus, sa femme pourra le rejoindre en Albanie où se trouvent les familles des deux membres du couple.
Enfin, ne sauraient être retenus – car de caractère trop général et non étayé - les moyens tirés de l’état des prisons albanaises, du risque de vengeance de la famille d’un policier, victime d'un autre meurtre commis en Albanie pour lequel il a été jugé et condamné en 1999, sans que les autorités albanaises soient en mesure de le protéger. En l’état, il n’est pas porté atteinte aux stipulations de l’art. 3 (traitements inhumains ou dégradants) de la Convention EDH.
(10 février 2023, M. B., n° 463793)
(111) V. aussi, le rejet d’une demande d’annulation du décret autorisant l’extradition d’un ressortissant espagnol à la demande du Royaume d’Espagne pour participation à des actes de terrorisme, assassinats et tentatives d'assassinats, à raison d'un attentat à la voiture piégée devant la caserne de la garde civile de Saragosse le 11 décembre 1987. En effet, contrairement à ce qui était soutenu, le décret d’extradition a bien été pris en connaissance des éléments que l'État requérant devait présenter aux autorités françaises en vertu des stipulations de l'art. 12 de la convention européenne d'extradition ; la demande ne concernait pas des actes politiques ni ne poursuivait un but politique. Enfin, ne saurait entacher ce décret d’irrégularité la durée excessive de l’instruction menée en Espagne ou le défaut d’impartialité du rapport du service d'information de la garde civile espagnole communiqué au ministère public français, sauf pour l’intéressé à démontrer « qu'il en résulterait une erreur évidente quant aux faits (qui lui sont) reprochés », ce qui n’est même pas allégué par lui : 10 février 2023, M. C., n° 465653.
Police
112 - Police des cultes – Police de l’ordre public – Dissolution d’associations d’exercice du culte et d’enseignement – Menaces pour l’ordre public – Notion d’agissements imputables à une association – Gravité et réitération de propos justifiant la décision contestée – Rejet.
Les associations requérantes, qui assuraient la gestion du lieu de culte « mosquée d'Allonnes » et de l'école qu'il abritait, demandaient l’annulation du décret prononçant leur dissolution.
Le juge rappelle d’abord que, en application des dispositions de l’art. L. 212-1-1 du code de la sécurité intérieure, « sont imputables à une association ou à un groupement de fait les agissements (mentionnés aux 6° et 7° de l’article L. 212-1 dudit code) commis par un ou plusieurs de leurs membres agissant en cette qualité ou directement liés aux activités de l'association ou du groupement, dès lors que leurs dirigeants, bien qu'informés de ces agissements, se sont abstenus de prendre les mesures nécessaires pour les faire cesser, compte tenu des moyens dont ils disposaient ». C’est pourquoi, ici, le Conseil d’État s’attache, d’une part, à relever l’existence de comportements ou propos de la nature de ceux que les dispositions précitées répriment et, d’autre part, à constater l’inertie à leur égard des responsables associatifs.
Le juge relève ainsi, avec un grand souci de précision, les éléments tirés des notes blanches des services de renseignement, « qu'était régulièrement propagée au sein de la mosquée d'Allonnes, par le président et le vice-président ainsi que par l'imam de la mosquée et des prédicateurs, une conception de l'islam reposant sur la distinction entre les musulmans salafistes et les " mécréants français ", considérés comme " pires que des animaux " et ayant vocation à " aller en enfer ". Y était défendue l'idée que la France est " islamophobe " et qu'elle " fait la guerre à l'islam ", justifiant, au titre du djihad, d'" unir les forces de l'islam pour se préparer à combattre les islamophobes " et demandant à Allah de " donner la victoire aux musulmans ". Les notes blanches font également état de relations étroites entre certains membres des associations requérantes, officiant au sein de la mosquée, et des individus appartenant à la mouvance islamiste radicale, ainsi que de la diffusion sur les réseaux sociaux de publications propageant les mêmes théories et de projets de départ en Syrie en vue de se livrer au djihad armé, témoignant d'une radicalisation de fidèles fréquentant la mosquée. Enfin, des propos violents à caractère antisémite et homophobe ont été tenus à plusieurs reprises par une personne qui exerçait des fonctions d'enseignant au sein de l'école abritée par la mosquée, de même que, par l'imam de celle-ci, des propos discriminatoires à l'égard des femmes, justifiant les violences conjugales par le fait que l'époux peut " disposer de sa femme à sa guise ", qualifiant le viol conjugal d'" invention de l'Occident " et appelant à l'instauration de la charia. »
Au terme de cette analyse des comportements et propos répréhensibles, le juge constate ensuite qu’« il ne ressort d'aucune pièce du dossier que les dirigeants de l'association auraient condamné les propos litigieux tenus par des membres de l'association ou auraient entrepris de les exclure. »
C’est donc à bon droit que, dans le respect du 6° de l’art. L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, ces attitudes ont été imputées aux associations en cause.
Ensuite, il est relevé que tombent sous le coup du 7° de l’art. précité (associations ou groupements de fait « qui se livrent, sur le territoire français ou à partir de ce territoire, à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l'étranger ») divers propos ou attitudes des principaux dirigeants des associations dissoutes : justification des assassinats de Samuel Paty en 2020 et de Stéphanie Monfermé en 2021, affirmation, en écho à la nouvelle publication de caricatures du prophète Mahomet dans le journal Charlie Hebdo, que toute personne qui se moque du prophète doit mourir, multiples propos encourageant au djihad armé et valorisant la participation à une telle lutte et la mort en « martyr », propos et publications multiples de fidèles ayant fréquenté la mosquée d'Allonnes relevant de l'apologie du terrorisme, se réjouissant de l'attaque dans les locaux de Charlie Hebdo et des attentats du Bataclan, ou appelant à prendre les armes « pour faire couler le sang ». Tout ceci atteste le caractère incitatif à la commission d'actes de terrorisme des agissements constatés au sein de la mosquée.
Il suit de là que les requérantes ne sont pas fondées à demander l’annulation du décret attaqué qui, eu égard, à la gravité et à la constance des propos et attitudes en cause, ne porte pas d’atteinte disproportionnée à la liberté d’association ou à celle de religion ni ne saurait être jugé discriminatoire envers le culte musulman.
(08 février 2023, Association Al Qalam et association allonnaise pour le Juste Milieu, n° 462120)
113 - Infraction au code de la route – Amende forfaitaire – Paiement immédiat – Information préalable concernant le retrait de points - Charge de la preuve de la délivrance de cette information incombant à l’administration – Rejet sur ce point.
Rappel de ce que, en cas d’infraction routière, le paiement immédiat de l'amende forfaitaire entre les mains de l'agent verbalisateur suite à l’interception du véhicule oblige l'administration à apporter la preuve, par la production de la souche de la quittance prévue à l'article R. 49-2 du code de procédure pénale dépourvue de réserve sur la délivrance de l'information requise, que celle-ci est bien intervenue préalablement au paiement.
Rejet du pourvoi sur ce point.
(09 février 2023, ministre de l’intérieur, n° 459672)
114 - Arrêté portant interdiction de circulation des camions de plus de cinq tonnes sur une portion de route départementale – Contestation de l’interdiction en dehors des zones urbanisées – Moyen laissé sans réponse – Route affirmée être l’unique voie d’accès à une entreprise – Dénaturation – Annulation.
Une entreprise conteste l’interdiction de circuler faite aux véhicules de plus de cinq tonnes sur une portion de route départementale au double motif que cette interdiction n’est pas justifiée dans la partie non urbanisée de cette route et que celle-ci est la seule voie d’accès permettant à ses camions d’accéder à son centre de tri.
La cour administrative d’appel ne se prononce pas sur le premier moyen et juge le second non étayé par les plans qui lui ont été remis.
Le Conseil d’État annule doublement cet arrêt : en tant qu’il ne répond pas à l’un des moyens et en tant qu’il dénature les pièces du dossier pour avoir jugé – contre l’évidence – que la seule production des plans de situation n’établissait pas l’unicité d’accès alléguée alors que l'exactitude de cette affirmation ressortait sans équivoque de ces plans, étayés par la production d'extraits de carte routière et d'attestations des chauffeurs de l'entreprise.
(09 février 2023, Société Val’Horizon, n° 461627)
115 - Police des manifestations sportives – Match de football entre l’OGC Nice et l’AC Ajaccio – Niveau élevé de risque d’atteinte à l’ordre public – Interdiction de stationnement aux abords du stade et interdiction de déplacement des supporters corses à Nice – Absence d’illégalité manifeste – Rejet.
L’interdiction, par des arrêtés du ministre de l’intérieur et du préfet des Alpes-Maritimes, de stationner aux abords du stade Allianz Riviera à Nice et de déplacements de supporters corses à l’occasion d’un match de football entre l’OGC Nice et l’AC Ajaccio, le 10 février 2023, n’a pas constitué, dans les circonstances de l’espèce, une atteinte grave et manifeste à la liberté de déplacement.
En effet, d’une part les rencontres entre ces deux clubs donnent classiquement lieu à des affrontements sérieux, d’autre part, la situation de l’ordre public était alors fragilisée car ainsi que le relève le juge des référés, les forces de l’ordre : « doivent tout particulièrement sécuriser la manifestation sportive à laquelle sont attendus environ 23 000 spectateurs dans un contexte de menace terroriste toujours présente, ainsi que, dès le lendemain matin, une manifestation contre la réforme des retraites où environ 7 000 personnes doivent défiler entre 10 h et 15 h à Nice, puis à partir de 14h30, l'ouverture du carnaval de Nice et un spectacle nocturne regroupant environ 20 000 spectateurs, toujours le même jour le déplacement à Nice de supporters du Paris Saint-Germain qui se rendent à Monaco pour assister à un match de la ligue et, dimanche, l'ouverture de la fête du citron à Menton ainsi qu'un nouveau défilé du carnaval de Nice, où 20 000 spectateurs sont attendus à chaque fois. Il est en outre constant que les équipes de supporters venant des communes de Corse ne pourront pas repartir le soir même faute d'avion ou de bateaux mais devront attendre au plus tôt le lendemain. »
Il est vrai qu’il y avait là une configuration de « panique à bord » justifiant les interdictions édictées.
(ord réf. 09 février 2023, Association nationale des supporters, n° 471184)
116 - Police de la sécurité publique – Interdiction d’accès à une cité marchande – Risques d’incendie et d’écroulement – Absence d’atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie – Rejet.
Le demandeur en référé liberté sollicitait l’annulation de l’ordonnance rejetant sa demande de suspension de l’arrêté municipal interdisant l’accès à une cité marchande composée de plusieurs modules, il invoquait à cet effet, notamment, l’atteinte portée à la liberté du commerce et de l’industrie.
Pour rejeter le recours et confirmer la solution retenue en première instance, le juge d’appel relève que l’espace en cause, composé de lots modulaires vétustes et dangereux du fait d’écroulements de plusieurs d’entre eux, la plupart inoccupés ou squattés, était également un foyer d’incendies, l’un d’eux ayant causé la mort d’une personne en janvier 2023. C’est pourquoi, et alors même que le demandeur, qui y tient un commerce de vente de viande au détail, invoque le fait que son local ne présenterait pas les mêmes risques d’incendie et d’effondrement que les autres, la mesure de police prise par le maire, ainsi que jugé en première instance, ne porte pas une atteinte manifestement illégale à la liberté du commerce et de l'industrie.
(ord. réf. 13 février 2023, M. B., n° 471068)
117 - Police de l’ordre public et des manifestations – Dissolution d’un groupement de fait – Continuité et identité des dirigeants, membres et méthodes avec ceux d’une association déjà dissoute – Faits avérés – Rejet.
C’est en vain que les requérants ont demandé au moyen d’un référé liberté l’annulation du décret de dissolution du groupement de fait qu’ils dirigent.
Le décret justifie cette mesure par deux motifs.
Tout d’abord, est invoquée la continuité entre l'association « Ferveur Parisienne » et le groupement de fait : représentation du groupement par M. A., ancien président de l'association « Ferveur Parisienne », les anciens membres ou sympathisants de l'association au profil de supporters « ultras » classés à risques dont une douzaine particulièrement actifs se retrouvent dans le groupement de fait qui s'identifie toujours au travers de symboles communs, le drapeau représentant un homme cagoulé montrant ses dents constitue l'un des symboles de l'association « Ferveur Parisienne », et ce symbole continue d'être utilisé par les membres du groupement de fait, sans que les dénégations de l’un des demandeurs parviennent à établir que les circonstances ainsi relevées seraient entachées d'erreur matérielle.
Ensuite, la dissolution veut réprimer les actes de dégradation commis contre des biens dans des enceintes sportives ou à leurs abords, les messages injurieux ou tags sur des véhicules ou des immeubles imputés à plusieurs membres de « Ferveur parisienne », d’autant que ces comportements ne sont pas sérieusement contestés. Il en va ainsi d’actes de violence répétés décrits et établis dans une note circonstanciée du ministre de l’intérieur versée au contradictoire et longuement citée par le juge des référés, tous actes soit non contestés ou non démentis soit non sérieusement contestés.
Ainsi, « eu égard au caractère répété des faits et à la gravité des actes de violences contre les personnes en cause, commis en réunion, la mesure de dissolution, qui est indépendante des poursuites pénales, et n'est pas incompatible avec l'interdiction administrative de stade, n'est pas manifestement disproportionnée à l'objectif de protection de l'ordre public en vue duquel elle a été édictée ». C’est pourquoi la demande de référé est rejetée en l'absence, dans cette décision de dissolution, d'atteinte manifestement illégale à une liberté fondamentale.
(ord. réf. 21 février 2023, M. A. et M. M’Veng Essama, n° 470989)
118 - Police de établissements recevant du public – Étage d’un immeuble divisé en logements pour handicapés moteurs cérébraux – Niveau relevant de la catégorie des établissements recevant du public de type J et de cinquième catégorie – Arrêté municipal ordonnant la réalisation de travaux de mise en conformité – Décision de fermeture au public – Rejet.
La commune requérante interjette appel de l’ordonnance rendue en référé liberté par laquelle le juge des référés du tribunal administratif a suspendu l’exécution de l’arrêté municipal ordonnant la fermeture au public d’un niveau d’immeuble occupé par des appartements destinés à des handicapés cérébraux moteurs car il a considéré que la réglementation applicable aux établissements recevant du public ne s'appliquant pas en l'espèce l'arrêté du maire du Mans portait à la liberté de la société, demanderesse en première instance, de disposer de ses biens une atteinte grave et manifestement illégale.
Le Conseil d’État est à la cassation de cette ordonnance car, d’une part, il ne fait aucun doute que la réglementation concernant les établissements recevant du public s'applique aux locaux habités par des personnes handicapées de l'immeuble en litige et, d’autre part, ces locaux ne sont pas conformes aux normes régissant de tels établissements en particulier s’agissant de la réunion en un lieu unique de personnes dont l'aptitude à se soustraire aux effets d'un incendie est nécessairement diminuée, alors que cette aptitude est au nombre des paramètres à retenir pour l'appréciation des mesures en vue d'assurer la sécurité des personnes contre l'incendie en vertu de l'art. R. 143-3 du code de la construction et de l'habitation.
L’arrêté municipal querellé n’est pas illégal.
Ne sauraient faire obstacle à cet état de fait et de droit les moyens que la demanderesse n’est pas l’exploitante desdits locaux au sens et pour l’application de la réglementation en cause, que n’ont pas été indiqués de façon claire la nature et l'échéancier des mesures à prendre pour que ceux-ci lui soient rendus conformes, que la commune ne s’est pas assurée concrètement de l'existence de possibilités de relogement des personnes handicapées dans des conditions adaptées à leur situation.
L’ordonnance attaquée est annulée.
(ord. réf. 20 février 2023, Commune du Mans, n° 470899)
Professions réglementées
119 - Géomètre-expert – Radiation de l’ordre – Abstention persistante de remise des documents et archives à l’ordre des géomètres-experts – Injonction sur astreinte de remise des pièces sous trente jours – Annulation.
Suite à sa radiation de l’ordre des géomètres-experts l’intéressé s’est vu réclamer par un conseil régional de l’ordre la remise de l'intégralité des documents et archives de son cabinet de géomètre-expert relatifs aux travaux exécutés en application du 1° de l'article 1er de la loi n° 46-942 du 7 mai 1946. Devant la mauvaise volonté de ce dernier, le conseil régional a saisi le juge des référés du tribunal administratif d’une demande tendant à le voir ordonner cette remise. Cette demande ayant été rejetée, le conseil demandeur se pourvoit en cassation.
Pour rejeter la requête dont il avait été saisi, le juge des référés avait retenu que ni l'urgence ni le caractère utile de la mesure sollicitée prévus par l'art L. 521-3 du CJA n'étaient démontrés par le requérant, faute de la production de l'accusé de réception du courrier du 2 juin 2020 attestant du refus du géomètre radié de communiquer les documents demandés.
Cassant ce raisonnement pour dénaturation des pièces du dossier, le juge relève, d’une part, les missions de service public confiées par la loi à la personne privée qu’est le conseil régional de l’ordre des géomètres-experts (contrôle de l'exercice de la profession de géomètre-expert détentrice d’un monopole pour fixer les limites des biens fonciers, procéder à toutes opérations techniques ou études sur l'évaluation, le partage, la mutation ou la gestion de ces biens lorsque ces opérations ont pour but l'établissement de procès-verbaux, plans de bornage et autres plans destinés à être annexés à des actes authentiques, judiciaires ou administratifs pour constats, états de lieux ou division des biens dont il s'agit…) et d’autre part, les éléments du dossier faisant ressortir l’absence d’effets des demandes réitérées du conseil régional auprès de l’intéressé afin qu’il satisfasse à son obligation de remise des documents en cause, empêchant par-là l’exercice par ledit conseil de ses missions de service public.
Est ordonnée à l’individu récalcitrant, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, la production des pièces dans un délai de trente jours.
Ceci ne préjuge évidemment pas d’éventuelles actions en responsabilité susceptibles d’être engagées du fait de préjudices résultant de cette inertie comportementale.
(ord. réf. 10 février 2023, Conseil régional de l'ordre des géomètres-experts de Paris-Île-de-France, n° 449633)
120 - Pharmacien – Condition de moralité – Refus de réinscription au tableau de l’ordre des pharmaciens – Exercice illégal de la pharmacie – Circonstances particulières – Annulation du refus de réinscription – Rejet.
A la suite du rachat d’une officine, M. A. a été autorisé à la transférer à une autre adresse, dans la même commune, par un arrêté du directeur de l'agence régionale de santé (ARS) d'Île-de-France. Le tribunal administratif, saisi par cinq pharmaciens concurrents, a annulé cet arrêté car les conditions du rachat de l'officine avaient rendu caduque la licence qui lui était attachée. En conséquence, le conseil régional d'Île-de-France de l'ordre des pharmaciens a prononcé la radiation de M. A. du tableau de l'ordre.
Les inspecteurs de l'ARS d'Île-de-France ont constaté que M. A., postérieurement à cette radiation, a délivré des médicaments notamment en se les procurant auprès d'une autre officine. Toutefois, la cour administrative d'appel de Versailles, sur appel de M. A., a annulé le jugement du tribunal et rejeté la demande d'annulation de l'arrêté du directeur de l'ARS d'Île-de-France, en retenant, notamment, que la licence attachée à l'officine n'était pas caduque.
Par la suite, le conseil régional de l'ordre des pharmaciens d'Île-de-France, a rejeté la demande de réinscription au tableau A de l'ordre présentée par M. A. au motif qu'il ne présentait pas les garanties de moralité professionnelle exigées par le code de la santé publique, en se fondant notamment sur les constatations du rapport d'inspection.
Sur recours hiérarchique, le Conseil national de l'ordre des pharmaciens a annulé ce refus et prononcé l'inscription de l'intéressé au tableau de la section A de l'ordre.
Le conseil régional d'Île-de-France de l'ordre des pharmaciens demande au Conseil d'État d'annuler la décision prononçant l'inscription de M. A.
Le pourvoi est rejeté, le juge relevant que le Conseil national n’avait pas commis d’erreur de droit, d’une part en jugeant que les faits reprochés n’ayant donné lieu à aucune condamnation pénale, ne revêtait pas un caractère de gravité suffisant et, d’autre part, en tenant compte de ce que le comportement reproché, commis sans publicité et de manière transitoire, l’avait été au cours d'une période durant laquelle M. A. avait été indument privé de sa licence et radié du tableau de l'ordre à la suite d'un jugement du tribunal administratif annulé par la suite avec effet rétroactif. Ainsi c’est à bon droit qu’il a estimé que dans les circonstances particulières de l’espèce l’intéressé n’avait pas fait preuve d’un défaut de moralité professionnelle.
(09 février 2023, Conseil régional de l'ordre des pharmaciens d'Île-de-France, n° 464973)
Question prioritaire de constitutionnalité
121 - Locataires de logements gérés par la régie immobilière de la Ville de Paris – Maintien de l’économie des conventions – Respect du droit à la propriété privée – Supplément de loyer de solidarité – Application différenciée en fonction de la signature ou non d’une convention réglementée – Refus de transmission d’une QPC.
A l’appui d’un pourvoi en cassation dirigé contre le rejet de leurs demandes de mettre fin aux conventions conclues entre le Conseil de Paris, agissant au nom de l’État, et la Régie immobilière de Paris, les requérants ont soulevé une QPC fondée sur l’atteinte portée à l’économie des conventions, au droit de propriété et au principe d’égalité par diverses dispositions du code de la construction et de l’habitation qui instituent, pour certains locataires, un surloyer dit loyer de solidarité.
Le Conseil d’État, rejetant tous les moyens présentés, refuse de transmettre cette question.
Tantôt ce refus est fondé sur des motifs de procédure : telle disposition législative n’est pas applicable à l’espèce, ou bien les moyens soulevés à l’encontre d’une autre sont dépourvus de précisions.
Tantôt ce refus porte sur le fond de l’argumentation.
D’une part, l’institution d’un loyer de solidarité destiné à favoriser la mobilité sociale au profit des personnes aux ressources modestes et les plus défavorisées obéit à un objectif d’intérêt général dont l’application est proportionnée audit objectif, ce qui justifie l’atteinte ainsi portée aux contrats de location en cours d’exécution nonobstant le principe de liberté contractuelle et celui de la foi due aux contrats.
D’autre part, si les locataires ne sont pas traités de la même façon selon que leur bailleur a signé ou n’a pas signé une convention en application de l'article L. 351-2 du code de la construction et de l'habitation (qui fixe le champ d’application de l’aide personnalisée au logement), c’est parce que de ce fait ils se trouvent placés dans des situations différentes au regard des dispositions régissant le surloyer.
Encore une fois, le juge piétine allègrement le contrat et donc les libertés qu’il engendre. En outre, s’agissant d’un motif de solidarité il ne s’aperçoit point pourquoi cette solidarité devrait être mise à la charge de certains seulement des locataires et non de tous : c’est d’une solidarité qu’il s’agit ou non ? L’universalité est à la base de la solidarité non la sélectivité opérée entre des bienfaiteurs forcés.
(1er février 2023, Association Amicale Mouffetard-Calvin-Mirbel, M. B., M. E. et M. C., n° 466335)
(122) V., identique : 1er février 2023, Association Amicale Mouffetard-Calvin-Mirbel, Mme D. Mme H., M. A. et M. B., n° 466338
123 - Contribuables non-résidents dont la totalité des revenus est de source française – Régime de prise en compte des pensions alimentaires versées par ces contribuables – Calcul de l’impôt sur le revenu – Application de taux minima – Inégalité entre non-résidents – Absence – Refus de transmission d’une QPC.
Selon les dispositions combinées des art. 164 A et 197 A du CGI les contribuables non-résidents disposant de revenus de source français sont assujettis à l’impôt sur le revenu dont le montant ne peut être inférieur à celui qui résulterait de l'application de taux d'imposition minima prévus au a de l'article 197 A du CGI. Toutefois, lorsque ces contribuables établissent que le taux moyen d'imposition résultant de l'application du barème progressif sur l'ensemble de leurs revenus de sources française et étrangère, pensions alimentaires déduites, est inférieur à ces taux minima, il est fait application de ces taux sur les revenus de source française imposables.
Le demandeur soutenait que ces dispositions méconnaissent les principes constitutionnels d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques en tant qu’elles s’appliquent aux non-résidents dont la totalité des revenus est de source française. De plus, alors que ces dispositions auraient été prises, selon le demandeur, pour rapprocher les situations fiscales respectives des non-résidents et des résidents elles ne bénéficient qu'aux non-résidents dont le taux moyen d'imposition est inférieur aux taux minima.
Le Conseil d’État refuse de transmettre cette question au double motif que le dispositif litigieux « vise à favoriser les contribuables les moins fortunés » (sic) en accentuant ainsi la progressivité du barème en leur faveur et que « compte tenu de leur faible incidence sur le montant de l'impôt dû, les dispositions contestées ne sont pas de nature à créer une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques entre les contribuables non-résidents, même lorsqu'ils perçoivent exclusivement des revenus de source française, et par suite ne méconnaissent pas le principe d'égalité devant les charges publiques ».
Ce « raisonnement » pèche par son invisibilité.
(03 février 2023, M. A., n° 468904)
124 - Art. L. 111-3 du CESEDA – Exclusion de Mayotte de la liste des territoires comme étant « en France » - Application aux étrangers voulant se prévaloir d’une résidence de dix ans en France – QPC – Refus de transmission.
Le requérant soulevait une QPC à l’encontre des dispositions de l’art. L. 111-3 du CESEDA en tant qu’en excluant Mayotte de la liste des territoires devant s'entendre comme « en France », elles feraient obstacle à ce qu'un étranger ayant résidé à Mayotte jusqu'en 2014, et sollicitant un titre de séjour sur la période de 2020 à 2024, puisse se prévaloir de la durée de résidence de dix ans en France requise par les dispositions des articles L. 313-14 et L. 511-4 du CESEDA alors applicables, ce qui porterait atteinte à des droits et libertés que la Constitution garantit en créant une différence de traitement injustifiée entre les étrangers ayant séjourné à Mayotte et ceux ayant séjourné sur d'autres parties du territoire national.
La demande de transmission de la QPC est rejetée en ce que la disposition en cause a été prise en raison de la situation particulière tenant à l'éloignement et à l'insularité de la collectivité de Mayotte, ainsi qu'à l'importance des flux migratoires dont elle est spécifiquement l'objet et aux contraintes d'ordre public qui en découlent. Par ailleurs, contrairement à ce qui est soutenu, cette disposition n’a ni pour objet ni pour effet de régir l'éloignement du demandeur de titre de séjour et ne fait par elle-même pas obstacle à ce qu'un enfant français né de père ou de mère qui ne possède pas la nationalité française puisse voyager vers l'étranger pour suivre son parent, d’où s’ensuit l’absence d’atteinte à la liberté d’aller et de venir.
(10 février 2023, M. A., n° 468884)
125 - Art. L. 426-4 du CESEDA – Demande de deuxième renouvellement d’une carte de séjour – Soumission à l’absence de menace pour l’ordre public – Transmission d’une QPC.
Dans la rédaction qui leur a été donnée par l’ordonnance du 16 décembre 2020, non ratifiée à la date de la présente décision, les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 426-4 du CESEDA qui subordonnent à l'absence de menace pour l'ordre public la délivrance de plein droit d'une carte de résident permanent dès le deuxième renouvellement d'une carte de résident, soulèvent une question présentant un caractère sérieux au regard des droits et libertés garantis notamment par les dispositions du dixième alinéa du Préambule à la Constitution du 27 octobre 1946.
(28 février 2023, M. D., n° 468561)
126 - Taxation des cessions de terrains nus constructibles (art. 1605 nonies CGI) - Atteintes à l’égalité devant la loi et à l’égalité devant les charges publiques – Refus de transmission de la QPC
L'article 1605 nonies du CGI prévoit depuis le 1er janvier 2016 la perception d’une taxe sur la cession à titre onéreux des terrains nus ou des droits relatifs à des terrains nus rendus constructibles du fait de leur classement, postérieurement au 13 janvier 2010, par un plan local d'urbanisme ou par un autre document d'urbanisme en tenant lieu, en zone urbaine ou à urbaniser ouverte à l'urbanisation ou par une carte communale dans une zone où les constructions sont autorisées ou par application de l'article L. 111-3 du code de l'urbanisme.
La requérante soulève à l’encontre de ce texte une QPC fondée sur ce que ses dispositions porteraient atteinte aux principes constitutionnels d’égalité devant la loi et d’égalité devant les charges publiques.
Le Conseil d’État rejette la demande de transmission de cette question au Conseil constitutionnel.
Le moyen tiré de l’atteinte au principe d’égalité est rejeté car cette taxe s’applique à tous les propriétaires de terrains comportant les caractéristiques prévues à l’article précité du CGI lorsqu’ils en font cession.
Le moyen tiré de l’atteinte au principe d’égalité devant les charges publiques appelait un raisonnement plus sophistiqué car la requérante soutenait qu'en ne prévoyant, pour la définition du champ d'application de la taxe et de celle de son assiette, ni la prise en compte des frais d'acquisition du terrain, ni celle des frais d'aménagement et de viabilisation exposés par le vendeur avant sa cession, le législateur ne se serait pas fondé sur des critères objectifs et rationnels au regard du but poursuivi et qu'il aurait conféré à cette taxe un caractère confiscatoire, alors, de surcroît, que les dispositions de l'article 1529 du CGI prévoient la possibilité d'instituer une taxe communale reposant sur la même assiette. Pour rejeter une argumentation d’une certaine force apparente, le Conseil d’État retient un double motif.
Tout d’abord, il retient la finalité de la disposition critiquée. L’objectif du législateur a été, comme en témoignent les travaux préparatoires de la loi du 27 juillet 2010, dite, et c’est important ici, « de modernisation de l’agriculture… », dont est issue l’art. 1605 nonies, de lutter contre la disparition des terres agricoles, en freinant notamment leur transformation en terrains à bâtir à des fins spéculatives, d’où une assiette assez large de la taxe et le refus de la déduction de certains frais et charges.
Ensuite, sont relevés les différents dispositifs destinés à alléger partiellement le poids de la taxation : la taxe n’est applicable que si le rapport entre prix de cession et prix d'acquisition ou la valeur vénale est supérieur à 10, l'assiette est diminuée d'un abattement de 10 % par année de détention au-delà de la huitième année suivant la date à laquelle le terrain a été rendu constructible, le taux de la taxe n'excède pas 5 % lorsque le rapport entre le prix de cession du terrain et le prix d'acquisition ou la valeur vénale est supérieur à 10 et inférieur à 30, et 10 % au-delà de cette limite pour la part d'assiette restant à taxer.
Cette taxe n’a donc pas un caractère confiscatoire, contrairement à ce qui est soutenu.
Enfin, en renvoyant aux règles régissant le contrôle, le contentieux, les garanties et les sanctions, applicables à l'impôt sur le revenu, le VI de l’article litigieux démontre que le législateur n’a pas méconnu, comme soutenu à tort, sa propre compétence.
(10 février 2023, Société Lionheart, n° 469715)
127 - Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) – Méconnaissance par le législateur de l’étendue de sa compétence au titre des art. 1586 ter, 1586 quater et 1586 quinquies du CGI – Utilisation d’un chiffre d’affaires antérieur au fait générateur de l’imposition – Atteinte portée à une situation acquise – Refus de transmettre une QPC.
La requérante a soulevé une QPC tirée de ce qu'en adoptant les dispositions des articles 1586 ter, 1586 quater et 1586 quinquies du CGI, le législateur aurait méconnu l'étendue de ses compétences d'une manière affectant par elle-même la garantie des droits assurée par l'article 16 de la Déclaration de 1789 et les principes d'égalité devant la loi et les charges publiques en ce que, faute d'avoir prévu un mécanisme de nature à garantir qu'un contribuable ne soit pas imposé à la CVAE sur la base d'un chiffre d'affaires antérieur au fait générateur de l'imposition et à la promulgation de la loi qui l'a instituée, il a, dans le cas d'une société dont l'exercice social ne coïncide pas avec l'année civile, porté atteinte à une situation légalement acquise et institué une différence de traitement injustifiée entre les sociétés selon la date de clôture de leur exercice social.
La transmission est refusée motif pris de ce qu’en adoptant les dispositions querellées le législateur « a pleinement exercé sa compétence et n'a disposé que pour l'avenir, sans porter atteinte à des situations juridiquement acquises ni remettre en cause les effets qui pouvaient légitimement être attendus de telles situations. » C’est là une « argumentation » qui relève davantage de l’argument d’autorité que du raisonnement juridique.
En revanche, le raisonnement du juge est davantage convaincant s’agissant de rejeter le grief d’atteinte aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques.
(20 février 2023, Société RMG, n° 467178)
(128) V. aussi, refusant de renvoyer une QPC dirigée contre le I bis de l'art. 1586 quater du CGI, en tant que en réservant un traitement différent, au regard de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, aux sociétés qui remplissent les conditions de détention fixées par le I de l'article 223 A du CGI pour être membres d'un groupe fiscalement intégré et aux sociétés qui ne remplissent pas ces conditions, porterait atteinte aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques garantis respectivement par les articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789.
On regrettera la faible rigueur de l’analyse par le juge des moyens soulevés à l’appui de cette question : 23 février 2023, SAS Transports Georges et Schmitt Vrac, n° 464765.
129 - Ordre des experts-comptables – Composition de la chambre nationale de discipline – Présence de deux fonctionnaires désignés par le ministre de l’économie et des finances – Refus de transmission d’une QPC.
Le recours tendait à voir jugée par le Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 50 de l'ordonnance du 19 septembre 1945 dans la version qui lui a été donnée par l'article 14 de la loi du 14 février 2022 en faveur de l'activité professionnelle indépendante en tant qu’il prévoit désormais la présence, parmi les cinq membres composant la chambre nationale de discipline de l’ordre des experts-comptables, de deux fonctionnaires nommés par le ministre chargé de l’économie et des finances.
Le juge refuse la transmission de la question au double motif qu’il ne serait pas, par-là, porté atteinte aux principes d'indépendance et d'impartialité des juridictions, dès lors qu’il résulte de l'ordonnance que ces fonctionnaires n'y représentent pas le ministre (sic) et que la fixation de garanties permettant de faire obstacle à que les fonctionnaires puissent siéger lorsque la chambre nationale de discipline connaît des questions relevant des services à l'activité desquels ils ont participé, et dont le requérant critique l'absence à l'article 50 contesté, relèverait, en tout état de cause, de la compétence du pouvoir réglementaire (re-sic).
(23 février 2023, M. A., n° 467516)
Responsabilité
130 - Responsabilité à raison de dommages de travaux publics – Point de départ et régime de la prescription – Annulation.
Au cours du mois de juin 2002, M. et Mme B. ont constaté l'apparition de nombreux désordres dans leur propriété à la suite d'importantes fuites d'eau dues à la rupture de la bride d'alimentation en eau sous pression de la borne d'incendie située contre la façade de leur maison, désordres qui conduiront ensuite à rendre leur maison inhabitable et, ensuite, à ce qu’elle soit frappée d’un arrêté de démolition.
Après dépôt du rapport de l’expert désigné par le tribunal administratif, les intéressés ont demandé à ce tribunal, le 17 novembre 2009, la condamnation solidaire de la commune et de la Société nouvelle de travaux publics et particuliers (SNTPP) à réparer les préjudices qu'ils ont subis. Une ordonnance du 11 mai 2012 a désigné un nouvel expert dont le rapport, déposé le 21 juillet 2015, a retenu la responsabilité de la SNTPP et de la commune ainsi que de la communauté de communes et de la société Lyonnaise des eaux, devenue ensuite Suez Eau France. M. et Mme B. ont alors demandé au tribunal administratif la condamnation solidaire de l'ensemble des parties mises en cause par cet expert. Par un jugement du 30 décembre 2016, la société Lyonnaise des eaux/Suez a été condamnée à verser une certaine somme à M. et Mme B. et une autre à la société MAIF, leur assureur.
Par un arrêt du 20 novembre 2018, la cour administrative d'appel a rejeté l'appel de la société Suez Eau France contre ce jugement, ainsi que les conclusions présentées à titre incident par M. et Mme B., et mis les frais des deux expertises à la charge de cette société.
Puis, par une décision du 20 novembre 2020, le Conseil d'État, sur pourvoi de la société Suez Eau France, a annulé cet arrêt en tant qu'il a rejeté ses conclusions et mis à sa charge définitive les frais d'expertise et il a renvoyé, dans cette mesure, l'affaire à la cour administrative. Celle-ci, par arrêt du 30 avril 2021, contre lequel M. et Mme B. et la société MAIF se pourvoient en cassation, la cour a annulé le jugement en tant qu'il a condamné la société Suez Eau France à verser des indemnités à M. et Mme B. et à la société MAIF, mis à sa charge les frais des deux expertises et rejeté les conclusions présentées par M. et Mme B. et la société MAIF devant le tribunal administratif.
Pour rejeter le pourvoi, le Conseil d’État se fonde sur le régime de la prescription (I) appliqué à l’espèce (II).
I - Il est d’abord jugé que le point de départ du délai de prescription tel qu’il résulte de l’art. 2224 du Code civil est la date à laquelle la victime a eu une connaissance suffisamment certaine de l'étendue du dommage mais ajoute cette précision, discutable en son énoncé flou, que les « conséquences futures et raisonnablement prévisibles des désordres apparus ne constituent pas une aggravation du dommage de nature à reporter le point de départ du délai de prescription », ce qui constituait le nœud du litige.
Ensuite, concernant la durée du délai de prescription, l’art. 2270-1 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile fixe à dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation le délai dans lequel doivent être intentées les actions en responsabilité civile extracontractuelle tandis que l’art. 2224 précité fixe cette prescription à cinq ans s’agissant des actions personnelles ou mobilières.
Enfin, pour ce qui est de l’interruption et de la suspension du délai de prescription, il est fait application des art. 2241 du Code civil dans sa version née de la loi du 17 juin 2008 et 2244 dans la version antérieure à cette loi : la demande adressée à un juge de diligenter une expertise interrompt le délai de prescription jusqu'à l'extinction de l'instance. Étant observé que les dispositions de l'article 2239 du code civil, issues de cette loi, selon lesquelles le délai de prescription est suspendu jusqu'à la remise par l'expert de son rapport au juge, ne sont quant à elles applicables qu'aux expertises ordonnées à compter du 19 juin 2008, date d'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 qui a institué cette nouvelle cause de suspension du délai de prescription.
II – Le Conseil d’État estime que la cour a commis une erreur de droit en jugeant que dans cette affaire le point de départ du délai de prescription ne pouvait pas être fixé à la date de l'aggravation des dommages subis par le bâtiment appartenant à M. et Mme B. car une telle aggravation était la conséquence de l'abstention de ces derniers de prendre des mesures pour remédier aux désordres initialement constatés. En effet, la cour devait seulement rechercher si les nouveaux dommages invoqués par les victimes constituaient des conséquences raisonnablement prévisibles des désordres survenus, insusceptibles de reporter le point de départ du délai de prescription.
S’agissant d’une seconde cassation dans une même affaire le Conseil d’État statue comme juge d’appel et définitivement.
Il fixe au mois de juin 2002 la date de la connaissance certaine par les demandeurs de l’étendue des dommages et décide en conséquence que, sauf interruption ou suspension, la prescription était théoriquement acquise à compter du 30 juin 2012. Toutefois, du fait de l’instance en désignation d’expert qui s’est close par l’ordonnance du 6 janvier 2003 portant désignation d’expert, la prescription n’a été acquise que le 6 janvier 2013. En revanche, il n’y a pas eu suspension du cours de la prescription pendant la durée de la procédure car – comme déjà indiqué plus haut - la suspension du fait des opérations d’expertise introduite par la loi du 17 juin 2008 à l’art. 2239 du Code civil ne s’applique qu’aux expertises ordonnées postérieurement à l’entrée en vigueur de cette loi, ce qui n'est pas le cas ici.
En outre, si les demandeurs ont bien saisi le juge administratif d’une demande indemnitaire et d’une demande d’expertise les 17 et 27 novembre 2009, celles-ci étaient dirigées contre la commune et contre la SNTPP non contre Suez Eau France envers laquelle la prescription continuait de courir. Et il n’existe pas d’autres causes d’interruption de la prescription dans ce dossier.
L’action des demandeurs était prescrite lorsque, le 12 juillet 2016, ils ont formé devant le tribunal administratif une demande indemnitaire dirigée contre Suez Eau France.
On voit par là qu’est capitale la position jurisprudentielle selon laquelle alors même que l'article 2244 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 réservait un effet interruptif aux actes « signifiés à celui qu'on veut empêcher de prescrire », d’une part, ces termes n'ont pas été repris par le législateur aux nouveaux articles 2239 et 2241 de ce code, d’autre part, il ne résulte ni des dispositions de la loi du 17 juin 2008 ni de ses travaux préparatoires que la réforme des règles de prescription résultant de cette loi aurait eu pour effet d'étendre le bénéfice de la suspension ou de l'interruption du délai de prescription à d'autres personnes que le demandeur à l'action, et notamment à l'ensemble des participants à l'opération d'expertise. La suspension de la prescription, en application de l'article 2239 du code civil, lorsque le juge accueille une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès, le cas échéant faisant suite à l'interruption de cette prescription au profit de la partie ayant sollicité cette mesure en référé, tend à préserver les droits de cette partie durant le délai d'exécution de cette mesure et ne joue qu'à son profit, et non, lorsque la mesure consiste en une expertise, au profit de l'ensemble des parties à l'opération d'expertise, sauf pour ces parties à avoir expressément demandé à être associées à la demande d'expertise et pour un objet identique.
On regrettera cependant ce jeu incessant du juge dans l’application des textes, selon les points examinés, tantôt dans leur version antérieure à la loi de 2008 et tantôt dans leur version postérieure à cette même loi.
(07 février 2023, M. et Mme B., société MAIF, n° 454109)
131 - Action en réparation de nuisances sonores causés par une usine d’embouteillage – Calcul du niveau de ces nuisances – Invocation des seuils limites fixées par un arrêté préfectoral – Arrêté inapplicable en dehors de l’établissement – Erreur de droit – Annulation et renvoi.
Encourt l’annulation l’arrêt d’une cour administrative d’appel qui, pour rejeter la demande indemnitaire des requérants en vue de la réparation des préjudices subis du chef des nuisances sonores causées par l’activité d’une usine d’embouteillage, se fonde sur le non dépassement de seuils fixés par un arrêté préfectoral concernant le bruit à l’intérieur de cet établissement, alors que la demande de réparation concernait des nuisances causées par les mouvements de camions vers l'installation, trouvant ainsi leur source à l'extérieur de l'établissement mais étaient en lien direct avec l'exploitation et mesurées au voisinage immédiat de l'installation.
(17 février 2025, M. et Mme B., n° 443710)
Santé publique – Santé – Droit du médicament et des dispositifs médicaux
132 - Commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé – Guide de la Haute autorité de santé préparé en son sein par cette Commission - Guide portant « Évaluation de la compatibilité IRM des dispositifs médicaux par la CNEDiMTS » - Recevabilité du recours pour excès de pouvoir contre ce guide – Rejet et annulation partiels.
Les requérantes contestaient la légalité de certains points des chapitres 5 et 6 d’un guide intitulé « Évaluation de la compatibilité IRM des dispositifs médicaux par la CNEDiMTS » rédigé, au sein de la HAS, par sa commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé (CNEDiMTS).
Tout d’abord, rejetant la fin de non-recevoir opposée par la HAS, le juge déclare le recours recevable en ce que les dispositions du guide litigieux doivent être regardées, dans leur ensemble, comme faisant grief, eu égard aux effets notables qu'elles sont susceptibles d'avoir tant à l'égard des industriels fabricants de dispositifs médicaux implantables que des professionnels de santé.
Ensuite, sur le fond, le Conseil d’État rejette l’une des deux demandes et admet l’autre.
En premier lieu, était contesté, au sein du chapitre 5 du guide, intitulé « Modalités de réalisation d'un examen IRM recommandées par la CNEDiMTS », le point 5.4 qui dispose que « pour tout dispositif ou système implanté MR Unsafe (non IRM compatible) ou sans label clairement identifié malgré une recherche précise de son IRM compatibilité (notice, fabricant...), la réalisation d'une IRM devrait être formellement proscrite ». Le juge rejette le recours sur ce point car il relève qu’en réalité la formulation abrupte de ce point est très nuancée par le paragraphe introductif de ce chapitre ; ainsi, la Commission de la HAS n’a pas commis une erreur manifeste d'appréciation en recommandant aux prescripteurs, de façon générale, sans préjudice de leur recherche de la prise en charge la plus appropriée à chaque patient, de ne pas réaliser d'examen d'imagerie par résonance magnétique chez des patients porteurs d'un dispositif ou système implanté non compatible avec cet examen ou sans label clairement identifié malgré une recherche précise de sa compatibilité.
En second lieu, les requérants contestaient également, au sein du chapitre 6 intitulé « principes d'évaluation de la CNEDiMTS », le point 6.2 qui recommande que, pour tout dispositif médical implantable actif compatible sous condition avec un examen d'imagerie par résonance magnétique inscrit sur la liste des produits et prestations remboursables, l'ensemble des éléments implantés soient, dans le cas d'une primo-implantation, compatibles avec un tel examen. Or, au vu des pièces du dossier, cette précision est jugée illégale en ce qu’elle ne réserve pas le cas des dispositifs cardiaques implantables actifs, car elle est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.
L’annulation est prononcée dans cette limite.
(1er février 2023, Société par actions simplifiée Microport CRM France et société par actions simplifiée Sorin CRM, n° 460587)
133 - Communication de documents administratifs – Cas du registre de contention et d’isolement d’un établissement hospitalier – Pseudonymisation du nom des patients – Office du juge – Annulation partielle.
(08 février 2023, Centre hospitalier de l'arrondissement de Montreuil-sur-Mer, n° 455887)
V. n° 3
134 - Greffe pulmonaire – Refus d’inscrire un patient sur la liste nationale des malades en attente de greffe – Comportement rétif du patient envers les indications thérapeutiques – Appréciation nationale de l’intérêt et de la priorité à la greffe – Pouvoirs du juge du référé liberté – Refus du juge de prescrire à une équipe médicale une démarche thérapeutique autre que celle choisie – Rejet.
Le requérant, atteint de mucoviscidose, s’est vu refuser l’inscription sur la liste nationale des malades en attente d’une transplantation pulmonaire, il interjette appel du rejet de sa demande par ordonnance du juge du référé liberté du tribunal administratif.
Pour rejeter la demande faite en appel, le Conseil d’État retient que, outre le fait de n’avoir pas voulu être vacciné contre le Covid-19, le patient, diabétique, a refusé de suivre certains des traitements qui lui ont été prescrits, tels qu'un régime diabétique, alors même qu'il a été informé des risques importants de complications à la suite d'une transplantation pulmonaire en cas de diabète mal équilibré.
Après consultation de l'instance nationale de concertation pluridisciplinaire regroupant à l'échelon national des représentants des équipes spécialisées dans ce type d'interventions, laquelle a confirmé le bien-fondé de la décision de refus d'inscription envisagée par l'équipe soignante, celle-ci a estimé, dans un contexte de rareté des greffons disponibles, à privilégier le choix d'un patient pour lequel les chances de succès de l'opération paraissent les plus élevées, compte tenu de son état de santé, mais également d'autres éléments tels que son degré d'observance des prescriptions thérapeutiques.
Dès lors il n’appartient pas au juge des référés de prescrire à l'équipe médicale d'engager les démarches en vue d'une prise en charge thérapeutique autre que celle qu'elle a choisie de pratiquer à l'issue du bilan qu’elle a réalisé et qu’elle était seule à pouvoir effectuer.
(08 février 2023, M. A., n° 470823)
135 - Prescription d’un médicament contre l’ostéoporose – Conditions d’intervention de la commission de la transparence – Risque de mésusage – Obligation de recourir à un médecin spécialiste pour la première prescription – Absence de disproportion manifeste des conditions de remboursement – Rejet.
La société requérante poursuivait l’annulation de deux arrêtés ministériels du 17 janvier 2022, l’un subordonnant la prise en charge et le remboursement de la spécialité Prolia à une prescription initiale par un médecin spécialiste dans la prise en charge de l'ostéoporose (notamment rhumatologue, gynécologue, gériatre et interniste) et l’autre modifiant la liste des spécialités pharmaceutiques agréées à l'usage des collectivités et divers services publics prévue à l'art. L. 5123-2 du code de la santé publique s’agissant de la spécialité Prolia.
Les différents moyens soulevés, de légalité externe et de légalité interne, sont rejetés.
Sur la légalité externe.
En premier lieu, il est jugé, et l’on peut regretter cette solution même dans le silence des textes, que la commission de la transparence n’est pas tenue d’informer l'entreprise qui exploite un médicament de son intention de procéder à sa réévaluation.
En deuxième lieu, ne se constate aucune irrégularité dans la circonstance que la commission ne s’est pas prononcée à nouveau en dépit du délai qui s’est écoulé entre la date de son avis et celui des arrêtés litigieux alors, d’une part, que les ministres avaient informé la requérante dès le 20 octobre 2021 de leur intention de suivre l’avis de la commission et, d’autre part, qu'aucun changement de circonstance de fait ou de droit n'est invoqué à l’appui de cette demande de nouvel avis de la commission.
En troisième lieu, ne sauraient être invoqué à l’encontre d’arrêtés qui ont un caractère réglementaire le non-respect d’une procédure contradictoire, laquelle ne peut concerner que des décisions individuelles défavorables.
Sur la légalité interne.
La commission de la transparence pouvait parfaitement, pour rendre son avis, se fonder sur les résultats de l'étude post-inscription réalisée par la société requérante, qui ont mis en évidence une non-conformité importante de la prescription au périmètre de remboursement établi par la commission de la transparence lors de son évaluation initiale, alors que le service médical rendu par la spécialité est insuffisant en dehors de ce périmètre.
Semblablement, c’est sans erreur manifeste d’appréciation que les ministres auteurs des arrêtés attaqués pouvaient s’approprier les recommandations formulées par cette commission au terme dudit examen, notamment en ce qui concerne tant le risque de mésusage identifié que les spécificités intrinsèques de la spécialité Prolia, pour décider, d’une part, que la primo-prescription de cette spécialité devait être faite par un médecin spécialiste et, d’autre part, que l’inscription de ce produit sur la liste des spécialités pharmaceutiques prises en charge ou donnant lieu à remboursement par les caisses d'assurance maladie serait subordonnée, à la fois, à la qualification ou à la compétence des médecins prescripteurs et à la soumission de cette spécialité au régime du médicament d'exception.
Enfin, sont encore rejetés : 1° le moyen qu’il serait porté atteinte au droit à la protection de la santé garanti par le onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 et par l'art. L. 1110-1 du code de la santé publique du fait que la prescription du Prolia est réservée à certains spécialistes et alors même que le nombre de médecins rhumatologues libéraux serait faible dans certains territoires, dès lors qu’ils ne sont pas les seuls prescripteurs autorisés ; 2° le moyen que le Prolia serait soumis à des conditions de remboursement manifestement disproportionnées au regard des conditions de remboursement retenues pour ceux de ses comparateurs pertinents dont les spécificités intrinsèques et la position dans la stratégie thérapeutique sont comparables.
(17 février 2023, Société Amgen, n° 462425)
Service public
136 - Service public du culte en Alsace et en Moselle - Pasteur de l'Église protestante de la Confession d'Augsbourg d'Alsace et de Lorraine (EPCAAL) – Destitution par son Église de rattachement – Absence de caractère de décision administrative – Refus de transmission d’une QPC.
(06 février 2023, M. C., n° 468425)
V. n° 69
137 - Société de courses agréée en qualité de société mère des courses au galop (loi du 2 juin 1891) – Société chargée d’une mission de service public – Compétence du juge administratif – Respect du principe d’égalité – Annulation partielle.
Les requérants recherchaient l’annulation des conditions générales arrêtées par l'association France Galop s'appliquant aux courses plates et aux courses à obstacles pour l'année 2019 en ce qu'elles suppriment la prime aux éleveurs de chevaux de six ans et au-dessus en plat et de chevaux de dix ans et au-dessus en obstacle sauf pour certaines courses. Ils soulevaient le défaut de respect du principe d’égalité entre éleveurs par les décisions de l’association France Galop.
En premier lieu, le Conseil d’État tranche implicitement une question de compétence puisque celle-ci n’était pas discutée devant lui. Il résulte des dispositions de la loi du 2 juin 1891 (art. 2) modifiée et de celles des décrets du 5 mai 1997 (art. 12) et du 2 novembre 2010 (art.1er), que l'association France Galop est, en qualité de société mère des courses au galop, chargée d'une mission de service public d'amélioration de l'espèce équine et de promotion de l'élevage. Les décisions prises dans le cadre ou pour l’exercice de ces compétences relèvent donc, au contentieux, de la compétence du juge administratif.
En deuxième lieu, Il s’ensuit que cette association est, à ce titre, compétente pour verser des primes, dans un but de soutien au secteur de l'élevage, aux éleveurs de chevaux placés, selon des modalités qu'elle définit, dans les conditions prévues à l'art. 12 du décret du 5 mai 1997.
A cette fin, l’association a arrêté des « conditions générales s'appliquant aux courses plates et aux courses à obstacles » pour définir notamment les conditions d'attribution et de répartition des primes aux éleveurs de chevaux placés lors des courses plates et d'obstacles. Pour l'année 2019 elle a décidé de supprimer la prime aux éleveurs de chevaux de six ans et au-dessus en plat et de chevaux de dix ans et au-dessus en obstacle sauf pour certaines courses. Cette prime n’est donc allouée que pour le placement en course de chevaux de moins de six ans ou de moins de dix ans selon la nature des courses, plates ou d’obstacles. C’est la double décision attaquée.
S’agissant de l’attribution de primes sous condition d’âge le recours est rejeté car l'instauration d'un critère portant sur l'âge du cheval pour l'attribution de la prime aux éleveurs tient compte de l'évolution des performances des chevaux en fonction de leur âge, la sélection aux fins de reproduction intervenant le plus souvent avant six ans pour les courses plates et avant dix ans pour les courses d'obstacles. Dès lors la différence de traitement ainsi instituée est fondée sur un critère objectif en rapport direct avec les missions de service public d'amélioration de l'espèce équine et de promotion de l'élevage confiées à l'association France Galop : il n’est donc pas porté atteinte au principe d'égalité.
S’agissant, en revanche, de l’octroi d’une prime sans considération de l’âge des chevaux pour certaines courses, la mesure porte atteinte de manière injustifiée au principe d’égalité car elle ne repose pas sur une différence de situation objective en rapport avec l'objet de la mesure ou n’est pas justifiée par des raisons d'intérêt général. Cette partie de la décision est annulée.
Le recours est donc reçu dans cette mesure.
(10 février 2023, MM. G., C. et E. et SCP Amauger-Texier, agissant en qualité de mandataire liquidateur de la société Écurie Jarla, n° 468238)
138 - Création de l'établissement public Mobilier national - Manufactures nationales des Gobelins, de Beauvais et de la Savonnerie - Ateliers-conservatoires d'Alençon et du Puy-en-Velay – Règles de représentation du personnel – Rejet.
Le décret du 29 décembre 2021 a créé l'établissement public Mobilier national - Manufactures nationales des Gobelins, de Beauvais et de la Savonnerie-Ateliers-conservatoires d'Alençon et du Puy-en-Velay. Le syndicat requérant demande son annulation pour des griefs de légalité externe et de légalité interne, à ce dernier titre on signalera l’un de ces moyens, tous étant rejetés, il s’agit de celui relatif à la représentation du personnel au sein du conseil d’administration de cet établissement public.
Deux critiques principales étaient adressées au décret.
En premier lieu, la fixation à cinq ans de la durée des mandats des représentants du personnel, en ce qu'elle accroîtrait la période séparant les élections, serait inadaptée à l'accroissement de la mobilité des travailleurs et dissuaderait les candidatures en raison de l'engagement demandé sur une longue durée. L’argument est rejeté : outre que c’est la solution retenue pour un grand nombre d’établissements publics, le juge relève que cette durée ne conduit par elle-même en aucune façon à méconnaître le principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail prévu par le huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 et qu’elle n'est pas entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.
En second lieu, était également critiquée la disposition de l’art. 25 du décret selon laquelle le conseil d'administration siège valablement sans membres représentant le personnel de l'établissement « jusqu'à la première élection des représentants du personnel au conseil d'administration, qui doit avoir lieu dans les six mois qui suivent l'entrée en vigueur du présent décret ». Le moyen est rejeté en raison du caractère de durée brève de l’application de cette disposition, du maintien du conseil d’administration dans toutes ses compétences et de ce qu’en définitive elles ne méconnaissent pas le principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail, tout ceci en dépit de l’absence de maintien en fonction, à titre provisoire, des actuels représentants. Ce second rejet est plus leste que bien construit.
(14 février 2023, Union des syndicats des personnels des affaires culturelles (CGT-Culture), n° 461976)
Sport
139 - Dopage – Sanctions – Application de la loi nouvelle plus douce – Erreur de droit – Annulation.
Alors que le 1° de l'art. L. 232-9 du code du sport, dans sa rédaction applicable à la date de la commission des faits, interdisait « à tout sportif de détenir ou tenter de détenir, sans raison médicale dûment justifiée, une ou des substances ou méthodes interdites » figurant sur la liste des substances et méthodes interdites, depuis l'ordonnance du 19 décembre 2018 cet art. L. 232-9 distingue désormais, en son II, d'une part, l'interdiction « de posséder en compétition, sans justification acceptable, une ou plusieurs des substances ou méthodes interdites en compétition » figurant sur la liste des substances et méthodes interdites élaborée en application de la convention internationale contre le dopage dans le sport et, d'autre part, celle « de posséder hors compétition, sans justification valable, une ou plusieurs des substances ou méthodes interdites hors compétition » figurant sur cette liste.
Cette législation nouvelle est moins contraignante que la précédente et plus favorable aux sportifs, c’est donc par erreur de droit que la cour administrative d’appel a refusé d’en faire application en l’espèce, d’où la cassation de son arrêt avec renvoi à cette cour..
(10 février 2023, M. A., n° 462656)
Travaux publics et expropriation
140 - Procédure d’expropriation – Annulation de l’arrêté de cessibilité pour illégalité de la déclaration d’utilité publique de l’opération – Paiement de l’indemnité de dépossession déjà effectué – Recours au juge judiciaire en restitution de l’ensemble immobilier – Sursis à statuer – Annulation de l’arrêt annulant l’arrêté de cessibilité – Continuation des travaux – Demande de suspension – Rejet – Confirmation.
Dans le cadre d’une très importante opération d’urbanisme, réalisée à Marseille par l’établissement public administratif Euroméditerranée, il a été procédé à la mise en œuvre d’une procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique. Celle-ci va provoquer un contentieux d’une relative complexité.
En vue de l’acquisition de parcelles entrant dans le périmètre de cette opération d’aménagement (« Euromed 2 »), le préfet a déclaré d'utilité publique les travaux de réalisation de celle-ci et déclaré cessible, au bénéfice de l'EPA Euroméditerranée, l'ensemble immobilier situé sur les parcelles en cause qui ont fait l’objet d'une ordonnance d'expropriation. Après que le juge judiciaire a fixé le montant les indemnités de dépossession, celles-ci ont été payées.
Saisi par les intéressées, la cour administrative d'appel a annulé l'arrêté de cessibilité par voie de conséquence de ce que l'arrêté déclarant les travaux d'utilité publique était lui-même illégal.
En conséquence, la SCI requérante a saisi le juge de l'expropriation d’une demande aux fins d'annulation de l'ordonnance d'expropriation et de restitution de cet ensemble immobilier.
L'établissement public avait notifié quelques jours avant que ne soit rendu l’arrêt d’appel, l'ordre de service du démarrage de l'exécution des travaux de démolition des bâtiments concernés.
Le juge des référés du tribunal administratif, saisi par la SCI, a enjoint à l'EPA Euroméditerranée d'interrompre sans délai les travaux de démolition engagés sur les parcelles en cause jusqu'à ce que le juge de l'expropriation se soit prononcé ou, si elle est plus précoce, jusqu'à l'intervention d'un nouvel arrêté de cessibilité portant sur les parcelles en cause.
Cette ordonnance a été confirmée par le juge des référés du Conseil d'État concernant l'injonction avec cette précision que l’injonction prendrait fin notamment si l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille était annulé : ce fut le cas par une décision du 25 juillet 2022 (Établissement public d'aménagement Euroméditerranée, n° 462681, demande d’annulation, et n° 462773, sursis à l’exécution ; Voir cette Chronique, juillet-août 2022 n° 72).
Le juge des référés du tribunal administratif, sur demande de la SCI, a à nouveau enjoint à l'EPA Euroméditerranée d'interrompre sans délai les travaux de démolition engagés sur les parcelles en cause mais cette ordonnance a été annulée par le juge des référés du Conseil d'État (cf. 25 août 2022, même requérante, n° 466421 ; voir cette Chronique juillet-août 2022, n° 73).
En cet état de la procédure le juge de l'expropriation, saisi par la SCI d’une demande en restitution des biens, a sursis à statuer jusqu’à ce que le juge administratif se soit définitivement prononcé sur la légalité de l'arrêté de cessibilité.
La SCI, au moyen d’un référé liberté, s’est alors tournée vers le juge des référés du tribunal administratif qui a rejeté sa demande de le voir enjoindre à l'EPA Euroméditerranée d'interrompre les travaux.
Elle interjette appel de cette ordonnance. Sa requête est rejetée.
L’argument principal de la SCI est que, par la poursuite des travaux de démolition, il serait porté une atteinte grave et manifestement illégale à son droit de propriété dès lors que la démolition des biens litigieux la prive de toute possibilité d'obtenir leur restitution du fait qu’elle ne peut exercer son droit à recours effectif, prévu et garanti par la Constitution et par les art. 6 et 13 de la Convention EDH.
C’est tout d’abord l’occasion pour le juge de rappeler que le droit d'exercer un recours effectif devant une juridiction constitue une liberté fondamentale cependant « l'effectivité d'un recours ne dépend pas de la certitude d'une issue favorable pour le requérant mais suppose que ce recours puisse empêcher l'exécution des mesures (…) dont les conséquences sont potentiellement irréversibles, telles que l'atteinte aux biens. »
C’est ensuite l’explication du motif du rejet de l’appel en référé liberté. En l’état, la cour de Marseille demeure toujours saisie, par l’effet du renvoi opéré par le Conseil d’État, de la question de la légalité de l’arrêté de cessibilité et tant qu’elle ne s’est pas prononcée la requérante n’est manifestement pas en présence d’une « annulation par une décision définitive du juge administratif » selon la formule dont use le législateur (cf. art. L. 223-2 code expropriation), situation qui seule permettrait au juge de l’expropriation de constater l’absence de base légale du transfert de propriété. C’est donc sans erreur de droit que le juge des référés du tribunal administratif, dont l’ordonnance est ici attaquée, a considéré que si la reprise des travaux est de nature, dans l'hypothèse d'une annulation devenue irrévocable de l'arrêté de cessibilité, à faire obstacle à ce que les biens en cause soient restitués à la société, qui serait alors indemnisée, cette reprise ne constitue pas une atteinte grave et manifestement illégale au droit au recours effectif et au droit de propriété, alors que l'absence d'annulation définitive de l'arrêté de cessibilité fait en tout état de cause obstacle en l'état à l'action en restitution devant le juge de l'expropriation, qui a sursis à statuer dans l'attente que le juge administratif se soit définitivement prononcé sur la légalité de cet arrêté.
La solution n’est pas sans logique mais il reste tout de même qu’en pareille occurrence il y a grande chance que la SCI ne recouvrera jamais son bien et que l’allocation d’une somme d’argent en réparation n’équivaudra pas à la restitution de son bien. L’équivalent monétaire d’une chose ne constitue jamais cette chose elle-même.
Il serait plus judicieux, surtout dans ces opérations de grande ampleur et de longue durée, que préalablement à l’engagement des travaux, ceux-ci fussent purgés de tout recours.
(13 février 2023, SCI Les Marchés Méditerranéens, n° 471038)
Urbanisme et aménagement du territoire
141 - Permis de construire, démolir ou aménager – Recours contre cette décision – Requérants recevables à contester tout modificatif ou toute régularisation d’un tel permis dans le cadre de la première instance ou non – Annulation.
Accentuant et élargissant une tendance jurisprudentielle très récente, la présente décision pose comme règle procédurale que les parties à une instance en contestation d’un permis de construire, de démolir ou d'aménager initialement délivré ou contre la décision de non-opposition à déclaration préalable initialement obtenue sont recevables à contester la légalité d'un permis modificatif, d'une décision modificative ou d'une mesure de régularisation intervenue au cours de cette instance, lorsqu'elle leur a été communiquée, tant que le juge n'a pas statué au fond, sans condition de forme ni de délai.
Si cette contestation prend la forme d'un recours pour excès de pouvoir présenté devant la juridiction saisie de la décision initiale, elle doit être regardée comme un mémoire produit dans l'instance en cours. La circonstance qu'elle ait été enregistrée comme une requête distincte est toutefois sans incidence sur la régularité du jugement ou de l'arrêt attaqué, dès lors qu'elle a été jointe à l'instance en cours pour y statuer par une même décision.
En l’espèce, est annulé le jugement ayant déclaré les requérants irrecevables en leur action contre le permis modificatif motif pris de ce qu’était expiré le délai de recours contentieux lorsqu’ils ont ajouté à leurs conclusions dirigées contre le permis initial, des conclusions tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du permis de construire modificatif.
(1er février 2023, M. et Mme B., M. F., n° 459243)
142 - Retrait d’un permis de construire à la demande de tiers – Tiers et pétitionnaires jugés destinataires du retrait – Absence de notification du retrait aux tiers – Absence de déclenchement du délai de recours contentieux – Demande de permis entachée non d’erreur matérielle mais de fraude – Rejet.
Après qu’il a accordé à M. A., le 28 octobre 2003, le permis de construire une habitation, un maire, alerté par les voisins du terrain d’assiette du permis, M. et Mme D., a , par arrêté du 6 août 2007, retiré ce permis pour fraude, puis, par un arrêté du 10 juillet 2015, il a retiré l’arrêté de 2007 portant lui-même retrait du permis litigieux.
Le tribunal administratif a rejeté une requête tendant à voir annuler l’arrêté du 10 juillet 2015 ; sur appel des demandeurs déboutés, la cour administrative d’appel a annulé ce jugement ainsi que l’arrêté de 2015.
Les héritiers de M. A. se pourvoient contre cet arrêt. Leur recours est rejeté.
En premier lieu, en effet, le retrait, à la demande d’un tiers, d’une décision retirant une décision délivrant un permis de construire, crée des droits pour ce tiers qui doit, dès lors, être regardé, de même que le bénéficiaire du permis ainsi rétabli, comme le destinataire de la décision retirant le retrait du permis de construire. Dès lors, cette décision ne peut être opposée à ce tiers que si elle lui a été régulièrement notifiée. Il suit de là que le délai de recours contentieux ne peut commencer à courir à son égard qu'à la même condition. C’est donc sans erreur de droit que la cour a jugé qu'en l'absence de notification de l'arrêté du 10 juillet 2015 par lequel le maire a retiré l'arrêté du 6 août 2007 qui avait retiré le permis de construire du 28 octobre 2003, le délai de recours contentieux n'avait pas commencé à courir à l'encontre de l'arrêté du 10 juillet 2015 à l'égard de M. et Mme D.
En second lieu, le permis primitivement accordé reposait sur une fraude car le juge de cassation, confirmant sur ce point aussi l’arrêt d’appel, estime que la déclaration dans le formulaire de demande de permis de construire d'une surface hors œuvre nette de 8 % inférieure à celle que M. A. projetait de construire devait être regardée non comme une simple erreur matérielle mais comme une manœuvre frauduleuse destinée à tromper l'autorité administrative.
(1er février 2023, M. et Mme H. venus aux droits de M. A., n° 461478)
143 - Demande d’autorisation de changement de destination de locaux d’habitation en bureaux – Absence de demande de changement d’usage – Rejet de cette dernière – Indépendance des législations – Rejet.
Illustrant la parfaite complexité de notre système juridique, l’art. R. 421-l7 du code de l’urbanisme institue une déclaration préalable en cas de changement de destination de locaux jusque-là d’habitation tandis que l’art. L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation instaure, lui, dans certaines communes, une autorisation préalable du changement d’usage. Dans le premier cas, le but de la déclaration préalable serait de contrôler le respect des règles d'urbanisme, lesquelles peuvent dépendre de la destination de la construction, tandis que l’autorisation préalable de l’art. L. 631-7 aurait pour but d’assurer le maintien, dans certaines communes, d'un nombre suffisant de logements.
On avouera ne pas bien comprendre ce distinguo par trop subtil car, en définitive, remplacer une habitation par un ou des bureaux paraît, du moins pour le bon sens commun, constituer à la fois un changement de destination et un changement d’usage.
En l’espèce, la SCI Agcy Immo a adressé – sur le fondement de l’art. R. 421-17 précité - une déclaration préalable à la ville de Marseille en vue de la transformation en bureaux de locaux d’habitation, d’où est née une décision tacite de non opposition à déclaration préalable. Puis, lors de la location de ces locaux à la Société Eurotrade Fish par bail commercial, la ville a accordé à cette dernière une attestation de changement de destination, accompagnée d'une mention selon laquelle il lui appartenait, pour utiliser ces locaux comme bureaux, de demander en outre une autorisation de changement d'usage, sur le fondement de l'art. L. 631-7 précité.
La demande de changement d’usage ayant été rejetée par arrêté municipal, cette entreprise et la société bailleresse ont saisi, en vain, le tribunal administratif d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre ce dernier arrêté, assorti d’une demande de suspension de l’exécution de celui-ci.
Elles se pourvoient en cassation du rejet de cette demande de suspension.
Pour rejeter leur pourvoi le Conseil d’État s’appuie sur le bien connu principe d’indépendance des législations (v., pour une critique raisonnée et justifiée de cette notion jurisprudentielle, I. Mboup, La notion instrumentale d'indépendance des législations, RDP 2013, p. 589) qu’on a sommairement rappelé au début de cette notule.
Il relève en particulier que si selon « les dispositions de l'article L. 631-8 du code de la construction et de l'habitation (…), dans les cas qu'elles prévoient, la demande faite au titre du permis de construire ou de la déclaration préalable de travaux vaut demande de changement d'usage, lorsque le permis de construire est délivré ou que le maire ne s'oppose pas à la déclaration de travaux, ces autorisations, lorsqu'elles valent changement de destination, ne lient pas l'autorité administrative chargée de se prononcer de manière distincte sur la demande d'autorisation de changement d'usage pour les mêmes locaux. » L’argumentation peine à convaincre ;
Ainsi c’est sans erreur de droit que le tribunal administratif a successivement jugé, tout d’abord, que le changement de destination du local en cause résultant de la non opposition à déclaration de travaux ne rendait pas inutile la délivrance d'une autorisation de changement d'usage de ce même local et, ensuite, que les dispositions de l'article L. 631-8 du code de la construction et de l'habitation ne jouent que dans le cas changements d'usage qui font l'objet de travaux entrant dans le champ d'application du permis de construire.
(09 février 2023, Société Eurotrade Fish et SCI Agcy Immo, n° 462409)
144 - Division d’un terrain en plusieurs lots dont un à bâtir – Absence d’opposition à la déclaration préalable de division – Formalité de notification du recours – Absence de justification en première instance – Irrecevabilité manifeste – Invocation d’un moyen nouveau en appel – Rejet.
Les requérants, qui contestent l’absence d’opposition du maire d’une commune à la déclaration de division d’un terrain en lots dont l’un est à bâtir, ont vu leur action déclarée manifestement irrecevable pour n’avoir pas répondu à la demande de justification de la notification de leur recours à l’auteur et au bénéficiaire de l’acte attaqué (art. R. 600-1 c. urb.).
Ils ne sauraient être recevables à invoquer pour la première fois en cassation ni que l'obligation de notification prévue par ces dispositions n'était pas applicable en l'espèce faute d'information en ce sens sur le terrain d'assiette du projet ou dans l'arrêté litigieux ni qu'il appartenait au juge de s'assurer d'office de l'existence d'une information sur le terrain d'assiette ni qu'une telle obligation de notification porterait atteinte au droit d'exercer un recours effectif.
(10 février 2023, M. de Saint-Trivier et autres, n° 460156)
145 - Permis de construire – Demande d’annulation – Intérêt pour agir – Existence – Qualification inexacte des faits – Annulation.
Pour rejeter par ordonnance la demande d’annulation de deux permis de construire formée par le requérant, le juge du fond a considéré qu’il n’avait pas d’intérêt pour agir au sens et pour l’application de l’art. L. 600-1-2 du code de l’urbanisme.
Le Conseil d’État est, très justement, à la cassation car le requérant faisait valoir, au soutien de ses prétentions, qu’il est voisin immédiat du terrain d’assiette du projet litigieux, sa propriété étant contiguë à celui-ci et que l'une des constructions envisagées, située à 4 mètres de la limite séparative entre les deux terrains et d'une hauteur de 6,70 mètres, était susceptible, en raison de son ampleur et de son implantation, d'entraîner une perte d'ensoleillement et des nuisances sonores.
Parce que les dispositions légales emportent en cette matière une forte atteinte au droit d’action de justiciables potentiels, il nous paraît inutile et même nocif d’y rajouter une interprétation par trop restrictive d’un texte déjà très « verrouillé ».
(15 février 2023, M. C., n° 466005)
146 - Permis de construire - Clôture de l’instruction – Indication d’un moyen susceptible d’être relevé d’office – Absence de réouverture automatique de l’instruction – Mise en œuvre des pouvoirs de l’art. L. 600-5-1 c. urb. – Absence de réouverture de l’instruction – Rejet.
Cette décision se signale à l’attention surtout par les deux rappels qu’elle contient.
Rappel, tout d’abord, que l’information donnée aux parties, après clôture de l’instruction, qu’un moyen est susceptible d’être relevé d’office, n’a pas pour effet de rouvrir ipso facto l’instruction y compris en cas de communication aux parties, par le juge, des observations reçues sur ce moyen relevé d'office et alors même que, par l'argumentation qu'elle développe, une partie doit être regardée comme ayant expressément repris le moyen énoncé par le juge et soulevé ainsi un nouveau moyen.
Il n’en irait autrement que dans le seul cas, bien connu, où le mémoire reçu postérieurement à la clôture de l'instruction contiendrait l'exposé d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire et dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction.
Rappel, ensuite, dans le même ordre d’idées, qu’en cas de clôture préalable de l’instruction, l’invitation à produire des observations, adressée par le juge aux parties, en vertu des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, ni cette invitation ni la communication par le juge des observations reçues en réponse à cette invitation n'ont, par elles-mêmes, pour effet de rouvrir l'instruction déjà close.
Naturellement, parce que le juge administratif dirige souverainement l’instruction, dans tous les cas où il n’est pas tenu de rouvrir l’instruction il détient cependant la faculté de le faire, à charge pour lui de respecter l’ensemble des règles gouvernant cette réouverture.
(17 février 2023, M. U. et autres, n° 452560)
147 - Permis primitif devenu définitif - Permis modificatif – Appréciation de l’intérêt du demandeur à agir – Cas du voisin immédiat - Présomption d’existence d’un intérêt à agir – Annulation partielle.
Cette décision est intéressante à un double titre qui concerne l’hypothèse d’un recours en annulation dirigé contre un permis modificatif alors que le permis initial est devenu définitif ; elle constitue un prolongement d’une décision du 17 mars 2017, M. et Mme D., n° 396362.
Lorsque le permis initial est devenu définitif soit qu’il n’ait pas été contesté soit que, attaqué au contentieux, le recours ait été définitivement rejeté et que survient un permis modificatif de ce dernier, l’appréciation de l’intérêt à agir ne peut plus se faire que par la confrontation de la situation du requérant par rapport aux seules modifications apportées par le permis modificatif au permis initial.
Toutefois, lorsque le recours contre le permis modificatif est formé par les voisins immédiats du projet, ceux-ci bénéficient d’une présomption d’intérêt à agir lorsqu'il fait état devant le juge d'éléments relatifs à la nature, à l'importance ou à la localisation des modifications apportées au projet.
(17 février 2023, Mme D. et autres, n° 454284)
148 - Urbanisme opérationnel – Prescription de la révision d’un plan d’occupation des sols (POS) – Adoption du plan d’urbanisme postérieurement à la cessation des effets du POS – Application du régime de l’art. L. 122-2 du code de l’urbanisme – Opposition de la règle de constructibilité limitée – Erreur de droit - Annulation.
Une commune décide la révision de son POS en vue de lui substituer un plan local d’urbanisme (PLU). En approuvant le PLU, le conseil municipal a classé en zone 1 AU un secteur précédemment classé en zone 3 Nac. La cour administrative d’appel, par arrêt infirmatif, a annulé cette délibération au motif qu’elle avait été prise en méconnaissance des règles de constructibilité limitée résultant de l'art. L. 142-5 du code de l'urbanisme car le plan local d'urbanisme avait procédé sur ces parcelles à une ouverture à l'urbanisation, sans que la dérogation prévue en ce cas par l'art. L. 142-4 ait été obtenue par la commune.
La commune se pourvoit et le Conseil d’État est à la cassation.
Selon le juge de cassation il résulte des dispositions de l’art. L. 122-2 c. urb., antérieurement à la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, que la règle de constructibilité limitée ne s'appliquait qu'aux procédures de modification et de révision du plan local d'urbanisme, et non aux procédures d'élaboration du plan local d'urbanisme.
Par ailleurs, des dispositions de la loi précitée de 2014, il découle que si la révision d'un POS en vue qu’il soit mis en forme d'un PLU doit être regardée comme une évolution d'un document d'urbanisme, il en va différemment lorsque, par l'effet de l'art. L. 174-3 du c. urb., le POS cesse d'être applicable sur le territoire concerné : en ce cas il ne peut s’agir que d’une procédure d’élaboration d'un PLU.
C’est pourquoi l’arrêt attaqué repose sur une erreur de droit en ce qu’il juge que la délibération litigieuse était régie par les dispositions des art. L. 142-4 et L. 142-5 du code précité, d’où son annulation.
Ainsi, parce que l'art. L. 122-2 de ce code ne visait que la procédure de modification ou de révision du PLU, et non la procédure d'élaboration d'un tel document, la commune de Roussillon ne pouvait pas être soumise aux dispositions prévoyant, pour les communes non couvertes par un schéma de cohérence territoriale, l'interdiction de l'ouverture à l'urbanisation d'une zone à urbaniser délimitée après le 1er juillet 2002 ou d'une zone naturelle.
La cour ne pouvait donc pas annuler la délibération attaquée par le motif que le classement opéré par elle en zone 1 AU le secteur antérieurement classé en zone 3 NAc, aurait dû être précédé de la dérogation préfectorale prévue à l'art. L. 142-5 du code de l'urbanisme.
(17 février 2023, Commune de Roussillon, n° 460508)
149 - Permis de construire – Sursis à statuer en attente de régularisation de ce permis – Pourvoi – Jugement annulant le permis – Non-admission du pourvoi contre ce second jugement – Pourvoi contre le premier jugement devenu sans objet – Non-lieu à statuer.
Les demandeurs se sont pourvus en cassation d’un jugement qui, rendu sur leur saisine en annulation d’un permis de construire, a sursis à statuer sur ce recours en vue d’en permettre la régularisation. Par un second jugement, le permis a été annulé et les requérants ont formé un pourvoi contre ce second jugement. Ce pourvoi a fait l’objet d’une décision de non-admission par le Conseil d’État. Il est donc jugé que le premier pourvoi est devenu sans objet, le premier jugement étant devenu définitif.
(15 février 2023, M. et Mme L. et autres, n° 463519)
150 - Permis de construire – Allégation de fraude dans la demande de permis – Concomitance d’un acte de vente et d’un compromis de vente contraire – Rejet – Erreur de droit – Annulation.
Le tribunal administratif avait été saisi d’un recours en annulation d’un arrêté portant permis de construire au motif que la demande de ce permis était entachée de fraude.
Le tribunal a rejeté cette demande en se fondant d’abord sur ce que les époux pétitionnaires étaient propriétaires de la totalité d’une parcelle de 370 m² à la date de dépôt de leur demande de permis de construire, ensuite, sur ce que le compromis de vente portant sur la bande de 100 m² était assorti d'une condition suspensive, à savoir l'achèvement de la construction envisagée, laquelle n'était intervenue que le 19 mai 2020, soit postérieurement au refus du maire de retirer le permis de construire, enfin il n'était pas établi qu'à la date de son jugement l'acte de vente définitif ait été passé.
Le juge de cassation censure ce raisonnement motif pris que le tribunal n’a pas recherché, comme le soutenait la requérante, si la concomitance de l'acte de vente et du compromis de vente contraire conclus le même jour et la combinaison de leurs stipulations ne révélaient pas, en l'espèce, une manœuvre destinée, aux seules fins d'obtenir un permis de construire indu, à présenter à l'administration une demande pour un terrain d'assiette dont la surface et les caractéristiques étaient différentes de celles du terrain réellement envisagé pour asseoir la construction.
(17 février 2023, Mme E., n° 461212)