Sélection de jurisprudence du Conseil d’État
Avril 2021
Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse
1 - Établissement d'enseignement hors contrat - Contrôle administratif - Mise en demeure adressée à l'établissement et saisine du Parquet - Mise en demeure des parents d'élèves d'en retirer leurs enfants - Légalité des mises en demeure non subordonnée aux appréciations du juge pénal - Opinion contraire des juges du fond constitutive d'une erreur de droit - Cassation avec renvoi.
A la suite d'un contrôle académique, la direction d'une école privée hors contrat est mise en demeure, suite aux carences qui y sont constatées, de conformer ses enseignements à l'objet de l'instruction obligatoire et elle est informée qu'un nouveau contrôle aura lieu l'année suivante. A la suite de ce dernier, est constaté le refus de la direction de l'école de se soumettre à la mise en demeure précédente, le procureur de la république est saisi en application des dispositions de l'art. L. 442-2 du code de l'éducation, les parents sont mis en demeure de retirer leurs enfants de cette école et de les inscrire dans un autre établissement.
L'association gestionnaire et M. C. ont demandé l'annulation de ces décisions et, sur rejet de leur demande par le tribunal administratif, ils ont saisi la cour administrative d'appel qui a annulé les décisions litigieuses en se fondant sur ce que le juge pénal avait renvoyé des fins de la poursuite l'association gestionnaire et le directeur au motif que l'infraction réprimée par l'article 227-17-1 du code pénal n'était pas caractérisée.
L'arrêt est cassé en raison de l'erreur de droit sur lequel il repose.
Le Conseil d'État rappelle sa jurisprudence constante (Assemblée, 8 janvier 1971, Ministre de l'intérieur contre Dame Desamis, Recueil Lebon p. 19 ; Assemblée, 12 octobre 2018, Sarl Super Coiffeur, Recueil Lebon p. 373) selon laquelle l'autorité de chose jugée au pénal ne s'impose à l'administration comme au juge administratif qu'en ce qui concerne les constatations de fait que les juges répressifs ont retenues et qui sont le support nécessaire du dispositif d'un jugement devenu définitif. En revanche, les motifs d'un jugement de relaxe tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu'un doute subsiste sur leur réalité ne revêtent pas cette même autorité.
Par suite, il incombe à l'autorité administrative de décider si les faits constatés par elle, d'une part, sont réellement établis et, d'autre part, s'ils justifient, à proportion de leur gravité, une sanction administrative.
Dès lors, en l'espèce, la cour ne pouvait, sans erreur de droit, se fonder sur le seul renvoi des poursuites pour annuler la décision administrative litigieuse ; elle devait opérer les vérifications et constatations sus-rappelées.
Il ne peut en aller autrement que dans l'hypothèse, qui ne se présentait pas dans cette affaire, où la légalité de la décision administrative est subordonnée à la condition que les faits qui servent de fondement à cette décision constituent une infraction pénale ; en ce cas, en effet, l'autorité de la chose jugée s'étend exceptionnellement à la qualification juridique donnée aux faits par le juge pénal.
(2 avril 2021, Association "Les enfants de demain" et M. C., n° 434919)
(2) V. aussi, sur un sujet très voisin, la décision rejetant le recours dirigé contre le décret n° 2019-823 du 2 août 2019 relatif au contrôle de l'instruction dispensée dans la famille ou dans les établissements d'enseignement privés hors contrat et aux sanctions pour manquements aux obligations relatives au contrôle de l'inscription ou de l'assiduité dans les établissements d'enseignement privés : 2 avril 2021, Association "Les enfants A.", n° 435002.
(3) V. également, concernant le refus rectoral de désigner une personne comme directeur dans cette école privée hors contrat au motif d'absence de disponibilité suffisante de sa part du fait des fonctions déjà exercées : 16 avril 2021, Association "Les enfants de demain " et Association " L'âge doré ", n° 438490.
4 - Convocation d'un comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) - Consultation sur la reprise du travail sur un site suite aux mesures anti-Covid - Départ des représentants de l'administration en cours de séance - Projet non mis au vote - Opinion des représentants du personnel inconnue - Absence de refus de se prononcer - Consultation non effective - Annulation.
Ne peut être tenu pour consulté un CHSCT, convoqué pour se prononcer sur un projet de reprise du travail sur un site suite à des mesures anti-Covid, alors que les représentants de l'administration ont quitté la réunion à un moment où le projet n'avait pas encore été soumis au vote et que les représentants du personnel n'avaient pas encore exprimé d'opinion sur le projet ni refusé de se prononcer sur lui.
La décision du directeur de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) relative aux modalités de reprise du travail sur les différents sites de l'INPI est annulée car dans les conditions où elle est intervenue elle a privé les agents concernés d'une garantie qui découle du principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail consacré par le huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 et elle est entachée d'illégalité.
(12 avril 2021, Syndicat des personnels des administrations centrales économiques et financières franciliennes (SPACEFF-CFDT), n° 445468)
5 - Communication de documents administrtatifs - Personne de droit privé chargée d'une mission de service public - Fédération sportive - Caractère communicable des seuls documents ayant un lien suffisamment direct avec la mission de service public - Fédération ayant aussi des activités privées - Obligation d'établir le lien avec la mission - Absence - Cassation avec renvoi.
Un justiciable, après saisine positive de la CADA, a demandé au président de la fédération française de karaté et disciplines associées (FFKDA) de lui communiquer les relevés bancaires retraçant les opérations des cartes bleues dont disposait le président de la fédération du 1er septembre 2010 au 20 juin 2016, les justificatifs comptables de ces opérations, les demandes de remboursement de frais du président de la fédération pour cette période, les rapports établis par la commission financière de la fédération sur les procédures internes de contrôle pour cette période, les relevés bancaires retraçant les opérations réalisées au moyen de cartes bleues dont disposait 1'ancien directeur technique national du 1er septembre 2010 au 25 janvier 2014, les justificatifs comptables de ces opérations et les délibérations des assemblées générales de la fédération faisant état des emprunts relatifs à la réalisation d'une salle polyvalente au centre national d'entraînement. Le tribunal administratif a ordonné la communication de ces documents dans les deux mois de la notification de son jugement.
La fédération se pourvoit.
Le Conseil d’État tire de la mission de service public attribuée à la FFKDA le caractère de documents administratifs des pièces en cause. Toutefois, il relève que la fédération déclare exercer aussi des activités privées, les documents litigieux voient donc leur communicabilité restreinte aux seuls documents ayant un lien suffisamment direct avec la mission de service public confiée à la fédération.
Le jugement est annulé en tant qu'il n'a pas procédé à la ventilation entre les documents dont la communication était demandée ; le dossier lui est donc renvoyé dans cette mesure.
(13 avril 2021, Fédération française de karaté et disciplines associées, n° 435595 et n° 440320)
(6) V. aussi, très semblables : 13 avril 2021, Fédération française de karaté et disciplines associées, n° 435597 et n° 440319 ; du même jour : Fédération française de karaté et disciplines associées, n° 435598 et n° 440318.
7 - Motivation en vertu de textes spéciaux - Fixation du prix des médicaments à usage humain - Décision restreignant la prise en charge d'un médicament par l'assurance maladie - Obligation de motiver - Rejet.
Il résulte des dispositions du § 2 de l'art. 6 de la directive du 21 décembre 1988 concernant la transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d'application des systèmes nationaux d'assurance-maladie telles que transposées en droit interne français par l'art. R. 163-14 du code de la sécurité sociale que doit être motivée toute décision de ne pas inscrire un médicament sur la liste des produits couverts par le système d'assurance-maladie.
En l'espèce, il avait été décidé non pas de refuser d'inscrire des médicaments sur la liste des spécialités remboursables mais de subordonner désormais la prise en charge de ces médicaments à une prescription initiale par un médecin pneumologue. Toutefois, le Conseil d’État considère qu'est régulière la décision restreignant la prise en charge d'un médicament par l'assurance maladie en assortissant son inscription sur les listes des spécialités agréées de conditions tenant à la qualification des prescripteurs, fondée sur le motif selon lequel existe un risque de mésusage lié à l'administration, sous forme de triple association fixe, des trois composantes des médicaments en cause, l'existence de ce risque se référant à des avis rendus par la commission de la transparence se fondant sur plusieurs études scientifiques faisant apparaître un tel risque.
Le recours est rejeté.
(21 avril 2021, Société Laboratoire GlaxoSmithKline France, n° 442194 et n° 446597)
Audiovisuel, communication, informatique et technologies numériques
8 - Fréquences radioélectriques - Redevances d'utilisation de ces fréquences - Redevances dues par les titulaires d'autorisations de ces fréquences délivrées par l'ARCEP (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes) - Mise aux enchères de l'attribution du déploiement de la technologie "5G" - Consultation publique en vue de l'attribution d'une bande de fréquence - Procédure - Autorisation administrative - Condition de fixation du montant de la redevance - Rejet.
Des divers arguments développés au soutien de la demande d'annulation du décret du 31 décembre 2019 modifiant le décret du 24 octobre 2007 modifié relatif aux redevances d'utilisation des fréquences radioélectriques dues par les titulaires d'autorisations d'utilisation de fréquences délivrées par l'ARCEP, aucun n'est retenu par le Conseil d’État.
La consultation publique organisée sur les projets de décret et d'arrêtés litigieux relatifs aux conditions d'attribution des autorisations d'utilisation de la bande de fréquence 3,4 - 3,8 GHz pour le réseau "5G", n'a pas été organisée dans des conditions irrégulières même si la teneur des textes d'application de la loi du 1er août 2019 visant à préserver les intérêts de la défense et de la sécurité nationale de la France dans le cadre de l'exploitation des réseaux radioélectriques mobiles n'a été connue que quelques jours avant la clôture de cette consultation.
L'instauration d'un régime d'autorisation administrative l'a été par la loi précitée de 2019 et il en a été fait application dans ce cadre.
Enfin, il n'y a pas d'irrégularité, étant donné que la redevance créée pour le droit de déployer le réseau "5G" se compose d'une part fixe (dont les montants sont déterminés par le résultat de la phase d'attribution des blocs de fréquences de la bande 3,4 - 3,8 GHz et par celui de la phase d'enchères) et d'une part variable fixée en fonction du chiffre d'affaires du titulaire de l'autorisation d'utilisation des fréquences, à ce que, pour la fixation des éléments composant la redevance, le premier ministrte n'ait tenu compte ni des conséquences des refus d'autorisation opposés sur le fondement de la loi du 1er août 2019 aux bénéficiaires d'autorisations d'utilisation de fréquences, ni des conséquences des refus opposés à l'installation d'équipements, lesquelles n'étaient au demeurant pas connues à la date de publication du décret.
Il n'a donc pas été porté atteinte au principe d'égalité.
(8 avril 2021, Association Pour Rassembler, Informer et Agir contre les Risques liés aux Technologies ÉlectroMagnétiques (PRIARTEM) et Association Agir pour l'environnement, n° 438762 ; Société française du radiotéléphone (SFR), n° 443282)
(9) V. aussi, sur la question des modalités de l'autorisation préalable de l'exploitation des équipements de réseaux radioélectriques prévue à l'article L. 34-11 du code des postes et des communications électroniques, l'annulation du décret du 6 décembre 2019 et de l'arrêté du même jour pris pour l'application de l'article législatif précité car " S'il incombe à l'autorité investie du pouvoir réglementaire d'édicter, pour des motifs de sécurité juridique, les mesures transitoires qu'implique, s'il y a lieu, une réglementation nouvelle, elle ne peut agir que dans les limites de sa compétence et dans le respect des règles qui s'imposent à elle. Eu égard à la teneur des dispositions législatives dont le décret et l'arrêté attaqué ont pour objet de fixer les modalités d'application, le Premier ministre ne pouvait, sans méconnaitre les dispositions citées ci-dessus, comme l'objectif poursuivi par le législateur, rendre applicable le régime d'autorisation aux seuls matériels installés postérieurement à l'entrée en vigueur de ces actes, ni prévoir que les refus d'autorisation opposés aux demandes ne s'appliqueraient qu'à compter d'une certaine date, ni édicter tout autre disposition transitoire permettant aux opérateurs de s'adapter à leurs nouvelles obligations " : 8 avril 2021, Bouygues Télécom, n° 442120 ; Société française du radiotéléphone (SFR), n° 443279.
10 - Décret du 20 février 2020 autorisant un traitement automatisé de données à caractère personnel - "Application mobile de prise de notes" ou Gendnote - Traitement créé en vue de la détection et de la prévention des infractions pénales, d'enquêtes, de poursuites, etc. - Finalité du traitement et conditions d'accès à celui-ci - Nature des données, conservation, sécurisation et opposition à celles-ci - Cas des mineurs enregistrés dans le traitement - Recueil et conservation des données " en vue de leur exploitation ultérieure dans d'autres traitements de données " - Rejet sauf de ce dernier point.
Les organisations requérantes demandaient l'annulation du décret du 20 février 2020 qui a autorisé le ministre de l'intérieur à créer un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " Application mobile de prise de notes " (GendNotes).
S'agissant des finalités de cette application, celles-ci sont, d'une part, de faciliter le recueil et la conservation, en vue de leur exploitation dans d'autres traitements de données, notamment par le biais d'un système de pré-renseignement, des informations collectées par les militaires de la gendarmerie nationale à l'occasion d'actions de prévention, d'investigations ou d'interventions nécessaires à l'exercice des missions de police judiciaire et administrative et, d'autre part, de faciliter la transmission de comptes rendus aux autorités judiciaires.
S'agissant des données recueillies dans cette application, peuvent être enregistrés, "dans la stricte mesure où elles sont nécessaires, adéquates et proportionnées aux finalités (ci-dessus)", tous les éléments relatifs aux personnes, aux lieux ou aux objets qui sont recueillis dans le cadre des interventions des militaires de la gendarmerie nationale ou de l'exécution de leur service ; tous les éléments de procédure qui sont transmis aux magistrats lors de gardes à vue ou lors du traitement de certaines infractions relatives à la police de la route.
Une limite est imposée : les données à caractère personnel relatives à la prétendue origine raciale ou ethnique, aux opinions politiques, philosophiques ou religieuses, à l'appartenance syndicale, à la santé ou à la vie sexuelle ou l'orientation sexuelle ne peuvent pas être collectées en principe sauf en cas de nécessité absolue pour les seules fins et dans le strict respect des conditions définies dans le décret attaqué, dans les limites des nécessités de la mission au titre de laquelle elles sont collectées.
Tous les moyens tant de légalité externe que de légalité interne sont rejetés sauf l'un d'entre eux relatif aux finalités du traitement, le Conseil d’État considérant que la formule selon laquelle le traitement litigieux est destiné à faciliter le recueil et la conservation, " en vue de leur exploitation ultérieure dans d'autres traitements de données ", est illégale car le décret ne comporte aucune indication quant à la nature et à l'objet des traitements concernés ni quant aux conditions d'exploitation, dans ces autres traitements, des données collectées par le traitement " Application mobile de prise de notes " (GendNotes). Il ne satisfait pas à l'exigence d'une finalité " déterminée, explicite et légitime ". Les autres finalités sont jugées satisfaire les prescriptions de la loi de 1978.
Les données susceptibles d'être enregistrées sont nécessaires, adéquates et proportionnées car elles doivent nécessairement être en rapport direct avec le motif de leur enregistrement et en dépit de la liberté de formulation laissée aux militaires de la gendarmerie nationale pour saisir ces données dans les zones de commentaires libres.
L'accès au traitement est strictement limité aux données qui seules intéressent l'autorité qui demandent l'accès.
La durée de conservation des données n'excède pas celle nécessaire au regard de la finalité du traitement.
Il n'est pas porté une atteinte déraisonnable au droit d'opposition.
Aucune disposition de convention internationale ne fait obstacle à ce que soient recueillies des données relatives aux mineurs dès lors que c'est dans le respect des exigences relatives à la collecte des données personnelles.
La sécurisation des données collectées ne présente pas d'insuffisance.
(13 avril 2021, Assoc. "Ligue des droits de l'homme", n° 439360 ; Association Homosexualités et socialismes et autre, n° 440978 ; Assoc. Mousse et autres, n° 441151 ; Assoc. Aides et a., n° 442307 ; Assoc. "La Quadrature du Net", n° 442363 ; Assoc. " La Ligue Internationale Contre le Racisme et l'Antisémitisme ", n° 443239, jonction)
11 - Presse écrite - Distribution - Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) - Missions et pouvoirs - Suspension de résiliations de contrats - Légalité - Rejet.
Des journaux ont décidé de résilier les contrats de distribution les liant à la société Presstalis, société agréée de distribution de presse, ces résiliations étant soumises à une obligation de préavis de six mois. L'ARCEP a estimé que de possibles nouvelles résiliations de contrats faisaient peser un risque de pertes tel qu'il pouvait conduire à une déclaration de cessation de paiement de la société Presstalis au premier trimestre 2020 et, par suite, à sa liquidation judiciaire. L'ARCEP a, en conséquence décidé de suspendre pour une durée de six mois à compter de la publication de sa décision, les résiliations de contrats de distribution par les deux sociétés requérantes intervenues antérieurement à la suspension décidée par l'ARCEP.
Les requérantes demandent, en vain, l'annulation de cette mesure qu'elles critiquent tant par des moyens de légalité externe (consultation publique défectueuse et défaut de motivation) que par des moyens de légalité interne, seuls rappelés ici.
Le Conseil d’État estime, d'une part, qu'il n'a pas été porté atteinte au principe de non-rétroactivité des actes administratifs, cette rétroactivité résultant directement de l'art. 22 de la loi du 2 avril 1947, sans doute aurait-il fallu soulever une QPC à l'encontre de cette disposition, et, d'autre part, que compte tenu de la gravité et de l'imminence de la menace sur la continuité de la distribution de la presse d'information politique et générale, l'ARCEP n'a pas, par sa mesure de suspension, inexactement appliqué les dispositions de cet article.
La solution repose certes sur un souci d'équilibre et de fonctionnement correct de la distribution d'une partie de la presse mais à quel prix : Le saccage de la liberté contractuelle, le maintien d'un modèle idéologique octogénaire de la distribution de la presse, un "sauvetage" mis à la charge de ceux qui n'en veulent pas, etc.
(21 avril 2021, Sociétés Marie Claire Album et Revue du Vin de France, n° 438346)
12 - Métadonnées ou données de connexion - Régime de leur conservation - Contestation - Saisine de la CJUE et réponse - Primauté de la Constitution - Exigence d'une protection équivalente des droits et intérêts dans les deux droits européen et français - Protection des intérêts fondamentaux de l'État - Existence d'une menace devant être vérifiée périodiquement - Illégalité de la conservation généralisée des données surtout celles sensibles - Conditions de compatibilité entre le droit français et les exigences européennes - Injonction au premier ministre de modifier en ce sens les dispositions réglementaires actuelles.
Cette décision se caractérise par sa prodigieuse longueur, sa technicité, l'importance des questions qui y sont abordées et les perspectives qu'elle ouvre.
En ce qu'elle réaffirme, sans nuances, le primat de la Constitution sur toute autre règle notamment externe, à commencer par le droit de l'Union européenne, cette décision paraît revenir un peu sur l'arrêt Sarran, Levacher et autres (Assemblée, 30 octobre 1998, Recueil Lebon p. 369 ; RFDA 1998, p. 1081, concl. C. Maugüé) qui n'évoquait la primauté constitutionnelle qu'au seul cas de l'ordre interne, faisant ainsi implicitement mais nécessairement la réserve de l'ordre international.
Elle fait aussi écho, avec une moindre puissance argumentative et une bien moindre ampleur théorique, à la position sur ce point du BundesVerfassungsGericht allemand.
Le point de départ de l'affaire est constitué par la demande d'entités, très branchées sur le Net, adressée au Conseil d’État, d'annuler les décrets pris sur la base de la loi qui impose la conservation des données de connexion pendant un an pour les besoins des enquêtes pénales et ceux du service du renseignement ; ces décrets organisent à la fois le mécanisme et le régime de conservation ainsi que le traitement de ces données.
Comme la cour constitutionnelle de Belgique l'avait fait le 19 juillet précédent, le Conseil d'État avait posé, par une décision du 26 juillet 2018, quatre questions préjudicielles à la CJUE.
Celle-ci a répondu par trois décisions du 6 octobre 2020 (Quadrature du Net a. c/ Premier ministre, aff. C-511/18 ; French Data Network et a. c/ premier ministre, aff C-512/18 ; Ordre des barreaux francophones et germanophone c/ conseil des ministres de Belgique, aff. C-520/18). La Cour pose le principe de l’interdiction de la conservation généralisée et indifférenciée de ces données en toute matière sauf en cas de menace grave pour la sécurité nationale ou pour lutter contre la criminalité grave.
Elle examine ensuite le régime applicable dans chacun de ces deux seuls cas dérogatoires.
1°/ S'agissant de la sécurité nationale, la Cour exige la réunion de deux conditions : la réservation de l'accès à ces données au seul service du renseignement, lui-même soumis d'abord au contrôle d'une autorité - qui doit être indépendante - avant qu'il n'accède aux données et ensuite au juge après qu'il y a accédé.
2°/ S'agissant de la criminalité grave s'impose une conservation très ciblée soit sur certaines personnes soit en certains lieux, avec la possibilité, conformément aux dispositions de la convention de Budapest, du 23 novembre 2001, sur la cybercriminalité, entrée en vigueur le 1er juillet 2004, de solliciter dans le cours d'une enquête pénale menée envers une personne déterminée, un gel des données la concernant mais pour une durée brève.
La résolution du litige dont il était saisi imposait donc au Conseil d’État d'examiner la juridicité du dispositif français par rapport au cadre tracé par la CJUE.
A ce stade le juge énonce deux propositions très importantes.
En premier lieu, il rejette la demande du gouvernement français de se reconnaître (à l'instar de ce que fait le juge constitutionnel allemand) un droit de contrôle ultra vires sur les organes de l'Union, spécialement la Cour de Luxembourg, c'est-à-dire le contrôle que ces organes, en décidant comme ils l'ont fait, sont bien restés dans les limites fixées par les traités européens.
En second lieu, comme indiqué plus haut, le Conseil d'État déduit de l'art. 88-1 de la Constitution que ce texte " (...) tout en consacrant l'existence d'un ordre juridique de l'Union européenne intégré à l'ordre juridique interne, (...) confirme la place de la Constitution au sommet de ce dernier ".
Il faut avoir une excellente faculté imaginative pour tirer cette déduction dudit article, lequel se borne à énoncer que : " La République participe à l'Union européenne constituée d'États qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007."
Le fondement de l'exercice en commun de ces compétences est constitué exclusivement de deux traités puisque, d'évidence, la Constitution est dans l'impuissance de le faire n'étant le texte que d'un seul de ces États. Par ailleurs, ce que dit ce texte est identique à ce que disaient, avant lui, les traités : on ne saurait faire plus redondant.
Appliquant ensuite sa jurisprudence Société Arcelor Atlantique et Lorraine (8 février 2017), le juge s'interroge sur le point de savoir si les conditions et limites mises à la conservation des données de connexion par la jurisprudence européenne assurent aux exigences constitutionnelles françaises une protection ou une garantie équivalente à celle fournie par la Constitution. Il est fait application du droit de l'Union soit s'il y a équivalence entre les protections offertes dans les deux droits ou, s'il n'y a pas équivalence entre elles, si l'exigence constitutionnelle française n'est pas mise à mal par la règle européenne.
En l'espèce, il est jugé qu'il n'y a pas équivalence et le juge recherche donc si, de ce fait, ne sont pas mis à mal les intérêts étatiques fondamentaux.
Il opère une ventilation : l'absence de conservation généralisée de ces données est seule de nature à protéger l'intérêt supérieur de l'État en matière d'ordre public et de sécurité, en revanche cette conservation généralisée n'est point utile s'agissant des infractions pénales.
Pour ces dernières, le Conseil d’État ne retient pas la distinction - au demeurant non juridiquement contraignante - proposée par la CJUE car il n'estime pas techniquement possible le recours à la conservation ciblée en amont des données de connexion ; seule peuvent donner lieu à "conservation rapide" celles des données qui, stockées pour les besoins de la protection des intérêts publics fondamentaux, révèlent l'existence d'infractions pénales graves. A cet égard, le juge retient, prolongeant ainsi l'analyse de la CJUE, l'application du principe de proportionnalité entre importance des moyens d'investigation mis en oeuvre (dont la conservation des données) et gravité de l'infraction recherchée ou trouvée.
Enfin, dans l'un et l'autre cas, se posait la délicate question de l'exploitation des données pour laquelle la CJUE impose le recours au contrôle préalable d'une autorité - pas nécessairement publique d'ailleurs - indépendante. Or le Conseil d’État estime que tel n'est pas le cas en France où la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) ne rend qu'un avis non obligatoire. C'est pourquoi il fait injonction au premier ministre de prendre, sous six mois, les mesures réglementaires propres à satisfaire l'exigence conventionnelle rappelée par la CJUE.
On mesure par ce qui précède l'importance de cette décision au triple point de vue, du droit du Net, de celui de la hiérarchie des normes et de l'imbrication sans cesse plus étroite et donc plus problématique du droit national et du droit de l'Union ainsi qu'au plan de la protection des libertés fondamentales dont la fragilité est accrue par le recours aux nouvelles technologies.
(Assemblée, 21 avril 2021, Association French Data Network et autres, n° 393099 ; Association La Quadrature du Net et autres et Association Igwan.net, n°s 394922 397844 et 397851)
13 - Implantation d'un relais de téléphonie mobile - Déclaration préalable de travaux - Refus - Annulation de l'ordonnance de référé confirmative du refus - Référé suspension - Annulation de l'ordonnance et du refus.
(ord. réf. 8 avril 2021, SAS Free Mobile, n° 439357) V. n° 183
Biens
14 - Propriété intellectuelle - Droits d'auteur et droits des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle - Communication au public de certains phonogrammes à des fins de commerce - Cas des discothèques - Institution d'une rémunération équitable par la commission prévue à l'article 24 de la loi du 3 juillet 1985 - Invocation d'irrégularités diverses - Rejet.
La commission paritaire compétente à cet effet a fixé, conformément aux dispositions de l'art. 214-3 et s. du code de la propriété intellectuelle, les conditions d'une rémunération équitable des artistes-interprètes et des producteurs de phogrammes par les personnes qui utilisent les phonogrammes publiés à des fins de commerce. Les sociétés demanderesses, dont les requêtes sont jointes, demandent l'annulation de plusieurs décisions de cette commission paritaire prises dans le cadre que l'on vient de rappeler. Aucun de leurs arguments n'est retenu et leur requête est rejetée.
Tout d'abord, elles ne sauraient soutenir ni que le décret d'application de la loi précitée et les arrêtés ministériels fixant la composition de la commission et les décisions attaquées de cette dernière sont des actes inexistants, ni que leur publication au journal officiel a constitué une voie de fait. Faute d'inexistence, le délai de recours contentieux est celui de droit commun non celui, illimité propre aux actes inexistants, par suite, de ce chef, la requête est entachée de forclusion.
Ainsi, le moyen, qui fonde une demande d'abrogation de ces dispositions, tiré de l'irrégularité de la désignation des membres de la commission, ne peut être utilement invoqué.
Ensuite, en fixant les modalités selon lesquelles les usagers de phonogrammes publiés à des fins de commerce s'acquittent de leur obligation de fournir aux sociétés de perception et de répartition des droits les éléments documentaires indispensables à la collecte et à la répartition des droits, la commission paritaire n'a pas excédé la compétence qu'elle tient des art. 23 et 24 de la loi de 1985 précitée.
Également, il ne saurait être soutenu que les décisions de la commission paritaire seraient constitutives d'une prise illégale d'intérêt ou traduirait la commission du délit de favoritisme en autorisant la Société pour la perception de la rémunération équitable (SPRE) ou toute société de perception et de répartition des droits mandatée par elle à collecter des droits et recueillir les éléments documentaires indispensables à la collecte et à la répartition des droits, sans procédure de publicité préalable ni mise en concurrence et alors que des représentants de la SPRE siègent en son sein, dès lors que l'ensemble de ces éléments résultent directement des dispositions précitées du code de la propriété intellectuelle.
Encore, était contesté le caractère forfaitaire du barème prévu pour les établissements exerçant une activité de café et de restaurant qui diffusent une musique de sonorisation constituant une composante accessoire à leur activité commerciale. Ce moyen est rejeté, le juge faisant observer que ce barème est distinct de celui, assis sur les recettes d'exploitation, prévu à l'article 2 de la décision du 5 janvier 2010 pour les bars et restaurants à ambiance musicale pour lesquels la diffusion de musique constitue une composante essentielle de l'activité commerciale, le barème attaqué tient donc compte de la spécificité des cafés et restaurants pour lesquels la diffusion de phonogrammes n'est qu'une composante accessoire, voire dans certains cas marginale, de leur activité.
Enfin, ne saurait non plus être contestée comme insuffisamment précise et irréaliste la détermination de l'assiette de la rémunération due par les discothèques et établissements similaires, qui comprend l'ensemble des recettes provenant des entrées et de la vente de produits de consommation ou de restauration, dès lors que leur caractéristique commune est " l'exploitation d'une piste de danse " selon les termes de l'article L. 314-1 du code de tourisme. Il leur est donc loisible d'établir qu'ils n'ont pas de piste de danse ou quelle est la part réelle de diffusion de la musique dans leur activité.
(13 avril 2021, Société "Bus Café", n° 438610 ; Société "Pantoum", n° 439302 ; Société "Chez Raspoutine", n° 440632, trois espèces, jonction)
15 - Occupant sans titre - Expulsion ordonnée en référé - Refus de mettre fin à la mesure d'expulsion - Date incertaine de l'ordonnance de référé - Annulation - Rejet par voie de conséquence de la seconde demande.
L'EPCI (établissement public de coopération intercommunale) Montpellier Méditerranée Métropole a demandé et obtenu en référé une ordonnance impartissant la société requérante de quitter les lieux indument occupés par elle. Celle-ci a saisi, en vain, le juge des référés d'une demande de mettre fin à la mesure d'expulsion qu'il avait ordonnée.
Sur pourvoi, le Conseil d’État annule la première ordonnance car celle-ci comporte deux dates, 22 et 26 octobre, cette contradiction ne permettant pas de savoir à quelle date elle a été rendue. Il constate ensuite qu'il n'y a donc plus lieu de statuer sur la demande d'annulation de la seconde ordonnance.
Renvoi est opéré devant le premier juge.
(ord. réf. 22 avril 2021, SAS L'Essentiel, n° 446417 et n° 446935)
16 - Exercice du droit de préemption par une société privée délégataire de ce droit - Délégation accordée par la métropole de Lille - Suspension de la décision d'exercer le droit de préemption - Pourvoi en cassation de la métropole de Lille - Irrecevabilité.
(7 avril 2021, Métropole européenne de Lille, n° 435770) V. n° 11
Collectivités territoriales
17 - Principe de libre administration des collectivités locales - Disposition des ressources nécessaires à l'exercice de cette liberté - Mise du revenu de solidarité active (RSA) à la charge des budgets départementaux - Application du principe d'égalité - Fixation de l'allocation par l'État - Absence d'entrave à la libre administration des collectivités territoriales - Rejet.
Le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales, proclamé à l'art. 72 de la Constitution, entraîne la disposition à leur profit de ressources propres à assurer l'exercice effectif de cette liberté. Des règles complexes ont prévu une compensation des charges nouvelles qui leur sont imposées par l'État. La loi fixe les conditions de cette liberté et le règlement les modalités de sa mise en oeuvre.
C'est dans ces conditions qu'a été imposée la prise en charge par les départements du coût du revenu de solidarité active (RSA). Le département requérant soulève une QPC à l'encontre de l'art. L. 132-1 du code de l'action sociale et des familles que met en oeuvre l'art. R. 132-1 de ce code, en particulier il reproche à ce mécanisme de ne pas exclure le bénéfice du RSA en fonction de l'importance du patrimoine des personnes y prétendant. Faisant peser une charge importante sur les budgets départementaux, le versement du RSA porterait atteinte au principe de libre administration au point de l'entraver.
Sans surprise, la question n'est pas renvoyée au C.C. et les autres moyens sont rejetés, le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État ayant une identique lecture très restrictive des principes en cause, qui restent en réalité lettre morte, on y reviendra plus loin.
La loi fixant les conditions d'exercice de la libre administration et donc, aussi, les ressources des collectivités locales, le législateur est resté dans les limites de ses attributions et n'a pas porté d'entrave à la libre administration en instituant un régime national uniforme du RSA et donc des conditions suffisamment précises de son calcul.
Par ailleurs, l'article L. 132-1 litigieux ne prévoyant à ce titre la prise en compte de la valeur en capital des biens non productifs de revenu qu'en vue d'apprécier les ressources qu'ils sont supposés procurer, le département requérant ne saurait soutenir que le premier alinéa de l'article R. 132-1, qui en fait application, méconnaîtrait le caractère subsidiaire du revenu de solidarité active.
Enfin, le forfait imposé par le pouvoir réglementaire (art. R. 132-1 préc.) au département que les ressources tirées d'un capital non productif de revenu soient évaluées sur une base forfaitaire de 3 %, ne faisant que mettre en oeuvre le principe posé par la loi, ce forfait n'a pas dénaturé le principe de libre administrtation des collectivités territoriales.
En réalité, prise dans toute son ampleur la question de la libre administration et de ses moyens dépasse largement la question précise ici posée.
Tout d'abord, tout le raisonnement repose sur la primauté absolue de l'État sur les collectivités, ce qui est un peu rapide comme justification : si l'État résulte d'une convention sociale, tel n'est pas le cas des collectivités ; c'est pourquoi la disparition de l'État n'entraînerait pas celle des collectivités alors que l'inverse n'est pas vrai : sans collectivités territoriales, il n'y a pas d'État.
Ensuite, en cas d'aide ou allocation ou autre, il convient de distinguer : soit est posé un principe national d'égalité dans le traitement des bénéficiaires et sa charge doit alors incomber intégralement à l'État qui est seul à définir les conditions d'octroi et de calcul, soit est posé un principe de départementalisation et c'est alors seulement à ce niveau que doit s'apprécier l'égalité entre les bénéficiaires sans intervention de l'État pour sur la définition des conditions et des règles de calcul.
Enfin, une saine définition de la libre administration en matière financière devrait être purement quantitative : par exemple, cette liberté devrait s'exercer dans la limite d'une proportion déterminée des ressources dont dispose la collectivité, par exemple, 40%, 60%, etc. dudit montant.
On est bien évidemment loin du compte et c'est pourquoi il n'est pas sain ni sérieux, dans ces conditions, de parler de décentralisation, de libre administration ou encore d'un niveau suffisant de libre disposition de leurs ressources par ces dernières.
(14 avril 2021, Département de la Manche, n° 440381)
Contentieux administratif
18 - Référé suspension - Opération de concentration - Saisine de la Commission européenne par l'Autorité de la concurrence - Acte non détachable de l'examen de la concentration - Incompétence du juge des référés pour en ordonner la suspension - Rejet.
Le juge du référé suspension est incompétent pour connaître de la demande de suspension de la décision par laquelle l'autorité de la concurrence a saisi la Commission européenne, sur le fondement de l'article 22, § 5, du règlement du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, d'examiner l'opération d'acquisition de la société Grail par la société Illumina. En effet, la décision de l'Autorité de la concurrence n'est pas détachable de la procédure par laquelle la Commission, sous le contrôle de la CJUE, procède à cet examen.
(ord. réf., form. collégiale, 1er avril 2021, Société Illumina, n° 450878 ; Société Grail, n° 450881)
19 - Responsabilité hospitalière - Enfant né lourdement handicapé - Évaluation du préjudice au titre de l'assistance d'une tierce - Fixation à 12 h par jour du besoin de cette assistance - Dénaturation des faits - Cassation avec renvoi.
Dénature les faits de l'espèce, la cour administrative d'appel qui fixe à une durée journalière de douze heures, heures nocturnes exclues, le besoin d'assistance d'une tierce personne pour un enfant lourdement handicapé alors qu'il résulte tant des constatations de l'expert judiciaire que de celles du médecin conseil du centre hospitalier que l'état de l'enfant, atteint d'un déficit fonctionnel supérieur à 95 %, nécessite en permanence une aide humaine pour la satisfaction de ses besoins vitaux.
(2 avril 2021, M. et Mme C., n° 427283)
20 - Procédure administrative contentieuse - Covid-19 - Adaptation de règles de procédure applicables aux juridictions administratives - Ordonnance n° 2020-1402 du 18 novembre 2020 - Délai d'habilitation expiré - Absence de QPC - Étendue du contrôle du juge sur l'ordonnance - Rejet.
Les organisations requérantes demandaient l'annulation des articles 1 à 3 de l'ordonnance n° 2020-1402 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre administratif et sollicitaient que soit posée au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité.
Cette ordonnance a prévu, dans un contexte d'épidémie et d'urgence sanitaire, l'adaptation de diverses règles applicables à la procédure devant les juridictions administratives afin d'obvier aux malheurs du temps.
Relevant, d'une part, que le délai d'habilitation fixé par la loi du 14 novembre 2020 est expiré au jour où il statue et que sont invoquées des atteintes aux droits et libertés que garantit la Constitution, et, d'autre part, qu'en principe la matière de la procédure administrative relève de la compétence du pouvoir réglementaire, le Conseil d’État estime, pour apprécier si sont réunies les conditions exigées pour la transmission au C.C. de la QPC dont il est saisi, devoir distinguer au sein de l'ordonnance celles qui, parmi les dispositions contestées ou même au sein d'elles, sont de nature législative et celles qui sont de nature réglementaire.
Le renvoi de l'art. 1er (qui, pour l'essentiel, aligne la durée des mesures provisoires qu'il institue sur la durée de la crise sanitaire) est refusé car n'est pas invoqué contre ses dispositions un moyen tiré de la méconnaissance des droits et libertés garantis par la Constitution.
S'agissant de l'art. 2, sur l'emploi massif et généralisé de moyens de télécommunication audiovisuelle voire même téléphoniques, le juge ventile entre les dispositions législatives et celles réglementaires que contient cet article.
Il décide qu'il n'y a pas lieu de renvoyer au C.C. les dispositions de nature législative car elles ne sont ni nouvelles ni de caractère sérieux car elles opèrent une conciliation satisfaisante entre l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé, le principe constitutionnel de continuité du fonctionnement de la justice et le respect du droit des justiciables à ce que leur cause soit entendue dans un délai raisonnable.
Il juge ensuite que les dispositions de nature réglementaire de cet article 2, à raison de leur nature, ne sauraient faire l'objet d'un renvoi au C.C. sous forme de QPC.
Enfin, concernant l'art. 3, dont les dispositions sont de nature législative en ce qu'elles touchent aux règles relatives aux garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques, celles-ci, en permettant au juge des référés de statuer sans audience, dès lors qu'elles ne dérogent pas au principe du contradictoire et qu'elles ne s'appliquent qu'aux seules mesures de caractère provisoire, ne portent pas atteinte aux principes garantis par l'art. 16 de la Déclaration de 1789 invoqué par les requérants.
Le recours est rejeté.
Cette décision, logique en soi, prend quelque liberté avec les solutions, très singulières, contenues dans les deux décisions rendues par le Conseil constitutionnel sur QPC les 28 mai et 3 juillet 2020. Selon celles-ci, l'inconstitutionnalité de la disposition d'une ordonnance de l'art. 38 portant sur une matière législative, à raison de ce qu'elle porterait atteinte à un droit ou à une liberté que la Constitution garantit, ne peut faire l'objet que d'une QPC. En réalité, le C.C. entendait par là devenir seul juge de l'ordonnance dans ce cas de figure. C'était oublier qu'il faut pour cela une double condition : que soit posée une QPC et que le juge saisi accepte de la renvoyer. Comme on le voit dans la présente décision, c'est loin d'être un long fleuve tranquille surtout quand la barque et son pilote (incarnés ici par le Conseil d’État) sont des plus rétifs...
(2 avril 2021, Syndicat des avocats de France (SAF) et autres, n° 447060 ; Conseil national des barreaux (CNB) et autre, n° 447065)
21 - Exercice du droit de préemption par une société privée délégataire de ce droit - Délégation accordée par la métropole de Lille - Suspension de la décision d'exercer le droit de préemption - Pourvoi en cassation de la métropole de Lille - Irrecevabilité.
La métropole de Lille, détentrice du droit de préemption urbain, en avait délégué l'exercice à une société de droit privé. Celle-ci l'ayant exercé, une association en a obtenu la suspension par voie de référé. La métropole se pourvoi en cassation contre l'ordonnance de suspension.
Son pourvoi est, évidemment, rejeté car c'est un principe constant du contentieux administratif que l'intérêt à la cassation s'apprécie par rapport au dispositif de la décision juridictionnelle frappée de pourvoi. En l'espèce, seule avait été suspendue la décision de la société délégataire du droit de préemption, la métropole n'avait ainsi pas d'intérêt à se pourvoir et cela alors même qu'appelée dans l'instance de référé la elle avait conclu au rejet de la demande de suspension.
(7 avril 2021, Métropole européenne de Lille, n° 435770)
22 - Jugement - Contradiction entre les motifs d'un jugement et son dispositif - Annulation.
Rappel d'un principe procédural absolu et constant : la contradiction entre les motifs d'une décision de justice et son dispositif, entraîne toujours son annulation.
(14 avril 2021, Société ICF Habitat La Sablière, n° 436338)
23 - Décret et arrêté fixant les conditions et les modalités de l'admission en deuxième et troisième années du premier cycle des formations de médecine, de pharmacie, d'odontologie et de maïeutique - Recours formé par la Fédération française des psychomotriciens - Défaut d'intérêt - Rejet.
La fédération requérante entendait contester d'une part, le décret du 4 novembre 2019 et d'autre part, l'arrêté interministériel du 4 novembre 2019 relatifs à l'accès aux formations de médecine, de pharmacie, d'odontologie et de maïeutique. Ces textes précisent les nouvelles modalités d'accès aux formations de médecine, de pharmacie, d'odontologie et de maïeutique, l'accès à ces filières pouvant se faire par différents parcours de formation antérieurs en particulier s'agissant de l'admission en deuxième et troisième années du premier cycle des formations de médecine, de pharmacie, d'odontologie et de maïeutique ainsi que les modalités de répartition du nombre de places pour chaque formation de santé ; l'arrêté précise notamment les conditions d'établissement par les universités des parcours de formation ainsi que les conditions et modalités d'admission dans les formations médicales.
Les décisions attaquées n'ayant ni pour objet ni pour effet de régir le déroulement ou le contenu des formations dispensées dans les établissements préparant aux professions d'auxiliaire médical mentionnées au livre III de la quatrième partie du code de la santé publique, la Fédération française des psychomotriciens qui se donne pour objet statutaire de défendre les intérêts collectifs, moraux et matériels des syndicats regroupant des psychomotriciens, des associations ou groupements d'intérêt spécifique se consacrant à la défense ou à la promotion de la profession et des personnes physiques exerçant cette profession, ne justifie ainsi pas d'un intérêt lui donnant qualité pour en demander l'annulation pour excès de pouvoir.
(16 avril 2021, Fédération française des psychomotriciens, n° 437321 et n° 437322)
24 - Revenu de solidarité active (RSA) - Récupération d'un indu - Annulation de la décision de récupération - Effets contentieux - Annulation avec renvoi au tribunal.
Le juge fixe dans cette affaire, avec un maximum de précision, le modus operandi en cas d'annulation contentieuse d'une décision de récupération d'un indu de RSA.
Lorsque le juge administratif annule la décision qui ordonne la récupération totale ou partielle d'un indu de RSA ou d'aide exceptionnelle de fin d'année, l'administration peut, sauf prescription, reprendre régulièrement et dans le respect de l'autorité de la chose jugée une nouvelle décision.
Dans le cas où tout ou partie de l'indu d'allocation de RSA ou d'aide exceptionnelle de fin d'année a été recouvré avant que le caractère suspensif du recours n'y fasse obstacle, il appartient au juge, s'il est saisi de conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à l'administration de rembourser la somme déjà recouvrée ou s'il décide de prescrire cette mesure d'office, de déterminer le délai dans lequel l'administration, en exécution de sa décision, doit procéder à ce remboursement, sauf pour elle à régulariser sa décision de récupération si celle-ci n'a été annulée que pour un vice de légalité externe.
(21 avril 2021, Mme C., n° 437179)
25 - Référé liberté - Régime du baccalauréat, session 2021 - Établissements privés hors contrat - Enseignements de spécialité - Défaut d'urgence - Rejet.
Au soutien de sa demande de suspension du décret du 25 février 2021 portant organisation de la session 2021 de l'examen du baccalauréat général et technologique en tant que ses articles 2 et 3 n'incluent pas dans leur champ d'application les élèves des établissements d'enseignement privés hors contrat, l'association requérante forme un référé liberté.
Celui-ci est rejeté faute d'urgence, au sens et pour l'application de l'art. L. 521-2 CJA.
Le juge relève, comme constaté d'ailleurs au cours de l'audience de référé, que des mesures ont été prises pour favoriser la préparation de ces candidats au baccalauréat tels que l'aménagement du calendrier des épreuves, l'organisation d'évaluations ponctuelles des enseignements de spécialité à compter du 10 mai 2021 pour en faciliter l'étalement dans le temps, l'aménagement du contenu de ces enseignements, etc.
Faute d'urgence, la demande de référé ne peut prospérer sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre condition exigée pour son admission au fond.
(ord. réf. 22 avril 2021, Association Lycée Edgar Morin, n° 450334)
(26) V. aussi, largement comparable : ord. réf. 22 avril 2021, Société Cours Progress, n° 450423.
(27) V. également, rejetant une requête tendant à la suspension (L. 521-1 CJA) d'exécution du décret précité en ce qu'il substitue aux épreuves écrites de spécialité et d'évaluations communes la prise en compte des notes obtenues par les élèves des établissements publics et privés sous contrat depuis le mois de septembre 2020 dans le cadre du contrôle continu : ord. réf. 22 avril 2021, Syndicat Action et Démocratie, n° 450874.
28 - Cour nationale du droit d'asile (CNDA) - Supplément d'instruction ordonné après une audience - Échange d'observations entre les parties - Absence de nouvelle audience - Irrégularité - Cassation avec renvoi à la CNDA.
Entache d'irrégularité la procédure suivie devant elle la formation de jugement de la CNDA qui, après avoir ordonné à la suite d'une audience un supplément d'instruction sur les éléments duquel les parties ont échangé des mémoires, rend son arrêt sans nouvelle audience.
(23 avril 2021, M. A., n° 439141)
(29) V. aussi, identique : 23 avril 2021, M. A., n° 439628.
30 - Contrôle du juge de cassation - Décision jugée comme étant à objet purement pécuniaire - Contrôle de cette qualification - Annulation avec renvoi.
Rappel, tout d'abord, que l'expiration du délai permettant d'introduire un recours en annulation contre une décision expresse dont l'objet est purement pécuniaire fait obstacle à ce que soient présentées des conclusions indemnitaires ayant la même portée.
Vérification, ensuite, que la décision litigieuse n'avait qu'un caractère pécuniaire, ce qui conduit le juge de cassation à exercer un contrôle sur cette qualification.
(27 avril 2021, M. B. c/ CCI de la Corse, n° 438907)
31 - Exigence d'une décision préalable pour saisir le juge administratif (art. R. 421-1 CJA) - Délai de deux mois à compter de cette décision pour saisir la juridiction compétente - Travaux publics - Cas des recours formés contre des décisions prises par une personne privée - Régime - Distinction.
Le Conseil d’État était saisi de deux questions dans le cadre de la procédure de l'art. L. 13-1 CJA :
1) l'art. R. 421-1 CJA est-il applicable aux décisions d'une personne morale n'entrant pas dans le champ de l'article L. 231-4 CRPA ?
2) En cas de réponse négative à la question précédente, " Faut-il considérer qu'un délai commence néanmoins à courir au plus tard à compter de la date d'enregistrement de la requête, au-delà duquel le requérant n'aurait pas la possibilité de régulariser sa requête au regard de l'article R. 411-1 CJA ou bien de présenter des conclusions nouvelles car reposant sur une cause juridique distincte de celle qu'il a invoquée dans la requête ? "
Le Conseil d’État répond ceci à ces très judicieuses et importantes questions en bâtissant une construction jurisprudentielle inédite.
L'art. R. 421-1 CJA (exigence d'une décision préalable et délai de recours contentieux de deux mois) est applicable depuis le 1er janvier 2017 aux créances en matière de travaux publics. Dans le silence des textes sur ce point, cet article s'applique aux décisions de caractère administratif prises par une personne privée. En cas de silence de cette dernière sur une demande à elle adressée, les conclusions, relatives à une créance née de travaux publics, dirigées contre une telle personne privée ne sauraient être rejetées comme irrecevables faute de la décision préalable prévue par l'article R. 421-1 CJA.
Dans le cas où les conclusions relatives à une créance née de travaux publics sont dirigées contre une personne morale de droit privé qui n'est pas chargée d'une mission de service public administratif, l'auteur du recours ne peut se voir opposer aucun délai au-delà duquel il ne pourrait, devant la juridiction de première instance, régulariser sa requête au regard de l'article R. 411-1 précité ou formuler des conclusions présentant le caractère d'une demande nouvelle car reposant sur une cause juridique distincte de celle invoquée dans sa requête.
(Avis, 27 avril 2021, Communauté de communes du Centre Corse, n° 448467)
32 - Référé liberté - Recours tendant à ce que le juge des référés enjoigne le dépôt d'une proposition de loi - Recours contestant une décision du Conseil constitutionnel - Irrecevabilité - Rejet.
Sera-t-on étonné de lire que la demande de l'intéressée, formée dans le cadre d'un litige à caractère fiscal, contestant la décision du Conseil constitutionnel du 8 février 2018 (n° 2017-689 QPC, M. Gabriel S., inscription au registre du commerce et des sociétés des loueurs en meublé professionnels) et tendant à ce qu'il soit fait injonction au premier ministre de proposer au parlement de modifier la législation en vigueur ait été jugée comme ne relevant manifestement pas de l'office du juge des référés ?
(ord. réf. 19 avril 2021, Mme B., n° 451619)
33 - Référé liberté - Compétence d'appel du Conseil d’État (R. 521-2 CJA) - Inexécution d'une ordonnance de référé rendue en première instance (art. L. 911-4 CJA) - Compétence pour connaître de l'appel dirigé contre cette inexécution - Compétence du Conseil d’État.
Rappel de ce que l'appel formé contre la décision du juge des référés du tribunal administratif, ou de la formation collégiale du tribunal à laquelle a été renvoyée l'affaire, qui s'est prononcée sur une demande tendant à l'exécution d'une ordonnance qui avait été prise par le juge des référés du tribunal administratif sur le fondement de l'art. L. 521-2 du CJA doit être porté devant le président de la section du contentieux du Conseil d’État ou le conseiller d'État qu'il délègue à cet effet, sauf renvoi à une formation collégiale dans les conditions de droit commun.
(ord. réf. 26 avril 2021, M. A., n° 450605)
34 - Compétence en référé du Conseil d’État en premier et dernier ressort - Litige au fond devant relever à la fois de la compétence du juge administratif et, au sein de celle-ci, de la compétence directe du Conseil d’État - Absence - Irrecevabilité manifeste - Rejet.
Est manifestement irrecevable et doit être rejetée l'action en référé liberté portée directement devant le Conseil d’État alors que, dirigée contre une décision implicite du président de la chambre départementale et régionale des huissiers de justice de Paris rejetant la demande du requérant tendant à ce que soit désigné un huissier de justice aux fins de notification de diverses mises en demeure : le fond du litige ne relève ni de la compétence de premier ressort du Conseil d’État ni même de la compétence de l'ordre administratif de juridiction.
(ord. réf. 26 avril 2021, M. D., n° 451639)
35 - Recours en révision d'une décision du Conseil d’État - Refus du président de l'ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation de désigner un avocat aux fins de former un tel recours - Absence d'atteinte au droit à un procès équitable - Rejet.
Désireuse de former un recours en révision ou un recours en rectification d'erreur matérielle contre une décision du Consel d'État, la demanderesse, qui n'a trouvé aucun avocat aux conseils pour défendre son dossier, conteste le refus opposé par le président de l'ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation à sa demande de lui désigner un avocat.
Il est une nouvelle fois jugé qu'alors même que la recevabilité de la requête est subordonnée à sa présentation par un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, la circonstance que l'ordre refuse de désigner l'un de ses membres ne constitue pas, par elle-même, une méconnaissance du principe constitutionnel du droit pour les personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction.
Pour réitérée qu'elle soit, la solution peut n'être pas approuvée sauf abus manifeste du droit d'ester en justice ou existence de quelque autre irrecevabilité manifeste.
(ord. réf. 28 avril 2021, Mme A., n° 451870)
Contrats
36 - Référé précontractuel - Règles de publicité et de mise en concurrence - Recours du concurrent évincé ou d'un tiers - Vice n'empêchant pas la continuation de l'exécution du contrat - Vice ne pouvant être relevé d'office - Rejet.
La société requérante avait demandé, en vain en première instance et en appel, qu'il soit mis fin à l'exécution de la convention de concession du service public de la distribution d'énergie électrique conclue le 2 mars 1993 par le syndicat départemental d'énergie et d'équipement du Finistère avec Electricité de France (EDF).
Son pourvoi est rejeté, l'arrêt d'appel étant " sauvé" au prix d'une lourde substitution de motifs.
Le Conseil d’État, réitérant en la précisant davantage, une jurisprudence plutôt récente décide que :
" (...) si la méconnaissance des règles de publicité et de mise en concurrence peut, le cas échéant, être utilement invoquée à l'appui d'un référé précontractuel d'un concurrent évincé ou du recours d'un tiers contestant devant le juge du contrat la validité d'un contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles, cette méconnaissance n'est en revanche pas susceptible, en l'absence de circonstances particulières, d'entacher un contrat d'un vice d'une gravité de nature à faire obstacle à la poursuite de son exécution et que le juge devrait relever d'office. Par suite, la société IDSE, qui n'invoquait aucune circonstance particulière impliquant que le juge du contrat mette fin à l'exécution du contrat, ne pouvait utilement soutenir que la convention litigieuse avait été irrégulièrement attribuée à EDF sans mise en concurrence".
Faute de se prévaloir de circonstances particulières et d'en établir l'existence, la société requérante ne saurait reprocher à la juridiction d'appel d'avoir rejeté sa demande tendant à ce qu'il soit mis fin à l'exécution du contrat litigieux.
(12 avril 2021, Société Île de Sein Energies (IDSE), n° 436663)
37 - Marché public de travaux - Mise en jeu de la responsabilité du constructeur - Possibilité pour ce dernier d'appeler en garantie le maître de l'ouvrage - Absence de réserve au décompte général et définitif sans effet sur l'exercice du droit à la garantie - Exception au cas de fraude ou de dol - Rejet.
Dans cette importante décision où, dans le cadre d'un référé provision, était en jeu la réparation du préjudice subi par Électricité de Strasbourg, dans le cours de l'exécution d'un marché public de travaux, cette dernière recherchant la responsabilité de la société chargée de pomper l'eau envahissant le chantier, était en cause le mécanisme de garantie entre maître d'oeuvre ou exécutants et maître de l'ouvrage.
Le juge rappelle, d’abord, une jurisprudence établie selon laquelle les constructeurs ne doivent pas garantie au maître de l'ouvrage lorsque celui-ci est condamné à garantir des tiers après réception de l'ouvrage (Section, 6 avril 2007, CHG de Boulogne-sur-Mer, n° 264490 et n° 264491). Ensuite, et à l'inverse, appliquant une jurisprudence récente (6 février 2019, Société Fives Solios c/ Communauté de communes Auray Quiberon Terre Atlantique et sociétés Vinci Environnement et Ingerop, n° 414064), il est jugé que la circonstance qu'au terme des travaux le décompte général du marché ne comporte aucune réserve, chiffrée ou non, ne fait pas obstacle, lorsque le décompte est devenu définitif, à ce qu'un constructeur, actionné en responsabilité par un tiers victime d'un dommage du fait des travaux du marché, appelle en garantie le maître de l'ouvrage.
Il n'y a que deux exceptions à cette faculté : l'existence d'une clause contractuelle contraire ou la commission par le constructeur d'une fraude ou d'un dol ayant conduit à la réception des travaux telle qu'elle l'a été.
(27 avril 2021, Eurométropole de Strasbourg et Société SMACL Assurances, n° 436820)
38 - Marché public de travaux - Mise en demeure au cocontractant de poursuivre l'exécution de ses obligations contractuelles - Poursuite et achèvement des travaux confiés à un autre entrepreneur - Maintien des liens contractuels entre le maître de l'ouvrage et l'entrepreneur défaillant - Marché de substitution - Droit pour le cocontractant défaillant d'être mis à même de suivre l'exécution du marché de substitution - Annulation et renvoi partiels.
Cette affaire et sa solution confirment pleinement l'orientation jurisprudentielle récente (cf. 18 décembre 2020, Société Treuils et Grues Labor, n° 433386 ; voir cette Chronique, déc. 2020 n° 88).
Lorsqu’après plusieurs mises en demeure infructueuses d'avoir à poursuivre les travaux prévus au marché, le maître de l'ouvrage décide de passer un marché de substitution pour que l'achèvement des travaux soit accompli par un autre entrepreneur, d'une part, le lien contractuel originaire avec le cocontractant n'est pas rompu, d'autre part, ce dernier doit être mis à même de suivre l'exécution du marché de substitution car il en a la charge financière. Lorsque le maître de l'ouvrage a fait le choix d'inclure dans les prestations contenues dans le marché de substitution la reprise des malfaçons (alors que, en ce cas, un marché de substitution ne s'impose pas), le cocontractant défaillant possède un droit de suivi sur l'ensemble des prestations dues au titre de ce marché de substitution.
(27 avril 2021, Société Constructions Bâtiments Immobiliers (CBI), n° 437148)
39 - Marchés publics de signalisation routière - Pratiques anti-concurrentielles - Préjudice subi par le cocontractant public - Détermination de son montant - Rejet.
Un département, qui avait conclu un marché de signalisation routière, catégorie dans laquelle l'Autorité de la concurrence avait relevé des ententes constitutives de pratiques anti-concurrentielles, a recherché la responsabilité de la société cocontractante requérante.
Celle-ci a contesté cette décision, en vain devant les juges du fond et se pourvoit en cassation.
Le Conseil d’État, rejette le pourvoi car il estime que c'est sans erreur de droit ni dénaturation des pièces du dossier que, pour évaluer le préjudice subi, la cour a retenu la méthode préconisée par l'expert consistant à comparer les taux de marge de la requérante pendant la durée de l'entente et après la fin de celle-ci pour en déduire le surcoût supporté par le département de la Loire-Atlantique sur les marchés litigieux.
(27 avril 2021, Société Lacroix City Saint-Herblain, n° 440348)
40 - Accord-cadre multi-attributaires - Lot n° 1 "prestations de diagnostics et préconisations structures pour la ville de Paris et l'établissement public Paris musées" - Annulation pour violation de l'égalité entre candidats et non respect des obligations de publicité et de mise en concurrence - Nécessité d’établir que la demanderesse en avait été lésée - Annulation - Constat d'une telle lésion de ses intérêts - Annulation de la procédure contractuelle relative au lot n° 1.
Une procédure de passation du lot n° 1 de deux accords-cadres pour des prestations de diagnostics et préconisations structures au profit de la ville de Paris et de l'établissement public Paris musées avait été annulée, à la demande d'un concurrent évincé, par le juge du référé précontractuel qui avait estimé que la ville avait violé l'égalité entre les candidats et pas respecté ses obligations de publicité et de mise en concurrence.
Le Conseil d’État, saisi par la ville défenderesse et statuant ici comme juge d'appel, annule cette ordonnance au motif que le juge du référé précontractuel n'a pas recherché si les manquements ainsi relevés étaient susceptibles d'avoir lésé la société alors même que la ville n'avait pas fait valoir de moyen en défense sur ce point devant lui.
Saisi par l'effet dévolutif de l'appel, le Conseil d’État annule la procédure de passation du contrat litigieux en relevant :
- que la ville de Paris a soumis aux candidats une étude de cas portant sur un bâtiment municipal qui constituait un sous-critère pondéré à hauteur de 15 % de la note globale. Or une société candidate à l'attribution du lot en litige, avait déjà réalisé cette étude en qualité d'attributaire d'un précédent marché de la ville de Paris et a obtenu la meilleure note, de 9,5 sur 10, pour ce sous-critère, le candidat classé en deuxième position sur ce sous-critère n'ayant obtenu que la note de 8 sur 10. La société requérante en première instance est, par suite, fondée à soutenir que le sous-critère ainsi choisi par la ville de Paris a avantagé l'autre société et ainsi rompu l'égalité de traitement entre les candidats. Ce manquement est susceptible d'avoir lésé la société requérante en première instance, qui n'a obtenu qu'une note de 6,5 sur 10 sur ce sous-critère, et dont la note globale n'était inférieure que de 0,06 point sur 10 à celle du dernier attributaire ;
- qu'il résulte, d'une part, des dispositions de l'art. L. 111-23 du code de la construction et de l'habitation que le législateur a entendu prohiber toute participation à des activités de conception, d'exécution ou d'expertise d'ouvrage des personnes physiques ou morales agréées au titre du contrôle technique d'un ouvrage sans qu'y fasse obstacle la circonstance que le marché en litige ne s'analyse pas, en lui-même, comme un marché de construction faisant appel à l'intervention d'un contrôleur technique, et, d'autre part, des dispositions de l'art. R. 131-31 de ce code qu'est interdite la participation des personnes agréées au titre du contrôle technique à un groupement d'entreprises se livrant à des activités de conception, d'exécution ou d'expertise d'ouvrage, alors même que la répartition des missions entre les membres du groupement prévoirait qu'elle ne réalisent pas elles-mêmes des missions relevant du champ de l'incompatibilité prévue par l'article L. 111-25 du même code. Or ces fonctions sont bien celles prévues au cahier des charges des clauses techniques particulières du lot n° 1 : l'attribution du lot n° 1 à une société tombant sous le coup des prohibitions susrappelées est donc irrégulière. Il suit de là que le comportement de la ville, en méconnaissant ses obligations de mise en concurrence et de publicité, est de nature à avoir lésé la société requérante en première instance.
La procédure de passation de l'accord-cadre multi-attributaires litigieux est sans surprise, annulée.
(27 avril 2021, Ville de Paris, n° 447221)
Covid-19
41 - Confinement et couvre-feu - Obligation de rester chez soi - Dispenses - Personnes vaccinées ne figurant pas au rang des personnes exceptées de l'obligation - Mesure proportionnée ne portant pas une atteinte manifestement illégale aux droits et libertés - Rejet.
Le requérant faisait valoir que les personnes vaccinées contre le Covid-19 devraient figurer au rang de celles dispensés de l'obligation de respecter le confinement et le couvre-feu imposés au reste de la population.
Pour rejeter cette requête le juge rappelle que les personnes vaccinées peuvent continuer à transmettre le virus, que des incertitudes subsistent en l'état s'agissant de la réaction des variants du Covid-19 au vaccin et qu'une petite partie seulement de la population la plus à risque est actuellement vaccinée.
(2 avril 2021, M. Benhebri, n° 450956)
42 - Procédure administrative contentieuse - Covid-19 - Adaptation de règles de procédure applicables aux juridictions administratives - Ordonnance n° 2020-1402 du 18 novembre 2020 - Délai d'habilitation expiré - Absence de QPC - Étendue du contrôle du juge sur l'ordonnance - Rejet.
(2 avril 2021, Syndicat des avocats de France (SAF) et autres, n° 447060 ; Conseil national des barreaux (CNB) et autre, n° 447065) V. n° 20
43 - Interdiction d'entrer ou de sortir de Mayotte - Atteinte à plusieurs libertés fondamentales - Allégations en termes généraux - Absence d'invocation d'atteintes propres aux requérants - Absence d'établissement de l'urgence spécifique à l'art. L. 521-2 CJA - Rejet.
Rappel archi-classique que les chances de succès en matière de référé-liberté supposent réunies et démontrées l'existence de circonstances et atteintes propres aux requérants ainsi que celle de l'urgence particulière à l'art L. 521-2 liée au bref délai qui le caractérise.
Rejet, ici, d'affirmations par trop générales et ne démontrant pas l'existence d'une urgence particulière.
(2 avril 2021, Mme A. et M. C., n° 451158)
(44) V. aussi, à propos de l'obligation faite aux ressortissants de l'Union européenne frontaliers de la France de produire, à leur entrée en France, le résultat d'un examen biologique de dépistage virologique réalisé moins de soixante-douze heures avant son départ ne concluant pas à une contamination par le Covid-19, recours comportant d'autres chefs de demandes et rejeté car l'intéressé n'a pas de projet immédiat de venue en France ce qui le prive d’urgence : ord. réf. 26 avril 2021, M. B., n° 451662.
(45) Voir, très semblable au précédent, à propos d’un ressortissant français résidant en Suisse : ord. réf. 28 avril 2021, M. B., n° 451645.
46 - Restaurants et débits de boissons intégrés dans des centres commerciaux de superficie commerciale égale ou supérieure à vingt mille mètres carrés - Interdiction de pratiquer la vente à emporter - Commerces disposant d'un accès depuis une voie extérieure - Mise en demeure - Retrait - Absence d'interdiction.
La société requérante se plaignait de l'interdiction qui lui a été faite, assortie d'une mise en demeure, de fermer son établissement situé dans une surface commerciale de vingt mille mètres au moins alors qu'il était possible d'y accéder directement par une voie extérieure non close ni couverte, ouverte à la circulation publique.
Le Conseil d’État estime qu'il n'y a pas lieu en ce cas d'interdire l'exercice de l'activité de vente à emporter et que telle est d'ailleurs l'interprétation du préfet auteur de la mise en demeure qu’il a d’ailleurs, depuis, retirée. L'urgence faisant ainsi défaut, le recours en référé suspension est rejeté.
(7 avril 2021, Société Taking, n° 450888)
47 - Liberté du mariage - Épidémie de Covid-19 - Circulaire ne prévoyant pas de dérogation pour les étrangers devant se rendre en France pour y célébrer leur mariage avec un Français - Interdiction de l'enregistrement et de l'instruction de visas en vue de se marier en France avec un Français - Mesures disproportionnées - Suspension ordonnée.
(ord. réf. 9 avril 2021, Mme J. et autres, Association de soutien aux amoureux du ban public, n° 450884) V. n° 145
(48) V. aussi, très comparable, à propos de la circulaire du 22 février 2021 en tant qu'elle ne prévoit pas de dérogations aux restrictions de déplacement vers la France pour les ressortissants étrangers justifiant d'une relation amoureuse avec un citoyen français qui ne sont ni mariés, ni pacsés, ni concubins : ord. réf. 14 avril 2021, Mme E. et autres, n° 451140.
(49) V. également, pour les couples amoureux distants (sic) : ord. réf. 23 avril 2021, M. A., n° 451386.
50 - Organisation de festivals en 2021 - Nombre limité de participants - Décision ministérielle révélée par un communiqué de presse - Rejet.
Sans surprise est rejetée la requête tendant à ce que soit suspendue la décision de la ministre de la culture, révélée par un communiqué de presse, interdisant les festivals rassemblant plus de 5000 personnes et imposant une configuration assise.
Cette mesure est jugée justifiée au regard de l'évolution actuelle de la situation sanitaire et de l'état des moyens de lutter contre celle-ci.
(ord. réf. 14 avril 2021, Association Territoire de musiques, Association Hellfest productions et société Musilac, n° 451244)
51 - Référé suspension et référé liberté - Organisation des examens dans l'enseignement supérieur - Modalités spécifiques pour cause de crise sanitaire prises jusqu'au 2 mai 2021 inclus - Difficultés objectives - Solution régulière - Impossibilité de se prévaloir de certains principes - Rejet.
Les deux recours étaient dirigés contre le décret du 2 avril 2021, d'une part, en ce qu'il ne prévoit pas l'extension à tous les examens organisés pour la délivrance des diplômes de l'enseignement supérieur, dans la limite d'un effectif n'excédant pas 20% de la capacité d'accueil de l'établissement, la faculté ouverte aux examens organisés pour la délivrance des diplômes sanctionnant les formations de santé de se tenir en présentiel avant le 2 mai 2021 et, d'autre part, de suspendre l'exécution de celles de ses dispositions imposant que jusqu'au 2 mai 2021 inclus, les épreuves des examens organisés par les établissements d'enseignement supérieur, autres que celles permettant d'accéder à des diplômes sanctionnant une formation en matière de santé, se déroulent à distance.
Ils sont rejetés pour plusieurs motifs avancés par le juge : si l'organisation d'examens en présentiel a été possible au premier semestre, la situation sanitaire a évolué depuis dans un mauvais sens ; la seule circonstance que les dispositions attaquées imposent, pour un temps limité et au motif de la situation sanitaire, que les examens se déroulent à distance ne saurait porter, en elle-même, une atteinte grave et manifestement illégale aux droits et libertés invoquées par les requérants ; le droit à l'éducation et la liberté d'enseignement n'imposent nullement, d'une part, que le contrôle de l'enseignement ne puisse être organisé à distance et, d'autre part, ni les dérogations prévues pour les examens dans certaines formations de santé, justifiées par les caractéristiques des épreuves et les conditions de travail particulières de ses étudiants, ni la circonstance que les conditions d'examen peuvent être différentes selon que les épreuves ont ou n'ont pas lieu pendant le contrôle continu durant les formations, ni le fait enfin que les universités qui fixeront la date des examens au-delà du 2 mai, ne seront pas tenues de les organiser à distance, ne sont de nature à caractériser une atteinte au principe d'égalité entre les étudiants, dès lors que ces derniers se trouvent dans une situation différente.
Gageons que cette rhétorique argumentative n'aura pas convaincu...
(ord. réf., 19 avril 2021, MM. L. Aubry et A. Ferrandon, n° 451369 et n° 451396)
52 - Référé liberté - Demande de suspension du décret du 27 novembre 2020 (art. 3 et 4) et du décret du 14 décembre 2020 - Restrictions apportées à de nombreuses libertés fondamentales - Durée indéterminée et caractère inutile de ces restrictions - Rejet.
La requête en cause ne pouvait qu'être rejetée étant donné les termes très généraux de sa formulation consistant à soutenir que les décisions contestées portent atteinte à de nombreuses libertés fondamentales, peuvent être reconduites, n'ont pas été édictées en considération des circonstances propres à chaque région, sont inutiles et que l'action du gouvernement doit être encadrée. Au reste, il s'agit de textes datant déjà de plusieurs mois au moment de la saisine du juge. Il est difficile, dans ces conditions, d'y voir une atteinte grave et immédiate ainsi qu'une urgence.
(ord. réf. 20 avril 2021, M. B., n° 451479)
(53) V., dans le même sens que ci-dessus : ord. réf. 28 avril 2021, Mme A., n° 450050.
(54) Voir aussi, à propos de la limitation à dix kilomètres de la liberté de déplacement, le rejet d'un recours en ce qu'il est fait état de difficultés générales que les dispositions que l'association conteste sont susceptibles de causer, sans cependant établir de lien avec l'objet social de cette dernière : ord. réf. 16 avril 2021, Association Ni Voyous Ni Soumis, n° 451537 ou encore, le rejet du recours contestant l'obligation d'une attestation dérogatoire pour s'affranchir de la règle des dix kilomètres, recours devenu sans objet au jour où le juge a statué : ord. réf. 23 avril 2021, M. B., n° 451389 ; également, joignant à la contestation de la limitation kilométrique celle de l’obligation d'une attestation dérogatoire pour accéder aux transports publics au-delà de cette distance : ord. réf. 28 avril 2021, Mme A., n° 451511.
(55) Voir encore, à propos de l'obligation de port du masque à partir de l'âge de onze ans dans le département des Alpes-Maritimes, le rejet, une nouvelle foi, de la requête en annulation et en suspension : ord. réf. 26 avril 2021, Mme A., n° 451818.
56 - Galeries d'art - Fermeture - Atteinte à plusieurs libertés fondamentales - Situation sanitaire - Interdiction proportionnée - Rejet.
La requérante demandait au premier ministre de suspendre l'exécution ou de modifier la teneur du IV de l'article 37 ainsi que du I de l'article 45 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020, tel que modifié par le décret n° 2021-296 du 19 mars 2021, en ce que ces dispositions ne prévoient pas, d'une part, que les galeries d'art figurent, au même titre que les salles de vente, parmi les établissements autorisés à accueillir du public et, d'autre part, que leur activité relève de celles permettant l'accueil du public, au même titre que les librairies et les disquaires.
Le juge indique que cette fermeture porte une atteinte grave à plusieurs libertés fondamentales et qu'elle ne peut être regardée comme une mesure nécessaire et adaptée, et, ce faisant, proportionnée à l'objectif de préservation de la santé publique qu'elle poursuit qu'en présence d'un contexte sanitaire marqué par un niveau particulièrement élevé de diffusion du virus au sein de la population susceptible de compromettre à court terme la prise en charge, notamment hospitalière, des personnes contaminées et des patients atteints d'autres affections. Il constate qu'il en est bien ainsi au moment où il statue et qu'ainsi la fermeture est justifiée.
Le recours est rejeté.
(ord. réf. 14 avril 2021, Association Comité professionnel des galeries d'art, n° 451085)
57 - Covid-19 - Personnels des administrations - Attribution d'une prime exceptionnelle - Conditions différentes entre agents contractuels et ceux fonctionnaires statutaires ou en CDI - Demande de renvoi préjudiciel à la CJUE - Rejet.
(12 avril 2021, Fédération CFDT Santé-Sociaux, n° 441396 et n° 441517, jonction) V. n° 135
58 - Commerce de détail - Produits de toilette et d'hygiène - Soins esthétiques - Absence d'ouverture des magasins spécialisés - Rejet.
Le recours en référé formé par plusieurs enseignes distributrices de produits de toilette et d'hygiène ainsi que de services de soins esthétiques contre les dispositions du 2° de l'article 1er du décret n° 2021-293 du 19 mars 2021 modifiant le IV de l'article 37 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 en tant qu'elle n'autorise pas leur ouverture au public est rejeté.
Le juge retient la nécessité de lutter contre une épidémie toujours offensive, en limitant les interactions sociales, les déplacements hors domicile et l'accès à des produits qui ne sont toujours de première nécessité.
En revanche semble plus discutable le raisonnement suivi en réponse à l'argument tiré du risque d'une captation durable de la clientèle des entités requérantes par les magasins d'alimentation générale, les supérettes et les établissements de grande surface que mentionne le IV bis de l'article 37 du décret, ainsi que par les pharmacies et les coiffeurs.
(ord. réf. 19 avril 2021, SAS Yves Rocher France et autres, n° 451136)
(59) V. aussi, dans le même sens, pour les services de soins de beauté, le rejet de la requête pour défaut d'atteinte, en l'espèce, à une liberté fondamentale : ord. réf. 26 avril 2021, Sociétés Guinot et Mary Cohr, n° 451473.
60 - Fontaines à eau - Interdiction pour cause d'épidémie de Covid-19 - Fiches conseils métiers du ministère du travail - Recommandation - Cas des machines à café et des distributeurs de boissons non interdits - Guides de bonnes pratiques des organisations professionnelles - Rejet.
L'association requérante, qui regroupe les industriels distributeurs de fontaines à eau conteste la juridicité, d'une part, des dix-neuf fiches conseils établies par le ministère du travail en tant qu'elles préconisent l'interdiction, la suppression ou la suspension des fontaines à eau, d'autre part, la décision de publier sur le site du ministère trois guides de recommandations établis par les branches professionnelles, en tant qu'ils interdisent ou déconseillent d'utiliser des fontaines à eau.
Le recours est rejeté après que le juge de l'excès de pouvoir a estimé, implicitement mais nécessairement, que ces divers actes sont déférables devant lui.
Le Conseil d’État rappelle la double obligation de l'employeur découlant de dispositions du code du travail : assurer la sécurité et la santé de ses employés et leur fournir de l'eau potable et fraîche pour la boisson. Partant de là et pour concilier ces deux exigences légales, l'interdiction des fontaines à eau et la préconisation de leur substituer des bouteilles à eau individuelles n'est pas irrégulière au regard des précautions qu'impose la lutte contre la pandémie de Covid-19, tout comme n'est pas irrégulière la publication sur le site du ministère des guides professionnels de bonnes pratiques sur ce sujet.
Par ailleurs, le juge estime qu'il n'est pas porté atteinte au principe d'égalité du fait que, dans le même temps où sont interdites ces fontaines ne le sont pas les machines à café et les distributeurs de boissons car, à la différence de la distribution d'eau, obligatoire en vertu de la loi, ces machines et distributeurs ne le sont pas. La solution pourrait ne pas apparaître convaincante sur ce dernier point : en termes de risques épidémiques les deux situations ne sont guère différentes et, dans les deux cas, s'impose l'obligation de sécurité et de protection de la santé ; un inspecteur du travail pourrait, pour ce motif, faire interdiction d'utiliser ces appareils ou adresser avertissement ou mise en garde. Sans doute aussi une action en responsabilité serait possible du chef de contamination par ces moyens. Toutefois, ceci relève à titre principal du droit privé et du juge judicaire et ne pourrait concerner les juridictions administratives que par le truchement de l'intervention de l'inspection du travail. Enfin, il tombe sous le sens que même si l'on peut reprocher l'absence de mesures s'agissant des risques découlant de la présence et de l'usage de distributeurs et autres appareils, cela ne rend pas pour autant irrégulières les mesures, justifiées, relatives aux fontaines à eau.
(21 avril 2021, Association française de l'industrie des fontaines à eau, n° 440451)
61 - Interdiction d'accès au territoire français - Ressortissants algériens titulaires d'un certificat de résidence en qualité de médecins exerçant en France ainsi que leurs conjoints et enfants - Délivrance du "passeport Talents" à d'autres médecins étrangers - Urgence à statuer et doute sérieux - Suspension ordonnée de la circulaire primo-ministérielle du 22 février 2021.
Le juge des référés était saisi d'un référé suspension de la circulaire du premier ministre, du 22 février 2021, relative aux mesures frontalières mises en oeuvre dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, ne prévoyant pas de dérogation à l'interdiction d'entrée sur le territoire français pour les conjoints et enfants à charge des ressortissants algériens titulaires d'un certificat de résidence en leur qualité de médecins exerçant en France, alors que cette entrée est possible à d'autres médecins étrangers auxquels peut être accordé un "passeport Talents" dont ne peuvent bénéficier les ressortissants algériens.
Estimant être en présence d'une situation d'urgence, le juge considère que cette situation paradoxale où des Algériens, en principe privilégiés par rapport à d'autres étrangers hors UE, se voient refuser un accès accordé à ces derniers, fait peser un doute sérieux sur la légalité de la circulaire litigieuse.
Sa supension est ordonnée en tant qu'elle institue une discrimination illégale et il est ordonné à son auteur de prendre les mesures réglementaires strictement proportionnées aux risques sanitaires liés à l'entrée en France des conjoints et enfants des ressortissants algériens admis à entrer en France pour exercer une activité médicale en lien avec la lutte contre l'épidémie de Covid-19.
(ord. réf. 22 avril 2021, Mme J. et autres, n° 451249)
Droit fiscal et droit financier public
62 - Impôt sur les sociétés - Plus-value de cession immobilière - Plus-value réalisée par une "corporation" au sens du droit de l'État du Delaware - "Corporation" constituant prétendument une société de personnes - Affirmation controuvée par les dispositions du code des "corporations" de cet État et par les statuts de la société requérante - Assimilation à la société par actions simplifiée connue en droit français - Dénaturation des faits - Cassation sans renvoi.
Tout en s'acquittant du paiement de la plus-value immobilière qu'elle a réalisée, une société de droit américain (État du Delaware) émet une réserve en faisant valoir qu'elle est une société de personnes et ne satisfait à aucun des critères énoncés au 1 de l'article 206 du CGI qui sert de base à son imposition. Elle soutient, étant une société de personnes, qu'elle doit être soumise au régime prévu au II de l'article 244 bis A du CGI régissant les contribuables assujettis à l'impôt sur le revenu. Ce raisonnement, retenu par la cour d'appel, est contesté par le ministre demandeur au pourvoi.
Le Conseil d’État lui donne raison en constatant que, contrairement à ce que soutient la société, ni le code des "corporations" du Delaware ni les statuts de celle-ci, ne confirment son affirmation selon laquelle ses associés étaient tenus personnellement responsables des dettes sociales, même en l'absence de toute faute de gestion de leur part, ce qui aurait caractérisé une société de personnes. En jugeant qu'il en est bien ainsi la cour a dénaturé les faits de l'espèce qui lui étaient soumis.
Ensuite, le juge considère que cette société est assimilable au modèle français de la société par actions simplifiée et qu'elle doit être traitée comme telle quant au régime fiscal de ses plus-values immobilières, conformément à ce que soutient le ministre.
(2 avril 2021, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 427880)
63 - Impositions sur les bénéfices agricoles - Distinction entre contribution sociale sur les revenus du patrimoine et contribution sociale sur les revenus d'activité et de remplacement - Cumul des deux contributions impossible - Assujettissement de tous les bénéfices agricoles à la contribution sur les revenus d'activité et de remplacement - Erreur de droit - Cassation et règlement de l'affaire au fond.
Un viticulteur, retraité à partir de 2009, a déclaré au titre des deux années 2009 et 2010 des bénéfices agricoles réalisés avant son départ en retraite mais fiscalement étalés dans le temps. L'administration fiscale a estimé que ces bénéfices devaient être soumis aux prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine (en vertu du f) du I de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale). Puis, en 2012 et 2013, il a cédé un stock d'eau-de-vie dont les bénéfices agricoles en résultant ont été assujettis comme indiqué plus haut assortis de pénalités. Si le tribunal administratif a rejeté le recours de ce viticulteur tendant à la décharge de ces contributions et des pénalités correspondantes, la cour administrative a annulé ce jugement et prononcé la décharge des contributions et pénalités. Le ministre se pourvoit en cassation.
Le Conseil d’État dans cette décision assez innovante apporte deux précisions très importantes.
En premier lieu, il n'est pas possible de cumuler, dans le cas de bénéfices agricoles, la contribution sociale sur les revenus du patrimoine et la contribution sociale sur les revenus d'activité et de remplacement. Ce n'est qu'à défaut d'assujettissement sur les revenus d'activité et de remplacement que ces bénéfices sont soumis à la contribution sur les revenus du patrimoine.
En second lieu, dans l'espèce, l'intéressé, avait réalisé, en 2009 et 2010 des bénéfices agricoles au titre d'activités menées en qualité de salarié des professions agricoles et, en 2012 et 2013, des bénéfices en qualité de non salarié puisqu'il était retraité, sans qu'entre en ligne de compte la circonstance que les stocks d'eau-de-vie vendus ces deux dernières années avaient été constitués durant la période où il était encore salarié.
Il suit donc de là, d'une part, que les bénéfices réalisés en 2009 et 2010 devaient acquitter la contribution sur les revenus d'activités et de remplacement et, d'autre part, que ceux réalisés en 2012 et 2013, où il n'était plus salarié, ne pouvaient pas être assujettis à cette dernière contribution mais devait l'être à la contribution sur les revenus du patrimoine.
L'arrêt d'appel est cassé sans renvoi, le juge de cassation ayant décidé de régler lui-même l'affaire au fond (art. L. 821-2 cja)
Cette "construction" fiscale soumettant à des régimes de contribution nettement différenciés de résultats agricoles tous obtenus en période d'activité, simplement selon que leur réalisation a lieu durant une telle période ou durant la retraite ne semble pas reposer sur une base rationnelle ou pratique bien convaincante.
(2 avril 2021, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 428084)
64 - Participation des employeurs au développement de la formation professionnelle continue - Participation des employeurs à l'effort de construction - Société de droit britannique ayant son siège au Royaume-Uni et des installations en France - Participations dues du seul fait d'emploi de salariés dans ces installations - Caractère inopérant de l'absence d'autonomie de ces installations - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.
Une compagnie aérienne à bas prix prétendait ne pas devoir acquitter les cotisations qui lui étaient demandées au titre de la participation des employeurs au développement de la formation professionnelle continue et à celui de la participation des employeurs à l'effort de construction, motif pris de ce que sont siège social se trouvait au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et qu'elle ne disposait en France que de trois bases d'exploitation dépourvues d'autonomie dans la gestion des ressources humaines. Si les premiers juges n'avaient pas été convaincus par cette argumentation, la cour administrative d'appel l'a été mais, sur pourvoi du ministre, son arrêt est cassé pour erreur de droit. Le Conseil d’État considère comme inopérante l'absence d'autonomie retenue par la cour alors qu'il lui incombait seulement de rechercher si ces bases d'exploitation permettaient à cette compagnie d'exercer son activité en France.
On avait pourtant cru comprendre que le paiement des participations litigieuses était lié au volume de personnels gérés et que cette considération importait seule : le Conseil d’État croit devoir lui substituer l'examen de l'utilité fonctionnelle de ces installations pour les activités françaises de cette compagnie sans égard aucun pour ce qui fonde pourtant l'assujettissement à ces participations : l'emploi de personnels et non les moyens mis à leur disposition.
(2 avril 2021, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 428684)
65 - Cession de parts sociales - Parts démembrées entre un nu-propriétaire et un usufruitier - Régime d'imposition des plus values de cession - Incidence de dispositions contractuelles particulières - Cassation et règlement du litige au fond.
En principe, en cas de démembrement de la propriété des parts sociales entre un usufruitier et un propriétaire, la plus-value dégagée lors de la cession de ces parts au même moment par l'usufruitier et par le nu-propriétaire, l'imposition est répartie entre eux selon la valeur respective de chacun de ces droits.
Cependant, les intéressés peuvent avoir convenu de dispositions contractuelles particulières applicables au jour de la cession et ayant une incidence directe sur le régime d'imposition concernant la charge de celle-ci.
En premier lieu, lorsque les parties ont convenu entre elles que le droit d'usufruit serait, à la suite de la cession, reporté sur le prix issu de celle-ci, la plus-value est alors intégralement imposée entre les mains de l'usufruitier.
En second lieu et à l'inverse, lorsque les parties ont convenu entre elles que le prix de cession sera nécessairement remployé dans l'acquisition d'autres titres dont les revenus reviennent à l'usufruitier, la plus-value réalisée n'est imposable qu'au nom du nu-propriétaire.
Le Conseil d’État, après cassation de l'arrêt d'appel pour erreur de droit, règle l'affaire au fond, réitérant la solution qu'avaient retenu les premiers juges.
(2 avril 2021, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 429187)
66 - Fusion-absorption entre deux sociétés - Sollicitation d'un agrément en vue du transfert du déficit de la société absorbée à la société absorbante - Refus en raison de changements significatifs durant la période d'origine du déficit - Absence de tels changements - Erreur de droit - Cassation et règlement de l'affaire au fond.
Le II de l'art. 209 du CGI, dans sa version alors applicable, disposait qu' " en cas de fusion ou opération assimilée placée sous le régime de l'article 210 A, les déficits antérieurs (...) non encore déduits par la société absorbée (...) sont transférés, sous réserve d'un agrément délivré dans les conditions prévues à l'article 1649 nonies, à la ou aux sociétés bénéficiaires des apports, et imputables sur ses ou leurs bénéfices ultérieurs dans les conditions prévues (...) au troisième alinéa du I (...)". Ce texte subordonne l'octroi de l'agrément, notamment, à l'absence de changement significatif, en termes de clientèle, d'emploi, de moyens d'exploitation effectivement mis en oeuvre, de nature et de volume d’activité durant la période pendant lequel s'est réalisé le déficit.
En l'espèce, la société Agri 37, entreprise de négoce de produits agricoles et d'agrofournitures, a procédé à une fusion-absorption avec la société Echivard, devenue la société Alliance Négoce. La demande d'agrément afin que lui soit transféré le déficit inscrit dans les écritures comptables de la société absorbée ayant été refusé au motif que l'activité de la société absorbée avait subi des changements significatifs pendant la période au cours de laquelle le déficit en cause avait été constaté, la société Alliance Négoce a saisi, en vain, les juges de première instance et d'appel d’un recours en annulation du refus qui lui a été opposé.
Le Conseil d’État, au terme d'une analyse fouillée et serrée des faits, accueille le pourvoi car il considère que si la société absorbée " avait perdu l'intégralité de son effectif de 10 salariés au profit du recours à du personnel extérieur à l'établissement et que son actif brut corporel avait été réduit de 65 % après la cession d'installations techniques, matériel et outillages industriels et de matériel de transport, traduisant notamment la suppression totale de sa flotte de camions du fait de l'externalisation de l'activité de transport ", celle-ci n'en avait pas moins continué à assurer son activité "soit par du personnel mis à sa disposition par d'autres sociétés du groupe auquel appartient la société absorbante soit par ces sociétés elles-mêmes. (Par ailleurs) la diminution de son actif brut corporel a résulté d'une externalisation auprès d'une société du groupe spécialisée dans le transport. (Enfin) la société Agri 37 a également, au cours de la même période, poursuivi l'exploitation de son unique établissement, loué un entrepôt de stockage destiné à son activité de vente de produits d'agrofournitures, utilisé, au soutien de son activité de collecte et de vente de produits agricoles, un silo céréalier détenu par une société du groupe, et maintenu un chiffre d'affaires de près de 14 millions d'euros".
Il s'en déduit qu'au sens et pour l'application des dispositions fiscales précitées (cf. le b) du II de l'article 209 du CGI) les juges du fond ont commis une erreur de qualification juridique des faits en jugeant que la baisse de l'actif brut corporel de la société Agri 37 et la circonstance qu'elle n'employait plus aucun salarié étaient constitutives d'un changement significatif de son activité, "alors que cette suppression de ses emplois directs et de ses moyens d'exploitation, pendant la période au titre de laquelle a été constaté le déficit dont le transfert a été demandé, était destinée à assurer, par une réorganisation de son activité et une externalisation, le maintien du volume de son chiffre d'affaires".
Cette cassation s'opère sans renvoi le juge ayant décidé de régler l'affaire au fond.
(2 avril 2021, SAS Alliance Négoce, n° 429319)
67 - Taxe sur les surfaces commerciales - Exonération pour une activité de commerce de détail antérieure au 1er janvier 1960 et continuée depuis - Intervention d'une démolition suivie d'une reconstruction - Interruption du caractère continu de l'activité depuis 1960 - Assujettissement - Doctrine administrative ininvocable contre une imposition primitive - Moyen d'ordre public - Rejet.
La loi du 13 juillet 1972 (art. 3) a créé une taxe sur les surfaces commerciales qui a pour assiette la surface de vente des magasins de commerce de détail, ouverts à partir du 1er janvier 1960 et quelle que soit la forme juridique de l'entreprise qui les exploite, dès lors qu'elle dépasse quatre cents mètres carrés. La FNAC s'est trouvée assujettie à cette taxe pour un point de vente situé à Belfort.
Deux questions très intéressantes étaient posées au juge.
En premier lieu, en l'espèce, l'exploitation des commerces de détail avait débuté avant le 1er janvier 1960 puis l'espace concerné avait fait l'objet en 1994 d'une démolition et d'une reconstruction occupée par des commerces de détail. Devait-on considérer que le temps des travaux n'avait que suspendu l’exploitation et que les commerces installés à nouveau ont "continué" ceux existants avant le 1er janvier 1960, bénéficiant ainsi de l'exemption de taxe ? Ou bien devait-on regarder ces travaux comme ayant mis un terme aux commerces antérieurement existants et les commerces ayant succédé comme nouveaux et donc comme postérieurs au 1er janvier 1960, donc non bénéficiaires de l'exemption de taxe ? Le juge opte pour cette seconde solution.
En second lieu, la requérante invoquait la doctrine administrative (art. L. 80 B LPF) du 22 octobre 2008 date à laquelle un courrier de la caisse nationale du régime social des indépendants lui indiquant que son établissement commercial à Belfort était exonéré de taxe d'aide au commerce et à l'artisanat. En effet, l'invocation des prises de position formelles de l'administration n'est possible qu'en cas de rehaussement d'imposition non en cas d'imposition primitive.
(2 avril 2021, Société relais FNAC, n° 429709)
(68) V. aussi, constatant l'absence d'exercice continu d'une activité commerciale débutée avant le 1er janvier 1960 : 22 avril 2021, Société Anro, n° 432588.
(69) V. également, dans le même sens : 22 avril 2021, Société Sodigema, n° 432737.
70 - Procédure fiscale - Distinction entre contestation de l'obligation de payer et contestation de l'exigibilité de l'impôt - Invocation de la prescription de l'action en recouvrement - Action en contestation de l'exigibilité - Date et délai d'invocation de la prescription de l'action - Omission de contester la prescription dans la demande préalable - Invocation possible devant le juge sous condition - Cassation de la solution contraire retenue en appel - Cassation avec renvoi.
Le redevable qui invoque la prescription de l'action en recouvrement dont il fait l'objet conteste en réalité l'exigibilité de l'impôt non-l’obligation de le payer. Il doit donc soulever cette prescription à l'appui de la réclamation préalable adressée à l'administration fiscale dans un délai de deux mois à partir de la notification du premier acte de poursuite permettant de s'en prévaloir (cf. art. R. 281-3-1 LPF). En principe, s'il ne l'a pas invoquée dans la réclamation mais, par suite du rejet de sa réclamation, en a saisi le juge et conteste devant celui-ci ladite prescription (cf art. R.281-5 LPF), sa demande est recevable à condition que son examen ne conduise pas à l'appréciation d'autres pièces ou circonstances de fait autres que ceux figurant dans la réclamation à l'administration fiscale.
En l'espèce, le redevable, postérieurement à une première mise en demeure de payer qui a été irrégulièrement notifiée, a été rendu destinataire de deux avis à tiers détenteurs qu'il a contestés sans, toutefois, invoquer, comme il l'aurait pu, la prescription de l'action en recouvrement. Il suit de là qu'a commis une erreur de droit la cour administrative d'appel en jugeant l'intéressé fondé à invoquer cette prescription à l'encontre du commandement de payer litigieux ultérieur, alors que ce moyen était irrecevable dès lors qu'il n'aurait pu être soulevé qu'à l'appui de la contestation du premier acte de poursuite que constituaient les avis à tiers détenteur.
Il faut regretter les subtilités vénéneuses de ces procédures fiscales qu’aggrave l’absence d'obligation faite à l'administration fiscale d'indiquer avec précision, à chaque étape de la procédure et pour chacune des variétés de celle-ci, les voies, délais et moyens de contestation.
(2 avril 2021, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 433989)
71 - Taxe professionnelle - Prise en charge par une société des intérêts d'emprunts contractés par ses clients en vue de l'achat du matériel agricole vendu par elle - Qualification juridique comme remise commerciale - Déduction du chiffre d'affaires en vue de la détermination de la valeur ajoutée soumise à la taxe professionnelle - Avantage tarifaire en vue de faciliter les ventes - Déductibilité de la valeur ajoutée - Erreur de droit de l'arrêt contraire - Cassation sans renvoi, l'affaire étant réglée au fond.
La requérante, qui commercialise du matériel agricole, prend en charge une partie des intérêts des emprunts contractés par ses clients en vue de l'acquisition des matériels qu'elle leur vend, ceci afin de faciliter cette acquisition.
Elle a déduit le montant des intérêts pris en charge, qu'elle analyse comme une remise commerciale, de son chiffre d'affaires pour la détermination de la valeur ajoutée soumise à la cotisation minimale de taxe professionnelle pour 2009 et à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises pour 2010 et 2011.
L'administration fiscale a procédé à des rehaussements de taxes. Les recours formés en première instance puis en appel par la société ont été rejetés.
En particulier, la cour avait rejeté les demandes de la société d'abord parce que la prise en charge des intérêts étant sans effet sur le prix de vente elle ne pouvait pas constituer une remise commerciale et ensuite car la société avait comptabilisé la dépense correspondante comme une charge financière.
La société s'est pourvue et le Conseil d’État lui donne raison. Il relève tout d'abord que les art. 1647 B sexies et 1586 sexies du CGI fixent la liste limitative des catégories d'éléments comptables qui doivent être pris en compte dans le calcul de la valeur ajoutée servant de base respectivement à la cotisation minimale de taxe professionnelle et à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. Par suite, pour déterminer si une charge ou un produit se rattache à l'une de ces deux catégories, il convient de se reporter aux normes comptables dont l'application est obligatoire pour l'entreprise en cause.
Ce faisant le juge décide que "les réductions sur ventes et les rabais, remises et ristournes, interprétés à la lumière des comptes 609 et 709 " rabais, remises, ristournes " du plan comptable général, s'entendent des avantages tarifaires consentis par les entreprises en vue de faciliter les ventes".
Appliquant cette définition à l'espèce, il est très logiquement jugé que "la dépense correspondant à la prise en charge, par la société Claas France, des intérêts des prêts consentis aux acheteurs des matériels agricoles qu'elle commercialise, doit être déduite de la valeur ajoutée pour l'application des articles 1647 B sexies et 1586 sexies du CGI".
Il faut saluer une solution marquée au coin du bon sens et de la justice.
(2 avril 2021, Société Claas France, n° 430364)
72 - Impôt sur les sociétés - Rehaussement - Société de distribution de crédits à la consommation - Provisions pour impayé - Probabilité de non-recouvrement de créances - Refus d'admettre cette probabilité - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.
Une société dont l'activité consiste à distribuer des crédits à la consommation constitue des provisions pour impayé sur une période de 90 jours ; l'administration a remis en cause la déductibilité de ces provisions car la société, selon elle, se bornait systématiquement, à provisionner dès un impayé sur 90 jours sans prendre en compte la capacité réelle de ses clients à rembourser leur dette.
La cour administrative d'appel ayant remis à sa charge le montant des impositions dont l'avait dispensé le tribunal administratif, la société se pourvoit.
Le Conseil d’État annule l'arrêt qui avait jugé non déductibles les provisions constituées pour impayé au motif que la société n'indiquait pas clairement ni n'établissait que les provisions auraient été constituées après avoir tenu compte de la situation individuelle de son client ou après avoir vainement mis en oeuvre des actions de recouvrement ; ni le non-paiement des créances à leur échéance, ni l'échec des campagnes d'appel, ni l'impossibilité de compenser cet impayé par un prélèvement sur les comptes bancaires de ses clients n'établissaient que les créances en litige présentaient, à la clôture des exercices en litige, un risque probable de non recouvrement et, par suite, ne pouvaient justifier la constitution d'une provision.
Il considère au contraire, s'agissant d'une société exerçant une activité de distribution de crédit à la consommation, que le constat de retards de paiement des créances, nonobstant les diligences entreprises par l'établissement en vue de leur recouvrement, caractérise la probabilité du non-recouvrement de ces créances à la clôture de l'exercice, d'où la cassation prononcée.
(22 avril 2021, Société Cofidis, n° 433028)
73 - Cotisation foncière des entreprises (CFE) - Cas des bien exonérés de taxe foncière sur les propriétés bâties - Exclusion de ces biens de l'assiette de la CFE - Annulation partielle.
Rappel de ce que les biens exonérés de taxe foncière sur les propriétés bâties en vertu 11° de l'article 1382 du CGI sont exclus des bases de la cotisation foncière des entreprises.
(16 avril 2021, SAS Pâtisserie Pasquier Cerqueux, n° 419908)
(74) V. aussi : 16 avril 2021, SAS Décoration Protection des Métaux, n° 432786.
(75) V. également : 16 avril 2021, Société anonyme GKN Driveline, n° 437670.
76 - Impôt sur le revenu et contributions sociales - Convention fiscale franco-suisse - Invocation d'une interprétation administrative - Détermination du pays de résidence - Erreur de droit à appliquer l'art. 31 de la convention au lieu de l'art. 4 - Annulation.
Commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui, pour refuser à des personnes la qualité de résidents suisses, se fonde sur le 2 de l'art. 31 de la convention fiscale franco-suisse du 9 septembre 1966, lequel ne concerne que le cas où est recherchée l'obtention d'"avantages" au lieu de retenir l'art. 4 (6, b/), seul à considérer s'agissant seulement de déterminer le lieu de résidence.
En l'espèce, alors que les requérants avaient produit des attestations de l'administration cantonale des impôts et du département fédéral des finances de la Confédération suisse indiquant qu'ils étaient assujettis aux impôts fédéraux, cantonaux, et communaux d'après la dépense depuis le 1er octobre 2004 et pouvaient ainsi être considérés comme résidents suisses au sens de l'article 4 de la convention franco-suisse, la cour avait estimé, d'une part, ces documents insuffisants au regard des dispositions du 2 de l'art. 31 de cette convention et, d'autre part, qu'en conséquence les requérants ne pouvaient pas se prévaloir, sur le fondement de l'art. L. 80A du LPF, de la doctrine administrative. Or l'art. 31 n'est applicable qu'en cas de demande d'avantages tirés de la législation suisse, tel n'est pas le cas de la détermination de la qualité de résident qui est un fait non un avantage.
(19 avril 2021, M. et Mme A., n° 431982)
(77) V. aussi, identique : 19 avril 2021, M. et Mme B., n° 439606.
78 - Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) - Cession de terrain à bâtir - Régime dérogatoire de TVA - Exclusion des cessions de terrains déjà bâtis - Erreur de droit à juger le contraire - Annulation.
Rappel, à nouveau, que le régime dérogatoire de TVA applicable à la cession de terrains à bâtir, tel qu'il résulte des art. 257 et 266 du CGI, transposant l'art. 392 de la directive européenne du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA, ne s'applique qu'aux terrains nus et non à ceux comportant au moment de leur acquisition des éléments bâtis même s'ils sont voués à la démolition ou ayant fait l'objet d'une division parcellaire en vue d'en céder séparément des parties ne constituant pas le terrain d'assiette du bâtiment. Par a contrario il se déduit de là qu'il en va autrement si le vendeur, avant la cession, a démoli tout édifice se trouvant sur son terrain.
(19 avril 2021, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 440135)
79 - Taxe foncière sur les propriétés bâties - Site comprenant du matériel, des bâtiments et équipements dans un état très vétuste - Caractéristique insuffisante pour exonérer de l'assujettissement à la taxe foncière - Nécessité d'une disparition de tout moyen rendant le bien propre à une activité - Cassation.
Un tribunal administratif avait jugé qu'en raison de sa perte d'utilité, de son absence d'exploitation et de sa grande vétusté rendant impossible son exploitation sans de très importants travaux préalables, la taxe foncière sur les propriétés bâties à laquelle était assujetti l'ensemble ne devait plus être calculée selon les modalités fixées à l'art. 1499 CGI mais selon celles prévues à l'art. 1498 de ce code.
Le jugement est cassé sur pourvoi du ministre des finances au motif qu'il appartenait au tribunal de " rechercher si la cessation d'activité de (l'entreprise contribuable) était assortie de la disparition de tout moyen technique industriel, rendant ainsi l'immeuble disponible pour une autre activité ".
La solution est sévère dans sa rigidité.
(19 avril 2021, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 440955)
80 - Impôt sur les sociétés - Moins-value à court terme - Condition d'application - Limite de la déductibilité - Champ d'application de la loi - Méconnaissance - Cassation avec renvoi.
Une société avait déduit du bénéfice imposable la moins-value résultant de la cession de titres qu'elle détenait jusqu'alors dans une autre société.
L'administration fiscale a réintégré ce résultat dans le résultat imposable et rehaussé en conséquence le montant des droits dus.
Sa requête en décharge de cette imposition supplémentaire ayant été rejetée en première instance et en appel, la société contribuable se pourvoit, avec succès.
En effet, il résulte des termes mêmes du 2 bis de l'article 39 quaterdecies du CGI, issu du I de l'article 18 de la loi du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012 que la réintégration de la moins-value litigieuse n'était possible que dans le cas où les titres cédés auraient fait l'objet d'une émission nouvelle dans le cadre de l'apport. C'était là l'un des deux moyens soulevés par la demanderesse et il est ainsi retenu. S'il n'avait pas été soulevé par elle il l'eût été d'office car la méconnaissance du champ d'application de la loi est un moyen d'ordre public.
(20 avril 2021, Société Catana Group, n° 429467)
81 - Qualité de commissionnaire - Contribution due par les entreprises exploitant en France des spécialités pharmaceutiques - Remboursement de cette contribution par sa commettante à la commissionnaire - Réintégration de ces sommes dans le résultat imposable - QPC - Absence de prise en compte des facultés contributives, résultant du principe d'égalité devant les charges publiques - Charge de l'obligation fiscale - Rejet -
La requérante, commissionnaire en acquisition de produits pharmaceutiques, a acquitté le montant de la contribution due par les entreprises exploitant en France des spécialités pharmaceutiques puis a déduit de son résultat imposable les sommes versées par sa commettante en remboursement de cette contribution. L'administration ayant réintégré ces sommes dans son résultat imposable, elle a saisi, en vain les juges de première instance et d'appel.
Elle se pourvoit en cassation, soulève une QPC et reprend les autres arguments déjà invoqués. Elle soutient que les dispositions de l'article L. 245-6 du code de la sécurité sociale, qui prévoient l'assujettissement des entreprises assurant l'exploitation en France d'une ou plusieurs spécialités pharmaceutiques donnant lieu à remboursement par les caisses d'assurance maladie à une contribution assise sur le chiffre d'affaires hors taxe qu'elles réalisent en France, méconnaissent l'exigence de prise en compte des facultés contributives résultant du principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, dès lors qu'en ne distinguant pas selon que les exploitants visés par ces dispositions disposent ou non du chiffre d'affaires ainsi réalisé, elles ont pour effet d'assujettir des entreprises agissant en tant que commissionnaire à une imposition dont l'assiette inclut des revenus dont elles ne disposent pas.
Pour rejeter le moyen, le Conseil d’État rappelle que le principe invoqué par la requérante a pour conséquence que l'imposition doit être acquittée par celui qui dispose du revenu ou de la ressource qui justifie l'imposition. Or l'art. L. 132-1 du code de commerce définit le commissionnaire comme celui qui agit en son propre nom pour le compte d'un commettant. Lorsqu'une société assure en France l'exploitation d'une ou plusieurs spécialités en qualité de commissionnaire il s’ensuit qu’elle réalise elle-même le chiffre d'affaires retiré de la vente des biens du commettant, dont les résultats sont enregistrés dans sa comptabilité.
La circonstance, comme soutenu ici par la requérante, que pèse sur le commissionnaire l'obligation contractuelle de reverser au commettant le produit de ses ventes, conduit à ce que le commissionnaire ne puisse être regardé comme n'ayant pas la disposition des ressources qu'il retire de son exploitation et qui constituent son chiffre d'affaires. La demande de renvoi de la QPC est donc rejetée.
Par ailleurs, il était soutenu que les indemnités versées à un contribuable pour réparer une diminution de ses valeurs d'actif, une dépense exposée ou une perte subie, dès lors que leur versement a été effectué en vertu d'une obligation de réparation incombant à la partie versante, ne constituent des recettes imposables que si la perte ou charge qu'elles compensent est elle-même déductible pour la détermination du bénéfice imposable. Tel n'est pas le cas en l'espèce, juge le Conseil d’État, le versement de la contribution en litige ne saurait être considéré comme ou assimilé à un préjudice ainsi que l'a jugé la cour administrative d'appel ; tout comme elle a bon droit considéré que les sommes versées en remboursement de la cotisation versée ne constituaient pas davantage l'exécution d'une obligation indemnitaire mais la conséquence d'un accord conventionnel sur la rémunération de l'intéressée. De ce fait est inopérant le moyen tiré de l'égalité devant les charges publiques.
(20 avril 2021, Société Baxter SAS, n° 430561 et n° 430562)
(82) V. aussi, sur le rapport entre facultés contributives et principe d'égalité devant les charges publiques : 20 avril 2021, SAS M6 Publicité, n° 448984.
83 - Acquisition ou cession par une société à un prix manifestement majoré ou minoré - Écart de prix sans contrepartie - Libéralité consistant en une distribution de bénéfices - Avantage occulte (art. 111 CGI) - Preuve de la distribution occulte - Évaluation des titres d'une société non admise à la négociation sur un marché réglementé - Rejet.
Le litige portait sur l'existence d'une distribution occulte de bénéfices et sur l'évaluation de l'écart entre les prix pratiqués et ceux qui auraient dus l'être s'agissant d'une société non admise à la négociation sur un marché réglementé.
Le principe est simple et repose sur la réunion de deux conditions.
En premier lieu, doit exister une acquisition par une société à un prix délibérément majoré par rapport à la valeur vénale de l'objet de la transaction, ou, s'il s'agit d'une vente, délibérément minoré.
En second lieu, cet écart de prix ne comporte pas de contrepartie.
Lorsque ces deux conditions sont remplies, l'avantage ainsi octroyé doit être requalifié comme une libéralité représentant un avantage occulte constitutif d'une distribution de bénéfices au sens des dispositions du c de l'article 111 du CGI.
Enfin, la circonstance que l'opération est portée en comptabilité et y est assortie de toutes les justifications concernant son objet et l'identité du cocontractant, ne modifie pas sa nature de libéralité dès lors que cette comptabilisation ne révèle pas, par elle-même, la libéralité en cause. S'agissant de la preuve d'une telle distribution occulte, le principe est, là aussi, clair : celle-ci doit être regardée comme établie lorsqu'il existe, d'une part, un écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé, d'autre part, une intention, pour la société, d'octroyer et, pour le cocontractant, de recevoir, une libéralité du fait des conditions de la cession.
Cependant, les choses se compliquent un peu lorsque l'acquisition ou la cession met en cause une société non admise à la négociation sur un marché. En ce cas, c'est un peu du bricolage pour parvenir à " un chiffre aussi voisin que possible de celui qu'aurait entraîné le jeu normal de l'offre et de la demande à la date où la cession est intervenue ". L'on peut retenir des transactions intervenues dans des conditions sensiblement équivalentes déjà réalisées sur des titres de la même société ou par des sociétés similaires ; également peuvent être combinées diverses méthodes alternatives.
En l'espèce, les juges d'appel ont, à bon droit, estimé, 1° que l'écart de prix était manifeste entre une estimation, de l'aveu même de la cédante, à 99,85 euros la valeur unitaire du titre et sa cession au prix unitaire de 108,50 euros soit une différence de 8,66%, 2° que l'intention libérale était établie et 3° qu'en avait été ainsi retiré un avantage occulte.
(20 avril 2021, M. C., n° 437991)
84 - Taxe professionnelle - Cotisation minimale de taxe - Revente à des sociétés de financement d'éléments de bureautique loués à ses clients - Qualification comme charge financière - Portée de dispositions du plan comptable général - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.
La société requérante, selon la formule des "contrats mandatés", loue du matériel de bureautique à ses clients et transfère la propriété du matériel à des sociétés de financement ainsi que le contrat de location et maintenance ; en contrepartie la société encaisse la totalité des loyers et reverse à la société de financement la part de ces loyers correspondant à la seule mise à disposition du matériel au client final.
L’administration fiscale a considéré que les deux parties étaient liées par des contrats de "locations-financement " et estimé qu'en application du plan comptable en vigueur l'année de l'imposition, les loyers perçus constituaient une charge finacière et non, comme le soutenait la requérante, " des consommations de biens ou de services en provenance de tiers ". Elle a donc, pour déterminer l'assujettissement de la société requérante à la taxe professionnelle et en calculer son montant, rattaché, pour l'application de l'art. 1647 E du CGI, les loyers versés par les clients aux catégories fixées aux art. 1647 B sexies du CGI. Pour ce faire, approuvée par la cour administrative d'appel, elle a retenu les normes comptables applicables aux comptes consolidés alors qu'elle devait se reporter aux dispositions du plan comptable général applicables aux comptes sociaux individuels, et notamment celles de l'article 394-1 en vertu desquelles les opérations traitées, pour le compte de tiers, au nom de l'entité sont inscrites selon leur nature dans les charges et les produits de l'entité.
Ce faisant, elle a commis une erreur de droit dans le choix des éléments comptables devant être pris en compte pour le calcul de la valeur ajoutée en fonction de laquelle sont plafonnées les cotisations de taxe professionnelle.
L'affaire est renvoyée à la cour.
(20 avril, Société Ricoh France, n° 431224)
85 - Acquisition de titres d'une société - Intention de revendre ces titres à un tiers dans le cadre d'une convention de portage - Moyen présenté au soutien de l'affirmation du défaut d'intention libérale - Moyen non inopérant - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.
Commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui écarte pour inopérance le moyen contestant l'octroi d'une libéralité à leur profit consistant en l'invocation, par les contribuables, de l'existence d'une convention de portage au bénéfice d'un tiers et se fonde sur la seule circonstance que M. B. était le dirigeant de la société dont les titres avaient fait l'objet de la cession litigieuse, laquelle n'était ni de nature à établir l'existence d'une relation d'intérêts avec la société cédante, ni à démontrer l'intention de cette société d'octroyer et celle de M. B. de recevoir une libéralité.
(20 avril 2021, M. et Mme B., n° 434255)
86 - Taxe sur la publicité diffusée par voie de radiodiffusion sonore et de télévision - Principe d'égalité devant les charges publiques - Exigence de tenir compte des facultés contributives - Question de caractère sérieux - Renvoi au Conseil constitutionnel.
(20 avril 2021, SAS M6 Publicité, n° 448984) V. n° 157
Droit public économique
87 - Organismes financiers prestataires de services sur actifs numériques - Obligation d'enregistrement auprès de l'Autorité des marchés financiers (AMF) - Sanction - Communiqué commun de l'AMF et de l'Autorité de contrôle prudentiel et de régulation - QPC - Rejet.
La loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises, dispose que les prestataires de services sur actifs numériques doivent, avant d'exercer leur activité, s'enregistrer auprès de l'Autorité des marchés financiers (AMF) qui, à cette fin, recueille l'avis conforme de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Elle décide (dans le X de son art. 86) que les opérateurs qui exerçaient de telles activités avant son entrée en vigueur disposent d'un délai de douze mois à compter de la publication des textes d'application pour s'enregistrer auprès de l'Autorité des marchés financiers.
Par un communiqué commun du 23 novembre 2020, l'AMF et l'ACPR ont rappelé aux opérateurs concernés que " la période transitoire pour exercer une activité sur actifs numériques sans enregistrement prend fin le 18 décembre 2020 ", et indiqué que " les prestataires non enregistrés à cette date devront cesser leur activité en France dans l'attente de leur enregistrement. Les autorités veilleront au respect de la réglementation et prendront les mesures qui s'imposent en cas d'infraction. L'AMF pourra notamment publier une liste noire des prestataires non enregistrés accompagnée d'une mise en garde du public, et, le cas échéant, demander en justice le blocage de l'accès aux sites internet des prestataires non enregistrés ". Le communiqué précise par ailleurs que " concernant les prestataires ayant déposé leur dossier de demande d'enregistrement en temps opportun et dont la procédure d'enregistrement serait très avancée, les autorités pourront tenir compte de leur situation au cas par cas. En tout état de cause, ces prestataires devront suspendre toute activité promotionnelle et ne pas accepter de nouveaux clients avant d'être enregistrés ".
Les sociétés requérantes ont saisi le Conseil d’État d'une demande d'annulation de ce communiqué pour illégalité et soulevé une QPC dirigée contre l'art. 8 de l'ordonnance du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période, dans la version qui lui a été donnée par l'ordonnance du 15 avril 2020.
Les recours sont rejetés.
Au soutien de leurs identiques questions prioritaires de constitutionnalité les requérantes faisaient valoir que les dispositions de cet art. 8 méconnaissent les articles 1er et 6 de la Déclaration de 1789 et l'article 34 de la Constitution, en tant qu'elles ne concernent pas les délais prescrits directement par la loi, comme la période transitoire prévue par le X de l'article 86 de la loi du 22 mai 2019 précitée pour l'enregistrement des prestataires de services sur actifs numériques déjà en activité. L'argument est rejeté en tant que par là ne sont suspendus que les délais de nature réglementaire non ceux de nature législative, ils ne relèvent donc pas d'une QPC.
Par ailleurs, le juge voit dans le communiqué contesté des orientations générales qu'il entre pleinement dans les attributions de l'AMF et de l'ACPR d'édicter en vertu des larges pouvoirs dont elles sont dotées par le législateur. L'incompétence alléguée est ainsi rejetée tout comme l'interprétation des douze mois de suspension comme s'appliquant au délai de dépôt du dossier et non à celui dans lequel les entités concernées doivent être enregistrées alors que c'est l'inverse...
(2 avril 2021, Société Blockchain Process Security, n° 448415 ; Société Digital Broker, n° 448416 ; Société Kamix, n° 448418, jonction)
88 - Fixation de seuils d'interdiction des paiements en espèces - Conformité de la loi française au Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) - Décret attaqué se bornant à reproduire la prohibition légale - Objectif légitime de lutte contre le blanchiment d'argent - Absence de discrimination en fonction du pays de résidence fiscale - Rejet.
Les organisations requérantes demandaient l'annulation du refus implicite du premier ministre, d'une part, de faire droit à leur demande tendant à l'abrogation de divers décrets fixant des seuils d'interdiction pour les paiements en espèces et, d'autre part, à titre subsidiaire, de rehausser ces seuils. Elles proposaient que ces seuils soient portés à quinze mille euros.
Pour rejeter ces requêtes, le juge retient qu'en réalité ce ne sont pas les décrets attaqués qui ont institué cette interdiction mais l'art. L. 112-6 du code monétaire dont les requérantes ne prétendent pas qu'il méconnaît la libre circulation des moyens de paiement ou le principe de non-discrimination énoncés et garantis par le TFUE (art. 63 et 18). Ensuite, il relève l’objectif légitime poursuivi par cette prohibition à savoir la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. L'argument est très discutable puisque, pour l'essentiel, il est un moyen de lutter contre la fraude fiscale qui n'est ni un blanchiment ni une entreprise terroriste, signant ainsi un superbe détournement.
Enfin, contrairement à ce qui est allégué, le mécanisme en cause n'impose pas de règles plus contraignantes aux paiements effectués par des débiteurs n'ayant pas leur domicile fiscal sur le territoire de la République française que par ceux qui ont leur domicile fiscal en France.
(15 avril 2021, Fédération de l'horlogerie et autres, n° 429624)
89 - Bouteilles de vin - Étiquetage - Notion d'exploitation viticole - Non reprise par l'entité nouvelle des bâtiments et équipements des anciennes exploitations - Circonstance indifférente au droit de perpétuer les noms antérieurs des vins produits - Annulation.
La société requérante demande l'annulation de la décision du directeur régional de la concurrence lui enjoignant de mettre l'étiquetage de ses bouteilles de vin en conformité avec le code de la consommation. Si le tribunal administratif a annulé cette décision, la cour a, après annulation du jugement, rejeté la demande de la requérante.
Sur pourvoi de cette dernière, le Conseil d’État annule l'arrêt. Il reproche à la cour d'avoir commis une erreur de droit pour avoir jugé, confirmant la décision du directeur régional de la concurrence, que la demanderesse ne pouvait pas continuer à utiliser les noms antérieurs des vins car celle-ci avait repris à bail l'ancienne exploitation et qu'ainsi il n'y avait pas eu transfert de bâtiments d'équipements des exploitations précédentes. Ceci ne constituant pas une "reprise d'exploitation" au sens et pour l'application de l'art. 8 du décret du 4 mai 2012 relatif à l'étiquetage et à la traçabilité des produits vitivinicoles et à certaines pratiques oenologiques. Cassant cet arrêt, le Conseil d’État juge : " pour que soit caractérisée une réunion d'exploitations, permettant à la nouvelle entité de continuer à utiliser les noms des anciennes exploitations, dès lors que ces noms étaient utilisés antérieurement pour la commercialisation de tout ou partie de la production de chacune de ces anciennes exploitations, d'une part, ces anciennes exploitations doivent encore remplir, à la date de la réunion, les conditions posées à l'article 6 (du décret du 4 mai 2012 : parcelles viticoles, bâtiments et équipements,cuverie particulière ou identifiée, etc.), d'autre part, la nouvelle entité doit elle-même remplir ces conditions, reprendre l'ensemble de l'activité viticole des anciennes exploitations et de leurs parcelles demeurant affectées à cette activité, et continuer à assurer une vinification séparée du raisin par nom d'exploitation, ce qu'elle peut cependant faire, aux termes mêmes de l'article 8 (du décrret précité), soit dans les bâtiments de chacune des exploitations regroupées, soit dans les bâtiments de l'une d'elles, soit dans les bâtiments de la nouvelle exploitation. Il en découle qu'une telle réunion d'exploitations n'exige pas nécessairement la reprise, par l'entité nouvelle, des bâtiments et équipements des anciennes exploitations ".
(16 avril 2021, Société civile d'exploitation agricole (SCEA) Château Reillanne, n° 434131)
Droit social et action sociale
90 - Contrat de travail à durée déterminée (CDD) - Non-renouvellement - Condition de qualification comme perte involontaire d'emploi - Cas de l'agente invoquant un motif légitime de refus de renouvellement - Droit à l'allocation d'aide au retour à l'emploi - Refus - Erreur de droit - Cassation sans renvoi.
Une agente hospitalière titulaire d'un CDD indique à son employeur son intention de ne pas solliciter le renouvellement de son contrat parvenu à son terme et lui demande l'octroi de l'allocation d'aide au retour à l'emploi, ce qui est refusé au motif que, par son refus de solliciter un renouvellement, elle ne peut pas être considérée comme "involontairement privée d'emploi". Son recours contre ce refus ayant été rejeté par le tribunal administratif, elle se pourvoit en Conseil d’État.
Relevant que le décret n° 2020-741 du 16 juin 2020 fait exception au caractère volontaire de la privation d'emploi lorsque le motif du refus de renouvellement du contrat de travail est "légitime", le juge de cassation considère comme tel, en l'espèce, le refus tiré de la la nécessité pour l'intéressée d'assurer seule, en raison de la séparation récente d'avec son conjoint, la garde de ses deux jeunes enfants, dont un n'était pas scolarisé, et de son emménagement dans un nouveau domicile distant d'une vingtaine de kilomètres de son lieu de travail. En refusant d'apercevoir ce caractère légitime du refus les premiers juges ont inexactement qualifié les faits.
La solution retenue par le Conseil d’État doit être totalement approuvée.
(2 avril 2021, Mme B., n° 428312)
91 - Détenus - Rémunération versée à des détenus - Assujettissement des salaires ainsi perçus à la CSG et à la CRDS - Annulation de l'ordonnance ayant jugé le contraire.
Commet une erreur de droit le juge des référés qui calcule le montant de la rémunération nette due à un détenu exerçant la fonction de peintre sans en retirer le montant de la contribution sociale généralisée et celui de la contribution au remboursement de la dette sociale auquel il est soumis comme tout salarié.
(2 avril 2021, M. A., n° 441753)
92 - Cotisations perçues par une union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) - Question préjudicielle sur renvoi de l'autorité judiciaire - Régime de la prescription pendant la période contradictoire - Conditions d'interruption du cours de la prescription - Illégalité - Conditions de suspension du cours de la prescription - Illégalité.
Dans le cadre d'un litige opposant le Commissariat requérant à une URSSAF à propos du régime de la période contradictoire préalable à l'envoi de toute mise en demeure ou avertissement, le tribunal judiciaire saisi du litige a adressé une question préjudicielle au juge administratif portant sur les dispositions du IV de l'art. R. 243-59 du code de la sécurité sociale permettant, à l'administration, en matière de travail dissimulé, de suspendre indéfiniment la prescription de l'obligation de régler des cotisations sociales et en ce que le délai de suspension de la prescription qu'il prévoit s'achève par une mise en demeure qui est une cause d'interruption de la prescription.
Le Conseil d’État affirme la double illégalité des dispositions litigieuses.
D'une part, les dispositions de l'art. R. 243-59 de ce code sont illégales en ce qu'elles ont pour effet que le cours du délai de prescription, suspendu pendant la période contradictoire (cf. art. L. 244-3, al. 2 du code de la séc. soc.), ne peut reprendre à l'issue de cette période, l'acte qui clôt la période contradictoire ayant pour effet d'interrompre ce délai.
D'autre part, les dispositions de l'art. R. 243-59 sont encore illégales du fait que si elles " enserrent dans un délai de trente jours la réponse de la personne poursuivie à la lettre d'observations qui lui est communiquée à l'issue du contrôle et dont la réception ouvre la période contradictoire, elles ne soumettent à aucun délai l'envoi de la mise en demeure ou de l'avertissement. Il en résulte que les dispositions de l'alinéa contesté ont pour effet de permettre aux organismes chargés du recouvrement des cotisations sociales de prolonger, sans limitation de durée, la suspension de la prescription des cotisations et contributions sociales attachée au déroulement de la période contradictoire, aussi longtemps qu'une mise en demeure ou un avertissement n'est pas adressé à la personne contrôlée".
Il appartient au juge judiciaire de résoudre le litige sur cette base.
(2 avril 2021, Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives, n° 44731)
93 - Organisations syndicales représentatives dans une convention collective (édition phonographique) - Détermination du poids de chaque organisation - Centralisation des procès-verbaux d'élections - Obligation du ministre en présence d'erreurs - Contentieux des élections professionnelles des entreprises privées - Incidence sur le juge de l'excès de pouvoir - Rejets du recours et annulation de l'arrêt.
La requérante contestait la juridicité de l'arrêté du 21 juillet 2017 par lequel la ministre du travail a fixé la liste des organisations syndicales représentatives dans la convention collective nationale relative à l'édition phonographique. Si elle rejette au fond la requête, la décision est surtout importante sur deux points.
En premier lieu, l'arrêt d'appel est annulé pour avoir jugé - au prix d'une erreur de droit - que la fédération requérante ne pouvait utilement faire valoir, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté de la ministre du travail fixant la liste des organisations syndicales représentatives dans le champ de la convention nationale de l'édition phonographique, que la ministre du travail n'aurait pas dû prendre en compte, pour l'élaboration de cet arrêté, les suffrages émis lors des élections professionnelles organisées au sein de la société Harmonia Mundi, dès lors que la mention figurant sur le procès-verbal transmis par cette entreprise quant à sa branche professionnelle de rattachement était erronée, au motif que le contentieux des élections professionnelles relève de la seule compétence du juge judiciaire.
En second lieu, est indiqué avec précision les importantes exigences que doit respecter le ministre du travail lorsqu'il apprécie l'audience des organisations syndicales par branche professionnelle. Cette dernière est mesurée en se fondant sur les suffrages exprimés à l'occasion des élections professionnelles grâce à un système de centralisation des résultats par collationnement des procès-verbaux de ces élections, lesquels sont transmis par les employeurs ou leurs représentants au prestataire agissant pour le compte du ministre chargé du travail. Il incombe donc au ministre chargé du travail d'assurer cette centralisation et, le cas échéant, pour assurer la fiabilité des données requise pour l'établissement des mesures d'audience, d'une part, d'écarter les procès-verbaux dont les données ne sont pas exploitables en raison des anomalies qu'ils comportent et, d'autre part, de veiller, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, à ce que les traitements opérés à ce titre ne remettent pas en cause, eu égard notamment au nombre des procès-verbaux concernés, l'exhaustivité nécessaire à l'établissement de ces mêmes mesures d'audience.
(16 avril 2021, Fédération Communication Conseil Culture (F3C) CFDT, n° 425524)
(94) V. aussi, jugeant, comme en appel, qu'en présence de procès-verbaux d'opérations électorales mentionnant des identifiants de convention collective qui n'existent pas, la ministre du travail ne pouvait légalement y substituer un autre numéro d'identifiant de convention collective sans recueillir au préalable l'accord exprès de l'entreprise concernée : 16 avril 2021, Syndicat national des techniciens et travailleurs de la production cinématographique et de télévision (SNTPCT), n° 434611.
95 - Plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) - Homologation du document unilatéral fixant le contenu du PSE - Recours du comité d'entreprise à un expert - Pleine et complète information du comité - Réunions nécessaires du comité - Annulation.
Cette décision est importante, d'abord en ce qu'elle reconnaît la nécessité absolue d'information complète du comité d'entreprise, dans certaines entreprises, lorsqu'il a décidé de faire appel à un expert dans le cadre d'un projet de licenciement, ensuite en ce qu'il précise de façon détaillée la portée de cette exigence. On lit ci-après combien est étendu la charge dévolue de ce chef à l'administration du travail.
Lorsque le comité d'entreprise a décidé de recourir à l'assistance d'un expert en application des dispositions de l'art. L. 1233-34 du code du travail, l'administration doit s'assurer que l'expert a pu exercer sa mission dans des conditions permettant au comité d'entreprise de disposer de tous les éléments utiles pour formuler ses deux avis en toute connaissance de cause.
En particulier, même si, en cas de redressement et de liquidation judiciaires, une seule réunion du comité d'entreprise est en principe prévue par l'article L. 1233-58 c. trav., " le recours à un expert, destiné à éclairer le comité d'entreprise, justifie qu'il soit réuni une seconde fois afin de ne pas priver d'effet le recours à l'expertise. Il appartient alors à l'administration de s'assurer que les deux avis du comité d'entreprise ont été recueillis après que ce dernier a été mis à même de prendre connaissance des analyses de l'expert ou, à défaut de remise du rapport de l'expert, à une date à laquelle, eu égard notamment aux délais propres à la procédure ouverte par le tribunal de commerce et aux diligences de l'employeur, l'expert a disposé d'un délai suffisant pour réaliser sa mission dans des conditions permettant au comité d'entreprise de formuler ses avis en connaissance de cause ".
(16 avril 2021, Confédération générale du travail de la Guadeloupe (CGTG) et le comité d'entreprise de la société Bois Debout, n° 426287)
96 - Salarié membre du conseil d'administration d'une caisse de sécurité sociale - Licenciement - Application du régime des salariés protégés jusqu'à l'expiration du sixième mois après la cessation des fonctions - Rejet.
C'est sans erreur de droit que le juge d'appel estime que la salariée exerçant le mandat de membre du conseil ou d'administrateur bénéficie, en cas de licenciement, de la protection spéciale, identique à celle d'un salarié protégé, jusqu'au terme du sixième mois suivant la cessation e ses fonctions d'administrateur et qu'en l'espèce ce délai étant expiré l'intéressée ne disposait plus du régime spécial de protection.
(16 avril 2021, Mme B., n° 430565)
97 - Salarié - Licenciement pour inaptitude physique - Obligation s'imposant à l'employeur en vue du reclassement de l'intéressé - Appréciation du caractère sérieux de la recherche de reclassement de l'employeur - Recueil des préconisations du médecin de travail - Annulation.
Commet une erreur de droit la juridiction qui, appréciant le sérieux de l'association requérante dans sa recherche d'un emploi de reclassement d'une salariée déclarée inapte physiquement à l'exercice de l'emploi qu'elle occupe, refuse de tenir compte dans l'appréciation de cette recherche de la mise en oeuvre par l'employeur des préconisations du médecin du travail à cet effet.
(16 avril 2021, Association pour l'accompagnement et le maintien à domicile, n° 433905)
98 - Organisations d'employeurs - Détermination de leur représentativité - Organisation n'intervenant que partiellement dans le secteur couvert par une convention collective donnée - Contrôle du juge de cassation - Rejet.
Le litige portait sur la représentativité en qualité d'organisation professionnelle d'employeurs dans la convention collective des entreprises du paysage. Réglant ce dossier le Conseil d’État, apporte d'importantes précisions.
En premier lieu, la circonstance qu'une organisation prétendant à la reconnaissance de sa représentativité n'exerce pas toute son activité dans le secteur couvert par la convention collective en cause est indifférente.
En deuxième lieu, le juge de cassation exerce un contrôle de la qualification juridique des faits en matière de satisfaction, par une organisation, des critères de représentativité fixés au I de l'article L. 2151-1 du code du travail.
Enfin, ce dernier contrôle porte distinctement sur chacun des critères de représentativité qui y sont énumérés.
En l'espèce, la cour administrative d'appel n'a pas inexactement qualifié les faits, ce qui conduit au rejet du pourvoi.
(16 avril 2021, Union nationale des entreprises du paysage (UNEP), n° 434192)
99 - Licenciement - Autorisation de licenciement donnée puis retirée et enfin reprise à l'identique par l'inspecteur du travail - Recours hiérarchique au ministre - Obligation de confirmer ou, en cas d'annulation, de se prononcer lui-même sur la demande de licenciement - Erreur de droit à exiger que le ministre se prononce aussi sur la première décision d'autorisation donnée par l'inspecteur du travail - Annulation avec renvoi.
Commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui, saisie d'un recours contre la décision du ministre du travail statuant sur un recours hiérarchique dirigé contre la décision d'un inspecteur du travail autorisant un licenciement après qu'il a retiré une précédente autorisation de ce même licenciement, lui impose, après avoir estimé illégale cette autorisation, d'examiner ensuite la légalité de l'autorisation précédente. En effet, il appartenait seulement au ministre de décider lui-même directement sur le licenciement.
(16 avril 2021, APF France Handicap, n° 438869)
Élections
Comme dans la Chronique précédente, le contentieux électoral né des élections municipales et des élections communautaires de mars et de juin 2020, est encore très fourni et, par delà certaines constantes, s'observe une relative diversité des griefs ainsi que, parfois, des différences notables entre les solutions retenues par les tribunaux administratifs et celles adoptées par le Conseil d’État statuant comme juge d'appel.
100 - Élections municipales - Distribution d'un tract diffamatoire après clôture de la campagne électorale - Attroupement au sujet de ce tract à proximité de l'unique bureau de vote de la commune - Faible écart des voix - Pression sur les électeurs - Confirmation de l'annulation des opérations électorales (du premier et, par voie de conséquence, du second tour de scrutin).
Le Conseil d'État confirme l'annulation prononcée par les premiers juges du premier tour de scrutin et, par voie de conséquence, du second tour, d'élections municipales en raison : 1°/ de la diffusion d'un tract diffamatoire contre le maire sortant et plusieurs de ses colistiers alors que la campagne électorale était close ; 2°/ de la lecture de ce tract dans l'unique bureau de vote de la commune ; 3°/ de l'organisation d'une discussion à proximité du bureau de vote ayant pour objet le contenu du tract ; 4°/ Enfin, et peut-être surtout, du faible écart de voix séparant les listes en présence.
(2 avril 2021, M. A., Élections municipales de Béchy, n° 445626)
101 - Élections municipales et communautaires - Éligibilité - Électeur inscrit sur une liste électorale - Incompétence du juge de l'élection pour apprécier la légalité d'une telle inscription - Détention de la qualité de contribuable communal - Rejet.
Rappel de ce que le juge de l'élection n'a pas compétence pour apprécier si un électeur inscrit sur la liste électorale d'une commune satisfait bien aux conditions légales requises pour y figurer. Il lui appartient seulement de juger si des manoeuvres ont caractérisé l'établissement de la liste, altérant ainsi la sincérité du scrutin.
En l'espèce, d'une part, positivement, le candidat dont l'éligibilité était contestée figurait bien sur la liste électorale et avait bien la qualité de contribuable local ainsi qu'attesté par le service fiscal et, d'autre part, négativement, cette inscription ne procédait d'aucune manoeuvre.
La protestation est évidemment rejetée.
(2 avril 2021, M. A., Él. mun. et cnautaires de la commune de Vauchelles, n° 445668)
(102) V., confirmant cette solution : 16 avril 2021, M. K. et autres, Élections municipales de Planay, n° 445696 ou encore, s'agissant de radiations et/ou d'inscriptions de Français ou d'étrangers sur la liste électorale : 16 avril 2021, M. AC. et autres, Élections municipales du Rayol-Canadel-sur-Mer, n° 445492
103 - Élections municipales - Procurations - Conditions de légalité - Irrégularités diverses - Annulation des procurations litigieuses - Égalité de voix entre les listes - Mise à l'écart de la règle de séniorité moyenne de la liste - Confirmation de l'annulation totale de l'élection en première instance - Rejet.
Le litige portait essentiellement sur le caractère discuté de plusieurs procurations dont l'annulation et leur retranchement hypothétique du nombre des voix obtenues par les listes en présence avait abouti à une égalité entre elles et à un jugement d'annulation.
Le Conseil d'État confirme entièrement le jugement qu'il s'agisse de l'annulation des procurations irrégulières ou des conséquences à en tirer sur le scrutin du fait de l'arithmétique résultant de cette annulation.
La narration par le juge des irrégularités en cause est assez savoureuse : " Il résulte de l'instruction et des énonciations du jugement du tribunal administratif, suffisamment motivé sur ce point, que parmi les six volets de procuration adressés à la mairie sans signature lisible, deux sont dépourvus de toute signature, la procuration de Mme K. est revêtue d'un paraphe qui n'est pas identifiable et celles de Mme D. B., de Mme O. et de M. L. sont signées d'une croix, sans qu'aucune d'entre elles ne comporte de mention par laquelle l'autorité devant laquelle elles ont été dressées attesterait de l'impossibilité de signer des mandants, ce à quoi ne peuvent, en tout état de cause, se substituer les certificats médicaux produits devant le juge de l'élection. Par ailleurs, la procuration de Mme M. ne comporte pas le cachet ni la qualité de l'autorité qui l'a délivrée, celles de M. J. et de M. N. ne mentionnent pas l'identité ni la qualité de cette autorité et celle de M. A. I. ne comporte pas la signature de cette autorité. La circonstance que les mentions manquantes pourraient se déduire de celles qui figurent, pour d'autres mandats, dans le registre des procurations, ne suffit en tout état de cause pas à permettre d'identifier avec certitude l'autorité ayant délivré ces procurations ".
L'annulation n'était guère imprévisible...
Comme, par suite de ces annulations, les deux listes se trouvaient hypothétiquement à égalité, on pouvait se demander si ne devait pas être appliqué en l'espèce la règle de séniorité moyenne de la liste posée à l'art. L. 262 du code électoral, selon laquelle : " (...) Si aucune liste n'a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés au premier tour, il est procédé à un deuxième tour. Il est attribué à la liste qui a obtenu le plus de voix un nombre de sièges égal à la moitié du nombre des sièges à pourvoir, arrondi à l'entier supérieur (...).
En cas d'égalité de suffrages entre les listes arrivées en tête, ces sièges sont attribués à la liste dont les candidats ont la moyenne d'âge la plus élevée".
C'est donc volontairement, eu égard aux circonstances de l'espèce, que le juge a refusé de faire application de ces dispositions.
(2 avril 2021, M. H., Élections municipales d'Uturoa, île de Raiatea, n° 445989)
104 - Élections municipales dans les communes de 1000 habitants et plus - Scrutin de liste - Bulletins nuls - Notion - Bulletins comportant des ou une erreur(s) matérielle(s) - Absence de manoeuvre - Bulletins valides - Conséquences sur le résultat du scrutin - Rejet.
Des bulletins de vote d'une liste comportaient une inversion de l'ordre de présentation des candidats par rapport à la liste officielle déposée ; ils ont été déclarés nuls mais le tribunal adminustratif les a réintégrés comme valides et a, en conséquence, annulé l'élection de certains candidats de l'autre liste qui avaient été proclamés élus et, par suite, il a déclaré élus certains candidats non proclamés.
Saisi d'un appel contre ce jugement le Conseil d’État le confirme en tout point, rappelant avec beaucoup d'intelligence politique que dès lors qu'une irrégularité entachant des bulletins imprimés, d'une part, n'a pas résulté d'une manoeuvre et d'autre part, n'a pu tromper les électeurs sur la liste pour laquelle ils étaient appelés à se proncer, ne leur retire pas leur validité.
En l'espèce, la réintégration des bulletins litigieux se traduit par l'annulation de l'élection de quatre personnes d'une liste et l'élection de quatre autres de l'autre liste.
(7 avril 2021, M. F., n° 445436)
105 - Élections municipales et communautaires - Actes de propagande après clôture de la campagne électorale - Imputations diffamatoires à laquelle il n'a pu être répondu en temps utile - Importance de l'écart de voix - Éligibilité d'un candidat - Annulation et rejet.
Le tribunal administratif avait annulé les opérations électorales dans une commune au motif que des actes de propagande mettant gravement en cause la probité d'une candidate tête de liste étaient intervenus après la clôture du scrutin et sans qu'il puisse y être répondu dans un délai raisonnable. Le Conseil d’État annule le jugement en raison du grand écart de voix séparant les listes, l'une ayant obtenu 53,26% et l'autre 46,74% des voix. On peut ne pas être d'accord avec cette solution alors que le nombre total de suffrages exprimés était de 873 et l'écart de 6,52% soit d'un peu moins de 60 électeurs.
Ensuite, saisi par l'effet dévolutif de l'appel, il examine un grief non examiné en première instance par suite de l'annulation prononcée, celui tiré de l'inéligibilité d'un candidat. Ce grief est rejeté car bien qu'exerçant les fonctions de directeur-adjoint et de chef de cabinet du président du conseil départemental de la Moselle, le candidat concerné ne disposait pas d'une délégation de signature, celle dont il avait été titulaire lui ayant été retirée plus de six mois avant la date de l'élection dans le respect des dispositions du 8° de l'art. L. 231 du code électoral.
(7 avril 2021, M. N. et autres, Él. mun. et cnautaires de la commune de Lorry-lès-Metz, n° 446448)
(106) V. aussi, voisine, la décision qui rejette divers griefs en matière de propagande électorale (un affichage sauvage injurieux effectué après clôture de la campagne électorale mais qui n'a duré que quelques heures; distribution tardive de tracts ne comportant ni éléments nouveaux de polémique électorale, ni imputations injurieuses ou diffamatoires; message appelant à voter pour une liste diffusé sur le site Facebook la veille du scrutin; appel à voter pour une liste lancé par le président d'une association syndicale de propriétaire avant le début de la campagne, etc., pour refuser d'annuler le résultat du scrutin : 8 avril 2021, M. D., Él. mun. et cnautaires de la commune d'Amélie-les-Bains-Palalda, n° 446413.
107 - Élections municipales - Propagande électorale durant la campagne électorale - Éléments nouveaux de polémique électorale - Absence de caractère injurieux ou diffamatoire ou de dépassement des limites de la polémique - Rejet.
Rejet de l'appel dirigé contre un jugement refusant d'annuler des opérations électorales après avoir constaté, d'une part que la diffusion critiquée de tracts avait eu lieu pendant la période normale de déroulement de la campagne, et d'autre part, qu'il avait pu être répondu en temps utile à un tract diffusé trois jours avant le scrutin et ne comportant aucun caractère injurieux ou diffamatoire.
(12 avril 2021, M. D., Élections municipales de Néris-les-Bains, n° 445042)
108 - Élections municipales et communautaires - Diffusion d'un tract comportant les logos d'associations - Risque de confusion chez les électeurs - Faible écart des voix - Annulation confirmée - Rejet.
Compte-tenu de la circonstance qu'un tract de la liste conduite par la maire sortante a été diffusé auprès des électeurs avec mention de 36 logos d'associations pouvant donner à accroire qu'elles soutenaient cette liste et du faible écart des voix, c'est à bon droit que les opérations électorales ont été annulées par le tribunal administratif.
(12 avril 2021, Mme E. et autres, Él. mun. et cnautaires de la commune de Notre-Dame-de-Bondeville, n° 445515)
109 - Élections municipales - Entrepreneuse de services municipaux - Candidate inéligible - Circonstance de nature à altérer le scrutin - Annulation du scrutin ainsi que du jugement contraire.
Le protestataire demandait l'annulation du jugement par lequel le tribunal a rejeté sa demande d'annulation du premier tour de scrutin. Débouté, il saisit le Conseil d’État par voie d'appel et soulève pour la première fois le moyen tiré de l'inéligibilité d'une candidate élue, Mme J., en raison de sa qualité d'entrepreneuse des services municipaux.
S'agissant d'un moyen d'ordre public, il pouvait être soulevé pour la première fois en cause d'appel.
Examinant les faits, le juge relève que la commune confie à une société, d'une part, tous les ans, pour un montant de plus de 10 000 euros, le fauchage des bas-côtés de la voirie dont la commune a conservé l'entretien et, d'autre part, de manière régulière, des travaux divers comportant notamment le curage des fossés ou la remise en état de chemins vicinaux, ces travaux s'étant, au demeurant, poursuivis selon les mêmes modalités après l'élection.
Il constate ensuite que cette société est une Sarl dont les parts sociales sont détenues par M. et Mme J. et dont Mme J. est la gérante depuis le 31 décembre 2018.
Il en déduit très logiquement que compte-tenu, à la fois, du rôle prépondérant joué par Mme J. au sein de la Sarl ainsi que du caractère régulier des travaux et de leur importance pour la commune, il s'est établi des liens d'intérêt suffisants entre la commune et Mme J. pour faire regarder cette dernière comme un entrepreneur de services municipaux au sens de l'article L. 231-6 du code électoral.
En outre, l'existence d'un très faible écart des voix entre les listes conduit à annuler les opérations électorales et donc à annuler également le jugement déféré en ce qui a refusé cette annulation.
(12 avril 2021, M. H., Élections muninicipales de Lamothe-Landerron, n° 445529)
110 - Élections municipales et communautaires - Rectification des résultats par les premiers juges - Bulletins nuls (art. L. 66 et R. 66-2 c. élect.) - Bulletins ne comportant pas le nom d'une candidate - Bulletins déclarés nuls et devant être réintégrés - Erreur sur le nombre de bulletins réintégrés - Annulation partielle du jugement et rejet du surplus.
Des bulletins d'une liste ne comportaient pas le nom d'une candidate dument enregistrée et qui devait figurer dans la colonne des candidats au conseil communautaire. Confirmant les premiers juges, le Conseil d’État rejette la demande de déclarer nuls ces bulletins car, en l'absence de manoeuvre, ces bulletins comportaient une désignation suffisante de la liste. C'est à bon droit qu'ils ont été réintégrés.
Toutefois, le tribunal s'est trompé car il a réintégré 147 bulletins au lieu de 137. Il convient donc de rectifier les résultats tels qu'arrêtés par lui, d'où les opérations effectuées par le juge d'appel tant pour la première distrbution des sièges que pour l'application de la règle de la proportionnelle à la plus forte moyenne pour les sièges encore non attribués.
(12 avril 2021, M. K., Él. mun. et cnautaires de la commune de Fursac, n° 445572)
111 - Élections municipales et communautaires - Absence de mention des procurations sur la liste des émargements - Moyen opérant même en l'absence de fraude ou de manoeuvre - Omission en nombre supérieur à celui de l'écart des voix - Annulation du scrutin et de l'ordonnance contraire.
Doit être annulée l'ordonnance qui déclare inopérant le moyen tiré de l'absence de mention des procurations sur la liste d’émargement en l'absence de fraude ou de manoeuvre.
Par ailleurs, le nombre de mentions omises étant de 28, le dernier candidat élu ayant recueilli 240 voix et les autres candidats non élus ayant obtenu entre 239 et 214 voix, soit entre 1 et 26 voix par rapport à ce dernier, il s'ensuit que le second tour de scrutin, seul concerné, doit être annulé.
(14 avril 2021, Mme AA., Él. mun. et cnautaires de la commune de Soubès, n° 442859)
112 - Élections municipales - Utilisation de l'emblème national - Diffusion d'un tract comportant une photo de tous les candidats d'une liste surmontée de deux drapeaux français ornant la façade de la mairie - Faible écart des voix - Annulation du scrutin et du jugement attaqué.
Doit être annulé le jugement qui rejette la protestation dirigée contre l'irrégularité qui a consisté pour une liste, en violation des dispositions de l'art. R. 27 du code électoral, à apposer sur l'un de ses tracts une photo de l'ensemble de ses candidats surmontés des deux drapeaux tricolores se trouvant en façade de la mairie, alors qu'un faible écart des voix séparait le dernier élu du premier non élu.
(14 avril 2021, M. O., Élections municipales de Boissy-le-Repos, n° 446633)
113 - Élections municipales et communautaires - Réalisation et présentation d'une vidéo exposant un projet d'ensemble immobilier - Absence de caractère d'acte de promotion d'activités de la commune - Autres griefs - Rejet - Annulation du jugement d'annulation.
Des élections ont été annulées dans une commune au motif de la réalisation et de la diffusion sur Youtube d'une vidéo d'une durée de deux minutes et dix secondes exposant un projet de construction d'un ensemble immobilier comprenant des logements et des commerces, destiné à remplacer un entrepôt à l'abandon sur le territoire de la commune. Le tribunal y avait vu à la fois une campagne de promotion publicitaire des actions de la municipalité et un don prohibés respectivement par les art. L. 52-1 et L. 52-8 du code électoral. Le Conseil d’État annule ce jugement en relevant que la réalisation de ce document a été faite par des promoteurs immobiliers du projet sur commande non de la commune mais de la communauté urbaine à laquelle elle appartient, qu'elle ne comportait ni texte ni commentaire ni référence à une liste déterminée ou aux thèmes de la campagne de celle-ci, qu'elle ne constituait ni un acte de promotion prohibé ni un don.
Les autres griefs sont également rejetés : la vidéo diffusée lors de la présentation des voeux, récapitulant les moments marquants de l'année, n'était pas un acte de promotion tout comme l'inauguration de la médiathèque le 29 février 2020 alors que la réception des travaux était intervenue huit jours plus tôt ou encore la remise de médailles à un club sportif local.
Pas davantage ne constituaient des éléments de polémique électorale nouveaux la diffusion par le maire sortant, le13 mars 2020, d'un communiqué comportant sa photographie ceint de son écharpe tricolore, exposant les mesures prises par la commune pour faire face à la crise sanitaire, notamment la fermeture des établissements d'enseignement et des clubs sportifs, et précisant les mesures sanitaires prises en vue d'assurer le bon déroulement du scrutin, toutes annonces, qui faisaient suite à celles du président de la République intervenues la veille, ou encore la diffusion, le même jour, d'un tract d'ailleurs en réponse à un précédent distribué la veille. Enfin, aucun des griefs contestant le déroulement des opérations de vote n'est non plus retenu.
(16 avril 2021, M. B., Él. mun. et cnautaires de la commune de Magnanville, n° 445398)
114 - Élections municipales et communautaires - Élément nouveau de polémique électorale - Accusations graves portées dans un tract contre un candidat - Impossibilité d'y répondre en temps utile - Faible écart des voix - Confirmation du jugement annulant les élections.
Le vendredi 26 juin 2020 en fin de journée, M. D. a diffusé un tract, imprimé à 500 exemplaires, accusant M. C. d'avoir dérobé la nourriture et les boissons qui restaient du repas de Noël des aînés de décembre 2017, d'avoir utilisé ces denrées dans son restaurant le lendemain, et de n'avoir présenté ni excuses, ni regrets lorsqu'il a été invité à s'exprimer sur ces faits au cours d'une réunion du conseil municipal.
En dépit de ce que M. D. fait valoir que les allégations contenues dans ce tract étaient déjà de notoriété publique, il n'a pas fait l'objet, contrairement à ses dires, d'une diffusion limitée et ces accusations constituent un élément nouveau dans la campagne électorale.
Ainsi, la gravité de ces imputations, jointe à l'impossibilité d'y répondre utilement et au faible écart des voix a constitué en l'espèce une manoeuvre susceptible d'avoir altéré les résultats du scrutin et justifiant l'annulation prononcée en première instance.
(16 avril 2021, M. D., Él. mun. et cnautaires de la commune de Waldighoffen, n° 446485)
115 - Élections municipales - Bulletins déclarés à tort nuls - Absence de doute sur l'identité de la candidate - Rejet.
Le tribunal administratif ayant annulé, par suite d'une rectification du décompte des voix, l'élection de l'un des quinze conseillers municipaux élus à l'issue du premier tour de scrutin, il est fait appel au Conseil d’État pour annuler ce jugement.
Lors du dépouillement des votes, tous les bulletins attribuant des voix à Mme G. F. ont été considérés comme nuls, au seul motif que cette candidate se présentait, sur ces bulletins, sous le nom de F., son nom de femme mariée, alors qu'elle avait déclaré sa candidature en préfecture sous le nom de G. D., son nom de naissance. Le tribunal avait réintégré ces bulletins dans le décompte et rectifié en conséquence les résultats, Mme F. étant déclarée élue au lieu de M. B.
Le juge d'appel confirme ce jugement compte tenu de la petite taille de la commune, de ce que Mme F. avait déjà été élue, sous ce nom, conseillère municipale et que n'est relevée aucune manoeuvre de nature à induire les électeurs en erreur sur l'identité de la personne pour laquelle ils votaient.
(20 avril 2021, Mme H., Élections municipales de Boistrudan n° 442534)
116 - Élections municipales et communautaires - Candidat inéligible - Preuve de l'éligibilité - Absence - Annulation de l'élection du maire n'entraînant pas celle de ses adjoints - Rejet.
La protestataire demande l'annulation du jugement qui l'a déclarée inéligible et a, en conséquence, réformé les résultats du scrutin alors qu'elle avait été élue maire de la commune.
Lorsque, comme c'était le cas en l'espèce, une personne n'est ni électrice dans la commune ni inscrite au rôle des contributions directes de cette commune, elle n'y est pas éligible sauf à démontrer qu'elle remplissait à la date du 1er janvier de l'année de l'élection les conditions pour être inscrite sur le rôle des impôts. Le tribunal avait jugé cette preuve non rapportée et le Conseil d’État confirme cette solution. Des différents éléments fournis par l'intéressée, les uns sont sans date certaine, les autres sont postérieurs au 1er janvier, d'autres ne sont que des attestations établies sur la seule déclaration de la requérante.
Son inéligibilité, si elle entraîne la perte de ses mandats de conseiller municipal et de conseiller communautaire, n'entraîne pas, par voie de conséquence, l'annulation de l'élection des adjoints. Ici, aucun élément ne permet de dire cette élection irrégulière.
(22 avril 2021, Mme G., Él. mun. et cnautaires de la commune de Marvejols, n° 445591)
117 - Élections municipales - Rejet du déféré préfectoral - Protestation fondée sur divers arguments - Rejet.
Au premier tour d'une élection municipale sept candidats ont obtenu plus de 50% des voix et de 25% des suffrages exprimés. Par suite d'une omission six seulement sont proclamés élus, la septième sera élue au second tour.
Saisi d'un déféré préfectoral tendant à ce que la septième candidate soit proclamée élue dès le premier tour et de la protestation d'un candidat, le tribunal administratif les rejette tous les deux.
S'agissant de la protestation, il est jugé par le Conseil d’État qu'elle doit être rejetée car l'article de presse locale critiqué n'est pas une publication commerciale au sens de l'art. L. 52-1 du code électoral et le tract incriminé, qui n'excédait pas les limites de la polémique électorale et auquel il a pu être utilement répondu, n'a pas été de nature à altérer le scrutin.
(22 avril 2021, M. A, Élections municipales de Vézannes, n° 445595)
118 - Élections municipales et communautaires - Provenance de documents graphiques figurant sur un tract - Dons prohibés - Absence - Écart des voix important - Rejet.
Est rejetée la protestation tendant à l'annulation d'opérations électorales, d'abord, par le motif d'utilisation sur un tract électoral d'éléments graphiques appartenant à la commune, ensuite pour dons prohibés.
Sur le premier point, il n'est pas établi que les documents graphiques appartenaient à la commune. Sur le second point l'utilisation, dans un tract, d'images de lieux rénovés n'est pas de nature, à supposer qu'elle ait été discutable, à avoir altéré les résultats du scrutin notamment en raison du grand écart entre les nombres de suffrages respectivement recueillis par les listes en présence.
(22 avril 2021, M. C., Él. mun. et cnautaires de la commune de Plabennec, n° 445591)
119 - Élections municipales et communautaires - Publicité commerciale - Absence - Dons prohibés - Absence - Eléments non établis - Rejet.
C'est en vain que le requérant poursuit l'annulation du jugement qui a rejeté sa protestation : le grief de promotion publicitaire d'une liste est rejeté car il ne s'agit que d'un document de propagande électorale, la gratuité et la liberté d'accès et de photographier le hall dit "atrium", de l'hôtel de ville, ne permettent pas de soutenir que l'insertion de photos de ce lieu a constitué un avantage pour une liste ni que d'autres listes se sont vues refuser l'accès à cet atrium, enfin il n'est pas établi qu'une liste a bénéficié de la mise à sa disposition d'une salle municipale.
(22 avril 2021, M. B., Él. mun. et cnautaires de la commune de Genas, n° 445591)
120 - Élections municipales - Don de masques - Publication informative sur Facebook - Absence d'éléments nouveaux de polémique électorale et de manque de temps pour y répondre - Dysfonctionnements dans la distribution des bulletins de vote - Absence d'effet en l'état d'une nouvelle distribution - Rejet.
Aucun des griefs dirigés contre les opérations électorales tenues dans cette commune n'est retenu par le juge.
La distribution d'un nombre important de masques et le message accompagnant celle-ci n'ont pas constitué une opération de propagande, ce dernier était purement informatif et sans lien avec la campagne électorale.
L'information sur la réunion entre quelques personnes sur les modalités de réouverture d'équipements sportifs compatibles avec la situation sanitaire n'était point irrégulière et pas porté atteinte à la sincérité du scrutin.
Si des critiques ont été émises par une liste à l'encontre d'une autre, elles sont demeurées dans les limites de la polémique électorales dont elle ne constituait d'ailleurs pas un élément nouveau.
Enfin, les dysfonctionnements qui ont affecté l'envoi de bulletins sous enveloppe par la commission électorale ont été réparés en temps et en nombre utiles.
(22 avril 2021, M. A, Élections municipales de Villennes-sur-Seine, n° 445595)
121 - Élections municipales et communautaires - Élections tenues en période de crise sanitaire grave - Hausse du taux d'abstentions - Taux d'abstentions pas plus élevé que dans d'autres communes et par rapport à des élections antérieures de même nature dans cette commune - Rejet.
Est rejetée une protestation fondée, pour l'essentiel, sur un taux élevé d'abstentions du fait de l'épidémie qui aurait affecté la sincérité du scrutin d'autant que cette situation aurait dissuadé nombre de personnes âgées de se déplacer le jour de scrutin.
(22 avril 2021, M. C., Él. mun. et cnautaires de la commune de Poissy, n° 445591)
(122) V., très voisin et avec même rejet : 30 avril 2021, M. C., Él. mun. et cnautaires de la commune des Mées, n° 445588.
123 - Élections municipales - Éligibilité des conseillers municipaux - Inscription sur les listes électorales - Qualité de contribuable municipal - Inscription au rôle de l'une des contributions locales ou preuve qu'il devrait en être ainsi - Preuve non rapportée - Inéligibilité confirmée - Confirmation de l'annulation de l'élection - Rejet.
Le litige portait sur la question de savoir si un candidat à une élection municipale avait été déclaré, à tort ou à raison, inéligible. Les premiers juges avaient relevé son absence d'inscription sur les listes électorales, son absence du rôle de l'une des contributions locales et l'impossibilité pour lui d'établir qu'il devait être inscrit au rôle de l'une de ces contributions faute d'en rapporter la preuve.
La décision, qui confirme le jugement, recense tous les faits et moyens se voulant des preuves, apportés par le protestataire à l'appui de la revendication de la qualité de contribuable communal : aucun d'eux ne parvient à convaincre le juge d'appel.
Plus pittoresquement, est rejeté l'argument du protestataire selon lequel puisque désormais les listes de candidats doivent faire alterner un candidat de chaque sexe, il ne serait pas possible de ne contester que l'élection d'un seul candidat, un peu comme s'il existait des couples indivisibles de candidats... mais le législateur a seulement voulu alterner les sexes non les conjuguer automatiquement...
(22 avril 2021, M. E., Élections municipales de Lisses, n° 446026)
124 - Élections municipales - Second tour - Tract diffamatoire - Absence de réplique possible même en disposant de temps suffisant - Très faible écart de voix - Altération de la sincérité du scutin - Confirmation de l'annulation du second tour.
Est confirmé le jugement annulant le second tour de scrutin des élections municipales dans une commune de 349 électeurs au motif que la distribution d'un tract diffamatoire envers une tête de liste auquel il était impossible de répliquer en soi, même en disposant du temps nécessaire, a constitué une manoeuvre qui, jointe à l'écart d'une voix entre le dernier candidat élu et les deux premiers non élus, a altéré la sincérité du scrutin.
(22 avril 2021, Mme C., Élections municipales d'Eringhem, n° 446608)
125 - Élections municipales - Tracts distribués dans les boîtes à lettres sous enveloppes avec mention "Élections municipales" - Distribution l'avant-veille du scrutin - Absence d'éléments nouveaux de polémique électorale - Écart des voix important - Rejet.
Est rejetée la demande d'annulation d'élections municipales fondée sur ce que, l'avant-veille du scrutin, auraient été distribués des tracts contenus dans des enveloppes de papier kraft portant la mention "Élections municipales" car, d'une part, il n'y avait pas de risque de confusion entre ces enveloppes et le matériel électoral officiel, et d'autre part, les tracts ne comportaient pas d'élément(s) nouveau(x) de polémique électorale ; enfin, un important écart de voix séparait le dernier élu du premier non élu.
(23 avril 2021, M. E., Élections municipales de Saint-Cricq, n° 445549)
Environnement
126 - Projets, plans et programmes relevant de l'évaluation environnementale - Rubrique 44 a) du tableau annexé à l'article R. 122-2 du code de l'environnement - Rubrique 44 d) de l'annexe à ce même article - Annulation pour l'essentiel.
Concernant les griefs dirigés contre la rubrique 44 a) du tableau annexé à l'article R. 122-2 du code de l'environnement, le juge rejette l'argument selon lequel le régime des projets de " pistes permanentes de courses d'essai et de loisirs pour véhicules motorisés" ne satisfont pas aux objectifs de la directive du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement car ils font l'objet d'une évaluation environnementale au cas par cas. Pas davantage le régime des projets relatifs à l'ouverture de terrains pour la pratique de sports motorisés ne contrevient aux dispositions des art. L. 362-3 du code de l'environnement et R. 421-9 du code de l'urbanisme.
Concernant, en revanche, les griefs dirigés contre la rubrique 44 d) de l'annexe à l'article R. 122-2 du code de l'environnement, ils sont accueilis par le juge. D'une part, est annulé le 6° de l'article 1er du décret du 4 juin 2018 qui introduit au d) de la rubrique 44 du tableau annexé à l'article R. 122-2 du code de l'environnement les mots " susceptibles d'accueillir plus de 1 000 personnes " car eu égard notamment à leur localisation, ces projets peuvent avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine, et, d'autre part, est annulé le décret attaqué en tant qu'il exclut certains projets de toute évaluation environnementale sur le seul critère de leur dimension, sans comporter de dispositions permettant de soumettre à une évaluation environnementale des projets qui, en raison d'autres caractéristiques telles que leur localisation, sont susceptibles d'avoir une incidence notable sur l'environnement ou la santé humaine.
(14 avril 2021, Association France Nature Environnement (FNE), n° 425424)
127 - Projet d'aménagement ou de construction - Projet affectant la conservation d'espèces animales ou végétales protégées ainsi que leurs habitats - Autorisation dérogatoire - Motifs - Absence - Rejet.
Une association écologiste demandait l'annulation d'un arrêté préfectoral autorisant à perturber et détruire des spécimens d'espèces animales protégées ainsi que leurs habitats de reproduction dans le cadre de la réalisation de la centrale hydro-électrique d'Ambres-Fonteneau sur le territoire des communes d'Ambres et de Lavaur. Ce recours, rejeté en première instance, a été accueilli en appel.
Sur pourvoi de la ministre chargée de l'écologie, le Conseil d'État confirme l'arrêt d'appel.
Le juge rappelle la ligne jurisprudentielle d'interprétation des art. L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement qu'il a fixée. Elle tient en trois propositions.
1. En principe, un projet d'aménagement ou de construction susceptible d'affecter la conservation d'espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats ne peut pas être autorisé.
2. Par dérogation, une telle autorisation peut être donnée si le projet répond, par sa nature et compte tenu des intérêts économique et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur.
3. Lorsque cette condition est réalisée, l'autorisation de réaliser ce projet ne peut cependant être donnée, eu égard aux atteintes portées aux espèces protégées appréciées en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, que si, d'une part, il n'existe pas d'autre solution satisfaisante et, d'autre part, cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.
En l'espèce, la cour, dans son arrêt, a d'abord constaté que la production annuelle de la centrale hydro-électrique projetée était évaluée à 12 millions de kilowattheures, soit la consommation électrique d'environ 5 000 habitants, permettant d'éviter le rejet annuel dans l'atmosphère de l'ordre de 8 300 tonnes de gaz carbonique, 38 tonnes de dioxyde de souffre, 19 tonnes de dioxyde d'azote et de 1,2 tonnes de poussières. Elle a ensuite considéré qu'il n'était pas établi que ce projet de centrale hydroélectrique serait de nature à modifier sensiblement en faveur des énergies renouvelables l'équilibre entre les différentes sources d'énergie pour la région Occitanie et pour le territoire national et que le projet ne pouvait être regardé comme contribuant à la réalisation des engagements de l'État dans le développement des énergies renouvelables.
Le juge de cassation, relevant qu'il n'avait pas été établi devant la cour que le projet litigieux, quoique de petite taille, s'inscrivait dans un plan plus large de développement de l'énergie renouvelable et notamment de l'hydroélectricité à laquelle il apporterait une contribution utile bien que modeste, juge que c'est sans erreur de qualification des faits que la cour a considéré que le projet en cause ne répondait pas à une raison impérative d'intérêt public majeur (cf. art. L. 411-2 préc.).
(15 avril 2021, Ministre de la transition écologique et solidaire, n° 432158)
128 - Chasse - Missions de service public dévolues aux fédérations départementales de chasseurs - Distinction entre petit et grand gibier - Consultations préalables à l'élaboration d'un plan de chasse - Inexécution d'une injonction du Conseil d'État - Exception d'inconventionnalité - Renvoi à la Cour EDH.
La fédération requérante demandait l'annulation du décret du 23 décembre 2019 relatif aux missions de service public des fédérations départementales de chasseurs concernant les associations communales de chasse agréées et les plans de chasse individuels.
Après avoir rejeté les critiques dirigées contre la création de réserves de chasse en ce qu'elle ne distinguerait pas entre petit gibier et grand gibier, ainsi que celles relatives aux consultations préalables à l'élaboration d'un plan de chasse, le juge aborde la question principale, celle de la procédure de retrait de fonds des associations communales de chasse agréées.
Tout d'abord, à ce sujet, il est constaté que le Conseil d’État avait enjoint au premier ministre, dans un arrêt de Section du 5 octobre 2018 (voir cette Chronique, octobre 2018 n° 56), de modifier sous neuf mois les dispositions de l'article R. 422-53 du code de l'environnement, relatif aux modalités de retrait de terrains d'une association communale de chasse agréée, car elles étaient contraires à l'article L. 422-18 du même code en tant qu'elles excluaient toute possibilité pour des propriétaires de terrains ou pour les détenteurs de droit de chasse de se regrouper après la constitution d'une association communale de chasse agréée afin d'exiger le retrait du fonds constitué par leur regroupement du territoire de cette association. La circonstance qu'ait été pris, après expiration du délai imparti, le décret du 29 décembre 2019 qui ne modifie pas l'art. R. 422-53 litigieux doit être regardé comme un refus de le modifier et donc d'exécuter l'injonction, d'où l'annulation du décret du 29 décembre 2019 en tant qu'il ne comporte pas les modifications ordonnées.
Ensuite, saisi de l'exception d'inconventionnalité soulevée contre les dispositions de l'art. L. 422-18, le Conseil d’État - et c'est là l'aspect le plus important et le plus spectaculaire de cette décision - décide, pour la première fois, d'adresser une demande d'avis consultatif à la Cour EDH car il s'agit d'une question de principe susceptible d'intéresser plusieurs États européens en ce qu'ils ont, en la matière, une législation comparable à celle de la France.
Il renvoie donc la question de savoir selon quels critères doit être appréciée une différence de traitement établie par la loi (ici l'art. L. 422-18 précité en ce qu'il réserve aux seules associations de propriétaires ayant une existence reconnue à la date de création d'une association communale de chasse agréée le droit de s'en retirer, à condition de réunir des terrains représentant une certaine superficie, celles créées postérieurement se voyant refuser ce droit), au regard des interdictions posées par l'article 14 de la convention EDH lorsque cet article est invoqué en combinaison avec l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention protégeant le droit de propriété, afin d'apprécier en particulier si le motif d'intérêt général visant à une meilleure organisation de la chasse peut justifier de réserver la possibilité de retrait d'une association communale de chasse agréée, s'agissant des propriétaires ou détenteurs de droit de chasse qui atteignent le seuil de superficie exigée en se regroupant dans une association, aux seules associations existant à la date de création de cette association communale de chasse agréée.
(15 avril 2021, Fédération Forestiers privés de France (Fransylva), n° 439036)
129 - Autorisation d'exploitation électrique de la force du vent et de l'installation d'éoliennes - Intervention de l'autorité environnementale - Avis rendu par une autorité sans autonomie effective - Irrégularité - Irrégularité couverte par la qualité de l'avis - Erreur de droit - Annulation et renvoi à la cour.
Une cour administrative d'appel constate que la procédure suivie par un préfet pour accorder des permis pour la construction de cinq éoliennes, cinq sous-stations de transformation et un poste de livraison était irrégulière car le préfet était à la fois l'auteur de l'avis rendu en qualité d'autorité environnementale et l'autorité compétente qui a délivré les permis et autorisation attaqués. Toutefois, la cour a estimé ne pas devoir annuler la procédure car elle a relevé que l'avis résultait d'une analyse précise, critique et indépendante du dossier et qu'il mettait en évidence aussi bien les lacunes que les qualités du dossier.
Le Conseil d’État, confirmant sa jurisprudence antérieure et bien établie, annule l'arrêt pour erreur de droit au visa de la directive, actualisée en 1997, du 27 juin 1985 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement, telle qu'interprétée par la CJUE (20 octobre 2010, Department of the Environment for Northern Ireland c/ Seaport (NI) LTD et autres, aff. C-474/10) ; cette directive, on le sait, impose une séparation effective entre les deux fonctions et donc l'autonomie réelle de l'autorité chargée de la consultation en matière environnementale par rapport à celle comppétente pour autoriser le projet.
C'est le triomphe de la théorie de l'apparence, chère à la Cour EDH.
(28 avril 2021, Société civile immobilière S...-Villegongis et autres, n° 437581)
130 - Carrières - Autorisation d'exploitation - Protection des espèces - Conditions dérogatoires - Annulation contentieuse - Dépôt d'une nouvelle demande d'autorisation d'exploiter - Mise en demeure - Légalité - Rejet.
Le préfet du Doubs a autorisé la société requérante à exploiter une carrière après lui avoir accordé une autorisation de dérogation au régime de protection des espèces (art. L. 411-2 du code de l'environnement). Le tribunal administratif a annulé l'arrêté portant dérogation pour insuffisance de sa motivation. Un second arrêté préfectoral portant dérogation est, à son tour, annulé en raison de ce que la dérogation accordée n'était pas justifiée par une raison impérative d'intérêt public majeur (cf. art. L. 411-2 préc.).
Le préfet a alors mis la société en demeure de régulariser sa situation administrative, soit en cessant son activité, soit en déposant une nouvelle demande d'autorisation environnementale pour tenir compte de l'annulation de la dérogation au régime de protection des espèces et suspendu le fonctionnement de la carrière jusqu'à ce qu'il ait statué sur la régularisation demandée.
Par l'ordonnance attaquée, le tribunal administratif a suspendu l'exécution de cet arrêté en tant qu'il porte sur la partie sud du site de la Craie correspondant à la "phase 1" du projet d'exploitation de la carrière.
La ministre de la transition écologique et solidaire se pourvoit en cassation contre cette ordonnance.
Ce pourvoi étant rejeté et l'ordonnance étant annulée pour un vice de forme (omission de viser un mémoire en défense du préfet), le Conseil d’État est saisi du litige tel qu'il se présentait devant le juge des référés du premier degré. Pour emporter la conviction de ce dernier, la société avait fait valoir que la zone pour laquelle elle demandait la suspension de l'arrêté préfectoral, située en partie sud du site, sur 4,5 hectares, destinée à la première phase d'exploitation, ne nécessitait pas une nouvelle dérogation dès lors que cette zone ne comportait plus d'espèces protégées puisqu'elle avait été défrichée et décapée jusqu'au toit du gisement sur le fondement d'une autorisation de défrichement devenue définitive et de la dérogation alors en vigueur.
Le juge des référés du Conseil d’État rejette cette argumentation qu'avait retenue le premier juge car il estime que cette affirmatiuon, pour autant qu'elle soit établie, ne fait pas obstacle à ce que le préfet, dans l'attente que l'autorisation environnementale soit, le cas échéant, complétée, mette en oeuvre les pouvoirs qu'il tient de l'article L. 171-7 du code de l'environnement en édictant des mesures conservatoires, afin de tenir compte notamment des atteintes portées aux espèces protégées sur le fondement de la dérogation illégale, et en suspendant le fonctionnement de l'installation en cause.
C'est pourquoi l'arrêté querellé n'est entaché ni d'une erreur de droit ni d'une erreur d'appréciation, ce qui entraîne le rejet du recours.
(ord. réf. 28 avril 2021, Ministre de la transition écologique et solidaire, Société Maillard, n° 440734)
État-civil et nationalité
131 - Demande de naturalisation - Refus - Prise en considérations de liens existants entre le demandeur à la naturalisation et des tiers y compris son conjoint - Épouse d'un ministre condamné par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) - Motif justifié - Rejet.
Rejetant le pourvoi dont il était saisi le Conseil d’État approuve une cour administrative d'appel d’avoir :
- d'une part, estimé justifié le refus du ministre de l'intérieur d'accorder la naturalisation française à l'épouse d'un ancien ministre rwandais qui a été condamné à une peine de trente ans d'emprisonnement par le TPI pour le Rwanda pour incitation publique directe à la commission d'un génocide,
- et d'autre part, jugé que cette prise en considération des liens de la demanderesse ne contrevenait pas aux dispositions de l'art. 12 de la Convention EDH car elle n'empêche pas son mariage et ne lui impose pas de divorcer.
(8 avril 2021, Mme C., n° 436264)
Fonction publique et agents publics
132 - Fusion de corps de fonctionnaires d'État - Ingénieurs des travaux publics et inspecteurs des affaires maritimes - Maintien provisoire d'un régime indemnitaire propre à l'un des corps fusionnés - Légalité en cas de durée raisonnable - Absence en l'espèce - Abrogation sous trois mois ordonnée.
Un décret du 20 mai 2014 a créé un régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel (RIFSEEP) dans la fonction publique de l'État. Cette disposition a été rendue applicable par arrêté du 18 décelmbre 2015 au corps des inspecteurs des affaires maritimes, en revanche aucune disposition n'est venue fixer la date d'échéance de l'application du RIFSEEP au corps des ingénieurs des travaux publics de l'État.
Le décret du 18 avril 2018 a organisé l'intégration des membres du corps des inspecteurs des affaires maritimes, selon la nature des fonctions qu'ils exerçaient, dans le corps des ingénieurs des travaux publics de l'État. Ces deux corps fusionnés demeuraient néanmoins soumis à des régimes indemnitaires différents en violation du principe d'unicité du corps et donc de traitement égal de ses membres.
Le Conseil d’État rappelle qu'une telle différence, alors même qu'elle ne tient pas à la particularité des fonctions, responsabilités ou sujétions mais a pour objet de faciliter la création du corps, peut être admise comme légale si elle revêt un caractère transitoire, donc provisoire, entre l'ancienne et la nouvelle situation statutaire et si sa durée est raisonnable.
En l'espèce, il juge qu'à la date de sa décision les motifs avancés par le ministre pour différer encore l'alignement complet du régime indemnitaire à l'intérieur de ce nouveau corps, ne justifient point cette inertie et ordonne d'opérer sous trois mois l'abrogation de la disposition litigieuse.
(2 avril 2021, Syndicat national des ingénieurs des travaux publics de l'État et des collectivités territoriales - Force Ouvrière (SNITPECT-FO), n° 433017)
133 - Enseignement agricole public - Campagne de mobilité - Vacances d'emplois au terme de la campagne - Obligation de publicité des emplois vacants - Absence - Illégalité - Annulation de la décision de dispense de publicité des emplois vacants.
La loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État contient en son art. 61 ce qui est proprement un principe général du droit de la fonction publique selon lequel l'autorité compétente doit faire connaître - sauf cas particuliers, tels les emplois réservés - "dès qu'elles ont lieu, les vacances de tous emplois ", ceci afin de garantir l'égal accès au droit à mutation. Lorsque s'achève un mouvement général des emplois certains d'entre eux restent vacants. La règle susrappelée exige qu'en ce cas, il ne peut être pourvu à ces emplois reliquataires qu'après publication de leur vacance car ceux-mêmes qui ont participé au mouvement général sont, à l'issue de son déroulement, dans l'ignorance d'emplois éventuellement encore vacants.
Il suit de là que la décision de proposer à certains agents ou à des stagiaires, sans publicité préalable, des emplois vacants post-mouvement est illégale.
(2 avril 2021, Syndicat national de l'enseignement technique agricole public - Fédération syndicale unitaire (SNETAP-FSU), n° 440657)
134 - Militaires - Procédure disciplinaire - Sanction - Pouvoir de substitution du ministre de la Défense - Contestation - Rejet.
Un militaire fait l'objet d'une procédure disciplinaire pour comportement inadéquat et il est sanctionné par quinze jours d'arrêt. Il saisit l'autorité militaire de premier niveau qui maintient la sanction tout comme, sur recours hiérarchique devant le chef d'état-major de l'armée de terre, ce dernier. Puis il saisit la ministre des armées qui réduit, sur sa demande, à dix jours la durée de la sanction.
Contestant tant la régularité de la procédure suivie que la peine infligée, il saisit le Conseil d’État.
Dès lors que la sanction primitivement infligée n'a fait l'objet d'aucun commencement d'exécution au moment où est intervenue la décision ministérielle, celle-ci s'est purement simplement substituée à la précédente. Le requérant ne saurait en principe se prévaloir d'irrégularités ayant entaché la procédure antérieure. Toutefois, il lui est possible d'invoquer à l'encontre de cette dernière décision tout moyen tiré de la méconnaissance de règles de procédure applicables aux décisions antérieures qui, ne constituant pas uniquement des vices propres à ces décisions, sont susceptibles d'affecter la légalité de la décision du ministre.
C'est donc dans ce cadre que le juge examine les conclusions dirigées contre la décision ministérielle. Aucune n'est retenue : la Convention EDH n'est pas invocable à l'encontre d'une procédure non juridictionnelle, le grief de partialité du fait de l'absence d'audition de l'intéressé ne peut qu'être écarté, enfin, si l'autorité de premier niveau n'a pas entendu l'intéressé avant d'arrêter sa décision de le sanctionner, celui-ci étant alors en arrêt maladie, ce dernier a pu lui adresser par écrit l'ensemble de ses observations ainsi que plusieurs annexes, dont de nombreux témoignages. Par suite, comme le soutient le ministre, l’irrégularité, certaine, de la procédure suivie, n'a privé l'intéressé d'aucune garantie et n'a pas, non plus, eu d'influence sur le sens de la décision attaquée.
Enfin, il est jugé que la sanction infligée n'est pas disproportionnée au regard des circonstances de l'affaire.
(12 avril 2021, M. B., n° 435774 et n° 441958)
135 - Covid-19 - Personnels des administrations - Attribution d'une prime exceptionnelle - Conditions différentes entre agents contractuels et ceux fonctionnaires statutaires ou en CDI - Demande de renvoi préjudiciel à la CJUE - Rejet.
La loi de finances rectificatives pour 2020 a prévu la création d'une prime exceptionnelle, exonérée d'impôts, au titre de l'année 2020 " I. (...) à ceux (des agents publics) particulièrement mobilisés pendant l'état d'urgence sanitaire déclaré (...) pour faire face à l'épidémie de covid-19 afin de tenir compte d'un surcroît de travail significatif durant cette période (...) II. - Les bénéficiaires, les conditions d'attribution et de versement de la prime exceptionnelle mentionnée au présent article ainsi que son montant sont déterminés dans des conditions fixées par décret, en fonction des contraintes supportées par les agents à raison du contexte d'état d'urgence sanitaire déclaré en application du chapitre Ier bis du titre III du livre Ier de la troisième partie du code de la santé publique ".
En application de ce texte, le décret du 14 mai 2020 modifié est intervenu. C'est le texte attaqué, en vain, par l'organisation requérante car, contrairement à ce qu'elle soutient, son libellé est clair et sans ambiguïté ainsi que la fixation du plafond de la prime exceptionnelle ; pas davantage il n'est porté atteinte au principe d'égalité au regard des différences objectives en cause et de l'objectif poursuivi, qu'il s'agisse de la différence de prise en compte : du surcroît d'activité, de la situation des agents des unités de soins de longue durée et des établissements et services accueillant des personnes âgées rattachés à un établissement public de santé, de celle des agents du secteur social et médico-social ou encore de celle des agents des établissements ou services prenant en charge des mineurs et des majeurs de moins de vingt-et-un ans.
Visiblement le Conseil d’État n'a voulu ni compliquer la tâche du Gouvernement ni contribuer à aggraver la dépense publique.
(12 avril 2021, Fédération CFDT Santé-Sociaux, n° 441396 et n° 441517, jonction)
136 - Sapeurs-pompiers professionnels - Représentation à la fois au sein du Conseil supérieur de la fonction publique et de la Conférence nationale des services d'incendie et de secours - Caractère distinct des organisations syndicales désignant leurs représentants à l'un ou à l'autre organisme - Légalité - Rejet.
Contrairement à ce que soutenait la demanderesse, il n'y a pas d'illégalité à ce que les organisations syndicales appelées à désigner des représentants des sapeurs-pompiers professionnels au sein de la Conférence nationale des services d'incendie et de secours ne soient pas celles qui siègent au Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, alors même que la première est susceptible d'examiner les mêmes textes que la seconde, mais les organisations syndicales qui sont arrivées en tête, en nombre de sièges, aux élections des comités techniques des services d'incendie et de secours.
(16 avril 2021, Fédération Interco-CFDT, n° 439226)
137 - Accord du 12 octobre 2020 sur l'amélioration des carrières dans l'enseignement supérieur et la recherche - Comité de suivi créé par cet accord - Demande de participation d'organisations syndicales non-signataires de l'accord - Organisations syndicales représentatives - Notion de "négociations" (art. 8bis et 8ter de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires) - Atteinte à une liberté fondamentale - Rejet.
Des syndicats signent avec la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, le 12 octobre 2020, un accord relatif à l'amélioration des rémunérations et des carrières dans ce domaine. Cet accord prévoit l'instauration d'un comité de suivi. Les syndicats signataires de l'accord demandent que soient invitées aux travaux et réunions de ce comité les organisations syndicales qui, représentatives au plan national dans le secteur de l'enseignement supérieur et de la recherche, ne sont pas signataires dudit accord. Le refus du ministre d'accéder à cette demande est annulé par le juge du référé de l'art. L. 521-2 CJA.
La ministre défenderesse interjette appel de cette ordonnance, en vain, le Conseil d’État confirmant en tout point l'ordonnance attaquée.
Le Conseil d’État opère une distinction parmi les activités du comité de suivi à la lumière de la définition donnée par l'art. 8bis de la loi du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires, de la notion de négociation comme de son champ d'application.
Si le comité de suivi se bornait à débattre de l'avancement des mesures prévues par l'accord ainsi que des difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre de l'accord, ou à proposer des aménagements des mesures prévues par l'accord, il ne saurait y avoir là une négociation au sens des art. 8bis et 8ter précités, y compris si les mesures débattues au sein du comité devaient porter sur un des thèmes mentionnés au I ou au II de l'article 8bis de la loi du 13 juillet 1983 et à son article 8ter, il n'y aurait donc pas lieu d'inviter à y participer certains syndicats représentatifs des fonctionnaires concernés non signataires de l'accord créant ce comité de suivi.
En revanche, dès lors que ces réunions du comité de suivi constituent une négociation ouverte au plan national et portant sur les thèmes mentionnés aux I ou au II de l'article 8bis de la loi du 13 juillet 1983 cité ci-dessus et, désormais, à son article 8ter, la participation d'un syndicat représentatif des fonctionnaires concernés ne saurait être exclue, même si lesdites réunions s'inscrivent dans la suite d'un accord négocié avec l'ensemble des syndicats représentatifs et qu'elle a pour seul but de déterminer, dans le cadre fixé par celui-ci, certains éléments qu'il n'a pas précisés.
La conclusion s'impose alors d'elle-même : " Un tel échange ne peut donc, sauf à porter une atteinte manifestement illégale à l'exercice du droit syndical, être organisé au sein d'un comité de suivi institué par cet accord qu'à la condition que, en plus des syndicats membres de ce comité, tout syndicat représentatif des fonctionnaires concernés soit également appelé à y participer ".
L'injonction initialement prononcée est confirmée.
(ord. réf. 16 avril 2021, Ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, n° 451141)
138 - Pension de retraite - Personne ayant élevé au moins trois enfants - Conditions de majoration selon la qualité de l'intéressé - Conjoint ou concubin - Différence de traitement justifiée en partie - Rejet.
Un agent public admis à faire valoir ses droits à la retraite s'était vu refuser la majoration pour avoir élevé trois enfants qu'il avait sollicitée. Il a contesté en vain ce refus en première instance et se pourvoit contre le jugement de rejet.
Après avoir rappelé que la décision d'octroi initial d'une pension n'est pas au nombre des décisions visées à l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration qui doivent obligatoirement être motivées, le juge aborde le fond du litige.
Selon les dispositions du II de l'article 24 du décret du 26 décembre 2003, les enfants du concubin du titulaire d'une pension peuvent être regardés comme recueillis au foyer de ce dernier alors même que leurs parents exercent sur eux l'autorité parentale mais il appartient au titulaire de cette pension d'apporter la preuve qu'il a assumé la charge effective et permanente de ces enfants pendant une période d'au moins neuf ans.
Le demandeur soutenait que ces dispositions méconnaissent le principe d'égalité devant la loi car elles imposent à celui qui sollicite la majoration pour avoir élevé trois enfants d'avoir assumé pendant une durée d'au moins neuf ans la charge effective et permanente des enfants de son concubin par la production de tout document administratif établissant que les enfants regardés comme recueillis au foyer ont été retenus pour l'octroi des prestations familiales ou du supplément familial de traitement ou pour le calcul de l'impôt sur le revenu, alors que cette obligation n'est pas imposée au titulaire d'une pension sollicitant la même majoration pour avoir élevé, pendant la même durée, les enfants de son conjoint.
Examinant cette différence de traitement, le juge est conduit à deux indications.
Tout d'abord, constatant que, à la différence du concubinage où " (...) Les concubins ne sont légalement tenus à aucune solidarité financière à l'égard des tiers ni à aucune obligation réciproque " (art. 515-8 c. civ.), le régime du mariage a pour objet non seulement d'organiser les obligations personnelles, matérielles et patrimoniales des époux pendant la durée de leur union, mais également d'assurer la protection de la famille y compris en cas de dissolution du mariage. Le décret attaqué, en imposant au titulaire d'une pension de justifier " avoir assumé la charge effective et permanente " des enfants de son concubin pour avoir droit à la majoration en cause, alors qu'une telle obligation ne pèse pas sur le pensionné ayant élevé les enfants de son conjoint, introduit une différence de traitement justifiée au regard des dépenses exposées dans la vie commune par les conjoints, qui bénéficient notamment aux enfants du foyer.
Ensuite, et en revanche, n'est pas jugée en rapport avec l'objet de la norme, l'exigence posée par le décret attaqué que la preuve exigée du concubin ne peut être apportée que par la production de tout document administratif établissant que les enfants du concubin ont été retenus pour l'octroi des prestations familiales ou du supplément familial de traitement ou pour le calcul de l'impôt sur le revenu. Par suite, sur ce point, la différence de traitement n'est pas en rapport avec l'objet de la norme, d'où son illégalité pour atteinte au principe d'égalité.
Au fond, le recours est cependant rejeté faute qu'ait été rapportée la preuve d'avoir assumé la charge effective et permanente du fils de sa concubine pendant au moins neuf ans.
(20 avril 2021, M. A., n° 440342)
139 - Pension d'invalidité - Existence de plusieurs chefs d'infirmités - Application inexacte de l'art. 14 du code des pensions militaires d'invalidité - Addition des infirmités sans tenir compte des poucentages réels - Annulation sans renvoi, affaire réglée au fond.
Une cour régionale des pensions avait fixé à 40% le taux global d'invalidité du requérant par addition d'un chef d'infirmité à 20% et de deux autres chefs d'invalité, chacun à 10%. Sa décision, contestée par le présent pourvoi, est annulée.
Selon le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, en son art. 14, en cas de pluralité d'infirmités dont aucune n'entraîne d'invalidité absolue : 1°/ le taux d'invalidité est considéré intégralement pour l'infirmité la plus grave et, pour chacune des infirmités supplémentaires, proportionnellement à la validité restante ;
2°/ quand l'infirmité principale entraîne une invalidité d'au moins 20 %, les degrés d'invalidité de chacune des infirmités supplémentaires sont élevés d'une, de deux ou de trois catégories suivant qu'elles occupent les deuxième, troisième, quatrième rangs dans la série décroissante de leur gravité.
Par application de cette double règle, les taux à retenir ne sont pas de 20% + 10% + 10%, soit 40% comme l'a fait la cour, mais de 20% + (10%+5%) + 10% + 10%, soit 46,5% devant être arrondis à 50%.
(27 avril 2021, M. A., n° 434450)
140 - Fonctionnaires de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) - Statut - Exercice du droit de grève et du droit syndical - Adhésion à une association - Information par l'agent de sa situation personnelle et de ses changements - Rejet.
Le requérant demandait l'annulation de la plupart des dispositions du décret du 3 avril 2015 fixant le statut des fonctionnaires de la direction générale de la sécurité extérieure.
Au soutien de sa requête il développait plusieurs griefs, tous rejetés par le juge, à commencer par les moyens de légalité externe.
Concernant les moyens tirés de la légalité interne, sont critiquées, en vain :
- l'interdiction de l'exercice du droit de grève, laquelle est justifiée par les missions qui sont celles de cette administration car elles ne peuvent souffrir aucune interruption de leur continuité ;
- l'interdiction de l'exercice du droit syndical car est admise en même temps la possibilité de créer des groupements professionnels et d'y adhérer à la condition qu'ils soient constitués sous la forme d'associations professionnelles nationales dont la mission est de défendre leurs intérêts professionnels, ce qui, selon le juge, constitue une bonne conciliation entre la liberté syndicale, liberté constitutionnelle, et le respect de l'exigence constitutionnelle de sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation, d'autant que rien n'empêche un agent de la DGSE, dans sa vie privée, d'adhérer à une association quelconque ;
- l'obligation d'aviser l'administration de toute modification de la vie personnelle d'un agent de la DGSE est légitimée par la nature des fonctions exercées qui entraîne une vulnérabilité particulière pour la réalisation de leurs missions.
(27 avril 2021, M. B., n° 440254)
Hiérarchie des normes
141 - Procédure administrative contentieuse - Covid-19 - Adaptation de règles de procédure applicables aux juridictions administratives - Ordonnance n° 2020-1402 du 18 novembre 2020 - Délai d'habilitation expiré - Absence de QPC - Étendue du contrôle du juge sur l'ordonnance - Rejet.
(2 avril 2021, Syndicat des avocats de France (SAF) et autres, n° 447060 ; Conseil national des barreaux (CNB) et autre, n° 447065) V. n° 20
142 - Métadonnées ou données de connexion - Régime de leur conservation - Contestation - Saisine de la CJUE et réponse - Primauté de la Constitution - Exigence d'une protection équivalente des droits et intérêts dans les deux droits européen et français - Protection des intérêts fondamentaux de l'État - Existence d'une menace vérifiée périodiquement - Illégalité de la conservation généralisée des données surtout celles sensibles - Conditions de compatibilité entre le droit français et les exigences européennes - Injonction au premier ministre de modifier en ce sens les dispositions réglementaires actuelles.
(Assemblée, 21 avril 2021, Association French Data Network et autres, n° 393099 ; Association La Quadrature du Net et autres et Association Igwan.net, n°s 394922 397844 et 397851) V. n° 12
Libertés fondamentales
143 - Extradition d'un trafiquant de drogue vers les États-Unis - Décret du premier ministre - Peine de réclusion criminelle à perpétuité non encourue - Extradition subséquente vers les Philippines impossible sans l'accord de la France - Rejet.
Un trafiquant de drogue faisant l'objet d'un mandat d'arrêt émis par un juge des États-Unis conteste la légalité du décret d'extradition vers ce pays pris par le premier ministre. Les deux arguments principaux développés au soutien de son recours sont rejetés.
D'une part, il ne saurait faire l'objet d'un traitement inhumain du fait de sa possible condamnation à une peine de prison à perpétuité car l'exécutif américain a pris l'engagement de ne le poursuivre que pour trois chefs d'inculpation dont aucun n'est assorti d'une peine de prison à perpétuité.
D'autre part, il ne risque pas d'être renvoyé aux autorités philippines soit lors de son arrivée aux États-Unis soit une fois purgée la peine à laquelle ces derniers l'auront condamné car cette possibilité est exclue, sauf cas particuliers, par la convention franco-américaine du 23 avril 1996.
(8 avril 2021, M. A., n° 441998)
144 - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) - Étranger résidant habituellement en France depuis au moins depuis l'âge de treize ans - Périodes d'incarcération en France - Remise en cause de la continuité de résidence - Absence.
Répondant à une demande d'avis de droit, le Conseil d’État rend une importante décision pas forcément attendue dans sa substance.
L'art. L. 511-4 du CESEDA dispose en son 2° que ne peut faire l'objet d'une OQTF "L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans (...) ".
Il était demandé au Conseil d’État si les périodes d'incarcération peuvent être assimilées à des périodes de résidence habituelle en France alors que la personne incarcérée ne peut plus être regardée comme résidant en France de son propre gré.
Celui-ci répond que si ces périodes ne peuvent pas être prises en compte dans le calcul de la durée de la résidence puisque l'étranger n'a pas fait ce choix, néanmoins elles " ne sont pas de nature à remettre en cause la continuité de la résidence habituelle en France depuis au plus l'âge de treize ans ".
La solution est inverse en matière d'expulsion où les années d'incarcération sont décomptées de la durée totale de résidence (6 mai 1988, X., Recueil Lebon p. 783) tout comme les années passées sous un régime de semi-liberté (28 février 2020, X., n° 426076) ; une solution comparable est retenue en matière de carte d'autorisation de séjour temporaire (26 juillet 2007, X., n° 298717).
La différence des solutions semble devoir être expliquée par l'existence de dispositions spécifiques susrappelées.
(Avis, 8 avril 2021, Préfet de la Seine-Saint-Denis, n° 446427)
145 - Liberté du mariage - Épidémie de Covid-19 - Circulaire ne prévoyant pas de dérogation pour les étrangers devant se rendre en France pour y célébrer leur mariage avec un Français - Interdiction de l'enregistrement et de l'instruction de visas en vue de se marier en France avec un Français - Mesures disproportionnées - Suspension ordonnée.
Les requérants demandaient au juge des référés la suspension de la circulaire du premier ministre du 22 février 2021 interdisant l'enregistrement et l'instruction des demandes de visa en vue de se marier en France avec un Français et n'autorisant pas l'entrée sur le territoire français des titulaires d'un tel visa.
Le juge des référés du Conseil d’État accueille cette demande dans une longue décision qui montre toute la richesse d'analyse des faits susceptible d'être contenue dans une ordonnance de référé.
Il estime qu'en dépit de la situation sanitaire il y a urgence à statuer s'agissant de requérants dont les bans sont déjà publiés et le certificat de non-opposition délivré, et, pour certains, dont les dates de mariage sont déjà fixées et aussi compte-tenu de la durée de séparation des couples, à quoi s'ajoute la raréfaction des délivrances de visas à cet effet.
Pour dire sérieux le doute sur la légalité de la circulaire, le juge relève que la prétendue possibilité de dérogations à l'interdiction d'entrée en France est presque inexistante au regard de la pratique suivie depuis le début de l'épidémie. Il relève aussi, en réponse à un argument du ministre de l'intérieur, qu'aucun texte ni aucun principe ne limite la possibilité pour un étranger d'entrer en France pour épouser un Français aux seuls couples juridiquement empêchés de célébrer leur mariage dans l'État d'origine de cet étranger.
Au reste, s'il n'existe aucun droit général et absolu d'accès et de séjour au territoire français pour s'y marier avec un Français, s'impose toutefois à l'administration l'obligation de concilier la protection de la santé publique avec le respect des libertés, au rang desquelles figure la liberté de mariage, dont bénéficie toute personne se trouvant en situation régulière sur ce territoire.
La circulaire litigieuse est suspendue mais le juge rappelle que celle-ci n'emporte point droit pour les intéressés à la délivrance systématique dun visa.
(ord. réf. 9 avril 2021, Mme J. et autres, Association de soutien aux amoureux du ban public, n° 450884)
146 - Droit d'asile - Obligation d'un test PCR négatif pour entrer en France - Refus de se soumettre au test - Absence de motif médical au refus - Connaissance de la portée du refus - Mise en situation de fuite - Refus justifié d'enregistrer une demande d'asile - Rejet.
Le demandeur d'asile qui, sans motif valable, refuse de se soumettre à un test PCR en vue de son transfert en France et alors qu'il connaît les conséquences d'un refus, doit être considéré comme étant en état de fuite au sens de l'article 29 du règlement européen du 26 juin 2013. Par suite, c'est à bon droit que le préfet de police de Paris a refusé d'enregistrer sa demande d'asile.
(ord. réf. 10 avril 2021, M. A., n° 450928)
(147) V. aussi, la solution inverse retenue dans un cas semblable mais où l'étranger a été informé de ses obligations dans une langue qu'il ne comprend pas : 10 avril 2021, M. A., n° 450931.
148 - Extradition - Ressortissant kossovar condamné pour viol sur mineur - Conventionnalité du décret d'extradition - Absence de condamnation par défaut - Respect du contradictoire - Rejet.
Le recours d'un ressortissant kossovar dirigé contre le décret procédant à son extradition vers le Kossovo est rejeté car la décision d'extrader est, en la forme, conforme à la convention d'extradition liant les deux pays, parce que sa condamnation pour viol sur mineur, aggravée en appel, n'a pas eu lieu au terme d'une procédure par défaut et, enfin, parce que la procédure suivie a bien été contradictoire.
(21 avril 2021, M. B., n° 439930)
149 - Police aux frontières - Réintroduction temporaire du contrôle aux fontières intérieures de la France aux points de passage autorisés de Menton et de Montgenèvre (art. L. 213-2 et L. 213-3 du CESEDA) - Conditions dans lesquelles sont retenus aux deux postes de police les étrangers auxquels a été refusé l'entrée sur le territoire français - Demande de suppression de ces postes et affirmation de l'inconventionnalité des dispositions précitées du CESEDA - Rejet.
Dans une très longue ordonnance, particulièrement documentée et fouillée, le juge des référés se prononce sur les critiques adressées par les requérantes et les intervenantes sur le principe même de l'installation à Montgenèvre et à Menton de deux postes de police où sont retenus les étrangers non admis sur le territoire français et sur les conditions dans lesquelles ils y sont retenus.
Le juge rejette les deux recours après avoir exposé, d'une part, le cadre juridique dans lequel se situe l'installation de ces postes, dits "points de passage autorisés", créés après qu'en 2015 la France a rétabli le contrôle aux frontières intérieures par dérogation aux dispositions dites Schengen et, d'autre part, les exigences imposées aux autorités de police pour la protection de la dignité des personnes retenues dans ces postes. Le juge insiste lourdement sur la nécessité de préserver la dignité des personnes, de séparer les sexes et les mineurs, d'assurer un gîte et une alimentation convenables, etc.
On perçoit bien qu'en dépit de la situation sanitaire, le juge administratif n'ira pas plus loin dans l'acceptation du maintien des conditions actuelles même s'il relève d'ailleurs qu'elles résultent d'une certaine amélioration par rapport à l'état antérieur.
(ord. réf. 23 avril 2021, Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers (ANAFE) et association Médecins du monde, n° 450879 et n° 450987)
150 - Métadonnées ou données de connexion - Régime de leur conservation - Contestation - Saisine de la CJUE et réponse - Primauté de la Constitution - Exigence d'une protection équivalente des droits et intérêts dans les deux droits européen et français - Protection des intérêts fondamentaux de l'État - Existence d'une menace vérifiée périodiquement - Illégalité de la conservation généralisée des données surtout celles sensibles - Conditions de compatibilité entre le droit français et les exigences européennes - Injonction au premier ministre de modifier en ce sens les dispositions réglementaires actuelles.
(Assemblée, 21 avril 2021, Association French Data Network et autres, n° 393099 ; Association La Quadrature du Net et autres et Association Igwan.net, n°s 394922 397844 et 397851) V. n° 12
Police
151 - Référé suspension - Police sanitaire - Exportation de végétaux traités vers la Chine - Traitement par la cyperméthrine - Urgence à statuer - Absence de moyens de nature à faire naître un doute sérieux - Rejet.
Les requérants demandaient au juge des référés la suspension des effets de la prise de position de la direction générale de l'alimentation, révélée par le courrier de la direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt Bourgogne-Franche-Comté du 3 février 2021, par laquelle la direction générale de l'alimentation (DGAL) indique que le traitement des grumes victimes du scolythe, en conteneur avec un insecticide à base de cyperméthrine n'est pas un traitement autorisé par le ministre de l'agriculture pour l'exportation à destination de la Chine.
Si le juge admet qu'il y a bien urgence à statuer en raison de l'atteinte sérieuse portée aux intérêts économiques défendus par les requérants, en revanche, il n'aperçoit pas dans la requête de moyens de nature à créer un doute sérieux sur la juridicité de la décision contestée.
En effet, la direction du service ministériel auteur de l'interdiction avait pour seul objet de prescrire aux services compétents de ne pas accorder de certificats de garantie aux grumes d'épicéas victimes du scolyte et traitées à la cyperméthrine en vue de leur exportation vers la Chine, dès lors que l'administration française estime ne pas être en mesure de garantir, en application de la Convention internationale pour la protection des végétaux, que ces produits sont conformes à la réglementation phytosanitaire chinoise.
Ensuite, la mesure critiquée ne peut pas s'analyser comme retirant l'autorisation de mise sur le marché d'un produit utilisant la cyperméthrine.
Par ailleurs des incertitudes demeurent sur le point de savoir si l'exportation vers la Chine des grumes traités est interdite ou si elle y est jugée sans effets.
De tout cela ne ressort pas un moyen créant un doute sérieux sur la légalité de la mesure dont la suspension d'exécution était demandée.
(ord. réf. 19 avril 2021, Syndicat des exploitants de la filière bois (SEFB) et autres, n° 450989)
152 - Permis de conduire - Suspension comme peine complémentaire (art. L. 224-7 code de la route) - Obligation d'une procédure contradictoire sauf urgence - Absence de contradictoire et urgence inopérante car invoquée pour la première fois en cassation - Annulation sans renvoi, plus rien ne restant à juger.
La décision par laquelle le préfet suspend un permis de conduire sur le fondement de l'article L. 224-7 du code de la route, qui est une mesure de police et doit être motivée en application de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration, est soumise au respect d'une procédure contradictoire préalable. Il n'en va autrement qu'en cas d'urgence démontrée.
Or, ici, le préfet, en première instance, n'avait nullement invoqué une urgence, ayant même affirmé que la procédure contradictoire avait été suivie. L'invocation de l'urgence pour la première fois en cassation, par le ministre de l'intérieur constitue un moyen nouveau irrecevable.
La suspension est annulée.
(20 avril 2021, Mme B., n° 438114)
Professions réglementées
153 - Masseurs-kinésithérapeutes - Inscription au tableau de l'ordre - Pouvoirs du conseil national de l'ordre - Pouvoir de réformation d'une autorisation d'inscription au tableau - Condition d'exercice de ce pouvoir : existence d'une erreur manifeste d'appréciation ou d'une inexactitude matérielle - Rejet.
Combinant les art. L. 4321-14, L. 4321-17-1, L. 4112-4 du code de la santé publique, le Conseil d’État en déduit que lorsqu'un conseil régional ou interrégional de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes prend, sur recours contre une décision d'un conseil départemental de l'ordre, une décision autorisant l'inscription d'un praticien au tableau de l'ordre, le Conseil national de l'ordre, auquel cette décision doit être notifiée, peut, dans un délai de trente jours suivant cette notification, se saisir de cette décision pour statuer sur le bien-fondé de la demande d'inscription au tableau de l'ordre.
Il peut en outre, en vertu du dernier alinéa de l'article L. 4112-4, s'il ne s'est pas saisi ou n'a pas été saisi d'un recours hiérarchique dans le délai de trente jours, retirer une décision d'autorisation dans les trois mois qui suivent l'expiration du délai de trente jours, si cette décision repose sur une inexactitude matérielle ou est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
En l'espèce, il est jugé qu'au regard du dossier la formation restrteinte du conseil national de l'ordre, saisie par ce dernier, n'a pas commis d'irrégularité en prononçant l'annulation de la décision d'un conseil régional de l'ordre autorisant l'inscription du requérant au tableau de l'ordre.
(2 avril 2021, M. B., n° 438163)
154 - Médecins - Sanction disciplinaire - Interdiction d'exercer la médecine pendant trois mois - Conséquences difficilement réparables - Existence d'un moyen sérieux - Sursis à l'exécution d'une ordonnance ordinale.
Saisi d'un recours à fin de sursis à l'exécution d'une ordonnance ordinale, le Conseil d’État accorde ce sursis après constatation de l'existence des deux conditions à l'octroi d'un tel sursis : les conséquences difficilement réparables qu'entraînerait l'exécution immédiate de l'interdiction d'exercer la médecine pour une durée de trois mois et l'existence d'un moyen sérieux tiré de ce que, par l'ordonnance attaquée, qui rejette la requête d'appel sans l'examiner au motif qu'elle n'était pas accompagnée du nombre de copies requis par l'article R. 4126-11 du code de la santé publique, il a été porté une atteinte excessive au droit d'accès à un tribunal garanti par l'article 6, paragraphe 1, de la convention EDH.
(30 avril 2021, Mme C., n° 449595)
(155) V., pour des cas identiques : 30 avril 2021, M. A., n° 449735 ; 30 avril 2021, M. F., n° 449832 ; 30 avril 2021, M. D., n° 450382.
(156) V., pour l'octroi d'un sursis à exécution d'un jugement dans des circonstances de fait et de droit différentes : 30 avril 2021, Mme A., n° 450476.
Question prioritaire de constitutionnalité
157 - Taxe sur la publicité diffusée par voie de radiodiffusion sonore et de télévision - Principe d'égalité devant les charges publiques - Exigence de tenir compte des facultés contributives - Question de caractère sérieux - Renvoi au Conseil constitutionnel.
L'article 302 bis KD du code général des impôts, dans sa rédaction alors applicable, dispose :
" 1. Il est institué, à compter du 1er juillet 2003, une taxe sur la publicité diffusée par voie de radiodiffusion sonore et de télévision.
2. La taxe est assise sur les sommes, hors commission d'agence et hors taxe sur la valeur ajoutée, payées par les annonceurs aux régies pour l'émission et la diffusion de leurs messages publicitaires à partir du territoire français.
Elle est due par les personnes qui assurent la régie de ces messages publicitaires. (...) ".
La requérante soulève une question prioritaire de constitutionnalité à l'encontre des dispositions de cet article tirée de ce qu'elles méconnaîtraient le principe d'égalité devant les charges publiques, en ce qu'elles auraient pour effet d'assujettir les régisseurs de messages publicitaires à une imposition dont l'assiette inclurait des sommes dont ils n'ont pas la disposition.
Le Conseil d’État, rappelle d'abord que " L'exigence de prise en compte des facultés contributives, qui résulte du principe d'égalité devant les charges publiques, implique qu'en principe, lorsque la perception d'un revenu ou d'une ressource est soumise à une imposition, celle-ci doit être acquittée par celui qui dispose de ce revenu ou de cette ressource. S'il peut être dérogé à cette règle, notamment pour des motifs de lutte contre la fraude ou l'évasion fiscales, de telles dérogations doivent être adaptées et proportionnées à la poursuite de ces objectifs ".
Il en déduit au cas de l'espèce que la question soulevée par la requérante présente un caractère sérieux.
(20 avril 2021, SAS M6 Publicité, n° 448984)
158 - Magistrats - Absence de publicité de l'audience et de la décision portant interdiction temporaire d'exercice des fonctions - Principe de publicité des audiences - Conseil constitutionnel s'étant déjà prononcé sur cette disposition mais évolution de sa jurisprudence constitutant une circonstance de droit nouvelle - Renvoi de la QPC revêtant un caractère sérieux.
Saisi de la question de la constitutionnalité des dispositions de l'art. 50 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature en tant qu'elles prévoient que l'audience et la décision portant interdiction temporaire d'exercice des fonctions de magistrat ne peuvent être rendues publiques, le Conseil d’État relève que si le C.C. s'est déjà prononcé sur cette disposition (cf. décision n° 2010-611 DC du 19 juillet 2010), l'évolution postérieure de sa jurisprudence, en particulier dans sa décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019, constitue une circonstance de droit nouvelle rendant sérieuse la question de savoir si ce texte ne porte pas atteinte au principe de publicité des audiences civiles et administratives découlant des art. 6 et 16 de la Déclaration de 1789.
Le renvoi au C.C. de cette question est ordonné.
(28 avril 2021, M. A., n° 449438)
Responsabilité
159 - Responsabilité hospitalière - Enfant né lourdement handicapé - Évaluation du préjudice au titre de l'assistance d'une tierce - Fixation à 12 h par jour du besoin de cette assistance - Dénaturation des faits - Cassation avec renvoi.
(2 avril 2021, M. et Mme C., n° 427283) V. n° 19
160 - Responsabilité hospitalière - Contrat d'assurance conclu par un établissement hospitalier pour couverture de certains risques (art. L. 1142-2 code santé publ.) - Date de connaissance du dommage - Conditions de détermination - Connaissance de l'existence du dommage et de ce qu'il résulte d'un fait de nature à engager la responsabilité de l'établissement - Seconde condition non remplie - Cassation partielle.
L'article L. 1142-2 du code de la santé publique prévoit l'obligation pour les établissements de santé de souscrire une assurance destinée à les garantir pour leur responsabilité civile ou administrative susceptible d'être engagée en raison de dommages subis par des tiers et résultant d'atteintes à la personne, survenant dans le cadre de l'ensemble de cette activité.
L'article L. 251-2 du code des assurances décide que tout contrat d'assurance conclu en application des dispositions précitées " (...) garantit l'assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres pour lesquels la première réclamation est formée pendant la période de validité du contrat, quelle que soit la date des autres éléments constitutifs du sinistre, dès lors que le fait dommageable est survenu dans le cadre des activités de l'assuré garanties au moment de la première réclamation.
Le contrat d'assurance garantit également les sinistres dont la première réclamation est formulée pendant un délai fixé par le contrat, à partir de la date d'expiration ou de résiliation de tout ou partie des garanties, dès lors que le fait dommageable est survenu pendant la période de validité du contrat et dans le cadre des activités garanties à la date de résiliation ou d'expiration des garanties, quelle que soit la date des autres éléments constitutifs du sinistre.
Ce délai ne peut être inférieur à cinq ans.
(...) Le contrat ne garantit pas les sinistres dont le fait dommageable était connu de l'assuré à la date de la souscription (...) ".
En l'espèce, par suite du décès de leur époux et père dans le centre hospitalier universitaire (CHU) de la Guadeloupe le 22 janvier 2013, son épouse et ses filles ont actionné en responsabilité ledit centre devant le juge administratif, après que le centre a refusé de donner suite à l'avis favorable partiel de la commission régionale de conciliation et d'indemnisation de Guadeloupe-Martinique. Le tribunal administratif a condamné le centre hospitalier universitaire de la Guadeloupe à leur verser différentes sommes en réparation de leurs préjudices, a rejeté l'appel en garantie du centre hospitalier à l'encontre de la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), qui était l'assureur de l'établissement de santé jusqu'au 30 septembre 2013, et refusé d'admettre l'intervention de la société AM Trust international underwriters, assureur du centre hospitalier universitaire à compter du 1er octobre 2013. La cour administrative d'appel a modifié le montant des sommes allouées par le tribunal aux victimes, condamné la SHAM à garantir le centre hospitalier de ces condamnations et rejeté l'appel de la société AM Trust international underwriters.
Par suite de l'appel en garantie de la SHAM par le CHU, le débat juridique en cassation s'est porté sur l'interprétation de la phrase du sixième alinéa de l'art. précité du code des assurances selon laquelle : " Le contrat ne garantit pas les sinistres dont le fait dommageable était connu de l'assuré à la date de la souscription".
La cour administrative d'appel a constaté, tout d'abord, que le décès s'étant produit le 22 janvier 2013 et le contrat d'assurances conclu entre le CHU et la société AM Trust international underwriters ayant démarré le 1er octobre 2013, le CHU avait incontestablement connaissance de l'existence du fait dommageable à une date antérieure à la date de souscription.
La cour a, ensuite, retenu que le compte-rendu d'hospitalisation révélait que le CHU avait connaissance avant cette date du 1er octobre 2013 de manquements commis dans la prise en charge de la victime. Elle a donc décidé de recevoir l'action en garantie du CHU contre la SHAM, son assureur jusqu'au 30 septembre 2013.
Le Conseil d’État casse cet arrêt pour dénaturation des pièces du dossier. Il procède en deux temps. En premier lieu, il donne une interprétation très étroite de la disposition précitée car, selon lui, il en découle qu' "un fait dommageable subi par un patient doit être regardé comme connu de l'établissement de santé à une certaine date si, à cette date, sont connus de ce dernier non seulement l'existence du dommage subi par le patient mais aussi celle d'un fait de nature à engager la responsabilité de l'établissement à raison ce dommage". En second lieu, il estime que ce compte-rendu fait état d'un décès causé par choc septique, dont les conséquences dommageables étaient susceptibles d'être prises en charge au titre de la solidarité nationale. En revanche, il ne comporte aucune indication sur de possibles manquements, pas plus d'ailleurs qu'aucune autre pièce du dossier. Le CHU ne peut donc pas être considéré comme ayant eu connaissance avant le 1er octobre 2013 de manquements dans la prise en charge de l'intéressé ou de tout autre fait de nature à engager la responsabilité de l'établissement.
C'est donc au seul CHU qu'incombe la charge de la réparation.
(2 avril 2021, Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), n° 430491)
161 - Annulation d'un permis de construire pour illégalité du POS - Condamnation du maître d'oeuvre par le juge judiciaire pour manquement au devoir de conseil - Action en responsabilité contre la commune du fait de l'illégalité du POS - Nature de cette action - Action subrogatoire et non récursoire - Conséquences - Cassation de l'arrêt d'appel n'y voyant qu'une action récursoire.
Sur le retour d'un grand et irritant classique : la distinction entre action récursoire et action subrogatoire, tel pourrait être l'intitulé d'une note sous cette décision...
Un permis de construire plusieurs dizaines de logements est annulé en raison de l'illégalité du classement par le POS des parcelles leur servant d'assiette.
Le maître d'oeuvre, requérant ici, ayant été condamné par le juge judiciaire à indemniser la société titulaire du permis de construire, pour manquement à son devoir de conseil, celui-ci saisit le juge administratif pour rechercher la responsabilité de la commune en raison de l'illégalité de son POS. Son action a été rejetée tant en première instance qu'en appel.
Le maître d'oeuvre se pourvoit.
Le Conseil d’État lui donne raison en rappelant sa position, bien établie désormais (cf. concl. G. Guillaume sur Section, 13 octobre 1972, Caisse régionale de réassurances mutuelles de l'Est, AJDA 1973 p. 153 ; concl. A. Courrèges sur 31 décembre 2008, Société foncière Ariane, RFDA 2009 p. 311 et s., dont les propres termes du considérant de principe sont repris ici) : " Lorsque l'auteur d'un dommage, condamné, comme en l'espèce, par le juge judiciaire à en indemniser la victime, saisit la juridiction administrative d'un recours en vue de faire supporter la charge de la réparation par la collectivité publique co-auteur de ce dommage, sa demande, quel que soit le fondement de sa responsabilité retenu par le juge judiciaire, n'a pas le caractère d'une action récursoire par laquelle il ferait valoir des droits propres à l'encontre de cette collectivité mais celui d'une action subrogatoire fondée sur les droits de la victime à l'égard de cette collectivité ".
La différence est très importante par rapport à l'action récursoire puisque le subrogé peut se prévaloir des fautes que la collectivité publique aurait commises à son encontre ou à l'égard de la victime et qui ont concouru à la réalisation du dommage, sans toutefois avoir plus de droits que cette victime. Par ailleurs, la propre faute du subrogé lui est opposable (sur tous ces points, v. J.-C. Ricci et F. Lombard, Droit administratif des obligations, Sirey Université, 2018, § 1009-1010).
Or en l'espèce, la cour avait rejeté l'action du maître d'oeuvre. Selon elle, le préjudice qu'il soutenait avoir subi du fait de la faute de la commune dans le classement du terrain d'assiette par le POS et de celle résultant de la délivrance du permis en cause, qui ont conduit à ce qu'il soit condamné à indemniser la société titulaire du permis de construire, n'avait pu résulter que des stipulations du contrat qu'il avait conclu avec cette société par lequel lui a été confiée une mission complète de maîtrise d'oeuvre et de ses conditions d'exécution. En conséquence, sa condamnation ne pouvait découler directement des illégalités susceptibles d'avoir été commises par la commune.
Ce jugeant, la cour niait totalement le caractère subrogatoire de l'action du demandeur, c'est pourquoi le Conseil d’État est à la cassation intégrale de son arrêt.
(7 avril 2021, M. B., n° 432993)
162 - Perquisition dans le cadre d'une opération de police judiciaire - Dommages causés à un meuble - Compétence des juridictions de l'ordre judiciaire - Incompétence de l'ordre administratif - Annulation.
Prenant acte de ce qu'a décidé le Tribunal des conflits (8 février 2021, Garde des sceaux c/ M. B, n° 4205) sur renvoi du Conseil d’État pour difficulté sérieuse (16 octobre 2020, n° 435324), ce dernier annule le jugement qui avait déclaré l'ordre administratif de juridiction compétent pour connaître du litige en réparation de dommages causés sur un meuble lors d'une perquisition alors que, celle-ci constituant une opération de police judiciaire, la compétence pour connaître de ce litige relevait de l'ordre judiciaire de juridiction.
(23 avril 2021, M. B., n° 435324)
Santé
163 - Pensionnés résidant à l'étranger - Prise en charge de leurs frais de santé en cas de séjour temporaire - Instruction du 1er juillet 2019 - Durée minimum d'assurance - Absence d'inconstitutionnalité - Refus de renvoi d'une QPC - Annulation de l'instruction pour incompétence de son auteur avec modulation des effets de cette annulation dans le temps.
L'article L. 160-3, al. 1 du code de la sécurité sociale, lors de leurs séjours temporaires en France, ouvre aux titulaires, quelle que soit leur nationalité, d'une pension ou rente mentionnée aux 1° à 4° de cet article, notamment d'une pension ou rente de vieillesse ou d'une pension de réversion servie par un régime de base de sécurité sociale français, lorsqu'ils résident à l'étranger et n'exercent pas d'activité professionnelle, le bénéfice de la prise en charge de leurs frais de santé telle que prévue à l'article L. 160-1 de ce code.
L'article 52 de la loi du 22 décembre 2018 de financement de la sécurité sociale pour 2019, entré en vigueur le 1er juillet 2019, a complété cet article notamment en déclarant ces dispositions applicables " (...) b) Aux personnes mentionnées aux 1° et 3°, non mentionnées au a et dont la pension rémunère une durée d'assurance supérieure ou égale à quinze années au titre d'un régime français; (...)".
L'instruction du 1er juillet 2019, dont l'annulation était l'objet du présent recours, contient un paragraphe VI selon lequel : " La gestion des droits maladie des pensionnés, visés au point c du I de la présente instruction [c'est-à-dire ceux résidant dans un État hors espace européen n'ayant pas conclu de convention bilatérale de sécurité sociale avec la France rendant cette dernière exclusivement compétente pour la prise en charge de leurs frais de santé] et affiliés avant le 1er juillet 2019 pour la prise en charge de leurs frais de santé lors de leurs séjours temporaires en France auprès de la caisse d'assurance maladie compétente, doit être revue comme suit :
- l'affiliation à l'assurance maladie sera maintenue dès que les intéressés bénéficient d'une pension rémunérant une durée d'assurance de plus de dix ans en France ;
- une période transitoire de trois ans à compter du 1er juillet 2019, pendant laquelle leur affiliation restera effective en tout état de cause, sera ouverte pour ceux d'entre eux dont la pension rémunère une durée d'assurance comprise entre cinq et moins de dix ans en France ".
Le Conseil d’État est convaincu par le demandeur que les dispositions de cette instruction sont entachées d'incompétence car en permettant la prise en charge, au-delà du 1er juillet 2019, des soins dispensés au cours de séjours temporaires à des pensionnés résidant à l'étranger affiliés pour cette prise en charge avant cette date, sans être couverts par un règlement européen ou une convention internationale de sécurité sociale prévoyant la compétence exclusive de la France et ne justifiant pas de quinze années minimales de cotisation à l'assurance vieillesse, cette instruction ajoute aux dispositions transitoires prévues par le législateur au b) de l'art. 160-3 du code précité.
En revanche, le Conseil d’État avait, préalablement, rejeté la requête en QPC dirigé contre le b) de cet article, estimant tout d'abord qu'il opère une conciliation raisonnable entre les exigences constitutionnelles, d'une part, de bon emploi des deniers publics et, d'autre part, du droit à la protection de la santé. Ensuite il juge ces dispositions non contraires au principe d'égalité, ni de portée rétroactive ni entachées d'incompétence négative.
L'annulation prononcée prend effet au jour de la décision, les situations antérieurement acquises devenant définitives sous réserve de recours déjà introduits et encore pendants.
(2 avril 2021, M. A., n° 437698)
(164) V. aussi, très semblable : 2 avril 2021, M. A., n° 437698.
165 - Produits de santé - Pouvoirs du Comité économique des produits de santé - Fixation du tarif de responsabilité et du prix de vente au public d'implants orthopédiques - Décision de baisser le prix desdits implants - Éléments pris en considération à cet effet - Légalité - Rejet.
La société requérante contestait la légalité de la décision par laquelle le Comité économique des produits de santé a baissé les tarifs de responsabilité et les prix des cotyles à double mobilité de la gamme " Quattro cim ", " Quattro Hap " et " Integra de reprise "; elle invoquait des moyens de légalité externe que l'on n'examinera pas ici et des moyens de légalité interne.
Ces derniers critiquaient les deux motifs retenus par le Comité pour prendre la décision litigieuse. Se fondant sur les dispositions du II de l'art. L. 165-2 du code de la sécurité sociale, le Comité a pris en considération l'ancienneté de l'inscription de ce dispositif médical sur la liste des produits et prestations remboursables et le niveau élevé des montants remboursés par l'assurance maladie obligatoire pour les implants orthopédiques, dont les cotyles à double mobilité, et du prix des comparateurs.
S'agissant de l'ancienneté d'inscription, le juge rejette l'argument tiré de ce que les produits en cause ont été d'abord inscrits sous description générique puis sous nom de marque, le texte précité ne distinguant pas entre ces deux modalités. C'est donc sans erreur de droit que le Comité a retenu l'ensemble de la période de vente de ces prothèses orthopédiques quelle qu'ait été la dénomination, générique ou de marque, sous laquelle elles ont été commercialisées.
S'agissant du coût de remboursement de ces produits pour la sécurité sociale, le juge considère que le Comité pouvait légalement le prendre en considération comme l'un des motifs de sa décision dès lors qu'il est établi que le montant des remboursements s'est élevé, en 2018, à 17,6 millions d'euros pour les cotyles en cause et à 97 millions d'euros pour l'ensemble des cotyles.
La circonstance que ces montants sont aujourd'hui en baisse est sans effet ici.
(7 avril 2021, Société Groupe Lépine, n° 432733)
(166) V. aussi, dans le cas d'un rejet par le Comité économique des produits de santé d'une demande de hausse du prix de certaines spécialités, l'annulation partielle assortie d'une injonction : 7 avril 2021, Société Téofarma, n° 433162.
167 - Décret et arrêté fixant les conditions et les modalités de l'admission en deuxième et troisième années du premier cycle des formations de médecine, de pharmacie, d'odontologie et de maïeutique - Recours formé par la Fédération française des psychomotriciens - Défaut d'intérêt - Rejet.
(16 avril 2021, Fédération française des psychomotriciens, n° 437321 et n° 437322) V. n° 23
Service public
168 - Principe d'égalité devant le service public - Égalité devant les diplômes - Épreuves du baccalauréat - Refus opposé aux candidats issus d'écoles privés hors contrat de subir une épreuve - Doute sérieux et urgence - Suspension ordonnée.
Le juge des référés du Conseil d’État ordonne la suspension de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le premier ministre sur la demande de l'association requérante tendant à la prise en compte des évaluations de l'enseignement optionnel " Langues et cultures de l'Antiquité " pour les élèves de l'enseignement privé hors contrat lors de la session 2021 du baccalauréat.
Le juge relève tout d'abord que l'on ne se trouve point dans l'une des hypothèses où il peut être dérogé à l'application du principe d'égalité dans la mesure où, au regard du contenu et de la nature de l'épreuve en cause, il n'existe pas de différence objective entre les candidats issus de l'enseignement public ou privé sous contrat et ceux issus de l'enseignement hors contrat. Il existe donc un doute sérieux sur la légalité de la décision implicite litigieuse.
Comme par ailleurs les épreuves du baccalauréat sont proches, l'urgence est établie.
(ord. réf. 14 avril 2021, Association Civitas, n° 450307)
(169) V. aussi, la solution de rejet retenue sur le recours collectif d'une vingtaine d'établissements et de plusieurs dizaines de personnes physiques à propos d'autres critiques de l'organisation du baccalauréat par les établissements d'enseignement privé hors contrat : ord. réf. 22 avril 2021, Association "Créer son école" et autres et Mme Carole Allali et autres, n° 450751.
Sport
170 - Sanction pour dopage - Sanction infligée par l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) - Application du principe d'impartialité des juridictions - Sanction après annulation contentieuse de la sanction précédemment infligée - Rejet.
Un sportif spécialiste de jet ski fait l'objet de sanctions par l'AFLD et conteste tant la régularité de la procédure d'infliction que le bien fondé de la sanction.
L'arrêt, qui est de rejet, apporte des précisions sur deux points importants.
En premier lieu, était invoqué le principe d'impartialité des juridictions. Le juge estime que ce principe, qui s'applique à l'AFLD en sa qualité d'autorité publique indépendante dotée d'un pouvoir de sanction, et qui implique que soient séparées les fonctions de poursuite et celles de jugement, n'est pas opposable à l'autorité qui, au sein de l'AFLD, assure les fonctions de poursuite sans pouvoir décider d'une éventuelle sanction.
En second lieu, le demandeur excipait de ce que le Conseil d’État, par une décision du 28 février 2019, ayant annulé la première sanction infligée par le collège de l'AFLD cela faisait obstacle à qu'une nouvelle sanction puisse éventuellement être prononcée à son encontre. Le Conseil d’État rejette l'argument d'abord à titre de principe : une nouvelle sanction pouvait être prononcée mais dans le respect de la chose jugée par le Conseil d’État. Il rejette également l'argument en raison des faits de l'espèce. L'annulation était fondée sur ce que l'Agence n'était pas compétente pour sanctionner l'intéressé, puisque ce dernier, licencié de la fédération française motonautique, relevait du pouvoir disciplinaire exclusif de cette fédération. Or, après l'arrêt précité du 28 février 2019, est entrée en vigueur le 1er mars 2019, l'ordonnance du 19 décembre 2018 qui a transféré la compétence disciplinaire de la fédération dont le sportif est licencié, vers l'AFLD et sa commission des sanctions. Cette dernière pouvait donc, comme elle l'a fait par sa décision du 24 juin 2020, sanctionner compétemment l'intéressé.
(21 avril 2021, M. B., n° 443043)
171 - Demande d'autorisation d'usage d'un médicament - Pratique du tir à l'arc - Refus d'autorisation - Substance de nature à améliorer la performance des tireurs à l'arc - Rejet.
Le demandeur contestait le refus de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) de lui accorder l'autorisation d'utiliser du Corgard 80 mg à des fins thérapeutiques après que son comité d'experts a émis un avis défavorable sur cette demande. Le Conseil d’État rejette le recours en raison de ce que le motif avancé par l'AFLD reposait sur ce que l'utilisation de bétabloqueurs dans la discipline du tir à l'arc était strictement interdite " car (elle) peut améliorer la performance " et de ce que le requérant, tout en contestant cette motivation en raison de sa généralité, n'avait pas apporté au comité d'experts d'élément contraire autre que les pièces qu'il a versées à la procédure, notamment relatives à l'évolution de son classement en compétition Inter-Pôles France Relève, qui ne confirment pas le bien-fondé de son argumentation.
(ord. réf. 28 avril 2021, M. A., n° 451838)
Urbanisme
172 - Existence d'un schéma de cohérence territoriale approuvé - Date d'entrée en vigueur du plan d'urbanisme - Détermination de la date de son caractère exécutoire - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.
Lorsque le territoire d'une commune est couvert par un schéma de cohérence territoriale approuvé, la délibération approuvant son plan local d'urbanisme entre en vigueur dès lors qu'elle a été publiée et transmise au représentant de l'État dans le département par application des dispositions combinées des art. L. 123-12 du code de l'urbanisme et L. 2131-1 du code général des collectivités territoriales. Il en résulte que cette délibération est exécutoire à compter de la date la plus tardive entre la date de publication et la date de transmission au représentant de l'État.
Vainement, une cour administrative d'appel, pour juger que le PLU n'était pas encore entré en vigueur au moment de la décision litigieuse, s'appuie sur la double obligation réglementaire (art. R. 123-24 et R. 123-25 c. urb.) que cette délibération ait fait l'objet d'un affichage pendant un mois et que cet affichage ait été mentionné de manière apparente dans un journal diffusé dans le département, car cette obligation est sans incidence sur la détermination de la date d'entrée en vigueur du plan local d'urbanisme.
Ce jugeant elle commet une erreur de droit conduisant à la cassation.
(2 avril 2021, M. E. et Mme E., n° 427736)
173 - Permis de construire - Demande de permis par plusieurs personnes - Notification expresse de rejet à une seule de ces personnes - Notification dans le délai d'instruction - Absence de naissance d'un permis tacite pour toutes les personnes concernées sauf existence éventuelle d'un motif propre au seul destinataire du refus exprès - Rejet.
Le Conseil d’État adopte dans cette affaire une solution qui quoique prévisible est assez inédite.
Lorsqu'une demande de permis de construire est faite par plusieurs personnes et qu'une notification expresse de rejet de cette demande n'est faite qu'à une seule d'entre elles, dans le délai légal d'instruction du permis, ce rejet empêche la formation d'un permis de construire tacite pour toutes les autres personnes concernées.
Il n'en irait autrement que dans l'hypothèse où le refus serait fondé sur un motif propre à celui des pétitionnaires auquel il a été expressément adressé.
(2 avril 2021, Société Serpe, n° 427931)
174 - Plan d'urbanisme - Unité paysagère avec un espace remarquable - Qualification de l'ensemble - Inadéquation entre une disposition du plan local d'urbanisme (PLU) et une orientation du projet d'aménagement et de développement durable (PADD) - Cassation sans renvoi (seconde cassation).
Le litige portait sur le reproche fait au PLU de la ville de Sète de créer un emplacement réservé pour la réalisation d'une voie publique et de ne pas classer certaines parcelles en espaces boisés classés.
La décision est intéressante par ce qu'elle confirme à nouveau et par une certaine innovation.
Tout d'abord, est rappelé le principe directeur du contrôle contentieux en matière d'urbanisme tiré de ce que l'inadéquation d'une disposition du règlement du plan local d'urbanisme à une orientation ou à un objectif du projet d'aménagement et de développement durables ne suffit pas nécessairement, compte tenu de l'existence d'autres orientations ou objectifs au sein de ce projet, à caractériser une incohérence entre ce règlement et ce projet.
Ensuite, le juge était appelé à décider que lorsque qu'un site (ici un bois) formant une unité paysagère est en continuité avec un espace remarquable, l'ensemble ainsi formé a, tout entier, la qualité d'espace remarquable. Il décide qu'en l'espèce, contrairement à ce qui avait été jugé en appel, il n'y a pas d'unité paysagère et, par suite, pas de classement possible de l'entière zone concernée en site ou paysage remarquable. Opérant cette analyse il s'en déduit que le juge de cassation exerce un contrôle de la qualification juridique des faits s'agissant de déterminer si une parcelle forme une unité paysagère avec un espace remarquable permettant ainsi la qualification de l'ensemble comme site ou paysage remarquable.
C'est à ce titre qu'il casse l'arrêt d'appel pour dénaturation des faits et des pièces du dossier.
(7 avril 2021, Commune de Sète, n° 428233)
(175) V. aussi, dans ce dossier : 7 avril 2021, Commune de Sète, n° 433923.
176 - Permis de construire - Conditions d'octroi - Existence d'une voie d'accès - Existence partielle d'une servitude de passage - Caractère de voie ouverte à la circulation publique - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.
Commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui considère comme une voie ouverte à la circulation publique une voie conduisant à une parcelle faisant l'objet d'un permis de construire car dans sa partie exempte de toute servitude de passage, elle n'était pas physiquement fermée et ne comportait pas de signalétique en interdisant l'accès aux tiers. En effet, il résulte des pièces mêmes du dossier soumis à la cour que les requérants, propriétaires du terrain d'assiette de cette partie du chemin, faisaient valoir qu'il n'était emprunté que par les riverains des maisons déjà existantes et qu'ils avaient fait connaître, y compris à la mairie de la commune, leur opposition à tout autre passage par ce chemin.
L'annulation aurait pu être fondée, davantage que sur l'erreur de droit, sur la dénaturation des pièces du dossier.
(7 avril 2021, M. C. et Mme U., n° 432708)
177 - Permis de construire - Surélévation d'un immeuble irrégulièrement implanté - Définition des règles de prospect par rapport aux baies de façade - Surélévation n'aggravant pas la non-conformité - Régularité sous condition - Rejet.
Voilà une solution empreinte d'un réalisme sain.
Était demandée l'annulation du jugement ayant rejeté la demande d'annulation d'un permis de construire en vue de la surélévation de deux niveaux d'un bâtiment de trois étages sur un niveau de sous-sol à usage de commerce et d'habitation. L'auteur du recours était une personne habitant un immeuble situé en vis-à-vis de la façade sur cour du projet.
Tout d'abord, il était constant que l'immeuble avait été édifié en méconnaissance des règles d'implantation fixées au PLU de la Ville de Paris.
Ensuite, ce plan ne définit les règles de prospect applicables à cet immeuble que par la présence et la nature des baies que comporte la façade ou la partie de façade à édifier ; elles sont donc indépendantes de la hauteur des constructions. Enfin, cette surélévation, dans ces conditions, ni ne porte atteinte aux règles de prospect ni n'aggrave la non-conformité actuelle du bâtiment.
Le pourvoi est rejeté
(7 avril 2021, Mme D., n° 433609)
178 - Permis de construire - Invitation par le juge à obtenir un permis de régularisation - Effets de l'obtention de ce second permis - Sort des conclusions dirigées contre le jugement invitant à obtenir un permis de régularisation - Sort des autres conclusions dirigées contre ce jugement - Erreur de droit - Annulation.
Rappel opportun de ce que si, à compter de la délivrance du permis modificatif en vue de régulariser le vice relevé, dans le cadre du sursis à statuer prononcé par le jugement avant dire droit, les conclusions dirigées contre ce jugement en tant qu'il met en oeuvre les pouvoirs que le juge tient de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme sont privées d'objet, il n'en va pas de même du surplus des conclusions dirigées contre ce premier jugement, qui conservent leur objet, même après la délivrance du permis de régularisation.
Ainsi en va-t-il, comme ici, du moyen selon lequel le permis initial n'était pas régularisable ou de celui contestant à titre propre la légalité du permis modificatif.
(14 avril 2021, M. et Mme D., n° 438890)
179 - Permis de construire - Implantation d'éoliennes - Exigences découlant de l'art. R. 111-21 c. urb. - Recherche d'une atteinte éventuelle au paysage - Appréciations à porter - Rejet.
L'art. R. 111-21 du code de l'urbanisme, dans sa version applicable au présent litige, dispose : " Le permis de construire peut être refusé ou n'être accordé que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales ". Le permis peut donc être refusé s'il est porté atteinte aux paysages naturels avoisinants.
Le juge indique alors, positivement, à quelles recherches doit se livrer l'autorité chargée de délivrer le permis et, négativement, ce qu'elle ne peut pas faire. Positivement, elle doit, d'abord, apprécier la qualité du site naturel sur lequel la construction est projetée et, ensuite, évaluer l'impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site. Négativement, elle ne peut pas, à ce stade se livrer à une balance d'intérêts autres que ceux visés à l'art. R. 111-21 précité.
(15 avril 2021, Association Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France et autres, n° 430497)
(180) V., sur le même projet d'implantations d'éoliennes : 15 avril 2021, Association Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France et autres, n° 430498.
(181) V. aussi, sur ce projet, jugeant que le juge de cassation réserve à l'appréciation souveraine des faits par le juge du fond la question de savoir s'il n'existait pas, en l'espèce, une autre solution satisfaisante que celle retenue : 15 avril 2021, Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France et autres, n° 430500.
182 - Permis de construire - Délivrance d'un certificat d'urbanisme indiquant un possible sursis à statuer sur une demande ultérieure de permis de construire - Sursis opposé - Conditions de légalité d'un tel sursis - Élaboration suffisamment avancée d'un nouveau PLU - Nécessité que les orientations ou règles du PLU soient légales - Contestation par le pétitionnaire des règles applicables à une zone - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.
La société Lidl, demanderesse, s'est vue opposer un sursis à exécution à sa demande de permis de construire, qu'elle a contesté en vain en première instance et en appel.
Elle se pourvoit et le Conseil d’État lui donne raison.
Un tel sursis peut être opposé si trois conditions sont cumulativement réunies :
1°/ l'état d'avancement des travaux d'élaboration du nouveau plan local d'urbanisme doit être tel qu'il permette de préciser la portée exacte des modifications projetées ; 2°/ le sursis ne peut être opposé que sur le fondement d'orientations ou de règles contenues régulièrement dans le futur plan local d'urbanisme ;
3°/ la construction, l'installation ou l'opération envisagée doit être de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse son exécution.
En l'espèce, la demanderesse soutenait que le sursis à statuer qui lui avait été opposé était irrégulier car fondé sur des règles illégales en ce qui concerne la zone US 5 dans laquelle est située la parcelle servant d'assiette au permis sollicité.
La cour a donc commis une erreur de droit en jugeant que la société Lidl ne pouvait pas invoquer contre le sursis qui lui était opposé l'illégalité susrappelée.
(21 avril 2021, Société Lidl, n° 437599)
183 - Implantation d'un relais de téléphonie mobile - Déclaration préalable de travaux - Refus - Annulation de l'ordonnance de référé confirmative du refus - Référé suspension - Annulation de l'ordonnance et du refus.
Le maire d'une commune refuse de délivrer à une société de téléphonie mobile l'autorisation de déclaration préalable de travaux nécessaire pour la construction d'un relais de téléphonie mobile.
Le juge des référés, saisi par la société, a rejeté son recours au motif que l'éventualité d'une solution alternative privait d'urgence sa demande de référé.
Sur pourvoi de cette dernière, le Conseil d’État annule l'ordonnance car elle est fondée sur l'éventualité d'une solution alternative que la société requérante n'entendait pas retenir, cette dernière demandant que soit suspendue l'exécution de la décision s'opposant à la déclaration de travaux qu'elle avait déposée pour réaliser le projet qu'elle avait arrêté et entendait poursuivre.
Statuant sur le fond, le juge décide que l'intérêt public attaché à la couverture nationale des réseaux de téléphonie mobile justifie que soit annulé le refus du maire et cela d'autant plus que ne pouvait prospérer un autre motif de ce refus, à savoir que le projet de relais méconnaitraît les engagements pris par la commune au titre de la charte du parc régional du Gâtinais alors que cette construction n'était pas contraire aux dispositions du règlement du plan d'occupation des sols applicables à la zone NC d'implantation du projet.
(ord. réf. 8 avril 2021, SAS Free Mobile, n° 439357)
184 - Vice(s) affectant une autorisation d'urbanisme - Régularisation possible - Office du juge - Cas de dispense du sursis à statuer - Portée de la régularisation - Annulation et renvoi dans la limite de cette annulation.
Rappels :
1°/ de ce que si le juge doit en principe surseoir à statuer sur une demande d'annulation en raison de vice(s) dont est entachée une autorisation d'urbanisme lorsqu'il l'estime régularisable, un tel sursis n'a pas lieu lorsqu'il a fait choix d'appliquer l'art. L. 600-5 du code de l'urbanisme et si le bénéficiaire de l'autorisation contestée a fait savoir ne pas vouloir bénéficier de la possibilité de régularisation.
2°/ de ce qu'une régularisation est possible même si elle implique de revoir l'économie générale du projet, si cela est rendu possible en l'état du droit positif au jour où le juge statue, sous réserve que ne soit pas apporté à ce projet un bouleversement tel qu'il en changerait la nature même.
(28 avril 2021, M. E., n° 441402)