Sélection de jurisprudence du Conseil d'État

Mars 2019

Actes et décisions

 

1 - Publication sur le site internet d'un ministère d'informations et d'un calendrier – Acte sans caractère ou effet impératif – Recours irrecevable.

Ne fait pas grief la publication sur le site internet du ministère de la justice du calendrier de création et d'installation des nouveaux offices notariaux puisqu'elle se borne à appliquer la réglementation en vigueur. Par suite, le recours formé contre cet acte est irrecevable, d'où le rejet prononcé.

(4 mars 2019, M. X., n° 427452)

 

2 - Décision réglementaire – Impossibilité de constituer une mesure purement gracieuse – Recours recevable – Demande d'annulation partielle de dispositions n'étant pas indivisibles.

Etait demandée l'annulation de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le ministre des finances et des comptes publics sur des demandes tendant à l'abrogation des articles 6 et 7 de la décision du 2 février 2006 du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et du ministre délégué au budget et à la réforme de l'Etat instituant une indemnité différentielle en faveur de certains ouvriers et contractuels de droit public de l'Imprimerie nationale.

Ne peut être qualifiée de mesure purement gracieuse, comme le soutenait le ministre défendeur, une mesure favorable qui n'est imposée par aucun texte dès lors qu'elle institue cette indemnité et fixe les règles selon lesquelles elle est versée car ce faisant elle présente un caractère réglementaire.

Ainsi, la décision contestée, à raison de ce caractère, ne saurait revêtir une nature purement gracieuse et, partant, être insusceptible de recours. L'action des requérants n'est donc pas irrecevable.

(20 mars 2019, M. X. et Association Sang d'encre, n° 404405)

 

3 - Régime de retraite des anciens membres du Conseil économique et social – Compétence pour fixer ou modifier ce régime – Evolution des textes applicables – Compétence du président et de ses deux questeurs – Nécessité de prendre des mesures transitoires – Non en l'espèce – Rejet.

Une ancienne membre du Conseil économique et social conteste la décision du 25 mai 2016 par laquelle le président du Conseil économique, social et environnemental a rejeté sa demande tendant à l'abrogation de l'arrêté du 28 juin 2011 modifiant l'arrêté du 21 janvier 1958 relatif au règlement de la Caisse de retraite des anciens membres du Conseil économique et social, de leurs conjoints et de leurs orphelins mineurs. Au soutien de sa requête, elle invoque l'incompétence des auteurs de cette décision et l'absence de mesures transitoires entre l'ancien et le nouveau régime.

Sa demande est rejetée.

Sur la compétence pour prendre la décision attaquée, le juge relève qu'elle résulte d'une loi du 6 janvier 1950 sur la base de laquelle a été pris, le 21 janvier 1958, le règlement de la caisse de retraite des agents de ce Conseil. Si ces dispositions ont été abrogées, avec l'apparition de la Ve république, par l'art. 13 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, elles ont été reprises, en substance et pour l'essentiel, par l'art. 8 du décret du 5 mai 1959 relatif au régime administratif et financier du Conseil économique et social lequel dispose : " La caisse de retraite instituée par le Conseil économique en application de la loi du 10 juillet 1957 est maintenue au profit des membres du Conseil économique et social ". Ces dispositions, prises pour l'application de l'article 27 de l'ordonnance du 29 décembre 1958 portant loi organique relative au Conseil économique et social ont donc nécessairement maintenu la compétence du président et de ses deux questeurs en matière de règlement de la caisse de retraite et donc leur pouvoir de modification. L'allégation d'incompétence est rejetée.

Sur l'absence de mesures transitoires, le Conseil d'Etat rappelle que cette règle " ne s'impose que lorsque l'application immédiate de cette réglementation est impossible ou qu'elle entraînerait une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause ". Il rejette l'argumentation de la requérante en se bornant à observer la nécessité de rétablir l'équilibre financier, gravement compromis, de la caisse de retraite. Par suite, la seule invocation par l'intéressée des effets de la réglementation nouvelle sur sa situation personnelle, ne démontre point une atteinte excessive à des intérêts publics ou privés. On avouera être dubitatif devant ce raisonnement.

(20 mars 2019, Mme X., n° 409544)

 

4 - Enseignement supérieur – Conditions d'octroi de bourses d'études – Circulaire publiée sur le site internet du ministère – Accès facile et sûr – Mode de publicité suffisant – Point de départ du délai de recours contentieux – Délai expiré – Irrecevabilité de la requête pour cause de tardiveté.

La requérante, au nom de ses enfants mineurs, demandait l'annulation pour excès de pouvoir d'une circulaire ministérielle relative aux modalités d'attribution des bourses d'enseignement supérieur sur critères sociaux et des aides à la mobilité internationale pour l'année 2015-2016 en tant qu'elle prévoyait que les conditions de ressources pouvant ouvrir droit au bénéfice d'une bourse d'enseignement supérieur sur critères sociaux seraient appréciées en retenant les revenus figurant sur la ligne " revenu brut global " ou " déficit brut global " de l'avis fiscal d'imposition. 

Cette circulaire, faute qu'aucun autre mode de publicité obligatoire ne résulte des textes à cet égard, a été publiée sur le site internet du ministère de l'enseignement supérieur. Cette publicité est jugée d'accès aisé et de contenu fiable ce qui a pour effet de déclencher le point de départ du délai de recours contentieux au jour de cette mise en ligne.

Le recours introduit plus de deux mois après cette date était donc tardif et, par suite, irrecevable car entaché de forclusion.

(20 mars 2019, Mme X., n° 401774)

 

5 - Circulaire retardant l'entrée en vigueur d'une loi – Absence de justification admissible à ce report – Annulation de la circulaire.

L'art. 85 de la loi du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, a apporté deux modifications au régime antérieurement applicable en matière de mutation des fonctionnaires justifiant du centre de leurs intérêts matériels et moraux dans une des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution ainsi qu'en Nouvelle-Calédonie. D'une part, il a institué une priorité dans l'examen des demandes de mutation de ces fonctionnaires, et d'autre part, il a supprimé la précision selon laquelle la situation de ces mêmes fonctionnaires peut faire l'objet de critères supplémentaires établis à titre subsidiaire par les lignes directrices édictées en application de ce texte.

Par une circulaire du 3 avril 2018, attaquée dans le cadre du présent recours, le ministre de l'intérieur a prévu de différer jusqu'en 2019 l'application de la règle de priorité établie par l'art. 85 de la loi de 2017.

Le Conseil d'Etat relève que la loi elle-même n'a pas prévu que soit retardée son entrée en vigueur et qu'il ne résulte d'aucune circonstance particulière que cette entrée en vigueur fût manifestement impossible en l'espèce ; cette loi est donc entrée en vigueur le lendemain de sa publication. La circulaire qui en retarde de presque deux années l'application est, par suite, illégale, sans que puisse être opposée ni la circonstance que le ministre disposait d'un délai raisonnable de mise en oeuvre ni l'absence de consensus entre les organisations syndicales représentatives concernées ni la complexité de la notion de "centre des intérêts matériels et moraux" ni encore la complexité des modifications techniques à introduire dans le système automatisé de traitement des demandes de mutation, aucun de ces éléments ne rendant manifestement impossible l'application de la loi. 

(18 mars 2019, M. X., n° 420366)

 

6 - Détermination de la date d'entrée en vigueur d'un décret – Décret du 17 octobre 2012 relatif aux pénalités instituées par l'article 120 de la loi du 21 décembre 2011 de financement de la sécurité sociale pour 2012 – Principe de la non-rétroactivité des actes ayant le caractère de punition – Entrée en vigueur de la loi de 2011 déterminée selon les dispositions de  l'art. 1er du Code civil – Cas en l'espèce en l'absence de nécessité que soient prises des mesures d'exécution - Application aux infractions commises postérieurement à cette entrée en vigueur – Principe d'application immédiate de la loi répressive plus douce – Cas en l'espèce.

La loi du 21 décembre 2011 de financement de la sécurité sociale réprime la non déclaration, par l'assureur du tiers responsable, aux caisses concernées, dans le délai de trois mois, de lésions survenues à des assurés sociaux. Cette sanction prend la forme d'un montant variable en fonction de la gravité du comportement de l'assureur, celui-ci ne pouvant excéder 50 % du remboursement obtenu.

Devant le tribunal des affaires de sécurité sociale, dans un litige relatif à un accident, des sociétés d'assurance soutiennent l'illégalité du décret du 17 octobre 2012 relatif aux pénalités instituées par l'article 120 de la loi du 21 décembre 2011 de financement de la sécurité sociale pour 2012.  Y voyant une question préjudicielle, le tribunal renvoie les parties devant la juridiction administrative, le tribunal administratif faisant le choix de transmettre la question au Conseil d'Etat.

Celui-ci relève qu'en l'absence de toute indication en ce sens dans la loi et celle-ci ne nécessitant pas de mesures d'exécution pour son entrée en vigueur, cette loi est entrée en vigueur, comme prévu à l'art. 1er du Code civil, le lendemain de sa publication au J.O. soit le 23 décembre 2011. La pénalité qu'elle institue s'applique donc aux infractions commises à partir de cette date. Comme la sanction est plus douce que celle existant antérieurement, il en résulte que le décret du 17 octobre 2011 s'applique aux infractions commises après l'entrée en vigueur de la loi de 2011 et antérieurement au 17 octobre 2012.

(13 mars 2019, Sociétés MMA IARD Assurances mutuelles et MMA IARD SA, n° 418681)

 

7 - Communication des documents administratifs – Cas d'un protocole transactionnel conclu entre l'Etat et des sociétés d'autoroute – Document communicable – Précautions à prendre pour effectuer la communication – Confirmation du jugement de première instance.

Avait été sollicitée la communication du protocole transactionnel conclu entre l'Etat et des sociétés d'autoroutes afin de prévenir ou d'éteindre un litige relevant de la compétence du juge administratif.

Le Conseil d'Etat qualifie, très logiquement, cette transaction de contrat administratif et y voit un document administratif communicable dans les conditions prévues au code des relations entre le public et l'administratif.

Toutefois, cette communication étant de nature à porter atteinte au déroulement de la procédure juridictionnelle engagée, elle ne peut intervenir, sous réserve du respect des autres secrets protégés par la loi tel notamment le secret en matière commerciale et industrielle, qu'après que l'instance en cause a pris fin. 

La solution retenue nous semble équilibrée.

(18 mars 20019, Ministre de l'économie et des finances, n° 403465)

 

8 - Vente de médicaments au public par les pharmacies d'hôpital à usage intérieur autorisées – Inscription d'un médicament sur la liste des médicaments que les pharmacies de certains établissements de santé sont autorisées à délivrer au public au détail (mécanisme dit de "rétrocession hospitalière") – Autorité ministérielle compétente – Fixation du prix de cession de ces médicaments au public ou d'un tarif de responsabilité – Incompétence de l'autorité ministérielle.

Les pharmacies d'hôpital public, chargées de délivrer les médicaments à leur établissement d'appartenance, peuvent à certaines conditions être autorisées à en délivrer également au public moyennant paiement.

Dans un litige relatif à la détermination de l'autorité compétente en cette matière, le Conseil d'Etat fait le départ entre deux catégories de décisions. Le ministre de la santé est compétent en matière de rétrocession hospitalière, c'est-à-dire pour inscrire un médicament sur la liste des médicaments que certains établissements de santé, disposant d'une pharmacie à usage intérieur, sont autorisés à vendre au public au détail. En revanche, si les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale ont compétence pour décider du remboursement du médicament dans l'indication prévue par la recommandation temporaire d'utilisation dont la spécialité fait l'objet, ils n'ont compétence ni, en l'absence de décision du Comité économique des produits de santé à laquelle ils auraient fait opposition, pour arrêter un tarif de responsabilité, sur la base duquel serait opéré le remboursement de la spécialité par l'assurance maladie, pas plus d'ailleurs que pour fixer un prix de cession au public, ni pour déterminer le taux de la participation de l'assuré.

La requête du laboratoire requérant, fondée sur l'incompétence des auteurs de la décision litigieuse, est accueillie.

(15 mars 2019, Société Laboratoires Crinex, n° 412930, 412932)

 

9 - Polynésie française – "Loi de pays" – Régime contentieux – Impossibilité d'annulation par le juge après sa promulgation.

Les requérants demandent au Conseil d'Etat de déclarer illégale la " loi du pays " du 15 novembre 2018 portant modification de la " loi du pays " du 10 mai 2013 relative aux ventes et prestations "à la boule de neige" et d'annuler la " loi du pays " du 10 mai 2013.

 La "loi de pays" est une catégorie juridique étrange, pas vraiment loi pas vraiment acte administratif et dont la dénomination - toujours exprimée entre guillemets - n'aide guère à sa compréhension. Cette incertitude retentit sur son régime contentieux. Le II de l'art. 176 de la loi organique relative à la Polynésie française dispose qu'une fois adoptée une "loi de pays" est publié au J.O. de Polynésie afin de permettre aux personnes qui le souhaiteraient, dans le délai d'un mois à compter de cette publication, de déférer cet acte au Conseil d'Etat.

Ce dernier considère, à juste titre, que passé ce délai, la "loi de pays" ayant fait l'objet d'une promulgation ne peut plus être déférée à sa censure.

En l'espèce, le recours était dirigé contre deux "lois", l'une de 2018 et l'autre de 2013, ayant le même objet.

Après avoir constaté que l'un des deux requérants avait intérêt pour agir et que sa requête était fondée, il déclare illégale la "loi de pays" du 15 novembre 2018 ; en revanche, sa demande est rejetée en tant qu'elle porte sur la "loi de pays" de 2013, sa promulgation faisant obstacle à la saisine du juge administrative.

(13 mars 2019, M. X. et Syndicat de la fonction publique, n° 426435 ; V. aussi, à propos de la "loi de pays" du 15 novembre 2018, une autre déclaration d'illégalité, du même jour, relative aux conditions de création des officines de pharmacie et certaines dispositions relatives à l'exercice de la pharmacie : M. X., n° 426439 et Conseil de l'ordre des pharmaciens de la Polynésie française, Syndicat des pharmaciens de la Polynésie française et Syndicat des pharmaciens des îles et de Tahiti, n° 426562 ; V. également, du même jour, s'agissant de la "loi de pays" du 15 novembre 2018 portant création et organisation d'un système d'information communautaire pour le passage de la marchandise à l'importation et à l'exportation dénommé "FETIA" : M. X., n° 426436)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques

 

10 - Traitement informatique de données à caractère personnel – Traitement automatisé de données à caractère personnel relatif au pilotage et à la gestion des élèves de l'enseignement du premier degré – Opposition au traitement des données relatives aux enfants de la requérante – Motifs légitimes – Absence – Recours contre des données ayant cessé d'être conservées dans le traitement attaquée – Non-lieu nonobstant le transfert des données vers d'autres traitements.

La mère de deux enfants scolarisés a demandé, et ne l'a pas obtenue en première instance et en appel, l'annulation de la décision de l'inspecteur d'académie rejetant son opposition à l'enregistrement et à la conservation des données personnelles relatives à ses enfants dans la " Base élèves premier degré " (BE1D) et la " base nationale identifiant élève " (BNIE), ainsi que celle rejetant son recours hiérarchique. Elle se pourvoit en cassation.

Son pourvoi est rejeté car aucun des moyens avancés ne convainc le Conseil d'Etat. Il en est cependant un, central, qui doit retenir l'attention. La cour d'appel avait relevé d'office qu'il n'y avait pas lieu pour elle de statuer sur la requête car les données litigieuses ne peuvent être conservées au-delà du terme de l'année civile au cours de laquelle l'élève n'est plus scolarisé dans l'enseignement du premier degré. C'était le cas des enfants de la demanderesse.

Ce raisonnement est confirmé par le Conseil d'Etat et cela peut se concevoir. En revanche, plus discutable est l'affirmation selon laquelle que ce non-lieu s'impose " sans qu'ait d'incidence le fait que les données en cause aient pu être transférées vers d'autres traitements vis-à-vis desquels s'exerce le droit d'opposition". Cela signifie, d'une part, que le non-lieu est opposable alors même qu'en réalité les données sont maintenues et conservées, d'autre part, qu'il incombe aux intéressés de rechercher dans quel(s) autre(s) fichier(s) ont pu migrer lesdites données afin d'y faire opposition le cas échéant. Le droit d'opposition est ainsi sans portée ni efficacité réelle dans cette configuration. Ce n'est ni satisfaisant ni, probablement, conforme au droit informatique de l'UE.

(18 mars 2019, Mme X., n° 406313)

 

Biens

V. aussi n° 46

 

11 - Droit de préemption – Conditions d'exercice – Etendue du contrôle du juge sur la décision de préempter.

Rappels de principes constants.

Tout d'abord, positivement, le juge contrôle, d'une part, la réalité de l'existence du projet en vue de la réalisation duquel la préemption a été décidée, et d'autre part, qu'il existe un intérêt général suffisant à cette opération.

Ensuite, négativement, il n'appartient pas au juge - contrairement à ce qu'avaient jugé en l'espèce les deux juridictions du fond - d'apprécier si le recours à la préemption ne pouvait pas être évité et si l'opération projetée ne pouvait pas être réalisé en faisant l'économie de l'exercice du droit de préemption.

(13 mars 2019, M. et Mme X. et Mme Y., n° 419259)

 

12 - Expropriation pour cause d'utilité publique – Travaux autoroutiers en vue du contournement ouest de Strasbourg – Croyance en l'existence d'une compétence liée – Absence – Prorogation d'une déclaration d'utilité publique (DUP) – Modification substantielle des caractéristiques du projet – Absence – Computation du délai décennal de réalisation des expropriations – Acte de prorogation d'une DUP, régime distinct de celui de la DUP elle-même.

Les requérants contestent certains aspects juridiques du projet d'expropriation relatif au contournement autoroutier ouest de Strasbourg. Vu l'importance de cette opération il était assuré qu'elle ne serait pas annulée.

Le juge apporte cependant d'intéressantes précisions.

En premier lieu, il était affirmé que le premier ministre s'étant cru, à tort, en situation de compétence liée lorsqu'il a pris la décision de proroger le délai de réalisation des expropriations, sa décision serait illégale. Les pièces du dossier ne confirmant pas cette affirmation, elle est donc écartée.

En deuxième lieu, la décision de proroger les effets de la DUP étant contestée par le recours, le juge rappelle que celle-ci est possible sauf cas particuliers (évolution du droit applicable, perte du caractère d'utilité publique du fait des changements de circonstances de fait). De plus, cette prorogation s'effectue sans nouvelle enquête publique malgré des évolutions possibles du contexte sauf modification substantielles des caractéristiques du projet, au rang desquelles figure une augmentation de son coût dans des proportions de nature à en affecter l'économie générale. Situation qui ne se présente pas en l'espèce.

En troisième lieu, les expropriations doivent être réalisées dans le délai de dix ans à compter de la publication du décret du 23 janvier 2008, soit le 24 janvier. Or le décret attaqué est intervenu le 22 janvier 2018 alors que le délai courait encore ; il n'y a donc pas eu en l'espèce prorogation d'une DUP caduque.

Enfin, s'agissant d'une prorogation d'une DUP et non de la DUP elle-même, ne sauraient être invoquées à son encontre les dispositions du code de l'environnement relatives aux mesures prises pour éviter, réduire ou compenser les incidences négatives notables du projet sur l'environnement, lesquelles ne s'imposent qu'aux DUP stricto sensu et non à l'acte les prorogeant.

(13 mars 2019, Association Alsace nature et commune de Kolbsheim, n° 418994)

 

13 - Bail emphytéotique – Construction d'un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) – Protocole transactionnel – Caractère de marché de travaux publics – Absence – Dénaturation des pièces du dossier par l'arrêt d'appel.

Une opération de construction et de gestion d'une maison de retraite est envisagée - sous la forme d'un bail emphytéotique avec retour des biens à la commune en fin de bail - entre une commune et un OPH ; elle est réalisée et fonctionne sans que les actes juridiques nécessaires à cet effet aient été pris. Un litige étant survenu quant à la conclusion du bail emphytéotique initialement prévu, un protocole transactionnel, entre la commune et l'OPH, destiné à mettre fin à tout litige sur ce point, est signé par le maire, après autorisation du conseil municipal. Des particuliers et une association demandent l'annulation des délibérations approuvant le protocole et autorisant le maire à le signer ainsi que l'autorisation donnée à ce dernier de signer le bail emphytéotique. En outre, ont été demandées, par l'association, l'annulation des délibérations du conseil d'administration de l'EHPAD, personne publique, qui a autorisé sa directrice à signer une convention de mise à disposition d'un immeuble avec l'OPH de Haute-Garonne, approuvé un protocole d'accord transactionnel entre la commune de Rieumes, l'OPH de Haute-Garonne et l'EHPAD et a autorisé sa directrice à signer ce protocole.

Ces recours ont été rejetés par le tribunal administratif  mais accueillis par la cour administrative d'appel qui a, en outre, enjoint  à la commune de résilier  le contrat de bail emphytéotique conclu avec l'OPH de Haute-Garonne ainsi que le protocole transactionnel conclu avec l'OPH de Haute-Garonne et l'EHPAD et enjoint à ce dernier de résilier la convention de mise à disposition conclue avec l'OPH de Haute-Garonne ainsi que le protocole transactionnel conclu avec l'OPH de Haute-Garonne et la commune de Rieumes, dans un délai de quatre mois à compter de la notification de l'arrêt.

C'est contre cet arrêt que sont dirigés les deux pourvois joints.

Le Conseil d'Etat, après avoir rappelé les définitions du marché public et du marché public de travaux en droits européen et interne, indique que les parties ne doivent pas se tromper sur l'objet du litige. Celui-ci ne porte que sur le bail emphytéotique et les actes qui y ont concouru ainsi que sur le protocole transactionnel et les actes qui y ont concouru. Aucune de ces deux séries d'actes ne constitue, ni séparément ni ensemble, un marché public de travaux. Il s'agissait simplement - compte tenu des péripéties qui avaient caractérisé les conditions de réalisation de l'EHPAD - de "donner un fondement juridique aux relations entre les parties pour l'avenir pour l'exploitation d'un équipement construit près de cinq ans auparavant ".

C'est donc au prix d'une dénaturation de l'objet des actes contestés que la cour administrative a prononcé les censures et les injonctions précitées commettant ainsi une erreur de qualification juridique, entraînant nécessairement l'annulation de l'arrêt d'appel.

(15 mars 2019, Commune de Rieumes, n° 409499 et Office public de l'habitat (OPH) de Haute-Garonne, n° 409540)

 

Contrats

 

V. aussi n° 7, n° 60

 

14 - Marchés publics – Marché public portant sur la collecte et l'évacuation des ordures ménagères résiduelles et des déchets d'emballage recyclables issus de la collecte en porte à porte ainsi que la collecte des cartons des gros producteurs – Rejet d'une offre comme étant anormalement basse – Notion d'offre anormalement basse – Appréciation de l'offre – Appréciation globale et non par prestation – Recours irrecevable pour introduction tardive.

La décision est curieusement construite en ce que, après avoir examiné l'argumentation du requérant et l'avoir trouvée fondée, elle débouche sur un constat d'irrecevabilité du recours car introduit après la signature du marché litigieux.

Le débat portait sur le caractère anormalement bas de l'offre faite par la requérante, argument invoqué par la communauté d'agglomération pour rejeter l'offre de la requérante mais retenu par le juge du référé précontractuel pour rejeter la requête de la société évincée.

Le Conseil d'Etat rappelle que l'appréciation du caractère anormalement bas est une appréciation globale portant sur le prix global de l'offre ; il ne s'agit donc pas d'apprécier l'offre au regard du prix de chacune des prestations composant, ensemble, le marché (ou le lot). La circonstance du caractère anormalement bas de l'offre portant sur une des prestations du marché ne permet pas de la rejeter pour ce motif. Il en va ainsi, ajoute le Conseil d'Etat, même dans le cas où cette prestation fait l'objet d'un mode de rémunération différent ou d'une sous-pondération spécifique au sein du critère du prix.

Reste que l'anormalité du prix d'une prestation retentit sur le prix global, certes pas en le rendant ipso facto à son tour anormalement bas mais en faisant tout de même baisser ce prix global, améliorant ainsi l'offre au regard du critère du prix.

De plus, le prix trop bas d'une prestation peut faire douter, par exemple, de la qualité du matériau acquis ou de tout autre élément, ceci pouvant avoir alors une incidence sur l'ensemble de l'exécution du marché.

(13 mars 2019, Société Sepur, n° 425191)

 

15 - Concession d'aménagement – Restructuration urbaine d'un centre-ville – Vices graves affectant la conclusion et les stipulations de la convention – Annulation en l'absence d'atteinte excessive portée à l'intérêt général – Illégitimité prétendue de la démarche du requérant sans effets ici.

C'est une importante décision qui est rendue ici par le Conseil d'Etat ; elle aurait d'ailleurs mérité les honneurs d'un arrêt de Section.

Dans le cadre d'une procédure d'attribution de la concession d'une opération de restructuration concernant le centre-ville de Saint-Tropez, un concurrent évincé conteste l'attribution de la concession. Sa demande est rejetée en première instance et en appel, l'arrêt est cassé par le Conseil d'Etat qui renvoie l'affaire devant une autre cour administrative d'appel, laquelle rejette à son tour le recours. Un second pourvoi en cassation est formé devant le Conseil d'Etat qui devait donc trancher, au fond et définitivement, ce litige.

La jurisprudence la plus contemporaine est fixée en ce sens qu'il convient de tout faire pour réparer les défectuosités des contrats et marchés publics et que ce n'est que lorsqu'il est impossible de faire autrement qu'il convient de sanctionner par la nullité du contrat les vices les plus graves. Encore, en cette hypothèse, convient-il d'avoir égard à l'intérêt général : si celui-ci devait en subir une atteinte excessive, il ne faudra pas prononcer la nullité du contrat. C'est cette "doctrine", édifiée entre 2007 (Société Travaux Tropic Signalisation) et 2014 (Département de Tarn-et-Garonne) par le Conseil d'Etat qui trouve son application en l'espèce.

Les diverses juridictions du fond qui se sont prononcées dans cette affaire ont toutes conclu à l'impossibilité d'annuler le contrat litigieux, malgré ses vices graves et évidents, en raison du caractère inextricable de l'imbrication des différents actes concernés, de l'atteinte à l'intérêt général comme aussi du fait de la réalisation aujourd'hui complète de l'opération en cause.

Pourtant ce n'est pas à cette solution que s'arrête ici le Conseil d'Etat dont la décision doit être lue autant en direction des collectivités envers lesquelles elle constitue un sérieux coup de semonce qu'en direction des juges pour lesquels elle se veut une pédagogie de l'action et d'une certaine audace.

Tout d'abord, le Conseil d'Etat va dire qu'il n'a pas du tout été convaincu par les motifs avancés par les juges du fond pour refuser l'annulation qu'il leur était demandée de prononcer, évoquant de leur part " des termes hypothétiques et imprécis " ne mettant ainsi pas " le juge de cassation à même de procéder à un contrôle de qualification juridique sur son appréciation des conséquences à tirer sur le contrat des irrégularités constatées ".

Ensuite, il va se livrer à une analyse détaillée et in concreto des différents vices affectant le contrat litigieux. Il reproche successivement au pouvoir adjudicateur :

- d'avoir attribué le contrat à un candidat qui n'a pas réellement justifié de ses capacités techniques et, ici, surtout financières alors que cette carence devait le conduire à rejeter l'offre de ce candidat ;

- d'avoir accepté que les demandes de permis de construire sur la base desquels les offres devaient être élaborées, aient été établies par un cabinet d'architecture, qui est le maître d'oeuvre de la commune de Saint-Tropez et qui a été, aux termes d'une prestation rémunérée, le conseil de la société attributaire du contrat y compris pendant la phase de négociation des offres au cours de laquelle des permis de construire étaient encore en instruction ;

- d'avoir retenue une offre qui, en méconnaissance du règlement de consultation, comportait un nombre très significatif de logements sociaux de types " PLAI " et " PLUS ", pour lesquels les constructeurs bénéficiaient d'importantes subventions publiques et de taux d'emprunt privilégiés, qui étaient de nature à modifier nettement l'équilibre économique du contrat ;

- d'avoir retenue une offre qui prévoyait une densité supplémentaire de 2000 m² environ sur le site de l'ancien hôpital par rapport au projet présenté dans le document programme, soit une hausse à ce titre de 10 % de la surface, ainsi que quatre-vingt-dix places supplémentaires de parking pour un nombre initialement prévu dans les documents de la consultation de 533. De telles modifications intervenues au stade de la signature de la convention ont modifié substantiellement l'économie du projet mis à la concurrence et ont ainsi porté atteinte aux règles de publicité et de mise en concurrence.

Au total, le juge se convainc d'une absence d'impartialité du pouvoir adjudicateur qui a fait tout son possible pour le contrat soit attribué à celui qui l'a finalement obtenu en violation des principes souverains de concurrence qui régissent la commande publique : égalité, transparence et liberté d'accès (cf. point 14 de la décision).

Mais le Conseil d'Etat va plus loin en observant, au terme d'une "analyse" particulièrement "enlevée", d'une part, que l'annulation encourue ne porterait atteinte ni à l'intérêt général ni, non plus, à des actes et situations de droit privé, et d'autre part, qu'il n'y a pas lieu de s'arrêter à la circonstance que le contrat était entièrement exécuté ou que l'action de la société requérante reposerait sur des mobiles illégitimes.

Tous les jugements et arrêts rendus dans cette "ténébreuse affaire" sont donc annulés étant désormais réservées les actions à fins indemnitaires ainsi que les restitutions de terrains ou équipements utilisés par l'attributaire de la concession et qui n'ont pas fait l'objet d'un transfert de propriété.

(15 mars 2019, Société anonyme gardéenne d'économie mixte (SAGEM), n° 413584)

 

16 - Stipulations des cahiers des clauses et conditions générales applicables aux marchés de prestations intellectuelles (CCCG-PI) – Stipulations d'un cahier des clauses administratives particulières (CCAP) – Appréciation souveraine des juges du fond dans l'interprétation de ces stipulations.

Le juge rappelle que l'interprétation des stipulations d'un cahier des clauses et conditions générales applicable aux marchés de prestations intellectuelles (CCCG-PI) relève, comme celle des stipulations du cahier des clauses administratives particulières (CCAP), de l'appréciation souveraine des juges du fond. Elle échappe donc au contrôle du juge de cassation sous réserve de dénaturation. Cette solution se situe dans la lignée d'une décision antérieure relative aussi à la SNCF (22 juillet 2009, Société Baudin-Chateauneuf, n° 301755). La même solution se rencontre en matière d'interprétation des stipulations d'un cahier des prescriptions communes (30 décembre 1998, Société OTH Aménagement et Habitat, n° 140335).

La solution est différente pour l'interprétation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux car en raison des conditions de leur élaboration, de leur portée et de leur approbation par l'autorité administrative, appelées à s'appliquer à un grand nombre de marchés sur l'ensemble du territoire national,  il revient  au juge de cassation, qui a pour mission d'assurer l'application uniforme de la règle de droit, de contrôler l'interprétation que les juges du fond ont donnée desdites stipulations (Section, 27 mars 1998, Société d'assurances La Nantaise et l'Angevine réunies, n° 144240). Cette dernière solution a été transposée aux stipulations des modèles de cahiers des charges, c'est-à-dire aux cahiers des charges-type (9 avril 2010, Société Vivendi, n° 313557).

(15 mars 2019, Société Systra, n° 416571)

 

17 - Référé précontractuel – Accord-cadre avec bons de commande – Equipement de video-chirurgie et de video-endoscopie souple – Obligation de comporter une source lumineuse déterminée – Absence dans l'offre retenue – Offre irrégulière – Obligation d'éliminer l'offre – Confirmation de l'annulation du lot du marché et de l'injonction de reprendre la procédure, le cas échéant, au stade de l'examen de l'offre, prononcées en première instance.

Est irrégulière, dans un lot d'un accord-cadre à bons de commande portant sur du matériel de video-chirurgie et de video-endoscopie, l'offre qui comporte une source lumineuse Led au lieu de la source lumineuse Xénon indiquée à titre principal dans le cahier des clauses techniques particulières. 

De là découle l'obligation pour l'acheteur d'éliminer une offre ne respectant pas les exigences figurant dans les documents de la consultation, sauf régularisation. L'ordonnance du premier juge et l'injonction dont elle assortit l'annulation prononcée se trouvent confirmées.

(26 mars 2019, Société Fujifilm France, n° 426200 et Groupement de coopération sanitaire UniHA, n° 426265)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

18 - Comptes bancaires utilisés à l'étranger – Non déclaration – Amendes majorées – Absence de mouvements au cours de l'année – Annulation.

Un compte bancaire détenu à l'étanger ne peut être considéré comme "utilisé" au sens de l'art. 1649 A CGI que s'il y a été effectué au moins une opération de crédit ou de débit. Tel n'est pas le cas de la simple inscription des intérêts produits par les sommes déposées au cours des années précédant l'année d'imposition, ni, non plus, des opérations de débit au titre du paiement des frais de gestion pour la tenue du compte. C'est donc à tort que l'administration fiscale a cru pouvoir infliger des pénalités pour non déclaration de mouvements et que le Ministre des finances s'est pourvu contre l'arrêt d'appel.

(4 mars 2019, Ministre des Finances et de l'Economie, n° 410492)

 

19 - Dividendes perçus par une société non résidente – Retenue à la source – Retenue pratiquée sur une société en déficit au regard de sa législation nationale – Contrariété au droit de l'Union – Erreur de droit de la cour administrative d'appel ayant jugé le contraire.

Le litige portait sur le fait que les sociétés non résidentes en France, même lorsqu'elles sont déficitaires en application de leur législation nationale, sont assujetties à un prélèvement à la source sur les dividences qu'elles perçoivent alors que leurs homologues françaises ne sont imposables, en ce cas, que lorsqu'elles sont ou redeviennent bénéficiaires.

Le Conseil d'Etat, saisi d'un pourvoi dirigé contre des jugements d'un tribunal administratif n'ayant pas estimé contraire au droit de l'UE cette différence de traitement instituée par le CGI, a posé des questions préjudicielles en ce sens à la CJUE.

Cette dernière (arrêt C-575/17 du 22 novembre 2018, Sofina SA, Rebelco SA, Sidro SA c/ ministre de l'action et des comptes publics) a considéré que cette différence de traitement dans l'imposition des dividendes, qui ne se limite pas aux modalités de perception de l'impôt, constitue une restriction à la libre circulation des capitaux qui n'est pas justifiée par une différence de situation objective et l'a donc jugée contraire au droit de l'Union.

Ici, le Conseil d'Etat tire les conséquences de cette décision en écartant l'application des dispositions du 2 de l'article 119 bis du CGI.

(13 mars 2019, Sociétés Sidro, Sofina et Rebelco, n° 403444 ; du même jour avec même solution : Société GBL Energy et Société Kermadec, n° 415120)

 

20 - Juridiction gracieuse – Impossibilité de s'acquitter de la dette fiscale – Etat d'insolvabilité non imputable à la volonté du contribuable – Existence d'une situation de gêne ou d'indigence – Annulation de la décision refusant la remise gracieuse de la dette.

L'art. L. 247 du livre des procédures fiscales permet au contribuable dans un état de gêne ou d'indigence, de solliciter, à titre purement gracieux, la remise totale ou partielle d'impôts directs régulièrement établis. Toutefois, cette demande peut être rejetée lorsque la gêne ou l'indigence n'est imputable qu'à l'organisation volontaire par celui-ci de son insolvabilité, cela sans que l'administration ait à rechercher s'il existe une disproportion entre les revenus du contribuable et le montant de sa dette fiscale, cette disproportion étant alors artificielle (V. par ex., dans la jurisprudence récente : 31 juillet 2009, Mme Marie-Dorothée X., n° 298973).

En l'espèce, un couple, dont le revenu disponible après paiement des charges est de 36 euros par mois, s'est vu refuser le bénéfice d'une remise gracieuse au motif d'avoir organisé lui-même sa propre insolvabilité. Le recours au directeur départemental des finances publiques ayant été rejeté, tout comme celui formé devant le juge première instance, le couple a introduit un appel que la cour saisie a transmis au Conseil d'Etat par application des dispositions de l'article R. 351-2 CJA.

Le Conseil d'Etat relève qu'en réalité le couple a fait choix d'affecter les fonds dont il disposait au remboursement de dettes qu'il avait contracté, d'où son état de surendettement. Ce faisant, il ne s'est pas mis volontairement en état d'insolvabilité mais a seulement choisi d'arbitrer entre les différentes dettes contractées, celles à rembourser ; il ne relève donc pas des dispositions fiscales permettant pour ce motif de refuser l'octroi d'une mesure gracieuse.

Compte tenu des données de fait, le Conseil d'Etat aperçoit dans le refus opposé une erreur manifeste d'appréciation et l'annule.

Il faut relever le caractère exceptionnel de cette décision : la juridiction gracieuse, par sa nature même, est totalement discrétionnaire. Ici, le juge apprécie directement si l'état d'impécuniosité résulte d'une insolvabilité volontaire ou non et décide que même si les choix opérés lèsent le fisc mais au prix d'un remboursement d'autres dettes, il ne saurait exister une insolvabilité volontaire. Cette solution se justifie en équité.

(7 mars 2019, M. et Mme Gonzalez del Valle, n° 419907)

 

21 - Impôts sur le revenu ou les bénéfices – Revenus distribués – Abattement de 40% sur les revenus distribués par les sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés – Nécessité d'une délibération régulière de l'organe social compétent – Application aux revenus distribués par une entreprise unipersonnelle (EURL) – Confirmation de l'arrêt d'appel et rejet du pourvoi du ministre.

Les revenus distribués aux associés d'une société soumise à l'impôt sur les sociétés bénéficient d'un abattement de 40% au titre de l'impôt sur le revenu. Il faut et il suffit pour cela que la décision de distribution ait été prise par l'organe de la société statutairement compétent à cet égard. Cette règle s'applique aussi dans les sociétés unipersonnelles, lesquelles ne comprennent qu'un seul associé. Il en résulte que le bénéfice de cet abattement ne peut être refusé, dans le cas de l'associé d'une EURL, au motif que la décision de distribution en litige n'avait pas été consignée, pour l'intégralité de la somme, dans le procès verbal d'assemblée générale prévoyant cette distribution et n'avait pas fait l'objet de la consignation au registre prévu par les dispositions de l'article L. 223-31 du code de commerce.

Cette solution est pleinement justifiée par la logique de la société unipersonnelle.

(27 mars 2019, ministre de l'action et des comptes publics n° 421211)

 

22 - Impôt sur les sociétés – Bénéfices réalisés par les sociétés civiles immobilières (SCI) – Soumission de principe à l'impôt sur les sociétés (art. 35, 1bis et 2 de l'art. 206 CGI) - Dérogation lorsque la SCI a pour objet la construction d'immeubles en vue de la vente (I de l'art. 239 ter CGI) – Prise en compte des opérations effectivement réalisées et non de l'objet social – Erreur de droit en l'espèce, annulation de l'arrêt d'appel et renvoi à la cour.

Les bénéfices réalisés par les SCI sont en principe soumis à l'impôt sur les sociétés (art. 35, 1bis CGI). Toutefois, par dérogation, lorsqu'elles ont pour objet la construction d'immeubles en vue de la vente, elles sont assujetties à l'imposition des bénéfices industriels ou commerciaux (BIC : I de l'art. 239 ter. CGI)

En l'espèce, suite à une vérification, l'administration a estimé que la SCI contrôlée relevait de la dérogation instituée au I de l'art. 239 ter précité puisqu'elle réalisait des opérations de construction d'immeubles en vue de la vente : elle relevait donc de l'impôt sur les BIC. Pour annuler cette décision la cour avait relevé qu'il résultait de l'objet social de la SCI que celle-ci pouvait également effectuer des opérations commerciales. Elle relevait donc de l'impôt sur les sociétés.

Sur pourvois, le Conseil d'Etat annule cet arrêt motif pris de ce que, pour déterminer le régime d'imposition de cette société, il ne fallait se fonder que sur les seules opérations effectivement réalisées par la SCI non sur celles théoriquement prévues aux statuts.

(18 mars 2019, Ministre de l'action et des comptes publics, M. W., Mme X., Mme Y., Mme Z., n° 411640, 411643, 411644, 411645, 411724)

 

23 - Taxes foncières sur les propriétés bâties – Exonération en faveur des immeubles affectés à un service public – Cas d'immeubles mis à disposition d'une personne privée par une personne publique – Exercice d'une activité commerciale à titre accessoire – Prolongement ou non de la mission de service – Exonération dans le premier cas, absence d'exonération dans le second cas.

Les immeubles affectés à un service public sont exonérés de l'assujettissement aux taxes foncières sur les propriétés bâties même lorsque ces immeubles sont mis à disposition d'une personne privée par la personne publique propriétaire.

En l'espèce, la personne privée exerçait une activité commerciale accessoire à l'activité principale de service public et l'administration fiscale entendait la soumettre aux taxes foncières. Le Conseil d'Etat distingue selon que l'activité commerciale accessoire est un prolongement de la mission de service public ou non. Dans le premier cas s'applique l'exonération, dans le second cas non. La solution est importante car cette situation est relativement fréquente. A la différence de l'administration qui fondait l'assujettissement aux taxes foncières directement sur la nature de l'activité accessoire (commerciale ou non), le juge retient l'existence, à titre principal, d'une mission de service public et recherche si l'activité accessoire prolonge ou non cette mission. Cette solution est la plus conforme à la logique des textes fondant l'exonération.

(27 mars 2019, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 421459)

 

24 - Impôt sur les sociétés – Vérification de comptabilité – Vérification par et sur supports informatiques – Garanties accordées aux contribuables – Respect en l'espèce – Annulation de l'arrêt d'appel ayant jugé le contraire.

Le II de l'art. L. 47A LPF prévoit que les agents de l'administration fiscale, en présence d'une comptabilité tenue au moyen de systèmes informatisés et lorsqu'ils envisagent des traitements informatiques de cette comptabilité aux fins de vérification, doivent indiquer par écrit au contribuable la nature des investigations souhaitées afin de mettre le contribuable à même de formaliser par écrit son choix parmi l'une des trois options offertes par ce texte.

En l'espèce, la cour administrative avait estimé que le courrier adressé par le vérificateur à la société avant que ne débutent les opérations de vérification ne comportait pas d'information sur la nature des traitements informatiques envisagés et, ainsi, ne permettait pas à la contribuable d'effectuer un choix éclairé entre les trois options offertes. Pour annuler cet arrêt, le Conseil d'Etat observe que le courrier litigieux informait la société qu'il serait procé dé à " un contrôle : - des montants des ventes et des règlements / - des taux de TVA appliqués aux articles vendus / - des flux matières par rapprochement entre les stocks, les entrées et les sorties de produits / - des opérations réalisées en caisses comprenant en particulier les procédures de correction et d'annulation utilisées notamment à partir des éléments de traçabilité intégrés " et, en second lieu, que pour réaliser ces traitements, il serait " nécessaire d'utiliser les données fournies par le logiciel ALLIANCE PLUS afin de pouvoir exploiter les informations relatives à la gestion de l'officine ". Il déduit de ces constatations tirées des pièces du dossier de la procédure que, par là, le vérificateur - contrairement à ce qui a été jugé en appel - avait bien indiqué "les données sur lesquelles il entend(ait) faire porter ses recherches ainsi que l'objet de ces investigations, afin de permettre au contribuable de choisir en toute connaissance de cause entre les trois options offertes". En revanche, le vérificateur n'était tenu de préciser au contribuable la description technique des travaux informatiques à réaliser en vue de la mise en oeuvre de ces investigations que si celui-ci avait fait ensuite le choix d'effectuer lui-même tout ou partie des traitements informatiques nécessaires à la vérification. Tel n'était pas le cas en l'espèce et l'arrêt de la cour est censuré pour avoir jugé le contraire.

(7 mars 2019, Société Pharmacie Caluire 2, n° 416341 ; du même jour avec même solution : EURL Paget, n° 420428 ; v. aussi : 15 mars 2019, Mme X., n° 414580)

 

25 - Taxe professionnelle – Cotisation foncière sur les entreprises – Société d'intérêt collectif agricole (SICA) – Bénéfice de la réduction de 50% de l'assiette d'imposition – Mode de calcul – Erreur de droit en l'espèce.

Il résulte de la combinaison du I  de l'art. 1468 CGI (relatif à la réduction de 50% de la base de la taxe professionnelle comme de la cotisation foncière des entreprises) et des art. L. 521-3, L. 522-1, L. 531-1, L. 532-2 et R. 532-4 du code rural et de la pêche maritime (relatifs aux sociétés coopératives agricoles et aux SICA) que, pour déterminer si une société d'intérêt collectif agricole peut bénéficier d'une réduction de 50 % des bases d'imposition à la taxe professionnelle et à la cotisation foncière des entreprises au titre d'une année d'imposition, il convient de distinguer trois cas.

Soit la SICA n'a pour objet que la commercialisation de produits issus de l'activité agricole de ses sociétaires, en ce cas elle est éligible à la réduction lorsqu'elle s'est approvisionnée en produits et matières premières agricoles à concurrence d'au moins 50% en valeur ou en volume, auprès de ses sociétaires.

Soit la SICA n'a pour objet que d'assurer l'approvisionnement de ses sociétaires à partir des produits qu'elle acquiert, en ce cas elle est éligible à la réduction lorsque les ventes réalisées au profit de ces sociétaires représentent, en chiffre d'affaires ou en volume, au moins 50 % des ventes de l'exercice concerné.

Soit la SICA exerce à la fois une activité de commercialisation et d'approvisionnement, il y a lieu en ce cas, pour déterminer si la condition prévue par l'article L. 532-1 du code rural et de la pêche maritime est satisfaite, de rapporter, pour l'année considérée, la somme des achats qu'elle a réalisés auprès de ses sociétaires pour les besoins de son activité de commercialisation et des ventes réalisées auprès de ces mêmes sociétaires en vue de leur approvisionnement, à la somme de l'ensemble des achats de produits et matières premières agricoles réalisés pour les besoins de son activité de commercialisation et des ventes liées à son activité d'approvisionnement, ce ratio devant être supérieur ou égal à 50%.

Or la cour administrative, commettant ainsi une erreur de droit, s'est bornée à relever que le montant cumulé des achats et des ventes réalisés par la SICA requérante avec ses sociétaires au cours des années d'imposition concernées par le litige avaient représenté moins de 50 % du montant cumulé de l'ensemble de ses achats et de ses ventes, alors qu'il convenait, en présence d'une société exerçant une activité mixte de commercialisation de la production de ses sociétaires et d'approvisionnement de ces derniers, de déterminer ce ratio selon les règles susrappelées. 

(7 mars 2019, Société d'intérêt collectif agricole (SICA) Eurea Coop, n° 421037)

 

26 - Taxe sur la valeur ajoutée – Taux réduit applicable aux maisons de retraite – Notion de "maison de retraite" – Interprétation du CGI et du code de l'action sociale et des familles à la lumière de la directive européenne du 28 novembre 2006 – Définition retenue en appel entachée d'erreur de droit – Cassation avec renvoi.

L'existence d'un taux réduit de TVA pour les maisons de retraite conduit le juge à définir cette catégorie juridique. En l'espèce, il est reproché à la cour d'appel de s'être bornée à estimer que sont des maisons de retraite les " établissements assurant, dans le cadre d'une vie collective organisée, la prise en charge des besoins d'assistance de l'ensemble des personnes âgées qu'ils accueillent " sans rechercher si les établissements de la société requérante  présentaient le caractère d'établissements sociaux ou médico-sociaux destinés à l'hébergement des personnes âgées régis par le code de l'action sociale et des familles. Alors qu'une directive européenne du 28 novembre 2006 range parmi les bénéficiaires du taux réduit de TVA les services fournis " par des organismes reconnus comme ayant un caractère social par les États membres et engagés dans des oeuvres d'aide et de sécurité sociales (...)". Or le 6° de l'art. L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles dispose que " Les établissements et les services qui accueillent des personnes âgées ou qui leur apportent à domicile une assistance dans les actes quotidiens de la vie, des prestations de soins ou une aide à l'insertion sociale " sont des des établissements et services sociaux et médico-sociaux.

(18 mars 2019, Société Les Jardins d'Arcadie Résidences, n° 409652 et Société Les Jardins d'Arcadie, n° 409653)

 

27 - Charge financière d'acquisition de titres de participation – Conditions de rapport au bénéfice de l'exercice – Etablissement en France – Décision d'inconstitutionnalité rendue par le Conseil constitutionnel – Décision ayant l'autorité absolue de la chose jugée – Illégalité du commentaire administratif ne prévoyant pas la possibilité ouverte par la décision du C.C. – Absence d'illégalité du commentaire administratif  relatif à la condition que le pouvoir de gestion des titres de la société détenue soit détenu par une société établie en France appartenant au même groupe que la détentrice des titres.

Le litige portait sur le statut fiscal des charges financières afférentes à l'acquisition des titres de participation. Etaient contestées deux dispositions des commentaires administratifs parus au Bulletin officiel des finances publiques - Impôts.

La première, a été jugée contraire à une décision d'inconstitutionnalité du C.C., revêtue par conséquent de l'autorité absolue de chose jugée. Le Conseil a, en effet, estimées inconstitutionnelles les dispositions qui interdisent la déduction des charges financières afférentes à l'acquisition de titres de participation lorsqu'il est démontré que le pouvoir de décision sur ces titres et, le cas échéant, le pouvoir de contrôle effectif sur la société acquise sont exercés par des sociétés établies en France autres que les sociétés mère ou soeur de la société détentrice des titres et appartenant au même groupe que cette dernière. Or le § n° 70 contesté des commentaires s'abstient de faire mention de la possibilité pour la société, conformément à l'interprétation de la loi fiscale donnée par le Conseil constitutionnel, d'apporter la preuve que le pouvoir de décision sur ces titres et, le cas échéant, le pouvoir de contrôle effectif sur la société acquise sont exercés par des sociétés établies en France autres que les sociétés mère ou soeur de la société détentrice des titres et appartenant au même groupe que cette dernière. D'où l'annulation que prononce le juge.

La seconde (§ n° 160) n'a pas été jugée illégale en tant qu'elle subordonne la possibilité de déduire les charges financières afférentes à l'acquisition de titres de participation à la condition que les décisions relatives à ces titres soient effectivement prises, et, le cas échéant, le contrôle ou l'influence effectivement exercé, par une société établie en France appartenant au même groupe que la détentrice des titres et que cette condition d'appartenance de ces deux sociétés à un même groupe s'entend, pour l'application de ces dispositions, de leur contrôle par une même société au sens des dispositions du I de l'article L. 233-3 du code de commerce.

(7 mars 2019, SAS Zimmer Biomet France Holdings, n° 421688)

 

28 - Demande de remboursement de crédit de TVA – Société de droit roumain – Totalité des biens et services mentionnés sur les factures françaises litigieuses utilisés pour la réalisation de prestations de services en France – Refus du bénéfice de la procédure spéciale de remboursement du crédit de TVA (art. 242-0 N de l'annexe II CGI) – Erreur de droit commise par la cour administrative d'appel – Annulation. 

Une société de droit roumain demande à bénéficier de la procédure spéciale de remboursement d'un crédit de TVA à raison des sommes qu'elle a versées à ce titre dans le cadre de son activité, laquelle se déroule entièrement en France. Par substitution de motifs sur demande de l'administration fiscale, la cour administrative d'appel a rejeté son recours en annulation du refus opposé par l'administration à sa demande de remboursement. Elle s'est fondée pour cela sur ce que la totalité des biens et services mentionnés sur les factures françaises litigieuses avaient été utilisés pour la réalisation de prestations de services en France. 

Sur pourvoi de la société le Conseil d'Etat annule cet arrêt au visa notamment des art. L. 242-0 N, L. 242-0 O de l'annexe II du CGI et des art. L. 259 A, L. 271, L. 275 à 277 A et L. 283 du CGI. Il en déduit que l'assujetti non établi en France qui fournit exclusivement des prestations de services se rattachant à un bien immeuble situé en France pour lesquelles la TVA est acquittée par l'acquéreur, le destinataire ou le preneur agissant en tant qu'assujetti et disposant d'un numéro d'identification à la TVA en France, peut obtenir selon la procédure spéciale prévue à l'article L. 242-0 N de l'annexe II au CGI, le remboursement de la TVA qui a grevé les biens qui lui ont été livrés ou les services qui lui ont été fournis en France par d'autres assujettis pour les besoins des prestations qu'il a fournies.

Par suite, faute pour elle d'avoir recherché si les acquéreurs, destinataires ou preneurs de ces prestations agissaient en tant qu'assujettis et disposaient d'un numéro d'identification à la TVA en France, et étaient, de ce fait, les redevables légaux de la TVA à laquelle ces opérations avaient été soumises, la cour a commis une erreur de droit et, par suite, l'arrêt est annulé.

(7 mars 2019, Société DSE Consulting, n° 413453)

 

29 - Impôt sur le revenu – Réduction d'impôt pour investissement productif neuf outre-mer – Notion d'investissement neuf – Investissement portant sur des biens non encore utilisés – Erreur de droit de l'arrêt d'appel à refuser en l'espèce le caractère neuf des biens en cause.

Le CGI prévoit la possibilité d'une réduction de l'impôt sur le revenu au profit des contribuables effectuant des investissements productifs neufs outre-mer.

Pour estimer qu'en l'espèce cette condition n'était pas satisfaite la cour d'appel, s'agissant de deux tracto-pelles acquis par une entreprise de terrassements, a estimé que les biens en cause avaient été nécessairement inscrits à l'actif de l'entreprise en tant qu'immobilisations, qu'ils étaient demeurés à sa disposition pendant plus de six mois et qu'ils avaient été revendus avec une décote traduisant une dépréciation de leur valeur : ainsi ils ne pouvaient plus être regardés, lors de cette cession, comme présentant encore un caractère neuf au sens des dispositions pertinentes du CGI.

Le Conseil d'Etat censure cette analyse et sa conclusion car il ressort des pièces du dossier, d'une part, que les deux tractopelles ont été acquis à l'état neuf et loués à une entreprise de terrassements, et d'autre part, qu'ils étaient restés consignés, entre leur acquisition et leur cession par celle-ci, auprès de la succursale du vendeur initial.

Il suit de là qu'en ne tenant aucun compte de ces éléments la cour a commis une erreur de droit.

En réalité, nous pensons qu'il y a plutôt là, de la part de la cour, une dénaturation des pièces du dossier.

(13 mars 2019, M. X., n° 410861)

 

30 - Impôt sur le revenu – Indemnité de licenciement après accord transactionnel – Caractère imposable en cas de licenciement reposant sur une cause réelle et sérieuse – A défaut caractère non imposable.

Une personne licenciée après un accord transactionnel perçoit une indemnité de licenciement que l'administration fiscale estime imposable à l'impôt sur le revenu.

Il résulte de dispositions combinées du code général des impôts (I de l'art. 80 duodecies) et du code du travail (L. 1232-1, L. 1235-1, 2 et 3 et L. 1235-11 à L. 1235-13) qu'est opérée en la matière une distinction : si le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse, l'indemnité est imposable, s'il est sans cause réelle ou sérieuse, l'indemnité n'est pas imposable, partiellement ou totalement.

Le Conseil constitutionnel a émis une réserve d'interprétation concernant la constitutionnalité du I de l'art. 80 duodecies CGI (n° 2013-340 QPC du 20 septembre 2013) et jugé que les dispositions de cet article, qui définissent les indemnités versées à l'occasion de la rupture du contrat de travail bénéficiant, en raison de leur nature, d'une exonération totale ou partielle d'impôt sur le revenu, ne sauraient, sans instituer une différence de traitement sans rapport avec l'objet de la loi, conduire à ce que le bénéfice de l'exonération varie selon que l'indemnité a été allouée en vertu d'un jugement, d'une sentence arbitrale ou d'une transaction et qu'en particulier, en cas de transaction, il appartient à l'administration et, lorsqu'il est saisi, au juge de l'impôt, de rechercher la qualification à donner aux sommes objet de la transaction.  Le Conseil dEtat rappelle que l'administration et le juge sont liés par les réserves d'interprétation dont le C.C. assortit la déclaration de conformité à la Constitution d'une disposition législative.

Appliquant ces données au cas de l'espèce, le juge considère que c'est sans erreur de droit ni de qualification juridique que la cour administrative d'appel a jugé que le licenciement du requérant reposait sur une cause réelle et sérieuse et que l'administration fiscale avait réintégré l'indemnité afférente à ce licenciement dans l'assiette de l'impôt sur le revenu.

On peut se demander s'il entre bien dans l'office du juge administratif de se prononcer, sans renvoi préjudiciel au juge judiciaire, sur la nature sérieuse ou non, réelle ou non de la cause du licenciement d'un salarié de droit privé dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail, lequel est un contrat de droit privé.

(13 mars 2019, M. X., n° 408498)

 

Droit public économique

 

31 - Répression du trafic des billets de théâtre – Loi du 27 juin 1919 – Allégation d'inconstitutionnalité – QPC – Refus de renvoyer la question – But de bon emploi des deniers publics – Accès de tous à la culture.

La société requérante demande que soit posée au Conseil constitutionnel une question prioritaire au sujet de la constitutionnalité des dispositions de l'art. 1er de la loi du 27 juin 1919 qui punit d'une amende le fait de vendre à un prix supérieur au prix officiel ou de céder, ou de tenter de le faire, des billets de théâtre ou de concerts lorsque ces spectacles sont subventionnés ou avantagés par une personne publique.

Observant que cette disposition a pour objet de garantir le bon emploi des deniers publics ainsi que l'accès du plus grand nombre aux manifestations de théâtre et de concert bénéficiant d'aides publiques en luttant contre une augmentation artificielle des prix des billets, le Conseil d'Etat estime n'y avoir lieu à poser une telle question car cette disposition est limitée dans son champ d'application et ne porte ainsi pas une atteinte excessive à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle. Il en va ainsi compte tenu des objectifs d'intérêt général poursuivis par les dispositions critiquées, également de ce que la revente des billets n'est réprimée que pour autant qu'elle concerne des spectacles et concerts bénéficiant d'aides publiques et, enfin, qu'elle donne lieu au versement d'un prix supérieur à leur valeur faciale, sans limiter la faculté laissée aux organisateurs de ces spectacles de confier à des tiers la vente des billets, le cas échéant moyennant rémunération. 

(7 mars 2019, Société Viagogo Entertainment Inc., n° 426336)

 

32 - Vins d'appellation d'origine contrôlée – Vins mousseux rosés – Tierce opposition à une décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux – Condition de recevabilité de la tierce opposition selon la qualité du demandeur – Tierce opposition recevable – Rejet au fond.

Le Conseil a, par une décision du 12 janvier 2018 (Syndicat des vins de Bugey, n° 406847), annulé les dispositions du cahier des charges relatif à l'appellation d'origine contrôlée " Clairette de Die " en tant qu'il homologue celles des dispositions du cahier des charges de cette appellation d'origine contrôlée relatives aux " vins mousseux rosés ". Le syndicat et la société requérants ont formé tierce opposition à cette décision.

Le juge devait se prononcer sur la recevabilité, l'action devant être intentée par une partie non présente ou représentée ni appelée dans l'instance frappée de tierce opposition, puis sur le bien-fondé de la requête en tierce opposition, cette action tierce devant viser une décision juridictionnelle préjudiciant aux droits du tiers-opposant ou de celui (ou de ceux) qu'il représente.

Concernant la recevabilité, le Conseil d'Etat relève qu'il résulte du code rural et de la pêche maritime que le cahier des charges d'une appellation contrôlée est élaboré par un organisme de défense et de gestion de l'appellation et présenté à l'homologation ministérielle par l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO). En l'espèce, l'un des requérants, le Syndicat de la Clairette de Die et des vins du Diois, a été reconnu par l'INAO comme organisme de défense et de représentation de l'AOC "Clairette de Die". A ce titre, ayant élaboré le cahier des charges de l'appellation dont les dispositions relatives aux "mousseux rosés" ont été annulées par la décision du Conseil d'Etat frappée de tierce opposition, il est recevable, tout comme l'autre requérant, à former tierce opposition car ni l'un ni l'autre n'ont été présents ou représentés ou appelés dans l'instance visée par la tierce opposition, aucun d'eux ne pouvant être considéré comme représentant l'autre.

Concernant le fond de la demande en tierce opposition, le Conseil d'Etat décide son rejet car il est constant que depuis l'entrée en vigueur de la loi du 20 décembre 1957 interdisant la fabrication de vins mousseux autres que la " Clairette de Die " à l'intérieur de l'aire délimitée ayant droit à cette appellation d'origine contrôlée, aucun vin mousseux rosé n'a été produit à l'intérieur de cette aire ayant droit à l'appellation d'origine contrôlée " Clairette de Die ".

Il suit de là que les ministres des finances et de l'agriculture ont commis une erreur d'appréciation en estimant qu'était remplie par ces vins la condition d'antériorité, condition qui doit s'apprécier à la date d'entrée en vigueur de l'arrêté interministériel attaqué et non à elle de l'entrée envigueur de la loi précitée de 1957.

La tierce opposition est rejetée.

(13 mars 2019, Syndicat de la Clairette de Die et des vins du Diois et Société La cave de Die Jaillance, n° 423752)

 

33 - Energie – Gaz naturel – Établissement des tarifs d'utilisation des réseaux de transport de gaz naturel – Commission de régulation de l'énergie (CRE) – Distinction des routes de transit et des routes domestiques – Absence de discrimination tarifaire – Rejet.

La société italienne requérante demande au Conseil d'Etat, d'une part, d'annuler la délibération de la CRE portant fixation du tarif d'utilisation des réseaux de transport de gaz naturel de GRTgaz et de TIGF, ainsi que la décision implicite rejetant le recours gracieux formé contre cette délibération, d'autre part, d'enjoindre à la Commission de régulation de l'énergie d'adopter une nouvelle décision conforme aux règles applicables dans un délai de deux mois à compter de la décision à intervenir.

Le juge rappelle d'abord le cadre juridique - résultant d'un règlement européen (n° 715/2009 du 13 juillet 2009) ainsi que du code l'énergie (art. 452-1) - du régime de tarification de transport du gaz naturel. Celui-ci fixe les principes suivants aux tarifs d'utilisation des réseaux de transport du gaz naturel : 1°/ Ces tarifs doivent refléter les coûts réels supportés par un gestionnaire de réseau efficace, 2°/ Ils sont non discriminatoires, 3°/ Ils visent à éviter les subventions croisées entre utilisateurs du réseau de transport, 4°/ Ils favorisent l'efficacité des échanges de gaz et de la concurrence, 5°/ Ils sont fixés de manière distincte pour chaque point d'entrée et de sortie du réseau de transport, 6°/ Ils ne limitent pas la liquidité du marché ni ne faussent les échanges transfrontaliers entre différents réseaux de transport, 7°/ Ils tiennent compte des caractéristiques du service rendu et des coûts liés à ce service.

En l'espèce la CRE a fixé les tarifs du réseau principal de manière à ce que le coût unitaire moyen du transit de gaz vers l'Espagne et l'Italie et celui du transport de gaz destiné à la consommation domestique, soient équivalents. Pour cela elle a retenu une méthodologie fondée sur la somme des termes d'entrée et de sortie normalement acquittés par les expéditeurs pour chaque usage et l'a rapportée à la distance parcourue par le gaz d'un point d'entrée à un point de sortie du réseau. Il ne résulte de là aucune discrimination, notamment entre les routes de transit (pour lesquelles le coût unitaire moyen est fixé à 0,68 euro/MWh/j/an/km au 1er novembre 2018) et le transport domestique (pour lequel ce coût unitaire est compris entre 0,62 et 0,80 euro/MWh/j/an/km au 1er novembre 2018). La méthodologie retenue par la CRE n'est donc pas critiquable contrairement à ce qui est soutenu par la société requérante.

(18 mars 2019, Société Eni S.p.A., n° 411580)

 

Droit social et action sociale

 

V. aussi n° 30, n° 47, n° 57

 

34 - Demandeur d'emploi – Pôle emploi – Missions – Allocations servies par Pôle emploi – Devoir d'information – Décision à caractère exclusivement pécuniaire devenue définitive – Régime contentieux.

A l'occasion d'un recours en responsabilité dirigé contre Pôle emploi pour défaut d'information, le Conseil d'Etat apporte deux précisions.

Tout d'abord, il rappelle le régime contentieux des décisions à objet exclusivement pécuniaire devenues définitives. En ce cas, est irrecevable toute demande ultérieure présentée devant le tribunal administratif, fondée sur la seule illégalité de cette décision, qui tend à l'octroi d'une indemnité correspondant aux montants non versés ou illégalement réclamés. Cette règle concerne à la fois la décision principale et toutes les conséquences pécuniaires qui en sont irréparables.

Ensuite, le juge déduit de plusieurs dispositions du code du travail relatives à Pôle emploi que, dans le cadre de sa mission de service du revenu de remplacement, outre qu'il est tenu de répondre aux demandes d'information dont il est saisi, Pôle emploi doit, d'une part, à tout moment et notamment en cas de création ou de modification substantielle des conditions d'octroi d'une allocation, diffuser une information générale à l'attention des personnes à la recherche d'un emploi sur les allocations dont il assure le service à ce titre et, d'autre part, lorsqu'une personne s'inscrit en qualité de demandeur d'emploi ou parvient à la fin de ses droits à l'allocation d'assurance, l'informer personnellement de celles de ces allocations auxquelles elle est susceptible d'avoir droit. 

(18 mars 2019, M. X., n° 414814)

 

35 - Licenciement d'un salarié protégé – Faute commise par le salarié – Existence d'un différend persistant entre l'employeur et le salarié – Licenciement n'étant pas sans rapport avec le mandat de ce salarié – Illégalité de l'autorisation de licenciement et annulation de l'arrêt rejetant la demande d'annulation du licenciement formée par ce salarié protégé – Cassation sans renvoi et litige tranché au fond par le juge de cassation.

Une société ayant sollicité l'autorisation administrative de licencier un salarié protégé l'obtient et le recours de ce dernier est rejeté par les juridictions du fond. Il se pourvoit en cassation.

Le motif allégué pour le licenciement est la circonstance qu'avec un véhicule de service et sans autorisation il a parcouru plusieurs centaines de kilomètres.

Toutefois, le juge de cassation relève qu'un différend a opposé à plusieurs reprises ce salarié à son employeur à propos du non paiement de ses heures de délégation conduisant le juge judiciaire à ordonner à ce dernier de lui verser une provision. Or sur ce point la société défenderesse n'a pas fourni d'éléments justificatifs précis. Il suit de là que sa demande d'autorisation de licenciement doit être tenue comme étant en rapport avec le mandat exercé par le requérant et que c'est à tort que la juridiction d'appel a estimé légale l'autorisation administrative accordée.

(20 mars 2019, M. X., n° 408658)

 

Environnement

 

V. aussi n° 45

 

36 - Projet d'installation classée – Calcul des effets de ce projet sur l'environnement – Analyse spécifique obligatoire – Risque de pollution de l'air – Étude d'impact – Objectifs d'une telle étude – Détermination du caractère suffisant de l'étude eu égard à la nature de l'installation et de ses activités, à son emplacement et aux risques prévisibles – Absence d'illégalité en l'espèce du fait de la règle – Annulation de l'arrêt d'appel.

Diverses sociétés et des particuliers ont demandé l'annulation d'un arrêté préfectoral autorisant une société à exploiter un centre de méthanisation de déchets. Leur recours, rejeté en première instance, est accueilli en appel ; le ministre de l'Ecologie se pourvoit.

Pour prononcer l'annulation de l'arrêté litigieux, la cour administrative d'appel avait retenu le fait que l'étude d'impact ne comportait pas l'analyse de la quantité de particules PM 2,5 émises par l'installation, de nature à affecter la qualité de l'air, ce qui entachait d'irrégularité la procédure d'élaboration de l'arrêté.

Le Conseil d'Etat élabore à ce sujet une "doctrine" aux termes de laquelle lorsque le code de l'environnement prévoit que doit figurer dans une étude d'impact relative à un projet d'installation classée, une analyse spécifique, comme ici s'agissant d'un risque pour la qualité de l'air, les effets sur l'environnement " doivent être déterminés au regard de la nature de l'installation projetée, de son emplacement et de ses incidences prévisibles sur l'environnement."

Plus précisément, lorsqu'est en cause l'analyse d'effets sur la qualité de l'air, il y a lieu de prendre en compte les normes de qualité de l'air fixées par le code de l'environnement (art. L. 221-1 et s., et R. 221-1, II) ainsi que les mesures prises par le préfet,  dans le secteur en cause, sur le fondement des mêmes dispositions. Il doit en aller ainsi même dans le cas où ces dispositions n'ont pas pour objet de fixer des prescriptions relatives à la demande d'autorisation d'une installation classée pour la protection de l'environnement.

Au cas de l'espèce, il est jugé, au moyen de la grille d'analyse ci-dessus, que le défaut, dans l'étude d'impact, d'analyse spécifique aux particules PM 2,5, n'a pas nui à l'information de la population. La cour ne pouvait donc pas annuler pour ce motif l'arrêté préfectoral litigieux sans rechercher si les incidences prévisibles des émissions de ces particules justifiaient qu'il fût procédé à une telle analyse. Le seul constat de son absence ne pouvait suffire pour que soit prononcée l'annulation de l'arrêté. On peut trouver quelque peu latitudinaire cette façon de voir les choses.

(13 mars 2019, Ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire, n° 418949)

 

37 - Installations classées pour la protection de l'environnement – Dates auxquelles doit se placer le juge du plein contentieux – Distinction entre les règles de forme et de procédure et les règles de fond – Combinaison avec les principes gouvernant le contentieux du droit de l'urbanisme.

Une cour d'appel ayant annulé l'arrêté préfectoral autorisant une société à exploiter une unité de fabrication de granulés de bois de chauffage, la société bénéficiaiure de l'autorisation et le ministre chargé de l'écologie se pourvoient en cassation. Dans ce dossier étaient en jeu, d'une part, les règles de procédure contentieuse propres aux installations classées, et d'autre part, celles régissant le droit de l'urbanisme, considérées sous l'angle de la date à laquelle doit se placer le juge saisi pour statuer sur la requête.

Confirmant des solutions jurisprudentielles bien établies, le Conseil d'Etat rappelle que, s'agissant du contentieux des installations classées pour la protection de l'environnement, le juge doit se placer, pour apprécier le respect des règles relatives à la forme et la procédure régissant la demande d'autorisation, au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de délivrance de l'autorisation et, pour apprécier  le respect des règles de fond,  à la date à laquelle il se prononce. Ceci devant se combiner avec le respect des règles d'urbanisme, celui-ci s'appréciant au regard des circonstances de fait et de droit applicables à la date de l'autorisation.

(25 mars 2019, Société Ener-Biomasse, n° 421935 et Ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire, n° 422000)

 

Fonction publique et agents publics

 

V. aussi n° 59

 

38 - Fonctionnaire – Médecin chef de service, professeur des universités praticien hospitalier – Décision de mettre fin à ces fonctions – Mesure prise en considération de la personne – Obligation de respecter les droits de la défense – Communication de son dossier à l'intéressé – Intéressé mis hors d'état de faire cette demande de communication – Procédure irrégulière – Annulation.

Un praticien hospitalier, chef de service dans un CHU se voit retirer ses fonctions suite à un entretien l'informant de la décision prise, confirmée par courrier à lui adressé le lendemain ainsi que par un autre courrier adressé à toutes les personnes intéressées au sein de l'établissement. Il résulte tant des textes, dont le célèbre article 65 de la loi du 22 avril 1905, adoptée suite au scandale de l'affaire des fiches, que de la jurisprudence, que l'autorité administrative doit informer l'intéressé des reproches qui lui sont faits et des mesures qui sont envisagées à son encontre puis de lui permettre de préparer sa défense, le cas échéant en demandant la communication de son dossier administratif, ce qui suppose un certain délai entre l'information et la décision finale.

En l'espèce, le juge de cassation reproche aux juges du fond d'avoir estimé suffisant le délai, inférieur donc à la journée, dont a disposé le praticien sanctionné. En effet, il résulte des pièces du dossier que ce praticien n'a pas été informé des griefs formulés à son endroit ainsi que de la sanction envisagée mais bel et bien d'une décision déjà prise, ce que confirme la chronologie des lettres d'annonce de la décision. La mesure, qu'elle fût de nature proprement disciplinaire ou qu'elle constituât une mesure prise en considération de la personne, n'a pas respecté le principe des droits de la défense et l'arrêt d'appel est cassé sans renvoi, le Conseil d'Etat usant de la procédure de l'art. L. 821-2 CJA qui lui permet de régler l'affaire au fond.

(12 mars 2019, M.X., n° 414248)

 

39 - Emplois supérieurs à la décision du gouvernement – Chefs de postes consulaires – Caractéristiques des fonctions – Impossibilité d'inclusion dans la catégorie des emplois supérieurs à la décision du gouvernement – Illégalité du décret du 3 août 2018 pour 21 des 22 emplois de consul général de France qu'il vise – Annulation.

Cette importante décision se situe dans une lignée jurisprudentielle de resserrement du contrôle contentieux sur les décisions rendues en matière d'emplois dits "discrétionnaires" c'est à dire qui, en raison de leur imbrication avec la politique du gouvernement permettent à ce dernier d'en révoquer ad nutum les titulaires. Un double resserrement se produit.

D'une part, le juge contrôle, depuis une décision relative à l'annulation de la révocation d'un recteur d'académie, le respect de la procédure suivie en l'espèce, qui est la même pour tout agent public (26 février 2014, Roland Debbasch, n° 364153). D'autre part, ici, est désormais contrôlée la légalité de l'inclusion d'un emploi dans la catégorie des emplois supérieurs à la décision du gouvernement. Pour parvenir au constat de l'illégalité de la mesure qui lui était déférée le Conseil d'Etat se livre à une analyse serrée des textes en particulier de ceux des deux conventions de Vienne (du 18 avril 1961, sur les relations diplomatiques et du 24 avril 1963, sur les relations consulaires) auxquels s'ajoutent les visas de deux lois et de quinze décrets, manière d'asseoir fortement la légitimité juridique d'une décision audacieuse.

(27 mars 2019, Syndicat CFDT Affaires étrangères, n° 424394, Syndicat CFTC FAE MAE et Association syndicale des agents diplomatiques et consulaires issus de l'Ecole Nationale d'Administration (ADIENA), n° 424656 et Association syndicale des agents du ministère des affaires étrangères (ASAM-UNSA), n° 424695)

 

40 - Congé maladie – Maladie imputable au service – Notion – Volonté de nuire à l'agent – Absence – Absence sans incidence sur la reconnaissance du caractère professionnel d'une maladie.

Dans ce litige relatif au point de savoir si la maladie dont souffre un agent est, ou non, imputable au service, constituant ainsi une maladie professionnelle, le Conseil d'Etat rappelle deux choses très importantes dans ce cadre.

D'une part, une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduise à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service. D'autre part, contrairement à ce qui avait été jugé en appel, il n'est pas nécessaire, pour qu'une maladie soit reconnue comme maladie professionnelle qu'existe une volonté délibérée de nuire à l'agent, l'absence d'une telle volonté n'empêche point la qualification comme maladie professionnelle. 

(13 mars 2019, Mme X., n° 407795)

 

41 - Sanction disciplinaire – Révocation – Etendue du contrôle du juge – Rôles respectifs des juges du fond et du juge de cassation – Contexte particulier de tension au sein du service – Médiatisation excessive par l'employeur public puis par l'intéressée – Sanction reconnue hors de proportion avec les fautes commises – Annulation de l'arrêt d'appel.

On sait qu'en principe, en matière de sanctions disciplinaires, le juge de l'excès de pouvoir recherche si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes. Par ailleurs, si le caractère fautif des faits reprochés est susceptible de faire l'objet d'un contrôle de qualification juridique de la part du juge de cassation, l'appréciation du caractère proportionné de la sanction au regard de la gravité des fautes commises relève, pour sa part, de l'appréciation souveraine des juges du fond et n'est susceptible d'être remise en cause par le juge de cassation que dans le cas où la solution qu'ils ont retenue quant au choix, par l'administration, de la sanction est hors de proportion avec les fautes commises. C'était tout l'objet de cette décision de déterminer si l'on se trouvait ou non dans l'exception au quasi non-contrôle du juge de cassation sur l'appréciation des faits par les juges du fond.

Tout en admettant la réalité des fautes reprochées à l'intéressée, le juge estime que c'est l'aministration qui l'employait qui avait pris l'initiative de médiatiser les motifs de la sanction, déclenchant, en retour, une réaction tout aussi médiatisée de l'agent sanctionné et de son comité de soutien. De là il est déduit que " l'autorité disciplinaire, qui disposait d'un éventail de sanctions de nature et de portée différentes, a, en faisant le choix de la révocation qui met définitivement fin à la qualité de fonctionnaire, prononcé à l'encontre de Mme X. une sanction disproportionnée ".

(13 mars 2019, Communauté d'agglomération du Choletais, n° 407199)

 

42 - Fonctionnaire – Pension de retraite – Majoration pour avoir élevé au moins trois enfants (art. 18 du code des pensions civiles et militaires) – Calcul de la durée de neuf ans nécessaire pour l'attribution de la majoration.

Les fonctionnaires qui ont élevé pendant neuf ans au moins les enfants du conjoint issus d'un mariage précédent peuvent demander à bénéficier d'une majoration de leur pension de retraite (art. 18, II, du code des pensions civiles et militaires).

Le Conseil d'Etat juge dans cette affaire que la période de neuf ans débute au moment où l'intéressé a, en fait, commencé à élever ces enfants quelle que soit la date à laquelle il a épousé ce conjoint.

(15 mars 2019, M. X., n° 417583)

 

43 - Praticien hospitalier atteint par la limite d'âge – Prolongation des fonctions pour six mois – Demande de renouvellement de la prolongation – Rejet devant être notifié deux mois avant l'échéance de la prolongation en cours – Date de naissance d'une décision tacite de prolongation – Conditions – Absence en l'espèce.

Un praticien hospitalier biologiste atteint par la limite d'âge a obtenu une prolongation pour six mois de son activité. Il souhaite obtenir le renouvellement de sa prolongation ; conformément aux textes applicables, il dépose une demande en ce sens plus de deux mois avant l'expiration du délai de prolongation en cours. Un courrier du directeur du centre hospitalier l'informe de l'existence depuis deux mois d'une décision refusant sa prolongation d'activité. Après rejet de sa demande en première instance et en appel, il saisit le juge de cassation.

Son pourvoi est rejeté.

Le Conseil d'Etat relève, en effet, qu'en principe un refus de renouvellement doit être notifié à l'intéressé deux mois au moins avant l'échéance de la période en cours, ce qui a eu lieu en l'espèce. Cependant, le renouvellement ne peut être regardé comme tacitement acquis en l'absence de notification d'un refus de renouvellement deux mois avant la date d'échéance de la période. Il résulte des textes qu'une décision tacite de renouvellement ne naît qu'à la date d'échéance, si à cette date l'intéressé n'a pas reçu notification d'un refus et sous réserve, d'une part, que le certificat requis ait été transmis en temps utile et d'autre part, que la durée maximale de prolongation ne soit pas atteinte. La circonstance que le refus de renouveler sa prolongation d'activité a été notifié au demandeur moins de deux mois avant le terme de la période de prolongation en cours n'impliquait nullement qu'une décision tacite de renouvellement était née.

(18 mars 2019, M. X., n° 414219)

 

44 - Prescription quinquennale des créances périodiques (art. 2277 c. civ.) – Applicabilité à toutes les créances périodiques – Cas des accessoires de pension de retraite – Action en paiement ou en restitution de paiement – Dette payable par termes successifs – Point de départ du délai de prescription.

Cette décision est intéressante car elle répond à la question de l'applicabilité de l'art. 2277 c. civ. aux actions en paiement de dettes administratives périodiques. Il s'agissait en l'espèce de l'indemnité temporaire de retraite versée aux agents publics en Polynésie française.

Le Conseil d'Etat juge que cette disposition s'applique à toutes les actions en paiement relatives aux créances périodiques, notamment aux accessoires des pensions de retraite telle l'indemnité temporaire de retraite. Elle concerne aussi bien les actions en paiement que celles en restitution de paiement.

De plus, lorsque la dette est payable par termes successifs, la prescription se divise comme la dette elle-même et court contre chacune de ses fractions à compter de sa date d'exigibilité. La prescription de l'action en remboursement se prescrit à compter de la date d'exigibilité successive de ces fractions.

Enfin, il est encore précisé que le point de départ de la prescription est fixé au jour de la connaissance par le créancier des éléments qui doivent résulter de déclarations que le débiteur est tenu de faire, sans que puisse faire échec à cette règle le caractère périodique de la créance.

(15 mars 2019, M. X. et M. Y., n° 411790)

 

Hiérarchie des normes

 

45 - Directives européennes en matière d'environnement – Dispositions du code de l'environnement – Procédure de participation du public – Distinction entre le chapitre Ier et le chapitre III du titre II du livre Ier de ce code – Absence d'invocabilité des directives dans le cadre de la mise en oeuvre du chapitre Ier – Rejet.

L'association requérante demande l'annulation pour excès de pouvoir, d'une part, du décret n° 2017-626 du 25 avril 2017 relatif aux procédures destinées à assurer l'information et la participation du public à l'élaboration de certaines décisions susceptibles d'avoir une incidence sur l'environnement et modifiant diverses dispositions relatives à l'évaluation environnementale de certains projets, plans et programmes et, d'autre part, de la décision implicite du ministre de la transition écologique et solidaire du 21 août 2017 rejetant sa demande tendant à l'abrogation de l'article R. 121-2 du code de l'environnement en ce qu'il prévoit des seuils financiers pour déclencher la procédure de débat public.

Le Conseil d'Etat répond que les directives 2001/42/CE du 27 juin 2001 et 2011/92/UE du 13 décembre 2011 prévoient la mise en place d'une procédure de participation du public à un stade où le projet, plan ou programme est défini de façon suffisamment précise pour permettre au public concerné d'exprimer son avis et qu'ainsi elles s'appliquent donc aux procédures visés dans le chapitre III du titre II du livre Ier du code de l'environnement définissant les modalités de participation du public après le dépôt de la demande d'autorisation des projets ou après qu'un projet de plan ou programme a été élaboré. Il juge qu'en l'espèce il en est bien ainsi.

En revanche, il considère ces directives inapplicables dans le cadre du chapitre Ier  car celui-ci ne concerne que la concertation préalable, organisée avant le dépôt de la demande d'autorisation d'un projet ou pendant la phase d'élaboration d'un projet de plan ou d'un programme à un stade où le projet, plan ou programme n'est pas encore assez défini pour faire l'objet d'une évaluation environnementale ou d'un rapport sur les incidences environnementales conformes aux exigences de ces directives.

Dès lors, la demanderesse ne peut pas utilement critiquer les dispositions de ce chapitre Ier en se fondant sur lesdites directives, ce qui entraine le rejet de son recours.

(13 mars 2019, Association France Nature Environnement, n° 414930)

 

Libertés fondamentales

 

46 - Domanialité – Domaine privé – Compétence dérogatoire du juge administratif – Mise d'une dépendance privée à disposition d'un usage cultuel – Principe – Conditions – Loi du 9 décembre 1905.

L'association requérante, en contestant la délibération et l'arrêté municipaux autorisant l'occupation, à des fins cultuelles, d'une dépendance du domaine privé communal, fournit l'occasion au juge d'aborder deux séries de questions d'importance. La première concerne la détermination et le régime contentieux de la domanialité privée, la seconde le champ d'application et le régime du principe de séparation des Eglises et de l'Etat institué par la loi du 9 décembre 1905.

En l'espèce, étaient critiquées devant le juge une délibération portant mise à disposition d'un local au bénéfice de l'association " Musulmans de Valbonne Sophia Antipolis " et autorisant le maire à signer une convention d'occupation ainsi que la décision du maire de la commune de conclure une convention d'occupation avec cette association.

S'agissant de la domanialité et de la compétence juridictionnelle. Par application des critères classiques désormais, le local mis à disposition constitue bien - ainsi que l'ont décidé les premiers juges - une dépendance du domaine privé communal : il est propriété de la commune et n'a fait l'objet d'une affectation ni à l'usage direct du public, ni à un service public. Cela étant, la juridiction compétente pour connaître de la contestation par une personne privée de l'acte, de la délibération ou de la décision du maire, par lequel une commune, gestionnaire de son domaine privé, initie avec celle-ci, conduit ou termine une relation contractuelle dont l'objet est la valorisation ou la protection de ce domaine et qui n'affecte ni son périmètre ni sa consistance est le juge judiciaire. Toutefois, la juridiction administrative est compétente pour connaître de la demande formée par un tiers tendant à l'annulation de la délibération d'un conseil municipal autorisant la conclusion d'une convention ayant pour objet la mise à disposition d'une dépendance du domaine privé communal et de la décision du maire de la signer. C'est donc à bon droit que le tribunal et la cour administratifs ont retenu leur compétence pour connaître du litige.

S'agissant du principe de séparation. Les requérants contestaient la conformité à la loi de 1905 de la mise à disposition d'un local communal pour des cérémonies cultuelles. Confirmant, peut-être en l'amplifiant, une tendance jurisprudentielle de ces dix dernières années le Conseil d'Etat rappelle deux principes.

En premier lieu, l'utilisation, pour l'exercice d'un culte par une association, d'un local communal est légalement possible notamment au regard de l'art. L. 2144-3 CGCT.

En second lieu, cette mise à disposition est soumise au respect d'un certain nombre de conditions : elle doit tout d'abord être accordée en  tenant compte des nécessités de l'administration des propriétés communales, du fonctionnement des services et du maintien de l'ordre public ; elle doit, ensuite, respecter le principe de neutralité à l'égard des cultes et le principe d'égalité entre usagers ou bénéficiaires de locaux publics ; l'autorisation d'occupation doit, également, comporter des conditions financières excluant toute libéralité et, par suite, toute aide à un culte.

Une distinction importante et assez nouvelle est faite désormais entre les locaux concernés. Si le local relève des considérations énoncées à l'art. L. 2144-3 précité, il est impossible à une commune de décider qu'un local lui appartenant sera laissé de façon exclusive et pérenne à la disposition d'une association pour l'exercice d'un culte et constituera ainsi un édifice cultuel. En revanche, une collectivité territoriale peut donner à bail, et ainsi pour un usage exclusif et pérenne, à une association cultuelle un local existant de son domaine privé sans méconnaître les dispositions de la loi du 9 décembre 1905 dès lors que les conditions, notamment financières, de cette location excluent toute libéralité.

Cette décision, après plusieurs autres, manifeste une réelle "désacralisation", si l'on peut oser le terme, de la loi de 1905 qu'une certaine tradition avait rangé à part dans notre législation, un peu comme une loi "fondamentale" ou "organique" s'imposant aux autres lois. Elle est une loi ordinaire pouvant être complétée ou, au contraire, amoindrie par une autre loi de même nature ordinaire. Par ailleurs, l'interprétation donnée ici par le juge est loin d'être conforme à l'esprit du législateur de 1905 tel qu'il a été respecté tant que n'était pas en cause le développement de l'Islam en France.

(7 mars 2019, " Bien Vivre à Garbejaïre Valbonne " et Mme X., n° 417629)

 

47 - Loi instituant un crédit d'impôt en faveur d'entreprises concluant un accord d'intéressement – Modification rétroactive de la loi – Atteinte à l'espérance légitime de l'entreprise – Espérance contituant un bien garanti par la convention EDH – Atteinte non justifiée par l'intérêt général – Demande de restitution du crédit d'impôt accueillie – Annulation du jugement contraire.

La loi n° 2008-1258 du 3 décembre 2008 (art. 244 quater T CGI) a créé un crédit d'impôt destiné à inciter les entreprises à conclure des accords d'intéressement ou à modifier des accords existants dans un sens plus favorable aux salariés entre sa date de publication et le 31 décembre 2014. Ces accords ont une durée triennale (art. L. 3312-5 c. du travail) qui est donc celle du crédit d'impôt tant au bénéfice des salariés qu'à celui de l'entreprise. Ces dispositions étaient de nature à laisser espérer leur application sur l'ensemble de la période triennale pour laquelle est conclu un accord d'intéressement.

La société requérante, qui emploie plus de 250 salariés, a conclu, dans ces conditions, le 25 mai 2010, un accord d'intéressement prenant effet au 1er janvier 2010.

Or l'article 131 de la loi de finances du 29 décembre 2010 a restreint le champ d'application du crédit d'impôt aux seules entreprises ayant conclu un accord d'intéressement et employant habituellement moins de 50 salariés tandis qu'elle fixait le crédit d'impôt à 30 % de la différence entre, d'une part, les primes d'intéressement mentionnées au I dues au titre de l'exercice et, d'autre part, la moyenne des primes dues au titre de l'accord précédent ou, si leur montant est plus élevé, les primes d'intéressement dues au titre de l'exercice précédent. Ce nouveau dispositif était applicable aux crédits d'impôt acquis au titre des primes versées à compter du 1er janvier 2011. L'article 20 de la loi du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011 a modifié l'entrée en vigueur de ces dispositions en les rendant applicables aux primes d'intéressement dues au titre des exercices ouverts à compter du 1er janvier 2011 et en prévoyant que, pour les entreprises employant plus de 49 salariés et moins de 250 salariés, les anciennes dispositions s'appliquaient aux crédits d'impôt relatifs aux primes d'intéressement dues en application d'accords d'intéressement conclus ou renouvelés avant le 1er janvier 2011.

Par suite, en excluant du bénéfice du crédit d'impôt les entreprises de plus de 250 salariés pour 2011 et 2012, le législateur a privé la société requérante d'une espérance légitime d'en bénéficier jusqu'au terme de la période triennale de l'accord d'intéressement qui lui était applicable à compter du 1er janvier 2010.

Le Conseil d'Etat rappelle que la garantie donnée - par l'art. 1er du premier protocole additionnel à la convention EDH - à toute personne morale ou physique qu'elle a droit au respect de ses bien ne joue normalement que si cette personne peut faire état de la propriété d'un bien que ces dispositions ont pour objet de protéger et à laquelle il aurait été porté atteinte. Toutefois, en l'absence de créance certaine "l'espérance légitime d'obtenir une somme d'argent doit être regardée comme un bien au sens de ces stipulations".

La loi a donc porté atteinte à ce bien et, faute que puisse valablement être démontrée l'existence d'un motif d'intérêt général proportionné à cette atteinte, elle ne saurait  être opposable à la société requérante, laquelle est fondée à demander l'annulation pour qualification juridique erronée de l'arrêt de la cour qui avait jugé qu'en excluant du bénéfice du crédit d'impôt les entreprises de plus de 250 salariés pour 2011 et 2012, le législateur n'avait pas privé la société FerroPem France d'une espérance légitime d'en bénéficier jusqu'au terme de la période triennale de l'accord d'intéressement applicable à compter du 1er janvier 2010 aux motifs que le dispositif de l'article 244 quater T ne comportait aucune indication de durée et que le crédit d'impôt ne pouvait être imputé sur un exercice autre que celui au titre duquel étaient versées les primes d'intéressement, alors que ce régime fiscal était lié à la durée d'application du contrat d'intéressement. 

(13 mars 2019, Société FerroPem France, n° 417536)

 

Police

 

48 - Police spéciale – Police des films appartenant au ministre de la culture – Interdiction d'un film aux enfants de moins de douze ans – Demande d'interdiction aux moins de seize ans – Rejet – Absence d'erreur de droit de l'arrêt d'appel.

L'association requérante a sollicité, en vain, des juges du fond, l'annulation de la décision ministérielle ayant délivré à la version originale sous-titrée du film d'animation " Sausage party " un visa d'exploitation comportant une interdiction de diffusion aux mineurs de douze ans, sans avertissement, alors qu'elle souhaitait que cette interdiction fût étendue aux moins de seize ans. Elle se pourvoit en cassation.

Le Conseil d'Etat estime que la juridiction d'appel a, en l'espèce, exercé pleinement son office, consistant à vérifier si le film, pris dans son ensemble, est de nature à heurter la sensibilité du jeune public et à porter ainsi atteinte aux objectifs législatifs de protection de l'enfance et de la jeunesse et de respect de la dignité humaine.

Il considère que c'est sans erreur de droit que, pour rejeter le recours dont elle était saisie, elle a relevé l'absence de scènes de sexe non simulées ou de très grande violence ainsi que " la forme incomplètement humanisée des personnages " pour en déduire l'absence de réalisme et de caractère incitatif des scènes mises en cause par l'association requérante. 

Le film, dans un genre humoristique, même s'il "met en scène des personnages s'exprimant dans un langage grossier et parfois vulgaire et comporte plusieurs passages pendant lesquels des aliments représentés de manière anthropomorphique consomment de l'alcool et de la drogue et se livrent à des pratiques sexuelles", se veut une critique de la société de consommation et fait l'apologie de l'hédonisme.

Le recours est rejeté et pourtant la narration même faite par le juge incite à trouver un peu incohérente la solution retenue à partir de cette narration.

(4 mars 2019, Association Juristes pour l'enfance, n° 417346)

 

49 - "Gilets jaunes" – Exercice du droit de manifester – Atteinte – Utilisation de balles de défense dangereuses – Participation aux opérations de maintien de l'ordre d'unités de police (ici brigades anti-criminalité) non spécialisées pour cela – Rejet de l'ensemble des moyens soulevés.

La requérante soulevait à l'encontre du préfet du Rhône un ensemble de moyens tendant à faire juger dans le cadre d'un référé liberté l'illégalité de l'atteinte portée à la liberté de manifester. Ils sont tous rejetés, le juge des reférés du Conseil d'Etat estimant justifiée l'ordonnance de rejet rendue par le juge des référés de première instance.

D'abord, la requérante n'établit pas que le lanceur de balles de défense ait été employé par des unités non formées, ni que le préfet du Rhône ait eu l'intention de méconnaître les conditions d'usage de telles armes, ou même de tolérer leur violation ; au contraire, des instructions ont été adressées aux forces de l'ordre rappelant les règles de nécessité et de proportionnalité, ainsi que les conditions techniques d'utilisation.

Ensuite, il n'est pas davantage établi que la violence des affrontements soit le résultat des modalités de la gestion du maintien de l'ordre par les services de l'Etat. Egalement, il ressort de l'instruction que les forces de police font preuve de mesure dans l'utilisation de ces armes, et n'y ont pas recours lorsque ce n'est pas nécessaire. Au reste, le recours à ces armes s'avère indispensable dans certaines circonstances de maintien et de défense de l'ordre public et il n'est d'ailleurs pas établi que les règles relatives à l'utilisation de ces armes sont enfreintes de manière habituelle.

Enfin, dès lors que les brigades anti-criminalité de la police nationale concourent à la lutte contre les phénomènes de violences urbaines, elles pouvaient être intégrées à des dispositifs de maintien de l'ordre.

C'est là une solution très "compréhensive" à l'égard des forces et autorités de police que peuvent expliquer les circonstances particulières de manifestations en forme, souvent, d'émeutes.

(20 mars 2019, Mme X., n° 425479 ; v. aussi, du même jour, voisin et concernant également ces manifestations : M. X., n° 428748)

 

50 - Police des manifestations – Maintien de l'ordre – Emploi des forces armées – Dispositif "Sentinelle" – Référé liberté tendant à la suspension de la décision du premier ministre de recourir aux forces armées pour assurer ou appuyer le maintien de l'ordre à Paris le samedi 23 mars 2019 – Absence d'intérêt pour agir – Rejet.

Saisi d'un recours en référé liberté le 22 mars 2019, le Conseil d'Etat statue le jour même, la manifestation visée ayant lieu le lendemain. Le requérant est débouté de sa demande tendant à ce que soit suspendue la décision du premier ministre de recourir aux forces armées comme participant ou en appui au maintien de l'ordre le samedi 23 mars 2019 à Paris.

Il invoque comme motif de sa demande qu'il doit se rendre ce même jour à Paris en vue de participer à plusieurs réunions. Une telle "qualité" ne lui donne bien évidemment pas un intérêt pour agir. Le débouté était inévitable et il est peut-être regrettable qu'il n'ait pas été assorti d'une amende pour abus de procédure.

(22 mars 2019, M. X., n° 429061)

 

51 - Police des manifestations sportives – Match de football opposant les équipes de Nantes et de Reims – Interdiction par arrêté ministériel de toute présence dans le centre-ville de Reims de supporters du Football Club de Nantes – Demande d'annulation de cet arrêté – Absence d'atteinte manifestement illégale à la liberté d'aller et venir ou à d'autres libertés – Rejet.

L'arrêté ministériel - si regrettable soit sa tardiveté - interdisant le dimanche 17 mars 2019, de zéro heure à minuit, le déplacement individuel ou collectif, par tout moyen routier, ferroviaire ou aérien, de toute personne se prévalant de la qualité de supporter du Football Club de Nantes ou se comportant comme tel, entre les communes du département de la Loire-Atlantique, d'une part, et la commune de Reims, d'autre part, n'a pas porté une atteinte manifestement illégale aux diverses libertés, dont celle d'aller et de venir, dont se prévaut l'association requérante. Le juge des référés retient plusieurs motifs au soutien de son ordonnance de rejet :

1/ Le risque que ne soit pas respecté l'arrêté préfectoral du 15 mars 2019, interdisant à toute personne se prévalant de la qualité de supporter de Nantes ou se comportant comme tel de circuler ou stationner à Reims sur la voie publique dans un périmètre concernant le centre-ville de Reims et les abords du stade, entre 6 heures et 18 heures le jour du match ;

2/ La circonstance qu'une partie des forces de police est affectée aux manifestations des "gilets jaunes" comme aux effets de blocages routiers par les forains en conflit avec la municipalité de Reims ;

3/ Le fait que ces supporters veulent fêter les 20 ans de leur création ce jour-là qui est aussi la Saint-Patrick, donc avec grands risques d'alcoolisations excessives.

(16 mars 2019, Association nationale des supporters, n° 428893)

 

52 - Police des armes (détention et port) – Pouvoirs du préfet – Saisie d'armes – Restitution ou saisie définitive au bout d'un an – Préjudice causé par la saisie, temporaire ou définitive d'armes – Responsabilité de l'Etat - Absence en l'état de la santé mentale du propriétaire des armes.

Lorsque le préfet ordonne à une personne présentant un danger de remettre la(les) arme(s) qu'elle possède, d'une part, cette personne doit la(les) remettre, d'autre part, se voit ipso facto interdire d'acquérir ou de détenir des armes. Le préfet dispose du délai d'un an pour décider la restitution ou la saisie définitive de ce qui a été saisi. A défaut d'avoir décidé dans ce délai, il conserve toujours le droit d'opter pour l'une ou l'autre solution sous réserve que le propriétaire dépossédé de son arme peut introduire une action en responsabilité du fait du préjudice qu'il a subi par suite de la décision préfectorale ; il n'a donc pas un droit à la restitution de ce qui a été remis ou saisi.

En l'espèce, l'état de santé du requérant, chez lequel a été médicalement constaté un délire de persécution, qui a été condamné, pour des faits de violence avec armes, à une peine d'emprisonnement avec sursis assortie d'une injonction de soins, justifiait que le préfet s'abstienne de restituer ce qui avait été remis.

(28 mars 2019, M. et Mme X., n° 421468)

 

Procédure contentieuse

 

V. n° 32, n° 34, n° 80, n° 87

 

53 - Personne détenue – Demande de référé constat – Appréciation du caractère utile de la mesure sollicitée – Rejet de la demande car le détenu ne se trouvait plus dans le centre pénitentiaire alors qu'il y est retourné – Erreur de droit.

Un détenu placé en détention provisoire de mai 2016 à juin 2017, est transféré pendant un mois dans l'unité hospitalière d'un autre centre pénitentiaire, puis, en juillet 2017 est réintégré dans la maison d'arrêt d'origine.

Il saisit le juge du référé constat (art. L. 531-1 CJA) pour voir désigner un expert afin qu'il constate ses conditions de détention. Pour rejeter cette demande le juge des référés a estimé qu'elle ne revêtait pas un caractère utile au motif qu'à la date à laquelle la demande a été présentée l'intéressé ne se trouvait plus dans cette maison d'arrêt. Ce jugeant est commise une erreur de droit car le juge saisi d'une telle demande doit se placer à la date à laquelle il statue or à cette date le requérant était bien de retour dans la maison d'arrêt d'où il avait été auparavant extrait pour raison médicale. L'ordonnance est cassée de ce chef.

(13 mars 2019, M. X., n° 418101 ; du même jour, avec même requérant et même solution : M. X., n° 418102 ; du même jour avec mêmes requérant et intervenant et même solution : M. X., n° 418105)

 

54 - Recours en référé liberté puis, après son rejet, en référé suspension – Identité de juge dans les deux recours – Allégation de partialité de principe rejetée.

Une fonctionnaire de l'ordre judiciaire fait l'objet, d'abord, d'une décision la suspendant de ses fonctions, puis d'une sanction disciplinaire. Elle saisit le juge des référés d'un référé liberté dirigé contre la première décision puis, après rejet de cette première demande, elle le saisit d'un référé suspension dirigé contre la sanction.

A la suite des rejets de ses demandes, elle saisit le Conseil d'Etat d'un pourvoi principalement fondé sur ce que la circonstance que ce soit la même personne qui ait statué en référé dans les deux procédures et alors, au surplus, que la première demande avait été rejetée par application de la procédure expéditive de l'art. L. 522-3 CJA, il s'ensuivait une atteinte à l'impartialité.

Le Conseil d'Etat rappelle que la seule circonstance que le même juge statue successivement, à l'égard de deux décisions différentes mais liées, en référé liberté puis en référé suspension ne suffit pas, à défaut d'autres éléments spécifiques, à faire douter ipso facto de l'impartialité présumée du juge.

Cette solution rappelle et confirme celle retenue dans un cas où le juge avait statué successivement comme juge du référé suspension puis comme juge du principal : là aussi n'avait pas été suspectée, de ce seul fait, l'impartialité du juge (Avis, Section, 30 avril 2004, Commune de Rogerville, n° 265184).

(13 mars 2019, Mme X., n° 420514)

 

55 - Personne adulte handicapée – Demande que le juge enjoigne son admission dans une institution spécialisée déterminée – Institution de droit privé non chargée d'une mission de service public – Incompétence du juge administratif pour connaître d'une telle demande.

Le juge administratif est incompétent pour connaître d'un recours tendant à le voir ordonner à une personne morale de droit privé non chargée d'une mission de service public l'admission au sein de l'établissement qu'elle gère d'une personne adulte handicapée.

(26 mars 2019, Mme X., n° 428371)

 

56 - Conclusions du rapporteur public – Communication du sens des conclusions (art. R. 711-3 CJA) – Communication ne permettant pas de connaître la position du rapporteur public sur le montant de l'indemnisation qu'il allait proposer – Irrégularité – Cassation.

Le rapporteur public - dans les instances où il y en a un - doit, dans un délai raisonnable, communiquer aux parties le sens de ses conclusions de manière succincte mais suffisamment claire.

En l'espèce, s'agissant des indemnités allouées du fait du décès d'un détenu imputable à une insuffisance de prise en charge par le service pénitentiaire, le rapporteur public avait indiqué qu'il allait conclure ainsi à propos de l'indemnisation : "Satisfaction totale ou partielle". Cette indication est jugée ne pas satisfaire aux exigences de l'art. R. 711-3 CJA.

La décision peut sembler sévère car l'indication du "sens" des conclusions ne signifie nullement la complétude de l'information sur leur entier contenu.

(28 mars 2019, Mme X. et autres, n° 415103)

 

57 - Prime d'activité – Contestation des décisions des caisses d'allocations familiales et des caisses de mutualité sociale agricole en matière de primes d'activité – Recours préalable – Régime procédural contentieux – Formation d'un pourvoi – Qualité pour le faire – Régularisation en cas d'erreur – Absence en l'espèce.

Dans le cadre d'un litige en répétition d'indu social (ici la prime d'activité) est posée une importante question procédurale.

Si les décisions par lesquelles les caisses d'allocations familiales (CAF) et les caisses de mutualité sociale agricole (MSA) statuent sur les recours préalables en matière de prime d'activité sont prises pour le compte de l'Etat, il n'en résulte pas moins qu'en cas de contestation de ces décisions il n'appartient pas à ces caisses de représenter l'Etat en justice, aucune disposition de droit positif ne le prévoyant. Comme, par ailleurs, aucune disposition ne prévoit non plus que le préfet ou le ministre chargé des affaires sociales puisse déléguer la compétence que chacun d'eux détient en certains cas de représenter l'Etat, respectivement devant le tribunal administratif et devant le Conseil d'Etat, il s'en déduit, d'une part, qu'en défense devant le tribunal administratif seul le préfet peut intervenir dans les litiges en annulation des décisions de ces caisses, d'autre part, que seul le ministre intéressé peut saisir le Conseil d'Etat d'un pourvoi et, lorsque celui-ci est saisi par une autre personne, pour y défendre.

(13 mars 2019, Caisse d'allocations familiales de Paris, n° 418469)

 

58 - Autorité de chose jugée en première instance – Arrêt d'appel ordonnant des expertises sur ce qui avait été définitivement jugé – Violation par la juridiction d'appel de la chose jugée – Cassation.

A la suite de la naissance d'un enfant atteint d'une infirmité motrice cérébrale un centre hospitalier est condamné - par un jugement rendu en 1993 et devenu définitif - à verser diverses indemnités et une rente à parfaire au moment de la consolidation définitive de l'état de l'enfant. Cette consolidation a été acquise quinze ans plus tard et les parents ainsi que leur enfant devenu majeur ont saisi le tribunal en fixation de l'indemnisation des préjudices définitifs. Le jugement est frappé d'appel et la cour ordonne une expertise "afin, notamment, d'une part, de déterminer l'ampleur de la chance perdue par M. X. d'échapper au handicap dont il est atteint et, d'autre part, dans l'hypothèse où plusieurs causes seraient à l'origine des séquelles dont demeure atteint l'intéressé, de faire le partage entre chacune de ces causes et d'indiquer leur part dans sa survenue". 

Le Conseil d'Etat casse cet arrêt pour méconnaissance de la chose jugée par le tribunal administratif en 1993 ; en effet, celui-ci avait, dans son jugement, estimé que les fautes commises par l'équipe médicale du centre hospitalier dans la prise en charge de M. X. étaient " la cause directe " des importantes séquelles conservées par ce dernier. Par là, le tribunal a donc exclu que ces fautes n'aient constitué qu'une perte de chance de l'intéressé de se soustraire au dommage qui s'est réalisé alors qu'elles étaient purement et simplement la cause du dommage subi. En ordonnant l'expertise sus-rappelée la cour a violé directement la chose définitivement jugée, d'où la cassation décidée.

(28 mars 2019, Consorts X. et M. X., n° 419053)

 

59 - Litige en matière de prestations d'action sociale facultative instituées au profit des agents publics – Compétence du tribunal en premier et dernier ressort – Indication erronée sur le régime de contestation de son jugement – Effet sur la distinction des causes juridiques et leur cristallisation.

Une agent public communal s'étant vu refuser l'attribution de l'allocation aux parents d'enfants handicapés a contesté en vain cette décision devant le tribunal administratif. Sur les indications portées sur la notification de ce jugement, elle a saisi la cour administrative d'appel qui a renvoyé au Conseil d'Etat, seul compétent pour statuer sur le recours dirigé contre le jugement de première instance.

Deux questions distinctes sont abordées par le juge.

Tout d'abord, était en cause le point de savoir si la requête de la demanderesse relevait ou non des dispositions de l'art. R. 811-1 CJA aux termes desquelles le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort sur "les litiges relatifs aux prestations, allocations ou droits attribués au titre de l'aide ou de l'action sociale". Le Conseil d'Etat juge que les prestations d'action sociale facultative instituées au bénéfice des agents publics en application de l'article 9 de la loi du 13 juillet 1983 constituent des prestations attribuées au titre de l'action sociale au sens de l'article R. 811-1 CJA. Le recours de l'intéressée devait donc être porté directement devant le Conseil d'Etat.

Ensuite, dans une telle hypothèse comment se calcule le délai de deux mois à l'issue duquel sont définitivement cristallisés les moyens que les parties peuvent soulever ? En effet, en l'espèce, n'avaient, d'abord, été soulevés que des moyens critiquant le bien-fondé du jugement puis, ensuite a été soulevé un moyen contestant la régularité de celui-ci, comme n'ayant pas respecté le principe du caractère contradictoire de la procédure contentieuse. Le Conseil d'Etat décide que lorsque, par suite des indications erronées portées sur la notification d'un jugement rendu en premier et dernier ressort, un requérant a saisi la cour administrative d'appel et que le président de celle-ci a transmis son recours au Conseil d'Etat, le délai de deux mois à l'issue duquel le requérant n'est plus recevable à invoquer une cause juridique distincte court à compter soit de la date à laquelle un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation se constitue pour le requérant, soit, s'il y a été invité avant cette constitution, de la réception, par le requérant, de l'invitation à faire régulariser son pourvoi par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. En l'espèce, le moyen critiquant la régularité du jugement avait été développé par l'avocat plus de deux mois après que celui-ci s'est constitué. Il était tardif et doit être déclaré irrecevable.

(15 mars 2019, Mme X., n° 415366)

 

60 - Marché de travaux publics – Maîtrise d'œuvre – Désordres constatés – Action en réparation des préjudices subis – Cour administrative d'appel entachant son arrêt de contradiction des motifs – Annulation.

A la suite de désordres apparus dans les réseaux d'eau d'un établissement hospitalier, des expertises sont ordonnées aboutissant à des condamnations en première instance dont une partie est annulée en appel. L'établissement requérant reproche à l'arrêt d'appel d'être entaché de contradiction des motifs.

En effet, la cour administrative d'appel, après avoir estimé que l'engagement de la responsabilité de certaines sociétés sur le fondement de la garantie décennale n'était pas sérieusement contestable, a annulé l'ensemble des condamnations prononcées par le juge des référés du tribunal administratif au titre de la garantie décennale. Pareille contradiction entre les motifs d'une décision de justice ne pouvait que conduire à son annulation.

(27 mars 2019, Institut de cancérologie Lucien Neuwirth (ICLN), n° 425174)

 

61 - Procédure devant la juridiction administrative – Principe du contradictoire – Respect des droits de la défense – Cas d'un justiciable sourd congénital – Demande d'assistance d'un spécialiste en langue des signes – Refus – Annulation du jugement.

Une personne, sourde de naissance, saisit le tribunal administratif du refus qui a été opposé à sa demande d'obtention d'une carte de stationnement pour personnes handicapées ; elle sollicite de bénéficier à l'audience de l'assistance d'un interprète en langue de signes. Cela lui est refusé, le tribunal l'autorisant seulement à être accompagné de la personne de son choix capable d'assurer la traduction.

En l'absence de toute aide, il a été privé, de fait, du droit de présenter des observations orales à l'audience et cette violation de règles fondamentales de procédure ainsi que de l'art. 76 de la loi du 11 février 2005, spécial à l'assistance aux sourds dans les audiences juridictionnelles, conduit à l'annulation du jugement querellé.

(15 mars 2019, M. X., n° 414751)

 

62 - Plein contentieux – Installations classées pour la protection de l'environnement – Dates auxquelles doit se placer le juge du plein contentieux – Distinction entre les règles de forme et de procédure et les règles de fond – Combinaison avec les principes gouvernant le contentieux du droit de l'urbanisme.

(25 mars 2019, Société Ener-Biomasse, n° 421935 et Ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire, n° 422000) V. n° 37

 

63 - Décision implicite de rejet née du silence gardé par l'administration pendant un certain temps – Principe de sécurité juridique – Durée du délai raisonnable de contestation contentieuse fixé à un an sauf circonstances particulières invoquées par le requérant – Point de départ du délai annal – Preuve de la connaissance de la décision par l'administré.

Dans une affaire de refus d'échange de permis de conduire, le litige tournait pour l'essentiel autour de la règle dite du "délai raisonnable".

La règle selon laquelle la durée raisonnable de contestation contentieuse des décisions administratives individuelles est d'un an sauf circonstances particulières invoquées par le requérant n'en finit pas d'étendre ses tentacules sur le droit administratif. Fondée sur le principe de sécurité juridique afin de ne pas étendre à l'infini la durée des délais de recours contentieux, cette règle est d'ordre public.

En pratique, elle se décline ainsi, comme le rappelle ici le juge.

S'agissant d'une décision explicite, quatre cas principaux se présentent.

Lorsque la décision a été notifiée à son destinataire et comporte mention des voies et délai de recours, c'est ce délai - généralement de deux mois - qui s'applique.

Lorsque la décision a été notifiée sans mention des voies et délais de recours, s'applique le délai d'un an précité, celui-ci courant à compter de la notification imparfaite.

Lorsque la décision ne mentionnant pas les voies et délais de recours a fait l'objet d'un recours gracieux explicitement rejeté, le délai de recours contentieux est normalement de deux mois à compter de la réception de ce rejet si sa notification comporte la mention des voies et délai de recours, il est d'un an lorsque cette mention fait défaut.

Lorsque la décision n'a pas été communiquée ou n'est pas parvenue à son destinaire, le délai d'un an court à compter du jour où il a eu connaissance de son existence et de son contenu.

S'agissant d'une décision implicite de rejet, qui donc, par nature, n'est pas notifiée, les principes sont les suivants.

Lorsqu'au moment où il a saisi l'administration le demandeur a été dûment avisé des conditions dans lesquelles serait constituée une décision implicite, le délai court à compter de la naissance de cette décision.

Dans les autres hypothèses, se pose la question de la preuve de cette connaissance. Le juge rappelle que le seul écoulement du temps ne vaut pas preuve de la connaissance de la décision. Cette dernière résultera, par exemple, d'un échange de correspondances, d'une lettre de protestation contre la décision de rejet ou encore de la formation d'un recours gracieux, tous comportements qui établissent la connaissance de la décision par l'intéressé au moins à une certaine date. C'est de cette date que commence à courir le délai d'un an.

En l'espèce, une autre question de procédure se posait. Le tribunal administratif, ayant retenu le motif d'irrecevabilité pour tardiveté de la requête introduite après expiration du délai d'un an, avait également rejeté, au fond, les conclusions à fin d'indemnité présentées par le requérant au motif que la décision querellée n'était point entachée d'illégalité. Or, rejetant le recours en illégalité comme irrecevable, il était tenu de se prononcer explicitement et complètement, et cela alors même qu'elle était devenue définitive, sur la légalité de la décision prétendue être la cause d'un dommage.

Le jugement du tribunal administratif est annulé pour ce double motif.

(18 mars 2019, M. X., n° 417270)

 

64 - Cour administrative d'appel – Omission de réponse à moyen – Moyen non inopérant – Annulation.

Solution classique : l'omission de répondre à l'un des moyens invoqués par les requérants, qui n'était pas inopérant, entache d'irrégularité l'arrêt d'appel qui encourt ainsi cassation.

(20 mars 2019, Mme X. et M. Y, n° 416247)

 

65 - Juge du référé suspension – Office – Irrecevabilité d'une demande en référé en cas d'irrecevabilité de la requête en annulation – Motif devant être soulevé d'office par le juge du référé.

Dans cette affaire, où une société de produits pharmaceutiques obtient la suspension de l'exécution d'une décision ministérielle refusant d'inscire une spécialité qu'elle distribue sur la liste des spécialités remboursables aux assurés sociaux, sera relevée une précision procédurale d'importance rappelée ici par le juge de cassation.

Dans le cadre d'un référé suspension, l'irrecevabilité de la demande d'annulation d'une décision entraîne ipso facto l'irrecevabilité de la demande de suspension de celle-ci puique, en ce cas, aucun des moyens d'illégalité soulevés à l'encontre de cette décision n'est susceptible de prospérer en référé en raison de l'absence de doute sérieux sur cette légalité. Dès lors que cette irrecevabilité de la requête à fin d'annulation ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés, ce dernier, doit, même d'office, constater que la requête en suspension ne peut qu'être rejetée.

(20 mars 2019, Société Santhera Pharmaceuticals Deutschland GmbH, n° 428209)

 

66 - Demande de renvoi pour cause de suspicion légitime sur un tribunal administratif – Refus de ce renvoi par la cour administrative d'appel – Saisine du Conseil d'Etat – Intervention du jugement de première instance pendant l'instance en cassation – Non-lieu à statuer en cassation – Possibilité pour les parties de contester directement, sur ce fondement, le jugement.

Des parties ont demandé à une CAA de prononcer, pour cause de suspicion légitime, le renvoi d'une affaire à un autre tribunal administratif que celui saisi. La cour ayant refusé, elles se pourvoient en cassation mais le tribunal rend son ordonnance de référé pendant l'instance de cassation.

Le Conseil d'Etat prononce le non-lieu à statuer. Le risque qu'une telle solution porte atteinte au droit à un recours effectif n'existe pas puisqu'il est loisible aux parties de former un recours contre l'ordonnance de référé.

(25 mars 2019, M. X. et autres, n° 423204)

 

67 - Recours abusif – Absence en l'espèce eu égard aux circonstances de droit et de fait.

Commet une erreur de qualification juridique la cour administrative d'appel qui inflige à une personne morale requérante une amende pour recours abusif alors qu'elle est saisie pour la première fois de l'affaire et quand bien même l'appel critiquerait plusieurs décisions récentes du Conseil d'Etat rendues en matière fiscale.

(25 mars 2019, Société OD Invest SAS, n° 421771)

 

68 - Relogement d'urgence – Décision de la commission de médiation déclarant un demandeur prioritaire – Carence de l'Etat à exécuter une décision de cette commission – Contentieux – Déroulement de la procédure – Clôture de l'instruction selon l'art. R. 772-9 CJA et non selon l'art. R. 778-1 CJA – Cassation.

Un demandeur en relogement d'urgence obtient une décision favorable en ce sens de la commission départementale de médiation mais l'Etat ne procède pas au relogement. Une action en réparation des préjudices résultant de cette carence est formée devant un tribunal administratif.

Une ordonnance a clos l'instruction à une date antérieure à celle de l'audience publique au cours de laquelle l'affaire a été examinée. Cette ordonnance est irrégulière car elle fait application des dispositions de l'art. R. 778-1 CJA au lieu de celles de l'art. R. 772-9 CJA, selon lesquelles : "La procédure contradictoire peut être poursuivie à l'audience sur les éléments de fait qui conditionnent l'attribution de la prestation ou de l'allocation ou la reconnaissance du droit, objet de la requête.

L'instruction est close soit après que les parties ou leurs mandataires ont formulé leurs observations orales, soit, si ces parties sont absentes ou ne sont pas représentées, après appel de leur affaire à l'audience". Il suit de là qu'en cloturant l'instruction antérieurement à l'audience le tribunal a commis une erreur de procédure entrainant l'annulation de son jugement.

Il faut, encore une fois, regretter un enchevêtrement de textes rendant illisible la date et la procédure de clôture de l'instruction créant ainsi, à force de précisions, un état d'insécurité procédurale.

(28 mars 2019, M. X., n° 414709)

 

69 - Demande d'asile – Audition devant l'Office français des réfugiés et apatrides (OFPRA) – Absence d'interprète en langue zarma – Individu ignorant le français – Annulation de la décision de l'OFPRA par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) – Confirmation par le juge de cassation.

C'est sans erreur de droit que la CNDA a annulé la décision de l'OFPRA refusant d'accorder l'asile politique à un ressortissant guinéen. Celui-ci, jamais scolarisé et bien que le français soit la langue officielle du Niger, ne comprend guère le français et s'exprime en zarma, langue pour laquelle il a demandé, en vain, à l'OFPRA l'assistance d'un interprète. La CNDA a donc, très logiquement, annulé une décision prise au terme d'une procédure au cours de laquelle l'intéressé n'a pas pu valablement s'exprimer et qui, de ce fait, a été écourtée.

(29 mars 2019, OFPRA, n° 419620)

 

Professions réglementées

 

V. aussi n° 38

 

70 - Cumul des poursuites devant les juridictions pénales, disciplinaires et du contrôle technique pour les professionnels de santé – Interdiction temporaire d'exercice de la profession de masseur-kinésithérapeute – Invocation de la violation du principe de nécessité des délits et des peines – QPC soulevée – Protection d'intérêts sociaux différents – Refus de renvoyer au Conseil constitutionnel.

(18 mars 2019, M. X., n° 424610 et n° 426458) V. n° 74

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

71 - Dispositions combinées de l'art. L. 521-1 du code de justice administrative et de l'art. L. 1232-6 du code du travail – Licenciement subordonné à une autorisation administrative – Demande de suspension de cette autorisation – Impossibilité pour le juge du référé suspension de statuer de manière utile – Caractère sérieux de la question en tant seulement qu'elle concerne l'art. L. 1232-6 du code de travail – Renvoi d'une QPC dans cette mesure.

Suite à l'autorisation administrative de licencier un salarié protégé et à la procédure suivie pour sa contestation, un requérant fait valoir que le licenciement ayant eu lieu dans la foulée la saisine du juge administratif du référé suspension a été sans effet puisque celui-ci a constaté qu'il n'y avait plus lieu de statuer en référé, le licenciement ayant été prononcé.

Il fait donc valoir que la combinaison des dispositions pertinentes du CJA et du code du travail porte atteinte au droit à un recours effectif et à l'égalité devant la loi que la Consitution garantit.

Le Conseil d'Etat n'aperçoit une question sérieuse qu'en ce qui concerne l'art. L. 1232-6 non pour ce qui est de l'art. L. 521-1 puisque, au contraire, celui-ci permet la contestation en vue d'une décision à bref délai. Le renvoi d'une QPC est donc décidé dans cette mesure.

(7 mars 2019, M. X., n° 425779)

 

72 - QPC dirigée contre une loi mettant en oeuvre une directive européenne – Dispositions inconditionnelles et précises d'une directive – Absence de moyen tiré de l'identité constitutionnelle de la France – Irrecevabilité d'une QPC posée dans ces conditions.

Saisi d'une demande d'annulation de sanctions administratives infligées par l'Office français de l'immigration et de l'intégration, à l'exploitante d'un salon de coiffure du chef d'emploi d'un travailleur étranger démuni d'autorisation de séjour et de titre de travail, le Conseil d'Etat examine, entre autres moyens celui fondant une demande de renvoi d'une QPC. Seul ce point est décrit ci-après.

Cette demande de renvoi est rejetée de façon très expédiente par le raisonnement suivant. Comme le Conseil constitutionnel se refuse à examiner la conformité à la Constitution de dispositions législatives se bornant à tirer les conséquences de dispositions inconditionnelles et précises d'une directive sauf le cas où serait mis en cause une règle ou un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, il s'ensuit qu'est irrecevable une QPC dirigée, comme ici, contre une loi transposant une directive si cette QPC n'invoque pas la mise en cause de cette identité nationale.

En revanche, peut être examinée une QPC dirigée contre une disposition législative transposant une directive lorsque les termes et contenu de cette dernière ne confèrent point à ses dispositions un caractère inconditionnel et précis.

(13 mars 2019, Mme X., n° 424565)

 

73 - Contestation de l'interprétation donnée par une jurisprudence constante à une disposition législative – Hypothèse possible de QPC – Existence d'une seule décision de jurisprudence – Refus de renvoyer la QPC soulevée.

Il résulte d'une jurisprudence du Conseil constitutionnel qu'une QPC peut être soulevée non seulement envers une disposition législative mais encore envers l'interprétation qu'en donne une jurisprudence constante.

En l'espèce la société requérante soulevait une QPC à l'encontre de l'interprétation donnée par le Conseil d'Etat du premier alinéa du 1 de l'art. 231 du CGI. Toutefois, ce juge n'a, à ce jour, rendu qu'une seule décision en la matière (21 janvier 2016, SAS Sovaro, n° 388676), il ne saurait donc exister, de ce fait, une juriprudence "constante" d'autant que cette unique décision "n'a pu, en tout état de cause, porter atteinte à des situations qui, se fondant sur une interprétation antérieure différente, auraient pu être regardées comme étant légalement acquises". 

 (18 mars 2019, Société Groupe Sibuet, n° 425129)

 

74 - Cumul des poursuites devant les juridictions pénales, disciplinaires et du contrôle technique pour les professionnels de santé – Interdiction temporaire d'exercice de la profession de masseur-kinésithérapeute – Invocation de la violation du principe de nécessité des délits et des peines – QPC soulevée – Protection d'intérêts sociaux différents – Refus de renvoyer au C.C.

Suspendu temporairement d'exercer sa profession pour déclarations d'actes fictifs en vue cde leur remboursement et méconnaissance des règles de tarification professionnelle, le requérant soutient que le cumul des poursuites et des sanctions susceptibles d'intervenir sur le fondement de dispositions des codes pénal, de la santé publique et de la sécurité sociale contrevient au principe constitutionnel de nécessité des délits et des peines. Il soulève à cet effet une QPC rejetée par le Conseil d'Etat. Ce dernier considère que la prohibition et la sanction par ces trois codes des mêmes faits visent la protection d'intérêts sociaux différents. Tandis que les poursuites disciplinaires visent à faire respecter les principes de moralité et de probité indispensables à l'exercice de la profession de santé concernée ainsi qu'à assurer la défense de l'honneur de cette profession, le contentieux du contrôle technique des professionnels de santé s'attache à rechercher et à redresser tout abus commis par un professionnel de santé au préjudice de la sécurité sociale, afin notamment d'en protéger les intérêts financiers, enfin, le code pénal réprime en l'espèce le délit d'escroquerie aux fins de protéger la société dans son ensemble des personnes usant de tromperie.

Le renvoi de la QPC qui n'est ni nouvelle ni pourvue d'un caractère sérieux, est donc refusé.

(18 mars 2019, M. X., n° 424610 et n° 426458)

 

Responsabilité

 

V. aussi n° 58, n° 82, n° 83, n° 85

 

75 - Responsabilité pour faute – Préjudice lié à la souffrance morale – Tardiveté dans l'annonce à sa famille, par un centre hospitalier, du décès d'un patient – Réparation allouée.

Une famille (épouse et enfants) reproche à un centre hospitalier de ne l'avoir informée du décès de leur époux et père, survenu à 7h45 du matin, qu'en début d'après-midi et cela fortuitement, l'un de ses fils étant venu rendre visite à son père hospitalisé dans la nuit précédente pour des difficultés respiratoires. Le tribunal et la cour administratifs ayant rejeté leur action en responsabilité, ils obtiennent gain de cause en cassation où il est jugé que l'épouse du défunt et ses deux fils, du fait des conditions de l'annonce du décès, "avaient nécessairement éprouvé, du fait du manque d'empathie de l'établissement et du caractère tardif de cette annonce, une souffrance morale distincte de leur préjudice d'affection". On regrettera que la cassation soit prononcée pour dénaturation des pièces du dossier alors qu'il s'agissait plutôt de qualification juridique des faits.

(12 mars 2019, Consorts X., n° 417038)

 

76 - Plan local d'urbanisme – Irrégularités commises par le commissaire-enquêteur au cours de l'enquête publique – Annulation de la procédure par le juge – Préjudice subi par la commune – Demande de réparation à l'Etat – Commissaire-enquêteur n'agissant pas au nom et pour le compte de l'Etat – Rejet.

La délibération du conseil municipal d'une commune par laquelle est approuvé son plan local d'urbanisme est annulée par le juge en raison d'irrégularités commises par le commissaire-enquêteur. La commune réclame réparation à l'Etat, pris en la personne du préfet, du préjudice qui lui a été causé.

La commune se fonde sur le fait que le commissaire-enquêteur n'est pas désigné par elle mais par l'Etat et que sa rémunération est fixée par l'Etat, pour en déduire que celui-ci doit être considéré comme agissant au nom et pour le compte de l'Etat. C'est donc à ce dernier qu'incomberait la charge de réparer les conséquences dommageables d'irrégularités commises par cette personne.

Les premiers juges ont considéré que les conditions de désignation et de rémunération du commissaire-enquêteur sont destinées, la première, à assurer son indépendance, la seconde, son impartialité mais que, pour autant, il n'est pas représentant de l'Etat.

Relevant qu'il était loisible au maire soit de faire part de ses observations au commissaire pour lui demander de rectifier en conséquence le rapport d'enquête soit de recommencer la procédure en demandant au président du tribunal administratif la désignation d'une autre personne, le Conseil d'Etat rejette la demande d'indemnité.

(13 mars 2019, Commune de Villeneuve-le-Comte, n° 418170)

 

77 - Enfant atteint de troubles autistiques – Demande de réparation des dommages subis par la mère et l'enfant du fait de cet état – Faute commise par un centre hospitalier en n'informant pas l'intéressée de risques liés à la prise de médicaments par une femme enceinte séropositive au VIH – Absence de faute lorsque le défaut d'information concerne un risque sans rapport avec la pathologie affectant l'enfant – Demande d'expertise afin d'évaluer les préjudices subis – Rejet.

La demanderesse a demandé, en vain en première instance et en appel, la réparation des préjudices subis par elle-même et son fils, atteint de troubles autistiques. Elle reproche au centre hospitalier un défaut d'information en raison de son état.

Mme X., séropositive au VIH, n'a pas été informée lorsqu'elle était enceinte de ce que la prise de médicaments antirétroviraux pendant la grossesse exposait l'enfant à naître à un risque accru de développer des atteintes mitochondriales provoquant des troubles neurologiques. Elle impute donc à ce défaut d'information de ne lui avoir pas permis un comportement plus approprié. La cour a cependant rejeté la demande d'indemnisation au vu d'une expertise neurologique qu'elle avait ordonnée et dont il résultait que les troubles autistiques manifestés par le fils de la requérante ne permettaient pas de caractériser une maladie mitochondriale et qu'il n'était pas établi que la prise de médicaments antirétroviraux pendant la grossesse aurait exposé l'enfant à naître à un risque accru de développer de tels troubles. Estimant que le défaut d'information par le centre hospitalier n'était pas à l'origine d'une perte de chance d'éviter les préjudices allégués, la cour a rejeté la demande d'indemnisation. Le Conseil d'Etat juge, au bénéfice du pouvoir souverain de la cour, que celle-ci n'a, ce jugeant, commis aucune erreur de droit. Par suite, c'est logiquement qu'elle a rejeté la demande d'une nouvelle expertise judiciaire formée par la requérante afin d'évaluer les préjudices subis car celle-ci était sans caractère utile.

(18 mars 2019, Mme X., n° 418458)

 

78 - Responsabilité hospitalière – Admission en urgence d'une adolescente après une tentative de suicide – Incendie déclenché accidentellement au moyen d'un briquet conservé dans une poche – Absence de fouille de l'intéressée – Absence de faute dans les circonstances de l'espèce – Rejet du recours.

Une adolescente tente de se suicider en avalant des médicaments. Conduite au service des urgences d'un CHU, elle est placée, sur préconisation du psychiatre de l'établissement, sous sédation dans une chambre de dégrisement avec contention en raison de son état agité et agressif. Profitant de ce qu'elle n'avait pas été fouillée, elle a réussi à extraire d'une poche de son short un briquet pour brûler ses liens, provoquant un incendie la brûlant au troisième degré, ce qui a nécessité son transfert de la Guadeloupe à Paris.

La mère et d'autres membres de la famille de l'adolescente ont réclamé réparation du préjudice subi, notamment du fait de l'amputation des doigts d'une main avec greffe. Leur demande a été rejetée tant en première instance qu'en appel et ce rejet est confirmé en cassation.

Les juges estiment que si les dommages sont survenus du fait que la patiente a pu utiliser un briquet, l'absence de fouille ne constitue pas, dans les circonstances de l'espèce, une faute. D'une part, elle fut admise en urgence, d'autre part elle n'était vêtue que d'un tee-shirt, d'un short et de sandales ce qui ne laissait guère deviner l'existence de moyens dangereux à sa disposition, enfin, le CHU ne possède pas de service psychiatrique pour de tels cas et donc de personnel spécialisé.

(18 mars 2019, Mme X. et autres, n° 418985)

 

79 - Responsabilité hospitalière – Faute médicale dans une manœuvre obstétricale – Perte d'une chance de ne pas subir le dommage si avait été pratiquée une césarienne – Lien de causalité entre le choix médical et le dommage – Erreur de droit à avoir limité à 80% la perte de chance de pas subir le dommage – Annulation de l'arrêt d'appel.

Les requérants, tant en leurs noms qu'en celui de leur fils mineur, ont demandé réparation du préjudice qui leur a été causé du fait de la décision médicale de pratiquer, au moment d'un accouchement, une manoeuvre obstétricale particulière au lieu d'une césarienne.

L'enfant est né en état de mort apparente, a été placé en réanimation ; son état a nécessité par la suite plusieurs interventions et laissé des séquelles que les demandeurs attribuent au choix médical fait lors de l'accouchement. Ils imputent à celui-ci la perte d'une chance de ne pas subir le dommage.

Ils forment un pourvoi contre l'arrêt de la cour administrative qui a estimé que le choix de ne pas pratiquer une césarienne était constitutif d'une faute ayant entraîné une perte de chance de ne pas subir le dommage. L'arrêt a fixé à 80% du dommage coroporel l'ampleur de la chance perdue. Les demandeurs y voient une erreur de droit.

Il faut rappeler que l'action en réparation d'une perte de chance ne tend pas - comme on le croit souvent - à voir réparer le dommage lui-même mais bien une chance de ne pas le subir. Le montant de l'indemnisation allouée doit donc être égal à la fraction du dommage corporel subi, déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

Accueillant le pourvoi, le Conseil d'Etat reproche à la cour d'avoir limité à 80% la part de chance perdue alors qu'il résultait des propres constatations de la cour que le dommage résultait d'une manoeuvre obstétricale qui n'aurait pas été nécessaire en cas de césarienne. Par conséquent, le dommage corporel, ne serait pas survenu en l'absence de la faute commise. Il est donc la conséquence directe de la faute. La cour a commis une erreur de droit en fixant ce pourcentage àseulement 80% et non à 100%.

(18 mars 2019, M. X. et Mme Y., n° 417635)

 

80 - Responsabilité hospitalière – Infection nosocomiale – Demande d'avis sur le régime procédural des demandes indemnitaires préalables adressées à l'administration – Liaison du contentieux – Effets procéduraux.

Répondant à une demande d'avis contentieux selon la procédure régie par l'art. L. 113-1 CJA, le Conseil d'Etat précise la portée et le régime de la liaison du contentieux par décision préalable sur demande de l'administré.

Plus précisément, il était appelé à examiner l'art. R. 421-1 CJA dans la version que lui a donnée le décret dit JADE (du 2 novembre 2016). Le juge distingue deux choses.

En premier lieu, une requête tendant au versement d'une somme d'argent est irrecevable en l'absence d'une décision de l'administration rejetant en tout ou en partie la demande de l'administré. Contrairement à ce que jugeait traditionnellement la jurisprudence, la circonstance que l'administration défenderesse ait produit des conclusions tendant au rejet de la requête au fond mais sans invoquer son irrecevabilité ne couvre plus le défaut de décision préalable.

En second leu, en revanche, la recevabilité d'une requête au regard de la liaison du contentieux s'apprécie non au jour de son introduction mais seulement au jour où le juge statue. Si, à cette date, une décision explicite ou implicite a été prise, son existence a pour effet de régulariser la requête introduite auparavant. Le requérant n'a pas à réitérer ses conclusions après l'intervention de cette décision et la circonstance que l'administration aurait antérieurement opposé une fin de non-recevoir tirée du défaut de liaison du contentieux est sans effet sur la régularisation.

(Section, 27 mars 2019, M. et Mme X., n° 426472)

 

81 - Responsabilité hospitalière – Autorité de chose jugée en première instance – Arrêt d'appel ordonnant des expertises sur ce qui avait été définitivement jugé – Violation par la juridiction d'appel de la chose jugée – Cassation.

 (28 mars 2019, Consorts X. et M. X., n° 419053) V. n° 58

 

Travaux et ouvrages publics

 

82 - Responsabilité du fait de travaux ou d'ouvrages publics – Travaux publics réalisés sur une propriété privée – Régime de responsabilité du chef de préjudices permanents liés aux caractéristiques données à l'ouvrage privé par une décision de la personne publique – Responsabilité sans faute à prouver et responsabilité fondée sur la faute – Conditions d'existence et régimes.

La SA "La réserve africaine de Sigean" qui exploite un important parc animalier, recherche la responsabilité du Syndicat intercommunal pour l'aménagement hydraulique du bassin de la Berre et du Rieu à raison de conséquences dommageables subies par elle du fait d'inondations qui ont atteint une levée de terre sise sur une propriété privée. Elle a mis en cause la responsabilité du Syndicat, lequel avait été chargé de la réalisation d'un programme de travaux sur un cours d'eau en vue de lutter prioritairement contre l'inondation des lieux habités. En première instance, sa demande est rejetée et elle est partiellement admise en appel. C'est ce qui explique les deux pourvois en Conseil d'Etat, formés, l'un, par la société pour insuffisance de la réparation allouée, l'autre, par le syndicat, contre sa condamnation.

Sont mises en jeu la responsabilité sans faute et la responsabilité pour faute du syndicat et, conséquemment, la réparation du préjudice subi par la société.

Sur la responsabilité sans faute.

L'on sait que la responsabilité du chef de dommages travaux publics envers les tiers par rapport à ces travaux ou par rapport aux ouvrages publics, lorsqu'ils en résultent, est engagée sans faute à prouver. En l'espèce, sont apportées quatre précisions : 1°) Les travaux en cause, réalisés par une personne publique, dans le cadre de la mission de service public à elle confiée, ont la nature de travaux publics ; 2°) L'ouvrage construit au moyen de ces travaux, soit l'enrochement du lit d'un cours d'eau non domanial sur 110 mètres, est un ouvrage privé ; 3°) Dans cette dernière hypothèse, le régime de la responsabilité sans faute s'applique en cas de dommages permanents découlant des caractéristiques que la personne publique a conférées à l'ouvrage privé issu de la réalisation de travaux publics ; 4°) En l'espèce, la circonstance que la société soit en partie bénéficiaire de ces travaux ne lui retire pas sa qualité de tiers par rapport à eux.

On remarquera la nouveauté que constitue le recours à l'idée de " caractéristiques que la personne publique a conférées à l'ouvrage privé " comme fondement de la responsabilité non fautive.

C'est donc à bon droit que la cour a appliqué en l'espèce le régime de la responsabilité non fautive de la puissance publique après avoir constaté le caractère aggravant du rôle joué par lesdits travaux dans la réalisation du dommage dont réparation lui était demandée.

Sur la responsabilité fondée sur la preuve d'une faute.

Tout d'abord, le juge rappelle un principe bien établi, selon lequel la victime peut cumuler les deux fondements de la responsabilité à l'occasion de la demande de réparation d'un même dommage dès lors que celui-ci comporte des éléments de préjudice distincts relevant, chacun, d'un régime différent de responsabilité.

Ensuite, le Conseil d'Etat juge que c'est à bon droit que la cour administrative a estimé que le syndicat avait commis une faute aggravante en n'assurant pas correctement le curage du cours d'eau conformément aux prescriptions préfectorales.

Sur le préjudice.

Relevant que des inondations s'étaient déjà produites en cet endroit en raison du mauvais entretien de la berge (lequel incombe aux propriétaires privés riverains), le Conseil d'Etat approuve la cour d'en avoir déduit que la carence du syndicat n'avait qu'aggravé les effets des inondations et ne les avait pas causés, et qu'ainsi seulement 30% des préjudices subis par la société lui étaient directement imputables.

(13 mars 2019, Syndicat intercommunal pour l'aménagement hydraulique du bassin de la Berre et du Rieu, n° 406867 et Société anonyme "La réserve africaine de Sigean", n° 406985)

 

83 - Préjudice causé par un ouvrage ou un travail public – Arbres appartenant à une commune – Ouvrages publics – Responsabilités pour faute et sans faute – Réparation – Pouvoirs du juge de la pleine juridiction – Pouvoir d'injonction.

Une société dont la propriété est partiellement limitrophe d'une dépendance du domaine public communal sur laquelle sont implantés des arbres demande à la commune d'abattre certains d'entre eux menaçant de tomber sur sa propriété ; la commune effectue les travaux sollicités. Des drageons et des rejets ayant poussé sur les souches des arbres abattus ainsi qu'un arbre subsistant contribuant à dégrader son mur de clôture, elle sollicite et obtient réparation sur le terrain de la responsabilité sans faute à prouver, le préjudice ayant été considéré comme grave et spécial. En appel la somme allouée est augmentée et la condamnation est assortie d'une injonction à la commune de dévitaliser le système racinaire afin d'empêcher la repousse et d'abattre l'arbre subsistant. La commune se pourvoit en cassation.

Le Conseil d'Etat examine le bien-fondé de l'arrêt attaqué, en premier lieu au regard des conclusions indemnitaires dont il était saisi, en second lieu, au regard de l'injonction qu'il a prononcée.

Relativement aux indemnités allouées, le Conseil d'Etat constate d'abord qu'en vertu de son pouvoir souverain d'appréciation la cour administrative d'appel a estimé que les désordres subis par la propriété de la société trouvaient leur source dans l'abattage des arbres par la commune. Il rappelle ensuite deux principes majeurs du droit de la responsabilité du fait de l'existence ou du fonctionnement d'un ouvrage public. En premier lieu, cette responsabilité, engagée sans faute à prouver, ne pouvait être écartée ou atténuée que par la preuve que les dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. En second lieu, lorsque les dommages sont causés à un immeuble, comme c'est le cas en l'espèce, le maître de l'ouvrage ne peut prétendre voir atténuer sa responsabilité au motif que cet immeuble serait fragile ou vulnérable sauf si l'un ou l'autre de ces caractères était imputable à une faute de la victime. En revanche, ceux-ci peuvent être pris en considération pour déterminer le montant du préjudice indemnisable.

Le Conseil d'Etat rejette, de ce chef le pourvoi de la commune car celle-ci ne peut pas invoquer, pour exonérer ou atténuer sa responsabilité, la circonstance que les arbres étaient déjà présents lors de l'acquisition de la propriété par la société victime ni, non plus, le fait que leur abattage par la commune a eu lieu à la demande de cette société ni, enfin, que cette dernière entretenait mal son mur de clôture, cet élément ayant été souverainement rejeté par la cour administrative d'appel.

Concernant l'injonction, et c'est sans doute l'aspect le plus novateur de la décision, le juge distingue deux situations.

Lorsque le juge administratif statue sur un recours indemnitaire fondé sur la faute qu'aurait commise une personne publique et qu'il constate que ce comportement et ce préjudice perdurent à la date à laquelle il se prononce, il peut, en vertu de ses pouvoirs de pleine juridiction et lorsqu'il est saisi de conclusions en ce sens, enjoindre à la personne publique en cause de mettre fin à ce comportement ou d'en pallier les effets. 

Lorsque, en revanche, il statue sur un recours indemnitaire non fondé sur l'existence d'une faute à l'origine du dommage, il ne peut user de ses pouvoirs à fins d'injonction que si le requérant fait également état, à l'appui de ses conclusions à fin d'injonction, de ce que la poursuite de ce préjudice, ainsi réparé sur le terrain de la responsabilité sans faute du maître de l'ouvrage, trouve sa cause au moins pour partie dans une faute du propriétaire de l'ouvrage. Il peut alors enjoindre à la personne publique, dans cette seule mesure, de mettre fin à ce comportement fautif ou d'en pallier les effets.

Or, en l'espèce la cour a commis une erreur de droit au regard des principes qui viennent d'être rappelés. En effet, elle avait ordonné à la commune de dévitaliser le système racinaire contribuant à la présence de drageons et de rejets de faux-acacias sur le terrain de la société, jusqu'à cessation de tels rejets, et d'abattre un arbre implanté sur le domaine public au voisinage de la propriété de cette société. Elle ne pouvait pas décider ainsi dès lors qu'elle avait engagé la responsabilité de la commune sur le terrain de la responsabilité sans faute du propriétaire de l'ouvrage public à l'égard d'un tiers sans rechercher, d'une part, si la société requérante avait fondé ses conclusions à fin d'injonction sur une faute de la commune en sa qualité de propriétaire de l'ouvrage à l'origine d'une partie au moins des dommages et, d'autre part, si les mesures demandées tendaient uniquement à mettre fin à ce comportement fautif ou à en pallier les effets.

Rigoureusement fondée en logique et en cohérence juridique, la solution nous semble cependant bien trop subtile et entachée d'une complexité qui peuvent la rendre illégitime.

(18 mars 2019, Commune de Chambéry, n° 411462)

 

Urbanisme

 

V. aussi n° 76

 

84 - Urbanisme commercial – Permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale – Compétence directe de la cour administrative d'appel – Arrêt fondé en droit et en fait – Rejet.

Une société est autorisée à créer un ensemble commercial par une décision, devenue définitive, de la commission nationale d'aménagement commercial ; le maire de la commune délivre un permis de construire cet ensemble, ce permis valant autorisation d'exploitation commerciale (L. 425-4 c. urb.). Une association, après rejet d'un recours gracieux en ce sens, conteste cette décision en justice.

Tout d'abord est rejetée l'allégation d'incompétence de la cour administrative, celle-ci résultant directement des dispositions du CJA s'agissant d'urbanisme commercial.

Ensuite, au fond, toutes les critiques de l'arrêt d'appel sont rejetées : conditions d'accessibilité à l'aire collective de stationnement, absence d'atteinte à la sécurité publique en raison de la visibilité depuis la voie publique, caractère complet du dossier.

(13 mars 2019, Association pour le développement et la défense du développement économique équilibré de Saint-Louis Regio, n° 407986)

 

85 - Permis de construire – Démolition ou réaffectation du sol ordonnée par le juge pénal – Absence de concours de la force publique pour l'exécution du jugement – Demande de réparation du préjudice – Responsabilités pour faute et sans faute – Rejet de la demande justifié en l'espèce.

Une personne ayant obtenu la condamnation pénale d'un voisin à démolir une extension de bâtiment édifiée sans permis de construire, sollicite son exécution par la force publique. Devant la carence des autorités elle saisit le juge administratif afin d'obtenir réparation du préjudice né du refus d'exécuter la chose pénalement jugée. Après échec en première instance et en appel, le juge de cassation est saisi à son tour.

Le juge rappelle que le bénéficiaire d'une décision pénale ordonnant la démolition de surfaces édifiées sans permis de construire (art. L. 160-1, L. 480-4, L. 480-5, L. 480-7 et L. 480-9 c. urb.) a droit à son exécution et donc à ce que lui soit apporté le concours de la force publique. A défaut, il peut solliciter la réparation du préjudice causé par l'absence de concours. Cette réparation, si le refus d'exécuter la chose jugée est légal, s'effectue selon les modalités de la responsabilité sans faute et, si le refus est illégal, sur le fondement de la responsabilité pour faute.

Toutefois, il y a lieu, selon le juge administratif, de tenir compte des possibilités de régularisation du permis pour la mise en conformité de la construction litigieuse avec le droit.

En l'espèce, la réparation est refusée : le chef de demande fondé sur la perte de valeur vénale du bien n'est ni établi ni, s'il existait, démontré comme étant en lien causal direct avec le refus d'exécution ; le chef de demande fondé sur divers troubles de jouissance (perte de vue et d'ensoleillement, chute de claustras) est jugé sans gravité et sans lien causal avec les travaux irréguliers ; celui invoquant des infiltrations d'eau n'est, lui aussi, jugé ni grave ni en lien causal.

La solution nous semble faire bon marché du respect de la chose jugée au pénal, laquelle tient l'administratif, comme le civil, en état. Du seul fait de cette dernière, le demandeur a droit à la démolition et l'on voit mal comment une éventuelle possibilité de régularisation qui soit n'a pas été invoquée devant le juge pénal soit y a été évoquée et a été rejetée par lui pourrait constituer un fait justificatif de l'infraction pénale d'inexécution d'un jugement répressif.

 (13 mars 2019, M. X., n° 408123)

 

86 - Juge du plein contentieux – Installations classées pour la protection de l'environnement – Juge de l'excès de pouvoir – Contentieux du droit de l'urbanisme Dates respectives auxquelles doit se placer le juge – Combinaison.

(25 mars 2019, Société Ener-Biomasse, n° 421935 et Ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire, n° 422000) V. n° 37

 

87 - Permis de construire – Contestation en justice – Intérêt pour agir – Cas du voisin – Espèce – Absence d'intérêt pour agir – Annulation de l'ordonnance ayant jugé recevable l'action du voisin – Absence de renvoi – Règlement direct de l'affaire.

Le Conseil d'Etat annule une ordonnance en référé suspendant, à la demande d'un voisin, la décision d'un maire accordant un permis de construire. Pour ce faire, il rappelle la condition de recevabilité que constitue l'intérêt du requérant à agir, intérêt apprécié restrictivement en droit de l'urbanisme. En l'espèce, cet intérêt est dénié car, d'une part, la propriété du requérant est séparée de celle des bénéficiaires du permis par une parcelle longue de 67 mètres et, d'autre part, sa maison est distante d'environ 200 mètres de la maison d'habitation dont la construction est autorisée par le permis litigieux. Il importe peu à cet égard que le premier juge ait relevé que les boisements présents sur les terrains en cause ne suffisent pas pour "occulter toute vue et tout bruit " entre le terrain d'assiette de la construction et la propriété du requérant et qu'il ait également retenu que celui-ci indique avoir acquis cette propriété en raison de l'absence de voisinage.

Cette solution doit être pleinement approuvée.

(18 mars 2019, Commune de Montségur-sur-Lauzon, n° 422460)

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